Cloche - Clotilde Bernos - E-Book

Cloche E-Book

Clotilde Bernos

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Beschreibung

Une fragile amitié entre une petite fille et une jeune clocharde, venue d'un pays lointain...

Dans la froideur d'un soir de novembre, Pome remarque dans la rue une jeune fille allongée à même le sol, cachée sous une couverture. Dès lors, elle ne pense qu'à une seule chose: l'aider à s'en sortir. Une fragile amitié entre une petite fille et une jeune clocharde, venue d'un pays lointain...

Découvrez en famille un roman jeunesse qui livre un récit permettant d'aborder des questions telles que celle de l'acceptation de l'autre, de l'amitié ou encore des inégalités sociales.

EXTRAIT

Elle a demandé tout doucement :
– Qu’est-ce qui se passe ? Tu te reconvertis dans la pâtisserie ?
J’ai repris encore plus doucement :
– Non. J’ai invité quelques copains, cet après-midi.
Elle a regardé à nouveau ma file de gâteaux avec insistance :
– Ce ne sont pas quelques copains, c’est tout le collège que tu as invité ! Tu aurais quand même pu me prévenir.
– Je voulais te faire une surprise.
Je jouais mon rôle à merveille. J’étais une menteuse finie, puisque maman a ajouté, sans un soupçon dans la voix :
– Tu ne peux donc jamais rien faire comme les autres !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Voici une belle histoire d'ados avec leurs drames, leurs colère, leurs désirs et leurs enthousiasmes, écrite sans aucune mièvrerie. - Le monde de l'éducation

À PROPOS DE L'AUTEUR

Clothilde Bernos - Installée dans le grenier, j'ai lu tous les vieux livres d'enfant de mon père. Plus tard, j'ai traversé l'océan à la voile et abordé des terres nouvelles. Pour longtemps. Même si je ne suis pas Christophe Colomb. De cet itinéraire zigzagant, j'ai rapporté mots et images dans un petit sac à dos. Maintenant j'écris, je dessine. J'accompagne aussi Ateliers d'écriture et d'illustration. Ainsi je navigue.

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Couverture

COLLECTION

ROMAN JEUNESSE

1. Un loup dans la vitre

Philippe de Boissy

2. Cloche

Clotilde Bernos

Copyright

Loi 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse

Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays

© ÉDITIONS DU JASMIN

Titre

I QUI ES-TU ?

Premier jour

Cloche, je ne l’ai pas vue tout de suite. J’ai même dû passer des milliers de fois devant elle sans la remarquer. Minuscule comme elle est !

C’est Philou le zouave qui, le premier, m’a signalé son existence. En vérité, il s’appelle Philippe Grandieu, mais comme il fait toujours l’imbécile, je lui ai inventé un autre nom. Ça l’énerve. Mais lui aussi m’énerve. On dirait qu’il n’a qu’un seul but dans la vie : se faire remarquer. Au début, j’étais toujours fourrée avec lui. Pour rire. Mais maintenant, je garde mes distances. Ce n’est pas toujours facile. Il faut ruser. Car Philou me suit à la trace. Il me répète tout le temps que quand il sera grand, à quinze ans, il me fera une déclaration. La première fois, je lui ai demandé :

– Une déclaration de quoi ?

Il m’a répondu :

– Une déclaration d’amour, idiote !

– Et pourquoi, idiote ? Dans la vie, il y a bien d’autres choses à déclarer que de l’amour. T’as même pas d’imagination ! Tu ne fais que répéter ce qu’il y a dans les livres minables !

Il n’a pas su quoi répondre, mais il s’est jeté à mes pieds, en déposant deux paquets de dix barres de chewing-gum à la fraise. Puis il a tourné autour de moi en faisant l’abeille. Vingt barres d’un coup !

J’ai pensé : trois ans, cela fait mille quatre-vingt-quinze jours, il peut s’en passer des choses. Philou aura bien le temps de changer d’avis d’ici là. Car, moi, les déclarations d’amour, ça m’ennuie. À la télévision, il y en a deux cents par jour. Au milieu de l’écran apparaît une fille blonde avec des yeux-papillon et une bouche-guimauve, puis, tout de suite après, attiré comme par un aimant, un garçon genre bien bâti. Ils se regardent avec des yeux de poules effrayées. Ils vont sûrement tomber raides dans la seconde qui suit. Mais non. Ils parlent, ils parlent… Ils disent rien ne pourra jamais briser notre amour, je n’aime que toi, il n’y a que notre amour qui compte… Toujours les mêmes salades.

À quoi ça ressemble l’amour ?

Alors quand Philou, ce zouave, me jure que dans trois ans il me fera une déclaration, j’en bâille à l’avance.

Heureusement, Phil a parfois des idées plus intéressantes. D’abord, il voit tout : une vraie paire de lunettes ambulantes. C’est lui le premier à avoir aperçu Cloche, quand on rentrait du collège par nos détours habituels. Peut-être même l’avait-il repérée depuis plusieurs jours. Il est passé devant elle en chantant :

Cloche-merle, Cloche-pied,

Cloche, Clochette,

fais-moi un pied de nez

ou bien un baiser.

Il a fait deux ou trois fois le même manège, en allant et venant sur le trottoir, puis il a déclaré d’un air dégoûté :

– Elle ne réagit même pas !

Et Philou aime provoquer des réactions. Pour voir.

Je me suis retournée vers celle qu’il appelait « Cloche ». Elle était là, recroquevillée sous une couverture, tête baissée, cheveux roux, immobile. Elle n’a même pas levé les yeux. Pas un regard. J’ai dit à Philou : « Tu n’es qu’un sans-cœur ! » et j’ai filé très vite au milieu des passants.

En montant les escaliers de mon immeuble, j’avais toujours dans les yeux l’image de Cloche, comme un gros tas de chiffons oublié sous un porche, avec cette tignasse rappelant qu’il y avait quelqu’un là-dessous, en chair et en os et en vrai. Je pensais aussi à Philou qui fait toujours l’intéressant, sans savoir. Ce qui lui manque, c’est la sensibilité. « Beaucoup d’imagination et de sensibilité », a écrit mademoiselle Tiang, mon professeur de français, en haut de ma dernière rédaction. J’ai bien vu qu’elle me faisait un immense compliment. Depuis, je me suis informée dans le dico. Sensibilité veut dire aptitude à éprouver de la pitié, de la tendresse, un sentiment esthétique.

Si je l’appelle « Cloche », c’est à cause de Philou, uniquement, et parce que je ne connais pas son vrai nom. Mais je suis archisûre que c’est une fille. Une jeune fille, peut-être ? En général, je me fie à ma première impression. Parole de moi, je ne me suis encore jamais trompée.

Le vieux monsieur du troisième m’a fait sursauter.

– On rêve, ma fille, a-t-il crié.

Il est un peu sourd. J’ai hurlé à mon tour :

– Bonjour, m’sieur Rossi.

Puis le silence est retombé dans la montée d’escalier. Monsieur Rossi marche à pas de fourmi avec des charentaises qu’il a coupées sur le dessus en raison de ses gros pieds enflés. Quand il marche, il ne fait pas de bruit. Plus je montais, plus je pensais à elle. Au quatrième étage, je l’imaginais abandonnée ; au cinquième, folle ; au sixième, traquée. Je suis sûre qu’elle n’a même pas de chaussures. Et moi qui en ai trois paires ! Pantoufles pour le côté aventurière, ballerines des grands jours – une horreur – et mes tennis adorées.

Un jour, à la fin d’une émission sur les clochards du métro, on a affiché en bas de l’écran l’adresse et le CCP d’une association humanitaire, pour ceux qui auraient le cœur chamboulé.

J’ai demandé à maman avec l’espoir fou d’en être définitivement débarrassée :

– Je pourrais envoyer ma paire qui ne sert presque jamais ?

À son hochement de tête, j’ai vu que mon idée n’aurait pas de suite. Chez elle, en tout cas.

Le sixième, c’est mon étage. « T’habites dans un grenier », me dit Philou quand il est fâché. Il croit me vexer, mais moi, je m’en moque. J’ai sonné.

– Bonjour, ma Pome, a dit maman, en me faisant des baisers pleins de parfum.

Pome, ce n’est pas comme « mon lapin » ou « ma puce ». Pome est mon nom. Avec un seul m. Quand à l’école ils m’appellent « pomme de terre » ou chantent en me regardant fixement :

Pomme de reinette et pomme d’api tapis, tapis brille,

pomme de reinette et pomme d’api tapis, tapis gris…

Je leur réponds de toute ma hauteur :

– Ça ne se peut pas, parce que je m’appelle Pome avec un seul m.

Ils sont nuls en orthographe, ceux de ma classe.

Dans le salon, mon cartable est tombé avec un floc de soulagement. Ils pèsent des tonnes, ces cartables. Et monter six étages avec, c’est l’Himalaya ! Ma sœur était vautrée au fond d’un fauteuil en train de regarder son feuilleton favori. Le mélo.

– Salut, Loula !

J’ai essayé de parler plus fort que le type qui débitait des fadaises sur l’écran. En vain. Ma sœur est restée muette. Je me suis activée comme les autres soirs : le goûter, trois tartines beurre-chocolat, mes devoirs, le bain, le petit câlin, les baisers qui n’en finissent pas avant d’aller se coucher. Personne n’aurait pu deviner que ma vie, malgré son air train-train, prenait ce jour-là un tournant.

Dans mon lit, impossible de m’endormir. Est-ce que Cloche serait encore là demain ? Jamais je n’oserais m’approcher, encore moins lui parler. Comment lui dire que la chanson, ce n’était pas de moi ? À force de m’emmêler dans les questions, j’ai eu une idée. Je pourrais d’abord lui faire un cadeau, comme ça, sans lui parler, sans trop la regarder. Juste pour lui montrer que jamais je n’aurais pensé à me moquer, que j’avais de la sensibilité…

Il me semblait qu’à la place de Cloche, dans le sale et le froid de novembre, même un grain de sable m’aurait fait plaisir. Pour le geste. Alors, je me suis creusé la tête. Les petits sous que j’avais dans ma tirelire ? C’était trop banal. Mes jolies moufles rouges et vertes ? Elles seraient sans doute trop petites. Et là, j’ai eu l’idée de ma vie. Une orange. Une grosse orange. Elle mettrait un rayon de soleil sur la couverture marron de la solitude. C’est avec mon idée d’orange que je me suis endormie, presque contente.

Deuxième jour

Je trouve que la peur et la joie ont le même goût. En me réveillant, ce matin-là, j’ai cru que mon cœur allait exploser de peur et de joie, comme si je m’apprêtais à partir pour une expédition sans retour. J’ai dû m’habiller de travers car Loula, qui d’ordinaire ne daigne même pas me regarder, m’a dit avec cet air doucereux que je déteste :

– T’en as une dégaine ce matin !

J’ai remis un peu d’ordre à l’ensemble, mais je ne pensais qu’à Cloche. Je me disais : « Pourvu qu’elle soit là ». J’y pensais tellement fort que je l’aurais attirée du bout du monde rien que par la pensée. Il y a des gens qui arrivent à plier des fourchettes en deux, uniquement en les regardant. J’ai vu ça dans un film. Et l’hypnose ? Arriver à faire tout ce que l’on veut de quelqu’un, avec un regard bien appuyé. C’est fou.

Un soir avec Loula, j’ai essayé. C’est plutôt Loula qui a essayé avec moi. Elle était l’hypnotiseur, et moi, l’hypnotisée. On a mis une lumière tamisée, pour l’ambiance. Je me tenais raide devant Loula, avec la peur et la joie au cœur, comme ce matin. Ma sœur s’est mise à me regarder avec des yeux terribles. Tout en étendant les bras par vagues, elle murmurait :

– À dix, tu seras dans une île sous les cocotiers.

Je dois dire que j’ai eu, à ce moment-là, plus de peur que de joie. Et si elle décidait de ne pas me faire revenir de mon île ? Uniquement pour se venger du stylo six couleurs que je lui avais piqué et du coup de pied dans le tibia de la semaine dernière et…

– Un… deux…

– Tu me feras revenir, dis ?

Mais Loula, imperturbable, continuait son compte à rebours à l’envers :

– Trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf…, dix…

Toujours pas de cocotiers en vue.

– C’est parce que tu ne te concentres pas, a dit Loula. Je continue jusqu’à cinquante.

Alors j’ai fermé les yeux et j’ai pensé très fort à une plage toute blanche et à la mer turquoise comme sur l’affiche de l’agence de voyages à deux pas de chez nous. J’entendais presque la musique douce et les chants lointains qui bercent ce genre de paradis, quand Loula a claironné « trente ! », le « trente » de quelqu’un qui est sûr d’être arrivé au bout de ses peines. J’ai ouvert brusquement les yeux.

– Toujours pas d’île, avec ou sans cocotiers…

– T’es nulle, a crié Loula, furieuse.

– C’est toi qui n’as pas de dons… Et puis tu triches. Trente, c’est pas cinquante !

Nous en sommes restées là. Mais de trente à cinquante, il aurait pu s’en passer des choses ! Je suis sûre qu’il y a dans l’air des courants invisibles, des ondes qui traversent les murs et les montagnes, comme un téléphone sans voix. Loula et moi ne vivons pas sur la même planète. Il nous faudrait beaucoup plus de temps qu’à ceux du film pour se mettre sur la même longueur d’onde et nous hypnotiser. Loula aurait dû compter jusqu’à mille, voire cinq mille… Qui sait ?

Avec Cloche, c’est différent. Sans l’avoir vraiment vue, cachée comme elle était sous sa couverture, elle tient déjà dans ma tête une place énorme. Je crois qu’elle est beaucoup plus forte que Loula. Pour l’hypnose.

J’ai choisi la plus grosse orange dans la corbeille de fruits et je l’ai lavée énergiquement avec du savon pour qu’elle brille.

– Tu astiques les oranges, maintenant ? m’a demandé maman.

J’ai souri sans rien dire. Cette attitude-là m’a souvent aidée à éviter les situations délicates. J’ai descendu l’escalier comme un toboggan, déboulé dans les rues en vitesse de pointe.

Elle était là !

Mais, cette fois-ci, complètement allongée sous sa couverture. Plus une seule mèche de ses cheveux ne dépassait, seulement un godillot percé, sans lacets, ouvert sur un pied nu. Comme un papier cadeau déchiré autour d’un objet précieux. Car ce pied, tout crasseux, tout croûteux, était bien un pied de fille, un pied de Cendrillon qui attend sa pantoufle de vair. Comme quoi, Philou est bien renseigné ! Plus tard, il devrait être détective. Toujours à flairer, fouiner, mettre son nez partout.

J’en étais là de mes réflexions, quand la couverture a bougé. D’abord très doucement : un frisson. Puis le mouvement est devenu ample et Cloche est sortie de sa carapace, comme un escargot de sa coquille. Juste la tête et le cou. Son visage était terne, presque gris, avec des yeux très clairs, couleur de sable. Elle avait des cheveux vieux-roux, comme des cheveux teints de vieille dame. Son regard était fixe, égaré. Elle semblait complètement perdue ; si laide, si pitoyable. Je suis restée plantée devant elle à la regarder comme une bête et puis, très vite, je m’en suis voulu. L’orange, surtout ne pas oublier l’orange !

Je l’ai posée sur la couverture, comme prévu. J’ai trouvé mon geste idiot, et mon idée, plus du tout lumineuse. On imagine une histoire et c’est toujours une autre qui arrive. Maintenant, mon orange avait l’air ridicule ; et Cloche, si loin dans sa misère. J’étais déçue, consternée même. Pas parce qu’elle était laide, non, car je m’y attendais et ce n’est pas très important. Non, c’est l’air qu’elle avait, cet air de vide qui me faisait peur.

Pourtant, quand je me suis baissée pour lui donner mon cadeau, elle a souri. Je ne sais pas si c’était à moi. J’ai juste eu le temps de voir qu’il lui manquait une dent, là, au milieu.

*

J’ai dit à Philou, à cause d’hier :

– J’te parle plus, t’es un âne !

– Madame fait la fiérote au grand cœur. Fiérote, chochotte…

Du tac au tac, j’ai répondu :

Pipo, l’asticot,

Barjot, l’cachalot,

Gros nigaud,

Noix de coco,

Triple idiot.

Et je lui ai flanqué mon cartable dans les reins.

Il a aussitôt répliqué en me donnant un coup de pied dans les mollets. Avec tous les minus de la classe, toujours prêts à faire du bruit, il a repris à tue-tête :

Fiérote, chochotte

tricote, cocotte

petite crotte…

J’ai crié bien fort :

– Pour les déclarations d’amour, t’as encore du chemin à faire. Avec la clocharde, tu chantais tout seul ton refrain en faisant le malin. Avec les malheureux, tu te crois le plus fort. Mais avec moi, tu prends du renfort. T’es qu’un peureux, un pauvre trouillard !