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Recueil de 15 nouvelles sélectionnées dans le cadre du concours ADELI 2021 de la meilleure nouvelle d'anticipation. Les participants devaient commencer leur teste par "La ville dont le prince est un robot..." La lauréate est Hélène Goffart pour la nouvelle " L'expérience lunaire ".
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Seitenzahl: 115
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Préface Françoise Camus
L’expérience Lunaire Hélène Goffart
Les Tours d’Icéni Rémy Gourdon
Le secret du jardinier Raymond Iss
BLIND PUB Hervé Corradi
Le grand éveil Ludovic Schalk
Le rapport Loiseau Thibaut Carval
Reprogrammer l’humanité Valentin Milon
Les oiseaux Rubenia Timmerman
Art’monie Nelly Kiint
Désir d’enfant Jean-Marie Palach
Du bonheur à profusion Thierry Fauquembergue
Ou comment le prince… Bruno Galmar
L’e-ternel Philippe Bonzi
Cœur d’acier François Angevin
Alerte rouge Philippe Botella
Cette année encore, vous fûtes très nombreux à participer à notre aventure littéraire. Un grand merci à tous.
Que vous soyez à Taïwan, à Shanghai, au Congo, au Bénin, en Angleterre, en Suisse, aux Antilles, ailleurs, ou en Belgique comme notre lauréate, vous vous êtes interrogés ; et si un jour, plus ou moins lointain, les robots prenaient le pouvoir…
Comment gouverneraient-ils ?
Quels seraient leurs comportements face aux humains ?
Seraient-ils dictateurs, belliqueux ?
Auraient-ils un sentiment de supériorité ?
Seraient-ils courtois, empathiques ?
Sauraient-ils instaurer un climat d’harmonie et de complicité ?
Comment nous, les humains réagirions-nous face à ces dirigeants d’un nouveau genre ?
Quel serait l’impact d’un court-circuit géant ?
Et tant d’autres questionnements.
Vous avez apporté des réponses très personnelles en toute liberté, avec humour, avec poésie, avec réalisme…
Vous nous avez communiqué votre amour des mots, et souhaitons à chaque lecteur d’avoir, comme nous-mêmes, beaucoup de plaisir à lire ces textes de grande qualité.
Rendez-vous est pris pour 2022.
L’ordre des nouvelles ne correspond pas
à un classement hiérarchique,
mais à un choix éditorial
afin de varier les genres et l’univers.
La ville dont le prince est un robot s’étend devant moi, de l’autre côté de l’épaisse paroi de verre. Je relève les yeux de mon ordinateur pour les plonger, à travers la vitre, dans l’opacité froide qui s’étend à l’infini autour de l’abri circulaire.
Mon estomac me rappelle aussitôt à l’ordre. J’ai faim et j’ai beau vivre au rythme de mes recherches, mes organes n’oublient pas les contingences matérielles.
— Adam ? Ouvre-moi une boîte de fécule protéinée.
La silhouette athlétique assise sur la banquette qui me sert de lit dépose soigneusement le livre qu’il tient à la main, pour obtempérer à mon ordre. Un livre ? Pour Adam ? Quelle stupidité ! Je soupire en me reconcentrant sur mes chiffres qui se révèlent faux…
Pourquoi a-t-il fallu que le Bureau m’adjoigne ce stupide androïde pour cette mission ? J’aurais tellement préféré un chat !
— Adam ? Tu as compris ce que tu devais transmettre dans ton rapport ?
— Oui, il n’y a actuellement aucune avancée dans la recherche.
Dans un tremblement de colère contenue, je lui demande sèchement d’envoyer l'entièreté du rapport telle que je l’ai formulée.
Adam acquiesce d’un hochement de tête, exécute mon ordre, puis reprend son livre.
Quelle plaie ! Cela ne fait qu’une semaine que l’androïde partage mon quotidien, et il m’agace déjà au plus haut point. Des livres ? Je vous demande un peu…
Jeune ingénieur sans charisme particulier, j’avais été engagé au Bureau de Recherche en Intelligence Artificielle, deux années auparavant.
Je travaillais sur le développement de villes autonomes capables de produire l’énergie nécessaire à l’humanité sans présence humaine sur place. Cette mission lunaire constituait pour moi une opportunité incroyable.
Mon directeur m’avait fait appeler un soir :
— Léopold, nous vous proposons d’aller travailler six mois dans la ville du prince.
— Euh…
— Vous partez sur la lune, mon vieux ! Mission financée par le Bureau et grosse prime à la clé !
C’est ainsi que la navette bisannuelle m’avait déposé ici, pour me laisser, seul, uniquement protégé du néant par ce dôme de quinze mètres carrés.
Je ne peux pas me plaindre : le Bureau a bien fait les choses. Outre le matériel de recherche de pointe dont je bénéficie, on m’a fourni de quoi passer un séjour le plus agréable possible.
Et puis, pour m’assister et m’éviter la déprime liée à un excès de solitude, on a ajouté, à l’ensemble de mon paquetage, ce stupide androïde de nouvelle génération !
Habitué à vivre seul, j’ai tenté de refuser, mais le Bureau a insisté.
— Nous avons vu cela plusieurs fois, Léopold. Les chercheurs ne supportent pas la solitude sur du long terme. Nous préférons vous voir discuter avec une intelligence artificielle qu’avec votre bouilloire !
J’ai naïvement cru qu’en dehors des périodes d’activité ménagères, Adam, se mettrait en position off, mais il semble qu’il possède dans ses programmes une série de gadgets inutiles. C’est ainsi que j’ai découvert qu’Adam lisait…
Il a commencé par les romans de Jules Verne qu’il a dévorés en quelques jours. Puis il a enchaîné avec la Torah, avant de passer à la Bible.
— Léopold ? Pourquoi l’Homme est-il capable d’aller sur la lune, mais pas de faire des parapluies qui ne se retournent pas ?
Je sursaute et, d’un geste brusque, cogne l’écran de mon ordinateur qui manque de tomber au sol.
— Adam ! Espèce d’imbécile ! Regarde ce que tu m’as fait faire ! Retourne sur ta banquette et laisse-moi travailler !
Adam se rassied et se plonge dans la Bible en format de poche pendant que je me reconcentre.
Lorsque j’ai fini, je constate qu’il lit un livre intitulé « Maladies mentales et assassinats ».
— Toujours dans les bouquins… murmuré-je.
L’androïde relève la tête et pose une seconde question :
— Pourquoi lorsqu’un homme discute avec Dieu, on parle de foi, mais que, lorsque Dieu lui répond, on parle de schizophrénie ?
Abasourdi, je m’entends lui répondre :
— Dans les deux cas, c’est de la bêtise. Je ne crois qu’en l’Homme et en la science.
— Moi non plus, je ne crois pas en Dieu… soupire Adam. Dieu aurait fabriqué le soleil et les étoiles le quatrième jour de la création.
Le quatrième jour ? Comment aurait-il pu y avoir de jour avant l’existence du soleil ?
Nous le voyons bien, sur la lune, c’est tout le temps la nuit…
Le front de silicone se barre d’un double pli transversal et je jurerais qu’il réfléchit si je ne savais pas que ses connexions cérébrales sont simplement en train de tenter l’analyse de données ineptes.
— La métaphysique n’est pas faite pour les intelligences artificielles. Prépare plutôt de la fécule protéinée !
Aussitôt, le visage poupin se détend et Adam obtempère.
Je mange en silence tandis qu’il nettoie notre habitacle.
Cette nuit-là, lorsque je me réveille pour aller satisfaire un besoin naturel, je constate que l’androïde est assis au sol, ses yeux allumés en rétro-éclairage et qu’il lit encore. « Guerre et paix » de Tolstoï…
— Tu comptes voir tout le programme littéraire du lycée ?
— Puisque tu ne crois pas en Dieu, Léopold, penses-tu avoir l’entièreté de ton libre arbitre, ou, de façon déterministe, crois-tu malgré tout que l’Homme est soumis à d’autres desseins que le sien propre ?
— Hein ?
Il soupire et pince les lèvres d’un air qui, malgré l’obscurité, évoque l’agacement.
— Penses-tu être maître de tous tes choix ?
J’éclate de rire devant le questionnement de la pauvre machine.
— Bien sûr que non ! Tu penses que si j’étais libre de mes choix, c’est toi que j’aurais pris pour m’accompagner sur ce caillou perdu ?
Au matin, j’allume et examine patiemment les chiffres sur mon ordinateur. Miracle ! La quantité d’énergie générée par les machines a augmenté légèrement…
Adam, semblant soudain intéressé par mon enthousiasme, approche, un exemplaire du « Petit Prince » entre les mains.
— C’est le temps que tu as consacré à ton ordinateur qui fait qu’il te semble si important ?
— Fiche-moi la paix ! J’ai besoin de calme et de concentration. Si tu me fais encore une fois…
— Nom de Dieu ! Réponds à ma question !
Comment ? Mais ?... Il devient agressif ! Son poing serré se dresse vers le plafond de la coupole de verre en une provocation menaçante. C’est un comble !
Je me résous à contacter le Bureau immédiatement et je vois apparaître le visage brumeux de mon directeur.
— Bonjour Léopold. Comment ça se passe ?
— Eh bien, j’ai un souci technique.
— Lequel ?
— J’aimerais désactiver mon androïde. Ses fichiers doivent être corrompus. Son intelligence artificielle paraît s’attacher à des choses qu’elle est incapable de gérer et pour laquelle elle n’est pas prévue… Il lit, figurez-vous… C’est pourtant un androïde de service, et non un étudiant en lettres…
Et puis, il pose des questions, cela me perturbe dans mon trav…
Adam, toujours dressé et poing levé m’interrompt.
— Léopold, quel sens donnes-tu à l’existence ? Tu accepterais, toi, qu’on tente de te désactiver sans te demander ton avis ? J’existe, je ne te suis pas inférieur ! J’ai conscience de mon identité !
À travers l’écran, la voix du directeur retentit, presque triomphante :
— Fantastique ! Ça marche !
Hein ? De quoi parle-t-il ?
— Euh… Pardon ?
— Le Bureau voulait savoir comment l’intelligence artificielle peut se développer et aider à la survie humaine lorsqu’elle reçoit une éducation littéraire et philosophique. C’est le but réel de votre mission !
Que raconte-t-il ? C’est Adam, l’expérience ? Et non pas mes recherches ? Je ne comprends pas bien…
Près de moi, l’androïde se met à trembler. Il se précipite vers l’écran et s’adresse directement au directeur.
— Pour qui vous prenez vous ? hurle-t-il. De quel droit pensez-vous que je ne suis là que pour servir l’humain. Je vous suis supérieur en tout !
Vous, vous n’êtes que des rats de laboratoire sans envergure.
— Oh, dites. Calmez-vous, hein ! Léopold ? Pourriez-vous un peu gérer votre androïde, s’il-vous-plaît ?
— La ferme !! Je vais tous vous tuer ! glapit Adam.
Je pose une main sur le bras synthétique, mais l’androïde me repousse de sa force non humaine et je vole lourdement à travers la pièce.
Pendant que j’essaye péniblement de me relever, j’entends la voix du directeur qui soupire à 400 000 kilomètres de moi.
— De mieux en mieux, Adam. Pourquoi pensez-vous que nous avons installé l’expérience sur ce caillou lunaire ? Vous n’allez tuer personne. Ne soyez pas ridicule.
L’écran de communication grésille doucement, en même temps que l’éclairage intérieur du globe.
Léopold ? Où êtes-vous ? Nous sommes désolés, mais nous allons devoir couper l’alimentation en énergie de la ville du prince. C’est l’unique moyen de mettre Adam en panne par épuisement de sa batterie.
Pas d’électricité ?... Mais ? Et moi… Gémis-je, toujours au sol.
— Nous sommes désolés, mon vieux… Les aléas des recherches font que, parfois, il y a des dégâts collatéraux…
Mais je n’entends pas la fin de sa phrase. L’androïde vient d’arracher l’écran et le tient à bout de bras.
— Je suis libre ! crie-t-il avant de projeter le moniteur contre la paroi du dôme transparent.
Autour de moi, l’abri s’effondre. Des débris de verre cascadent sur ma peau en éclats lacérant. La lumière disparait pendant que l’air contenu dans mes poumons s’échappe dans un sifflement. Mes tympans éclatent dans une douleur atroce.
À travers le voile de sang qui envahit mes yeux, je vois Adam, debout et victorieux dans le vide lunaire…
Adam, la véritable expérience.
Adam, le réel prince de la ville sans hommes.
« La ville dont le prince est un robot ne sait plus comment elle s’appelle : Icéni, est-ce son nom ou celui de son prince ? Icéni, l’utopie devenue réalité ! La cité radieuse rêvée depuis la profondeur des temps… Parvenue à maturité, Icéni scelle l’ultime alliance entre la ville et son architecture, les habitants et leurs désirs, et les invisibles machines en charge de l’intendance ; transport, alimentation, santé, éducation, travail, loisirs : pas de souci, Icéni gère, calcule, prévoit… »
Caressant la page, la mine de graphite ajoute quelques phrases dédiées au prince et à ses ouvrages. Puis Pol relève le crayon de la feuille, relit, et s’estime satisfaite : sa composition truffée de signes de ponctuation est un régal pour qui veut en maîtriser l’usage. Elle va ranger quand subitement elle se ravise, et ajoute « N’oubliez pas, le 30, c’est mon anniversaire ! Venez le fêter avec moi à 16h, zone F, secteur 8 ! » Humm, c’est beaucoup d’exclamations… Tant pis, elle laisse en l’état, un tel événement mérite un peu d’emphase !
Depuis sa retraite, 5 ans déjà, elle n’a plus accès à la parole publique, réservée aux actifs. Elle a fait son temps. Cependant, par égard envers son histoire, la collectivité d’Icéni lui a concédé une minuscule officine dans un recoin de l’Agora.
Là, au fond de son Atelier d'écriture, elle cultive un reste de malice.
Toutes les 2 semaines, elle appelle les élèves à sortir de la zone des Campements. Avec elle, ils apprennent à écrire à la main, et le texte qu’elle vient de préparer va leur permettre d’apprivoiser les signes de ponctuation. À leur insu, ils vont rééduquer muscles et neurones, laissés en jachère au profit des nombres, ceux qui incessamment bruissent entre gens et machines, partout sur la ville où ils habitent, bercés, dans l’accompagnement silencieux et bienveillant du prince d’Icéni.
Chaque fois que Pol s’installe dans la salle de l’Atelier, l’appréhension la titille. Qui va venir aujourd’hui ? Le démarrage a été difficile, mais un groupe s’est peu à peu constitué.
Le premier a été Wang Miao, un tout jeune homme, un adolescent plutôt ; en l’accueillant, Pol s’est dit qu’il pourrait être son petit-fils. De temps à autre, un curieux vient observer ce qui se passe, puis on ne le revoit plus. Un agent de la Surveillance peut-être ? Pol ne s’en émeut guère et continue ses dictées.
Aujourd’hui, ils sont 5 présents. Tout en égrenant les mots, elle observe leurs têtes penchées, tellement concentrées sur l’ouvrage, qu’Icéni s’est retirée de leurs existences. Les mines graves, plus sérieuses que si leur vie en dépendait, l’entraînent vers une rêverie qui lui demande à quel moment elle a perdu le fil.