Catherine Howard - Alexandre Dumas - E-Book

Catherine Howard E-Book

Dumas Alexandre

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Beschreibung

Extrait : "Le grand malheur de la critique, à part l'ignorance et la mauvaise foi, est de juger toujours l'œuvre qui vient de paraître en l'isolant du faisceau littéraire dont elle fait partie ; voilà pourquoi il n'y a d'appréciation exacte de l'œuvre d'un homme que lorsque cet homme a cessé de vivre : encore faut-il que Dieu lui ait donné, jusqu'au dernier, les jours dont il avait besoin pour achever son édifice ; car, s'il est mort trop tôt, le monument qu'il avait..."

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EAN : 9782335054774

©Ligaran 2015

Avertissement

Le grand malheur de la critique, à part l’ignorance et la mauvaise foi, est de juger toujours l’œuvre qui vient de paraître en l’isolant du faisceau littéraire dont elle fait partie ; voilà pourquoi il n’y a d’appréciation exacte de l’œuvre d’un homme que lorsque cet homme a cessé de vivre : encore faut-il que Dieu lui ait donné, jusqu’au dernier, les jours dont il avait besoin pour achever son édifice ; car, s’il est mort trop tôt, le monument qu’il avait entrepris restera toujours incomplet, comme la cathédrale de Cologne, et les hommes, injustes pour lui jusqu’au-delà du tombeau, mettront sur le compte de l’impuissance humaine la brèche que la mort, jalouse et pressée, l’aura forcé de laisser béante, et qu’une dernière pierre eût peut-être comblée ; or, mort ou vivant, c’est par cette brèche que la critique passe ; – il n’y a qu’Horace qui ait pu dire : Exegi monumentum.

La vie d’un homme de production se compose de trois âges et se divise en trois périodes ; elle a, comme toute chose élevée, une base d’où l’on part, un sommet où l’on arrive, un but vers lequel on redescend. Il faut donc que l’homme ait vécu ces trois âges et que son talent ait parcouru ces trois périodes, pour qu’on puisse juger le talent dans son ensemble, l’homme dans sa production.

Le premier âge, pendant lequel l’imagination l’emporte sur la raison ; à cet âge de verdeur appartiennent tes heures qui s’envolent de vingt-cinq à trente-cinq ans. C’est la période dans laquelle on invente Hamlet, si l’on s’appelle Shakespeare ; le Cid, si l’on se nomme Corneille ; les Brigands, si l’on est Schiller.

Le second âge, pendant lequel la raison et l’imagination se balancent, se tendant l’une par l’autre, forces égales qui se neutralisent. À cet âge de force appartiennent les jours qui s’écoulent de trente-cinq à quarante-cinq ans. C’est la période dans laquelle on produit le Roi Lear, Cinna, Wallenstein.

Le troisième âge, pendant lequel la raison l’emporte sur l’imagination ; à cet âge de réflexion appartiennent les années qui descendent de quarante-cinq à cinquante-cinq ans. C’est la période dans laquelle on compose Richard III, Polyeucte, Guillaume Tell.

Or, je le demande, Schiller serait-il complet sans Wallenstein et Guillaume Tell, Corneille sans Cinna et Polyeucte, et Shakespeare sans le Roi Lear et Richard III ?

La critique ne devrait donc, ce me semble, demander au poète que les œuvres de son âge. Or, nous le savons, c’est tout autrement qu’elle procède, et ce sont les œuvres des âges qu’il n’a point encore atteints, ou qu’il a déjà dépassés, qu’elle semble prendre à tâche d’exiger de son génie. Quant à l’œuvre en harmonie avec la période qu’elle parcourt, jamais elle ne paraît suffisante aux exigences des juges appelés à prononcer sur elle : aristarques impatients, qui critiquent individuellement, et au fur et à mesure qu’elles s’élèvent, les pierres dont la réunion seule peut donner une idée du plan de l’architecte ; jardiniers capricieux, qui, oubliant l’ordre immuable des saisons, demandent des fruits mûrs au printemps, des fruits verts à l’été, et des fleurs à l’automne.

Quant à moi, je sais une chose : c’est que, si Dieu m’avait donné, au lieu de la faculté de produire, la capacité de juger ; au lieu de faire ce que ces messieurs font, voici, je crois, ce que je ferais : à défaut d’ailes assez puissantes pour m’élever au-dessus de l’idée du poète, j’aurais des jambes assez robustes pour en faire le tour ; ne pouvant calculer quelles forces sont enfermées dans la ville que je voudrais assiéger, j’examinerais avec soin les murailles qui l’environnent ; surtout je tâcherais de ne pas me livrer à l’épigramme du poète, ou à me tenir hors de la portée du feu de la citadelle. Fréron a été tué devant l’Écossaise, et Charles XII devant Frederikshald.

Puis il m’arriverait parfois, ne fût-ce que pour varier ma manière, ou de peur qu’on ne me crût jaloux de Corneille ou de Vauban, de dire : « Voilà une tragédie ou un drame qui me semble complet ; voilà une place ou une citadelle qui me paraît bien fortifiée. »

Du reste, si Dieu me prête vie et un directeur son théâtre, j’y montrerai un soir le journaliste comme je le comprends, et le journaliste comme je ne le comprends pas.

Maintenant que mon préambule est terminé, laissons la pièce qui n’est pas encore jouée, et disons quelques mots de celle qui vient de l’être.

Catherine Howard est un drame extra-historique, une œuvre d’imagination procréée par ma fantaisie ; Henri VIII n’a été pour moi qu’un clou auquel j’ai attaché mon tableau.

Je me suis décidé à agir ainsi, parce qu’il m’a semblé qu’il était permis à l’homme qui avait fait du drame d’exception avec Antony, du drame de généralité avec Teresa, du drame politique avec Richard Darlington, du drame d’imagination avec la Tour de Nesle, du drame de circonstance avec Napoléon, du drame de mœurs avec Angèle, enfin du drame historique avec Henri III, Christine et Charles VII, de faire du drame extra-historique avec Catherine Howard.

C’est un nouveau sentier que j’ai percé : voilà tout. À l’heure qu’il est, je suis déjà revenu au centre du carrefour où je loge, prêt à faire une trouée nouvelle… Où ? Qui le sait ! dans la tragédie antique peut-être. – Cur non ?

En attendant, je remercie le public, qui a fait mon dixième succès, les acteurs, qui y ont contribué, et jusqu’aux journalistes, qui m’ont fourni des matériaux pour un onzième.

ALEX. DUMAS.

15 juin 1834.

ACTE PREMIERSir John Scott de Thirlstane
Premier tableau

La salle de réception au palais de White-Hall.

Distribution

HENRI VIII, roi d’Angleterre.

ETHELWOOD, DUC DE DIERHAM.

LE COMTE DE SUSSEX.

SIR JOHN SCOTT DE THIRLSTANE, ambassadeur de Jacques V.

SIR THOMAS CRANMER, archevêque de Cantorbéry.

JACK FLEMING, alchimiste.

LE PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE DES PAIRS.

LE LORD CHAMBELLAN.

LE DUC DE NORFOLK, lieutenant général.

L’EXÉCUTEUR.

UN HUISSIER.

UN GARDIEN DE LA TOUR DE LONDRES.

CATHERINE HOWARD.

LA PRINCESSE MARGUERITE.

KENNEDY, nourrice de Catherine Howard.

LA DUCHESSE DE ROKEBY.

LA DUCHESSE D’OXFORD.

UN CAPITAINE DES GARDES, UN GREFFIER, UN CRIEUR PUBLIC, UN PAGE DU DUC DU DIERHAM, SEIGNEURS ANGLAIS, DAMES D’HONNEUR, GARDES DU ROI, PAGES DU ROI, SEIGNEURS ÉCOSSAIS DE LA SUITE DE SIR JOHN SCOTT, PEUPLE.

En Angleterre, 1542.

Scène première

Le lord Chambellan, attendant le lever du Roi ; le duc de Norfolk, entrant ; puis sir Thomas Cranmer.

LE DUC DE NORFOLK

Monsieur le lord chambellan…

LE LORD CHAMBELLAN

Monseigneur ?

LE DUC DE NORFOLK

Où est Sa Grâce ?

LE LORD CHAMBELLAN

Dans sa chambre à coucher, avec milord le grand chancelier.

LE DUC DE NORFOLK

Rien n’est changé au cérémonial ordinaire de son lever ?

LE LORD CHAMBELLAN

Rien, milord.

LE DUC DE NORFOLK

Merci ; je vais l’attendre. (À l’Archevêque de Cantorbéry, qui entre.) Salut à monseigneur de Cantorbéry.

SIR THOMAS

Salut, milord.

LE DUC DE NORFOLK

Quelles nouvelles de Rome, monseigneur l’archevêque ?

SIR THOMAS

Quelles nouvelles d’Écosse, milord lieutenant général ?

LE DUC DE NORFOLK

Sommes-nous toujours brouillés avec le saint-père ?

SIR THOMAS

Sommes-nous toujours mal avec le roi Jacques ?

LE DUC DE NORFOLK

Aussi mal que l’archange Michel est avec Satan ! Vous savez que le roi est revenu avant-hier d’York. Sa Grâce y a passé six jours à attendre vainement son écervelé de neveu, qui, au bout de ce temps, lui a envoyé je ne sais quelle mauvaise excuse ; le roi est rentré furieux à Londres.

SIR THOMAS

Les nouvelles de Rome ne valent guère mieux que celles d’Écosse alors.

LE DUC DE NORFOLK

Excommuniés toujours, n’est-ce pas, roi et royaume, noblesse et peuple ?

SIR THOMAS

Oui ; mais vous savez sans doute que nous ne sommes pas en reste avec le saint-père ; une assemblée de dix-neuf prélats et de vingt-cinq docteurs a formulé hier une déclaration qui rejette la domination du pape, qui déclare ne lui reconnaître d’autre pouvoir qu’un pouvoir purement spirituel, d’autre titre que celui d’évêque de Rome, et qui proclame le roi Henri VIII d’Angleterre le chef suprême de la religion. C’est, j’en ai bien peur, comme avec le roi Jacques, milord, une guerre mortelle.

LE DUC DE NORFOLK

Moins dangereuse cependant, vous en conviendrez ; les foudres papales ne renversent pas les trônes.

SIR THOMAS

Non ; mais elles allument encore les bûchers.

LE DUC DE NORFOLK,d’un air sombre

Sans compter que ce vent de guerre qui nous arrive d’Écosse n’est pas de nature à les éteindre. Monseigneur, il y a du Jacques V dans l’excommunication du pape, et il y a de l’excommunication du pape dans la déclaration de guerre de Jacques V ; car c’est une véritable déclaration de guerre, ne vous y trompez pas, que son mariage avec Marie de Guise, et que l’acceptation du titre de défenseur de la foi que lui a donné Paul III.

LE LORD CHAMBELLAN

Chut, milord ! il me semble que le roi parle bien haut.

LE DUC DE NORFOLK

Silence ! Voici son Altesse la princesse Marguerite.

SIR THOMAS

Quel est ce jeune seigneur qui raccompagne ?

LE DUC DE NORFOLK

C’est milord de Sussex, qui arrive de France pour recueillir l’héritage de son père, et la place que sa mort a laissée vacante à la chambre haute.

Scène II

Les mêmes, la princesse Marguerite, le comte de Sussex, dames d’honneur, seigneurs de la suite de la princesse ; puis Ethelwood.

SUSSEX

Lorsque je vis pour la première fois la duchesse d’Étampes à la cour du roi François Ier, elle avait une robe d’une étoffe absolument pareille à celle de Votre Altesse.

MARGUERITE

Vous avez bonne mémoire, milord, et nous vous ferons, si notre gracieux frère et souverain le permet, grand maître de nos atours ; cette étoffe vient, en effet, d’outre-mer ; Henri l’a reçue avec d’autres présents que lui envoyait le roi de France, en gage de bonne amitié ; et il me l’a donnée au même titre… Salut, monseigneur de Cantorbéry. Salut, milord.

(Le duc de Norfolk et l’Archevêque s’inclinent.)

SUSSEX,après les avoir salués légèrement

En gage de bonne amitié, dites-vous ?… Voilà qui me désespère, madame ! nous nous étions cependant bien promis, de concert avec MM. de Montmorency et de Guise, que cette bonne amitié ne durerait pas toujours.

LE DUC DE NORFOLK

Comment, vous voulez nous brouiller avec la France, comte ?

SUSSEX

Mais nous ferons tout ce que nous pourrons pour cela, milord lieutenant général. Nos voisins ont sur le cœur la journée des éperons, et le pied-à-terre que le roi Henri conserve à Calais leur fait espérer qu’il ne tardera pas à traverser de nouveau la mer pour venir leur offrir une revanche.

LE DUC DE NORFOLK

Malheureusement, milord, je crois que Sa Grâce a pour le moment de la besogne toute taillée qui l’empêchera d’entrer dans vos vues politiques, si profondes et si avantageuses qu’elles lui paraissent. Mais MM. de Montmorency et de Guise peuvent passer la mer à leur tour ; je crois même qu’en ce moment deux épées aussi braves et aussi fidèles que les leurs ne seraient pas mal reçues à la cour du roi Jacques, et, comme j’espère, milord, vous compter parmi les chefs de l’armée que je conduis à la frontière, ce sera une bonne occasion à saisir, si vous voulez renouveler avec vos amis, au bord de la Tweed, la connaissance commencée aux bords de la Seine.

SUSSEX

Il sera fait comme vous dites, monsieur le duc, si Dieu ou le roi n’y mettent empêchement. Il y a un vieux proverbe anglais qui prétend que, chaque fois qu’il y a dans notre île deux lames d’épée qui brillent au soleil, on n’a qu’à regarder au côté d’un comte de Sussex si l’on veut trouver un fourreau vide.

SIR THOMAS

C’est comme vous le dites, milord, un vieux proverbe ; si vieux, qu’il commence à tomber en désuétude.

SUSSEX

Il aurait repris une nouvelle vie, monseigneur, si je m’étais trouvé en Angleterre lors du procès de la malheureuse Anne Boleyn ; et peut-être eût-il mieux valu que je m’y trouvasse, je ne dirai pas pour mon honneur, à moi qui, Dieu merci, n’avais pas besoin de ce nouveau lustre, mais pour celui du roi, monseigneur, et pour le vôtre, auquel j’eusse peut-être sauvé une bien fâcheuse tache.

SIR THOMAS

Si je vous comprends bien, milord, vous voulez dire que vous eussiez défendu la reine ?

SUSSEX

Oui, monseigneur, et de deux manières.

SIR THOMAS

Peut-on les connaître ?

SUSSEX

Au parlement avec ma parole.

SIR THOMAS

Et, si celle du roi lui eût imposé silence, comme il a fait à la mienne ?

SUSSEX

En champ clos avec mon épée.

MARGUERITE

Milord, vous oubliez que vous parlez de Henri, qui est votre roi, devant moi qui suis sa sœur.

SUSSEX

Pardon, madame ; mais je voyais les yeux de Votre Altesse si distraits, que j’espérais que le son même de ma voix n’arriverait pas à son oreille.

MARGUERITE

Milord, depuis que Dieu a fait à mon frère la grâce de lui accorder un fils, j’ai perdu toute chance de succéder au trône d’Angleterre, et, par conséquent, tout désir de m’instruire dans les choses de guerre et de politique. Croyez que, dans le cas contraire, j’aurais écouté avec le plus grand intérêt la belliqueuse discussion que vous venez d’engager avec monseigneur l’archevêque.

SUSSEX

Hélas ! madame, si les paroles que je viens de prononcer, tout insignifiantes qu’elles sont, étaient sorties de la bouche d’un autre que je pourrais nommer… Votre Altesse serait à cette heure une rebelle ; car elle aurait, je le crains bien, oublié, pour s’instruire dans les choses de guerre et de politique, jusqu’à l’existence de son neveu le prince Édouard.

MARGUERITE

Milord, je ne sais si la sœur de François Ier permet aux chevaliers français de faire en sa présence de pareilles remarques ; mais ce que je sais bien, c’est que, si elles se renouvelaient devant la sœur de Henri VIII, elle se croirait obligée de s’en plaindre au roi d’Angleterre.

UN HUISSIER,à la porte du fond

Milord Ethelwood, duc de Dierham.

(Entre Ethelwood.)

SUSSEX

Vous arrivez bien à propos, milord, pour plaider en ma faveur une cause que je suis tout près de perdre au tribunal de Son Altesse.

ETHELWOOD

Comte, vous tombez mal ; vous le voyez, j’ai moi-même un pardon à obtenir ; car, si j’arrive assez tôt pour offrir mes hommages à Sa Grâce, j’arrive bien tard pour les déposer aux pieds de Son Altesse.

MARGUERITE

Il est quelquefois plus facile de pardonner aux absents qu’aux présents ; car l’absence, milord, n’entraîne avec elle qu’une accusation, celle de l’oubli.

ETHELWOOD

Et celle-là, madame, vous savez combien il serait injuste de la faire peser sur moi ; non, j’ai été arrêté à la grille du palais par l’encombrement que causent nos envoyés d’Écosse et la foule qui les entoure.

LE DUC DE NORFOLK

Comment, milord, ils sont là ?

ETHELWOOD

Attendant audience de Sa Grâce.

(On entend le bruit des cornemuses, accompagné de cris.)

SUSSEX

Eh ! tenez, les voilà, Lieu me damne ! qui nous donnent un concert.

LE DUC DE NORFOLK

C’est la marche et les cris de guerre des Mac-Lellan.

SUSSEX

Madame, c’est notre lieutenant général qui mérite le compliment que vous me faisiez tout à l’heure ; car il a, si je ne me trompe, meilleure mémoire encore que moi.

LE DUC DE NORFOLK

Milord, croyez-en un vieux soldat ; quand vous aurez, une fois seulement, entendu sur le champ de bataille cette marche et ces cris, vous les reconnaîtrez toujours, et plus d’une fois, peut-être, vous vous réveillerez en sursaut, poursuivi par eux dans vos rêves.

MARGUERITE,à Ethelwood

Ces cris et cette musique sauvage m’épouvantent, milord.

(Elle se jette de côté. En ce moment, Henri ouvre violemment la porte de sa chambre à coucher ; il écoute un instant sans rien dire.)

Scène III

Les mêmes, Henri ; puis sir John Scott.

HENRI,se croisant les bras

Par saint Georges ! messieurs, n’avez-vous pas entendu comme moi ?… ou bien n’est-ce qu’un rêve ? Le cri et la marche de guerre des Écossais dans la cour du palais de White-Hall !

SUSSEX

Sire, ils ont si souvent entendu les clairons d’Angleterre dans la cour du palais de Stirling !

HENRI

Vous avez raison, comte ; mais ceux-là n’y faisaient pas une musique à tirer les morts de leurs tombeaux… Eh ! tenez, jusqu’à mon vieil alchimiste Fleming, qui sort tout tremblant de son laboratoire pour nous demander s’il n’a pas entendu la trompette du jugement dernier.

FLEMING,soulevant avec sa tête la tapisserie d’une porte basse et voûtés, regarde de tous côtés

Sire !…

HENRI,riant

Rentre, mon vieux prophète, ce n’est rien !… rien, que les glapissements du renard d’Écosse, que vont couvrir les rugissements du lion d’Angleterre. Mon cousin de Norfolk, faites entrer ces bouviers highlanders, et demandez en même temps à nos trompettes s’ils se souviennent de la marche de Flodden. (Norfolk sort. Allant à son trône.) Bonjour, ma sœur. Salut, messieurs et milords. Approchez-vous plus près de notre trône, sir Thomas de Cantorbéry ; car nous savons qu’il n’est puissant et solide que parce qu’il s’appuie, d’un côté (tendant la main à Ethelwood), sur le courage de la noblesse (tendant l’autre main à l’Archevêque), et de l’autre, sur la science de l’Église. (À la princesse Marguerite, qui se lève.) Où allez-vous, Marguerite ?

MARGUERITE

Sire, j’étais venue pour assister à votre lever, et non à une audience de guerre… J’espère donc que vous penserez que ma place…

HENRI