Chimaerae - Tome 3 - Jean Andriot - E-Book

Chimaerae - Tome 3 E-Book

Jean Andriot

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Beschreibung

Après les événements explosifs des tomes I et II, un attentat islamiste, minutieusement planifié, menace de frapper Paris le 14 juillet. Le colonel Caminowski et la cellule 55 doivent tout tenter pour déjouer ce complot. Mais le temps presse, et Papa Romeo Foxtrot, le président de la République, se montre aussi imprévisible qu’inefficace. Ce 14 juillet, sous les feux du défilé, la capitale pourrait basculer dans le chaos.

 À PROPOS DE L'AUTEUR

Depuis son enfance, Jean Andriot nourrit une passion profonde pour l’écriture. Pour lui, écrire est bien plus qu’un simple plaisir : c’est une véritable thérapie, un voyage vers un monde parallèle où l’imagination prend le dessus.

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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Chimaerae

Tome III

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Jean Andriot

ISBN : 979-10-422-7551-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jamais la nature n’est si avilie que quand l’ignorance

superstitieuse est armée du pouvoir

 

Voltaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Never enough blood and tears

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Livre 3

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

8

De nos jours

 

 

 

 

 

74

 

 

 

Après être passés au sous-sol pour rendre hommage à Valérie Chopin et faire une caresse à Argos, tout le monde est remonté au pigeonnier, même Jihan, soutenue par Dorothée Lebrac. Le Général Demourson va arriver d’un instant à l’autre.

Cami arpente la pièce à grandes enjambées.

Robert Beaumont, pansé, rasé et rhabillé, est parti avec Zeus dans l’hélico de Choupette malgré sa jambe cassée, vers une destination inconnue.

— Tu la connaissais bien, toi, la p’tite ? demande Hercule à Aldo.
— Pas plus que ça… Elle est arrivée un matin il y a quatre ans en demandant s’il y avait du boulot et elle est restée. Pas de famille, travailleuse, discrète, toujours payée en cash… elle se tapait un client de temps en temps… aucun problème, elle va me manquer…
— Et le chien ?
— Léon a dit, une chance sur mille… on saura dans 48 h.

 

Mario fait un peu la gueule, car il n’aime pas qu’on mange dans son pigeonnier. Malgré l’excellence du repas, l’ambiance est morose et les conversations se font à voix basse. Le prof est redescendu avec Léon au chevet du chien. Le produit du légiste a fait merveille sur Beaumont et Jihan, dont les blessures, bien que « relativement » superficielles, ont presque totalement cicatrisé en moins de trois heures. Les plaies du chien étaient beaucoup plus profondes, il a bien cicatrisé aussi, mais doit maintenant faire face à une forte infection généralisée qui a entraîné une insuffisance rénale et il est en plein choc septique.

— Il va s’en sortir ? demande le prof d’une petite voix.
— J’ai recousu tout ce que j’ai pu. Je l’ai mis sous perfusion et lui ai donné des doses massives d’antibiotiques, pour l’instant, sa température est stable à 41°. Si elle finit par baisser, il est sauvé.

Dans un coin de la pièce, Dorothée Lebrac parle en anglais avec Jihan qui a gardé son masque.

Cavalcade dans l’escalier ; c’est le général. L’adjudant-chef Philippe a du mal à le suivre, tout en rangeant des papiers dans sa mallette.

— Tout le monde en haut, immédiatement !!! crie-t-il à plusieurs reprises.

 

Le général est dans une colère noire, et Cami aussi.

— Mais enfin, qu’est-ce que vous ne comprenez pas dans les mots « L’opération est terminée » ? Merde !!!
— Nom de Dieu, Mon général, regardez autour de vous, que diable !
— Ce sont les ordres directs de l’Élysée, vous voyez ce que je veux dire ?
— Mon général, il y a la politique et la réalité, à vous de choisir…

Le général passe l’assemblée en revue, s’essuie le front avec son mouchoir, et se laisse tomber dans le fauteuil de Mario avec un grand soupir.

— Vous avez cinq minutes pour m’exposer le topo…
— Très bien. Prof, à toi de jouer.

 

Ferdinand Choupart a caché Robert Beaumont et Zeus à l’héliport D’Issy-les-Moulineaux dans son vieux hangar tout rouillé. Il les a cloîtrés dans la pièce secrète du fond, tout à fait invisible de l’intérieur, là où le pilote, à qui on aurait donné le Bon Dieu sans confession, entrepose les produits de ses trafics, rien de très grave, mais tout de même. Des meubles, des tableaux et de l’informatique voisinent avec deux scooters de luxe. Des caisses de vins millésimés sont négligemment calées au milieu de véritables jeans Levis made in China. Des conserves de purs foies gras de Hongrie et de vrai faux caviar Béluga traînent un peu partout, et bien d’autres choses encore.

Choupette les a laissés pour emmener des hommes d’affaires à Bruxelles.

Zeus est allongé par terre, immobile. Bob, vautré dans un fauteuil, a posé sa jambe blessée sur un tabouret. Il reçoit les images tristes que lui envoie son compagnon.

— Maintenant je suis le dernier de ma race, transmet-il en associant à sa pensée une vision de sa mère Rhéa.
— Tu n’es pas seul, mon frère, répond Robert la larme à l’œil.
— C’est vrai, mais… que va-t-on devenir ?
— D’abord, je vais guérir ma jambe… après on verra…
— On verra quoi ?
— Ce qu’il convient de faire.

 

Le prof se lève, sort son calepin qu’il consulte quelques secondes avant de commencer à parler, et il parle longtemps, bien plus que les cinq minutes requises, mais personne n’ose l’interrompre, car le ton est grave, définitif, limite colère. Il opte pour une présentation chronologique des évènements.

— Tout a commencé en cette fin d’après-midi où l’adjudant-chef Albert Mangin et son adjoint ont récupéré Theseim à moitié nue, sur le point d’accoucher le long de la D68 entre Gorze et Novéant, il y a quelques mois. Le rapport qu’ils n’ont pas manqué de faire en rentrant à la brigade d’Ancy-sur-Moselle a été transmis, comme c’est la procédure pour tous les rapports un peu particuliers, aux différents centres de décision susceptibles d’être intéressés. C’est comme cela qu’il est apparu dans une des boîtes mail des services de la DGSE commandés par le général de Montfaucon. Il y avait dès lors, pour des enquêteurs tenaces, journalistes ou autres, la possibilité de découvrir un lien entre la clinique Lepoivre et le laboratoire secret de Bure dirigé par Kowalsky, dont même l’exécutif ignore toujours l’existence.

Dorothée Lebrac traduit à voix basse en anglais pour Jihan, et Kevin traduit à Theseim en kurde. Le spectacle est touchant tant il est évident que ces deux-là sont follement amoureux. Elle a passé son bras gauche sur les épaules de Kevin qui lui caresse la main droite tout en lui murmurant à l’oreille. Le prof continue.

— Je vous rappelle brièvement ce lien. À Metz, le célèbre gynécologue Lepoivre kidnappait de jeunes femmes migrantes sans papiers arrivant d’Allemagne par l’intermédiaire d’une filière turque. Je passe sur les détails. Une fois arrivées à sa clinique de Gorze, Lepoivre les délestait, endormies, de leurs ovocytes qu’il fécondait avec son propre sperme pour fabriquer des embryons. Ces embryons avaient deux destinations.

 

Soit, ils étaient réimplantés dans l’utérus de la mère afin de la mettre enceinte pour alimenter son florissant trafic de bébés, d’ailleurs, preuves génétiques à l’appui, Lepoivre est bien le père biologique du petit garçon dont Theseim a accouché, à savoir que les jeunes femmes étaient éliminées quelques semaines après la naissance de leur bébé. Soit ils étaient envoyés, avec la complicité de Robert Beaumont, le directeur de l’ANSPRA, au laboratoire secret de Bure où le généticien Kowalsky disposait de ce fait d’embryons humains intraçables pour jouer à l’apprenti sorcier en créant, entre autres, les Titans et le chien.

Jusque-là dans le déni de sa maternité, Theseim vient d’en prendre brusquement conscience. Elle pleure à chaudes larmes, consolée par Kevin et Dorothée. Le prof, ému, marque un temps d’arrêt, mais, face à l’impatience du général, il reprend son récit, la voix un peu enrouée.

— Montfaucon prend peur et décide de faire le ménage. C’est-à-dire de démanteler les deux sites, à savoir la clinique Lepoivre et le laboratoire secret de Bure, et de tuer tout le monde, y compris Theseim et tous ceux qui l’ont approchée. On le soupçonne d’être aussi à l’origine du décès du directeur des services techniques de la DGSE, monsieur Bruyère. Nous pensons que le tueur déguisé en grand-mère est un membre d’une cellule ALPHA. À partir de là, Montfaucon joue de malchance : Theseim, aidée par Kevin, échappe par miracle au tueur, le vétérinaire Griffon et ses titans, ainsi que le chien et son maître, s’évadent in extremis du labo avant sa destruction, mais surtout, Theseim va pouvoir reprendre sa mission, car elle est venue en France dans un but bien précis. Des questions sur cette première partie ?

 

 

 

 

 

 

75

 

 

 

Beyrouth est une auberge qui n’a pas de patron et où tous les pensionnaires ont un unique point commun, leur don pour la corruption et la trahison. Mais l’espace est compté et ces personnes vivent pratiquement les unes sur les autres depuis vingt siècles. Vengeances, querelles sanglantes, vendettas, boucheries et trafics en tout genre jalonnent la vie de l’antique cité année après année depuis deux mille ans. Et puis, un jour, les Palestiniens frappèrent à la porte. Sans gêne, ils entrèrent. Ils furent accueillis comme de nouveaux clients. Mais ce ne fut qu’une fois l’emménagement terminé que les pensionnaires originels se rendirent compte du tragique de la situation, car les Palestiniens n’avaient qu’une idée en tête ; ils voulaient avant toute chose détruire et brûler la maison israélienne d’à côté.

Cependant, le vieux souk, immuable, a tout traversé. Il est toujours là, et le microcosme interlope s’épanouit dans ses ruelles pavées, traversées par une rigole pour l’évacuation des eaux usées, et parfois couvertes, ou au moins protégées du soleil, par une toile suspendue.

La boutique type est, d’un point de vue européen, vraiment très petite. En raison du manque de place, l’espace d’entreposage et celui de la vente ne sont pas dissociés. Le magasin s’ouvre de toute sa largeur sur la rue. Il ne possède pas de fenêtre et se ferme par une porte en bois ou un rideau roulant, mais, en général, l’existence d’un entresol, utilisé autrefois pour la production, est souvent, aujourd’hui consacrée à d’autres usages.

L’échoppe de Karim Fouad, situé au nord de la rue Weygand, propose du gros électroménager d’occasion. On y trouve de tout, frigo, lave-linge, télés, robots, aspirateurs, cuisinières et même un ou deux pianos de chef. Son jeune frère, aidé de sa mère et de sa sœur, s’occupe du magasin tandis que lui, depuis des jours, bricole à l’entresol sur un distributeur de boissons quasi neuf, dans lequel il va devoir implanter les huit munitions de 152 millimètres, copies chinoises de la version russe, alignées le long du mur.

On le contacte toujours par l’intermédiaire de l’application Telegram. Son pseudo est « Phi » ainsi, personne ne connaît son visage. Il a d’ailleurs l’habitude de signer de la lettre de l’alphabet grec Ø non seulement sur toutes ses productions, mais aussi sur des supports les plus divers, partout où il passe, comme un tagueur qui marque son territoire.

La partie la plus délicate est la préparation des obus. Dans un premier temps, il doit dévisser les fusées. Ensuite, il fait huit nœuds en queue de vache sur son cordon détonnant au PETN, un tous les cinquante centimètres, qu’il enfonce bien au fond de l’emplacement libre de l’œil de chaque projectile, puis, les cavités sont rebouchées, ou plutôt mastiquées, avec du Semtex. Le détonateur électrique est relié d’un côté au cordon détonnant par un nœud en oreille de lapin et, de l’autre côté, à un trigger. Enfin, dernière étape, l’ensemble est noyé dans de la mousse polyuréthane, sauf l’élément de commande constitué d’un téléphone portable.

Karim en fabrique à peu près deux par an.

Quand la caisse est prête, bardée de toutes ses étiquettes et de ses vraies fausses autorisations, le camion de son beau-frère, patron de Al-Watkila Holding import-export, appellation pompeuse pour des locaux constitués d’un unique garage miteux, vient la chercher et l’emmène jusqu’au port où elle commence son odyssée anonyme, dans la cale d’un bateau.

 

Celle-ci échoua dans la cale d’un antique cargo, le Watna, battant pavillon turc, accompagnée d’un lot d’immigrés syriens cherchant à rejoindre la Pologne pour rentrer en Europe, suffocant sous des hiloires rouillées peintes en vert. Première étape Tartous, Istanbul, puis la mer Noire et Odessa.

Sauf que, le capitaine, motivé par le canon de la kalachnikov qui lui appuie sur les lombaires, cingla plein Ouest à peine sorti du port. Le voyage vers Alger durera quatre jours après une courte escale sur l’île de Lampedusa pour se débarrasser des migrants qui n’en demandaient pas tant.

 

Comme un élève consciencieux, le général lève la main.

Le prof, retrouvant ses vieux réflexes, le désigne du doigt :

— Je vous écoute, mon général.
— Comment en êtes-vous arrivés à ces conclusions ?
— Elles sont essentiellement basées sur les témoignages de Theseim et Kevin, de l’adjudant-chef Mangin et du chien, et aussi grâce à l’aide du lieutenant Pierron, chef de Kevin.

Les touches du clavier de la tablette Microsoft de l’adjudant-chef Philippe crépitent comme une volée de grêlons. Le général, de la main, fait signe de continuer.

Au moment où le prof va reprendre la parole, la journaliste, Dorothée Lebrac l’interrompt.

— Prof, si vous permettez… Général… Je vais prendre le relais…
— Je vous en prie, accorde Demourson d’un air fataliste. Vous vous souvenez sans doute quand j’ai été faite prisonnière par les sbires de l’Émir Ibrahim ibn Abdelaziz Al Saoud, alias le boucher de Kocho, fin octobre 2016 pendant le siège de Mossoul.
— Oui, très bien, continuez.
— Eh bien, le Président de la République a négocié secrètement avec l’Émir ma libération contre un échange avec Theseim et Jihan. Ça s’est soldé par la disparition de mes techniciens, d’une équipe des forces spéciales, d’un hélicoptère Caracal avec son équipage et par une belle trahison.
— Je me souviens parfaitement de la cérémonie… très émouvante… dit Demourson sur un ton grave et recueilli.
— Du pipeau !! Personne n’a jamais pu voir les corps ni l’épave de l’hélico ! Theseim et Jihan ont été ensuite manipulées puis renvoyées en France dans un but bien précis : La préparation de la prise d’otages de l’hôtel particulier de la rue Vivienne. Mais il y a eu un grain de sable !

Le général lève un sourcil et s’avance pour s’asseoir au bout du fauteuil.

— Vous m’intriguez, mademoiselle…

Silence.

— Alors, ce grain de sable ?
— À l’occasion de cette embuscade à la frontière turque, Theseim a rencontré pour la première fois celui qui, maintenant, la traque sans pitié, c’était le chef de l’équipe des forces spéciales ; ce mec-là avait six doigts à la main gauche, c’est comme ça qu’elle l’a reconnu à la maternité, déguisé en grand-mère. Et c’est ce même mec qui a attaqué le domaine ce matin et tué la jeune Valérie.
— Comment pouvez-vous être certaine de ça ?

 

Dorothée se tourne vers Léon Guyonnet :

— Docteur ?

Le légiste s’approche. Il tient un sac poubelle gris qui semble contenir quelque chose de lourd. Il l’ouvre, farfouille dedans quelques secondes et en extrait un sachet transparent qu’il tend au général qui le fait tourner devant ses yeux, l’examinant sous toutes les coutures.

— On dirait un pouce !?
— C’est un pouce ! Le mec avait deux pouces à la main gauche…
— Okay, et dans le sac, il reste quoi ?

Léon s’approche et entrouvre le sac poubelle.

— Je n’avais pas de sachet assez grand… regardez vous-même.
— Aïe ! c’est un bras ?
— Oui, il s’agit de son avant-bras droit.
— Et où est le corps ?
— Pas de corps, ce coriace s’est barré dans la forêt en se faisant un garrot avec sa ceinture, il est toujours vivant.

Silence.

Dorothée Lebrac se lève, prend Theseim d’une main et Jihan de l’autre et les oblige à se lever et à la suivre, une fois au milieu de la pièce, elle les entoure de ses bras.

— Encore un exploit de nos deux tireuses d’élite, elles ont sauvé la vie de Kevin. Theseim a tiré dans la main gauche du tueur à 200 m avec la petite 22LR d’Aldo pour lui faire lâcher son arme, d’où le pouce (sifflement impressionné du général) et Jihan, lui, a pulvérisé le bras droit pour qu’il ne puisse pas se servir de son autre révolver.
— Mais pourquoi ne l’ont-elles pas carrément descendu ? interroge Cami.
— Theseim avait peur pour Kevin que le coup du tueur parte tout seul, et Jihan, qui était là pour tuer Theseim, veut le retrouver pour assouvir sa vengeance personnelle face à face.
— Que lui a-t-il donc fait pour provoquer tant de haine ? Demande le général.

 

Quand la 22LR lui a cisaillé le pouce, K ne ressentit qu’un léger picotement, et moins d’une seconde plus tard, ce fut comme si quelqu’un lui avait donné un magistral coup d’épaule, genre pilier de rugby de cent trente kilos. C’est seulement au bout de quelques instants, en baissant les yeux qu’il vit l’horreur, son avant-bras était arraché ! Le temps d’un battement d’aile de papillon, une partie de son corps avait disparu. Tout vint d’un coup, la douleur, l’envie de crier, la panique… immédiatement réprimée grâce aux années d’entraînement. Trop de ravages, inutile d’emporter la partie manquante. Vite, un garrot ! Sa ceinture fera l’affaire.

Trois heures et demie plus tard, il se trouvait dans le bloc opératoire de l’hôpital militaire Legouest, à Metz, pour que son bras soit stabilisé. Chirurgie qui dura plusieurs heures, compte tenu des dégâts, et se déroula avec succès. Dès le surlendemain, en galérant de la main gauche sur son clavier à cause des majuscules, il cherchait déjà de la documentation concernant les prothèses sur mesure myoélectriques I-LIMB.

 

Dorothée regarde Jihan bien en face. Son masque noir, à la fois sombre et lumineux, lui donne des airs de Belphégor et son immobilité attise les émotions et les peurs qu’elle absorbe pour se fortifier avant un combat, mais là, pas de combat, juste Dorothée qui la regarde tendrement, les yeux brillants de larmes.

— Do it ! Jihan, do it !

Le casque oscille légèrement de gauche à droite.

— Jihan, do it right now, and you will be healed forever !

Sentant qu’ils sont en train de vivre un moment très important, tous sont figés, comme un arrêt sur image, n’osant même pas bouger le petit doigt.

Seule la main droite gantée de noir de Jihan entame un lent déplacement vertical et se pose sur le menton de l’objet qui dissimule son visage.

Dorothée sent son hésitation, son désarroi et la confusion de son esprit où l’Archange Tawsi Melek se débat avec une illusion du Prophète. Qui va gagner ? La lutte est intense et la main de Jihan tremble sur le menton du masque. « Cède et ils feront de toi une adoratrice de Shaytan et tu n’iras jamais au paradis », exhorte le Prophète, « cède et tu seras pardonnée, car le seigneur connaît ta malédiction, ensuite tu pourras rejoindre ceux qui t’aime » affirme Tawsi Melek.

— Jihan, you can do it ! lui sussure affectueusement Dorothée.

Lentement mais sûrement, Jihan retire son masque et le laisse rouler par terre.

Un murmure d’effroi parcourt la pièce. Jihan tourne sur elle-même, présentant tour à tour son profil droit presque intact, puis son profil gauche torturé et martyrisé comme un poulet resté trop longtemps sur le grill.

Un cri strident exprimant tout le désespoir du monde les fait sursauter, c’est Theseim qui se jette en pleurant dans les bras de Jihan, bientôt suivie de Dorothée, que tous les autres, général compris, imitent. Très vite, il n’y a plus au centre de la pièce qu’une grosse boule d’humains enchevêtrés entourant Jihan d’un halo de chaleur, d’amour et d’amitié.

La scène s’éternise quelques minutes, puis lentement, les uns après les autres, comme un bourgeon qui s’ouvre, les éléments s’écartent pour laisser apparaître au centre les trois femmes toujours enlacées. Ils s’entre-regardent, chacun essayant de masquer son désarroi, le général se mouche ostensiblement, Cami écrase une petite larme, dans les bras d’Aldo, Hercule est inconsolable. Même Léon, qui pourtant en a vu d’autres, a la goutte au nez et n’arrête pas de renifler.

Le prof tape sur le dos d’une chaise avec une règle en bois d’acajou :

— Allons, allons, mes amis, je comprends votre émotion, mais il faut continuer, le temps presse ! dit-il d’une voix enrouée.

Finalement, c’est Dorothée, le maquillage en déroute, qui reprend la parole.

— D’après mes sources au ministère de l’Intérieur, officiellement, aucun corps n’a été retrouvé sur le site de la frappe aérienne, s’il y en avait, ils ont été volatilisés au cours de l’explosion.
— Langue de bois, explose le général, il reste toujours quelque chose !

Dorothée reprend en hochant la tête.

— C’est ce que je me suis dit. Cependant, m’a-t-on confié du bout des lèvres, sous le sceau du secret, les fouineurs de la DGSI auraient déterré la carcasse d’une camionnette maquillée en ambulance et découvert des constituants presque intacts d’une console de jeu PS4.

 

D’après ce que m’ont confié Theseim et Jihan, c’est grâce à ce type de matériel qu’elles correspondaient avec leur donneur d’ordres via le forum d’un jeu vidéo en utilisant des noms de code.

Cami lève la main, ce qui coupe la chique à Dorothée.

— Mario ?
— Oui, c’est très ingénieux et pratiquement indétectable compte tenu du nombre de jeux existants. Rien de plus facile que de se trouver un pseudo et de se mêler aux discussions des fans sur le forum dédié. Si on connaît le nom du jeu et le pseudo du donneur d’ordres, on pourrait même se joindre à la partie.
— Moi MANAT1571, parler à IBLIS1571, dit Theseim.
— Me MANAT1572, also speaking to IBLIS1571 and the title of the game was "Kingdom Hearts II"
— Intéressant, ajoute le général, il devait y avoir d’autres MANAT et d’autres IBLIS… Dommage que la partie soit terminée…

 

Le prof donne un grand coup de règle sur le dossier de la chaise qui est devant lui, et ça claque tellement fort que ça cloue le bec à tout le monde.

— Certes, avec de la chance, et en prenant beaucoup de risques, nous avons pu libérer presque tous les otages ainsi que le Prince et son neveu, qui, d’ailleurs, ont eu un comportement irréprochable, mais…
— Je l’ai déjà dit, il n’y a pas de mais, la partie est terminée !
— Et moi, je vous dis que non, explose le prof en martelant chacun de ses mots d’un coup de règle allant crescendo.

Le général, peu habitué à ce qu’on lui tienne tête, est rouge comme une pivoine, la bouche ouverte, suffocant d’indignation. Le prof reprend rapidement son calme, et, pour masquer son désarroi, entreprend de nettoyer ses lunettes avant de reprendre la parole d’un ton neutre, mais chevrotant.

— Je vous rappelle que Robert Beaumont et son Titan, Zeus, sont dans la nature on ne sait où puisque Choupette ne veut rien dire, et nom d’une pipe, qui est ce Prince ? Puisque Jihan l’a tué sous les yeux de Theseim, désignée par les médias (et orchestré par qui ?), comme le parfait bouc émissaire dont la mort arrangerait bien tout le monde, preuve en est que CE Prince veut voir son cadavre. Ça ne vous suffit pas ! Alors, parlons de ce tueur professionnel : Qui est-il ? Et surtout qui le commandite ? Je vous rappelle également que Theseim et Kevin sont encore recherchés par toutes les polices de France et de Navarre, et même au-delà, pour une série de crimes qu’ils n’ont pas commis ; doit-on attendre qu’ils soient assassinés ou bien doit-on le faire nous-mêmes ? Encore un truc, il y a le cadavre d’un homme jeune dans une Peugeot grise à 500 m, garée dans le chemin qui longe le mur d’enceinte.

Le prof jette sa règle de rage aux pieds du général.

— En plus, il est probable que la DGSE ait été infiltrée, car Beaumont et Griffon étaient des taupes, c’est même comme cela qu’ils ont pu s’extraire à temps du labo.

 

À ce moment précis, un long hululement, genre hurlement à la mort, résonne depuis les sous-sols.

— Le chien ! crie Léon.

Tout le monde se précipite dans les escaliers, laissant le général tout seul, comme un con, avachi dans son fauteuil, sidéré.

 

 

 

 

 

 

76

 

 

 

Journal télévisé d’Antenne 2, 20 h 00

 

Intervention du Président de la République le soir de la libération des otages.

 

Mes chers concitoyens,

Les otages libérés, la France soulagée, mais blessée, un genou à terre, a besoin d’un nouvel élan pour se relever et affronter son destin.

Le Premier ministre m’a présenté ce soir sa démission et celle de son gouvernement.

Le Président de l’Assemblée nationale m’a informé du tsunami de démissions au sein de l’hémicycle, liées sans aucun doute aux odieux rebondissements de ces derniers jours.

Moi, Président de la République, assume pleinement mon rôle de chef de la nation, afin de nous permettre de surmonter plus rapidement ces évènements sans précédent, Moi, Président de la République, ai décidé de dissoudre l’Assemblée nationale.

Moi, Président de la République, assure aux Français la tenue de nouvelles élections législatives dans quarante jours.

J’ai, par ailleurs, nommé le Président du Sénat, Premier ministre provisoire, charge à lui de gérer le pays pendant cette période de transition.

D’autre part, le chef de la majorité présidentielle a accepté ma proposition de faire naître, dans les jours qui viennent, un nouveau grand parti politique libre et indépendant qui s’appellera « Les Défenseurs », dont la mission sera de veiller sans relâche aux intérêts, à la liberté et à la sécurité du Peuple.

Françaises, français, je vous invite à rejoindre, comme moi, le plus vite possible, les rangs des « Défenseurs ». Dans quarante jours environ, ils seront présents dans toutes vos circonscriptions. En les élisant, vous permettrez à notre démocratie de vivre avec une majorité stable, dynamique et protectrice faisant fi des anciens clivages historiques.

Pendant ce temps, Moi et MON ami, le Prince héritier d’Arabie Saoudite, véritable héros de la journée, agirons dans le même esprit, pour donner une ampleur internationale à ce grand projet.

Vive la République, vive la France.

 

Fin de retransmission

 

Sur la terrasse, à la lumière des réverbères, Aldo et Hercule s’acharnent avec leurs brosses métalliques. Une petite télé posée sur la table basse en rotin égrène en continu les programmes de BFCI.

— Putain, quel bordel !
— Comment ça ? répond Hercule.
— Ben… Le Président…
— Ah, pas fait gaffe…

 

Léon sort prendre la fraîcheur du soir.

— Ouf, le chien va mieux ! S’il passe la nuit, c’est bon. Vous faites quoi, les gars ?
— Demain on voudrait faire des truites en papillotes, dit Hercule.
— Alors, on nettoie le barbecue, ajoute Aldo.
— Ah… d’accord…

Le barbecue… le barbecue… tient, ça me donne une idée, faut que j’en parle à Cami, pense Léon en retournant à l’intérieur.

 

 

 

 

 

77

 

 

 

Vingt-quatre heures plus tard, le matin de bonne heure à 07:10, Argos sort dans la pelouse pour faire ses besoins, il trottine, un peu comme un vieillard. Le prof le suit en marchant à quatre pattes dans la rosée et l’encourage à continuer. Chaque nouveau pas l’enthousiasme autant que les premiers pas d’un bébé, mais ce qui le réjouit le plus c’est la façon dont il le regarde. Un regard qui veut dire « Arrête, je me sens totalement ridicule ».

Depuis la veille, déjà, Argos manifestait des signes de guérison encourageants. Il avait bu plusieurs fois et passa un moment sur le ventre au lieu d’être allongé sur le flanc. Il mangea une soupe avec un jaune d’œuf que lui avait préparée Aldo et Léon lui enleva même ses perfusions. Il levait la tête et observait d’un air curieux l’activité du sous-sol annexé par Guyonnet, mi-morgue, mi-infirmerie.

 

Après mûre réflexion, le légiste avait été voir Cami pour lui exposer son idée.

— Mon cher Cami, savez-vous ce qu’est un barbecue ?
— C’est avec ça qu’on a fait cuire nos truites hier midi.
— Je ne parle pas de ce genre d’appareil… Dans le dictionnaire, la définition en langage criminel de « barbecue » n’existe pas. S’il fallait l’inventer, elle stipulerait : « n.m. Homicide par balle suivi de l’incendie du corps de la victime dans un véhicule ». Si quelques cas ont été recensés à Grenoble, Lyon et Paris, ils restent anecdotiques par rapport à ceux répertoriés dans la cité phocéenne, et notamment dans ses quartiers Nord. Cette méthode est née à Marseille dans les années 90, lieu de ma première affectation en tant que jeune légiste.
— Où voulez-vous en venir ? Vous m’inquiétez Léon…
— On brûle parce que, malheureusement c’est efficace, avant on jetait les corps dans des ravins ou dans des points d’eau, aujourd’hui, face à l’amélioration des techniques de la police judiciaire, on les fait brûler pour faire disparaître les preuves. Cette méthode ralentit en effet l’identification et rend plus difficiles les investigations. L’identification de la victime nécessite, dans ces cas-là, au minimum un relevé dentaire, ce qui est complexe, prend du temps et est loin d’être sûr à 100 %. Le barbecue sert également de méthode de dissuasion. Le voyou montre ainsi au clan adverse sa cruauté et sa puissance.
— Léon, ne me dites pas que…
— Eh ben si ! Réfléchissez, on a un couple de cadavres sur les bras dont on ne sait que faire, et un autre couple, bien vivant grâce au ciel, mais que tout le monde voudrait voir morts parce qu’ils savent trop de choses compromettantes.
— Vous voulez dire qu’on fait brûler nos deux cadavres dans la Peugeot grise, par exemple, en les faisant passer pour Theseim et Kevin.
— Exactement, il y a un peu de bricolage, mais c’est faisable. D’autre part, Theseim et Kevin étant déclarés morts, les opérations de recherche seront annulées, après ce n’est plus qu’une affaire de faux papiers…
— Mais et les analyses ADN ?
— Si on utilise un bon accélérant, il ne restera plus rien ou presque… guère plus qu’un tas de cendres.

Cami était horrifié. Léon continuait son exposé.

— Quand le corps est trop calciné, il est impossible d’extraire de l’ADN cellulaire. Les experts tentent alors l’extraction d’ADN mitochondrial, ce qui nécessite des techniques beaucoup plus complexes. Dans des cas extrêmes, où le degré de calcination du corps est trop élevé pour réaliser une identification, et ça sera notre cas, en dernier recours, on procède à une analyse dentaire, et c’est là qu’on a de la chance ! Léon tape de son poing droit dans la paume de sa main gauche.
— De la chance !!??
— Ben oui…

Il y a à peu près 24 heures, dès que les deux cadavres avaient été installés, au sous-sol, sur les grands plateaux en inox, Léon leur avait examiné la dentition. Une vieille habitude, il commençait toujours par là. Ces deux-là avaient une dentition parfaitement saine, pas de manque, pas de déformations caractéristiques, pas d’appareils, évidemment, et la blancheur Colgate.

Un peu plus tard, quand l’idée de la substitution lui était venue, Léon avait demandé à Theseim et Kevin de se livrer à un examen dentaire auquel ils se soumirent sans discuter.

Très belle dentition également, sauf qu’il manquait une molaire à Théseim, arrachée à cause d’une carie causée par l’excès de sucre et que Kevin avait un bridge à la place des deux incisives de devant en haut, cassées lors d’un match de rugby.

La manip’ était simple : Arracher la molaire correspondante à Valérie, puis remplacer les deux incisives du mec par le bridge de Kevin.

Cami avait donné son accord malgré les risques, et décidé de ne pas prévenir le général pour ne pas risquer d’essuyer un refus catégorique.

Le soir même, ou plutôt au milieu de la nuit, ils avaient pris l’autoroute à Verdun, direction Metz. Pour brouiller les pistes, Cami avait décidé de localiser le brûlot sur le parking du restaurant turc par lequel Theseim était rentrée en France, « Le Palais de l’Orient ». En moins d’une demi-heure, Léon avait résolu le problème des dents, puis avait enroulé les corps dans plusieurs couches de film alimentaire.

Pour l’heure, calés par des bidons d’essence, les colis funèbres étaient entassés sur le siège arrière de la Peugeot grise conduite par Léon. Kevin et Mario avaient loué une petite Toyota passe-partout et avaient suivi Léon à distance jusqu’au restaurant.

Ils s’étaient garés discrètement dans une petite rue débouchant sur le grand parking désert et ils pouvaient voir Léon s’activer à l’intérieur de la Peugeot. Probablement était-il en train de vider ses bidons d’essence, avant de régler le retardateur, bricolé par Mario, sur six minutes. Peu de temps après, il était assis dans la Toyota. Sa présence sur le parking était passée totalement inaperçue.

— T’es sûr d’avoir bien armé le déclencheur ? avait demandé Mario.
— Certain !
— Ben alors pourquoi ça ne….

WLAOUFF ! Le véhicule avait sursauté d’au moins cinquante centimètres et, en quelques secondes, les flammes faisaient dix mètres de haut. Le feu grondait comme un monstre, générant des ombres grandes comme des géants et illuminant de ses lueurs changeantes tous les environs.

 

Les pompiers étaient arrivés vingt minutes plus tard.

Devant la chaleur du brasier, ils se contentèrent d’écarter les badauds, de mettre en place et de maintenir un périmètre de sécurité, puis de laisser l’incendie s’éteindre tout seul.

Presque personne ne remarqua la petite Toyota s’éloigner discrètement tous feux éteints.

 

7 h 30, le prof continue de jouer avec le chien, et ça agace voluptueusement Cami qui fume clope sur clope en faisant les cent pas sur la terrasse. Dix minutes plus tard, la Toyota passe en silence le portail du domaine.

— Ça s’est bien passé ?
— Comme sur des roulettes…
— Alors, retournons nous coucher.

 

 

 

 

 

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Banlieue de Metz sur la N233 en direction de Borny.

La 404 coupé rouge, carrossée par Pininfarina, tapait sans forcer son 130 km/h. Le moteur à injection Kugelfisher de deux cents chevaux ronronnait comme un fauve endormi, maintenant avec peine sa réserve de puissance. L’échappement bricolé produisait un bruit tonitruant que n’aurait pas renié Sébastien Loeb, et la barre antiroulis posée à l’avant faisait des merveilles dans les ronds-points des échangeurs au détriment des pneus Michelin à flancs blancs d’époque.

— Sans vouloir vous vexer, commissaire, comment vous faites pour conduire une caisse qui a encore les vitesses au volant ?

Lapointe, surnommé Le Pointu, leva les bras au ciel en signe de désolation.

— Ta gueule, Mach, tu peux pas comprendre ! Contrairement à moi, cette voiture a une âme…

 

Le lieutenant Didier Machu se regardait sans vergogne dans le miroir de courtoisie du pare-soleil. Il s’aimait bien et mima un baiser en direction de son reflet. Taille moyenne, très mince, mais musclé, yeux dorés en accord avec des cheveux de feu coupés court, son allure androgyne contrastait avec le holster où un révolver Desert Eagle 44 magnum, à ce jour l’arme de poing la plus puissante au monde produite par Israel Military Industries, et ses chargeurs, voisinaient avec une paire de menottes.

Une demi-heure plus tôt, son téléphone avait vibré sur la table de nuit. Il s’y attendait, Le Pointu avait besoin de lui, un samedi matin à sept heures ! Pas de vie privée pour les flics, fussent-ils nouvellement affectés à l’antenne de police judiciaire de Metz. Didier Machu se tortillait sur le siège marron, vieux cuir craquelé, en se grattant la tête.

— Oui, mais commissaire, y a même pas de ceintures ! Si les Cruchots nous arrêtent…
— Arrête de m’appeler commissaire ! Lapointe… juste Lapointe…
— Oui, mais quand même, c’est pas sérieux chef…
— Tu fais chier Mach ! C’était la voiture de ma femme…

Didier Machu était au courant du drame. Trois ans plus tôt, Lapointe, alors commandant, avait perdu son épouse et son fils dans un tragique accident. Depuis, il était devenu une légende urbaine sans pitié, aux tendances suicidaires, méprisant la hiérarchie et le règlement. Tout le monde faisait dans son froc en sa présence, sauf le jeune lieutenant homo, qu’il avait pris sous son aile comme un fils de remplacement.

 

Lapointe avait rencontré Didier Machu dans le cadre d’une enquête avec les stups, quinze jours après l’accident, à Besançon, au fond d’un squat insalubre, nu, ivre de crack, vautré sur un matelas immonde, le sol jonché de préservatifs usagés.

— 100 Euros la demi-heure, 150 l’heure, furent ses seules paroles.

Allez savoir pourquoi, le commissaire, la tête vide de tout sentiment, mais remplie de colère, avait été ému par le jeune garçon. Il l’avait enroulé dans une couverture douteuse et l’avait porté dans sa voiture, puis ramené chez lui. Dans la foulée il avait demandé un congé exceptionnel que ses chefs, étonnés, mais poussés par la peur de la bavure, s’étaient empressés de lui accorder.

 

 

Il l’avait désintoxiqué, entraîné, remusclé et préparé intensivement à une autre vie en l’inscrivant, deux ans plus tard, à l’école nationale supérieure des officiers de police de Cannes-Ecluse où il s’était très bien comporté. Depuis, ils travaillaient ensemble en binôme.

Leur dernière enquête dans le Jura avait fait un peu trop de bruit et l’équipe avait été mutée à Metz, où ils officiaient depuis trois semaines.

 

— C’est encore loin le Palais de l’Orient ?
— Cinq kilomètres, encore dix minutes.
— Vous connaissez ?
— Pas plus que ça… j’suis venu y dîner y a pas longtemps… J’aime bien la bouffe turque…
— Et cette fois-ci, pourquoi vient-on là ?
— À ton avis ?
— Un macchabée ?
— Non, deux… un barbecue…
— Ah merde, bonjour le spectacle !

 

Une mince colonne de fumée noire leur indiqua le lieu du drame. Le cordon de sécurité mis en place par les pompiers était toujours là et des voyeurs, que les policiers municipaux tentaient mollement de repousser, se tortillaient sur la pointe des pieds pour tenter d’apercevoir les cadavres calcinés, tant il est vrai que le spectacle de la mort d’autrui a quelque chose d’étrangement fascinant.

Laissant la voiture à une trentaine de mètres, ils s’approchèrent à pied. Le substitut du procureur, à qui ils avaient déjà été présentés lors de leur prise de fonction, discutait avec le chef des pompiers.

— Mais on n’a pas arrosé pour ne pas bousiller d’indices !
— Oui, eh bien, vous avez fait une belle connerie !
— Monsieur le procureur, je…
— Non, pas d’excuses ! Comment on va faire maintenant que la combustion est complète ? Hein ? D’ailleurs, je vais le signaler dans mon rapport ! Je ne tiens pas à endosser votre incompétence !

Vive l’ambiance, ça commençait bien !

— Monsieur le procureur ?
— Oui ?
— Commissaire Lapointe, lieutenant Machu.
— Ah, il ne manquait plus que vous !
— Notre réputation nous aurait-elle précédés ?

Pas de réponse. Le substitut les détaillait du regard de bas en haut et inversement, puis il fixa intensément le jeune lieutenant.

— Lapointe, vous aimez le café turc ?

Soupir du commissaire, en plus, ce connard était radin.

— Mach, va nous chercher un thermos de café bien fort au resto, s’il te plaît.
— Oui, chef, Machu s’éloigna.
— On attend quoi, monsieur le procureur ?
— L’identité judiciaire et le légiste.

 

Trois heures plus tard, les cosmonautes de l’IJ remballaient leur matériel. Pas de schéma à la craie, pas de petits drapeaux jaunes, pas d’arme, pas de sang, pas de petits sacs en plastique avec des trucs bizarres dedans. Le sol bitumé du parking était aussi propre que si on y avait passé la serpillière.

La voiture n’était plus qu’une coquille vide posée sur des jantes sans pneu. À l’intérieur, tout ce qui pouvait brûler avait disparu. Le légiste, aidé par les mecs de l’identité judiciaire, avait, non sans mal, réussi à faire la levée des corps superposés en les disposant avec mille précautions sur une planche.

Avant de repartir au deuxième étage du bâtiment 49, de l’hôpital d’instruction des armées Legouest, à l’unité de consultations médico-judiciaire, le légiste avait pris le temps de leur expliquer son boulot sur ce genre de coup.

La recherche de la moindre lésion pouvant faire suspecter des violences est indispensable dès l’examen du corps sur les lieux de découverte, cet examen pouvant être limité du fait de l’état de dégradation du corps. L’appréciation des phénomènes cadavériques est peu fiable, car la rigidité n’est plus interprétable du fait de la rétraction cutanée, la putréfaction est retardée par la « cuisson ». Dans ce contexte, le légiste devra systématiquement répondre aux questions suivantes : s’agit-il de corps humains ? Peut-on identifier les victimes ? Les victimes étaient-elles vivantes lors de l’incendie ? Y a-t-il des traces de violence ante mortem ? Quelle est la cause du décès ?

L’autopsie doit être nécessairement précédée d’un examen radiographique du corps pour la recherche de blessures par arme à feu et d’éléments d’identification, prothèses, etc.… La carbonisation aboutit à une réduction pugilistique des cadavres, la destruction quasi complète des corps nécessite une température très élevée alors que les dents résistent jusqu’à 400 °C, d’où l’importance de l’examen des caractéristiques odontologiques qui, souvent, permettent une identification de comparaison par rapport à un schéma dentaire connu.

— Okay, Doc… heu… et dans notre cas ? avait demandé Lapointe en se grattant le haut du crâne.
— Eh bien, que peut-on dire ? Les victimes sont bien des entités humaines non identifiables, même pas le sexe, elles étaient déjà décédées lors de l’incendie, et la cause de la mort semble être, dans les deux cas, des impacts par balle dans la boîte crânienne.
— Le coup classique, quoi ! Comme à Marseille…
— Exactement, sauf que là, la carbonisation est tellement forte, qu’il ne nous reste que les dents… vous aurez tout dans mon rapport d’ici quarante-huit heures.

Lapointe et Machu regardent le légiste s’éloigner.

— Ça vous paraît pas bizarre tout ça, chef ?
— Mmmm…
— J’ai une intuition étrange…
— Qu’est-ce qui te chipote, mon grand ?
— J’ai relevé le numéro de série de la caisse sur le châssis.
— Et alors ?
— Je ne sais pas trop comment l’exploiter…
— Dès que nous serons rentrés, va voir Dubreuil au deuxième sous-sol à côté des archives. C’est notre informaticien, il t’expliquera tout, il a un logiciel pour ça.

 

Le néon fatigué clignotait en émettant un grésillement qui agaçait les dents. Il donnait à la pièce étriquée qui sentait la moisissure, une allure de tanière lugubre et inquiétante. C’était d’ailleurs tout à fait ça, il suffisait de regarder Dubreuil pour s’en convaincre.

Hirsute, des lunettes probablement nettoyée avec une tranche de jambon, une écharpe en laine grisâtre bouffée aux mites, tricotée à la main cinquante ans plus tôt par une grand-mère énamourée, une blouse blanche raide de crasse, et, aux pieds, des charentaises avachies dont celle de droite laissait entrevoir un gros orteil à l’ongle couronné, l’informaticien, complètement vampirisé par ses écrans, passait de l’un à l’autre d’une démarche agitée et nerveuse.

Devant la demande du lieutenant Machu, il démarra un programme intitulé KeplerVO tout en expliquant à son jeune interlocuteur les mystères du code VIN, Vehicle Indentification Number.

L’identification par VIN est longtemps restée chasse gardée au sein de chaque marque et du réseau distribuant ladite marque. Elle est désormais disponible pour l’ensemble des professionnels du secteur automobile, atelier, négociants, concessions, et, bien sûr, les flics.

Composé de dix-sept