L'ombre du Granier - Damien Signoud - E-Book

L'ombre du Granier E-Book

Damien Signoud

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Beschreibung

Le corps sans vie d’Anthony Gavot est retrouvé au pied des vertigineuses falaises du mont Granier, en Savoie...

En l’absence de preuves contraires, la police privilégie la thèse de l’accident. Pourtant, Marc Vilot, son meilleur ami et compagnon de randonnée, n’arrive tout simplement pas à croire à cette hypothèse. Anthony connaissait trop bien la montagne, et en particulier ce coin-là. Se pourrait-il, alors, qu’il ait mis fin à ses jours ? L’enquête qu’il menait sur la disparition de sa sœur aurait-elle un lien avec cette chute mortelle ?

Entre détails troublants et simples coïncidences, le doute s’installe peu à peu dans l’esprit de Marc. Mais saura-t-il faire face à ses découvertes ?

Un thriller haletant dans les montagnes des Alpes !

EXTRAIT

Le soleil effaçait doucement mais irrémédiablement toute trace d’ombre des falaises du mont Granier. Ses délicats rayons dorés de printemps baignaient déjà la majeure partie de la
Savoie et accompagnaient un randonneur et son fils de treize ans dans leur ascension. Cette journée de mai s’annonçait sous les meilleurs auspices. Le temps était idéal pour une promenade en montagne. Guillaume Boisset, un quadragénaire originaire de Belley dans l’Ain, avait convaincu son fils Thomas, jeune adolescent boutonneux, de l’accompagner dans le massif de la Chartreuse – bien connu pour sa liqueur du même nom.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Quand il ne dort pas, il marche.
Quand il ne marche pas, il court.
Quand il ne court pas, il écrit...

Après nous avoir tenus en haleine avec son premier roman L’Ombre du Granier, Damien Signoud revient avec un second polar plus sombre et plus macabre. Sans jamais se départir de son sens de l’humour incisif et de son regard lucide sur notre monde contemporain, il nous livre, avec Chasse au chrono, une intrigue à la fois implacable et rythmée.

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PRÉSENTATION DE L'AUTEUR

Quand il ne dort pas, il marche. Quand il ne marche pas, il court. Quand il ne court pas, il écrit… Passionné de sport et de montagne, ce conducteur de train originaire de Chambéry vient de mettre un point final à son premier roman. Après vous avoir peut-être fait voyager par le rail, Damien Signoud vous invite à l’évasion par le polar.

RÉSUMÉ

Le corps sans vie d’Anthony Gavot est retrouvé au pied des vertigineuses falaises du mont Granier, en Savoie. En l’absence de preuves contraires, la police privilégie la thèse de l’accident. Pourtant, Marc Vilot, son meilleur ami et compagnon de randonnée, n’arrive tout simplement pas à croire à cette hypothèse. Anthony connaissait trop bien la montagne, et en particulier ce coin-là. Se pourrait-il, alors, qu’il ait mis fin à ses jours ? L’enquête qu’il menait sur la disparition de sa sœur aurait-elle un lien avec cette chute mortelle ? Entre détails troublants et simples coïncidences, le doute s’installe peu à peu dans l’esprit de Marc. Mais saura-t-il faire face à ses découvertes ?

À Delphine, ma femme,qui me soutient depuis tant d'années…

À Zoé, Lino et Mathis,mes rayons de soleil quotidien.

1.

Le soleil effaçait doucement mais irrémédiablement toute trace d’ombre des falaises du mont Granier. Ses délicats rayons dorés de printemps baignaient déjà la majeure partie de la Savoie et accompagnaient un randonneur et son fils de treize ans dans leur ascension. Cette journée de mai s’annonçait sous les meilleurs auspices. Le temps était idéal pour une promenade en montagne. Guillaume Boisset, un quadragénaire originaire de Belley dans l’Ain, avait convaincu son fils Thomas, jeune adolescent boutonneux, de l’accompagner dans le massif de la Chartreuse – bien connu pour sa liqueur du même nom.

L’affaire n’avait pas été simple, il avait dû lui décrire le superbe panorama que l’on avait depuis ce sommet très particulier, qui surveille du coin de l’œil le bassin chambérien. Mais surtout, pour arriver à ses fins, il lui avait promis de l’emmener voir un match de l’équipe du SOC handball de Chambéry au Phare, grande salle de sport qui accueillait les matchs de première division. Ces jeunes ! Il faut toujours insister un peu pour les faire décrocher de leurs jeux vidéo alors que pour finir, ils sont ravis de découvrir des lieux magnifiques et naturels.

Guillaume savait qu’avec un ciel dégagé comme aujourd’hui, ils avaient de grandes chances de pouvoir admirer la Dent du Chat avec le lac du Bourget à ses pieds, mais aussi le célèbre « toit de l’Europe » qui culminait à 4810 mètres, au loin, en Haute-Savoie. Par beau temps, le Mont Blanc faisait souvent de l’œil, dans sa robe majestueuse, à la croix du Granier.

Ils auraient une vue imprenable sur la chaîne des Bauges, Belledonne, la Lauzière… Bref, de belles photographies en perspective. Avec un peu de chance, ils croiseraient peut-être quelques chamois, voire même des bouquetins, réintroduits depuis peu dans le parc naturel régional de Chartreuse. C’était une journée pour le plaisir des yeux, mais qui se méritait à la force des jambes.

Garés au lieu-dit de Tencovaz, et avant d’entamer leur ascension, Guillaume et Thomas lacèrent leurs chaussures de randonnée, s’équipèrent d’une paire de bâtons chacun pour s’aider dans la montée très raide par endroits, mais aussi pour se freiner dans les descentes.

Le père se positionna devant son fils pour imprimer le petit tempo qui leur permettrait de grimper à une allure régulière, sans se mettre dans le rouge dès le départ. La sagesse des anciens aidait à atteindre les sommets et à canaliser la fougue des plus jeunes.

Après un peu plus d’une heure de marche, les deux montagnards sortaient enfin de la forêt pour atteindre le pied de la longue et voluptueuse falaise du Granier. Ils se sentaient tout petits en bas de cet immense mur de pierre et devaient faire preuve d’humilité face à elle. La montagne les invitait à trouver le passage qui les conduirait au grand plateau mêlé d’herbes et de rochers menant jusqu’à la croix du sommet.

Avant de continuer le sentier leur montrant la voie à suivre, ils firent une petite pause pour se désaltérer et recharger un peu les batteries.

— Ça va, mon grand ? demanda Guillaume.

Son fils reprenait son souffle et ses esprits. Il avait le visage rouge écarlate et des gouttes de sueur venaient lui saler le coin des yeux. Il était temps de faire un break dans leur ascension.

— Ouais, ça va, finit-il par répondre.

— Tiens, bois un coup, ça te fera le plus grand bien.

Thomas saisit la gourde bleu clair isotherme de son père et se délecta de la fraîcheur de l’eau dans sa bouche. Guillaume profita de la pause pour lui prodiguer quelques conseils à suivre dans les passages escarpés suivants. Un petit rappel de prudence aux jeunes oreilles ne pouvait pas faire de mal.

Ils venaient à peine de se remettre en marche lorsque le regard de Guillaume, à l’affût du moindre animal sauvage, fut attiré par un objet de couleur rouge vif et de taille assez conséquente qui paraissait totalement incongru au milieu de ce paysage naturel rocheux. Intrigué et curieux à la fois, Guillaume décida d’aller y jeter un rapide coup d’œil.

— Peux-tu m’attendre deux secondes, le temps que j’aille voir ce qu’il y a là-bas ?

Il pointait du doigt la masse rouge à l’opposé du sentier.

— Pas de souci, vas-y, fais-toi plaisir, je n’bouge pas.

Intérieurement, Thomas était ravi de pouvoir poser ses fesses un peu plus de cinq minutes d’affilée pendant que son père quittait l’itinéraire balisé.

Guillaume essayait de faire débarouler le moins de cailloux possible pour atteindre cette forme bizarre et inerte de couleur criarde. Ses pas se frayaient un chemin au milieu de tous ces rochers branlants qui n’attendaient qu’une légère poussette pour dévaler la pente en contrebas et connaître le frisson des sensations fortes.

S’accrochant par moments à une ou deux racines qui avaient réussi à se faire une petite place parmi ce dédale de pierres, il était maintenant parvenu à quelques mètres du but et se faisait une idée plus nette de ce qu’il avait aperçu au loin auparavant.

Cette masse était en fait le corps d’un homme totalement désarticulé, vêtu d’habits rouges et couvert de sang séché. Il s’approcha suffisamment pour lui parler mais constata malheureusement que dans un tel état, il n’aurait certainement aucune réponse. Il venait de découvrir un cadavre. La journée idyllique qui s’annonçait était en train de virer au cauchemar.

Il voulait tout de même s’assurer de l’état de la victime mais ne put se résoudre à rechercher un pouls face à une telle horreur. Il sortit son téléphone portable du haut de la poche de son sac à dos et composa le 112 pour avertir les secours. Son appel terminé, il retourna auprès de son fiston au plus vite pour lui faire un bref résumé de la situation en évitant de rentrer dans les détails morbides.

Le visage rouge tomate du jeune homme avait subitement changé de coloris, pour prendre un ton beaucoup plus pâle pour ne pas dire livide. À coup sûr, son père et lui se souviendraient de cette randonnée au Granier pendant de nombreuses années.

2.

Depuis bientôt trente ans, monsieur et madame Gavot vivaient à Myans, petite commune de Savoie de près de huit cents âmes, proche de Chambéry. Ils avaient tout de suite apprécié les joies de la campagne tout en étant à proximité de la ville. Ils bénéficiaient ainsi d’un cadre de vie tranquille, loin du brouhaha urbain.

Tous deux jeunes retraités en pleine possession de leurs moyens, ils profitaient le plus possible de leur temps libre. Ils se promenaient régulièrement aux quatre coins de leur région, voyageaient hors de France au moins une fois par an, s’adonnaient au doux plaisir de la lecture, du vélo et autres loisirs en tout genre. Une vie rêvée de retraités !

Ils rentraient chez eux après s’être promenés sur les rives du lac du Bourget une majeure partie de l’après-midi. Ils avaient flâné au bord de l’eau scintillante sous l’effet des rayons du soleil. Comme il était agréable de pouvoir admirer les cygnes tranchant la tranquillité des eaux du lac et faisant régner l’ordre et la hiérarchie à quelques dizaines de foulques macroules venus investir une partie de leur territoire.

Le seuil de porte à peine franchi, le vieux téléphone à cadran rotatif résonnait déjà dans le couloir de l’entrée.

— Va répondre, demanda Didier à sa femme.

— Non, non, vas-y toi, il faut que j’aille aux toilettes. C’est pressé, précisa-t-elle alors qu’elle venait d’en fermer la porte.

« Décidément, songea-t-il, les femmes ont toujours de bonnes excuses pour éviter de répondre au téléphone. » Il se résigna donc et décrocha l’appareil qui manqua lui glisser des mains.

— Allo ? dit-il d’une voix un peu plus forte et cassante qu’il ne l’aurait voulu.

— Bonjour, gendarmerie nationale de Chambéry. Je souhaiterais parler à monsieur Gavot, dit l’interlocuteur à l’autre bout du fil.

— C’est monsieur Gavot à l’appareil, répondit-il, étonné d’entendre cet étrange correspondant au téléphone.

— Vous êtes bien le père d’Anthony Gavot, trente et un ans, domicilié sur la commune de Montmélian ?

— Oui, c’est exact, c’est mon fils, confirma Didier tandis que ses pulsations cardiaques augmentaient dangereusement pour une personne inactive.

— J’ai le regret d’être le porteur d’une bien triste nouvelle, monsieur. Nous avons malheureusement retrouvé le corps de votre fils, sans vie, dans le massif de la Chartreuse. D’après les premiers éléments dont nous disposons, nous pensons qu’il a fait une chute mortelle depuis le haut des falaises du mont Granier. Allo…

Aucune remarque ni même le bruit d’une respiration au téléphone. Le silence pour seule réponse. Didier Gavot n’avait plus son oreille droite collée au combiné. Il était devenu pâle comme un linge, sa bouche était pâteuse et son cerveau n’arrivait pas à digérer cette nouvelle. Tout ceci devait être une erreur, il n’y avait pas d’autre explication possible, la gendarmerie devait forcément se fourvoyer.

— Monsieur Gavot ?

— Euh oui, je… vous devez faire erreur. Vous êtes sûr qu’il s’agit de mon fils ?

— Malheureusement oui, nous avons retrouvé ses papiers d’identité sur lui ainsi que sa voiture garée au départ du lieu-dit de Tencovaz pour se rendre au mont Granier. Je suis vraiment désolé. Je vous présente mes plus sincères condoléances. Néanmoins, nous aurions besoin de vous afin de procéder à une identification sûre et définitive du défunt.

— D’accord, je vais venir le plus rapidement possible.

Son interlocuteur lui expliqua sommairement où se rendre dans la morgue de l’hôpital de Chambéry pour effectuer cette identification qui s’annonçait des plus pénibles.

La conversation terminée, il s’affala sur la chaise en bois face au téléphone, ses mains frottant sans cesse son visage rougi par les larmes. Comment était-ce possible ? Qu’avaient-ils fait pour mériter ça ? Le monde aurait pu s’écrouler autour d’eux que Didier n’aurait pas été plus malheureux.

Il avait maintenant la lourde tâche d’annoncer cette triste nouvelle à son épouse. Elle qui pleurait encore la disparition de leur fille survenue trois ans auparavant. Arriveraient-ils à surmonter cette nouvelle épreuve, alors qu’ils commençaient à peine à accepter l’idée de ne jamais revoir leur fille disparue sans laisser d’adresse ? Sa femme le tira de ses pensées :

— Qui était-ce ? lui demanda-t-elle.

En voyant la réaction de son mari, Viviane comprit qu’un malheur venait d’arriver.

— Chérie, fit-il pleurant et la serrant très fort dans ses bras. Je suis désolé, mais c’était la gendarmerie. Ils ont trouvé le corps d’Anthony sans vie au Granier. Apparemment, il serait tombé du haut de la falaise. Je dois aller l’identifier dès que possible.

Il regarda sa femme droit dans les yeux et vit toute la tristesse et le désespoir qu’elle éprouvait. Un long silence très pesant venait de remplir l’atmosphère de la demeure familiale. Devenue livide, Viviane s’écroula sur le canapé du salon et éclata en sanglots. Elle laissa exploser son chagrin. Elle ne pouvait rien faire d’autre que pleurer la perte de son enfant.

Didier devait maintenant prendre les choses en mains et affronter ce nouveau drame du mieux qu’il le pouvait. Il lui incomberait de soutenir sa femme dans cette terrible épreuve et l’entourer de tout son amour.

— Je me charge d’aller identifier Anthony.

— Je t’accompagne, sanglota-t-elle. Je veux voir mon fils pour être sûre que c’est bien lui. Je veux le voir de mes propres yeux.

Ils partirent à Chambéry pour un dernier adieu à leur fils Anthony.

3.

« I tried to be like Grace Kelly, but all her looks were too sad. So I tried a little Freddie, I’ve gone identity mad ! I could be brown… », chantait Mika au radio-réveil ce vendredi matin, avant de se prendre une gifle dans les enceintes. Il valdingua de sa table de chevet pour aller embrasser le parquet flottant qui recouvrait le sol de la chambre. La vie du radio-réveil de Marc Vilot n’était pas de tout repos. Il fallait savoir encaisser les chocs et ne pas se montrer trop rancunier.

— Et merde ! dit une tête brune encore à moitié endormie qui dépassait tout juste des draps du lit.

Il était à peine plus de 6 heures et la journée de ce jeune professeur de sport s’annonçait déjà longue et difficile.

La veille, Marc avait appris une triste nouvelle qui l’avait littéralement terrassé. Les parents d’un de ses meilleurs amis lui avaient téléphoné pour lui annoncer le décès de leur fils. Il avait apparemment fait une chute mortelle en montagne, d’après les autorités.

Il fallait quand même se lever ce matin pour aller bosser et continuer à vivre, tout simplement. Il se sortait péniblement du lit lorsqu’il trébucha sur ce satané réveil.

— Putain de m… et il embrassa le parquet.

Il était 6 h 20 et cette saloperie de radio-réveil lui avait déjà gâché par deux fois sa journée en l’espace de trois minutes.

À nouveau en équilibre sur ses deux jambes, Marc fila directement dans sa salle de bain pour se réveiller avec un bon jet d’eau froide sur la figure.

— Humff ! ça réveille de grand matin. Allez mon Marco, faut te bouger mon grand ! C’est pas l’tout, mais tes élèves vont t’attendre…

Marc était professeur d’EPS au collège, il avait un don et une passion pour ce métier. Il adorait partager cette dernière avec ses classes d’ados ou préados boutonneux, même si parfois ils étaient plus enclins aux textos ou aux dernières news de Lady Gaga qu’à participer pleinement aux différentes activités proposées. Ah, l’ère moderne…

La première chose à faire ce matin pour lui était d’ingérer un Doliprane 1000 mg pour enlever ce mal de tête persistant. La veille au soir, il avait bu deux ou trois verres de whisky bon marché chez le voisin du deuxième étage. Un couple de jeunes mariés, sans enfant pour le moment et qui avaient eux aussi appris une triste nouvelle. Du coup, ils avaient refait le monde pendant une bonne partie de la soirée et maintenant, c’était comme si un pic vert essayait de creuser son trou à l’intérieur de son crâne. Cette sensation, à seulement 6 h 30 du matin, était vraiment très désagréable. Il ne faisait aucun doute sur son manque d’entraînement à supporter l’alcool. Il est vrai qu’il était plus habitué à l’eau minérale ou gazeuse, ou au café.

Une bonne douche après un bol de café et deux tartines de beurre avec de la gelée de coing faite par maman chérie et sa tête allait déjà beaucoup mieux.

L’heure était venue pour lui d’enfourcher son vieux vélo de route qui traînait au fond de sa cave pour se rendre au collège de Cognin. Il favorisait le plus possible ce moyen de transport. Cela présentait de nombreux avantages : le premier, pas de frais d’essence et surtout zéro pollution, le second, il arrivait sur son lieu de travail avec les idées claires et bien réveillé. Pour finir, il faisait un petit échauffement physique en parcourant à grands coups de pédale les cinq kilomètres qui le séparaient du boulot. C’était donc tout bénéfice pour lui, mais aussi plus simple et plus rapide que de s’y rendre en baskets. Il pouvait ainsi prendre un plus gros sac à dos, rempli de ses affaires pour la journée.

Après plusieurs rotations de jambe sur son pur sang en cadre acier qui lui faisait avaler la piste cyclable, cheveux au vent, il arrivait sur le parking du gymnase de l’école et le cadenassait au poteau couleur vert d’eau prévu à cet effet.

Il se rendait directement au vestiaire poser son sac de sport et préparait le matériel dont il avait besoin pour ses différents ateliers de la journée (ballons de hand, de volley, volants de badminton, filets…). Il allait ensuite voir ses collègues pour les saluer et prendre quelques nouvelles. Il en profiterait bien sûr pour leur proposer une petite goutte de café avant le début des cours du jour.

Cette année, le collège de Cognin comptait dix-sept classes au total, composées de cinq sixièmes, quatre cinquièmes, quatre quatrièmes et quatre troisièmes. Tout ceci représentait trois cent quatre-vingts élèves qui arpentaient les couloirs de cet établissement scolaire datant de 1976. Eh oui, c’était loin d’être un bâtiment récent ! Il n’y avait qu’à voir son architecture cubique grise et austère pour se faire une idée de son époque de construction. On aurait dit que ces cubes avaient été posés là, comme des dés jetés au hasard.

Il régnait une bonne ambiance générale au sein de ce collège avec malgré tout son lot de petits accrochages ou dérapages entre élèves, mais rien de dramatique… C’était sa troisième année d’enseignement au collège de Cognin et il avait déjà pris ses petites habitudes. À chaque rentrée scolaire, il y avait quelques changements au niveau de l’équipe enseignante. De nouveaux professeurs débarquaient pour remplacer les mutés ou ceux partis en retraite et amenaient dans leurs valises leurs expériences professionnelles diverses et variées, permettant ainsi une évolution permanente et enrichissante du corps enseignant.

Marc passait par la cour de l’école pour rejoindre la salle des profs lorsqu’il tomba nez à nez avec Caroline, la nouvelle et ravissante professeure d’histoire-géographie. Elle était toujours souriante, intelligente et sympathique. En plus de ça, sa simplicité et sa beauté auraient fait fondre n’importe quel cœur de pierre.

— Salut Marc. Comment ça va ce matin ?

— Pas trop mal, même si j’ai connu des jours meilleurs.

— T’en fais pas, ce soir, c’est le week-end et tu pourras en profiter pour te ressourcer, lui dit-elle, un sourire étincelant sur les lèvres.

Elle aurait certainement pu faire un spot publicitaire pour une marque de dentifrice avec des dents pareilles !

— Ouais, répondit-il peu convaincu, même si le fait de l’avoir vue lui avait déjà remonté le moral avant d’affronter la meute d’élèves qui allait envahir le gymnase tout au long de la journée.

Une fois en salle des profs, il fit le tour de ses collègues présents pour les saluer et se servit une petite tasse de café bien chaud.

Il était 8 h 30 pétantes et les élèves entraient dans leurs salles de cours respectives. Pour certains, la journée commençait par un cours de mathématiques, pour d’autres c’était le français ou encore la géographie. La majorité de ces jeunes gens pensaient plus à raconter leur programme du week-end super méga génial à venir qu’à leurs leçons. Pour d’autres, c’était la mine des mauvais jours ou plutôt la mine d’un vendredi matin avant d’attaquer les cours. Bref, un début de matinée classique pour des adolescents scolarisés.

Les élèves de Marc attendaient devant la porte fermée à clé du gymnase.

— Eh, oh, tout le monde, j’aimerais un peu de silence s’il vous plaît, ordonna Marc. Allez, un peu de calme, dit-il en leur ouvrant les portes.

Pendant que filles et garçons rentraient dans leurs vestiaires séparés, le prof de sport leur indiquait le programme :

— Aujourd’hui, on continue le cycle « sports collectifs ». On ira sur les terrains dehors. On ne traîne donc pas pour se changer !

Les élèves de la 5e B se préparaient : short et baskets pour la plupart mais comme d’habitude, il y en avait toujours un pour venir les mains dans les poches.

— On se répartit le matériel et on y va.

— Euh, m’sieur ?

— Oui, Romain, qu’est-ce qu’il y a ?

— J’ai oublié mes affaires chez moi et je n’ai qu’un jean et mes chaussures de ville, m’sieur.

Marc poussa un énorme soupir de mécontentement. Que dire…

— C’est tout ? Ta tête est bien accrochée au reste du corps ? Rassure-moi ! Et bien pour ta peine, tu porteras le matériel et tu arbitreras.

— Oh non, m’sieur, c’est trop chiant !

— Pardon ? Ça t’apprendra. La prochaine fois, tu penseras à tes affaires de sport. C’est bon les autres, tout le monde est prêt ? Allez, c’est parti pour l’échauffement, et avec un peu plus d’enthousiasme s’il vous plaît !

La journée de travail de Marc pouvait commencer…

Il appréciait énormément le contact avec ses élèves, même si parfois certains d’entre eux pouvaient se montrer très irritants pour ne pas dire vulgairement casse-couilles, pour les profs masculins bien entendu. Il adorait néanmoins leur faire découvrir et pratiquer des sports différents, aussi bien individuels que collectifs.

4.

Anthony Gavot avait toujours adoré cette région. Les lacs, les montagnes, le ski, il profitait pleinement de tous les trésors de la Savoie. Et depuis peu, il venait de rencontrer Isabelle, une jeune femme pour qui il avait craqué et sa vie n’en était devenue que plus belle.

Malheureusement pour lui, tout avait pris fin un jour de mauvais temps sur les falaises du Granier. La vie est ainsi faite, elle nous réserve parfois bien des surprises, bonnes ou mauvaises, et nous prend quelquefois au dépourvu.

La mort d’Anthony faisait partie de ces très mauvais coups du sort et, n’étant pas survenue de cause naturelle, elle requérait un minimum d’explications pour les pouvoirs publics. Les enquêteurs ne se faisaient aucune illusion sur les résultats de l’autopsie en cours, mais il ne fallait rien laisser au hasard. Un drame de plus qui serait mis sur le compte de la malchance.

— Alors, Bruno, tu as les résultats de l’autopsie sur le décès au Granier ? demanda le commissaire Maglan à son commandant.

— Non, pas encore, je n’ai pas eu le temps de m’en occuper mais je vais aller voir le médecin légiste dans un moment. Normalement, il devrait avoir terminé.

— Ok, tiens-moi au courant dès que tu les as, qu’on puisse classer cette affaire au plus vite et rendre le corps à la famille.

— Ça marche, à tout à l’heure.

Bruno avait horreur de la morgue. Il avait toujours trouvé cet endroit flippant. L’odeur d’eau de javel venait lui picoter les narines. Ajouté à cela un silence de mort et tous ces ingrédients le mettaient très mal à l’aise. Il se souvenait encore de la première autopsie à laquelle il avait assisté et espérait bien ne plus jamais revivre ce même calvaire.

Le commandant entra dans le bâtiment et se mit à la recherche de Robert, le médecin légiste chargé de l’autopsie. L’endroit n’était pas très accueillant mais heureusement, les pensionnaires n’étaient pas trop regardants sur la décoration. Le carrelage et les murs de couleur claire, où apparaissaient quelques fissures, n’étaient pas là pour réchauffer l’atmosphère, loin de là. La majorité des gens vivants qui entraient ici pouvaient sentir toute la tristesse et la douleur qui transpiraient dans ce lieu morbide.

Il remontait le long couloir blanc qui donnait accès au bureau du légiste lorsqu’il aperçut depuis le hublot de la porte de la salle d’autopsie, le toubib en train de se laver les mains. Celui-ci lui fit signe d’entrer dans le sas.

— Bonjour, docteur.

— Salut, Bruno, comment vas-tu ? s’enquit le médecin. Cela faisait un bail qu’on ne s’était pas revus.

— Ça va, ça va. Je t’avoue que l’endroit ne me manquait pas. Je venais te voir à propos de l’autopsie du jeune Gavot. Le gars qui s’est tué au Granier, précisa-t-il.

— T’inquiète, je sais de qui tu parles, je n’ai pas des milliers de macchabées à charcuter, quand même ! J’arrive à me souvenir des gens qui logent entre ces murs en ce moment, dit Robert sur un ton ironique. Surtout quand ils sont jeunes et en bonne santé.

Dans ce métier, il fallait réussir à ne pas tout voir en noir, sinon, c’était le suicide ou la dépression assurés. Heureusement, le médecin légiste arrivait encore à plaisanter avec la mort et se forçait même de temps à autre à prendre ces destins dramatiques avec un peu de second degré. Dans son travail, il faisait toujours preuve d’une grande rigueur et essayait de ne pas trop s’attacher aux victimes.

— J’ai essayé de te joindre au téléphone mais c’est loin d’être évident.

— Que veux-tu, je suis quelqu’un de très demandé. Mais encore une fois, j’ai réussi à être à l’heure au rendez-vous. J’ai terminé l’autopsie ce matin.

— Alors, des surprises ?

— Non, rien d’inhabituel dans un cas pareil, dit-il en se lavant les mains dans le lavabo du sas de la salle d’autopsie. Viens, le dossier est dans mon bureau.

Ils entrèrent dans une grande pièce avec au centre un bureau en teck qui croulait sous d’épais dossiers, d’un côté une grande armoire métallique et de l’autre une petite table ronde sur laquelle trônait une cafetière à moitié pleine. Rien de personnel dans la pièce, juste des manuels de médecine et un squelette en plastique qui avait une vue imprenable sur le parking. Le toubib ouvrit son armoire et en sortit un dossier qu’il tendit à Bruno :

— Tiens, voilà le rapport.

Le flic s’assit sur la chaise qui faisait face au bureau du médecin et parcourut le dossier des yeux.

— Comme tu peux le voir, rien d’extraordinaire à t’apprendre. Le bonhomme était en piteux état quand il a été retrouvé et tout indique que sa mort est bien due à une chute vertigineuse : multiples fractures du crâne temporal et pariétal, ainsi que de nombreuses côtes brisées, le thorax enfoncé… Bref, beaucoup de dégâts et pas l’ombre d’un mystère sur toutes ses blessures. Il a certainement dû vouloir amortir sa chute, en ayant comme simple réflexe de mettre les mains en avant, car les os des bras, le radius, le cubitus et l’humérus étaient en mille morceaux. Le pauvre gars n’avait aucune chance. Il a dû se voir mourir mais n’a pas eu le temps de souffrir, c’est au moins ça !

— Ouais, ok. Pas de doute possible sur les causes de la mort, reprit Bruno. Rien d’anormal qui ait pu attirer ton attention.

— RAS, rien d’étrange, nada, que dalle… La mort a bien été causée par un choc violent avec le sol. Tout est là, je peux même te dire qu’à son dernier repas, il avait dû boire une sorte de liqueur de mandarine en guise de pousse-café. Pourquoi, tu t’attendais à autre chose ?

— Non, non, il n’y avait rien sur les lieux qui puisse faire penser le contraire, mais mourir bêtement comme ça, c’est assez rageant.

— J’en conviens, mais la vie est ainsi faite… C’est une mort accidentelle banale, suite à une violente chute en montagne. Il n’y a rien à ajouter.

— Bon, ben très bien, on va pouvoir classer l’affaire et rendre le corps à la famille.

— Tu veux boire un jus ? demanda Robert.

— Non, merci, il faut que j’y aille, j’ai encore pas mal de paperasse à remplir et j’ai promis à ma petite femme de passer à la maison avant de rejoindre les potes pour répéter un peu.

— Ah oui, tu joues toujours du saxo ?

— On essaye. On s’amuse, on se détend un peu, ça fait du bien avec ce boulot. Allez, termine bien, à la prochaine ! dit-il en s’en allant.

— Merci, salut Bruno.

Une fois franchie la porte du hall, l’air extérieur fit beaucoup de bien au commandant Maralevsci. Il se sentait mieux maintenant qu’il était sorti de cet endroit empestant la mort et une petite partition de saxophone avec son groupe de copains, musiciens amateurs eux aussi, lui serait d’un grand réconfort. La fin de journée s’annonçait tranquille et apaisante.

De retour à son bureau, il termina la paperasserie et discuta des résultats de l’autopsie avec son patron :

— Alors ? lui demanda le commissaire. Tu as les résultats des analyses du jeune Gavot ?

— Oui, j’ai le dossier dans les mains, répondit Bruno en posant la chemise cartonnée sur son bureau. Rien d’extraordinaire à dire. Le décès est bien dû à une sacrée chute. Tout porte à croire qu’il est tombé du haut de la falaise. Le temps était humide ce jour-là, il a dû bêtement glisser, et droit en bas, expliqua-t-il en accompagnant ses mots d’un geste du bras plongeant vers le sol. Affaire classée.

— Ok. Triste façon de finir une randonnée. On pourra rendre le corps à la famille. Allez, assez pour aujourd’hui. Passe une bonne soirée, Bruno.

— Merci, bon week-end, commissaire.

Les deux hommes se quittèrent et la mort d’Anthony Gavot était maintenant classée : accident mortel en montagne. Elle ne souffrait d’aucun doute possible pour les autorités.

5.

On était déjà vendredi, fin de la semaine de travail d’une grande majorité des personnes actives. La plupart partaient un peu plus tôt préparer leur week-end ou tout simplement pour ne pas avoir trop de monde sur la route en rentrant chez eux. Pour d’autres, c’était seulement le début ou tout du moins le milieu de leur semaine de boulot. Entre ceux qui travaillaient de nuit, en horaires décalés, les samedis et les dimanches, cela faisait bon nombre de gens encore au travail pendant le week-end.

Marc avait la chance de faire partie des premiers cités. Il avait fini sa journée et sa semaine aussi, mais n’avait aucune envie de rentrer chez lui. Il avait besoin de se changer les idées, de s’aérer la tête. Dès que ses derniers élèves eurent quitté le gymnase, il était retourné un moment en salle des profs, préparer quelques fiches d’exercices pour la semaine suivante mais aussi discuter avec ses collègues. Il espérait même revoir Caroline avant de partir mais elle avait filé directement après la fin de ses cours. « Dommage », se dit-il, rien que le fait de la croiser lui aurait fait le plus grand bien.

« Allez, en selle ! » Il prit son vélo pour retourner chez lui et pédala à un rythme soutenu. Au bout de quelques minutes seulement, la sueur commençait déjà à perler sur son front. Il appuyait sur les pédales en aluminium du plus fort qu’il le pouvait. Son compteur plafonnait aux alentours de 37-38 km/h. Les muscles de ses cuisses se faisaient sentir à chacune de ses relances pour conserver sa vitesse. Il n’avait guère parcouru plus de cinq kilomètres pour arriver jusque chez lui, mais Dieu que c’était bon d’avoir mal physiquement et de se sentir tout simplement vivant.

Cette petite montée d’adrénaline allait l’obliger à passer par la case douche, car s’il voulait passer voir Hervé, son ami de toujours, il lui faudrait être un minimum présentable et surtout ne pas sentir le fauve à des kilomètres à la ronde, sinon il était sûr de trouver porte close.

L’eau tiède ruisselait sur son corps nu et taillé pour la course à pied. Il chantait en même temps que la chaîne hi-fi du salon qui dérangeait certainement les voisins. Mais bon, il n’en avait pas pour longtemps et son sens du rythme masquait presque le son de la radio. Il hurlait le refrain de Genesis : I can't dance, I can't talk… na, na, na… En s’entendant chanter, il était clair qu’il n’aurait jamais pu être professeur d’anglais et encore moins de chant. Il n’aurait eu aucune chance de participer à The Voice, mais allait peut-être arriver à faire pleuvoir…

Une fois habillé et rasé de près, il prit les clés de sa voiture, une Peugeot 207 trois-portes, qui était loin de passer inaperçue avec sa couleur orange métallisée. On aurait dit un bonbon Dragibus tout droit sorti des usines Haribo, avec le son et les gaz d’échappement en plus. Confortablement installé dans son carrosse, Marc mit un CD de Jean-Jacques Goldman et prit la VRU (voie rapide urbaine) de Chambéry, direction Saint-Alban-Leysse pour passer un bon moment avec son pote Hervé. En espérant que cet affreux soit chez lui et qu’il n’ait rien de prévu pour la soirée à venir.

Hervé était le meilleur ami de Marc. Ils s’étaient connus au lycée. Avec leur pote Anthony, ils formaient depuis cette époque un trio inébranlable. Ils avaient chacun choisi des voies universitaires différentes une fois leur Baccalauréat en poche, mais étaient toujours restés en contact et se voyaient assez régulièrement. Hervé avait suivi des études d’ingénieur en informatique car il était passionné d’ordinateurs et de logiciels. Très brillant dans tout ce qui touchait à l’électronique, et pas maladroit non plus en gestion, il avait créé sa propre boîte d’informatique, spécialisée dans la fabrication de logiciels industriels de pointe, une fois son diplôme d’études supérieures en poche. Après des débuts difficiles pour se faire connaître, Powerlog – son entreprise – avait prouvé à maintes reprises le savoir-faire et la compétence de son créateur. Il employait désormais une quinzaine de salariés triés sur le volet et travaillait avec des boîtes du monde entier. De quoi prendre le melon pour certains, mais pas pour « RV » qui était resté un bon vivant et un ami sur lequel on pouvait compter n’importe quand et n’importe où.

Il prenait un malin plaisir à utiliser régulièrement ces deux lettres, le R et le V, pour parapher certains documents. Cela lui évitait ainsi d’écrire son prénom en toutes lettres et de risquer une tendinite au poignet. On n’est jamais trop prudent…

Marc se gara sur le parking de l’immeuble de son ami et profita d’un voisin qui entrait dans le hall pour se faufiler à l’intérieur avant que la porte ne claque. Il monta tranquillement par les escaliers jusqu’au quatrième et dernier étage du bâtiment. Hervé y possédait un grand appartement de plus de cent mètres carrés avec une immense terrasse et une vue imprenable sur les massifs de Belledonne et de la Chartreuse.

« Ding dong », fit la sonnette de la porte d’entrée sous la pression du doigt de Marc. La porte couleur bordeaux s’ouvrit au bout de quelques secondes. À son grand étonnement, ce n’était pas son ami qui était venu l’accueillir, mais une ravissante brune élancée vêtue d’un chemisier vert émeraude associé à une mini-jupe marron clair du plus bel effet, répondant au doux prénom de Valérie.

— Salut, Marc, tu vas bien ? dit-elle en lui déposant un bisou sur chaque joue.

— Euh, salut Val ! Oui, oui, on fait aller… Je passais juste voir Hervé, histoire de prendre des nouvelles.

— Vas-y, entre.

Il pénétra dans l’appartement de son meilleur pote où l’on était toujours susceptible de s’asseoir, si l’on ne faisait pas attention, sur des revues informatiques, des bouquins de montagne et même parfois sur de minuscules appareils électroniques sur lesquels travaillait Hervé. Il n’était pas réputé pour son sens inné du rangement. Mais là, contre toute attente, tout avait l’air en ordre. La table basse du salon avait été désertée par les magazines, la salle à manger ne servait pas de support pour matériel informatique en tout genre, la cuisine ne faisait pas office d’entrepôt de stockage, bref, le propriétaire était devenu une vraie fée du logis.

— Wouah, impressionnant !

— Il est encore sous la douche mais il ne devrait pas tarder. Comment tu te sens, toi ? Moi, j’ai encore du mal à y croire pour Anthony. Je me dis que c’est rien qu’un mauvais rêve et que je vais pas tarder à me réveiller…

— C’est pareil pour moi. C’est pour ça que je suis passé, je voulais me changer les idées.

Valérie et Marc se connaissaient bien. Elle faisait partie de ses amis de lycée avec qui il avait gardé contact. Elle était une des filles de la bande. Elle se joignait souvent aux gars lors des sorties ski ou autres retrouvailles de ce genre.

— T’as bien fait, lui sourit-elle.

— On peut jamais être tranquille chez soi !

Le proprio sortait de la douche en short à fleurs et t-shirt bariolé. En le voyant dans cet accoutrement, on avait du mal à croire qu’il dirigeait une entreprise en pleine expansion.

— Tu devrais déménager. Y’a toujours des gars un peu bizarres pour s’inviter à l’improviste…

Son ami apparut dans le salon et ils s’embrassèrent à bras ouverts.

— Salut, mon grand.

— Salut, Marco. Comment va ?

— Comme je disais à Valérie, on fait aller du mieux qu’on peut dans des moments pareils.

— C’est sûr. Tu veux boire un coup ?

— Non, j’vais pas vous déranger, j’étais juste passé comme ça.

— T’inquiète, tu sais bien que tu ne me déranges presque jamais, fit Hervé tout sourire. Assieds-toi. Tu veux boire quelque chose aussi, Val ?

— Oui, la même chose que vous, merci.

— Alors ce sera bière brune pour tout le monde.

Il revint avec trois bières bien fraîches, sorties tout droit du réfrigérateur, et ils s’installèrent sur le canapé d’angle en cuir du salon. Hervé leva sa bouteille :

— À la vôtre.

— Santé, répondirent Marc et Valérie, en faisant s’entrechoquer les bouteilles de verre.

— En tout cas, t’es devenu une vraie fée du logis, mon grand. Je ne me suis même pas assis sur une de tes affaires ou n’importe quoi d’autre qui traînent chez toi d’habitude. Alors là, chapeau ! (Marc fit une belle révérence.) L’espace d’un instant, j’ai même cru m’être trompé d’appart…

— Eh oui, qu’est-ce que tu veux, j’étais bien obligé si je voulais partager mon logis avec cette femme, dit-il en désignant Valérie. Je n’ai pas pu résister à son charme.

Marc faillit s’étrangler en buvant une gorgée de bière et toussa à s’en décrocher les poumons. Il mit plusieurs secondes à retrouver sa respiration.

— Pardon, reprit-il, tu peux répéter ?

Valérie et Hervé s’embrassèrent langoureusement afin que Marc comprenne bien la situation.

— C’est assez clair pour toi, mon ami ? Je ne savais pas comment te l’annoncer, ni même à quel moment t’en parler. Tu as très bien fait de passer à l’improviste, ça m’arrange, finalement. Tu sais, ça va faire à peine trois mois qu’on sort ensemble, c’est encore tout frais. Et puis aujourd’hui, on a décidé de franchir un cap. Je l’autorise à venir me piquer quelques tiroirs dans un premier temps et je lui file même un double des clés, donc je crois qu’on peut dire que c’est du sérieux.

— Eh, mais c’est super, ça. Venez là que j’vous embrasse, les tourtereaux. C’est une super nouvelle ! À votre bonheur à tous les deux. Tchin !

— Merci, mon vieux.

— En tout cas, je ne me suis douté de rien. T’es un vrai petit cachottier et pareil pour toi, Val. Ni l’un ni l’autre n’avez vendu la mèche.

— On s’était mis d’accord avec Hervé d’attendre un peu avant d’en parler aux amis et surtout à toi. Il tenait à c’que tu sois le premier au courant. C’est maintenant chose faite. Bon, c’est pas tout ça, mais je vais remplir les quelques tiroirs que monsieur Hervé a bien voulu mettre à ma disposition. Je vous abandonne un moment, pas de bêtises…

Hervé ramena deux nouvelles bières, mais cette fois, il choisit deux Ruby, au parfum fruité et plus sucrée que la brune. Un vrai régal. Accompagnées de deux, trois cacahuètes et tout allait pour le mieux. En dégustant leur breuvage, les deux hommes parlèrent de la pluie et du beau temps pendant que Valérie se faisait un peu de place dans les placards.

Le moral de Marc remontait, tout comme son taux d’alcool dans le sang. La bonne humeur de ce nouveau couple lui faisait le plus grand bien, mais il ne voulait pas les enquiquiner plus longtemps :

— Bon, ben, c’est pas l’tout mais je vais vous laisser.

Marc se levait du canapé pour récupérer ses clés de voiture.

— Quoi, tu veux pas rester manger avec nous ? On se commande trois pizzas et on papote encore un peu…

— Non, je n’vais pas vous déranger plus longtemps.

— Arrête ta comédie ! Oh, c’est comme avant, tu passes quand tu veux, y’a aucun problème. Allez, reste. En plus ça fera plaisir à Valérie, et à moi aussi d’ailleurs. On aura le temps de discuter tranquillement, comme ça.

— Puisque tu insistes, répond Marc.

— J’ai quand même pas eu à te forcer longtemps, mon grand.

Ils éclatèrent de rire tous les deux. La soirée s’annonçait bien…

Une fois les pizzas livrées, tout le monde s’assit autour de la grande table en chêne massif de la salle à manger. Le repas était bon, rien d’extraordinaire, une « Montagnarde » pour ces messieurs avec lardons, reblochon, oignons…, et une « Buffalo » pour la demoiselle avec viande hachée, poivrons, tomates… Que c’était agréable pour Marc de se retrouver avec ses amis et de partager un bon moment avec eux. Ils finirent le repas par un café moulu et torréfié à l’usine Folliet de Chambéry, et c’est à cet instant précis que la conversation prit une nouvelle tournure :

— Je sais pas comment aborder le sujet sans faire de vague, mais tu crois vraiment qu’Anthony s’est tué accidentellement ? demanda Marc à son meilleur ami en le regardant droit dans les yeux.

— Pffut ! Quel con ! jura Hervé pour lui-même en crachant une partie de son café au visage de son interlocuteur.

Heureusement, le geyser n’était plus très chaud, mais passablement dégoûtant.

— Non mais t’es malade ! Tu veux que j’m’étouffe, toi, aujourd’hui. C’est la soirée des potins ou quoi ? Est-ce que tu te sens bien ? Dis-lui quelque chose, Val, je n’sais pas, moi.

Il était en train d’essuyer les dégâts qu’il venait de causer à l’aide de sa serviette en papier.

— Et je peux savoir le fond de ta pensée ?

— Tu connaissais Anthony aussi bien que moi. Voyons, tu crois vraiment qu’il aurait pu avoir un accident en allant au Granier ?

— Ben, on n’est jamais à l’abri d’une connerie, surtout en montagne, même si on connaît très bien l’endroit et qu’il n’y a aucune difficulté particulière.

La voix d’Hervé avait retrouvé sa tonalité et son calme habituel.

— Oui, mais des trois, lequel était le plus souvent en train de dire de faire plus attention lors de nos sorties rando ? Qui charriait-on le plus souvent quand il y avait un peu plus de risques qu’à l’accoutumée ? Tu vois où je veux en venir ?

— Pas bien, non ! Alors comment il serait tombé d’après toi ?

— Je sais d’avance que ça va pas te plaire.

Marc laissa filer quelques secondes, puis se lança.

— Est-ce qu’il n’aurait pas fait exprès de tomber ou autre chose, je sais pas, moi.

Il y eut un énorme sifflement dans l’appartement. Le prof venait encore de faire des siennes.

— Woh, woh, woh… T’y vas pas avec le dos de la cuillère, là. Toi, tu crois qu’Anthony aurait pu vouloir se balancer du haut du Granier ? Et nous, bien sûr, ses meilleurs amis, on n’aurait rien vu venir ? Alors qu’il venait de rencontrer une nouvelle nana, que tout allait bien dans sa vie…

— Je sais, je sais, ça paraît dingue mais… rappelle-toi qu’il faisait énormément de recherches depuis un peu plus d’un an sur la disparition de sa sœur. Et s’il avait découvert quelque chose qu’il ne pouvait supporter ? Et hop, le grand saut… Ou, autre possibilité : imagine qu’il ait trouvé ce qui était arrivé à Alexandra ? Qu’il ait réussi à savoir s’il lui était arrivé malheur et qui en était l’auteur ? Imagine toutes ces possibilités. Si ça se trouve, on l’a peut-être aidé à tomber ?

— Valérie, soutiens-moi, je crois que notre ami a perdu la raison. Planque les bouteilles d’alcool et autres drogues. T’as vraiment une imagination débordante, mon grand.

— Là, j’avoue que je suis assez d’accord avec Hervé. C’est flippant ! Les explications les plus simples sont souvent les meilleures. Et ça n’a rien à voir avec notre nouvelle situation.