Chasse au chrono - Damien Signoud - E-Book

Chasse au chrono E-Book

Damien Signoud

0,0

Beschreibung

Plusieurs meurtes secouent la région de Chambéry !

Un homme est retrouvé poignardé dans les rues de Chambéry. L’enquête est au point mort lorsqu’un second cadavre est découvert non loin, selon le même mode opératoire. Il n’en faut pas plus pour semer le trouble et la peur en terre savoyarde.
Doit-on craindre d’autres victimes ? Et surtout, sont-elles choisies au hasard ?
Autant de questions délicates à résoudre pour les inspecteurs Bolmon et Garcet, chargés de l’affaire. Rapidement pointés du doigt par les journalistes et leur hiérarchie pour leur manque d’efficacité, la pression monte. Auront-ils les épaules assez larges pour mettre un terme à cette spirale sanglante ?
Un lien ténu entre les meurtres semble néanmoins se dessiner.
Compétiteurs ou simples amateurs de grands espaces, vous n’êtes pas à l’abri… Un seul mot d’ordre : COUREZ ! Dans une région si propice à l’évasion et au dépassement de soi, le pire est peut-être encore à venir…

Plongez-vous sans plus attendre dans une nouvelle enquête des inspecteurs Bolmon et Garcet en pays savoyard et découvrez les différentes affaires, si différentes mais pourtant liées.

EXTRAIT

La lueur du petit jour n’avait pas encore pointé le bout de son nez quand les premiers commerçants arrivaient aux volants de leurs estafettes pour mettre en place leurs étals du marché, comme chaque samedi matin. Devant cet improbable ballet à la chorégraphie bien rodée, un homme gisait non loin de là, éclairé de temps à autre par la lumière des phares des véhicules qui manœuvraient devant lui.
Personne n’aurait imaginé découvrir un cadavre dans les rues de la ville pour commencer la journée. Ce fut pourtant le cas de Bertrand, maraîcher sur les hauteurs de Saint-Sulpice, petite commune rurale voisine de l’agglomération chambérienne, qui s’étonna de voir un homme assis là, immobile dans ce froid glacial. Chaque jour de marché, il emportait avec lui un grand thermos de café pour le réchauffer pendant la mise en place de ses fruits et légumes. En voyant cet individu à même le sol humide et neigeux, il alla à sa rencontre muni d’un gobelet de café bien chaud. Bertrand était ainsi, il trouvait important d’aider son prochain dans n’importe quelle situation. Un sans-abri dehors à cette époque de l’année, dans un pays soi-disant développé, était une anomalie.
Arrivé à quelques mètres de la victime, il comprit immédiatement que quelque chose clochait. Son premier réflexe fut de lâcher le liquide noirâtre pour accourir vers l’homme en question. Il eut la désagréable surprise de tomber nez à nez avec un cadavre. Face à cette macabre découverte, il avertit immédiatement les secours.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Quand il ne dort pas, il marche. Quand il ne marche pas, il court. Quand il ne court pas, il écrit… Après nous avoir tenus en haleine avec son premier roman L’Ombre du Granier, Damien Signoud revient avec un second polar plus sombre et plus macabre. Sans jamais se départir de son sens de l’humour incisif ni de son regard lucide sur notre monde contemporain, il nous livre, avec Chasse au chrono, une intrigue à la fois implacable et rythmée.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 376

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Présentation de l'auteur

Quand il ne dort pas, il marche. Quand il ne marche pas, il court. Quand il ne court pas, il écrit… Après nous avoir tenus en haleine avec son premier roman L’Ombre du Granier, Damien Signoud revient avec un second polar plus sombre et plus macabre. Sans jamais se départir de son sens de l’humour incisif ni de son regard lucide sur notre monde contemporain, il nous livre, avec Chasse au chrono, une intrigue à la fois implacable et rythmée.

À la mémoire de Fabien et Franck.

1

Chambéry

Vendredi 28 novembre

La fin de l’automne était rude dans la capitale savoyarde. La température proche de zéro degré en cette fin de soirée annonçait l’arrivée de l’hiver à grands pas. La pluie fine de la journée avait petit à petit cédé sa place, au profit de délicats flocons cotonneux qui finissaient leur périlleuse chute sur le parvis de la ville et maculaient d’un blanc éclatant le paysage. La présence de la neige dans la vallée à cette époque de l’année avait surpris tout le monde. Les météorologues l’attendaient sur les hauteurs des massifs alentour et les services de l’équipement des différentes communes voisines ne s’étaient pas préparés à cette éventualité. La nuit masquait temporairement ce changement de climat et les habitants, confortablement lovés sous leur couette à cette heure de la nuit, ne se doutaient pas de ce qui se tramait dans les ruelles.

À cette heure tardive, les quelques passants encore présents dehors se hâtaient tous pour regagner leur domicile et éviter de se faire ensevelir par le déluge blanchâtre venu du ciel. Presque tous !

Légèrement abrité par les branches d’un platane auquel il était adossé, un homme vêtu d’une grande parka noire observait sereinement ce spectacle orchestré par Dame Nature. Pas un bruit, pas un mouvement qui auraient pu trahir sa présence à cet endroit. Personne ne le remarquait, il était invisible.

Que faisait réellement cet individu ainsi tapi dans le noir ? Attendait-il la fin du mauvais temps ou désirait-il simplement se faire le plus discret possible ? Il était le seul à le savoir.

Avenue des Ducs de Savoie, un groupe d’amis, qui venait de passer une agréable soirée dans un des rares pubs de la ville, avait toutes les peines du monde à se séparer. Le moindre prétexte était utilisé pour relancer la conversation et prolonger ce moment de partage. Aucun des membres du clan n’avait aperçu le grand vide laissé dans le bar par les clients déjà partis. Ils étaient les derniers et le barman au comptoir commençait à trouver le temps long. Il ne voulait pas les jeter dehors de vive voix et cherchait un moyen plus subtil pour faire déguerpir ces insomniaques.

Il opta pour la solution douce, mais sans équivoque. Il baissa progressivement le son de la musique d’ambiance jusqu’à ce que le volume de la chaîne hi-fi indique zéro. Pour être certain d’être compris par les principaux intéressés, il prit soin de remuer quelques chaises du bar, dans un grincement très désagréable à l’ouïe qui provoqua l’effet escompté. La grande brune aux cheveux mi-longs, assise dos au comptoir, se retourna, intriguée par ce soudain remue-ménage. En voyant le grand espace vide, elle comprit immédiatement le message.

— Je ne voudrais pas casser l’ambiance, mais je crois que le barman aimerait nous voir lever le camp, dit Carine au reste de l’assemblée.

L’un des deux hommes assis à sa table jeta un rapide coup d’œil à sa montre.

— Ah, effectivement, je peux le comprendre, admit Alain. En plus, avec ce temps, il doit vouloir rentrer chez lui pour se mettre vite au chaud.

— D’ailleurs, on va en faire autant ! Allez… on est partis ? demanda Paul en levant ses fesses des trois spatules de skis recyclées qui faisaient office d’assise de tabouret.

La décoration globale du pub était axée sur l’univers de la glisse. Les chaises étaient confectionnées avec de vieux morceaux de skis alpins, de surfs, de monoskis et même de vieilles rondelles de téléskis en plastique noir.

D’anciennes affiches des Jeux olympiques d’hiver protégées par une plaque en verre agrémentaient le dessus des tables du bar. On pouvait manger un morceau ou boire un verre en 1924 à Chamonix, à Grenoble en 1968, ou encore à Albertville en 1992, les anneaux ayant foulé leurs sols à ces différentes dates.

Les clients pouvaient admirer sur les murs les nombreuses photographies relatant les plus grands exploits des sports d’hiver, ainsi que de vieilles luges et paires de skis en bois. La glisse était le maître des lieux, tout comme les verres surfant sur le comptoir à longueur de soirée.

Le barman, après avoir remercié Alain, Carine, Paul, Chantal et Félicia d’avoir choisi son établissement pour leur soirée entre amis, s’empressa de fermer la porte à double tour derrière eux, au cas où ils changeraient d’avis.

Le groupe de cinq se retrouvait maintenant aux prises avec les flocons… Un dernier au revoir avant de se séparer et Alain partit rejoindre sa voiture garée dans le parking souterrain du palais de justice de Chambéry.

Parka Noire, impassible depuis plusieurs heures, daigna faire quelques mouvements pour ne pas se transformer en glaçon par ce temps hivernal. Il se décida même à quitter son abri de fortune pour reprendre sa promenade nocturne. L’heure était venue de lancer la machine. Il épiait sa proie depuis plusieurs jours, guettant le moment propice pour passer à l’action. Il devait agir cette nuit, dans ces conditions climatiques déplorables qui lui assureraient un parfait anonymat et atténueraient les bruits de ses déplacements pour mener à bien sa mission. Il devait être rapide, précis et discret.

Alain avait passé une excellente soirée en compagnie de ses amis ; comme toutes les fois où ils se retrouvaient pour partager un bon moment tous ensemble. Il remontait lentement l’avenue des Ducs de Savoie pour ne pas risquer une chute sur le sol glissant et jetait un coup d’œil de temps à autre à la rivière découverte serpentant sous la ville. Il se cachait le cou à l’aide de son col de veste qu’il avait remonté d’une main et, de l’autre, essayait de couvrir les verres de ses lunettes qui se recouvraient d’une fine pellicule de neige. Sa vision était réduite au strict minimum. Heureusement pour lui, il n’avait pas trop de chemin à parcourir pour atteindre son véhicule. À l’allure où les flocons tombaient, il allait finir en bonhomme de neige.

Sa proie avançait très lentement depuis sa sortie du bar. Elle prenait garde à ne pas chuter sur le trottoir devenu précaire au fil des heures. Elle atteignait maintenant la place du Centenaire ; Parka Noire savait exactement où elle se rendait. Il savait que l’homme garait sa voiture dans le souterrain du palais de justice pour aller ensuite à son cabinet. Le toubib ne l’avait pas déplacée à la fin de ses consultations, il connaissait donc son itinéraire. Dans quelques minutes, il se rapprocherait discrètement de celui-ci pour se mettre à sa hauteur et lui soutirer son dernier souffle.

Alain serait bientôt les pieds au sec ; il voyait l’imposant bâtiment carré orné de lumières bleutées apparaître devant lui et ne prêtait aucune attention à la masse noire qui l’avait rattrapée discrètement, juste derrière lui. Il commençait déjà à fouiller ses poches de veste à la recherche des clés de sa BMW lorsqu’une main gantée lui obstrua la bouche. Il ressentit en même temps une douleur atroce sur le côté droit du buste. Il ne comprenait pas ce qu’il lui arrivait ni d’où cela pouvait provenir, mais c’était une sensation horrible. Il sentit le sang chaud couler le long de son corps avant de s’affaler le nez dans la neige dans un dernier soupir. Il venait de rendre son ultime souffle. On venait de lui ôter la vie et il n’avait aucune idée des raisons de cet acte de violence.

Parka Noire venait d’accomplir sa mission avec une facilité déconcertante. Sa proie avait laissé échapper son dernier râle en chutant sur le sol. Il le mit en position assise, le visage face au palais de justice. Un petit clin d’œil dans cette nuit froide. Il le regarda quelques minutes, se pencha au-dessus de sa victime avant de prendre congé. Il pouvait maintenant rejoindre tranquillement son bercail et savourer une bonne nuit de sommeil, bien au chaud, contrairement à Alain Massorli dont le corps inerte refroidissait irrémédiablement.

2

Chambéry

Samedi 29 novembre

La lueur du petit jour n’avait pas encore pointé le bout de son nez quand les premiers commerçants arrivaient aux volants de leurs estafettes pour mettre en place leurs étals du marché, comme chaque samedi matin. Devant cet improbable ballet à la chorégraphie bien rodée, un homme gisait non loin de là, éclairé de temps à autre par la lumière des phares des véhicules qui manœuvraient devant lui.

Personne n’aurait imaginé découvrir un cadavre dans les rues de la ville pour commencer la journée. Ce fut pourtant le cas de Bertrand, maraîcher sur les hauteurs de Saint-Sulpice, petite commune rurale voisine de l’agglomération chambérienne, qui s’étonna de voir un homme assis là, immobile dans ce froid glacial. Chaque jour de marché, il emportait avec lui un grand thermos de café pour le réchauffer pendant la mise en place de ses fruits et légumes. En voyant cet individu à même le sol humide et neigeux, il alla à sa rencontre muni d’un gobelet de café bien chaud. Bertrand était ainsi, il trouvait important d’aider son prochain dans n’importe quelle situation. Un sans-abri dehors à cette époque de l’année, dans un pays soi-disant développé, était une anomalie.

Arrivé à quelques mètres de la victime, il comprit immédiatement que quelque chose clochait. Son premier réflexe fut de lâcher le liquide noirâtre pour accourir vers l’homme en question. Il eut la désagréable surprise de tomber nez à nez avec un cadavre. Face à cette macabre découverte, il avertit immédiatement les secours.

Le SRPJ1 de Chambéry fut immédiatement mis sur le coup et les experts de la scientifique arrivèrent sur place pour délimiter la zone interdite au public à l’aide de leur célèbre ruban en plastique jaune. Une surface de plusieurs mètres carrés fut proscrite à toute personne extérieure à l’enquête afin d’éviter une quelconque contamination des futurs indices collectés.

L’appareil photo numérique flashait à tout-va. Les spécialistes prenaient des clichés de la victime sous tous les angles avant de la déplacer. Les nombreuses traces au sol alentour, susceptibles de les intéresser ou non dans leur recherche de la vérité, subissaient le même sort. Tout devait être soigneusement récolté et inventorié. C’était un travail méticuleux qui ne devait en aucun cas être bâclé. Malheureusement pour eux, un cadavre en pleine nature et soumis aux intempéries n’était pas l’idéal pour assurer un résultat optimal de leur dur labeur. Ils allaient devoir faire le tri entre les empreintes des secouristes, de Bertrand et celles de l’assassin s’il y en avait encore. Mais au milieu de cette bouillie de neige humide, ça n’allait pas être facile.

Le médecin légiste venait d’arriver sur les lieux pour faire les premières constatations quant aux causes éventuelles du décès. Il prit soin d’étudier son patient au préalable, avant de se lancer. Il ressentait le besoin de faire connaissance avec la victime avant de pénétrer dans l’intimité de celle-ci ; les morts méritaient aussi un minimum de respect. Il enregistrait ses remarques sur son dictaphone, quand un grand gaillard d’un mètre quatre-vingt-cinq, taillé dans la masse et aux cheveux bruns hirsutes, s’approcha de lui après avoir franchi le cordon de protection.

— Salut, doc ! Comment vas-tu ?

— Salut, Florent, répondit le médecin en se levant pour serrer la main du nouvel arrivant. Mieux que ce pauvre gars, en tous cas !

— J’espère pour toi ! Alors, ton avis… Acte criminel ?

— Sans aucun doute. Regarde sur le côté droit de la victime, il y a une entaille béante sous ses côtes ; certainement le point d’entrée d’un objet tranchant.

— Bah ! fit-il avec dégoût. C’est ce qui l’a tué ?

— Je te répondrai quand j’aurai fait plus ample connaissance avec ce monsieur. Seule l’autopsie pourra l’affirmer, mais il y a de fortes probabilités pour que ce soit effectivement la cause de la mort.

— L’assassin a utilisé un couteau ?

— Peut-être une sorte de poignard, mais cesse de me demander des réponses alors même que je ne l’ai pas examiné. Stop aux spéculations.

Le légiste venait de clore la discussion. Il était inutile pour le commandant Bolmon de continuer à l’importuner. Il n’en saurait pas plus pour le moment.

— Je peux toucher le corps, toubib ? juste pour fouiller les poches !

— Oui tu peux, mais fais doucement s’il te plaît.

Muni d’une paire de gants en latex, Florent commença à palper délicatement les poches de veste de la victime, espérant ainsi trouver ses papiers d’identité pour mettre un nom sur ce parfait inconnu. L’enquêteur du SRPJ de Chambéry venait de faire mouche en découvrant le portefeuille de celui-ci, ainsi que son téléphone portable. Il en sortit une carte d’identité de la République française au nom d’un certain Alain Massorli, né le 2 mars 1966 à Grenoble, en Isère. Il trouva également quatre-vingt-dix euros en billets et quelques pièces de monnaie dedans ; il y avait même sa carte bleue. Il pouvait oublier le vol ayant mal tourné, c’était un premier point.

Il scrutait le sol autour de la victime à la recherche d’un indice ou d’une anomalie qui n’aurait pas eu sa place sur les lieux, quand le lieutenant Garcet daigna enfin se joindre à lui.

— Salut, Val ! Pile à l’heure, le taquina Bolmon.

— Oui, oui, je sais, c’est la misère ce matin, je n’avance pas. Alors, qu’est-ce qu’on a ?

— Voilà la victime, Alain Massorli apparemment, quarante-huit ans, retrouvé assis dans cette position à même le sol, pas de traces de lutte, ses papiers et son argent sont sur lui.

— Ah ! Le mobile du meurtre n’est donc pas le vol. Tu crois que c’était prémédité ?

— Effectivement, c’est une possibilité. De toute façon, on va déjà attendre de connaître les causes exactes de la mort.

— OK, je vais faire le tour des premiers étals afin de voir si on n’aurait pas des témoins ; à tout hasard…

— Ça marche. Je m’occupe de l’homme qui a prévenu les secours et je file aux bureaux chercher des renseignements sur la victime ; prévenir sa famille et le reste... Quelle journée de merde ! jura-t-il en levant les yeux au ciel. Allez au boulot !

La partie la plus horrible dans ce métier pour Florent : annoncer aux proches du défunt qu’ils venaient de perdre subitement un être cher et dans le même temps, guetter les premières réactions de chacun. Dans des cas comme celui-là, on ne sait jamais au départ si on n’est pas en face du meurtrier. Il fallait faire preuve de tact, de compassion, mais aussi garder les idées claires pour ne pas se laisser berner.

La veste remontée jusqu’aux oreilles pour empêcher les courants d’air de pénétrer le long de son cou, le lieutenant Garcet faisait le tour des premiers arrivants sur le marché, mais à chaque fois sans plus de succès. Ils n’avaient rien vu, rien entendu et arrivaient très tôt le matin pour mettre leurs étals sur leurs emplacements. La majorité des gens était bien trop occupée par son travail pour faire attention aux petits détails et n’avait pas une vue directe sur la place du palais de justice. Certains n’avaient même pas remarqué la présence de la police quelques mètres plus loin.

Valentin venait de passer près d’une heure et demie à la recherche d’un infime renseignement utile, mais il devait admettre que tout ça ne le mènerait nulle part. Le crime s’était passé dans la nuit et personne ici ne lui apporterait le moindre élément nouveau. Il était temps de retourner à la PJ boire un café bien chaud accompagné de croissants et de pains aux raisins fraîchement achetés sur le marché.

De retour au troisième étage de l’hôtel de police de Chambéry, Valentin Garcet ramenait avec lui ses viennoiseries, les prémices d’un bon rhume et pas le moindre détail intéressant concernant l’enquête.

Il salua le planton de l’entrée caché derrière son comptoir de travail et fonça rejoindre ses collègues au pas de course, en empruntant les escaliers situés au bout du couloir du hall d’entrée. Il poussa les doubles portes battantes qui méritaient un petit rafraîchissement de peinture et accéda ainsi aux locaux de la PJ.

À peine arrivé sur son lieu de travail, Florent venait déjà à sa rencontre dans l’espoir de nouvelles intéressantes pour commencer son enquête.

— Alors t’as des infos ?

— Pas la moindre, soupira Valentin. Le crime avait certainement déjà été commis avant l’arrivée des premiers commerçants sur la place du marché. (Il éternua bruyamment avant de poursuivre.) Les seules choses que j’ai attrapées, ce sont des microbes.

— Je m’y attendais un peu, mais on ne sait jamais… Des badauds auraient pu voir un détail important. Mais avec ce temps, ils ne devaient pas être légion dans les rues cette nuit.

— Et toi, tu as du nouveau ?

— Madame la procureure m’a déjà appelé pour connaître les premiers faits et indices de l’affaire. J’ai esquivé la question pour le moment, il est encore beaucoup trop tôt ! Je n’ai pas réussi à joindre la famille, tout du moins son fils. Je réessaierai plus tard.

Valentin fit mine de regarder l’heure sur sa montre.

— T’as bien fait, il est à peine 7 h 45, sourit celui-ci.

— Ouh, tu m’as l’air en forme toi ce matin. Bref, elle ne va pas nous lâcher la grappe et même si le commissaire la calme un peu, elle risque de revenir fréquemment à la charge.

— On verra bien ! Et sinon, à part ça, tu en sais un peu plus sur la victime ?

En s’asseyant à son bureau en ferraille d’un âge aussi avancé que son propriétaire, Florent ouvrit la chemise de couleur ocre qui se trouvait dessus et en tira ses premières notes.

— Notre homme, Alain Massorli, né en 1966 à Grenoble, domicilié à Saint-Alban-Leysse, était médecin généraliste sur Chambéry. Faudra qu’on aille sur place pour se renseigner sur son cabinet et ses patients, voir s’il aurait subi des menaces d’un malade mécontent et si tout allait bien question finances. Divorcé et père d’un grand garçon de vingt ans, aucune condamnation, ni même une contravention. Il avait l’air clean au premier abord.

— Ouais, réagit Valentin sur un ton suspect. Une fois qu’on aura fouillé dans sa vie privée, on risque peut-être d’avoir quelques surprises et quelques mobiles à se mettre sous la dent.

— Je te rappelle que c’est notre victime.

— Je sais, je sais, mais pas de trace de vol, de lutte, ça sent le règlement de compte si tu veux mon avis.

Bolmon jeta le fin dossier sur son bureau et épingla la photographie de la victime sur un grand tableau blanc. Il devait maintenant passer la vie d’Alain Massorli au crible pour se faire une idée de l’homme qu’il était et découvrir pour quelle raison on aurait pu lui en vouloir au point de le supprimer définitivement. Il devait ensuite entrer en contact avec son ex-femme, afin d’avoir un premier aperçu dressé par l’épouse qui avait vécu à ses côtés pendant près de dix-sept ans et lui avait donné un fils.

— Allez, jeune padawan, en voiture. Rentre-moi l’adresse dans ton GPS et allons voir la tanière du toubib.

— OK, vieux mâle grincheux resté à l’âge de pierre. Je te guide !

Garcet saisit sa veste au dos de sa chaise de bureau et se munit de son smartphone pour indiquer la route à suivre à son coéquipier, peu enclin à l’utilisation des nouvelles technologies.

Ils montèrent dans une Ford Mondeo grise banalisée, garée sur le parking de l’hôtel de police, et empruntèrent la voie rapide urbaine de Chambéry, direction la maison de la victime.

La circulation était fluide à cette heure-ci malgré le mauvais temps. Les vacanciers n’étaient pas encore sur les routes pour se rendre dans les différentes stations de ski, à cette époque de l’année. Ce ne serait plus la même chanson d’ici trois semaines, Bison Futé prévoyant comme chaque année son lot de ralentissements et ses kilomètres de bouchons pour accéder au divin plaisir de la glisse.

— Alors, comment on procède ? demanda le passager de la Mondeo.

— Avec un peu de chance, il y aura quelqu’un pour nous accueillir, sinon j’ai récupéré le trousseau de clés de la victime dans une des poches de sa veste ; logiquement, on devrait avoir une gagnante pour nous laisser passer. On devra aussi trouver son moyen de locomotion qui doit être garé quelque part en ville. Lundi matin à la première heure, on se rendra à son cabinet pour prendre la température des lieux et tenter de savoir s’il avait des patients mécontents. Mais pour le moment, on s’occupe de son lieu d’habitation et de joindre son fils le plus rapidement possible. Chaque chose en son temps.

— Ça me paraît cohérent.

— Merci pour ton approbation !

La berline grise marquait de son empreinte l’asphalte humidifié par la fonte de la fine couche de neige sous ses roues. La température était remontée de quelques degrés à présent et la blancheur hivernale cédait place à la grisaille automnale. Le ciel pleurait le crime odieux de la nuit précédente et faisait subir aux habitants son déluge de tristesse. En un instant, la pluie qui martelait le pare-brise cessa, lorsque le véhicule banalisé pénétra dans le tunnel des Monts. L’ouvrage d’art permettait d’accéder rapidement aux communes environnantes de l’agglomération chambérienne. Les essuie-glace reprirent leur ballet bien rodé à la sortie du tube et installèrent dans l’habitacle un bruit de fond très déplaisant pour les passagers.

Florent suivait scrupuleusement les indications fournies par son GPS personnel. Son coéquipier avait un timbre de voix beaucoup moins agréable à écouter que celui de la gent féminine enregistré sur cet appareil électronique.

Le moteur, à peine tiédi par le court itinéraire emprunté pour rejoindre le domicile du défunt, cessa de ronronner lorsque la voiture se gara devant le portail coulissant en PVC blanc qui délimitait l’entrée de la demeure du médecin. La maison, des années quatre-vingt-dix, était entourée de nombreux autres pavillons plus ou moins grands et se fondait facilement dans ce décor résidentiel. L’endroit était calme et agréable, favorable à l’épanouissement des familles vivant dans le quartier. À cette heure-ci, aucun des habitants ne se doutait du drame qui avait touché leur voisin. À moins que le tueur ne se trouve parmi eux…

Les portières de la Mondeo s’ouvrirent et l’air frais de cette fin novembre s’engouffra dans l’habitacle réchauffé de la voiture.

— Brrr, frissonna Valentin, on était bien au chaud à l’intérieur…

Avant de placer son index droit sur la sonnette pour signaler leur présence à une hypothétique personne à l’intérieur de la maison, il se préparait mentalement à annoncer la mort d’Alain Massorli à l’un de ses proches.

Ce n’était pas le moment propice au bavardage, il devait se concentrer au maximum pour ne pas commettre d’impair dans cette situation. Dans toutes les affaires d’homicide, chaque détail est important.

Le silence religieux de Bolmon fut reçu cinq sur cinq par Garcet. Il ne chercha pas davantage à relancer la conversation et observait maintenant l’interphone devant eux avec l’espoir d’obtenir une réponse. Après quelques secondes d’attente, Florent appuya une seconde fois sur le bouton d’appel, mais un peu plus longuement, pour être certain de l’absence d’individus dans la maison.

Les deux flics de la PJ allaient passer au plan B, quand une voix venue d’ailleurs émit un son inaudible dans le pilier droit encadrant le portail.

— Oui ?

— Bonjour, monsieur. Police judiciaire de Chambéry, nous souhaiterions nous entretenir avec vous. Vous connaissez monsieur Massorli, je suppose.

À l’intérieur, l’atmosphère de la maison s’alourdit aussitôt à l’évocation du mot « police ». Le jeune homme, qui venait de se faire réveiller par la sonnerie, ne comprenait pas trop le pourquoi de ce remue-ménage, mais ouvrit immédiatement le portail à distance pour laisser pénétrer cet étrange interlocuteur.

Valentin et Florent arrivaient sur le seuil de l’entrée quand la porte s’ouvrit devant eux, laissant apparaître un jeune homme d’une vingtaine d’années avec de grosses valises sous les yeux, les cheveux en bataille et les stigmates d’une gueule de bois. Munis de leurs cartes bleu, blanc, rouge, les deux officiers se présentèrent à nouveau et furent invités à rentrer.

— Que puis-je faire pour vous ? demanda le maître des lieux.

— Tout d’abord, je voudrais savoir si vous avez un lien de parenté avec monsieur Alain Massorli, l’interrogea l’officier le plus âgé.

— Pardon, je suis Didier, son fils, pourquoi ?

— Pouvons-nous nous asseoir pour discuter calmement, s’il vous plaît ?

Soudain pris de panique, il obtempéra dans la seconde à cette requête.

— J’ai le regret de vous annoncer le décès de votre père. Nous avons découvert son corps ce matin dans une rue de Chambéry. D’après nos premières constatations, nous sommes en présence d’un homicide. Je suis sincèrement désolé, je vous présente nos plus sincères condoléances.

Bla, bla, bla, pensait-il intérieurement. Il guettait la moindre réaction de son interlocuteur en pleurs. Il épiait les larmes, le regard, les mains, les mouvements de tête… tout ce qui pouvait indiquer que le fils en question était déjà au courant de la situation avant même qu’ils n’arrivent. Cruelle façon de procéder, mais toujours nécessaire.

Pendant ce temps, Valentin faisait un rapide petit tour de la maison en errant de-ci de-là dans les pièces du rez-de-chaussée. Ils avaient chacun leur rôle à jouer, lui s’occupait de s’imprégner de l’atmosphère des lieux pendant que son collègue jaugeait le fils de la victime. Assis sur une des quatre chaises modernes rouges contenues dans l’espace cuisine, Didier Massorli venait de prendre un coup de massue sur la tête et pleurait toutes les larmes de son corps.

Silencieusement, Florent lui laissait le temps de digérer cette morbide nouvelle avant de lui poser quelques questions de routine.

— Voulez-vous que je prévienne quelqu’un ? un ou une ami(e) qui vienne vous soutenir dans ce pénible moment ?

Reprenant son calme et ses esprits, le fils de la victime le remercia, mais déclina son offre. Il tenait à l’annoncer lui-même à sa mère et ne souhaitait voir personne d’autre. L’inspecteur respectait sa décision et décida qu’il était temps pour lui de reprendre la main.

— Je souhaiterais vous poser quelques questions si vous me le permettez ? Je sais que c’est difficile pour vous, mais je tiens à vous préciser que les premières minutes d’une enquête pour meurtre sont souvent cruciales !

— Je comprends et je ferai le maximum pour vous aider.

Il se leva pour se servir un verre de rhum, à tout juste 8 h 45, et en proposa aux officiers de police qui déclinèrent son offre. Ils acceptèrent néanmoins une tasse de café bien noir pour détendre un peu l’atmosphère. Tout en préparant les deux boissons chaudes, Didier essayait de se concentrer sur les interrogations des enquêteurs.

— Pouvez-vous nous dire si votre père avait des ennemis ou des personnes pouvant souhaiter sa mort ?

— Non, non, rien de tel, sanglota le jeune homme.

— Je ne sais pas, insista Bolmon, un patient énervé par ses diagnostics ou qui remettait en cause ses compétences ?

— Non, je vous assure. Mon père était quelqu’un de bien et il n’avait aucun ennemi !

La discussion venait de monter d’un ton et Valentin s’approcha de Didier pour l’aider à servir le nectar noir dans les tasses. Les trois hommes s’assirent autour de la table sans dire un mot. Ils regardaient les volutes de fumée s’échapper dans les airs. Après plusieurs gorgées, Garcet prit la parole pour glaner des renseignements sur le fils Massorli. Celui-ci était à la fac à Grenoble pour devenir kinésithérapeute et rentrait tous les week-ends chez son père. Sa mère était partie refaire sa vie avec un autre homme sur Annecy et il la voyait beaucoup moins depuis qu’il étudiait à l’université. L’air de rien, le jeune flic lui demanda son emploi du temps de la veille au soir et fut surpris qu’il ne se soit pas inquiété de l’absence de son père durant la nuit.

— Vous savez, mon père n’avait pas besoin de me raconter toute sa vie dans le détail. Je sais que parfois il sortait boire un verre en ville avec ses amis et il lui arrivait de rentrer très tard. C’est pour ça que je ne me suis pas inquiété hier soir en rentrant quand je ne l’ai pas vu. Il n’a pas de compte à me rendre.

— Vers quelle heure ?

— Je sais plus… Disons vers deux heures du matin, j’étais chez une copine avec des potes.

— OK, il nous faudra leurs noms et adresses, ainsi que celles et ceux des amis de votre père si vous les connaissez. Le plus rapidement possible sera le mieux.

— Je… Bien sûr, pour mes amis aucun problème, par contre pour les autres, j’essaierai de faire au plus vite.

De retour à la PJ après leur entretien, Florent et Valentin continuaient d’échanger leurs points de vue sur cette délicate rencontre. Assis face à face, devant leurs bureaux respectifs, les deux hommes s’accordaient sur l’état de surprise et le chagrin non dissimulé du parent de la victime. Ils devaient s’appuyer sur des preuves et des alibis solides pour écarter tout éventuel suspect de ce crime, mais leurs intimes convictions et les années d’expérience de Bolmon leur permettaient aisément de savoir s’ils devaient s’attarder sur ce cas ou chercher plus en amont.

— Dans un premier temps, il faut qu’on établisse précisément ses derniers faits et gestes d’hier soir, avant d’en savoir un peu plus du côté de la scientifique et surtout de l’autopsie.

— Ça nous apportera peut-être des explications quant à son décès, renchérit Valentin.

La suite de leurs investigations de la journée fut axée sur le curriculum vitae administratif d’Alain Massorli, ainsi que sur l’évolution de son parcours professionnel au cours de sa vie. Un long et fastidieux travail de bureaucratie en somme…

1. [Retour au texte] — Service régional de la police judiciaire.

3

Chambéry

Lundi 1er décembre

Face à une large porte d’entrée de couleur bleu marine, deux hommes se tenaient debout côte à côte. L’un d’eux appuya sur la sonnette pour signaler leurs présences, avant d’entrer sans attendre une quelconque réponse. Ils faisaient comme à la maison… La jeune femme présente à l’intérieur, assise derrière son comptoir blanc laqué, leur adressa un aimable sourire pour les accueillir.

— Bonjour messieurs. Vous aviez rendez-vous ?

Les deux individus se postèrent face à elle en lui présentant leur carte professionnelle. Son visage blêmit instantanément en voyant ces deux policiers dans le cabinet médical. Elle s’était déjà fait un sang d’encre ce matin en notant l’absence du docteur Massorli à son arrivée et maintenant, elle devait gérer une situation sans doute délicate avec les autorités. Que pouvait-il lui arriver de pire aujourd’hui ? pensait-elle.

Ce fut le plus jeune des deux qui lança la conversation.

— Connaissez-vous bien le docteur Massorli, mademoiselle ?

— Je travaille pour lui depuis quatre ans, pourquoi ?

— J’ai le regret de vous annoncer son décès…

L’enquêteur de la PJ de Chambéry n’eut pas le temps de finir sa phrase, qu’un flot de sanglots inonda le cabinet. La secrétaire médicale pleurait à chaudes larmes la perte de son employeur. Face à une telle décharge d’émotion, la première réaction des deux officiers de police fut de soupçonner une relation intime entre cette ravissante demoiselle et son patron. Florent dégaina le premier, sur un ton assez fort pour couvrir le vacarme des pleurs :

— Entreteniez-vous des relations un peu plus personnelles avec la victime ?

La jeune femme le regarda en plissant les sourcils, sans être sûre d’avoir bien compris le sens de la question. Puis ses yeux, de couleur vert émeraude, se transformèrent en deux éclairs prêts à foudroyer cet abominable primate au cœur de pierre. Elle trouva néanmoins les ressources nécessaires pour reprendre ses esprits et répondre calmement à cet énergumène.

— Le docteur Massorli est…, enfin était un homme charmant, mais il aurait très bien pu être mon père, et pour être sûr que vous ayez bien tout compris, non, je ne couchais pas avec mon patron !

Valentin s’empressa de calmer le jeu. Il lui expliqua la gravité de la situation.

— Veuillez nous excuser. Nous faisons seulement notre travail. Dans des moments pareils, nous devons absolument passer au crible la vie de la victime le plus rapidement possible pour être en mesure d’arrêter son meurtrier. Les premiers jours d’une enquête sont primordiaux. Je suis certain que vous-même souhaitez voir son assassin derrière les barreaux.

Le bon flic venait de marquer un point et fut aussitôt catalogué comme seul et unique interlocuteur avec qui la demoiselle daignerait s’entretenir ; l’autre n’étant qu’un vieux ronchon.

Garcet s’occupa donc de questionner la secrétaire médicale sur le travail du défunt et sur ses relations plus ou moins faciles avec ses patients.

Bolmon, lui, partit fouiner dans le local vide du docteur à la recherche d’indices prometteurs. Le cabinet du toubib ressemblait à n’importe quel autre, songea Florent : un grand bureau avec un fauteuil très confortable en cuir, deux chaises pour accueillir les patients, les diplômes professionnels encadrés étaient accrochés au mur et partageaient l’affiche avec deux magnifiques photos de panoramas montagnards. Des ouvrages de médecine étaient soigneusement rangés dans une bibliothèque, une table d’auscultation attendait son prochain malade, un squelette complet du corps humain en guise de portemanteau se cachait dans un angle de la pièce ; bref, un véritable cabinet médical, propre et bien rangé. Après une recherche rapide et efficace, le flic grincheux dut se rendre à l’évidence : rien de ce qui se trouvait ici ne l’aiderait à résoudre leur enquête.

Il retrouva son comparse en plein bavardage avec la secrétaire. Le jeune enquêteur savoyard comprit qu’ils en avaient terminé pour le moment avec le lieu de travail de la victime. La scientifique se chargerait de récupérer les données de l’ordinateur un peu plus tard dans la journée.

— Alors, l’interrogea Bolmon, l’éplucheuse d’oignons t’a appris des trucs intéressants ?

— Pas le moindre. Un toubib sans histoire, apprécié de ses patients et de ses pairs. Pas trace d’embrouilles de ce côté-là d’après la charmante secrétaire, vieux flic au cœur de pierre !

Cette dernière remarque fit apparaître un léger rictus au coin des lèvres de Florent qui appréciait de travailler avec Valentin, jeune flic rebelle parfois, mais avec la tête sur les épaules et un sens du discernement assez affûté pour en faire un inspecteur de premier ordre. Leur duo datait d’un peu plus d’un an maintenant et leurs caractères opposés leur permettaient de voir une affaire sous des angles différents. Leur complémentarité les rendait plus performants que certains binômes toujours d’accord sur tout ! C’était un véritable plus lors d’une enquête pour homicide.

Quand ils furent assis à bord de la Mondeo, le téléphone de Bolmon sonna pour lui signaler un nouveau message : « autopsie OK ». Les clés firent un quart de tour pour lancer le moteur, la première vitesse fut enclenchée et les pneus crissèrent au démarrage, à la recherche d’adhérence pour faire avancer au plus vite les cent cinquante chevaux de la voiture. Val eut juste le temps d’attacher sa ceinture de sécurité avant de demander leur destination.

La large porte coulissante de la morgue s’ouvrit sous le regard noir de l’enquêteur grincheux à la recherche d’indices lui procurant une piste sérieuse.

— Alors, doc ? Je t’en prie, dis-moi que tu as du concret !

— Bonjour, messieurs, moi aussi je suis ravi de vous revoir, même dans de telles circonstances…

— Salut, Paul, répondit Valentin. Je te préviens, il n’est pas de très bon poil ce matin.

— On fera avec… Bref, notre homme ici présent est mort d’un seul coup de couteau, porté latéralement à sa droite sous le muscle intercostal et enfoncé d’environ dix-huit centimètres, ce qui a provoqué une mort rapide.

— S’est-il défendu ?

— Non, il n’a rien dû voir venir. Son agresseur l’a surpris par-derrière en lui plaquant sûrement sa main gauche sur la bouche pour étouffer un cri, et de l’autre il l’a poignardé en enfonçant sa lame jusqu’à la garde. Un travail très soigné, si l’on peut dire !

Le médecin mimait ses explications pour une meilleure compréhension des faits.

Bolmon haussa les sourcils ; ils avaient bien besoin d’un assassin méticuleux ! Tout ça ne lui plaisait pas du tout et la suite des résultats de l’autopsie confirmait ses craintes : pas de trace d’ADN ni aucune empreinte relevée sur le corps de la victime exploitables. Rien que du bonheur en perspective pour les enquêteurs…

— Je suis désolé, Flo, mais je ne te suis pas d’une grande aide sur ce coup-là !

— T’inquiète pas, ça prendra juste un peu plus de temps pour coincer ce salopard, mais le résultat sera le même, il finira derrière les barreaux d’une façon ou d’une autre.

De mauvaise humeur face à l’absence d’indices, Florent retourna dans les locaux de la PJ de Chambéry, accompagné comme son ombre de son binôme.

Ils devaient faire un premier point sur le déroulement de leur affaire et connaître l’emploi du temps exact de la victime le soir du meurtre.

à leur retour, un mot traînait sur l’un des bureaux, indiquant les noms, les adresses ainsi que les numéros de téléphone des personnes présentes avec Massorli le jour de son décès. Enfin, ils progressaient… Ils allaient avoir du grain à moudre avec les interrogatoires.

Les deux hommes décidèrent de travailler séparément pour gagner du temps, chacun devant interroger deux personnes : Paul Duchemin et Carine Verbois pour Florent, pendant que Valentin s’occuperait de Chantal Daim et Félicia Blinger.

— Tu crois que ça va nous aider ?

— Je l’espère, répondit Bolmon. Ils auront peut-être vu un détail qui pourrait nous être utile, ou l’un d’entre eux a peut-être fait le coup !

— Si ça se trouve, les quatre sont mouillés dans cette affaire !

— Ne nous compliquons pas la tâche, on va déjà voir ce qu’on peut en tirer. À plus tard…

La pause déjeuner se résuma à un rapide sandwich pris sur le pouce, un véritable délice culinaire ! Garcet décida de profiter de ce moment pour se rendre chez mademoiselle Blinger, kinésithérapeute à La Motte-Servolex. À cette heure-ci, il espérait pouvoir l’interroger tranquillement sans être dérangé par un quelconque patient.

De son côté, Bolmon en avait terminé avec le docteur Verbois qui ne lui avait été d’aucun secours. Elle avait effectué ses études de médecine avec Alain Massorli et était restée en contact avec lui depuis cette époque. Ce cercle de cinq amis se voyait autour d’un verre ou d’une bonne table environ une fois par mois. Tous s’entendaient très bien. Elle n’avait absolument aucune idée du mobile du meurtre. Elle était dévastée, mais renseigna l’enquêteur sur le lieu de leur soirée la nuit du crime ; un nouvel élément à se mettre sous la dent, à défaut d’autre chose.

Garcet venait d’en finir avec son deuxième rendez-vous de l’après-midi et prenait la direction d’un pub du centre-ville de Chambéry pour y retrouver son collaborateur.

Attablé au comptoir, Florent était perdu dans ses pensées face aux vieilles photographies des Jeux olympiques ­d’Albertville et n’avait pas vu l’arrivée de son acolyte. Il revivait la descente des bosses de Grospiron qui allait chercher le premier titre olympique de la discipline.

— Alors chef, tu as du nouveau ?

Bolmon sursauta légèrement de son tabouret, surpris dans ses rêveries.

— Que dalle… À part le fait de savoir avec qui et où il a passé sa dernière soirée, je n’ai rien de concret pour identifier l’assassin. Le barman se rappelle bien avoir fermé l’établissement après leur départ, mais ça s’arrête là. Et toi ?

— Idem, aucun ennemi connu. Rien qui aurait pu laisser présager un meurtre.

Les deux enquêteurs soupiraient devant un tel manque de chance dans leurs recherches. Les derniers moments de la vie de la victime ne fournissaient aucune explication tangible, ils allaient donc devoir remonter plus avant dans l’existence du défunt, avec l’infime espoir de débusquer un début de piste.

4

Massif des Bauges

Samedi 6 décembre

Le froid et la grisaille annoncés tout au long de la journée n’avaient pas empêché un homme seul de sauter dans sa voiture pour partir s’oxygéner en montagne de bonne heure. Une semaine de travail difficile et éprouvante nerveusement l’avait poussé à braver les mauvaises conditions météo pour se changer les idées. Rien de tel qu’un peu d’exercice physique et d’augmentation des globules rouges dans le sang pour aider ses neurones à fonctionner différemment. Qui sait, il aurait peut-être une idée lumineuse dans l’affaire du meurtre de Chambéry.

Dans ces conditions atmosphériques peu propices à la randonnée en toute sécurité, Valentin Garcet avait opté pour une solution plus sûre en se rendant au pied de la petite station de sports d’hiver du Margériaz, pour profiter du premier manteau neigeux hivernal avant son ouverture pour les vacances scolaires de fin d’année. La blancheur immaculée des lieux et la quiétude qui y régnait tranchaient littéralement avec les pensées sombres et sanglantes qu’il avait eues tout au long de la semaine.

Peaux de phoque collées aux semelles des skis de randonnée pour grimper droit dans la pente, chaussures légèrement relâchées pour permettre un mouvement de montée plus ample, bâtons prêts à l’emploi, tout son matériel était là. Il s’était vêtu de gants et bonnet, obligatoires pour protéger ses extrémités du froid, et d’une combinaison technique pour le reste du corps. Ainsi paré, il pouvait maintenant mettre en route la machine pour atteindre le sommet du Margériaz.

Les spatules traçaient deux courbes rectilignes et parallèles dans une fine neige poudreuse tombée dans la nuit et balisaient ainsi le passage du skieur, en route pour le haut de la station culminant aux alentours de 1845 mètres d’altitude. L’allure soutenue et régulière du grimpeur dans cette modeste ascension commençait à provoquer une hausse de la température corporelle, visible par l’apparition de quelques gouttes de sueur sur son visage.

L’homme se retrouvait dans son élément. Il remontait la piste vierge de toute trace le long du téléski du Golet pour atteindre le toit de la station quarante minutes plus tard, sous un ciel toujours aussi couvert et menaçant. Au sommet, il prit juste le temps de retirer les peaux de ses skis pour permettre aux planches de glisser sans entrave dans la descente, de resserrer les crochets de ses chaussures et zou… La plus belle des récompenses après un effort intense, une chevauchée fantastique sur la neige sans le moindre bruit parasite autour. La blancheur du paysage associée au silence des lieux donnait l’impression de skier vers l’au-delà.

Après une succession de virages plus ou moins serrés, Valentin était de retour au pied des pistes. Il remit les peaux sous les skis pour recommencer son petit périple de la matinée. Le rythme était quasiment le même que précédemment, mais le temps, lui, se gâtait. Arrivé au point culminant de la deuxième montée, Val fut accueilli par du grésil et sa seconde descente fut beaucoup moins enchanteresse que la première ; c’étaient les joies de la montagne parfois !

Abrité dans l’habitacle de sa Citroën DS 3, le seul skieur présent dans la station close se réchauffait avec une bonne tasse de thé resté bien au chaud dans son thermos. Plaisir simple, mais très agréable après ce genre de sortie dans le froid.

Le reste de sa journée s’annonçait beaucoup plus chaud. Il avait un rendez-vous prévu en début de soirée dans la capitale savoyarde, avec une jeune femme brune rencontrée sur Internet répondant au doux prénom de Véronica. Il était comme ça le Garcet, aucune relation sérieuse et aucune envie de s’engager durablement dans cette voie. À moins qu’il ne rencontre la femme de sa vie lors de cette soirée…

De l’autre côté du bassin chambérien, dans la petite commune de Saint-Cassin, un homme de quarante-sept ans passait une tout autre journée. Sa fille de vingt et un ans devait faire face à une rupture amoureuse et était rentrée au bercail familial de manière impromptue, tandis que son fils, à peine majeur et au taux d’hormones aussi élevé que le mont Everest, n’avait, lui, pas trouvé mieux que de ramener une blonde percée dans le nez et la lèvre pour agrémenter un après-midi s’annonçant des plus agités. La vie personnelle de Florent Bolmon n’était pas de tout repos avec ses grands enfants et il faisait d’innombrables efforts pour rester d’une attitude zen et détendue. Un vrai moine bouddhiste !