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Printemps 2016. Émilie débarque à Paris en catastrophe. Des événements pénibles l'ont poussée à fuir la région où elle a grandi. Elle compte sur la distance et sa disparition soudaine pour être débarrassée de ces mauvais souvenirs. Ses seuls repères sont une amie parisienne et une tante, grâce auxquelles elle espère retrouver un peu de sérénité. À peine arrivée, Émilie fait la connaissance de Malik, croisé dans le métro. "Comptes à rebours" est l'histoire d'une rencontre ordinaire, d'un amour intense, d'une ascension, d'une chute... une histoire simple finalement, si simple que nous avons décidé de l'écrire à deux, pour vous donner les deux versions. Celle d'Émilie et celle de Malik. Le face et le pile de leur histoire. Deux personnages, deux auteurs, deux styles. Onze chapitres écrits à quatre mains, qui posent juste une question : "Quel est le prix à payer pour être enfin aimé ?". Découvrez la réponse d'Émilie, par Hélène Destrem, et bientôt celle de Malik, par Frédéric Daviken. Deux récits parallèles, vivant séparément, mais indissociables.
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Seitenzahl: 185
Veröffentlichungsjahr: 2019
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Avant-propos
Chapitre 10
Chapitre 9
Chapitre 8
Chapitre 7
Chapitre 6
Chapitre 5
Chapitre 4
Chapitre 3
Chapitre 2
Chapitre 1
Chapitre 0
Épilogue
Octobre 2015. La maison d’édition de mes premiers romans La Légende du futur et Éprise au piège est placée en liquidation judiciaire.
C’est dans ce contexte chaotique que je fais la connaissance de Fred Daviken, auteur chez le même éditeur. De partage d’expériences en partage de nos romans, il me proposa, un mois plus tard, un petit défi :
— Bon, je sais pas toi, mais cette liquidation me mine. Faut qu’on trouve une dynamique positive. Ça te dirait d’écrire une nouvelle à deux ?
— Qu’entends-tu par-là ?
La liquidation judiciaire venait de révéler quelques détails surprenants sur la façon dont l’éditrice gérait la maison d’édition et ces vérités avaient sur moi un effet immédiat : je venais de reprendre l’écriture d’un nouveau roman ébauché un an plus tôt. J’étais bien décidée à enfin extraire de mes pensées une histoire qui mûrissait lentement depuis plusieurs mois. Les idées fourmillaient, je couchais les mots par centaines à chaque séance d’écriture, bref, j’étais lancée ! Dans ces conditions fécondes, était-ce bien le moment de m’engager dans un duo d’écriture qui me demanderait un investissement certain ?
Fred précisa sa pensée :
— Un texte d’environ dix mille signes chacun, qui présenterait une même histoire mais vue différemment par chacun de nos personnages.
Dix mille signes, ce n’était pas la mer à boire. Cela restait raisonnable, ne me prendrait pas trop de temps et pouvait même devenir très intéressant.
— Pourquoi pas ? répondis-je alors que je me laissais tenter. Oui, cela pourrait être marrant… Mais ça parlerait de quoi ? Quel genre ? À quelle époque ?
Instant de flottement à l’autre bout du combiné. Ma salve de questions le prenait au dépourvu. Il suggéra, inspiré :
— Une histoire d’amour qu’on raconterait du point de vue de l’homme et de celui de la femme. Un truc classique. Mais pas style Roméo et Juliette ou Tristan et Iseut. Une histoire plus contemporaine avec du sexe et de la violence. T’as vu True Romance de Tony Scott ? Sur un scénar de Tarentino… Ce serait l’esprit : un truc fort, intense, déjanté, un peu sous amphétamines. Une sorte de Thelma et Louise.
Mon collègue avait donc une idée bien définie du genre de texte qu’il voulait écrire. Je me demandai s’il avait réfléchi au projet au point d’en avoir déjà tracé les perspectives jusqu’à la ligne d’horizon.
— C’est une bonne idée ! Et la fin ça serait quoi ?
— Je ne sais pas encore. On verra… Mais, pour se donner un cadre, on pourrait appeler cette nouvelle Comptes à rebours et la découper en dix chapitres, c’est pas con, ça ?
— Non, c’est pas con…
Pas con, mais très flou pour moi. Je n’avais aucune idée de ce vers quoi la proposition de Fred allait nous mener, d’autant que je baignais dans l’univers de mon propre roman. Cependant l’aventure me tentait terriblement.
Je lui ai pris la main et nous avons sauté du haut de la falaise vers les flots inconnus d’un récit qui s’annonçait tumultueux.
Dans les faits, pris à notre jeu et à nos personnages, nous avons écrit un chapitre par semaine avec une régularité de métronomes et nous avons largement dépassé le format que nous nous étions fixé : vingt fois le nombre de signes. Pour le reste…
Une femme. Un homme. L’histoire d’une rencontre ordinaire, d’un amour intense, d’une ascension, d’une chute et... Une histoire en onze étapes.
Êtes-vous prêts ? Le compte à rebours commence.
Hélène Destrem
Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
Paris. La première chose qui saisit Émilie en descendant du train à l’aube fut l’odeur. Cette odeur de pollution qui vous prend à la gorge et vous étouffe, telle une main vaporeuse s’insinuant autour du cou et glissant le long de la trachée en un mouvement empoisonné. La vache ! Qu’est-ce que ça pue !, fut sa première pensée parisienne. Elle toussa deux, trois fois pour dégager ses poumons, sans succès. Elle était « dedans », elle devait se résigner. Durant une seconde elle pensa rebrousser chemin, s’abriter dans l’air sain du wagon, et repartir en sens inverse en direction de sa campagne. Une chimère. Il n’était plus possible de faire machine arrière. Elle devait profiter de la vie animée de la capitale pendant ses prochains jours de vacances forcées. Virée, la pigiste du journal local de Treffort-Cuisiat.
Traînant ses deux valises, une noire et une rose – toujours de la couleur avec le noir, toujours ! – et retenant sa besace et un sac à dos sur chaque épaule du mieux qu’elle le pouvait, elle traversa la gare de Lyon balayée par les courants d’air. Quelques coups d’œil suffirent à lui permettre de s’orienter, la gare n’ayant rien d’un labyrinthe. Bien vite elle se retrouva à l’extérieur, sur la place Louis-Armand baignée de lumière. Il faisait un temps magnifique et frais à cette heure matinale du printemps. Elle resserra le foulard autour de son cou d’un geste machinal.
L’amie chez qui Émilie était venue passer quelques jours n’habitait pas loin de la gare à vol d’oiseau. La provinciale à peine débarquée aurait été bien en peine, malgré tout, de rejoindre l’appartement à pied. Même aidée d’un GPS Émilie était capable de tourner pendant de longues minutes autour de sa destination, tant elle ne savait pas s’orienter…Elle saisit son téléphone et envoya un SMS à Caroline. Celle-ci répondit peu après ; elle arrivait. Quelques instants plus tard, la voiture de son amie parisienne se gara contre le trottoir. Caroline en descendit en courant.
— Salut Émilie ! Bienvenue à Paris ! lança-t-elle tout en l’embrassant gaiement.
— Salut Caro....
— Allez, fais pas cette tête ! Ça va s’arranger, tu verras.
— Si tu le dis… soupira-t-elle à travers une grimace qui s’apparentait à un sourire.
Caroline aida Émilie à ranger les valises dans le coffre et elles prirent le chemin de l’appartement. Elle travaillait de nuit comme infirmière à l’hôpital Necker. Une fois qu’elle eut aidé Émilie à s’installer dans sa deuxième chambre, elle s’excusa de devoir l’abandonner et alla se coucher. Elles auraient davantage le temps de discuter dans quelques heures. D’ici là et comme elles en étaient convenues, Émilie allait avoir le loisir de se rendre au Salon de La Femme moderne et libérée, dont c’était la première édition en cette année 2015. Caroline lui avait prêté un double de ses clefs afin qu’elle puisse rentrer sans la réveiller ou en son absence. Émilie était excitée comme une puce, enchantée comme une enfant à l’idée de découvrir ce Salon.
Lorsqu’elle descendit les marches qui menaient au métro, elle fut happée par la foule pressée. Le flot continu gonflait et s’animait de discussions. Elle fut complètement perdue en arrivant aux guichets des ventes de billets, point névralgique du métro. Des panneaux fleurissaient tous azimuts, des numéros de ligne étaient éparpillés de tous côtés, des couleurs différentes signalaient toutes sortes de destinations aux noms inconnus. Il lui fut impossible de ne pas passer pour une touriste tant elle scrutait chaque information d’un air dubitatif. Elle détenait heureusement la carte au trésor indispensable : le parcours d’accès au Salon. Elle valida son billet, franchit les barrières et suivit docilement les indications mentionnées sur son prospectus, tout en recherchant les noms correspondants sur les panneaux indicateurs.
Étrangement son cœur s’emballa, elle marcha de plus en plus vite, comme si chaque minute lui était comptée. Les gens autour d’elle étaient tous pressés, l’emportaient dans leur mouvement, lui transmettaient leur besoin vital de courir après le temps. Elle détestait ça ! Après avoir parcouru un dédale de boyaux au milieu du courant, elle atteignit enfin le quai. Elle entendit le métro arriver. Elle se souvint alors de ses gants. Rapidement extraits de son sac, elle les enfila au moment où le métro s’arrêtait devant les voyageurs. Caroline l’avait prévenue : le métro ne brillait pas par sa propreté. Aussi Émilie avait-elle pris ses précautions. Elle n’était pas maniaque d’ordinaire, mais elle n’avait pas l’intention de devenir l’hôtesse inopinée de l’un ou l’autre des miasmes environnants.
Alors que les portes de la rame s’ouvraient, Émilie fut surprise par la précipitation avec laquelle les gens se jetèrent à l’intérieur. Une véritable foire d’empoigne. Elle s’élança à son tour, bien décidée à ne pas se laisser planter là comme une idiote. Toutes les places assises étaient déjà occupées. Elle se glissa dans un coin, le dos contre une vitre. Elle faisait face à la foule, tenant son sac à main devant elle. Il n’était pas né celui qui lui mettrait une main aux fesses ou quoi que ce soit d’autre. La rame repartit brusquement, bondée. Émilie s’agrippa d’une main au dossier métallique d’un fauteuil. Moins de quarante minutes plus tard, elle atteignit sa destination, la station « Porte de Versailles ». Elle émergea du métro en poussant un soupir de soulagement. Elle allait passer plusieurs heures au Salon, à déambuler au milieu des stands qu’elle imaginait rivalisant d’idées novatrices, amusantes, voire provocantes. Elle allait rencontrer des copines croisées sur le Web et avec lesquelles elle avait partagé plusieurs bonnes idées, des conseils, des suggestions et surtout de très nombreuses plaisanteries licencieuses… bref, elle allait pénétrer dans son pays des merveilles. Bien sûr elle en profiterait pour monter un reportage photo, plus personnel que professionnel, et laisser ainsi sa passion s’exprimer.
Une fois franchie l’une des trois entrées noires de monde, Émilie fut saisie par l’immensité du Parc des expositions. Il s’étalait à perte de vue. Un snack se trouvait à gauche de l’entrée et proposait boissons et sandwichs variés, et partout des stands, parfaitement alignés le long des murs et à l’intérieur du vaste hall, dessinaient sept allées qui seraient rapidement bondées. Émilie prit quelques clichés d’ensemble et se mit à flâner d’exposant en exposant, les yeux émerveillés et les sens en éveil, ravie par l’accueil chaleureux que chacun réservait aux visiteurs. Dans un hangar attenant au bâtiment principal allaient se dérouler, tout au long de la journée, plusieurs conférences sur l’évolution des droits de la femme en France et dans le monde : quels étaient-ils ? de quelle manière se concrétisaient-ils réellement au quotidien aujourd’hui ?… Autant de sujets de débats qui allaient animer, voire enflammer, l’assistance. Émilie prévoyait déjà d’écouter quelques-unes des intervenantes, par intérêt personnel mais aussi pour étoffer son reportage. L’ambiance générale était légère et gaie ; au fil des heures celle-ci devint fébrile, bruyante, pressée, chahutée par le monde, avant de retomber petit à petit, vaincue par la fatigue.
Il était 17 h 30 quand Émilie quitta le Parc des expositions, quelques babioles en plus dans quelques sacs, et surtout des dizaines de photos en poche. Cette escapade lui avait permis de se changer les idées et lui avait fait un bien fou. Elle se sentait beaucoup plus légère à présent qu’en débarquant en ville un peu plus tôt.
Émilie n’était pas seule à quitter l’endroit… Vaillamment, elle inspira un grand bol d’air – ou plutôt un grand bol de soupe, rapport à l’odeur – et elle plongea en apnée dans la houle du métro. Là, dans la rame, ce fut pire qu’au matin. Les gens s’entassèrent comme des sardines, certains entrèrent même à la dernière seconde en poussant les autres sans vergogne. Quelques passagers grognèrent, mais visiblement il s’agissait-là de comportements habituels. Après tout… Un peu plus tard, arrivée à la station « Concorde », Emilie dut changer de ligne. Elle se hâta à la suite de ses congénères à travers les souterrains pour rallier le quai de la ligne 1, qui la reconduirait non loin de chez Caroline. Au passage de l’un des escaliers elle bouscula peut-être, sans trop y prendre garde, deux ou trois personnes. Dans la nouvelle rame, Émilie parvint in extremis à remporter une place assise. Elle considéra ses voisins du regard. Tous, hommes et femmes, tiraient des faces d’enterrement. Les ados et certains adultes se réfugiaient derrière leurs téléphones portables, écouteurs vissés dans les oreilles. Les personnes âgées regardaient dans le vide ou se plongeaient dans la contemplation de leurs mains. Tous les autres, vêtus de noir des pieds à la tête, mines fermées, regards fuyants, semblaient pressés d’atteindre leur destination dans la plus complète froideur. De son côté, Émilie était ravie de sa journée. Elle espérait, sans se faire d’illusions, ne pas avoir à prendre le métro trop souvent. Quel sentiment d’oppression ! Quel stress de devoir toujours courir comme eux ! Et que de noir ! Elle aurait voulu faire exploser les couleurs à travers le wagon pour leur redonner à tous ces bleus, verts, rouges, oranges, jaunes, ou encore violets qui égayent la nature, la vie, le quotidien.
L’idée la fit sourire. Elle se souriait plus à elle-même qu’elle ne souriait à quelqu’un en particulier. Son regard croisa ceux de quelques personnes qui se déridèrent à leur tour. Tiens, des êtres humains se trouvaient donc parmi ces faciès ? Émilie décida malgré tout d’imiter les attitudes des autochtones ; elle dégaina les écouteurs de son Smartphone et se perdit dans sa playlist préférée. Pour finir de se donner une contenance, elle tira de son sac un livre que lui avait offert une collègue le jour où elle avait quitté son travail.
Après un court moment de lecture, Émilie sentit un regard posé sur elle. Elle leva les yeux et croisa ceux de son voisin d’en face, un homme à l’allure très parisienne – costume-cravate identique à celui des autres clones de la rame, coiffure à la mode, attitude légèrement hautaine – et dont le visage trahissait les origines maghrébines. Il ne faisait pas partie de ceux qu’elle avait l’habitude de trouver beaux garçons, cependant il dégageait un charme indéniable.
— Vous voulez quelque chose ? lui demanda-t-elle.
— Heu, pardon, quoi ? bredouilla-t-il décontenancé.
— Je vous demande si vous voulez quelque chose. Vous me regardez fixement depuis deux minutes.
— Non, non, j’admirais vos yeux. Enfin, non, c’est pas ce que je voulais dire… Enfin, si, enfin, bref. Désolé, je ne voulais pas vous importuner. La journée a été difficile et je me suis laissé aller à vous regarder. Cela me faisait du bien. Désolé, je vois pas pourquoi je vous dis ça…
— C’est pas grave. Vous avez le mérite d’être franc. Un peu tendu, aussi, non ?
— Ben, c’est à cause de vous… Enfin, non, grâce à vous. Putain, c’est con ce que je vous dis. Dites-moi que vous descendez bientôt pour mettre fin à mon embarras.
— Eh ! bien, non, je descends dans… une, deux… quatre stations, lui répondit-elle en jetant un coup d’œil au plan affiché en hauteur contre une paroi de la rame. Donc il va falloir prendre sur vous.
Elle esquissa un sourire malicieux.
— Ohhh ! c’est mignon, votre petit truc là, sur la joue…
— Quoi, qu’est-ce que j’ai ?
— Ben, votre fossette, comme un petit trait d’encre de Chine qui apparaît quand vous souriez.
— Ah ! oui ?
C’était bien la première fois qu’un homme évoquait sa fossette comme « un petit truc mignon ». C’était d’un naturel inattendu et touchant.
Les quatre stations défilèrent tandis qu’ils plaisantaient. Il était particulièrement agréable de discuter avec lui. Cela tranchait avec l’atmosphère glaciale qui l’avait accueillie dans la rame. Le moment de le quitter arriva trop vite. Finalement, ne pouvant guère repousser l’échéance de leur séparation, Émilie se leva à contrecœur et lança :
— Eh ! bien, au revoir, à une prochaine fois, peut-être…
Elle espéra qu’il ne la laisserait pas disparaître ainsi, sans espoir de se revoir. Elle se demanda si elle devait dire ou faire quelque chose pour l’encourager, mais il fut plus rapide.
— La prochaine fois, ça pourrait être maintenant pour boire un verre ? lâcha-t-il avec une légère hésitation alors que ses yeux pétillaient.
Le visage d’Émilie s’éclaira de contentement à cette proposition. Elle fut ravie de pouvoir ainsi prolonger leur rencontre imprévue.
— D’accord ! Je vous suis !
Galamment le jeune homme attrapa l’un des sacs d’Émilie et conduisit la jeune femme hors du labyrinthe souterrain. Quand ils furent parvenus à l’air libre, elle le vit marquer un temps d’arrêt, comme s’il ne savait pas quelle direction choisir.
— Alors, où allons-nous ? le questionna-t-elle curieuse de visiter Paris by night, même si ce n’était encore que l’evening.
— Où est le plaisir de la surprise si je vous le dis ?
Elle saisit le bras qu’il lui tendait et se laissa entraîner de bonne grâce. Son aménité commençait à la séduire. Discutant avec gaieté, ils en vinrent à se tutoyer. Ils arrivèrent rapidement devant Beaubourg. Il lui expliqua avec emphase qu’il s’agissait du Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou, gros bâtiment tubulaire en acier, verre et béton, joyau du bâtiment polyculturel à la française des années 70. Rival en collections d’art moderne du MOMA de New York et de la Tate Gallery de Londres, ce musée pouvait s’enorgueillir d’accueillir, de mémoire, plus de cent mille œuvres réalisées par près de six mille quatre cents artistes, ce qui en faisait la première place artistique d’Europe. Parvenu au bout de ses connaissances sur l’endroit, Malik lui suggéra d’aller lire Wikipédia pour en savoir plus. Décidément, il était charmant et amusant à lui offrir en sus ses services de guide touristique. Elle répondit, un brin moqueuse :
— Sympa, mais sache que les raffineries de pétrole et moi ça fait deux ! Et puis je trouve que c’est un bâtiment qui fait semblant, c’est une parodie de la technologie.
À cette phrase empruntée à Renzo Piano, l’un des trois architectes retenus pour construire Beaubourg, elle sentit son compagnon se raidir un peu. Il connaissait évidemment la citation et en avait saisi le sous-entendu. Le visage du jeune homme se piqua d’un léger rouge malgré son teint mat et Émilie devina l’avoir pincé. Elle se demandait si elle n’était pas allée trop loin, lorsqu’il répliqua :
— Ben puisque tu en sais autant que moi, je vais t’emmener chez Georges...
— On va chez un ami à toi ? Pour un premier rendez-vous, c’est un peu rapide, non ? le coupa-t-elle de façon légère, jouant la pièce qui naissait entre eux, et endossant le costume de la touriste.
— Mais non ! C’est pas un pote. C’est le nom du bar sur le toit de la raffinerie.
— Aaaah ! C’est chouette ça. Au fait, moi c’est Émilie, et toi ?
— Bonde, Malik Bonde. Je te jure que c’est vrai.
Émilie ne put s’empêcher de pouffer à ces mots. Ce nom d’agent secret venait de rompre la légère tension qui avait failli s’installer entre eux. Elle se détendit.
— Je te crois. C’est très… original.
Ils émergèrent sur la place face au centre Pompidou. Émilie trouva ce dernier d’une laideur absolue. Rectangulaire, massif, il était tout ce qu’elle détestait dans la façon qu’avait l’homme de s’imposer à la nature. Aucune finesse architecturale, selon elle ; rien qui lui évoquât autre chose qu’une prison de verre. Mais c’était de l’art. Combien d’horreurs avait-elle vu fleurir de-ci, de-là sur des ronds-points, des places, des esplanades, des quais, des parcs, tout ça au nom de l’art ? Émilie songea qu’elle n’était, peut-être, tout simplement pas sensible à l’expression de certains « talents ».
Malik la conduisit vers l’escalier mécanique extérieur qui leur permit de dépasser les différents niveaux de l’édifice jusqu’à la terrasse. Lors de la montée, il parla de tout et de rien, juste pour meubler. Elle l’écoutait d’une oreille distraite en s’abîmant dans la contemplation de la capitale qu’elle découvrait sous un nouvel angle, teintée de ces roses et orangés qui paraient le ciel peu à peu. Elle voulait garder en mémoire cette image de carte postale, sublime et imprévue. Le charme se rompit lorsqu’ils arrivèrent devant un sas de verre. Un videur à la carrure impressionnante leur ouvrit, sans un mot et avec une ombre de sourire de bienvenue au coin des lèvres.
Une jeune fille, qui ne devait pas être âgée de plus de vingt ans, les accueillit de façon sobre et efficace, avec un sourire convenu :
— Deux personnes ? Pour boire un verre ou pour dîner ? À l’intérieur ou à l’extérieur ?
Son accent de l’Est plut beaucoup à Émilie qui se sentit totalement dépaysée. Elle passa près de Malik qui lui tenait la porte. Elle l’entendit répondre :
— Boire, dans un premier temps, et plus si affinités… Nous resterons à l’intérieur, il commence à faire frais, mais si vous aviez une table proche de la terrasse et exposée face à la tour Eiffel, ce serait parfait.
Émilie resta interdite quelques instants après les mots « et plus si affinités », dont la connotation suggestive était évidente. Elle ne releva pas, flattée d’être l’objet de convoitise d’un inconnu, à peine arrivée dans la capitale. Elle le vit jeter un rapide coup d’œil à sa montre. Un rendez-vous après elle ? Un coup de fil à passer ? Elle préféra ne pas y accorder d’importance. Elle n’avait pas envie de laisser gâcher sa soirée par des broutilles parasites. De plus, il était normal que Malik ait d’autres sollicitations ; il avait certainement pas mal d’amis et elle, nouvelle venue dans sa vie, ne pouvait pas exiger de lui une exclusivité absolue au cours d’une soirée probablement sans lendemain. Que c’était pénible de ressentir toujours cette pointe de jalousie, ce besoin d’être l’unique centre d’attention d’une personne que l’on trouve intéressante, que l’on veut découvrir davantage, et chez qui l’on espère percevoir, en écho à ses propres espoirs, la possibilité d’une relation plus profonde que la simple « connaissance » ! Mais Émilie connaissait la cause de ces sentiments. Elle avait tellement besoin de reprendre pied, de retrouver ses repères, de recréer autour d’elle des liens d’importance pour réparer tout le mal qu’elle avait enduré ! Elle ne pouvait que lutter contre cela en optant pour une attitude en apparence calme et détachée.
Pénétrant dans la salle immense aux murs transparents, elle fut subjuguée par la beauté du lieu. Elle sut tout de suite que sa tenue vestimentaire n’était pas tout à fait adaptée et se félicita d’avoir pris le temps de se maquiller rapidement en arrivant chez son amie après son voyage en train. Son pantalon en jean était heureusement « racheté » par un blazer beige de belle coupe qu’elle portait par-dessus son pull anthracite.