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"Chant des Âmes" est un recueil de nouvelles de différents registres, il est le premier livre de l'Illusiaverse, un univers où des petites histoires comme des grandes aventures ont lieu. Ce livre vous entraine dans des aventures tantôt magiques ou terrifiantes, aussi dramatiques que tordantes. Par delà les rives et les univers vous embarquez pour un voyage vers l'inconnu, là où l'imagination atteint les étoiles. En lisant ce livre vous serez auprès des personnages, vous partagerez leurs angoisses et leurs plaisirs. Dans ce livre il y a un peu de tout, un brin de folie, un zest d'imagination, et quelque part au coin de la page, une étincelle de magie qui rend possible l'impossible.
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Seitenzahl: 196
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Clémentine Krauss est une jeune auteure née en 2006. Passionnée de lecture fantasy fiction, elle publie ses premières histoires sur Wattpad sous le pseudonyme de Skaira2006. Ce volume est son tout premier recueil en attendant beaucoup d’autres...
PROLOGUE
LUNE POURPRE
LOI HERA
Ordre Io
SOUS NOS PIEDS
L'épreuve
SANG TRACE
ETOILE DU SOIR
L’incroyable histoire d’un chat pendant le confinement
Face á face
Double tranchant
EPILOGUE
La nuit était tombée depuis longtemps. A travers l’obscurité, on pouvait à peine apercevoir ses mains devant soi. Particulièrement ce soir-là, car la Lune s’absentait et les étoiles ne brillaient pas. Des nuages sombres recouvraient la ville pour la plonger dans une noirceur totale. Du moins, jusqu’à qu’une lampe franchisse cette obscurité. Une femme apparut dans la ville, elle sillonna les ruelles jusqu’à arriver devant le plus grand bâtiment de la ville, celui qui recelait plus de mystères que l’univers d’étoiles. Après avoir franchi les immenses portes blindées, elle s’engouffra dans un labyrinthe de couloirs jusqu’à une porte précise, la porte 42. A l’intérieur, des milliers de sphères roses, bleues, blanches ou noires emplissaient la pénombre.
- Dépêchons-nous, dit-elle froidement, nous n’avons pas toute la nuit.
Personne ne lui répondit, elle parlait à elle-même.
D’un geste lent et précis, elle saisit une des sphères. La lumière rose qui en émanait s’anima et les rêves, les souvenirs de toute une vie défilèrent devant ses yeux.
- Nous avons beaucoup d’histoires à découvrir.
Sur la cime des vents, une brume légère et colorée se leva sur la forêt.
Les lumières de la lune teintaient la terre d'une lueur apaisante. Les arbres déployaient majestueusement leurs feuilles volant au grès du vent, comblant l'atmosphère apaisante de la cime. Le silence, roi de ce lieu paisible, s'installa progressivement dans la nuit. Tout semblait parfait. Les arbres de la forêt, harmonieux et en paix, ne s'attendaient pour rien au monde à la tragédie de ce soir : un spectacle sinistre et sanglant, dont ils seraient, à contrecœur, au premier rang !
Tout commença en ce soir paisible et ordinaire que tout commença.
Un cri brisa le silence, un cri d'effroi, implorant, déchirant le calme du ciel.
Une jeune fille fuyant son destin, aussi funeste soit-il.
Chaque cycle, lorsque la Lune pourpre se lève, une jeune fille est sacrifiée en l'honneur d'un dieu malfaisant. Mais ce soir n'est pas comme les autres. La Lune pourpre est levée, une jeune fille est destinée à mourir, mais si cela continue, les plus épaisses ténèbres pourraient se libérer. Et tout détruire.
Elle courait à travers les bois, sa respiration faiblissait, son cœur tambourinait contre sa poitrine, mais elle ne s'arrêtait jamais. Elle savait trop bien ce que cela lui coûterait.
Courir, toujours courir, ne jamais s'arrêter. Ne jamais regarder derrière soi.
Derrière elle, une ombre silencieuse et menaçante tentait de la rattraper ; elle filait à travers les arbres, se laissant porter par le vent et la faim, ce vice qui pousse aux pires crimes.
La jeune fille trébucha à plusieurs reprises. Elle s'éraflait sur la roche coupante de la cime, des cicatrices parsemaient sa peau comme des veines. Elle souffrait, mais continuait.
Les cheveux de la fuyarde, tel un halo de lumière éclairé par la Lune, dansaient au rythme de la course effrénée tels des flammes. Les yeux de l’assaillant, gemmes de glaces, ne laissaient aucunes pitiés à la jeune fille, dont la vision fut profondément altérée par la brume et l'obscurité, annonçant une fin froide et impersonnelle.
Elle ne méritait pas la mort, elle ne méritait pas que son temps se termine si tôt, pourtant, la vie ne laisse jamais le choix, elle reprend toujours ce qu'elle nous donne.
Toujours.
Elle entendait le vent chanter pour l'encourager, sifflant à travers la nuit, mélodie de la forêt, lui frayant un passage de fortune. Espoir rare parmi la peur enfouissant son cœur.
Ne jamais s'arrêter....
Des larmes coulaient le long des joues de la jeune fille. Pareils à des rivières salées, elles laissaient derrière elles une trace de leur vie. Gouttes nourrissant un peu plus l'appétit de la bête d'ombre qui se rapprochait invariablement.
Ses crocs de ténèbres attendant patiemment leur heure, hâtifs de mordre une chair fraîche et un sang chaud, hâtifs de se nourrir, d'étancher leur soif.
Sa faim, dévorante et terrible, ne s'apaiserait jamais.
L'ombre, silencieuse et froide, avançait tel un esprit, ne laissant derrière elle qu'un sillage de mort. Désolé et aride. Elle hurlait sa fureur dévorante, elle annonçait la fin, et la provoquait.
Sa faim dévorante.....
Inspirant l'effroi aux générations de la cime, elle se terrait dans ses bois, dans l'attente d'une proie, qu’elle déchiquettera sans aucune pitié.
.......ne s'apaisait jamais.
Et ne laissera que des ossements, et l'écho d'un sanglot, d'un cri, d'une larme, oubliée de tous.
Courir, toujours courir....
La jeune fille, imprudent festin, se laissait guider par son instinct, à l'affût du moindre abri, mais cela ne suffira pas cette nuit.
.......ne pas regarder en arrière.
Les ténèbres se rapprochaient, pour atteindre leur but.
Une vie de plus prise par les serres de l'ombre, arrachée à sa paix, sans sépulture, sans honneur. Ses lèvres rouges arrachées à un cri muet, une expression d'effroi figée sur le visage de porcelaine de la victime.
Les derniers cris de la jeune fille résonnèrent dans l'obscurité, glaçant d'effroi ceux qui l'entendraient. Laissant un souvenir vague d'une vie frêle trop vite arrachée.
C'est terminé....
Sa famille ne la pleura pas, ses amis l'oublièrent, elle mourut dans la souffrance, dont le passage à trépas fut si terrible qu'elle demeurait sans nom pour la qualifier. Elle fut oubliée, dévorée, engloutie par les ténèbres : puits sans fond inspirant la folie et le malheur.
Seuls les témoins de sa fin tragique honorèrent sa mémoire. La forêt et le vent, les astres et la nuit chantèrent pour elle se soir-là. Leur pays devenu scène de crime, leur innocence envolée, ou plutôt volée, par un assassin sans pitié.
Mais au lieu d'apaiser les esprits maléfiques comme le rituel le faisait depuis des millénaires, il se pourrait qu'il renforce la puissance des ombres. Qu'elles s'éveillent et aient très faim, qu'elles détruisent tout.
Ils prévinrent en runes celui qui les comprendra:
Un arbre dont les racines se nourrissent de son sang,
Une forêt chantant ses derniers instants,
Le vent transportant une nouvelle déchirante,
Un souvenir oublié, caché aux yeux de tous,
Les ténèbres se délectant,
Du sang de leurs victimes,
Attendant, tapies dans l'obscurité,
La nuit où elles seraient libérées,
Par une prophétie annonçant la fin de la vie,
Et le début de l'ère des esprits.
Ils attendront leur sauveur.....s'il existe.
A suivre…
Article quatre-vingt-quinze de la loi Héra :
- Il est strictement interdit de concevoir un embryon humain non-artificiel ou de donner naissance à un enfant non préprogrammé. Né ou non, un enfant qui ne sera pas préprogrammé sera éliminé. Quel que soit son âge.
- Toute conception d'embryon d'un être vivant est interdite, tout comme la végétation et la référence aux arbres, aux animaux ou à la nature est proscrite, toute publication sur ce sujet sera censurée.
Terre, Londres, année 2 168
- Et que j'te revois plus ici, c'est clair ?
Une série injures s'ensuivit, récitées à la manière d'un poème, puis la porte claqua en un fracas sec. Etalée dans la boue, les mains couvertes de sang et d'alcool, elle se releva en titubant.
- T'façon, t'as pas l'mérite d'me voir...'foiré, va !
Après un crachat acide sur la porte, elle s'éloigna en grommelant des insultes, son discernement encore brouillé par la souillure de l'alcool. A cette heure, les rues de vide se peignaient de nuit et les rats ou autres créatures malfamées hantaient les pavés en quête d'une victime. Elle se retint à un mur, haletant comme un poisson hors de l'eau, ses genoux tremblaient, et les perles de ses yeux roulèrent jusqu'à se mêler au sang. La douleur lui déchirait l'épaule. Pliant l'échine face à sa douleur, elle avait d'abord noyé son chagrin dans le sommeil, puis dans l'alcool. Mais son ivresse la rendait obnubilée par la haine envers les Supérieurs. Ils avaient tout pris, sa vie ne dépendait plus de rien.
- Lyin, articula-t-elle entre deux sanglots
Un bout de verre restait dans sa main, elle l'avait conservé en secret avant de se faire chasser du bar. D'un geste nonchalant, elle le brandit, les larmes abondaient. Elle ne pourrait plus revenir en arrière. Trop tard, ce monde l'avait achevé, elle devait faire taire la douleur. Elle l'enfonça dans son ventre.
Attendant que la mort passe pour la prendre, la vie défila devant ses yeux ; elle se revit ...
Deux mois plus tôt
Dans une cave isolée, au milieu des toiles d'araignées et du silence, un cri de nourrisson déchira les airs, suivi des pleurs tant heureux que miséreux. Un enfant naturel venait de naître, dans ce monde déserté par la végétation et la nature, un véritable enfant venait bouleverser cet univers. Lyin, c'était le nom de cet enfant, une jeune fille qui deviendrait ce qu'elle voudrait, qui vivrait et s'épanouirait comme elle l'entendait. Néanmoins, si sa mère parvenait à passer entre les mailles du filet, à ne pas être découverte pour avoir enfreint la loi Héra. Cette dernière jeta un œil à son fiancé, recroquevillé dans un coin, il pleurait de joie tout en vomissant, dégoûté par le cordon ombilical qui pendait dans sa main. Plus tard, il les rejoignit.
- Tu crois que ça ira ? intima-t-elle d'une voix étouffée, encore épuisée par son accouchement.
- Je l'espère, d'après mes sources, leur système n'est pas aussi perfectionné qu'ils le pensent.
- Des sources ? Tu comptes sauver notre enfant avec des sources ? La voix de la jeune mère reflétait sa panique.
Elle ne voulait pas prendre le moindre risque, et voilà que son fiancé prétendait sauver sa fille sur de simples sources. Elle peinait à y croire. Normalement, ce moment aurait dû être le plus beau de sa vie, mais étrangement, lorsqu'on a peur de la mort, il suffit d'une simple brise pour aviver l'incendie.
- Tout ira bien, je te le promets, on fera attention, chuchota-t-il en posant une main tremblante sur la joue de sa femme.
Puis, il l'enlaça tendrement, ignorant les rivières de sueur et de sang sur son corps. La nuit se passa alors dans un silence complice, témoignant de l'amour et de la passion des deux amants hors-la-loi. Au fond de ce monde rongé par l'avidité s'allumait une étincelle, qui pourrait donner naissance à un magnifique brasier.
Mais tout est dévoilé un jour ou l'autre, et le sort ne fait pas de pitié.
Ils usèrent de plusieurs stratagèmes en faisant appel à des complices de leurs coups, ils masquèrent le nombril de l'enfant et se proclamèrent famille d'accueil. Malgré les mille précautions qu'ils prirent pour faire passer Lyin pour un enfant préprogrammé, ça n'avait pas suffi. Ils crurent que tout irait bien, qu'ils en étaient sorti, mais ils sous-estimèrent le système.
Deux semaines plus tard, le drame arriva. Le père mourut "accidentellement", leur enfant fut enlevé et la mère, seule avec ses larmes.
- Votre avenir ne dépend plus que de vous. Cet enfant, en revanche, n'en aura pas. Votre punition sera d'avoir le sang de votre progéniture sur les mains, avait dit le Supérieur en emmenant le bébé.
La mère, Sally, noya alors son chagrin, jusqu'à en être réduite à une alcoolique faisant le trottoir, déambulant telle une âme perdue dans les rues.
Moment présent
Le moment fatidique. Celui qu'on attend tous en disant qu'on en a pas peur, tout ça c'est des conneries... On a tous peur de la mort, tous, sans exception, ou alors on n'est pas humain. A ce moment, elle voyait sa vie défiler, on dit qu'il y a un tunnel, une lumière vers laquelle on se dirige. Mais en fait, on ne voit rien. Juste du vide, un sommeil sans rêve, une nuit éternelle. Et de la douleur, cette épine qui s'enfonce dans notre cœur et le lacère, la mort réunit toute les douleurs, et puis revient le silence, un moment de paix éternel.
Elle ne se releva pas, sa vision devint plus floue à chaque seconde, elle se laissa tomber. Lentement, elle ferma les yeux, tout semblait plus simple une fois aveugle, elle se laissa sombrer dans ses souvenirs.
Une heure plus tôt
- Eh, va falloir que tu penses à payer un jour! Garrich n'était pas méchant, au fond, il serait sûrement très sympa, mais ce soir, les insultes avaient trop fusé. On voyait bien que ses nerfs ne tenaient plus qu'à un fil. Malgré tout, il ne chassa pas à coup de pied la pauvre femme ivre qui squattait depuis quatre heures le bar en ruminant ses problèmes, une bouteille de whisky à la main.
- Une...aut'bouteille !
- C'est pas bon pour ta santé l'alcool, faut que t'arrête !
- La ferm'
Il tentait de lui faire entendre raison, de la convaincre de se ressaisir, mais ça finissait toujours par une autre insulte, elle ne bougeait pas. Cette femme, on pouvait la qualifier de bizarre, elle regardait quelque chose qui n'existait pas tout en pianotant le comptoir avec ses doigt. D'une maigreur à mourir, de la sueur abondait telle une cascade. Garrich se demandait comment elle avait fini dans cet état.
Oh non... Il soupira lorsqu'un un garçon parfaitement sain s'assit à côté de la femme, un sourire narquois aux lèvres.
- Eh salut ma belle, j'te paye une bouteille ?
Pas de réponse, comme si elle ne le voyait pas, elle continua de naviguer dans sa torpeur. L'homme insista.
- Qu'est ce qui se passe, ton petit copain t'a plaqué ? Je peux le remplacer si tu veux.
Ce fut la goutte de trop, elle sembla se réveiller d'un coup à ces mots, comme une décharge d'adrénaline, ses yeux injectés de sang s'ouvrirent jusqu'à devenir ronds. L'homme lui posa la main sur son épaule. Et elle se jeta sur lui. Tel un chat sauvage, elle griffait, mordait, hurlait, les verres volèrent en éclats tandis qu'elle tentait de le massacrer. Heureusement, il se débattait suffisamment pour échapper à ses coups.
- Tu sais c'qu'ils ont fait à mon fiancé ? Tu l'sais ? L'ont tué, tué ! hurlait-elle, tout le monde s'enfuit du bar en courant, elle semblait prête à tuer n'importe qui.
Garrich s'approcha à pas furieux, une batte à la main. Il cogna la fille à l'épaule, un craquement d'os glaçant retentit.
- Tu vas te calmer, oui ? tonna-t-il, et dire qu'il espérait passer une journée tranquille !
Elle se releva, les yeux fatigués et l'épaule déformée. L'homme à terre, gémissait, le visage en sang, heureusement, ce n'était que le sang de sa main entaillé par le verre. Elle respirait très fort en tenant sa poitrine dans sa main. En un éclair, elle passa des larmes au rire, les vêtements baignés de sueur, de sang et d'alcool, elle retourna au comptoir.
- N'y pense même pas, ricana Garrich, t'as foutu le bordel alors tu payes et tu dégages ou j'appelle les flics.
Elle le regarda droit dans les yeux, puis, comme dans un rêve, elle prononça :
- Ce monde n'a pas d'avenir, j'ai eu un fiancé, on me l'a enlevé. J'ai eu un enfant, on me l'a arraché. On n'a pas d'avenir, ce monde nous parasite et nous consume. Et en attendant...
Garrich semblait prêt à la chasser au fusil. L'homme derrière elle ne semblait pas très amoché, heureusement qu'il était là pour arrêter cette folle avant qu'elle ne le tue.
- J'ai soif.
Quelque minutes plus tard, elle gisait dans la rue, à remonter le temps.
Instant présent
- Madame !! Madame ça va ?
Monde insouciant, protéger le fruit de mes entrailles, brouiller notre vue vers les étoiles.
Une femme tentait de la ranimer en panique, son visage flou dansait dans la lumière. La fin approchait.
Sans nature, nous serions perdus, mais tout n'est pas caché longtemps.
Les phares d'une ambulance accompagnée d'un son enivrant emplirent la rue.
Attendez-moi.
- Ne vous inquiétez pas Madame, on va vous emmener à l'hôpital, quelqu'un a appelé pour vous porter secours, vous avez de la chance.
- Je.........veux...pas.
Elle sentait qu'on lui pressait la cage thoracique.
- Lyin, j'arrive....
Ainsi furent ses dernières paroles.
Que la vie continue, que la roue tourne...
Elle se sentit attirée vers un sommeil lourd, elle lâcha prise, résignée et enfin en paix.
Sans moi.
Le monde lèvera les yeux vers le ciel, j'en fais le serment.
Les lois cruelles et contre-nature ne seront que souvenirs effacés d'une feuille brûlée.
Mais l'horloge tourne et la vie reprend.
Sans moi
Marcher dans les rues délabrées telles une ombre, redouter chaque bruit, chaque tintement, chaque murmure. Contempler les corps ensanglantés, la rivière écarlate qui sinue entre les pavés. Regarder de loin les ailes des corbeaux, froides et ténébreuses, réduire le peu de souvenir restant des cadavres. Avoir vu la mort, fixer ses yeux vides et sans âme. Des cauchemars de cette bataille effroyable hanteraient à jamais l'homme qui, debout dans la pénombre, détacha son regard de ceux qui avaient autrefois représenté des amis. Sa lame encore couverte de liquide rouge, il laissa ses larmes se vider de son corps avant de se redresser, et de s'enfuir dans les ruelles.
La nuit commençait à peine à s'éclairer, ses ombres glissèrent sur les murs de métal, pour rejoindre un endroit où se tapir. Des passants déambulaient, ignorants de l'événement qui venait d'avoir lieu. Quel massacre, que cette nuit de mort ! Il sentait encore la lame froide de ses agresseurs pressée contre sa gorge, le goût ferreux du sang dans mêlé à sa salive. Comme un écho, les cris étouffés de ses compagnons résonnèrent dans son esprit, tandis qu'il sursautait à chaque bruissement, même le plus lointain.
Enfin, sa destination se présenta à lui. Un bar, aux fondations miteuses et à la peinture fraîche et une pancarte "fermé" sur la vitrine fissurée. Un de ses bars où des bagarres survenaient régulièrement, où des ivrognes tabassaient les autres pour une clope ou un verre. Enfin, presque tous. L'homme se souvenait encore de ce jour, où tout avait changé pour lui. Ses opinions à propos du système, de la vie et des femmes. Certes, ce soir-là, il n'avait pas été tendre avec cette pauvre femme, mais il était à cette époque un simple barman, dépourvu d'idées révolutionnaires.
Maintenant, il avait mûri, réfléchi, pour se forger une opinion. Après une longue inspiration, il franchit la porte à rabat. Une petite pièce à la lumière tamisée l'accueillit ainsi que des tables et chaises en acier où traînaient des verres à moitié brisés et un bar rouge vif devant une grande étagère de bouteilles. Le barman en connaissait chaque pièce, chaque verre, chaque boisson. D'un pas assuré malgré ses tremblements, il s'approcha du bar, puis, frappa trois coups rapides, un long, puis cinq rapides de ses poings. Une voix rauque de femme s'éleva :
- Mot de passe ?
- Her Ném Io, annonça l'homme.
- Ra Esis Io. Bienvenu, patron.
Soudain, une porte sous le bar coulissa dans un grincement, dévoilant une échelle rouillée en bas de laquelle l'attendait la femme, Karol. Des cheveux blonds hirsutes et des yeux ternes, ses côtes ressortaient de sa chair tandis que se joues creusaient des sillons le long de son visage crasseux. Elle n'était pas particulièrement belle ou amicale -en fait, c'était le diable personnifié- mais son esprit vif et ses techniques de combat faisaient d'elle un atout précieux, et une amie malgré son caractère asocial. Il descendit pour s'aventurer dans un couloir aussi sombre qu'humide.
- Tu es seul ? interrogea-t-elle.
- Oui, les autres ont... échoué.
Un silence résonna, pareil à un hommage aux défunts.
- Ils ne seront pas morts en vain, assura Karol. Nous avons presque terminé les préparations. Nos informateurs ont donné leur feu vert.
- Déjà ? Cela fait à peine une semaine qu'ils sont en infiltration.
- Et pendant ton absence, nous avons récupéré ses adolescents. Ils hurlaient "Io" dans la rue.
La lumière pointa au bout du tunnel. Ils débouchèrent dans une immense salle, croisée entre une base stellaire et un dépôt abandonné. Des armes, poignard, blasters, revolvers s'alignaient le long d'un mur, des ordinateurs formaient un carré au centre de la pièce, regroupés autour d'une chambre d'énergie. Celle-ci, tubulaire, contenait des fumées bleutées dansant à travers l'air comprimé. Elle servait à alimenter chaque circuit énergique, afin de séparer du réseau électrique la base, pour qu'elle ne soit pas localisée. Plusieurs vingtaines de personnes s'entraînaient, tapaient sur les écrans des ordinateurs ou venaient former une foule autour de leur chef.
- C'est lui, mais où sont passé les autres ? fusa une voix.
- Ils devaient être une dizaine, remarqua l'une.
- Tous morts ?
- Comment allons-nous faire ?
- On va tous mourir, à ce train-là !
Les murmures, reproches et injures parsemaient la foule tels une nuée d'insectes entourant l'homme.
- Taisez-vous ! cria celui-ci, n'avez-vous aucune confiance ?
- Après, tant de morts, comment le voulez-vous ?
- Il faut abandonner l'opération !
- Pas question ! intervint Karol, nous avons l'avantage de la surprise. Ce soir, le gouvernement tombera ! À présent, retournez à vos postes, les autres mouvements ne vont pas tarder à nous joindre, je vous veux fin prêts, c'est clair ?
Dans un bruissement désapprobateur, la foule se dispersa pour retourner à ses occupations.
- Garrich, lança Karol à son chef, est-ce réellement une bonne idée ?
L'intéressé, les poings serrés, contempla son ombre, il lui sembla discerner le sang de Sally et ses yeux meurtris posés sur lui.
- Il y a un an, une femme est venue à mon bar, conta-t-il. À cette époque, je n'étais qu'un simple homme, suivant le troupeau. Elle avait les yeux injectés de sang et des cernes noirs comme la nuit. Elle buvait à en crever, une bouteille après l'autre. J'ai essayé de la dissuader de boire, mais elle m'insultait sans arrêt. Je me suis dit qu'elle était sûrement un peu trop ivre, qu'elle venait de se faire frapper ou autre chose. À vrai dire, je m'en fichais éperdument. Mais un homme est venu et a commencé à la draguer. Puis, il l'a taquinée, l'a provoquée en lui disant que son petit ami l'avait plaqué. Alors, avant que je n’ai pu réagir, elle s'est jetée sur lui et a commencé à le ruer de coup. Au début, j'ai cru que c'était dû à sa gueule de bois, mais elle a commencé à dire que ce monde nous consumait, qu'il lui avait pris son enfant et son fiancé, parce qu'ils ne respectaient pas les articles des lois Héra. Je n'avais pas vraiment compris, et par colère, parce qu'elle avait saccagé mon bar, je l'ai chassée à coup de pieds.
Il se tut comme pour se perdre dans ses remords, puis reprit d'une voix étouffée :
- La nouvelle a fait le tour des infos quelques jours plus tard, une femme saoûle, qui se suicide dans la rue. Le gouvernement a tout fait pour étouffer l'affaire de l'enfant, mais moi, je m'en suis souvenue. Les pleurs et les injures de Sally ont hanté mes nuits, son visage me suivait, plein de larmes, d'espoir et de sang. J'entendais sa voix m'accuser de ne rien faire, de l'avoir oubliée, oublié son enfant. Son enfant n'avait même pas de nom. Alors, j'y ai longtemps réfléchi, je me suis renseigné sur des cas