Côme et Luana - Francesca Mora - E-Book

Côme et Luana E-Book

Francesca Mora

0,0

Beschreibung

Malgré une enfance saccagée et une adolescence sacrifiée il gère de main de maître la ferme familiale dans son Var natal, il n a pourtant que trente-trois ans et souffre de troubles bipolaires. Elle est marseillaise, a quarante-deux ans et a quitté sa ville dix-neuf ans auparavant pour la Croatie où l'enfer s'est ouvert sous ses pieds. Rien ne les prédestinait à se rencontrer et encore moins à s'aimer. Lorsque les fantômes du passé se mettront en travers de leur route, sauront-ils surmonter les obstacles pour sauver leur couple et faire fi de leurs différences...

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 251

Veröffentlichungsjahr: 2024

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


De la même autrice

Chez Books on Demand

On l’appelait Céleste

Chez Kindle Direct Publishing

Autopsie d’un naufrage

« Ce qui a été cru par tous, et toujours et partout, a toutes les chances d’être faux » Paul Valéry, Tel quel, Gallimard 1941

Chapitres

Chapitre 1 - L’approche

Chapitre 2 - L’univers de Côme

Chapitre 3 - Le courage de Luana

Chapitre 4 - Zagreb (Croatie) 1998

Chapitre 5 - Je t’aime moi non plus

Chapitre 6 - Un drame inattendu

Chapitre 7 - La vie malgré tout

Chapitre 8 - La vie à Dubrovnik

Chapitre 9 - De nombreuses zones d’ombre

Chapitre 10 - Un courrier inattendu

Chapitre 11 - Les retrouvailles

Chapitre 12 - Un secret pesant

Chapitre 13 - Les secrets de Côme

Chapitre 14 – Départ pour Milan

Chapitre 15 - La vraie vie d’Alessandra

Chapitre 16 - Pia Brunetti

Chapitre 17 - Une page qui se tourne

Chapitre 18 - Les regrets de Côme

Chapitre 19 - Tout premier amour

Chapitre 20 - Des retrouvailles inespérées

Epilogue

Chapitre 1 - L’approche

12 mai 2014,

Côme dispose minutieusement ses produits sur le stand, tapenade, terrines d’aubergines, fromage de chèvres qu’il produit lui-même, il est encore très tôt, les premiers badauds viennent d’arriver, pas forcément des clients, juste des curieux comme il en existe dans des petites communes où le marché demeure encore la principale attraction.

Il jette un regard à l’horloge de la mairie pour voir s’il dispose encore d’un peu de temps pour prendre un café bien serré avant que les premiers clients ne l’interpellent, en général ce sont des habitués qui apprécient la qualité de ses produits et puis les touristes déjà nombreux en cette saison.

Côme s’installe en terrasse, de là il a une vue imprenable sur la place, si un client s’attarde il aura tout le loisir de se lever pour le servir, il ne pourra pas la rater non plus, il n’en n’a pas dormi de la nuit et pour cause ce matin il a la ferme intention de l’inviter à dîner. Il ne se fait guère d’illusions, elle déclinera probablement, qu’importe il faut qu’il le fasse quel qu’en soit la réponse, il n’a que trop hésité.

La place de la Victoire se remplit petit à petit, habitués et curieux se fraient un passage parmi la foule dans une ambiance bon enfant, un marché de Provence où se mêlent senteurs, odeurs et couleurs comme dans la chanson de Bécaud.

Côme est retourné à son étal, déjà deux heures qu’il a installé sa marchandise et que les clients se succèdent, tous l’observent à la dérobée et chuchotent entre eux, le commerçant n’est pas dans son état normal, distrait, tout juste poli.

12 heures, la place se vide peu à peu, les forains commencent à débarrasser leurs stands, quelques clients s’attardent dans les allées, le ciel s’obscurcit comme le moral de Côme il a pourtant fait si beau jusqu’à 11 heures, l’homme le visage fermé ne daigne pas répondre aux boutades habituelles de ses collègues, il est ailleurs, une question tourne en boucle dans sa tête, obsédante comme une litanie :

— Pourquoi n’est-elle pas venue ce matin ?

Un jean tout neuf, une belle chemise, des mocassins chics qui lui font mal aux pieds, tous ces efforts pour rien, il jette plus que ce qu’il ne range son matériel dans son fourgon.

Une idée lui traverse l’esprit alors qu’il s’efforce de se calmer un peu, elle est peut-être souffrante il l’a entendue évoquer à mi-mots avec une cliente des soucis de santé la semaine dernière, il a eu beau tendre l’oreille ce jour-là il n’a pas pu comprendre de quoi il s’agissait, il a toutefois compris que c’était lourd à vivre, il s’est traité d’imbécile, lui qui avait cru bon de plaisanter quelques jours auparavant sur sa béquille, il croyait son handicap passager, un vrai crétin quand il y songe. Alban son pote d’enfance, forain a cru entendu dire qu’elle avait une maladie. Depuis Côme perd le sommeil et un peu l’appétit aussi, quoique les rumeurs dans les villages, on sait ce qu’elles valent.

Il s’est renseigné, l’objet de ses pensées demeure à deux rues du marché non loin de la place de la Victoire, une petite rue parallèle à la rue Foch, Dominique l’épouse de Gaetano le pizzaiolo de la place tient l’unique boutique de fleurs du village, lorsque cette dernière a confié avec des mines de conspiratrices avoir fait livrer le panier de roses jaunes le plus cher de son magasin à la nouvelle, celle qui habite la maison des frères Ferrera, Côme qui déjeunait ce jour-là dans le restaurant a fait mine de ne pas entendre mais ça l’a profondément déprimé, un amoureux évidemment, qui d’autre pourrait lui envoyer ce type de fleurs, c’est très symbolique, il n’a pas pris de dessert ce jour-là et s’est réfugié sous le figuier du jardin pour y griller cigarette sur cigarette.

Depuis plusieurs mois il ne vit que dans l’attente de la voir, un regard, quelques phrases banales et le voilà heureux comme un adolescent, il ne peut s’empêcher de se traiter d’idiot mais rien n’y fait.

Et aujourd’hui il prend conscience du ridicule de la chose, il ne sait rien d’elle hormis quelques brefs échanges très impersonnels.

Côme s’est confié à Sabrina l’épouse d’Alban, elle l’a pris très au sérieux, il n’est guère plus âgé que son propre fils Jean parti vivre au Canada, elle l’a porté à bout de bras avec Alban lorsqu’il a voulu mettre fin à ses jours après l’épisode Valéria, elle a depuis ce jour tissé un lien spécial avec lui et s’efforce de le protéger du mieux qu’elle le peut.

Alban à contrario n’a rien compris, se mettre dans des états pareils pour une nana mignonne certes mais plutôt maigrichonne, pas son genre lui les rousses anorexiques, son type c’est son épouse Sabrina, brune, bien en chair, une vraie femme comme il se plaît à le répéter.

Sabrina l’a soigneusement observé la rouquine, jolie fille, une silhouette de mannequin qu’elle lui envie, le vocabulaire et les tournures de phrases qu’elle utilise dès qu’elle ouvre la bouche ont de quoi en charmer plus d’un.

Elle s’est discrètement renseignée sur elle, la jeune femme se rend tous les jeudis au salon de coiffure de la place de la Victoire, c’est Ophélie sa cousine qui le tient, celle-ci n’est pas avare de confidences et s’est épanchée sur la nouvelle sans se faire prier, selon ses dires elle arriverait de Croatie où elle vivait depuis près de 20 ans.

— Une Croate s’est exclamée Sabrina ?

— Pas du tout a répondu Ophélie sur le ton de la confidence, une Marseillaise, elle s’était installée à Zagreb, elle est veuve enfin je crois, mais bon celle-là ce n’est pas le genre à s’étendre.

Sabrina n’a pas insisté. Elle en a parlé Alban, ça ne l’a pas plus intéressé que ça, il a choisi de le taire à son pote, ça finira bien par lui passer cette lubie.

Il s’apprête à démarrer lorsqu’une idée lui traverse l’esprit, s’il allait faire un tour dans la rue de son inconnue, passer sous ses fenêtres discrètement pour voir si les volets sont ouverts et peut-être l’apercevoir, avec un peu de chance.

Côme est assis dans son utilitaire, il hésite encore à quitter la place qui s’est peu à peu désertée, mû par une impulsion il s’extirpe du véhicule et se dirige d’un pas hésitant vers la rue de la République.

Sa maison est située tout en haut de la rue, entre la caisse d’épargne et la Poste, combien de fois s’est-il arrêté en voiture faisant mine de chercher quelque chose, d’attendre quelqu’un en espérant la voir sortir, aujourd’hui c’est à pied qu’il s’y rend. Ses chances de l’apercevoir sont si faibles qu’il est persuadé qu’il retournera bredouille à son véhicule.

Il s’appuie un court instant contre un mur et allume une cigarette histoire de se donner une contenance, d’où il se trouve il aperçoit la maison de son inconnue, sur trois étages elle se dresse devant lui comme le symbole d’une forteresse interdite, il est tout près maintenant il fait mine de chercher quelque chose dans ses poches à l’approche d’un groupe de jeunes qui rient et parlent fort et qui le dévisagent avec étonnement.

Il fait mine de ne pas les voir, après tout ce que pensent de lui des gamins n’a aucune importance, il en a vu d’autres dans la vie, il lui en faudrait plus pour le perturber, tout ce qui compte c’est son inconnue et pour cela il est prêt à attendre et attendre encore jusqu’à ce qu’elle apparaisse. La fenêtre du premier étage a la vitre entrouverte, elle est probablement à l’intérieur, les minutes s’écoulent sans que rien ne se passe, la rue est déserte il a des crampes dans les jambes et les frotte nerveusement pour les dégourdir lorsqu’un couple passe en se tenant par la main, il leur jette un regard sombre, interloquée la femme esquisse une sorte de grimace moqueuse, il détourne son regard, elle ressemble un peu trop à Valéria, le souvenir de son ancienne amoureuse le saisit à la gorge et lui fait peu à peu reprendre la raison, qu’attend-il d’une inconnue qui ne lui a jamais prêté attention. Il est comme dégrisé, revenu à la réalité, il s’apprête à faire demi-tour lorsque contre toute attente la porte en chêne s’ouvre en grinçant laissant apparaître la jeune femme.

Prudente, elle se déplace à petits pas en poussant un déambulateur à roulettes qui semble trop lourd pour elle et qu’elle cale contre le mur de la porte, une impressionnante poubelle posée en équilibre sur le devant du siège menaçant de tomber.

Côme n’a hésité que quelques secondes, la voilà qui surgit pile au moment où il ne s’y attendait plus, l’occasion est trop belle, elle ne se représentera peut-être plus, il se précipite de l’autre côté de la rue et fait mine de longer le trottoir pour arriver jusqu’à sa hauteur

Elle a tourné la tête vers lui et le regarde monter la rue une expression indéchiffrable sur son visage triste, ça le déconcerte un peu et manque de lui faire perdre tous ses moyens mais il se ressaisit très vite et d’une voix qu’il espère assurée lui propose de la décharger de l’encombrante poubelle.

Elle acquiesce après quelques secondes d’hésitation puis la lui tend sans plus de cérémonies, il s’apprête à bredouiller quelque chose mais se fige dans son élan car la jeune femme est rentrée à l’intérieur et appelle :

— Tanguy, Tanguy.

Côme par l’entrebâillement de la porte voit débouler dans l’escalier un superbe husky de taille impressionnante, le chien excité s’est rué sur le trottoir, sa maîtresse n’arrive pas à le rattraper, il s’y colle et le maintient le temps qu’elle lui passe une laisse autour du cou. « C’est l’heure de sa promenade, murmure-t-elle gênée, il ne tient plus ! »

Côme hésite, s’il la laisse partir, il ne sait quand il la reverra, le destin lui fait un signe, pas question de passer à côté.

— Attendez-moi, j’en ai pour une minute le temps de me rendre à la benne et je vous accompagne si vous voulez.

Il s’attend à un refus, s’immobilise inquiet, elle va probablement décliner son offre et anéantir ses espoirs en quelques secondes pas de doutes

— D’accord, allez-y nous vous attendons mais faites vite, je crains que Tanguy n’ait pas l’élégance de se retenir.

Il accélère le pas, s’il pouvait il volerait pour revenir plus vite vers elle, la chance est en train de lui sourire.

Il court plus qu’il ne marche au retour, la jeune femme a pendant ce temps récupéré le déambulateur sur lequel elle s’appuie pour ne pas tomber, Côme est impressionné par son courage, elle a attaché le chien sur le côté de l’engin, l’animal docile commence à descendre la rue, Côme propose de le mettre en laisse et de le tenir, elle hésite, ne veut pas qu’il se sente obligé, elle est habituée à se débrouiller seule de toute manière.

Il lui rétorque que ce n’est pas un problème, bien au contraire car il adore les chiens avec lesquels il a généralement un bon contact. Elle semble encore hésiter le fixant un peu sceptique, il se demande s’il n’en fait pas un peu trop, pourvu qu’elle ne se méprenne pas sur ses intentions. Tanguy s’impatiente et pousse de petits gémissements, il n’en peut plus lui de la valse-hésitation de sa maîtresse et de l’inconnu, il tire sur sa laisse en regardant dans la direction du parc, enfin ils se décident Côme qui ouvre la marche et Luana qui, ralentie par le déambulateur, les suit à distance.

Il se retourne de temps en temps pour voir si elle s’en sort, s’il ne tenait qu’à lui il marcherait juste à côté d’elle mais Tanguy ne l’entend pas ainsi, il accélère le pas. Arrivés à l’entrée du Parc il s’arrête prêt à retirer sa laisse au husky qui piaffe d’impatience, il esquisse un geste en direction de sa maîtresse pour indiquer qu’il va détacher l’animal, elle acquiesce par un hochement de tête.

Ils marchent silencieusement le long du chemin tout en surveillant Tanguy, le chien gambade dans l’herbe sans plus se soucier d’eux. Au détour d’un sentier une des roues du déambulateur se bloque, la jeune femme vacille sur le côté, Côme la retient fermement par la taille juste avant qu’elle n’atterrisse in extremis sur le sol. La proximité soudaine avec l’objet de ses pensées le fait défaillir, il est tout près d’elle, son parfum, mélange de rose, de chèvrefeuille et d’autres fragrances qu’il n’arrive pas identifier lui tourne la tête, ses longs cheveux roux qu’elle porte libre sur ses épaules lui frôlent la joue.

C’est elle qui se ressaisit la première, le visage en feu elle le remercie tout en se dégageant avec douceur. Ils ont perdu de vue Tanguy, ils l’aperçoivent couché au bord du petit lac en contrebas du parc. Côme propose de faire une halte sur l’un des bancs, ils sont tous libres à cette heure-ci, il s’attend à ce qu’elle décline sa proposition, elle accepte sans hésiter. Ils sont maintenant assis au bord de l’eau, le chien couché à leurs pieds, comme un couple qu’ils ne sont pas, constate l’homme à regret, cette idée lui donne le courage de se lancer, d’en savoir un peu plus, le sujet est tout trouvé, Tanguy. Elle ne se fait pas prier pour narrer des anecdotes à son sujet. Côme se surprend à rire il n’imaginait pas les huskys aussi facétieux, il se risque à lui dire son prénom, elle lui donne le sien, il se le répète dans sa tête, Luana c’est original et si féminin, il n’a jamais rencontré de Luana, des Elodie, des Caroline, une Valéria surtout, il la chasse de son esprit, pas question qu’elle s’immisce encore dans ses pensées celle-là !

Une heure s’est écoulée, ils n’ont pas cessé de discuter de tout et de rien, Côme est heureux, que ça lui semble indécent, il s’emballe toujours un peu trop vite, c’est une des composantes de sa maladie lui ont expliqué les psychiatres consultés. lorsque le diagnostic a été posé, le mot l’a fait sursauter, bipolaire, il n’avait jamais entendu ce terme auparavant, il s’est documenté, on trouve tout aujourd’hui sur internet, ce qu’il en a lu l’a conforté dans le diagnostic posé, c’est vrai qu’il se sent différent des autres garçons et ça depuis l’adolescence, hypersensible, écorché vif, se mettant vite en colère, ne parvenant pas à canaliser le trop plein d’émotions qui le submergent, souvent le souffre-douleur de ses camarades jusqu’à ce qu’il explose de colère.

Tanguy lèche les mains de sa maîtresse, c’est sa manière à lui de signifier qu’il en a assez, Luana comprend le message, le husky s’est beaucoup dépensé et le soleil tape fort, il a visiblement très soif, il est temps de rentrer, Côme remet la laisse autour du cou de l’animal qui le laisse faire, ça étonne sa maîtresse, Tanguy ne s’est jamais comporté ainsi avec les inconnus, Côme avoue qu’il a un faible pour les chiens, il en a deux chez lui, un labrador et un berger belge, Luana a les yeux qui brillent soudainement, elle aimerait bien les rencontrer, comment s’appellent-ils ? Et qui sait, peut-être pourraient-ils devenir des compagnons de jeu pour Tanguy. Côme n’ose y croire, c’est trop beau pour être vrai, il ne s’attendait pas à cette réaction, le prétexte pour la revoir lui est déroulé sur un tapis rouge, pour un peu il l’embrasserait d’autant plus qu’il en meurt d’envie, mais il se retient, c’est un garçon respectueux, ses anciennes compagnes peuvent en témoigner, même celle qui lui a tant fait de mal et dont la seule évocation le ferait pleurer.

Ils prennent le chemin du retour bien plus détendus qu’à l’aller, des regards étonnés les suivent ici et là au gré de leurs rencontres, c’est fou ce qu’il y a de monde soudainement dans les ruelles du village, Côme aperçoit Sabrina en grande discussion avec deux autres femmes devant le centre médical alors qu’ils longent le parking attenant, il fait des vœux silencieux pour qu’elle ne les voit pas et tente de contourner les voitures, peine perdue Sabrina les a vu et s’est figé en les apercevant, elle lui fait un petit signe si discret qu’il se demande s’il ne l’a pas imaginé.

Luana ne semble pas s’en être rendu compte, ils sont arrivés devant la porte de son domicile, peut-être va-t-elle lui proposer d’entrer, il la regarde glisser la clé dans la serrure sans mot dire, il espère encore sans y croire, la jeune femme semble très fatiguée, il a détaché la laisse de Tanguy qui sans plus attendre s’est rué à l’intérieur, elle se retourne vers lui, un large sourire aux lèvres le remercie pour ce qu’elle qualifie de parenthèse enchantée, il ne trouve rien à lui répondre, il se contente de la regarder intensément sans plus oser parler, il se ressaisit au moment où elle s’apprête à refermer la porte sur elle, il lui tend une de ses cartes de visite qu’il a extraits de son portefeuille, son numéro de téléphone y figure, il bégaie qu’elle peut le joindre si elle a besoin de quoi que ce soit, elle saisit le petit carton, le glisse dans la poche de son jean et lui offrant son plus beau sourire s’engouffre à l’intérieur de la maison, la porte s’est refermée.

Il ne touche plus terre lorsqu’il retourne à son véhicule, il ne s’est jamais senti aussi heureux, il n’est même pas étonné lorsqu’il aperçoit Sabrina, qui appuyée contre la portière avant semble l’attendre.

Il fait le choix de parler le premier pour évoquer le hasard qui lui a donné un coup de pouce et qui lui a permis de faire enfin plus ample connaissance avec la jeune femme. Côme n’est pas du genre à s’étendre, il s’en tiendra là

Sabrina acquiesce, elle a l’intelligence de ne pas essayer d’en savoir plus, tout juste se permet-elle de lui répondre qu’elle est très contente pour lui et dissimule sous son sourire de bien légitimes interrogations sur le devenir de cette relation.

Chapitre 2 - L’univers de Côme

Il s’efforce de se concentrer sur la route mais ne peut s’empêcher de tourner la tête vers sa passagère comme pour s’assurer qu’il ne rêve pas, il pourrait frôler sa jambe s’il bougeait un peu la sienne, ce qu’il ne fera pas pour ne pas la gêner, il lui jette des regards à la dérobée, ne se lassant pas de la contempler d’autant plus qu’elle est particulièrement en beauté aujourd’hui. C’est la première fois qu’il la voit en robe, ça met joliment en valeur sa taille fine et ses longues jambes, un physique de mannequin, ils vont en faire une tête tous à la ferme lorsqu’ils vont la voir descendre du break.

Depuis quatre semaines Côme vient régulièrement sortir Tanguy, le chien lui fait désormais fête lorsqu’il le voit d’autant plus que la plupart du temps il emmène avec lui ses deux chiens, Sultan un jeune labrador et Ulysse un berger belge un peu plus âgé, Luana ne peut s’empêcher de s’inquiéter lorsqu’elle les regarde s’éloigner, elle doit pourtant se rendre à l’évidence les trois animaux s’entendent comme larrons en foire.

Un rituel s’est instauré, Côme récupère Tanguy dans le hall et le dépose au même endroit au retour de la promenade, la plupart du temps Luana les guette à la fenêtre du premier étage, il espère qu’elle l’invitera à monter un jour sans trop y croire et puis une idée a germé dans son esprit, il lui a susurré à mi-mots tout d’abord pour ne pas l’effaroucher et puis il y est allé sans détours, il l’a invitée à visiter sa ferme et les ateliers de production, là où il fabrique ses fromages de chèvre. Il s’attendait à un refus, elle a accepté avec un enthousiasme non dissimulé. Il a pris soin de prévenir Rose et Magali qu’il allait faire découvrir à une amie l’atelier de fabrication et qu’il comptait sur elles deux pour expliquer le fonctionnement à son invitée.

Ses deux employées ont eu du mal à cacher leur surprise, le patron ne mène jamais personne à l’atelier hormis les fournisseurs et parfois quelques enfants des écoles voisines qui visitent la ferme avec leurs enseignants. Magali a supposé qu’il s’agissait probablement de son amoureuse, Rose a répondu qu’elle espérait que ce soit le cas, elle a ajouté tout bas qu’il lui en faudrait une bien gentille pour faire oublier la Valéria, puis elles se sont tues en entendant arriver Julien qui n’oublie jamais de venir les saluer quand il passe contrôler les bêtes.

Ils sont en train de discuter tous les trois devant l’enclos des chèvres juste à côté du petit parking lorsqu’ils aperçoivent le break marron de Côme, tous trois se tournent instantanément vers lui, Julien émet une interrogation au sujet de la passagère, Magali et Rose esquissent un sourire sans lui répondre, il ne sait quoi en penser !

Tous trois retiennent leur souffle lorsqu’ils le voient faire le tour de la voiture et sortir un déambulateur du coffre qu’il prend soigneusement le temps de déplier.

La jeune femme à l’intérieur du véhicule les a vus elle aussi, elle ne s’attendait pas à un comité d’accueil, elle se recroqueville sur le siège du break quelque peu paniquée, elle n’a qu’une envie faire demi-tour, quelle erreur que d’avoir accepté d’accompagner Côme dont elle connaît si peu de choses au fond, cette réflexion la ramène 19 ans plus tôt, elle n’était alors qu’une toute jeune fille qui s’apprêtait à embarquer sur le vol Marseille -Zagreb pour rejoindre un homme.

Marseille, 4 juin 1995, Luana grimpe quatre à quatre les escaliers du métro, elle va finir par être en retard, elle essuie maladroitement une larme qui coule sur son visage, Bérenger vient de rompre, il lui a avoué sans détours qu’il fréquentait une autre fille depuis plusieurs mois, le pire c’est qu’elle ne se doutait de rien, comment aurait-elle pu alors qu’elle venait de fêter ses 22 ans imaginer qu’il menait une double vie.

Béranger, c’était son tout premier amour, c’est lui qui l’avait abordée au campus la boite étudiante de la rue Fortia, Un coup de foudre réciproque, ils avaient tous deux 18 ans, quatre années de bonheur et de complicité les avaient tout naturellement emmenés à envisager un avenir commun, un projet d’appartement se profilait à l’horizon, Bérenger venait de décrocher un poste d’assistant dentaire tandis que Luana terminait sa dernière année d’histoire de l’art.

Un immense chagrin mêlé d’incompréhension la saisit, elle n’a rien vu arriver, elle était sur un nuage.

Elle voudrait pouvoir faire demi-tour, se réfugier dans sa chambre chez ses parents pour donner libre cours à son chagrin. Elle ne peut pourtant pas faire faux bond à Elena, la directrice de l’association Terre de Croatie. Si la jeune femme est bénévole elle n’en est pas moins très investie c’est elle qui accueille les nouveaux arrivants, les aident à trouver un emploi, un logement, leur apprend le français, sa maîtrise de la langue croate l’a tout naturellement emmené à répondre à l’annonce passée dans la Presse régionale, celle-ci stipulait que les bénévoles recevraient à titre compensatoire des tickets restaurants et le remboursement de leurs frais de transport correspondant à leurs heures effectuées. Un seul entretien avait suffi pour devenir l’assistante d’Elena.

Trois autres bénévoles depuis étaient venus rejoindre les rangs de Terre de Croatie, Aymeric à la comptabilité, Mireille et Coraline deux étudiantes en droit international. Les larmes contenues coulent à nouveau sur ses joues, inenvisageable d’arriver ainsi dans les locaux de l’Association d’autant plus que les questions ne manqueraient pas de fuser. Elle court plus qu’elle ne marche vers son bar favori, Le Richelieu sur la place de la préfecture, Bérenger lui donnait régulièrement rendez-vous dans ce lieu intime et chaleureux lorsqu’ils étaient encore étudiants. Elle a commandé un café bien serré en espérant sans trop y croire qu’il lui donne le coup de fouet nécessaire pour affronter la matinée.

Elle en ressort un quart d’heure plus tard un peu revigorée, pourvu qu’elle parvienne à donner le change jusqu’à 13 heures, c’est loin d’être gagné !

6 juin 1995, Françoise frappe une nouvelle fois à la porte de la chambre de sa fille, toujours la même réponse

— Je n’ai pas faim, je veux juste être tranquille, pitié, fous-moi la paix !

Sa mère a compris le message, elle bat prudemment en retraite, Louis son époux n’a eu de cesse de lui répéter de ne pas insister, il la connaît bien sa fille unique lui, écorchée vive, hypersensible, ne supportant pas les trahisons, l’injustice, une version de lui au féminin.

C’est dans ses bras que Luana en pleurs s’est réfugiée dès qu’elle a franchi le seuil de la maison familiale pour lui confier le malheur qui s’abattait injustement sur elle. Louis a sérieusement tiqué même s’il s’est efforcé de ne pas le montrer, son affection pour Béranger n’ayant jamais failli durant toutes ces années, il le considérait déjà comme son beau-fils, il est presque aussi malheureux que sa fille, il rumine tout bas de sombres pensées, il ne perd rien pour attendre ce petit con, il a intérêt à lui fournir une sérieuse explication à sa conduite sinon Louis risque de perdre son sang-froid et de lui mettre son poing sur la figure.

Chapitre 3 - Le courage de Luana

C’est une Magali très en verve qui fait les honneurs de l’atelier de fabrication des fromages de chèvre, Rose à contrario ne pipe pas mot, elle se contente malgré les regards noirs que lui lance Côme de faire semblant de nettoyer les cuvettes Patiemment l’employée de Côme explique à l’invité de son patron les différentes étapes de la fabrication d’un fromage de chèvre, ensemencer le lait y incorporer la présure afin de le faire cailler pour passer ensuite au moulage des fromages et pour terminer l’extraction du surplus de petit lait avec le remplissage des faisselles.

Luana est bon public, elle écoute avec attention les explications de la fromagère qui prend plaisir à détailler les étapes de fabrication devant l’intérêt manifeste de la jeune femme.

Côme est agréablement surpris, lui qui redoutait de provoquer de l’ennui chez la jeune femme, sait qu’il a marqué un point lorsqu’il observe ses yeux brillants et qu’il l’entend poser de pertinentes questions à Magali, seule Rose reste sur sa position et fait mine d’être absorbée par le nettoyage du matériel.

Côme a eu un instant de panique lorsqu’ils sont arrivés et qu’il a garé le véhicule dans la cour, il a cru qu’il allait devoir ramener Luana chez elle en la voyant recroquevillée sur le siège à l’intérieur du break, le petit comité d’accueil l’avait probablement déstabilisée, lui-même ne s’attendait pas à trouver ses employées en grande discussion devant l’enclos des chèvres, il avait même totalement occulté que c’était le jour de la visite du vétérinaire. Magali a terminé, ses explications Luana la remercie de lui avoir accordé autant de temps, Magali est aux anges, Rose marmonne dans son coin que ce cirque est ridicule, Côme lui murmure au passage qu’ils s’expliqueront plus tard, elle hausse les épaules pour toute réponse.

Côme est toutefois préoccupé, il a bien remarqué le léger malaise qu’a eu son invitée en franchissant le seuil de la porte pour sortir dans la cour, il ne sait s’il doit prolonger la visite comme il l’avait initialement prévu, la ferme est grande, peut-être devrait-il lui proposer de prendre un rafraîchissement à l’intérieur de la maison, il n’y a qu’à longer les bâtiments principaux et tourner ensuite à droite. Devant son visage congestionné il n’hésite pas longtemps, elle acquiesce sans la moindre hésitation et prenant son courage à deux mains le suit comme elle peut, ce n’est pas chose aisée de se déplacer avec un déambulateur sur la terre poussiéreuse et rocailleuse, elle est contrainte de faire appel à son hôte lorsqu’une des roues se bloque dans une branche, celui-ci s’exécute de bonne grâce.

Les voilà devant la porte vitrée du rez-de-chaussée de la maison, c’est une bastide aux murs couleur crème recouverts de lierre et aux volets bleu foncé, ils franchissent la porte du rez-de-chaussée, Luana tente de dissimuler une grimace devant la marche, elle souffre le martyre mais ne l’avouerait pour rien au monde, elle se laisse tomber avec soulagement sur le sofa en cuir marron qui lui tend les bras dans le salon. Côme s’est dirigé vers la cuisine, il en ressort quelques minutes plus tard avec un plateau sur lequel il a disposé une carafe d’eau, des jus de fruits et deux verres. La grimace de Luana devant l’entrée de la maison ne lui a pas échappé, il en a éprouvé de la peine pour elle, s’il avait osé il l’aurait prise dans ses bras et transporté jusqu’au salon.