Code des gens honnêtes ou L’art de ne pas être dupe des fripons - Honoré de Balzac - E-Book

Code des gens honnêtes ou L’art de ne pas être dupe des fripons E-Book

Honore de Balzac

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Beschreibung

Ce document, écrit par Balzac à un moment où il avait du mal à vendre ses romans, se présente comme un mode d'emploi contre le vol et la tromperie. Il est indéniable qu'il s'agit d'un livre de circonstance, dans un genre à la mode à ce moment là. Mais, cela reste du Balzac...

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Code des gens honnêtes ou L’art de ne pas être dupe des fripons

Honoré de Balzac

Publication: 1825Catégorie(s): Non-Fiction
A Propos Balzac:

Honoré de Balzac (May 20, 1799 – August 18, 1850), born Honoré Balzac, was a nineteenth-century French novelist and playwright. His work, much of which is a sequence (or Roman-fleuve) of almost 100 novels and plays collectively entitled La Comédie humaine, is a broad, often satirical panorama of French society, particularly the petite bourgeoisie, in the years after the fall of Napoléon Bonaparte in 1815—namely the period of the Restoration (1815–1830) and the July Monarchy (1830–1848). Along with Gustave Flaubert (whose work he influenced), Balzac is generally regarded as a founding father of realism in European literature. Balzac's novels, most of which are farcical comedies, feature a large cast of well-defined characters, and descriptions in exquisite detail of the scene of action. He also presented particular characters in different novels repeatedly, sometimes as main protagonists and sometimes in the background, in order to create the effect of a consistent 'real' world across his novelistic output. He is the pioneer of this style. 

AVANT-PROPOS

 L’argent, par le temps qui court, donne le plaisir, la considération, les amis, les succès, les talents, l’esprit même ; ce doux métal doit donc être l’objet constant de l’amour et de la sollicitude des mortels de tout âge, de toute condition, depuis les rois jusqu’aux grisettes, depuis les propriétaires jusqu’aux émigrés.

Mais cet argent, source de tous les plaisirs, origine de toutes les gloires, est aussi le but de toutes les tentatives.

La vie peut être considérée comme un combat perpétuel entre les riches et les pauvres. Les uns sont retranchés dans une place forte à murs d’airain, pleine de munitions ; les autres tournent, virent, sautent, attaquent, rongent les murailles ; et malgré les ouvrages à cornes que l’on bâtit, en dépit des portes, des fossés, des batteries, il est rare que les assiégeants, ces cosaques de l’État social, n’emportent pas quelques avantages.

L’argent prélevé par ces forbans policés est perdu sans retour ; et ce serait un parti précieux que celui de se mettre en garde contre leurs vives et adroites attaques. C’est vers ce but que nous avons dirigé tous nos efforts ; et nous avons tenté, dans l’intérêt des gens honnêtes, d’éclairer les manœuvres de ces Protées insaisissables.

L’homme honnête, à qui nous dédions notre livre, est celui-ci:

Un homme jeune encore, aimant les plaisirs, riche ou gagnant de l’argent avec facilité par une industrie légitime, d’une probité sévère, soit qu’elle agisse politiquement, en famille ou au-dehors, gai, spirituel, franc, simple, noble, généreux.

C’est à lui que nous nous adressons, voulant lui épargner tout l’argent qu’il pourrait abandonner à la subtilité et à l’adresse, sans se croire victime d’un vol.

Notre ouvrage aura le défaut de faire voir la nature humaine sous un aspect triste. Eh quoi ! dira-t-on, faut-il se défier de tout le monde ? N’y a-t-il plus d’honnêtes gens ? Craindrons-nous nos amis, nos parents ? Oui ! craignez tout ; mais ne laissez jamais paraître votre méfiance. Imitez le chat ; soyez doux, caressant ; mais voyez avec soin s’il y a quelque issue ; et souvenez-vous qu’il n’est pas donné aux gens honnêtes de tomber toujours sur leurs pieds. Ayez l’œil au guet : sachez enfin rendre tour à tour votre esprit doux comme le velours, inflexible comme l’acier.

Ces précautions sont inutiles, nous dira-t-on.

Nous savons fort bien que de nos jours on n’assassine plus le soir dans les rues, qu’on ne vole pas aussi fréquemment qu’autrefois, qu’on respecte les montres, qu’on a des égards pour les bourses et des procédés pour les mouchoirs. Nous savons aussi tous les ans ce que coûtent les gendarmes, la police, etc.

Les Pourceaugnac, les Danières sont des êtres purement d’invention ; ils n’ont plus leurs modèles. Sbrigani, Crispin, Cartouche sont des idéalités. Il n’y a plus de provinciaux à berner, de tuteurs à tromper : notre siècle a une tout autre allure, une bien plus gracieuse physionomie.

Le moindre jeune homme est à vingt ans rusé comme un vieux juge d’instruction. On sait ce que vaut l’or. Paris est aéré, ses rues sont larges ; on n’emporte plus d’argent dans les foules. Ce n’est plus le vieux Paris sans mœurs, sans lumières : il n’y a guère de lanternes, il est vrai : mais les gendarmes, les espions sont de bien autres éclaireurs.

Rendons pleine justice aux lois nouvelles : en ne prodiguant pas la peine capitale, elles ont forcé le criminel à attacher de l’importance à la vie. Les voleurs, en voyant les moyens de s’enrichir par des tours d’adresse sans risquer leur tête, ont préféré l’escroquerie au meurtre, et tout s’est perfectionné.

Autrefois on vous demandait brusquement la bourse ou la vie ; aujourd’hui on ne songe ni à l’une ni à l’autre. Les gens honnêtes avaient des assassins à craindre ; aujourd’hui ils n’ont pour ennemis que des prestidigitateurs. C’est l’esprit que l’on aiguise et non plus les poignards. La seule occupation doit donc être de défendre ses écus contre les pièges dont on les environne. L’attaque et la défense se trouvent également stimulées par le besoin. C’est une question budgétaire, un combat entre l’homme honnête qui dîne et l’honnête homme qui jeûne.

L’élégance de nos manières, le fini de nos usages, le vernis de notre politesse se reflètent sur tout ce qui nous environne. Le jour où l’on a fabriqué de beaux tapis, de riches porcelaines, des meubles de prix, des armes magnifiques, les voleurs, la classe la plus intelligente de la société, ont senti qu’il fallait se placer à la hauteur des circonstances : vite ils ont pris le tilbury comme l’agent de change, le cabriolet comme le notaire, le coupé comme le banquier.

Alors les moyens d’acquérir le bien d’autrui sont devenus si multipliés, ils se sont enveloppés sous des formes si gracieuses, tant de gens les ont pratiqués, qu’il a été impossible de les prévoir, de les classer dans nos codes, enfin le Parisien, oui, le Parisien lui-même, a été un des premiers trompé.

Si le Parisien, cet être d’un goût si exquis, d’une prévoyance si rare, d’un égoïsme si délicat, d’un esprit si fin, d’une perception si déliée, se laisse journellement prendre dans ces lacets si bien tendus, l’on conviendra que les étrangers, les insouciants, les niais et les gens honnêtes doivent s’empresser de consulter un manuel où l’on espère avoir signalé tous les pièges.

Pour beaucoup de gens, le cœur humain est un pays perdu; ils ne connaissent pas les hommes, leurs sentiments, leurs manières ; ils n’ont pas étudié cette diversité de langage que parlent les yeux, la démarche, les gestes. Que ce livre leur serve de carte ; et comme les Anglais, qui ne se hasardent pas dans Paris sans un Pocket Book, que les gens honnêtes consultent ce guide, sûrs d’y trouver les avis bienveillants d’un ami expérimenté.

CONSIDÉRATIONS – morales, politiques, littéraires, philosophiques, législatives, religieuses et budgétaires sur la Compagnie des Voleurs

Les voleurs forment une classe spéciale de la société : ils contribuent au mouvement de l’ordre social ; ils sont l’huile des rouages, semblables à l’air ils se glissent partout ; les voleurs sont une nation à part, au milieu de la nation.

On ne les a pas encore considérés avec sang-froid, impartialité. Et en effet, qui s’occupe d’eux ? Les juges, les procureurs du roi, les espions, la maréchaussée et les victimes de leurs vols.

Le juge voit, dans un voleur, le criminel par excellence qui érige en science l’état d’hostilité envers les lois ; il le punit. Le magistrat le traduit et l’accuse : tous deux l’ont en horreur, cela est juste.

Les gens de police et la maréchaussée sont aussi les ennemis directs des voleurs, et ne peuvent les voir qu’avec passion.

Les gens honnêtes enfin, ceux qui sont volés, n’ont guère l’envie de prendre le parti des voleurs.

Nous avons cru nécessaire, avant de tenter de dévoiler les ruses des voleurs privilégiés comme non privilégiés de toutes les classes, de nous livrer à des considérations impartiales sur les voleurs ; nous seuls, peut-être, pouvions les examiner sous toutes leurs faces avec sang-froid ; et certes, on ne nous accusera pas de vouloir les défendre, nous qui leur coupons les vivres, et signalons toutes leurs opérations, en élevant dans ce livre un phare qui les domine.

Un voleur est un homme rare ; la nature l’a conçu en enfant gâté ; elle a rassemblé sur lui toutes sortes de perfections : un sang-froid imperturbable, une audace à toute épreuve, l’art de saisir l’occasion, si rapide et si lente, la prestesse, le courage, une bonne constitution, des yeux perçants, des mains agiles, une physionomie heureuse et mobile, tous ces avantages ne sont rien pour le voleur, et forment cependant déjà la somme de talents d’un Annibal, d’un Catilina, d’un Marius, d’un César.

Ne faut-il pas, de plus, que le voleur connaisse les hommes, leur caractère, leurs passions ; qu’il mente avec adresse, prévoie les événements, juge l’avenir, possède un esprit fin, rapide ; ait la conception vive, d’heureuses saillies, soit bon comédien, bon mime ; puisse saisir le ton et les manières des classes diverses de la société ; singer le commis, le banquier, le général, connaître leurs habitudes, et revêtir au besoin la toge du préfet de police ou la culotte jaune du gendarme ; enfin, chose difficile, inouïe, avantage qui donne la célébrité aux Homère, aux Aristote, à l’auteur tragique, au poète comique, ne lui faut-il pas l’imagination, la brillante imagination ? Ne doit-il pas inventer perpétuellement des ressorts nouveaux ? Pour lui, être sifflé, c’est aller aux galères.

Mais, si l’on vient à songer avec quelle tendre amitié, avec quelle paternelle sollicitude, chacun garde ce que cherche le voleur, l’argent, cet autre Protée ; si l’on voit de sang-froid, comme nous le couvons, serrons, garantissons, dissimulons ; on conviendra au moins que s’il employait au bien les exquises perfections dont il fait ses complices, le voleur serait un être extraordinaire, et qu’il n’a tenu qu’à un fil qu’il devînt un grand homme.

Quel est donc cet obstacle ? Ne serait-ce pas que ces gens-là, sentant en eux une grande supériorité, ayant aussi un penchant extrême à l’indolence, effet ordinaire des talents ; se trouvant d’ailleurs dans la misère, mais conservant une audace effrénée dans les désirs, attribut de génie ; nourrissant des haines fortes contre la société qui méprise leur pauvreté ; ne sachant pas se contenir par suite de leur force de caractère ; et secouant toutes les chaînes et tous les devoirs ; voient dans le vol un moyen prompt d’acquérir. Entre l’objet désiré avec ardeur et la possession, ils n’aperçoivent plus rien, et se plongent avec délices dans le mal, s’y établissent, s’y cantonnent, s’y habituent, et se font des idées fortes, mais bizarres, des conséquences de l’état social.

Mais que l’on réfléchisse aux événements qui conduisent un homme à cette profession difficile, où tout est ou gain ou péril ; où, semblable au pacha qui commande les armées de sa hautesse, le voleur doit vaincre ou recevoir le cordon ; de plus hautes pensées naîtront peut-être au cœur des politiques et des moralistes.

Lorsque les barrières dont les lois entourent le bien d’autrui sont franchies, il faut reconnaître un invincible besoin, une fatalité ; car enfin la société ne donne même pas du pain à tous ceux qui ont faim ; et, quand ils n’ont aucun moyen d’en gagner, que voulez-vous qu’ils fassent ? Mais, bien plus, le jour où la masse des malheureux sera plus forte que la masse des riches, l’état social sera tout autrement établi ; et en ce moment l’Angleterre est menacée d’une révolution de ce genre.

La taxe pour les pauvres deviendra exorbitante en Angleterre ; et, le jour où, sur trente millions d’hommes, il y en a vingt qui meurent de faim, les culottes de peau jaune, les canons et les chevaux n’y peuvent plus rien. À Rome il y eut une semblable crise ; les sénateurs firent tuer les Gracchus ; mais vinrent bientôt Marius et Sylla, qui cautérisèrent la plaie en décimant la république.

Nous ne parlerons pas du voleur par goût, dont le docteur Gall a prouvé le malheur, en montrant que son vice est le résultat de son organisation : cette prédestination serait par trop embarrassante, et nous ne voulons pas conclure en faveur du vol, nous voulons seulement exciter la pitié et la prévoyance publiques.

En effet, reconnaissons au moins dans l’homme social une sorte d’horreur pour le vol, et, dans cette hypothèse, admettons de longs combats, un besoin cruel, de progressifs remords, avant que la conscience n’éteigne sa voix ; et, si le combat a eu lieu, que de désirs contraints, que d’affreuses nécessités, quelles peines n’aperçoit-on pas entre l’innocence et le vol !

La plupart des voleurs ne manquent pas d’esprit, d’éducation ; ils ont failli par degrés, sont tombés, par suite de malheurs oubliés du monde, de leur splendeur à leur misère, en conservant leurs habitudes et leurs besoins. Des valets intelligents vivent sans fortune en présence des richesses, tandis que d’autres se laissent dominer par les passions, le jeu, l’amour, et succombent au désir d’acquérir l’aisance pour toute la vie, et cela d’un seul coup, en un moment.

La foule voit un homme sur un banc, le voit criminel, l’a en horreur, et cependant un prêtre, en examinant l’âme, y voit souvent naître le repentir. Quel grand sujet de réflexions ! La religion chrétienne est sublime quand, loin de se détourner avec horreur, elle tend son sein et pleure avec le criminel.

Un jour, un bon prêtre fut appelé pour confesser un voleur prêt à marcher au supplice : c’était en France, au temps où l’on pendait pour un écu volé, et la scène avait lieu dans la prison d’Angers.

Le pauvre prêtre entre, voit un homme résigné, il l’écoute. Il était père de famille, sans profession ; il avait volé pour nourrir ses enfants, pour parer sa femme qu’il aimait, il regrettait la vie, toute pénible qu’elle fût pour lui. Il supplie le prêtre de le sauver. Les croisées étaient basses, le criminel s’échappe, et l’ecclésiastique sort brusquement.

Sept ans après le prêtre voyageait ; il arrive le soir à un village, dans le fond du Bourbonnais ; il demande l’hospitalité à la porte d’une ferme.

Sur le banc étaient le fermier, sa femme et ses enfants ; ils jouaient, et le bonheur respirait dans leurs jeux. Le mari fit entrer le prêtre, et le pria, après souper, de faire, ce soir-là, la prière habituelle. Le prêtre remarque une piété vraie ; tout annonçait l’aisance et le travail.

Bientôt le fermier entra dans la chambre destinée à l’étranger, et se jeta à ses genoux en fondant en larmes. Le prêtre reconnaît le voleur qu’il sauva jadis ; le fermier lui apportait la somme volée, le priant de la remettre à ceux auxquels elle fut dérobée : il était heureux que le hasard lui permît de recevoir son bienfaiteur. Le lendemain il y eut une fête dans le secret de laquelle étaient seulement le mari, la femme et le bon prêtre.

Ceci n’est guère qu’une exception. Les voleurs ont existé de tous temps : ils existeront toujours. Ils sont un produit nécessaire d’une société constituée. En effet, à toutes les époques, les hommes ont été vivement épris de la fortune. On dit toujours : « Actuellement l’argent est tout, celui qui a de l’argent est maître de tout. » Ah ! gardez-vous de répéter ces phrases banales, vous auriez l’air d’un niais. Celui qui a estropié Juvénal, Horace et les auteurs de toutes les nations, doit savoir que, de tous temps, l’argent a été chéri et recherché avec une ardeur égale. Or, chacun cherche en soi-même un moyen de faire une fortune brillante et rapide, parce que chacun sait qu’une fois acquise, personne ne s’en plaindra ; or, ce moyen, c’est le vol, et le vol est commun.

Un marchand qui gagne cent pour cent vole ; un munitionnaire qui nourrit trente mille hommes, à dix centimes par jour, compte les absents, gâte les farines, y mélange du son, donne de mauvaises denrées, il vole ; un autre brûle un testament ; celui-là embrouille les comptes d’une tutelle ; celui-ci invente une tontine : il y a mille moyens que nous dévoilerons. Et le vrai talent est de cacher le vol sous une apparence de légalité : on a horreur de prendre le bien des autres, il faut qu’il vienne de lui-même, voilà la grande finesse.

Mais les voleurs adroits sont reçus dans le monde, passent pour d’aimables gens. Si, par hasard, on trouve un coquin qui ait pris tout bonnement de l’or dans la caisse d’un avoué, on l’envoie aux galères : c’est un scélérat, un brigand. Mais si un procès fameux éclate, l’homme comme il faut qui a dépouillé la veuve et l’orphelin trouvera mille avocats dans le monde.

Que les lois soient sévères, qu’elles soient douces, le nombre des voleurs ne diminue pas ; cette considération est remarquable, et nous conduit à avouer que la plaie est incurable, que le seul remède consiste à dévoiler toutes les ruses, et c’est ce que nous avons essayé de faire.

Les voleurs sont une dangereuse peste des sociétés ; mais l’on ne saurait nier aussi l’utilité dont ils sont dans l’ordre social et dans le gouvernement. Si l’on compare une société à un tableau ne faut-il pas des ombres, des clairs-obscurs ? Que deviendrait-on le jour qu’il n’y aurait plus par le monde que des honnêtes gens foncés [1], à sentiments, bêtes, spirituels, politiques, simples, doubles, on s’ennuierait à la mort ; il n’y aurait plus rien de piquant : on prendrait le deuil le jour où il ne faudrait plus de serrures.

Ce n’est pas tout, quelle perte immense cela ne ferait-il pas supporter ! La gendarmerie, la magistrature, les tribunaux, la police, les notaires, les avoués, les serruriers, les banquiers, les huissiers, les geôliers, les avocats disparaîtraient comme un nuage. Que ferait-on alors ? Que de professions reposent sur la mauvaise foi, le vol et le crime ! Comment passeraient le temps ceux qui aiment à aller entendre plaider, à voir les cérémonies de la cour… ? Tout l’état social repose sur les voleurs, base indestructible et respectable ; il n’y a personne qui ne perdît à leur absence ; sans les voleurs, la vie serait une comédie sans Crispins et sans Figaros.

De toutes les professions, aucune n’est donc plus utile à la société, que celle des voleurs ; et si la société se plaint des charges que les voleurs lui font supporter, elle a tort ; c’est elle seule et ses onéreuses précautions inutiles qu’elle doit accuser de son surcroît d’impôt.

En effet, la gendarmerie coûte … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … 20 millions

le ministère de la justice … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … .. 17 millions

les prisons … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … .. 8 millions

les bagnes, la chaîne, etc… … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … … . 1 million

la police en coûte plus de        10 millions

En ne nous attachant qu’à ces seules économies, on gagnerait à peu près soixante millions à laisser les voleurs travailler en liberté ; et certes, ils ne voleraient jamais pour soixante millions par an ; car, avec des livres comme le nôtre, on dévoilerait leurs ruses : ainsi, on voit que les voleurs entrent pour beaucoup dans le budget. Ils font vivre soixante mille fonctionnaires, sans compter les états basés sur leur industrie.

Quelle classe industrieuse et commerçante ! Comme elle jette de la vie dans un état ! Et elle donne à la fois du mouvement et de l’argent. Si la société est un corps, il faut considérer les voleurs comme le fiel qui aide aux digestions.

En ce qui concerne la littérature, les services rendus par les voleurs sont encore bien plus éminents. Les gens de lettres leur doivent beaucoup et nous ignorons comment ils pourront s’acquitter, car ils n’offrent rien que leurs bienfaiteurs puissent prendre par un juste retour. Les voleurs sont entrés dans la contexture d’une multitude de romans : ils forment une partie essentielle des mélodrames ; et ce n’est qu’à ces collaborateurs énergiques que Jean Sbogar, Les Deux Forçats, etc., ont dû leurs succès.

Enfin les voleurs forment une république qui a ses lois et ses mœurs ; ils ne se volent point entre eux, tiennent religieusement leurs serments, et présentent, pour tout dire d’un mot, au milieu de l’état social, une image de ces fameux flibustiers, dont on admirera sans cesse le courage, le caractère, les succès et les éminentes qualités.

Les voleurs ont même un langage particulier, leurs chefs, leur police ; et à Londres, où leur compagnie est mieux organisée qu’à Paris, ils ont leurs syndics, leur parlement, leurs députés. Nous terminerons ces considérations par le récit de ce qui s’est passé à la dernière séance de leur parlement.

On s’était réuni à l’auberge de Rose-Mary-Lane. Le but de la réunion était de voter des remerciements aux juges qui proposaient l’abolition de l’usage de publier les rapports, en matière de police.

Le président a proposé d’abord le toast du Roi.

Un voleur a porté un toast à la prospérité du commerce anglais ; un autre aux juges.

Après le banquet, le président a pris la parole, s’est félicité de faire partie d’une assemblée aussi brillante, nombreuse et respectable : « La question qui nous occupe, a-t-il dit, est liée aux intérêts les plus chers de notre profession. » L’orateur a passé ensuite en revue les progrès de l’art de voler depuis son origine jusqu’à nos jours. « Cet usage, a-t-il dit, date de l’antiquité. Les honnêtes gens ainsi que les voleurs, mais les voleurs surtout, doivent bien se garder de critiquer les lois qui protègent la propriété ; c’est notre plus grande sauvegarde, s’est-il écrié avec force (écoutez ! écoutez !) car elles donnent en général une fausse sécurité au public, et à nous la faculté d’exercer notre métier. Notre seule mise de fonds est l’adresse, et celui qui en manque mérite d’être puni : sans lois sur cette matière, tous les hommes se tiendraient en garde, et seraient prêts à punir sur le champ le voleur pris en flagrant délit. Où nous n’attrapons qu’une année de détention, nous serions affligés d’un coup de pistolet qui nous tuerait ; et nous devons nous applaudir tous les jours d’être ainsi protégés par les juges et les lois.

« Aujourd’hui, d’après le texte des lois, nous avons mille moyens d’échapper ; ce qui n’arriverait pas si les citoyens avaient le droit de se défendre. Bénissons le législateur qui a dit qu’avant de nous punir il fallait prouver le délit. Il nous a entouré d’une garde d’honneur. Nul citoyen n’ose attenter à nos jours. Et, vous le savez, une lettre oubliée dans un jugement, l’erreur d’un greffier, la subtilité des avocats, tout nous sauve.

« De l’autre côté du détroit, a dit le président, les voleurs sont plus heureux encore que nous ; car ils possèdent une gendarmerie à culottes jaunes et à sabres bien affilés, une police active qui donnent une bien plus grande sécurité aux citoyens. Ils ont sur nous l’immense avantage des passeports, invention admirable qui ne profite qu’aux gens de notre métier. Aussi, sur ce point, suis-je obligé de confesser la supériorité de nos voisins.