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XXIVème siècle. L’humanité a quitté la Terre depuis cent vingt-huit ans, échappant de peu à son explosion. Le reste de l’espèce humaine vit alors sur un vaisseau baptisé le Colonia, et espère trouver un nouvel astre à coloniser. Après un rude et long voyage à travers les confins de l’espace, des scientifiques font la découverte inattendue d’une planète habitable. Dès lors, les membres du Conseil décident d’y envoyer une équipe en mission de reconnaissance. Toutefois, une mystérieuse découverte va entraîner une série d’événements inattendus.
Kyra Na Colo, une jeune passagère, serveuse dans un bar appelé l’Oasis, va voir sa vie basculer à la suite de sa rencontre avec Maverick Stone, officier recruteur et membre du Conseil. Ils vont ensuite s’imbriquer dans un engrenage dans lequel il leur sera impossible de faire machine arrière. Les deux protagonistes vont alors très vite se retrouver dépassés par les circonstances…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Alain Heible est un jeune auteur passionné depuis toujours par l’écriture et la science-fiction. Après avoir exploré d’innombrables œuvres telles que les romans, les jeux vidéo, les bandes dessinées et les séries audio, il devint évident pour lui de construire, à son tour, un univers riche et ambitieux. Il fit donc le choix de laisser libre cours à sa créativité en concevant
Colonia, son premier roman publié.
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Seitenzahl: 428
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Alain Heible
Colonia
Roman
© Lys Bleu Éditions – Alain Heible
ISBN : 979-10-377-5153-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Kyra Na Colo astiquait son bar pour faire disparaître les traces de condensation que laissaient les verres de bière. Elle trouva également le temps, entre deux commandes, d’aller récupérer les chopes vides que ses clients omettaient de lui rapporter.
— Tu nous en remets deux, ma belle ?
— Aucun problème Jessy, j’arrive de suite.
L’Oasis était constamment submergée par la foule. La quasi-totalité des passagers du Colonia venait y prendre du bon temps. Certains aimaient boire une bière en équipe à la fin de leur vacation. D’autres s’y rendaient pour faire des rencontres, ou pour s’amuser. D’autres encore venaient uniquement pour observer les danseuses holographiques. Que ce soit les mécaniciens, les officiers, les agents d’entretien ou n’importe qui, tout le monde s’accordait à dire que cet endroit était un havre de paix. Sauf Kyra.
Employée dès son plus jeune âge, elle était d’abord contrainte de s’occuper de l’approvisionnement des stocks et de la manutention. À l’adolescence, elle fut réaffectée à la comptabilité pour gérer à la fois l’économie et la logistique pour lesquelles elle était instruite. Cependant, une fois sa puberté terminée et son corps développé, son patron décida de l’employer en tant que barmaid. Sans trop s’y attarder, il lui expliqua qu’une jolie fille pousserait davantage les clients à la solliciter, et donc à consommer.
— Hé, chérie, tu veux pas discuter un moment avec nous ? Tu pourrais nous montrer ce que tu caches en dessous de ce petit haut.
— Nan désolée… J’ai pas le temps, j’ai beaucoup de travail.
Kyra passait son temps à encaisser les remarques sexistes et sexuelles de ses clients un peu trop saouls. Les dents serrées, elle répondait toujours le plus poliment possible. Ravlock Nessah, son patron, avait été très clair à ce sujet :
— Tu ne ripostes pas, et le plus important, tu gardes toujours le sourire.
Elle avait alors rétorqué :
— Et s’ils en viennent aux mains ? S’ils me touchent ? J’aurais le droit de me défendre ?
Ravlock ne voulait rien savoir.
— Écoute, contrarier les clients c’est mauvais pour le business. Si l’un d’entre eux te touche, viens me le rapporter. Je me chargerai personnellement de le corriger.
En tout cas, sourire ou pas, il y en a bien un ou deux qu’elle aurait volontiers envoyés au tapis. Mais heureusement pour elle, ce n’était jamais arrivé jusqu’aux mains. Mais son patron ne plaisantait pas, et jusqu’à preuve du contraire, il lui fournissait l’essentiel vital. Peu lui importait, puisque de toute façon, elle ne comptait plus rester ici très longtemps.
Lorsqu’elle reprit position derrière le bar, elle se mit à essuyer quelques verres et s’accorda une minute pour souffler. L’immense pièce tamisée pouvait accueillir approximativement trois cents personnes. Les murs et le plafond étaient entièrement faits de métal, et des bandes LED étaient disposées çà et là pour simuler une ambiance festive. Globalement, l’endroit ressemblait plus à un grand dépôt réaménagé plutôt qu’à un bar terrestre. Évidemment, tout ce que la jeune femme savait des bars, elle l’avait appris dans les encyclopédies numériques de la bibliothèque du Colonia.
Kyra balaya distraitement la salle de gauche à droite. À la porte principale, de nouveaux clients entraient dans la pièce alors que d’autres en sortaient. Chaque groupe de personnes – pour celles qui ne se trouvaient pas assises au bar – se tenait debout, devant une table haute. Les haut-parleurs diffusaient une musique dynamique, remplie de basses, dont le nom lui était inconnu. L’écran mural situé au fond de la pièce projetait une rediffusion d’un match de football avec une résolution gigantesque.
Un match sur Terre, songea Kyra, amusée.
Les matchs de football ne se disputaient plus sur du gazon et encore moins sur la Terre. Non, aujourd’hui ils se disputaient en apesanteur et à bord du Colonia. L’environnement était différent du football classique, mais les règles restaient globalement les mêmes. Sur sa droite, elle aperçut un groupe de parieurs. Le petit attroupement était en train de murmurer des pronostics sur l’un des combats clandestins qui aurait lieu le soir même. Certains membres de l’attroupement relevaient de temps à autre la tête pour observer la barmaid.
Pfff… Qu’est-ce que vous voulez que j’vous dise ? Faites le bon choix.
Depuis environ sept ans, Ravlock, son patron, organisait des combats clandestins dans la cave qui devait lui servir de cellier. Une fois par semaine, des passagers volontaires s’affrontaient dans des combats opposant deux adversaires. Le gagnant empochait dix pour cent des gains totaux. Ce qui équivalait approximativement à un mois de salaire ouvrier sur le Colonia. L’activité clandestine avait déjà fait l’objet d’enquêtes au sein du corps officier, mais curieusement, aucune mesure n’avait été prise pour empêcher les combats.
— Alors, comment ça se présente ce soir ?
Kyra sursauta et rattrapa le verre qui faillit lui glisser des mains.
— Ben, ça se passe bien, les parieurs sont là.
Ravlock venait d’arriver derrière la jeune femme. Il dépassait le mètre quatre-vingt-dix et devait au moins peser cent vingt kilos à vue de nez. Il l’observa de haut en bas.
— Mmh… je vois, pour qui ils parient d’après toi ?
— Je n’en ai pas la moindre idée.
Son patron souriait. Il devait probablement sentir à la fois la fébrilité et la détermination dans la voix de son employée.
— Peu importe, tu devrais peut-être rentrer chez toi.
Kyra se figea, abasourdie.
— Mais, mon service se termine dans une demi-heure.
— Je ne t’ai pas demandé à quelle heure tu finissais. Je t’ai demandé de rentrer chez toi. C’est ton anniversaire aujourd’hui, pas vrai ? Alors, du balai, avant que je ne change d’avis.
Elle prit un moment avant de lui répondre. C’était vrai. Selon le calendrier terrestre, le deux avril était son anniversaire. Comment avait-elle pu oublier son propre anniversaire ? Il faut dire que ces derniers temps, elle avait la tête ailleurs.
— D’accord, j’y vais. Je te laisse avec tes clients.
Elle déposa sa serviette sur le bar et commença à s’en aller lorsque Ravlock cria par-dessus son épaule :
— À tout à l’heure, Kyra Na Colo.
Kyra Na Colo.
Elle détestait quand on l’appelait par son nom complet. Ce n’était même pas vraiment un nom d’ailleurs. Il y a dix-sept ans, Ravlock avait trouvé Kyra durant la nuit, après avoir fermé boutique. Elle était encore un nourrisson, enveloppée dans une serviette et abandonnée dans une coursive du vaisseau. Seul un petit papier glissé dans la serviette permettait de l’identifier. Il y était écrit son nom et sa date de naissance. Pour des raisons encore inconnues, Ravlock avait décidé de prendre l’enfant avec lui et de l’élever. De ce fait, elle adopta le nom de Na Colo. Na signifiait « non-appartenance » et Colo pour « Colonia ». Tous les jours de sa vie, son nom lui rappelait qu’elle n’avait aucun héritage, aucune famille.
Kyra traversa différentes parties du vaisseau, elle passa devant le terrain de football, puis prit l’ascenseur pour arriver à l’étage des appartements. Elle croisa plusieurs personnes, mais ne prit pas la peine de les saluer. Comme à son habitude, la jeune femme avançait la tête baissée, les mains dans les poches. Pour arriver à son appartement, Kyra devait traverser la quasi-totalité des coursives de l’étage.
Une fois devant la porte automatique de ses quartiers, elle plaça son œil devant le scanner rétinien situé sur la droite du sas blindé. Le scanner mit quelques secondes avant de vérifier son identité. Une fois identifiée, le boîtier émit une série de trois bips consécutifs et la porte s’ouvrit. Comme d’habitude, dès lors qu’elle avait franchi le sas pour accéder à ses quartiers, la porte se referma automatiquement. Athéna, l’intelligence artificielle du vaisseau, lui souhaita la bienvenue.
— Bonjour, Kyra. Bienvenue dans vos appartements.
La voix familière d’une femme robotisée apaisa la barmaid. Sans que la jeune femme puisse répondre, la voix ajouta :
— Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à me solliciter.
La douceur de ces mots presque chantants donnait le sourire à Kyra.
— Prépare-moi une douche, s’il te plaît.
— Très bien, madame, votre douche sera prête dans cinq minutes.
Tous les appartements de cet étage étaient similaires : une pièce, plus ou moins sombre, d’environ vingt mètres carrés, contenant l’essentiel pour vivre. Une couchette une place était installée contre le mur en face de la porte, un bureau se trouvait sur la gauche en entrant dans la pièce et une petite porte un peu plus loin permettait d’accéder à la cabine de douche et à la micro salle de bain. Sur le mur de droite se trouvait la réplique exacte d’une fenêtre. À ceci près que le verre était remplacé par un écran pouvant générer n’importe quel décor. La jeune femme aimait beaucoup ce créateur d’ambiance et se laissait parfois aller à la contemplation de ces décors fantaisistes. Le reste de la place était aménagé par des meubles de rangement.
Quelle connerie !
Kyra se demandait souvent pourquoi elle possédait autant de meubles de rangement. Elle était du genre bordélique et il était clair qu’elle devait mener une expédition géologique à chaque fois qu’elle voulait mettre la main sur quelque chose. Autrement dit, ces meubles ne lui servaient pas à grand-chose.
La jeune femme pensa à sa douche et se détendit un peu. Elle relâcha ses épaules et commença à se déshabiller. Elle ôta sa brassière noire imprégnée d’une odeur de bière avant de faire de même avec sa salopette. Kyra avait pour habitude de ne jamais en attacher les bretelles et préférait la porter comme un pantalon. Une fois dévêtue, elle se dirigea vers le miroir se trouvant sur la porte de sa micro salle de bain.
Elle s’observa de la tête aux pieds. Ses cheveux blanc-platine, coiffés en chignon, laissaient apparaître son visage. Un visage fin, avec les yeux d’un vert émeraude. Ses joues étaient légèrement creuses à son goût. Son nez aquilin descendait sur des lèvres pulpeuses et son teint lumineux mettait en avant les quelques taches de rousseur se trouvant sur ses pommettes. Son regard passa d’abord sur sa poitrine, puis sur l’ensemble de son corps.
Kyra appréciait ses formes généreuses, mais se demandait parfois si elles n’étaient pas responsables du harcèlement quotidien qu’elle subissait par les clients de l’Oasis. Avec environ un mètre soixante-dix pour cinquante-quatre kilos, la jeune femme savait qu’elle n’avait pas à se plaindre de son corps. Sa silhouette athlétique et sa condition physique lui avaient jusque-là bien rendu service.
— Votre douche est prête, madame.
— Merci, Athéna. Est-ce que tu peux me mettre un peu de musique ?
— Oui bien sûr, je lance tout de suite une playlist.
Aux premières notes de musique, Kyra commença à se déhancher. C’était exactement le genre musical qui lui plaisait. Évidemment, après toutes ces années, Athéna avait enregistré tout un tas d’informations concernant la jeune femme et notamment les données sur ses goûts musicaux. Elle resta quelques secondes devant le miroir à danser sur le rythme de la musique, sa poitrine se balançant frénétiquement sous les impulsions de son torse.
Oh mon Dieu, si quelqu’un me voyait !
La honte s’installa puis se dissipa aussitôt. Après tout, c’était son anniversaire et elle avait bien le droit de danser nue dans ses appartements si elle le souhaitait.
Dès que le rythme de la musique fût plus calme, elle tira la porte de sa micro salle de bain et s’y inséra. Les restrictions des ressources obligeaient tous les passagers du Colonia à prendre des douches à vapeur. De plus, chaque passager se voyait attribuer un savon biodégradable par mois et par personne. L’odeur laissait à désirer, mais l’efficacité de ce produit n’était plus à prouver.
Une fois lavée, elle sortit de cette minuscule pièce pour se sécher. Le froid la saisit instantanément.
Tant mieux, ça fait circuler le sang, se convainc-t-elle.
— Athéna, de combien de crédits je dispose ?
Le crédit était la devise utilisée au sein du Colonia. Une monnaie virtuelle déposée sur des comptes en ligne servant pour la moindre transaction. Cet argent était durement gagné par les ouvriers qui se voyaient payés une misère. Le manque de crédit poussait souvent les passagers à la contrebande ou à participer aux combats de l’Oasis.
— Vous disposez de six cent vingt-sept crédits.
Une vraie misère.
— D’accord, merci.
— Souhaitez-vous acheter quelque chose en ligne, madame ?
— Ouais, un ticket pour changer de vie.
— Je vous demande pardon ? Je n’ai pas saisi votre demande.
— Nan, laisse tomber, Athéna.
— Très bien, je passe en mode veille, appelez-moi si vous désirez autre chose.
Un bip prolongé indiqua le passage de l’intelligence artificielle en mode veille.
Après s’être séchée, Kyra chercha des vêtements qu’elle pourrait éventuellement porter ce soir-là. Comme d’habitude, elle dut fouiller parmi tous les habits se trouvant au sol. Elle opta finalement pour un treillis camouflage, un haut de compression noir qu’elle utilisait habituellement pour faire du sport et une paire de bottes assorties à son haut, chaussées par-dessus son pantalon.
Kyra retourna brièvement devant son miroir puis observa son propre reflet.
Une vraie guerrière, pensa-t-elle.
Une boule lui noua l’estomac et sa gorge s’assécha. Elle avait peur.
C’est normal d’avoir peur, tenta-t-elle de se convaincre.
Elle serra alors ses poings et redirigea ses pensées vers son objectif : la victoire.
Cette nuit, elle devait gagner.
Cette nuit, elle allait se battre.
Allongé sur son lit, Maverick Stone observait distraitement le vide spatial à travers la baie vitrée de sa cabine. Il pensait à sa mission. Comment améliorer davantage sa productivité ? Quelle était la meilleure méthode à employer en termes d’efficacité ? Où ses limites s’arrêtaient-elles ? Toutes ces questions, auxquelles il trouvait parfois les réponses, l’empêchaient de dormir.
Il tourna la tête sur la gauche et contempla le corps nu de l’inconnue se trouvant à ses côtés. Maverick sourit. Les femmes, un des seuls vices qu’il s’autorisait. Son appétit sexuel se réveilla alors qu’il s’attardait trop sur les courbes généreuses de la jeune femme. Il tenta tant bien que mal de se rappeler son nom, sans résultat.
Athéna avait programmé la fenêtre génératrice d’ambiance pour qu’elle simule une vue sur la mer. Une lune se reflétait sur les vagues. L’écran géant illuminait légèrement la pièce plongée dans la pénombre. Même s’il n’avait jamais vu d’endroit de ce genre de ses propres yeux, il se sentait toujours apaisé face à cette immense étendue d’eau.
Son holocommunicateur, que tout le monde appelait « holocom », sonna.
Qui ça peut bien être ?
Spontanément, il tendit son bras droit pour attraper l’objet posé sur sa table de chevet. Puis, en se redressant, il observa le nom de son interlocuteur.
Le Capitaine Joan Renlay.
Maverick se racla instinctivement la gorge avant d’activer la communication en pressant un bouton situé au milieu de l’appareil, dans la cavité circulaire. Le visage du capitaine apparut en trois dimensions, quelques centimètres au-dessus de l’objet.
— Officier recruteur Maverick Stone, au rapport.
Comme à son habitude, le commandant apparaissait avec un air froid et implacable.
— Officier Stone, vous êtes immédiatement attendu au poste de commandement pour un rapport d’urgence des opérations.
L’officier se demandait qu’elle pouvait être l’urgence pour que le commandant en chef décide de le convoquer en dehors des horaires de travail. Il s’agissait probablement d’une convocation générale. Cependant, le ton qu’avait emprunté Renlay ne permettait pas de deviner le motif de ce rassemblement inattendu.
— Très bien, mon Capitaine. J’y serai dans une dizaine de minutes.
Le visage holographique fronça les sourcils.
— Je vous en donne cinq.
L’hologramme disparut.
C’est parti.
Maverick se jeta hors de son lit et s’empressa de récupérer une tenue fraîchement repassée se trouvant dans son dressing. Dans la pénombre, il prit le temps d’ajuster convenablement son uniforme pour faire bonne mesure. Une fois vêtu, il se rua vers la salle de bain pour arranger sa parfaite chevelure, puis, tout en se dirigeant vers le sas de sortie, il consulta sa montre pour s’assurer qu’il se trouvait toujours dans les temps.
Deux minutes.
Avant de s’engager dans une course frénétique à travers les coursives, il prit une pastille de menthe et observa la jeune femme qui n’avait pas bougé d’un pouce.
Navré, ma belle.
— Athéna, quand elle se réveillera, offre-lui toute l’hospitalité nécessaire et fais-la rentrer chez elle.
— Entendu, ce sera tout, monsieur ?
Maverick hésita un instant avant de répondre.
— Efface mon numéro de son holocom.
Il n’attendit pas la réponse de la voix synthétique. Le sas blindé de ses appartements se referma derrière lui lorsqu’il s’élança en dehors du secteur des officiers.
Le poste de commandement était formé d’une grande pièce circulaire avec une vue directe sur le vide spatial. Des consoles et des tableaux de commande étaient disposés sur toutes les parois des murs métallisés. Devant chaque console se trouvaient des officiers subalternes et des premières classes en formation dans l’analyse et l’interprétation de données.
Sans surprise, Maverick put constater qu’il n’avait pas été le seul convoqué au poste de commandement. Une demi-douzaine d’officiers, lui y compris, s’était réunie autour d’une grande table ronde. L’holocarte au centre de la table projetait ce qui ressemblait à une planète. Les officiers attendaient patiemment que le Capitaine Renlay décide de débuter cette réunion, mais ce dernier semblait attendre quelque chose.
L’officier recruteur jeta un coup d’œil aux écrans autour de lui dans le but de trouver ce qui faisait l’objet de ce rassemblement tardif. Évidemment, il n’était pas en mesure d’analyser les données scientifiques se trouvant sur les moniteurs. Il observa alors les premières classes pianoter sur leurs interfaces.
— Bien, nous allons… commença le capitaine, avant de s’interrompre.
La porte principale du poste de commandement s’ouvrit et un officier entra, décoiffé, les vêtements débraillés et à bout de souffle. Il arriva jusqu’à la table ronde et entreprit de réajuster son uniforme avant de s’exprimer, haletant :
— Capitaine… Messieurs… Je vous présente m…
— Nous nous passerons volontiers de vos excuses, officier Vasyl, sermonna le capitaine. Peut-être que si vous passiez plus de temps à cultiver vos herbes qu’à les fumer, vous arriveriez à l’heure.
— Mais… Capitaine… C’est juste que…
— Silence, officier, ou je vous fais exclure sur le champ.
La tension était palpable et l’espace d’un instant, personne ne fit le moindre mouvement. Pas même les officiers subalternes en arrière-plan. L’homme qui venait de se faire réprimander était Libheni Vasyl, l’officier agriculteur. Son air constamment amorphe lui avait valu la réputation d’être consommateur de plantes hallucinogènes. En cet instant, il paraissait plus éveillé que jamais.
— Comme vous le savez tous, reprit Renlay, après s’être assuré de la docilité de son subordonné, le Colonia a quitté la station suborbitale terrestre depuis maintenant cent vingt-huit ans. Notre mission était claire, mais pas des plus simples : trouver une nouvelle planète habitable et y fonder une colonie. Nous avons dû nous adapter très rapidement à notre nouvel environnement, mettant en place un système que nous savions éphémère. Nous avons essuyé pas moins de deux crises alimentaires et une crise énergétique. Néanmoins, nous avons jusqu’ici contribué à la survie de l’humanité et j’ai aujourd’hui l’honneur de vous annoncer, messieurs, que nous avons enfin trouvé notre terre promise.
Des rires et des exclamations fusèrent dans la pièce. Le Capitaine Renlay, qui arborait lui-même un sourire en coin, laissa le temps aux officiers de digérer l’information. Alors que certains applaudissaient et que d’autres s’enlaçaient, Maverick célébra cette nouvelle à sa façon : en restant en retrait. Malgré le côté réjouissant de cette information, quelque chose sonnait faux dans la façon dont le capitaine leur faisait part de cette découverte.
À chaque fois que les scanners détectaient une planète présentant des critères viables, ils avaient pour habitude d’envoyer des sondes afin de récolter des données supplémentaires à analyser. Le capitaine aurait dû les tenir informés dès les premiers repérages du scanner. L’officier recruteur décida de franchir cet écran de fumée :
— Capitaine, êtes-vous certain que cette planète est habitable ?
Les officiers dans le poste de commandement se calmèrent peu à peu. Très vite, tous les regards se tournèrent vers Maverick. Il n’avait pas pour habitude de mettre des personnes dans l’embarras et encore moins son supérieur. Il se reprit aussitôt :
— Avez-vous envoyé des sondes afin d’y collecter des données ? précisa-t-il.
Toborn Steelwolf, l’officier militaire, lui adressa un regard mauvais, comme si, d’une façon ou d’une autre, cette question venait de priver l’équipage d’un rêve tant attendu.
Joan Renlay s’approcha de l’officier recruteur. Son imposante carrure et ses sourcils froncés ne laissaient présager rien de bon. Maverick resta immobile à mesure que son supérieur approchait. Le silence régnait. Le capitaine s’arrêta à environ un mètre de l’officier et posa une main sur son épaule, ce qui était très inhabituel.
— Oui, officier Stone. Nous avons envoyé des sondes, et nous les avons déjà récupérées.
Les acclamations repartirent de plus belle. Cette fois, le commandant en chef les dissipa aussitôt d’un geste de la main.
— Nous avons effectivement collecté assez de données pour considérer cette planète comme habitable. J’ai pris moi-même la décision de garder secrète l’existence de cet astre jusqu’au retour des sondes.
Maverick s’étonnait du comportement de son supérieur. En règle générale, Renlay n’avait pas de secret pour les membres du Conseil.
— Si je puis me permettre, pourquoi avoir procédé ainsi, mon Capitaine ? demanda-t-il.
— Eh bien tout simplement pour arrêter de nourrir de faux espoirs. Cette planète était notre dix-neuvième tentative et beaucoup de passagers au sein de ce vaisseau se voyaient mourir entre ces murs de métal.
Ce n’était pas faux, Maverick lui-même, du haut de sa quarantaine d’années, ne se rappelait rien d’autre que le Colonia. Il n’imaginait pas la vie ailleurs que sur ce vaisseau.
— Pour le besoin des recherches et le traitement des données, seul l’officier scientifique, Bonos Mera, ici présent, était dans la confidence.
Évidemment.
Maverick n’avait jamais aimé Bonos Mera. Son comportement à la fois discret et sérieux lui donnait constamment un air conspirationniste. D’après ce qu’il avait pu analyser, le scientifique était l’officier le plus proche du capitaine.
— Si je vous ai réunis en cet instant, continua Renlay, c’est d’une part pour vous annoncer cette bonne nouvelle à tous, et d’autre part pour vous tenir informés de la suite des opérations.
Tous observaient à présent l’hologramme de la planète se trouvant devant eux.
— Voici notre objectif, Melore Prime, dit-il en pointant du doigt l’astre en question. Une exoplanète tellurique dont la surface se constitue principalement de terre et de roche. On y trouve également des parcelles de végétation à sa surface. Nous ne possédons pas encore les résultats de l’analyse minéralogique, mais ça ne saurait tarder. Son rayon équatorial est de cinq mille six cents kilomètres, son atmosphère est composée de vingt-quatre pour cent d’oxygène, donc théoriquement respirable. Sa gravité d’environ 0,96 g. On estime que la température à la surface peut varier entre moins vingt-deux et douze degrés Celsius. Athéna, effectue le transfert de fichiers.
— Très bien, Capitaine, répondit l’intelligence artificielle.
— Cela étant, vous pourrez consulter l’intégralité de ces données via vos holopad. Un rapport détaillé de la mission à suivre y est également accessible. Pour l’heure je vous demande à tous de ne pas ébruiter cette découverte. Je ne tiens pas à me retrouver avec une foule hystérique sur les bras. Chaque passager du Colonia sera informé en temps et en heure que leur potentielle nouvelle maison les attend.
Toborn Steelwolf décida d’intervenir :
— Reçu, mon capitaine, mais à ce jour quelle est notre mission ?
— J’y viens…
Ah, enfin le moment intéressant.
— Les données que nous avons relevées nous ont appris beaucoup de choses sur cette planète, mais nous avons besoin de plus d’analyses si nous voulons entreprendre une future colonisation. C’est pourquoi la prochaine mission consistera à y envoyer une troupe d’éclaireurs, dans les prochaines quarante-huit heures.
— Vous voulez dire là-bas ? En bas ? Sur la planète ? balbutia Agara Domiel, l’officier logistique.
— Absolument. Une escouade d’au minimum quatre personnes, comprenant un pilote, un scientifique et au moins deux soldats. Tous volontaires, si possible.
Volontaires ?
Maverick ignorait pourquoi le capitaine souhaitait envoyer une escouade de volontaires sur cette planète. Les miliciens, étant des soldats entraînés et dociles, étaient tout indiqués pour mener à bien cette mission. Renlay, qui semblait avoir perçu le scepticisme de ses subordonnées, précisa :
— Nous ignorons à ce jour si Melore Prime est habité. Il ne faut pas oublier que si la vie y semble possible pour nous, elle peut aussi bien l’être pour d’autres espèces. Je ne tiens pas à abuser de la loyauté de mes hommes en mettant leur vie en danger.
Il marqua une pause.
— Officier Steelwolf, pensez-vous avoir une telle équipe disponible et volontaire pour cette mission ? demanda Renlay, en se tournant vers la personne concernée.
Toborn bomba le torse, leva le menton et mit ses mains derrière son dos.
— Assurément, répondit-il, en parlant fortement. Mais puis-je parler librement, mon Capitaine ?
— Je vous en prie.
— Nous ne disposons que d’un nombre limité d’hommes, et la plupart sont irremplaçables. Je préconise de ne pas gaspiller nos meilleurs éléments pour une simple mission de reconnaissance. D’autant plus que nous ne disposons pas des ressources nécessaires à la formation de nouveaux soldats. En revanche, si l’équipe au sol venait à découvrir la présence d’une potentielle menace, nous pourrions alors réfléchir a posteriori quant aux mesures les plus adéquates.
Toborn attendit un instant avant de reprendre :
— Pour l’heure, je pense qu’il est préférable de maintenir nos hommes opérationnels, ici, à bord du Colonia, conclut-il.
Joan Renlay fit mine de réfléchir. Il observa ses officiers un à un. Lorsque son regard croisa celui de Maverick, celui-ci eut une idée. Son devoir en tant qu’officier recruteur consistait à rencontrer quotidiennement des passagers du Colonia et à les affecter à un corps de métier en fonction de leurs capacités. En parallèle de sa mission, Maverick avait rassemblé, à l’intérieur d’un seul et même dossier, différents profils dont les capacités pourraient s’avérer utiles dans ce genre d’événements exceptionnels. Il avait d’autres projets pour exploiter le potentiel de ces personnes. Cependant, ce moment était pour lui une bonne occasion de prouver qu’il faisait du bon travail, et de tomber dans les bonnes grâces du capitaine.
— Je vous remercie pour votre franchise, officier Steelwolf, dit enfin Renlay.
Maverick prit soudainement la parole :
— J’ai peut-être une solution, mon capitaine.
À présent, tous le regardaient.
— On vous écoute, officier Stone.
— Je pense avoir justement l’équipe qu’il vous faut, commença-t-il. Comme vous le savez tous, mon travail consiste à affecter les passagers du Colonia à un corps de métiers qui, selon leurs compétences, leur correspondrait au mieux.
Maverick marqua une pause.
— En parallèle, je m’efforce depuis quelques mois de repérer, au sein des passagers du Colonia, des personnes répondant à des critères spécifiques, disposant de certaines facultés et d’une capacité d’adaptation impressionnante. Pour faire court, des personnes qui pourraient plus ou moins correspondre à ce que nous recherchons actuellement.
— Pensez-vous que leur capacité d’adaptation serait assez développée pour participer à une mission de reconnaissance d’ici quarante-huit heures ? lui demanda Renlay.
— Absolument, répondit-il, confiant. Et il se trouve que j’ai justement constitué un dossier, jusque-là composé de trois sujets, dont fait partie l’un de nos lieutenants.
— Trois sujets, ce n’est pas assez pour une mission de reconnaissance, surtout si certains ne disposent d’aucune notion militaire, répliqua le capitaine. Que suggérez-vous, officier Stone ?
Maverick tenta le tout pour le tout. Il avait l’opportunité de se mettre en valeur, il ne devait pas la gâcher.
— Je pourrais les convaincre de participer à l’opération. Ils seront alors brièvement formés, puis ils constitueront l’équipe dont nous avons besoin. Tout me laisse à penser qu’ils ne refuseront pas le privilège de pouvoir poser le pied sur une planète. Je m’en porte garant.
Maintenant, le coup de grâce.
— Si la mission est un succès, vous aurez à la fois rendu heureux des passagers, mais vous aurez aussi gagné une escouade de plus dans vos rangs. Enfin, si nos soldats sont irremplaçables, comme le prétend l’officier Steelwolf, alors une unité supplémentaire ne serait pas négligeable.
Enfin,vous constaterez que je suis l’officier le plus compétent de ce vaisseau.
Renlay fit mine de réfléchir. Quelques secondes passèrent avant qu’il se prononce.
— Très bien, dites-m’en un peu plus sur ces personnes.
Lorsque le commandant en chef avait convoqué Maverick deux heures auparavant, ce dernier n’aurait jamais pensé qu’il sortirait du poste de commandement victorieux, le sourire aux lèvres.
Après avoir lu attentivement le dossier que l’officier recruteur avait constitué, Renlay accepta sa proposition, à plusieurs conditions. Tout d’abord, Maverick devrait trouver une quatrième personne susceptible de participer à l’opération. Trois sujets sous-entraînés ne suffiraient pas pour mener à bien une mission de reconnaissance. Ensuite, il donna l’ordre de prodiguer à ces personnes une formation militaire, aussi minime soit-elle. Pour finir, il réaffecta Maverick à la supervision de cette opération, de façon immédiate. Il devrait, à présent, se consacrer à cette tâche qui devenait officiellement sa mission principale.
Après avoir assimilé la surprenante découverte dont le capitaine leur avait fait part, l’officier recruteur fut satisfait en comprenant que, d’une certaine manière, l’humanité s’apprêtait à renaître de ses cendres. Néanmoins, vivre sur un vaisseau ou sur une planète ne faisait aucune différence à ses yeux. Tout ce qui lui importait était son travail, sa meilleure voie de réussite.
Les coursives du vaisseau étaient toujours bien éclairées. Les lumières se reflétaient sur le sol et sur les murs de métal. L’officier recruteur errait, tout en réfléchissant à la tâche qui l’attendait. Il se remémora la tête de ses confrères lorsque, vingt ans auparavant, il avait rejoint le corps officier. Ils l’avaient tous observé hautainement, le regard méprisant, à cause de sa réussite contestable. Aujourd’hui, les choses étaient bien différentes. Il avait le sentiment d’être un homme accompli plus solide qu’aucun autre.
Maverick secoua la tête pour se reprendre. Il ne devait pas se perdre dans ses pensées égocentriques.
À présent, il devait se hâter de trouver une quatrième personne susceptible de participer à l’opération, et il avait justement une petite idée d’où la trouver.
Kyra contemplait de loin cette fenêtre qu’elle aimait tant. Elle pouvait rester des heures à fixer les arbres d’une forêt ou une étendue maritime. Parfois, elle s’imaginait quelque part, loin du vaisseau, dans l’un de ces lieux. Cette idée lui procurait, en général, un sentiment de calme et de paix.
Son holocom se mit soudain à sonner, ce qui la tira de ses songes. Elle récupéra l’objet situé sur son bureau désordonné. Le nom de son patron y était affiché. Avant de répondre, elle réajusta ses vêtements et se passa la main dans les cheveux pour être présentable. Lorsqu’elle activa enfin la communication, le visage de Ravlock apparut.
— Kyra, ça va bientôt être ton tour, où est-ce que tu es ?
Soudain, ce sentiment de paix qu’elle avait ressenti quelques secondes auparavant se dissipa pour, à nouveau, laisser place à la peur.
— Dans mes quartiers. Je me prépare et j’arrive tout de suite.
Son patron hocha sévèrement la tête.
— Très bien, sois présente dans une vingtaine de minutes au plus tard.
— Entendu, je serai là.
La communication se coupa soudainement. Ravlock Nessah n’avait pas pour habitude de faire dans le détail. Avec le temps, la jeune femme s’était faite à l’humeur constamment froide de son patron. Elle l’avait toujours connu ainsi, et il y avait de fortes chances pour qu’il ne change jamais.
L’Oasis est à une dizaine de minutes d’ici. Ce qui me laisse encore un peu de temps pour me préparer.
Kyra se mit soudain à douter.
Est-ce que j’ai vraiment besoin de faire ça ?
La réponse était affirmative, de toute évidence. Même si ce n’était pas l’idée la plus brillante qu’elle ait eue, ces combats lui permettaient de gagner beaucoup d’argent en très peu de temps. Elle espérait alors, grâce à ces crédits, pouvoir un jour prétendre à une meilleure vie.
De plus, Kyra avait tout simplement besoin de défis au quotidien, d’un objectif auquel elle pouvait se raccrocher. Elle avait besoin de croire qu’elle pouvait faire autre chose que de servir des bières dans un bar. Cette dernière pensée suffit à balayer momentanément ses doutes.
C’est parti.
Le chemin jusqu’à l’Oasis avait fait redescendre la pression. Les coursives étaient désertes et le peu de passagers qu’elle avait croisés lui lançait des regards accusateurs. Lorsque le Colonia avait quitté la station suborbitale terrestre, le capitaine du vaisseau avait conservé le système horaire classique. Les journées étaient donc similaires à celles qui passaient sur Terre. De cette façon, le capitaine était plus ou moins parvenu à créer un rythme de vie à bord du Colonia. Bien qu’aucune restriction de couvre-feu ne soit mise en place, la circulation dans les coursives du vaisseau se faisait plus rare aux heures tardives.
Kyra arriva presque devant les portes de l’Oasis. Elle passa devant un binôme de miliciens. Ils étaient vêtus de leur traditionnelle armure légère et d’un casque opaque ne permettant pas d’apercevoir leurs visages. Seule une grande ligne rouge illuminée, partant de l’épaule pour arriver jusqu’à leurs genoux, contrastait avec cet ensemble sombre.
La jeune femme arriva presque à leur niveau, mais les deux soldats étaient trop occupés pour la remarquer. Actuellement, en procédure de vérification d’identité, ils tentaient vainement d’obtenir des informations précises sur un homme éméché.
Bonne chance les gars.
À bord du Colonia, les miliciens étaient connus pour leur excès de zèle. La sécurité au sein du vaisseau était primordiale. Autant dire que lorsqu’ils étaient chargés d’une mission, ils exagéraient toujours la situation.
À présent qu’il ne lui restait que quelques coursives à traverser, Kyra se reconcentra sur son objectif. La peur n’avait pas disparu, mais sommeillait maintenant au creux de son ventre. Chaque seconde qui passait venait alimenter ce brasier. Elle arriva devant la porte de l’Oasis et s’arrêta pour prendre une grande inspiration.
Elle hésitait, ne sachant si elle devait entrer ou faire marche arrière.
— Je vais gagner, murmura-t-elle, pour se donner du courage.
Elle posa ensuite sa main sur le scan à empreinte digitale situé à droite du sas blindé. Les bips familiers émis par le scanner indiquaient que la jeune femme avait accès à cette partie du vaisseau. Lorsque la porte s’ouvrit, elle fut soudainement frappée par le brouhaha ambiant et l’odeur habituelle de transpiration. À cette heure, la quasi-totalité des clients était saoule et les discussions étaient bien plus bruyantes qu’à n’importe quel autre moment. La plupart des personnes présentes dans cette pièce s’abreuvaient, d’autres dansaient et certaines s’étaient retirées dans des coins un peu plus isolés pour s’adonner à des activités plus intimes.
Kyra pénétra enfin dans l’Oasis. À peine fut-elle entrée qu’elle manqua de peu de se faire violemment bousculer par une femme. Celle-ci venait de déclencher une bagarre en sautant sur un homme qui devait faire au moins deux fois son poids.
La jeune femme reprit son chemin en direction du bar. Pour cela, elle dut slalomer entre des dizaines d’hommes et de femmes éméchés, esquiver les projections de bière de personnes agitant leurs verres et se frôler à des clients qui inspiraient tout sauf la confiance. À seulement quelques mètres de son objectif, un homme attrapa le bras de Kyra et l’attira sèchement contre lui.
— Hé, ma belle, viens voir un peu par ici.
L’homme sentait l’alcool à plein nez. Son haleine nauséabonde n’était rien à côté de l’odeur putride que son corps dégageait.
— Mais… lâche-moi ! cracha Kyra, en tentant de se défaire de l’emprise de son agresseur.
La jeune femme tentait tant bien que mal de se sortir de cet enfer avant que la situation ne dégénère, mais son oppresseur était trop fort.
— Oh arrête de te débattre, je suis sûr que t’aimes ça. Tiens regarde ce que j’ai pour toi.
Il commença à tirer sa braguette et à y plonger sa main à l’intérieur, ce qui semblait beaucoup amuser son public de trois personnes. Au moment où il s’apprêtait à sortir la main de son pantalon, Kyra réussit de justesse à dégager un de ses bras. Elle se saisit très vite d’une cruche de bière se trouvant à sa portée sur la table la plus proche, puis la vida sur la tête de l’homme. Ce dernier lâcha prise et recula de quelques pas. Elle profita de l’effet de surprise pour se dégager et s’élancer vers le bar.
La colère l’envahit.
Il faudrait les enfermer ces pourritures.
Kyra savait qu’elle ne serait pas en sécurité tant qu’elle fréquenterait l’Oasis. Il fallait qu’elle change de secteur d’activité. Cette pensée ne servit qu’à accroître la détermination dont elle avait besoin pour le combat qui l’attendait.
Elle passa derrière le bar et salua Zora, la barmaid qui l’avait remplacée à la fin de son poste.
— Salut, Zora, ça va ? Tu te débrouilles ?
— Oui ça va merci. T’as eu un problème avec ce type là-bas ?
La grande blonde montra du doigt l’homme, trempé de bière qui affichait désormais une mine renfrognée. En voyant le visage haineux que laissait paraître Kyra, la barmaid reprit :
— Je peux faire quelque chose pour toi ?
— Assure-toi qu’il y ait un peu de salive dans sa bière.
— Compte sur moi, chérie, répliqua Zora en esquissant un sourire.
Kyra se dirigea ensuite dans l’arrière-boutique, derrière le bar. Juste avant qu’elle ne pénètre dans la pièce, Zora siffla la jeune femme.
— Hé, Chérie ! cria la grande blonde. Casse-lui la gueule !
La jeune femme esquissa un sourire et envoya voler un bisou dans la direction de sa collègue.
Une fois à l’intérieur de cette pièce froide et tamisée, Kyra vint se positionner devant une immense trappe métallique située sur le sol. La combattante mit quelques secondes avant de se décider à l’ouvrir. L’événement qui venait de se produire s’ajoutait à une longue liste d’incidents similaires et la jeune femme en avait plus qu’assez de ce genre de comportements.
Elle se décida enfin à ouvrir la trappe. Un escalier de métal s’y trouvait. Elle s’y engagea, et à mesure qu’elle descendait, une tout autre ambiance la submergea. Une ambiance froide, violente et obscure. Tout aussi bruyante que dans le bar. La technologie et les gadgets n’avaient pas leur place en cet endroit fait uniquement de métal.
Ravlock avait bien évidemment choisi d’organiser les combats dans cette salle pour cette raison. Ici, aucune intelligence artificielle ne s’y trouvait. Il n’y avait ni Athéna, ni écran, ni holoprojecteur. La salle était vaste, des poutres verticales en acier trempé se tenaient çà et là. Une seule lumière au plafond éclairait principalement le centre de la pièce. En dessous de cette lumière, une foule hystérique d’environ cinquante personnes se tenait debout autour d’un cercle invisible qui accueillait deux combattants.
— Kyra !
Ravlock s’approcha d’un pas lourd et puissant. Il portait sous le bras son holopad, le seul autorisé dans ce sous-sol. L’outil lui permettait de transférer les crédits d’un compte à un autre. De ce fait, tous les comptes des clients étaient enregistrés sur cet appareil. Et chaque personne voulant parier devait aller voir Ravlock pour qu’il place les mises via le logiciel adapté. Le processus de transfert ne pouvait être réalisé que grâce à l’holopad. Évidemment, le patron du bar s’était arrangé pour que cet appareil ne soit référencé nulle part.
— Eh bien te voilà, lui dit-il, en arrivant à sa portée. Tu peux déjà commencer à t’échauffer si tu le souhaites, tu combats dans cinq minutes, je sais que tu n’aimes pas attendre.
— D’accord, je vais me préparer, est-ce que tu peux me dire qui est mon adversaire ?
— Elle.
Ravlock montra du doigt une jeune femme d’environ un mètre soixante-quinze pour une soixantaine de kilos. Elle avait un côté du crâne rasé laissant apparaître un tatouage aux allures tribales.
— Merde, c’est Less.
Le patron du bar semblait presque compatir à la peur de son employée. La combattante que tout le monde appelait Less était connue pour être impitoyable. Sa réputation n’était plus à faire. Il s’agissait de l’une des meilleures combattantes du Colonia, si ce n’était pas la meilleure.
— Eh bien, si je t’avais dit que tu l’affronterais, tu ne serais peut-être pas venue. J’ai donc gardé ça pour moi.
— Évidemment ! ironisa Kyra.
— Tu ferais bien d’être prudente avec celle-là. C’est une habituée de ces combats. Elle y a participé seize fois.
— Ouais, je sais. C’est une tueuse à ce qu’on dit. Combien elle en a gagné ?
— Seize.
La jeune femme parut soudainement se réveiller. Elle-même n’avait que quatre victoires pour six participations.
— Elle se croit indestructible, mais elle ne l’est pas, rajouta Ravlock.
— Très bien, je ferai attention. On se voit tout à l’heure.
Ravlock acquiesça d’un signe de tête et repartit en direction de la foule. La jeune femme resta là un moment, vide, à observer son environnement. Elle songea un instant à renoncer au combat, mais ça ne dura pas. Elle observait les deux combattants à l’intérieur du cercle dans l’espoir d’y puiser du courage.
Les combats dans ces sous-sols étaient en général d’une extrême violence. Les règles étaient simples. Il n’était possible de gagner le combat que si l’un des deux adversaires finissait KO ou déclarait forfait. Autrement, tous les coups étaient permis. La plupart du temps, Ravlock s’arrangeait pour opposer deux personnes du même gabarit dans le but de rendre l’affrontement équitable. Évidemment, ce principe n’était pas toujours respecté. De plus, il les forçait à se battre à mains nues, sans gant ni protection. De ce fait, les coups causaient beaucoup plus de dégâts, ce qui garantissait un spectacle sanglant.
Il faut que les parieurs en aient pour leur argent, lui avait répété Ravlock.
Kyra observait le combat depuis seulement quelques secondes et elle pouvait déjà témoigner de l’ambiance électrique qui régnait à l’intérieur du cercle. Le sol était maculé de sang. Les deux adversaires tenaient à peine debout. Couverts de sueur et de sang, ils s’échangeaient des coups qui résonnaient par-dessus les cris des spectateurs. À tout moment, l’un ou l’autre pouvait s’effondrer.
Cela ne traîna pas. Un des combattants asséna un enchaînement de coups de poing à son adversaire. Ce dernier fit de son mieux pour se protéger et, une fois cette salve terminée, il se baissa légèrement pour envoyer un puissant uppercut sous la mâchoire de son opposant qui s’écroula instantanément, inconscient.
Wow !
La jeune femme avait déjà participé ou assisté à quelques combats, mais il était toujours impressionnant de voir une personne tomber inerte de cette façon.
La foule acclamait son vainqueur pendant qu’une poignée de spectateurs s’était insérée dans le cercle pour évacuer l’homme allongé sur le sol. Kyra aurait juré avoir vu une dent sortir de sa bouche au moment où le poing était entré en contact avec sa mâchoire. Celui-là était bon pour passer quelques jours à l’infirmerie, le temps de se remettre totalement de ses blessures. Kyra savait que Ravlock donnait des pots-de-vin aux infirmiers pour qu’ils ne posent pas trop de questions. Cela évitait que la milice aille rendre visite aux combattants convalescents pour enquêter.
Une personne tendit une bière au vainqueur, qui la saisit sans tarder. Un homme passa brièvement un coup de balai sur le sol ensanglanté. Des spectateurs se dirigeaient vers Ravlock pour estimer leurs gains pendant que d’autres quittaient la pièce en affichant une mine dépitée. Dans un coin de la salle, l’adversaire de Kyra, Less, était en train de se préparer au combat. À présent, chaque seconde semblait durer une éternité. La jeune femme savait qu’elle serait dans le cercle dans quelques minutes. La peur refaisait surface et elle lutta pour ne pas se laisser consumer.
Ravlock prit la parole :
— Votre attention s’il vous plaît. Nous venons d’assister à un superbe combat. Le vainqueur de cet affrontement est Drako Crest !
Les acclamations et les applaudissements repartirent de plus belle. Certains spectateurs venaient féliciter amicalement le vainqueur tandis qu’il cuvait son breuvage. Le patron du bar tenta tant bien que mal de se faire entendre.
— Très bien, très bien les amis. À présent, le combat numéro trois opposera notre favorite Less, contre notre charmante Kyra. Venez dès maintenant miser pendant que nos combattantes rejoignent le cercle.
Favorite ? Charmante ? Il plaisante là j’espère.
Kyra se dirigea vers l’arène improvisée. Un monstre lui torturait le creux de l’estomac et un désert s’était installé dans sa bouche. La foule s’écartait pour lui laisser place. Des mains se posaient sur ses épaules et dans son dos. Elle ignorait si c’était pour lui donner du courage ou pour être compatissant, mais elle s’en moquait. Elle ne devait penser qu’à une seule chose : la victoire.
Elle pénétra dans le cercle et se rendit compte que son adversaire l’attendait déjà. Less se tenait debout, légèrement voûtée, les muscles saillants, prête à l’attaque.
Eh ben, ça ne risque pas d’être simple en tout cas.
La brassière que portait son adversaire laissait paraître une importante musculature. Sa silhouette elle-même donnait l’impression d’avoir été taillée dans de la pierre. Mais ce qui perturba le plus Kyra fut ses yeux. Ses iris, d’un bleu presque translucide, étaient mis en avant par une mâchoire carrée. Less possédait un visage assassin à faire froid dans le dos.
La jeune femme se positionna à son tour, les poings relevés, le torse bombé, prête à se battre. À peine fut-elle en position que Less chargea. Elle se rua sur Kyra et tenta de lui asséner un violent crochet du droit. La barmaid eut tout juste le temps de se baisser afin de l’esquiver. Elle se redressa et envoya une série de coups de poing que Less dévia aisément. Cette dernière attendit la bonne occasion et envoya un violent coup de pied dans le plexus de Kyra. La jeune femme tomba au sol, le souffle coupé. Son adversaire ne lui laissa pas un moment de répit, elle s’avança et lui décocha un deuxième coup de pied dans les côtes. Kyra hurla de douleur. Elle était presque sûre d’avoir au moins une ou deux côtes cassées. Mais son calvaire n’allait pas s’arrêter là. Less vint se placer à califourchon sur elle, prit son visage à deux mains et l’embrassa sauvagement. Elle lécha également les lèvres de Kyra et parut se délecter de cette situation de domination. Une fois rassasiée, elle tint la tête de Kyra de sa main gauche et lui envoya une puissante droite en plein visage. La barmaid fut complètement désorientée. Du sang coulait de son arcade sourcilière. Alors que Less s’écartait de sa proie pour commencer à fêter sa victoire, Kyra se tordait de douleur sur le sol. Sa tête lui tournait et elle cherchait désespérément Ravlock du regard, dans l’espoir qu’il arrête le combat. Elle devait se rendre à l’évidence, elle n’était pas à la hauteur. Ce n’était pas sa première défaite, mais celle-ci fut particulièrement écrasante.
Elle chercha des yeux son patron, puis lorsqu’elle le vit enfin, elle fut surprise de constater que ce dernier l’encourageait. Ravlock hochait la tête en lui soufflant de se relever. Elle l’observa un moment et se remémora pourquoi elle était venue ici, pourquoi elle se battait.
Parce que je veux changer de vie.
Une voix dans sa tête lui hurlait de ne pas abandonner. Il ne lui fallut pas plus longtemps pour s’en convaincre. Elle allait continuer le combat. Elle décida de puiser sa force dans son désespoir et sa douleur. Kyra entreprit de se relever. Lorsqu’elle fut à genoux, la douleur la fit vomir sur le sol rougeâtre. Elle resta quelques secondes dans cette position, essayant de reprendre son souffle. Elle pleurait. Grâce à un ultime effort, elle parvint à se redresser. Ses jambes manquèrent de se dérober sous elle. De sa main gauche, elle tentait de faire pression sur ses côtes pour contenir sa douleur.
Less continuait de se pavaner en faisant des gestes obscènes aux spectateurs.
Elle se croit indestructible. C’est sa faiblesse.
Kyra profita de ce moment d’inattention pour avancer vers son adversaire. Elle vint se coller derrière son dos avant de l’interpeller :
— Hé !
Au moment où Less se retourna, la jeune femme rassembla toutes ses forces et lui envoya un puissant coup de tête en plein dans le nez.
Soudain le silence régna dans la pièce. Tous furent abasourdis par la tournure que venait de prendre le combat. Personne n’imaginait Kyra gagner, étant donné le passage à tabac qu’elle venait d’essuyer. Toutes les chances étaient contre elle, et pourtant, elle avait gagné. Less se trouvait allongée sur le sol, inconsciente, et Kyra se tenait debout, blessée, mais néanmoins victorieuse.
Elle observait les spectateurs qui venaient chercher le corps inerte de celle qui fut son adversaire. Une pensée compatissante s’installa pour être aussitôt balayée par la douleur lancinante.
Elle s’engagea à travers la foule, chancelante, pour sortir de cet endroit qui lui filait à présent la nausée. En traversant l’assemblée, Kyra se rendit compte que l’endroit était toujours silencieux. Tous les regards étaient à présent braqués sur elle. Personne n’applaudissait ni ne l’acclamait. Cependant, tous la fixaient de cet air à la fois surpris et impressionné. Elle le prit tout de même positivement. Comme si elle avait réussi à faire quelque chose dont personne ne l’aurait soupçonnée capable.
Une fois sortie du rassemblement, elle trouva Ravlock. Il se trouvait dans un coin de la salle, effectuant les transferts des paris à l’aide de son holopad. Son regard s’arrêta un moment sur la jeune femme à qui il fit un signe de tête rempli de fierté.
La charmante Kyra hein ?
Elle lui sourit et se dirigea vers la sortie. À peine eut-elle recommencé à marcher que la jeune femme s’effondra malgré elle. Personne ne la vit chuter ; personne n’eut le temps de la rattraper. La dernière chose qu’elle vit avant que sa tête ne frappe le sol, c’était cet homme, au visage froid, qui semblait l’observer depuis le bas des escaliers.
Kyra se réveilla à l’infirmerie, groggy. Elle ignorait combien de temps elle était restée inconsciente. Elle balaya cette immense pièce du regard. Une grande salle blanche, très éclairée, dans laquelle des lits équipés de technologies médicales étaient alignés formant des îlots. Chaque îlot possédait du matériel adapté aux cas à traiter.
En voyant les appareils aux alentours, la jeune femme se dit que son état ne devait pas être si grave que ça. Aucun appareil mesurant ses signes vitaux n’était branché. Son bras était perfusé sous une poche de TH-7, un liquide concentré, fabriqué en laboratoire, favorisant la reconstruction des os et des tissus. Cependant, lorsqu’elle essaya de se redresser, ses côtes lui firent tellement mal qu’elle n’eut d’autre choix que de rester immobile.
Le sas de la porte principale de l’infirmerie se déverrouilla et la silhouette de Ravlock apparut. Il se dirigeait à présent vers le lit de la jeune femme.
— Tu sais que tu es plus solide que tu en as l’air ?
— Merci, j’essaye de faire de mon mieux.