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Aude n'aurait jamais pu imaginer en mettant de l'ordre dans l'appartement de ses parents décédés faire pareille découverte que celle du journal intime de sa grand-mère maternelle, c'est en Italie, dans la belle ville de Turin que la jeune femme dans sa quête de vérité obtiendra les réponses à un lourd secret de famille soigneusement gardé. Avec l'aide d'un notaire et d'un enquêteur elle tentera de remonter le cours du temps pour réhabiliter l'honneur d'une tante dont elle ignorait jusque-là l'existence.
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Seitenzahl: 483
Veröffentlichungsjahr: 2024
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À ma grand-mère Céleste et à ma tante Renée rebaptisée Sofia que je n’ai pas connue.
« Nous n’avons part à la gloire de nos ancêtres qu’autant que nous nous efforçons de leur ressembler. » Molière, 1665
Marseille,
La Tour du Pin,
Turin,
Ivrée,
Turin,
Ajaccio,
Epilogue,
9 mai 2014,
Le jour où Aude décida qu’il était temps de surmonter son appréhension et de mettre de l’ordre dans l’appartement de sa mère décédée trois mois plus tôt une pluie diluvienne s’abattit sur Marseille, un orage de grêle inhabituel pour la saison, signe prémonitoire d’une journée qui s’annonçait déjà fort éprouvante pour la jeune femme de 35 ans et qui ne cessait de différer cette épreuve depuis l’inhumation du corps de sa mère.
Garer sa Twingo sur le parking de la résidence s’avérait déjà un véritable défi en raison du nombre de voitures agglutinées devant le bâtiment où avait résidé durant 30 ans Carlotta et André Gauthier.
Une bourrasque suivie d’un nouvel orage plus violent rendant toute sortie périlleuse la contraignit à attendre dans la voiture.
— C’est pas vrai, Meeko, tu as vu ça, pas prudent de sortir pour le moment, on patiente !
Elle esquissa un geste de la main vers l’arrière pour caresser sa fidèle compagne, Meeko, femelle berger australien de cinq ans recueilli errante un hiver dans le centre-ville de Marseille, un chiot perdu, blessé à la patte de surcroît. Dans l’indifférence collective l’animal quémandait parfois de la nourriture devant le restaurant « chez Marius » situé sur le vieux port où la jeune femme déjeunait régulièrement. Aude n ‘hésita pas longtemps, elle fit monter le chien qui la suivit sans réticences dans le coffre de sa voiture et le déposa chez le vétérinaire qui suivait déjà Enya sa chatte birmane adoptée à la SPA de Marseille. Soigné, revigoré, apaisé le chiot repartait une semaine plus tard avec sa nouvelle maîtresse. Ces deux-là commençaient une belle histoire qui ne s’arrêterait probablement qu’à la mort de l’une des deux.
Immobile et attentive aux propos de sa maîtresse la chienne résignée assistait impuissante à cette déferlante de pluie qui la contraignait à demeurer à l’intérieur du véhicule, seuls quelques gémissements manifestaient sa désapprobation.
Profitant d’une accalmie, Aude s’extirpa rapidement du véhicule et se dirigea vers l’immeuble, la chienne sur ses talons.
L’ascenseur étant comme à l’accoutumée en panne, elle dut se résigner à gravir les trois étages en faisant des vœux silencieux pour ne croiser aucun voisin, affronter une fois de plus leur hypocrite condescendance s’avérait au-dessus de ses forces.
Sur le palier, elle marqua un temps d’arrêt, reprit sa respiration et respira profondément, elle ne pouvait plus reculer, il fallait entrer.
Elle glissa la clé d’une main peu assurée dans la serrure et ouvrit la porte blindée que son père avait fait installer quelques mois avant sa mort, déposa ses clés sur la console en bois d’ébène comme elle avait coutume de le faire puis longea rapidement le corridor pour arriver jusqu’au salon.
Meeko reprenant rapidement ses habitudes s’installa sur le tapis réservé à son usage juste à côté du sofa beige de Carlotta.
Une fois les volets ouverts elle entreprit un nettoyage minutieux d’abord de la cuisine puis de la salle de bains et enfin du salon gardant pour la fin ce qu’elle redoutait le plus, la chambre de ses parents, les deux autres chambres de la maison, en travaux lors du décès de Carlotta avait été vidé de ses meubles et stockés dans un garde meuble, elle devrait les récupérer un jour ou l’autre lorsqu’elle en aurait le courage.
C’est remplie d’appréhension qu’elle ouvrit la porte de la chambre en allumant la lumière.
L’immense sous verre au mur, celui qu’elle avait personnellement offert quelques années auparavant à ses parents la cueillit de plein fouet, le souvenir de cette journée surgit avec une intensité si douloureuse qu’elle pensa perdre connaissance.
La photo avait été prise lors d’un séjour à Genève où ils avaient tous trois passés un été inoubliable, Aude avait décidé au retour de vacances de faire agrandir le cliché et de le placer sous un cadre afin de faire une surprise à ses parents.
Le temps s’arrêta, les souvenirs affluaient comme une torture lancinante et incontrôlable, son chagrin la consumait tout entière, les larmes retenues déferlèrent telle une digue qui se rompt, elle y donna libre cours sans retenue. Dans le salon la chienne s’agitait, elle gémissait inquiète d’entendre sa maîtresse pleurer ainsi Aude se reprit, il fallait avancer malgré le chagrin.
Retournant dans le corridor, elle ouvrit le placard où Carlotta rangeait sacs poubelles et cartons et s’attaqua à la fastidieuse tâche du tri.
Qui n’a jamais vidé la demeure familiale ne peut connaître ce sentiment de souffrance et de perte de soi qu’il engendre se disait la jeune femme tout en se remémorant une conversation avec son amie d’enfance Camille psychologue qui lui avait confié que nombreux patients consultaient régulièrement en raison de la perte de repères que peut engendrer le décès de ses géniteurs.
Deux heures plus une dizaine de sacs jonchaient le sol du hall d’entrée, de nombreux objets qu’elle récupérait, des vêtements qu’elle porterait à la croix rouge selon les dernières volontés de sa mère.
Perfectionniste Aude ne pouvait s’en aller sans avoir au préalable fait une dernière tournée d’inspection dans la maison qu’elle songeait à regret à mettre en vente le plus vite possible. Ses pas la ramenèrent tout naturellement dans la chambre de ses parents, poussé par un élan incompréhensible elle attrapa une chaise et promena une main hésitante à l’intérieur de la grande armoire en pin clair, elle en extirpa au bout de quelques secondes une vielle boîte en fer forgée typique des années Quarante décolorée, usée, la jeune femmes possédait quelques réminiscences de cette boite, quelquefois Céleste la faisait asseoir à table et lui ouvrait sa boite à souvenirs comme elle la nommait, une simple boîte à photos en fait. Sa grand-mère instaurait ce rituel complice certains jeudis après-midi après le goûter.
Religieusement elle étalait une à une les clichés noirs et blancs aux coins usés et racontait à sa petite-fille l’histoire de ses photos, nul possédait le talent inimitable de Céleste, ses talents de conteuse. D’une photo d’un grand-père elle racontait une histoire, une légende où le faux se mélangeait habilement avec le vrai.
L’émotion la submergea, elle répandit le précieux coffret sur le lit, nombreux clichés noirs et blancs, quelques rares en couleur, témoignage du passé révolu mais si palpable cependant.
Elle les contempla, émue aux larmes de revoir sa mère enfant puis elle bébé dans ses bras, son grand-père Orso Manicce qui lui manquait tant, une photo de ses parents dans les jardins du Pharo, à la plage du prophète, sur le vieux port, son premier Noël, tellement de traces de souvenirs heureux.
Elle referma vivement la boîte et la déposa dans l’un des sacs à récupérer.
Un seul endroit de la chambre avait été oublié, la table de nuit de sa mère, son regard s’y attarda un instant, elle ouvrit le tiroir l’estomac noué sans savoir réellement pourquoi, des lunettes, quelques médicaments, des kleenex, rien de bien original sauf un objet qu’elle identifia à première vue comme un livre, ce n’est qu’en le sortant du tiroir qu’elle s’aperçut de son erreur, en fait il s’agissait plutôt d’un cahier assez épais recouvert d’une couverture de protection en tissu orange, intriguée elle le feuilleta rapidement, il était écrit en italien, à première vue un journal intime, Carlotta tenir un journal intime, assez improbable pour qui la connaissait, de plus il aurait été rédigé en français.
Elle l’ouvrit intriguée, aucun doute il n’appartenait pas à sa mère, Carlotta n’écrivait pas en italien, tout au plus parvenait-elle quelquefois à déchiffrer les lettres que recevait Céleste. La première page confirma ses certitudes, ce journal intime appartenait à sa grandmère maternelle Angèle surnommé Céleste.
Plus que la première page ce qui retint son attention fut une photo en noir et blanc écornée, jauni, elle y reconnut sa grand-mère, Carlotta bébé à priori ainsi qu’une jeune femme d’une quinzaine d’années d’une beauté saisissante. Aude envisagea la piste d’une cousine et mue par un vieux réflexe regarda au dos du cliché.
Elle lut et relut plusieurs fois ce qui était écrit n’osant en croire ses yeux
Sofia, Carlotta, miei figlie (Marseille)
— Sofia, Carlotta mes filles !
Interloquée Aude s’assit à même le sol, sa grand-mère étant décédée en pleine possession de ses moyens, la piste de la confusion, voire de la démence était inenvisageable, elle sentait la migraine la gagner, elle ne croyait pas ce qu’elle lisait, totalement impossible, il devait y avoir une explication à tout ça.
Meeko poussa un aboiement aigu qui ramena la jeune femme à la réalité, la chienne devait faire sa promenade, il était temps également pour elle de rentrer chez elle.
Elle glissa le cahier dans l’un de sacs de l’entrée, ferma rapidement les persiennes et coupa l’eau, elle n’envisageait pas de revenir d’un moment.
Sur le palier elle croisa un voisin de sa mère, Stéphane, infirmier de son état, une des rares personnes de la résidence avec qui elle acceptait encore de discuter, il lui proposa de l’aider à descendre ses nombreux sacs, elle lui en sut reconnaissante, pendant qu’il chargeait la voiture elle promena la chienne dans le parc attenant à la résidence, en évitant soigneusement de croiser d’autres connaissances, ce n’était un secret pour personne que Aude Gauthier n’appréciait guère les résidents de Belle-ombre et ils le lui rendaient bien.
Vingt minutes plus tard environ elle reprenait le chemin de sa maison l’esprit tourmenté.
Un embouteillage impressionnant mais habituel la ralentit au bas de la Rue Gillibert où se situait sa villa en fait celle que son demi-frère célibataire lui avait légué lors de son décès dix-huit mois auparavant.
Réaménager cette maison que Vincent journaliste avait déserté depuis dix ans pour habiter un studio en plein centre-ville, par commodité comme il disait, s’avéra être une énorme épreuve pour elle. Vincent détestait la banlieue, il n’était heureux qu’en ville, son temps de libre il le passait dans des vernissages, des soirées, des cocktails et autres futilités que sa sœur à l’inverse fuyait la plupart du temps.
Aude reçut cet héritage dans un premier temps comme un cadeau empoisonné, la maison dans un état de délabrement lui fit hésiter sur le bien-fondé de l’acceptation de cet héritage. Ce n’est que sur les conseils du notaire qu’elle envisagea de retaper cette maison qui disposait d’un beau volume, de pièces lumineuses et d’un grand jardin. Quitter son T2 exigu de La joliette ne serait pas un sacrifice à proprement parler, de plus l’assurance vie que son frère avait contracté en sa faveur couvrirait suffisamment les frais et lui laisserait encore après estimation une coquette somme pour voir venir.
Tout avait commencé par un appel téléphonique une fin de journée particulièrement harassante, une fin de journée où les répétitions pour « la Tosca » se prolongeaient indéfiniment, la première démarrait dans une semaine. Flavio Barzari, chef des chœurs de l’opéra de Marseille, dont faisait partie Aude n’avait eu de cesse de malmener ses chanteurs sautant sur le moindre prétexte. Réputé exigeant le chef d’orchestre atteignait ce jour-là l’apogée de la tyrannie.
Le regard furieux que lui jeta le maestro lorsque ce jour-là lorsqu’elle s’éclipsa le temps d’un appel lui fit prendre une décision qu’elle différait depuis trop longtemps.
Elle revint sans mot dire, ceux qui la connaissaient comprirent qu’elle venait d’apprendre une mauvaise nouvelle. Des larmes contenues brillaient dans ses yeux, indifférente aux injonctions de l’homme qui s’époumonait pour exiger qu’elle retourne à sa place, elle les planta tous sur la scène sidérés et figés en bon petits soldats soumis à la dictature de celui qui abusait de manière indécente de son statut.
Au moment de quitter la scène la jeune femme marqua un temps d’hésitation et faisant demi-tour sous les yeux médusés des choristes s’approcha du maestro et le gifla contre toute attente, quelques téméraires applaudirent mais Flavio Barzari n’eut pas le temps de régir, la jeune femme portait déjà l’estocade finale à son professeur de chant qui se doublait d’être son amant depuis plusieurs mois par ces mots sans équivoque :
— Oubliez mon téléphone définitivement Maestro, je quitte la chorale et je vous quitte aussi par la même occasion, personne ne m’aboiera plus jamais dessus, mes amitiés à votre épouse.
Aude venait ainsi de faire d’une pierre deux coups, mettre un terme à cette liaison sans issue d’une part et de l’autre abroger ce statut précaire d’intermittente du spectacle qui ne lui convenait plus.
Son chagrin fut immense concernant Vincent qui était en réalité son demi-frère mais les liens qui les unissait était intenses, elle apprit par des confrères reporters qu’il avait été fauché par une bombe lors d’un attentat à Téhéran. Journaliste d’investigation et de terrain l’homme était de toutes les situations dangereuses, il y avait perdu la vie à 45 ans !
Elle fut convoquée deux mois plus au cabinet notarial « Carella et associés qui se situait à la Rue Saint Ferréol à proximité de la préfecture de police où leur père travaillait avant son décès.
Son frère lui laissait tous ses biens : sa villa, un appartement occupé par un locataire, un garage et une assurance d’un montant indécent. Seule sa collection d’encyclopédies devait être remises à la bibliothèque de la chambre de commerce de Marseille où il entretenait d’excellentes relations avec le directeur qui se doublait d’être un ami d’enfance. Pour la jeune femme dont les fins de mois s’avéraient des challenges permanents, la vie en fut changée du tout au tout, son chagrin n’en fut pas moins fort mais sa mère ayant besoin d’elle, elle la gâta le plus possible, elle en avait désormais les moyens et ne s’en priva pas malgré les réticences de Carlotta qui à 70 ans développait une maladie invalidante et vivait très mal d’être à la charge de sa fille unique.
La mort d’André avait aggravé la maladie, son état nécessitait de nombreux soins coûteux. Aude put y faire face sans sourciller. Leurs conditions de vie s’améliorèrent considérablement.
Elle en profita pour changer d’orientation, le chant ? Terminé, elle évitait d’y penser !
— Tu y reviendras lui rétorquait Carlotta, c’est dans tes gènes, ton père ne s’épanouissait que lorsqu’il chantait.
Aude ne répondait pas, elle verrait bien plus tard, elle avait d’autres projets à concrétiser, un particulièrement lui tenait à cœur, ouvrir un salon de thé librairie dans sa ville.
Elle s’inscrivit à la maison des entreprises et suivit une formation accélérée pour futur entrepreneurs, elle bûcha quasiment jours et nuits enchaînant les cours et les stages.
Six mois plus tard son attestation en main, elle maîtrisait toutes les ficelles de la création de commerce. Elle avait durant sa formation mis en vente l’appartement inclus dans l’héritage, le locataire sur place avait la priorité, il venait d ‘accepter, cela lui permettrait d’investir sans emprunter et de pouvoir continuer les travaux de la villa où elle s’était installée avec sa mère.
A son grand regret elle ne put convaincre Carlotta de vendre son appartement, elle se résigna à ne plus en parler, c’était du temps perdu, Carlotta ne céderait pas.
— Tu le vendras à ma mort, s’évertuait-elle à répéter, ton père serais furieux si je le faisais, cet appartement c’était toute sa vie.
Aude s’était résignée et n’en avait plus parlé, désormais elle axait tout son temps de libre et elle en avait beaucoup à remettre la villa de Vincent en état. Commença alors un ballet incessant de maçons, de peintres, d’électriciens, de professionnels de la restauration de maison.
Quelques mois plus tard la maison avait repris son aspect quasi normal, certes il restait encore quelques finitions mais la mère et la fille pouvaient s’y installer sans avoir à rougir devant les éventuels visiteurs qu’elle recevrait.
Pour l’heure elle essayait de garder son calme malgré les klaxons excédés des automobilistes, la rue était une fois de plus embouteillée.
Dix minutes plus Enya les accueillait à sa manière, miaulements plaintifs, se frottant tour à tour contre sa maîtresse et contre la chienne qui comme à l’accoutumée faisait mine de ne pas s’en rendre compte. A vrai dire ces deux-là s’entendait à merveille, ça étonnait plus d’un visiteur, cette étrange cohabitation les laissait perplexe, c ‘était ainsi, la nature est surprenante, plus tolérants les animaux parfois que la plupart des humains, Aude en était fermement convaincue.
Elle prépara leur repas et se contenta d’un plateau sandwich, fruit pour elle, peu d’appétit ce soir-là, tant de questions sans réponses, pas question de somnoler devant la télévision ou de s’atteler à la finition du projet de salon de thé littéraire qu’elle avait retardé à la suite du deuil de Carlotta, non la priorité c’était la lecture de ce journal, de ce cahier, qu’allait-il lui révéler ? Son esprit vagabondait, imaginait divers scénarios. Céleste une autre fille ? elle avait donc une tante et Carlotta n’était pas fille unique et pourquoi une si grande différence d’âge ? Son grand-père plus jeune de dix ans au moins ne pouvait décemment être son père, ça signifiait que Céleste avait eu sa première fille avec un autre homme.
La migraine arrivait, elle se fit une tisane et se fit couler un bain aux huiles essentielles, ça marchait à tous les coups, même si la barre était plus haute et surtout très inhabituelle ce soir-là.
Confortablement installée sur son lit, deux oreillers calés derrière le dos elle se décida à ouvrir le précieux cahier. Comme attendu ce dernier était rédigé en italien, Aude détentrice d’un master d’italien ne devrait ne pas avoir trop de difficultés à traduire. Elle déchanta rapidement, le piémontais se révélait plus complexe dans ses tournures de phrases, loin de Dante Alighieri, d’Alberto Moravia ou de Primo Lévi sur lesquels elle avait tant bûché, Céleste parlait et écrivait la langue de la rue, pas celle des universités.
Refusant de s’avouer battue, elle persista dans sa lecture, les premières pages semblaient avoir souffert des ravages du temps, le papier usé abîmé, l ‘écriture irrégulière de sa grand-mère la découragea mais sans pour autant la faire renoncer.
Céleste parlait de son enfance à Sorriso où elle avait grandi en compagnie de quatre sœurs et un frère, elle évoquait avec beaucoup de tendresse sa mère Francesca et son père Sérafino. Quelques anecdotes sur ses sœurs, des histoires d’adolescentes, elle semblait cependant ne pas s’entendre avec la cadette Inessa qu’elle qualifiait de sournoise et de fourbe.
Une récurrence dans leurs rapports envenimées semblait-il sans que les sujets de discorde soient pour autant clairement mentionnés.
Au détour des pages une lui fit particulièrement retenir son souffle, « nous y sommes » songea-t-elle.
En haut de la page à droite, 1931, entourée en rouge et en dessous :
« Cosimo, Angéla-Célesta sono Sposati, mi chiama oggi signora Domenechini ! »
Céleste s’était donc marié une première fois en 1931, elle devait avoir environ 22 ans ou guère plus. Aude n’était pas au bout de ses surprises, elle poursuivit scrupuleusement sa lecture, intriguée par ce qu’elle pourrait découvrir sans en avoir la moindre idée.
« Je n’ai pas pu ouvrir le bal avec Cosimo, le bébé pesait trop fort sur mon ventre, maman a dit aux invités que c’est parce que j’avais trop grossi et que ma robe me serrait, Inessa a ri, personne n’a compris pourquoi heureusement, maman lui a passé un savon. » Aude relut cette phrase plusieurs fois pour en être bien sûre, si certaines tournures de phrase la faisaient hésiter, là elle n’avait aucun doute.
Sa grand-mère maternelle s’était bien mariée en 1931 et était enceinte lors de ses noces, la jeune femme tombait des nues, pourquoi lui avait-on dissimulé qu’Orso Manicce, son grand-père était le second époux de Céleste, pourquoi son entourage en particulier ses parents n’avaient jamais évoqué ce premier mariage. Il avait quand même laissé des traces et pas des moindres puisqu’un enfant était né de cette union, cette enfant qui était la demi-sœur de sa mère et par conséquent sa tante.
Quelques anecdotes sur le repas de noces dans les pages suivantes, les invités, le menu, les robes des femmes, sa grand-mère faisait également une allusion à Sérafino son père qui semblait avoir quelque peu forcé sur le chianti et s’était fait sermonner par son épouse Francesca qui l’avait poursuivi en le frappant à coups de châle autour de la table déclenchant ainsi l’hilarité générale des convives.
Elle éprouva plus de difficultés à traduire les autres pages, le cahier semblait avoir pris l’eau et de plus une tache sombre recouvrait largement le papier usé et jauni, néanmoins elle arriva à traduire une information capitale Cosimo était décédé huit années seulement après ses noces, Céleste s’était donc retrouvée veuve avec une petite fille à élever.
Elle dormit très mal cette nuit-là, se tournant et se retournant dans son lit, tant de questions sans réponses. Au petit matin elle se résolut à abréger cette torture, un rapide petit déjeuner avalé, elle alluma son ordinateur et consulta scrupuleusement les archives en ligne, malheureusement ses recherches tournèrent vite court, les archives italiennes ne disposaient que peu de ressources en ligne.
Le soir venu elle prit une décision inattendue qui changerait certainement le cours de sa vie, elle ignorait alors jusqu’à quel point, elle avait découvert dans les affaires de sa mère, livrets de famille, correspondance et surtout le lieu de départ de ses recherches la ville de la Tour du Pin situé en Isère, c’est là que Orso et Céleste s’était marié, là aussi que Carlotta était né, elle trouverait certainement d’autres indices à la mairie, elle leur passa un coup de fil pour s’assurer de la recevabilité de sa demande, il fallait prendre rendez-vous simplement, elle confirma le jour et l’horaire.
Dans l’après-midi elle avait découvert que sa grand-mère avait donné naissance à une première fille prénommée Sofia, sa mère et sa demi-sœur avaient donc treize ans de différence, ou peut-être plus, la photo découverte fortuitement corroborait cette hypothèse.
Le couple Manicce avait vécu quelques années en Isère, la première fille de Céleste devait probablement vivre avec eux. A l’intérieur du journal de sa grand-mère quelques lettres signées Sofia Thévenet puis la correspondance cessait brusquement en 1959. Une des lettres mentionnait l’existence d’une quincaillerie, une affaire familiale, l’époux de Sofia, Paul en était le sous-directeur, une moitié de la lettre manquait, perdu ou volontairement détruite
Munis de ces quelques indices elle avançait progressivement et se sentait moins démuni, même si le chemin lui paraissait fort encombré.
A 20 h, elle avait réservé un hôtel à La tour du Pin, sa première destination sous sept jours, le temps de s’organiser avec les animaux notamment une correspondance réservée en ligne la conduirait ensuite à Turin d’où Sofia écrivait ses dernières lettres et une carte postale signée Sofia et Giacomo.
Qui pouvait bien être cet homme, son nouveau compagnon probablement, l’esprit d’Aude vagabondait, extrapolait sans imaginer un seul instant qu’elle était très loin de la réalité.
Elle passa le reste de la semaine dans un état second, mais réussit à planifier et organiser son départ. Sa meilleure amie Camille garderait Meeko et Enya, Aude avait entièrement confiance en elle. Elle appela également Marie-Joëlle la dernière compagne de son frère, médecin à l’hôpital de la Conception, les deux femmes s’étaient rapprochées depuis le décès brutal de Vincent, elles se retrouvaient régulièrement ces derniers mois, un café sur le vieux port, un ciné, un shopping, tout prétexte pour partager des anecdotes concernant le défunt les rapprochait indéniablement.
Marie-Joëlle ne cacha pas son étonnement, certes cette découverte méritait que l’on s’y intéresse, mais pourquoi si vite, pourquoi ne pas attendre, réfléchir et posément avant de se lancer dans une aventure aussi complexe. Elle argumenta aussi le fait que son projet de café littéraire allait enfin voir le jour et que décaler son ouverture serait peut-être une mauvaise chose.
Rien ne put détourner Aude de son idée de départ, une force irrésistible, incompréhensive la poussait.
— Tu fuis le passé, tu n’as pas accepté le deuil de ton frère et de ta mère, tu t’es trouvé un dérivatif, un objectif d’autant plus stimulant qu’il est à teneur familiale.
Camille, en professionnelle de l’expression des émotions et des sentiments avait mis le doigt sur le mal-être qu’Aude refusait d’admettre.
Elle contacta une étude notariale à Turin après s’être assuré de la respectabilité du cabinet Moravia et associés Aude avait auparavant vérifié leur site en ligne et avait pris sa décision après avoir consulté la rubrique « Aide et cherche des familles, ancêtres, descendants, enquête, investigations...
Elle se retrouva la semaine suivante sur le quai de la gare SaintCharles un peu perdue, Camille occupée au cabinet toute la journée et Marie-Joëlle en formation n’ayant pu l’accompagner.
Perdue dans ses pensées elle n’entendit pas le haut-parleur annoncer :« le train à destination de Lyon Part-Dieu vient d’entrer en gare, départ dans quinze minutes. » Ce n’est qu’à la deuxième annonce qu’elle réalisa qu’i s’agissait de son train, Son Wagon portait le numéro B1589, elle s’y dirigea la démarche peu assurée, dans quoi s’embarquait-elle ? Une envie de faire demi-tour la saisit.
Un quart d’heure plus tard le train faisait route vers La Tour du Pin, elle trouva un siège confortable près de la fenêtre et reprit la lecture du journal de sa grand-mère, sommeilla quelques minutes et puis se décida à prendre une sommaire collation et une boisson au point restauration qui se trouvait à l’opposé de son wagon, pas le temps pour elle ce matin pour un petit déjeuner.
Une correspondance et près de trois heures plus tard elle était arrivée à destination. Le temps maussade et humide la surprit, il faisait si beau à Marseille, pas le même climat certes se dit-elle en haussant les épaules.
Trouver un taxi cependant s’avéra le parcours du combattant, elle était à deux doigts d’y renoncer lorsqu’un chauffeur la héla en lui demandant sa destination.
Soulagée elle s’engouffra dans la voiture et lui indiqua l’adresse de l’hôtel Mercure où elle avait réservée.
Elle y fut rapidement, le chauffeur pressé et taciturne avait mené train d ‘enfer, elle n’osa rien dire mais n’en pensa pas moins, encore un « jobastre » comme on dirait à Marseille plaisanta-t-elle, elle l’oublierait rapidement.
L’accueil chaleureux de la réceptionniste contrastait avec le silence du chauffeur indélicat, les formalités une fois effectué elle rejoignit sa chambre qui se trouvait au deuxième étage, vue côté ville. Elle prit une douche rapide et sommeilla une petite heure.
Il était treize heures, les sucs gastriques de son estomac la tourmentaient, mais aucune envie de descendre se restaurer en salle. Pourquoi ne pas faire un tour en ville et trouver un endroit sympathique pour y déjeuner sur le pouce.
Elle prit le soin auparavant de repérer sur un plan de la ville, La mairie centrale et résolut de s’y rendre en taxi, l’endroit regorgeait de brasseries, snacks, elle y ferait une pause déjeuner en attendant l’heure d’ouverture des bureaux.
La pluie avait enfin cessé, quelques timides rayons de soleil pointaient leur nez, sa motivation s’en trouva décuplé.
A 14h elle se trouvait dans l’impressionnant hall d’entrée de la mairie centrale, à l’accueil on lui expliqua que les archives et les actes de naissance et mariage se trouvaient au troisième étage du bâtiment et qu’il fallait d’abord s’inscrire sur un registre et mentionner son propre état civil et déposer sa pièce d’identité.
Un dédale de couloirs, d’escaliers, Aude s’égara jusqu’à ce qu’un employé compatissant la conduise directement au bureau de l’état civil.
Contrastant singulièrement avec l’accueil professionnel du bureau des entrées Aude dut subir l’incompétence voire l’agressivité d’une gorgone rébarbative s’obstinant à ne pas comprendre la demande pourtant fort légitime de la jeune femme.
Aude commençait à perdre pied lorsqu’une collègue moins obtus intervint et demanda à La jeune femme exaspérée livrets de familles et preuves de parenté ainsi que le récépissé de la demande faite sur Internet et lui remit en un temps record les précieux documents.
Elle se réfugia dans un salon de thé à quelques rues de la mairie et prit connaissance quelque peu fébrilement des documents. Elle possédait désormais l’acte de naissance de sa mère, l’acte de mariage d’Orso et d’Angèle ainsi que l’acte de mariage de Sofia et d’un certain Paul Thévenet avec qui elle semblait avoir eu un fils au vu de l’acte de naissance et que cet enfant se prénommait Jacques.
Perplexe, Aude ouvrit son sac d’où elle en extirpa le journal intime de sa grand-mère qu’elle avait pris soin d’emporter avec elle, la carte postale de sa tante était glissée au milieu, à côté de sa sa signature un nom Giacomo, brusquement Aude comprit que Jacques se disait Giacomo en italien, comment n’avait-elle pas compris qu’il s’agissait d’un enfant, si l’on prenait le temps de bien regarder le verso de la carte et de comparer les deux signatures on voyait bien qu’il s’agissait d’une écriture enfantine.
Elle relut les quelques rares pages entières du journal et trouva ce qu’elle cherchait, il semblait que la famille Thévenet possédait une affaire familiale de dimension suffisamment importante puisqu’elle employait de nombreuses personnes, la quincaillerie Thévenet faisait vivre bon nombre de ces concitoyens depuis quelques décennies et si.
Une idée lui vint soudain, ouvrant rapidement le moteur de recherche google sur son mobile elle tapa : Giacomo Thévenet et attendit surexcitée la réponse.
Quelques minutes plus tard elle était fixée, un Giacomo Thévenet apparaissait sur l’écran à deux adresses, l’une mentionnait « Quincaillerie Thévenet, maison ancienne référente depuis 1947 » et l’autre indiquait semblait-il l’adresse et le numéro de téléphone du même homme, mais comment s’en assurer sans commettre un impair, après tous les homonymes ça existe songeait-elle mais là ça serait trop fort comme coïncidence.
Sans trop réfléchir pour ne pas se raviser, elle composa le numéro du domicile et fébrile attendit.
Un répondeur se déclencha, instantanément elle raccrocha, elle détestait ces machines qui vous enregistrent, en vous déformant la voix, sur les portables la messagerie s’avérait parfois incontournable mais elle était censée être consulté uniquement consulté par l’interlocuteur tandis qu’un fixe c’était différent.
Soudain venant rompre le silence oppressant, une sonnerie retentit, celle de son téléphone, elle reconnut immédiatement le numéro qu’elle venait de composer.
Ne pouvant alors se dérober, elle prit une grande inspiration et décrocha en essayant de donner un ton naturel à sa voix.
— Bonjour, excusez-moi, mais si je ne trompe pas, vous avez essayé de m’appeler, c’est à quel sujet
L’homme avait une voix claire et agréable, ça la rassura et l’incita à parler
— Bonjour, oui merci de me rappeler, voilà ma démarche va vous surprendre, je me présente, je me nomme Aude Gauthier, ma grand-mère s’appelait Angèle Mongini mais on l’appelait Céleste, je crois que c’était aussi votre grand-mère.
Elle commençait à bafouiller sous le coup de l’émotion et se sentit ridicule.
L’homme ne disait mot, elle poursuivit :
— Je pense que vous êtes le fils de Sofia Domenechini, la demisœur de ma mère et que nous sommes cousins.
Voilà c’était dit, soulagée elle attendit, elle était parvenue à le dire
La balle était dans son camp, comment allait-il réagir, certainement lui raccrocher au nez.
— Comment m’avez-vous dit que vous appelez et comment s’appelait votre mère ? l’homme semblait déconcerté mais moins que ce qu’elle avait imaginé.
— Aude Gauthier, mon père était André Gauthier et ma mère Carlotta Manicce.
Un silence s’ensuivit, Aude se tétanisait, allait-il lui raccrocher au nez ou pire l’insulter.
— Eh bien dit enfin l’homme au bout du fil, vous seriez donc ma cousine, pourquoi pas après tout et que me vaut le plaisir de ce coup de fil inattendu ?
— Disons que je suis en train d’effectuer des recherches généalogiques sur la branche Mongini et que ma démarche incluait la Tour du Pin, j’y suis pour trois jours et je me rends ensuite à Turin…
Il ne la questionna pas à ce sujet mais s ‘enquit de savoir où elle logeait. Contre toute attente son cousin lui proposa alors de dîner chez lui le soir même. Il s’excusa d’avance, il était un piètre cuisinier mais il se débrouillait depuis le décès de son épouse et du départ de ses filles mais il serait ravi d’avoir de la compagnie, si 20 heures lui convenait.
Aude accepta l’invitation inattendu de son tout nouveau cousin, elle n’en espérait pas autant, il lui indiqua l’adresse complète et raccrocha en lui souhaitant une bonne journée.
Elle passa le reste de l’après-midi à se promener dans la ville, la pluie la rattrapa une fois de plus, elle renonça au shopping et se réfugia à l’hôtel. Après tout ça lui permettrait de poursuivre la lecture du journal de sa grand-mère.
Le temps passa très vite, obnubilée par sa lecture elle faillit en oublier l’heure.
A 19h30 le taxi qu’elle avait réservé en ligne s’arrêtait devant l’hôtel, elle s’y engouffra rapidement, une pluie diluvienne s’abattait sur La Tour-Du-Pin.
Le chauffeur la déposa à 20 heures pile devant une demeure bourgeoise aux murs beige et aux persiennes bleu délavé, elle lui trouva du charme, il devait faire bon vivre dans cette maison.
Elle gravit les marches qui la menèrent sur un perron abrité d’une petite véranda, elle marqua un temps d’arrêt puis appuya sur la sonnette d’une main légèrement hésitante. Quelques secondes plus tard un homme mince de haute stature et les cheveux grisonnants ouvrit la porte et l’accueillit chaleureusement, elle en fut réconfortée.
— Bienvenue chez moi, chère cousine enchantée de faire votre connaissance.
L’homme était courtois et stylé, il l’aida à retirer son gilet qu’il accrocha à une patère du vaste hall et lui proposa de prendre un verre dans la bibliothèque avant de passer à table, elle le précéda et se trouva dans une pièce feutrée et cosy, deux divans en cuir noirs de part et d’autre soigneusement disposés, une table basse en marbre sur laquelle reposait quelques ouvrages, l’un d’un économiste et l’autre d’un acteur italien des années 1950 décédé récemment. Tout autour des rayonnages par lesquels on accédait par une échelle sur le côté. Impressionnée Aude contemplait avec un intérêt non dissimulé cette imposante bibliothèque qu’aurait envié nombre de ses amis, notamment Camille, férue de littérature et en quête perpétuelle d’’ouvrages de collection et d’incunables.
Il lui proposa un apéritif, elle en choisit un sans alcool, il n’en fit aucun commentaire et lui proposa de le déguster sur l’un des divans en garnis de coussins décorés du drapeau italien, ça la fit sourire mais elle s’abstint de tout commentaire.
Elle formula cependant son étonnement de la dimension d’une telle demeure pour une seule personne.
Il lui expliqua que ça n’avait pas toujours été le cas, jadis ils habitaient à cinq dans cette maison son épouse, la mère de celle-ci et leurs deux filles des jumelles. Lorsque Aude un peu gêné s’enquit de ces personnes il lui apprit son veuvage, le décès de sa belle-mère âgé de 92 ans, quand à ses filles, l’une vivait en Angleterre avec son compagnon, ils y avaient ouvert un pizzeria tandis que l’autre faisait plus ou moins le tour du monde et écrivait pour un magazine d’investigation dont elle était la correspondante, Aude songea à son frère également journaliste, son cœur se serra, elle se reprit très vite, ce n’était ni le lieu ni le moment pour se laisser aller à son chagrin.
Aude n’osait poser l’interroger sur les circonstances du décès de son épouse, c’est l’homme qui en parla spontanément.
Il expliqua d ‘une voix altérée que Pia avait perdu la vie huit ans auparavant des suites d’une maladie neurodégénérative.
Aude n’insista pas, hors de question d’être indiscrète, elle lui témoigna ses regrets pour ce décès.
Il la remercia pour sa compassion qu’il sentait sincère. C’est dans cet état d’esprit qu’il lui proposa de rejoindre la salle à manger afin de passer à table.
Le repas fut délicieux, de l’entrée au dessert, un sans-faute, un hôte raffiné, Aude était aux anges, elle parla de sa vie à Marseille, de ses parents, narra quelques anecdotes sur son enfance qui amusèrent beaucoup son cousin. Elle l’écouta avec un plaisir non feint les débuts de la quincaillerie Thévenet, modeste boutique durant la première guerre mondiale. Connaître un tel essor au point de s’agrandir, de se diversifier jusqu’à devenir une chaîne de bricolage de référence dans la plupart des villes françaises, il avoua qu’il ne l’aurait jamais imaginé.
Lorsqu’il lui proposa de retourner au salon pour prendre un café ou un digestif, elle songea qu’il était temps d’aborder le sujet qui l’avait amené dans un premier temps à La Tour Du Pin. Elle commença par la découverte du journal intime de leur grand-mère commune, elle aborda la photo sur laquelle figurait les deux filles de Céleste et exprima le choc que cette découverte avait provoqué en elle. Elle sentit Giacomo se fermer quelque peu même si l’homme gardait la pleine maîtrise de lui, le malaise était perceptible.
Toutefois il écouta dans un silence quasi religieux la jeune femme. Lorsqu’elle eut terminé, il garda le silence quelques secondes et se servant une tasse de café la regarda avec intensité et reprit la parole.
Il confia à Aude avoir peu de souvenirs sur son enfance, mais qu’il avait régulièrement entendu sa mère mentionner le prénom de sa petite sœur qu’elle aurait tant aimé revoir.
Aude s’étonna alors de cette rupture de correspondance entre sa grand-mère et sa fille aînée, elle évoqua certains passages du journal et fit un parallèle entre le départ de Sofia et de Giacomo à Turin et la cessation de toute correspondance trois ans après. Elle avoua son incompréhension de la situation puisque de nombreuses pages avaient été arrachées du journal. Lorsqu’elle en vint à parler à l’homme de son père prénommé Paul, elle perçut nettement une colère contenue s’afficher sur le visage de l’homme, elle en fut gênée comprenant qu’elle avait commis une erreur en prononçant ce prénom, qu’est-ce que cela pouvait bien cacher ?
Elle eut alors le réflexe salvateur de changer de conversation, ils parlèrent compositeurs italiens, Verdi, Rossini, Puccini, lorsque la jeune femme confia avoir été choriste à l’opéra de Marseille, Giacomo l’encouragea à lui chanter un extrait de l’élixir d’amour de Donizetti qu’il affectionnait particulièrement, ému l’homme laissa échapper quelques larmes qu’il s’efforça maladroitement de cacher.
— Cet air sublime me rappelle le passé, un passé bien lointain, mais c’était une autre époque conclut-il
La soirée touchait à sa fin, il était 10h30, Aude allait appeler un taxi lorsque l’homme lui proposa de la ramener, elle accepta avec empressement sa proposition tout en s’excusant de le déranger. Il balaya ses dernières hésitations d’un geste de la main et ajouta que c’était la moindre des choses.
Vingt minutes plus, la Ford Fiesta couleur métal de Giacomo la déposait devant l’entrée du mercure. Au moment de se quitter l’homme la serra dans ses bras et lui fit promettre de lui donner de ses nouvelles régulièrement. Aude acquiesça avec un sentiment de culpabilité, elle n’avait pas dévoilé la réalité de ses projets à son cousin, une sorte d’instinct l’avait contrainte à taire son départ pour Turin.
Elle regagna sa chambre nostalgique, l’absence de sa mère partie trop tôt la rattrapait ce soir intensément, les larmes coulèrent de ses joues sans qu’elle puisse les contenir, son statut d’orpheline la faisant souffrir cruellement. Le sommeil fut long à venir et la nuit assez agitée, au matin elle avait pris une décision, pourquoi s’attarder dans cette ville, les documents en sa possession, la rencontre avec son cousin, que pouvait-elle espérer de plus.
Elle appela la direction dès son réveil et les informa qu’elle quittait l’hôtel le soir-même et leur demanda de préparer sa note, elle prit soin de s’assurer qu’une place sur le TGV la Tour-Du-Pin – Turin soit disponible en fin de journée, il y en avait une pour 17 heures, elle la réserva sans hésiter puis appela la secrétaire du cabinet Moravia à Turin et obtint directement le notaire qui accepta sans sourciller de la recevoir deux jours plus tôt.
Elle avait largement le temps de faire quelques courses avant le départ, pas le temps de déjeuner, elle prendrait un café et un croissant sur son trajet. Perdue dans ses réflexions, elle n’entendit pas son portable sonner, nullement découragé son interlocuteur rappela, elle décrocha ne reconnaissant pas le numéro qui s’affichait.
Une voix d’homme qu’elle ne reconnut pas.
— Bonjour Aude, j’espère que je ne vous réveille pas, c’est un peu tôt j’en conviens mais je voulais vous inviter à déjeuner dans le centre-ville, je connais un excellent restaurant, pour tout vous dire, c’est un ami qui le tient, qu’en dîtes vous ?
Giacomo Thévenet, qui d’autre pourrait m’inviter ici pensa Aude, un peu surprise elle répondit sur le ton le plus neutre qu’elle pouvait.
— Bonjour Giacomo, non vous ne me dérangez pas, volontiers pour le déjeuner, je pense que nous avons encore des choses à nous dire.
Elle laissa volontairement le dernier mot en suspens et attendit sa réaction
— Je crois en effet que nous devons parler Aude ce repas nous en donnera l’occasion.
Rendez-vous fut pris pour 12h30 devant « Le bec fin » qui se situait à la rue Alfred Boucher, Aude chercherait sur un plan ou demanderait à la réception de l’hôtel.
Ce que la jeune femme avait en tête depuis cette nuit, c’était de se rendre à Notre dame de l’Assomption, dans cette église s’était tour à tour marié Céleste puis Sofia et Giacomo y avait été baptisé, ces renseignements figuraient sur les documents administratifs en sa possession depuis la veille.
Elle y fut une demi-heure après avoir quitté l’hôtel, le soleil contrastait avec la pluie diluvienne de la veille, elle avait fait le chemin à pied se contentant d’une pause à la mi-chemin dans un bar pour prendre un petit déjeuner.
La beauté des lieux et le calme qui régnait à l’intérieur de la basilique la saisit, elle s’y recueillit quelques instants, imagina Céleste et Orso jeunes mariés, Sofia et Paul et enfin Giacomo bébé dans les bras de sa mère, cette jeune beauté brune qui ressemblait tant à Céleste et dont elle ne soupçonnait pas l’existence deux semaines auparavant.
Sur le chemin du retour qu’elle fit à pied malgré la distance elle se remémora le dîner de la veille et songea qu’elle devait convaincre son cousin de lui parler de sa mère Sofia, elle avait fort bien compris que l’homme cachait des choses et que se rendre à Turin avec le plus d’informations possibles s’avérerait un précieux sésame, se laisserait-il convaincre ? Pas sur
Elle arriva la première, le restaurant, la devanture très caractéristique des trattoria italiennes la fit sourire, décidément Giacomo était fidèle à ses racines.
Un homme petit râblé au large sourire sortit de derrière le comptoir et vint à sa rencontre
— Signora, vous avez réservé ?
Elle fit non de la tête et déclina le nom de Gianfranco Thévenet, son cousin ajouta-t-elle ;
Le visage de l’homme s’éclaira
— Oui bien sûr, la cousine marseillaise de ce cher Gianfranco, soyez la bienvenue, je vous amène à votre table, il vous y attend.
Elle le suivit dans sans sourciller à travers des rangées de corridor étroites mais lumineuses soigneusement décorées sur le modèle des trattorias italiennes.
L’un des corridors s’ouvrait sur une petite salle chaleureuse et accueillante, Giacomo se leva à son arrivée.
Il l’embrassa sans conviction, il semblait soucieux, il s’enquit de sa matinée, elle s’abstint de lui, parler de son périple à la basilique, c’était totalement superflu
Un serveur leur apporta les menus, ils choisirent en silence, aucun des deux ne semblait disposé à parler le premier, ce fut Aude qui se décida.
— Je quitte La ville de soir, je me rends à Turin, j’ai un train à 17 heures
Giacomo releva la tête de son menu et la fixa, interloqué, visiblement il ne s’y attendait pas
— Pourquoi cette hâte si je peux me permettre, c’est moi que vous fuyez, ai-je dit quelque chose hier soir ou fait qui vous aurait blessée ?
— C’est plutôt ce que vous n’avez pas dit qui m’incite à aller chercher les réponses là où elles sont et ma conviction me dit qu’elles sont à Turin
— Prenez garde de ne pas tirer de conclusions trop hâtives Aude, vous êtes jeune et vous êtes en droit de vous poser des questions mais la vérité est parfois complexe et il n’est pas raisonnable de remuer le passé. On risque d’en être éclaboussé et de ne plus jamais être la même personne, croyez-moi si votre mère et notre grand-mère ne vous ont rien dit c’est qu’elles avaient leurs raisons, respectez les…
Le « notre grand-mère » l’avait surpris, il confirmait ce lien familial qui s’imposait comme une évidence désormais, elle comprit qu’ils venaient tous deux de franchir une étape importante dans leurs relations.
— Je pense que ma mère et mon grand-père me trouvaient certainement trop jeune à l’époque pour entendre un secret de famille mais comme vous le constatez je ne suis plus une enfant et j’ai besoin d’aller au bout de cette histoire, quitte à laisser des plumes, je n’ai rien à perdre, pas de mari, pas d’enfants, plus de frère, plus de parents et même plus d’amant si vous vous voulez tout savoir, il n’y a que mon chat et mon chien qui me donne encore envie de me lever le matin.
Elle avait presque crié cette phrase.
Son cousin s’il en fut troublé n’en montra rien, seuls un couple attablés quelques mètres plus loin tourna la tête vers leur direction.
Aude remontée enchaîna, si je n’avais pas trouvé le journal intime de « notre grand-mère comme vous dîtes je n’aurais jamais soupçonné votre existence ni celui de votre mère, je n’ai moindre famille et n’aime pas les secrets de plus aussi j’entends bien découvrir pourquoi ma mère n’a pas jugé bon de me parler de sa demi-sœur, elle devait avoir de sérieuses raisons, quant à Angèle comment a-t-elle pu vivre sans jamais faire allusion à sa fille, nom de dieu, ça me sidère.
Giacomo esquissa un sourire, cette cousine lui rappelait furieusement à sa mère Sofia, le sang ne saurait mentir, cette jeune femme ne semblait pas démunie de caractère, un trait de famille qui les rapprochait.
Il marqua un temps d’arrêt, hésita puis finalement d’un geste rapide attrapa la sacoche marron posé à ses pieds, le serveur vint prendre leur commande les obligeant tous deux à revenir à la réalité.
Aude commanda un seul plat de raviolis aux truffes et un café pour aller plus vite, son cousin en fit autant
— Qu’alliez-vous prendre dans cette sacoche lui demanda-t-elle fort abruptement
— Déjeunons d’abord, vous verrez bien !
— Encore des mystères ?
— Pour ma part, ce sera le dernier, vous aurez d’autres surprises à Turin
— De quel genre de surprise parlez-vous ?
Il préféra s’abstenir de répondre, leur déjeuner arrivait, il s’enquit de sa santé, de ses projets et parla de futilités pour détendre l’atmosphère…
Une demi-heure plus tard ils dégustaient une croustade aux pommes et aux amandes et un tiramisu offerts par le patron du « bec fin ».
C’est un ami d’enfance italien crut nécessaire de préciser Giacomo, le déjeuner s’éternise pensa Aude… elle commençait à manifester de l’impatience ;
Si son cousin s’en aperçut il n’en fit rien voir et d ‘un geste rapide sortit de sa sacoche un paquet de lettres scellées par un ruban usé de couleur indéfinissable.
Intriguée Aude refoula les questions qui lui brûlaient les lèvres, se contentant d’observer intriguée ce geste inattendu.
Il les lui tendit avec un peu de réticence, elle le comprit, elle s’en empara quelque peu fébrile devant cette soudaine marque de confiance mais de qui provenait ce courrier, elle s’en doutait mais attendit la confirmation qui ne tarda pas à arriver.
Déjà Giacomo enchaînait :
— C’est une partie de la correspondance échangée avec ma mère depuis disons un certain temps, vous verrez par vous-, même je ne vous en dirais pas plus, vous en apprendrez davantage à Turin et vous en saurez beaucoup plus si vous avez la patience de lire toutes ces lettres.
Aude tout en l’écoutant feuilletait le paquet entre ses mains, le cachet mentionnait Ajaccio-Bonifacio-Sartène, ces lettres provenaient tour à tour de la Corse du Sud, un endroit qu’elle connaissait bien pour s’y être rendu régulièrement dans son enfance.
La plupart de ces lettres indiquent toutes la même provenance, votre mère vit en Corse, comment se fait-il alors que je n’ai jamais entendu parler d’elle, nous y allions régulièrement en vacances avec mes parents pourtant, nous aurions pu aller la voir, j’aurais pu la connaître, je ne comprends pas à quoi tout cela rime, comment ma mère pouvait passer quinze jours sur l ‘île sans rendre visite à sa demisœur. L’homme éluda la question, il semblait ne plus l’écouter lorsque dans un grand soupir le regard dur il reprit la parole d’une voix étrangement rauque.
— Je vous conjure de garder pour vous ces lettres et de n’en faire allusion à personne, vous n’entendez personne, ce que j’ai fait aujourd’hui relève d’une trahison d’un secret de famille, si j’ai aujourd’hui quelque part failli à cet engagement, tout au moins une partie c’est parce que vous avez le droit de savoir mais peut-être allezvous regretter de vous être embarqué dans cette histoire.
Aude mal à l’aise ne put rien ajouter de plus et se contenta de remercier Giacomo pour cette marque de confiance et l’assura de sa plus grande discrétion
— Jurez-le sur Angèle insista Giacomo
Elle jura tout en pensant qu’il en faisait trop mais s’abstint de tout commentaire malgré les innombrables questions qui l’agitaient.
L’heure tournait, le café avalé la jeune femme jeta un regard sur sa montre, elle souhaitait rentrer à son hôtel terminer ses bagages et passer quelques coups de fil avant le départ pour la gare.
Ils se levèrent en même temps et prirent congé du patron qui en hôte courtois les raccompagna jusqu’à la sortie. Ils prirent congé chaleureusement, Aude espérant y retourner le plus rapidement possible, la cuisine était délicieuse et le cadre agréable.
— Vous rentrez comment s’enquit son cousin ?
— Je vais marcher jusqu’à l’hôtel, le temps est superbe, je vais en profiter, de plus je n’ai pas terminé mes emplettes.
— Je vais vous quitter ici chère cousine, j’ai été ravie de vous rencontrer et j’espère vous revoir le plus vite possible, qui sait je ne connais pas Marseille, peut-être pourriez-vous jouer les guides pour moi.
— Avec plaisir, je vous appellerais dès que je serais revenue de Turin et nous mettrons ça au point
Toute tension semblait effacée, une façade se dit la jeune femme, nous jouons un rôle tous les deux mais la tension est palpable, il sait pertinemment que ce que je vais découvrir à Turin risque de nous éloigner plus que de nous rapprocher ou l’inverse, on verra bien au fond !
Ils s’embrassèrent maladroitement, leur récente discussion ayant créé un léger malaise.
Elle s’éloigna d’une démarche qu’elle espérait le plus décontractée possible sentant le regard de l’homme sur elle mais n’y parvint pas réellement, un léger tremblement la gagnait, elle respira un grand coup, ça allait déjà mieux.
Elle prit une heure pour faire quelques achats dans la ville, la Tour du pin est une ville agréable, pas le même charme que Marseille mais attrayante, il doit faire bon y vivre songeait-elle.
Une fois arrivé à son hôtel elle appela Camille puis Marie Joëlle pour les informer de son départ imminent pour l’Italie, si elles furent surprises les deux jeunes femmes n’en dirent rien à Aude, en amies sincère elle avaient toutes deux perçus l’angoisse derrière l’excitation de la jeune femme.
A 16h trente elle se trouvait sur le quai de la gare avec ses bagages.
Son train devait approximativement entrer en garde de Porta Susa à 21h30, ça lui laissait suffisamment de temps pour reprendre la lecture du journal de sa grand-mère et peut-être même commencer à lire les lettres de sa tante. Elle prit cependant soin de ne pas oublier son comprimé de lithium, bipolaire Aude était contrainte de suivre un traitement quotidien sinon crises d’anxiété et malaise vagal la rattraperait rendant ses journées difficiles à supporter.
Un signal sonore lui annonça l’entrée de son train en gare… Un quart d’heure plus tard elle s’installait à côté de la fenêtre, Un couple la précédait ainsi qu’une adolescente renfrognée qui lançait à la cantonade des regards meurtriers… Aude détourna son regard, elle avait été ado elle aussi…
La dernière personne à s’installer fut une élégante personne de sexe féminin la soixantaine portant à bout de bras une petite pile de livres, elle décocha un large sourire à Aude lorsqu’elle s’assit en face d’elle.
Quelques minutes plus tard ils roulaient vers Turin. Elle passa les deux premières heures à lire le dernier Musso qu’elle avait emporté de Marseille, sa souriante voisine de wagon parut en faire autant.
Vers 19h elle éprouva l’envie de se restaurer, refermant son roman elle attrapa son sac à main et se dirigea vers le wagon restaurant, il était déjà bondé, elle se contenterait d’un sandwich et d’un café qu’elle acheta au comptoir et s’apprêtait à retourner dans son compartiment lorsqu’une voix la héla.
— Par ici, il y a une place
Elle reconnut la sexagénaire qui partageait son wagon, elle ne l’avait pas vu sortir avant elle obnubilée par son roman Elle la rejoignit et accepta reconnaissante de déposer son modeste repas sur le guéridon sur lequel reposait déjà le plateau de la femme qui spontanément lui proposa de partager sa salade composée qu’elle qualifia d’imposante pour une seule personne.
La sexagénaire native de Turin parlait un français parfait, dotée une grande culture non dénuée d’humour elle séduisit rapidement Aude, elles parlèrent littérature, philosophie, musique, politique à bride abattue.
Lorsqu’elles regagnèrent leur compartiment elles semblaient se connaître depuis toujours.
D’origine italienne la sexagénaire se rendait à la tour du pin chez sa nièce deux fois par an, son époux député Turinois n’ayant pas le loisir de l’accompagner, elle effectuait avec beaucoup de plaisir ce rituel deux fois par an.
Auparavant elle avait confié à la jeune femme attentive qu’elle était écrivain et qu’elle venait de publier rédaction son neuvième roman, elle se nommait Ana-Maria Gianpaoli mais publiait sous son nom de jeune fille Picazzi.
Elles échangèrent leur numéro de téléphone afin de se recontacter le plus rapidement possible, Aude acquiesça, Ana-Maria l’invita à tenir sa promesse de venir déjeuner chez elle, Son époux Umberto Gianpaoli et elle donnait de nombreux dîners mondains, Aude pourrait y rencontrer le tout Turin
Elles se séparèrent sur le quai, le taxi d’Aude arriva le premier, leur direction étant diamétralement opposée elles ne purent à regret bénéficier d’un même véhicule.
Une demi-heure plus tard la jeune femme franchissait le hall de l’hôtel Townhouse 70. Ce dernier de construction récente se distinguait par sa structure design, lignes sombres, tons gris, brun, beige, sol de marbre assorti. L’endroit discret et raffiné la séduisit. Un grand salon garni de fauteuils et de tables basses agrémentées de lampe de lecture, l’endroit semblait propice à la détente sur la gauche un spa et une salle de sports, au bout du couloir la salle de restauration. Dix minutes plus tard elle se trouvait dans sa chambre, une chambre spacieuse et lumineuse agrémenté d’un coin salon, d’une salle de bains au design contemporain très glamour. Une terrasse offrant une vue imprenable sur Turin. Elle rangea rapidement ses affaires et se coucha rapidement, le voyage l’avait fatiguée.
Elle dormit sept heures sans discontinu et se levant rapidement prit une douche, se maquilla soigneusement et descendit prendre son petit déjeuner dans la salle de restauration.
Elle quitta l’hôtel après la prima colazione composé de cappuccino e cornetti, brioches fourrées aux raisins qui la mirent de bonne humeur, la journée commençait bien.
Elle décida de se rendre à pied à la rue Casalis, l’étude Moravia et associés s’y trouvait, à l’aide de son plan elle se débrouillerait, le beau temps l’incita à marcher, elle zappa les transports en commun. Vingt minutes plus tard elle sonnait au deuxième étage, d’un immeuble le premier abritait une compagnie d’assurances turinoise.
Le cabinet s’ouvrait sur un hall spacieux, un peu vieillot, une moquette beige défraîchie, des tableaux de part et d’autre, des reproductions de Marc Chagall et des vues de Turin prises par un photographe d’art contemporain dont elle ne parvint à se rappeler le nom mais qu’elle appréciait.
Une salle d’attente à sa gauche, elle s’y installa, quelques revues il corriero della sera, la stampa qu’elle lisait quelquefois à Marseille lorsqu’elle parvenait à le dénicher, oggi la presse people mais aussi des exemplaires de l’express en anglais quelques revues notariales
Une jeune femme juchée sur des talons de hauteur indécente passa la tête dans l’embrasure de la porte et lui demanda assez sèchement si elle était bien la signora Gauthier.
Elle le lui confirma sur le même ton, ça commençait bien, quel accueil se dit-elle pourvu que le notaire ne m’accueille pas de la même manière.
Celui-ci venait de terminer son précédent rendez-vous, Aude vit passer un couple raccompagné par la secrétaire qui lui fit signe de venir et la précéda jusqu’au bureau du notaire dont elle ouvrit la porte et annonça la jeune femme.
Un homme de stature moyenne, la quarantaine vint à sa rencontre, la première chose que vit Aude ce furent se yeux d’un bleu intense qui la fixèrent intensément.
— Signora Gauthier, je vous en prie, Prenez un siège.
Il parlait français avec un fort italien non dénué de charme.
Aude s’avoua le trouver bel homme, une légère barbe brune assorti à ses cheveux sombres, un costume élégant bleu foncé, tout à fait mon genre se dit-elle, elle lui trouva une ressemblance avec Flavio Barzari, elle espéra que le notaire était moins retors que le maestro dans sa vie amoureuse.
Il alla droit au but, lui confirma avoir reçu ses mails et avoir pris connaissance des informations qu’elle lui avait communiqué.
Aude perçut cependant une tension, une gêne dans l’attitude du notaire, ce qui suivit le lui confirma
Gianfranco Moravia tourna l’écran de son ordinateur.