Confessions de chimères - Laura Motin Grave - E-Book

Confessions de chimères E-Book

Laura Motin Grave

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Beschreibung

"J'ai déjoué le sort, bien malgré moi. Je ne voulais ni de ce don ni de l'autre. Je suis donc affublé des deux, esclave de ma propre noirceur. Le caillou et la chaussure..." Les personnages des Hurlements d'Automne lèvent le voile sur leurs mystérieux passés... Ces trois récits vous immergent dans la Brume, à travers les témoignages d'un dragon en fuite, d'un peinombre amoureux et d'un veilleur aux prises avec un vampire hors-la-loi.

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Seitenzahl: 93

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Ähnliche


L. Motin Grave

Confessions de chimères

Nouvelles fantastiques

ISBN : 9782322474080 

© 2023, Laura Motin Grave

Tous droits réservés.

Édition : BoD - Books on Demand, [email protected]

Dépôt légal : 2023

Relecture : Morgane Henoussene

Illustration de couverture : Youth Artwork

Contact : [email protected]

Lauramotingrave.com

Sommaire

Un parasite flamboyant

Le feu et la glace

Le spleen du blaireau

Un parasite flamboyant

————————————

Les montagnes bleues, 1828

J’adore les montagnes. Figures majestueuses à l’apparence paisible, pourtant engendrées par de brûlants magmas… Elles me rassurent, m’étoffent. Comme le feraient des souvenirs d’enfance, probablement. J’aime encore être un volcan, parfois.

Celle-ci est assez ancienne, le dos rond, habillée de forêt pratiquement jusqu’à son sommet. Nous nous connaissons. Sous mes pieds, je sens le granit, dur et rugueux, le lichen, la tendresse fraîche de la mousse humide. La pente dévale devant moi, épousant en courbes douces les caprices des pierres et des ruisseaux, puis serpente et remonte vers les nuages, couverte de prairies jaunies par le soleil et d’arbres dévêtus. Les sapins parsèment les étendues fauve, rouges et grises de tâches d’un vert profond. Ce n’est pas encore complètement l’hiver.

Je goûte le vent avec cette petite bouche molle aux dents plates, cette peau fragile, ces poumons minuscules. On se sent bien nu, sans écailles, mais quel délice d’être percuté par les molécules de l’Originel, librement...

Je ne suis pas supposé me trouver là.

Quand cela se saura, car je ferai en sorte que cela se sache, j’aurai droit à des heures de remontrances cycloniques de la part de mes paires. J’en ricane d’avance… Aussi puissants que soient les autres Inexistants, je suis un dragon. Je n’ai que faire de leur colère. Je n’ai pas besoin d’être vivant, mourir ne signifie rien à mes yeux. Cela arrive, de temps en temps.

L’état gazeux offre d’innombrables nuances, mais tout est décomposé. Le minéral se montre riche, mais passif. La révolution des eucaryotes nous a ouvert tant de possibles… Nous sommes de piètres inventeurs, il faut l’admettre. Le génie perceptif de la vie nous a attirés, transformant les ondulations contemplatives en un délicieux ballet de décisions, façonnant des individualités. D’errances fongiques en guérillas végétales j’ai suivi les variations alambiquées, passionnantes et retorses qui gravitent autour de mon élément fétiche… Et puis, il y a les bêtes, si immédiates et fugaces, si modelées par leurs sens… elles en deviennent de véritables poèmes.

Il faut du temps pour acquérir une enveloppe stable, apprendre à agencer les ingrédients correctement, construire les bonnes cellules… tout ceci peut prendre des millénaires. Nous ne produisons pas cet effort au hasard. Les adopter nous limite aussi beaucoup, mais comment y renoncer? Comme l’eau fait scintiller la lumière en arc-en-ciel, chaque forme offre un nouveau prisme à travers lequel découvrir les chatoiements du monde.

Je me suis nommé Carbon, en hommage au premier élément dont j’ai goûté la saveur, celui qui a donné une direction à ma curiosité. Il a fait de moi qui je suis.

Un parasite atomique particulièrement doué avec les incarnations biologiques et le feu.

Les Hommes nous ont représentés sous les traits de lézards géants dotés d’ailes, de serpents gigantesques, de fauves recouverts d’écailles… Il est vrai que nous sommes nombreux à apprécier ces corps reptiliens, confortables et efficaces, sensibles, mais calmes. Et remarquables.

C’est qu’ils ont parcouru le monde suffisamment longtemps pour que même les plus frileux d’entre nous tentent d’en imiter la constitution, au moins partiellement… Les dinosaures étaient beaucoup plus inspirants que les humains. Qui aurait parié sur ces primates à grande gueule, avec leur visage fantomatique et leur sexe géant? Personne, voyons!

Et en un claquement de langue, ils ont tout changé…

Il m’a fallu près de mille ans, mais j’y suis enfin parvenu. Je me suis fabriqué un corps fragile de bipède. Le tabou ultime. Je l’ai fait par défi, mais je ne m’attendais pas à ce qui vient de se passer, en revanche… Mère Magie et Père Chaos ont toujours été délicieusement imprévisibles. À l’instant où j’ai eu modelé tous les éléments bruts de la bonne façon et limité mon influence à ces seules cellules… l’Outremonde m’a recraché.

Je me retrouve là, grelottant, à contempler l’Originel, pour la première fois depuis… depuis trop longtemps à mon goût. L’air a changé. Il s’était chargé de CO2. Ce qu’il transporte ne vient ni des plantes qui m’entourent, assez semblables à celles que j’ai pu fréquenter, ni d’une éruption ou d’un incendie. Je sais reconnaître ces parfums, non, c’est autre chose. Une combustion massive de matière végétale dégradée, d’une pierre sombre que j’affectionne tout particulièrement…

Partout brûle du charbon.

Que fabriquent les Hommes, encore? Je suis certain qu’il s’agit d’eux. Ils ont toujours aimé jouer avec le feu, en dépit de leur vulnérabilité. La stupéfaction fait place à la curiosité, peu à peu, accélérant le métabolisme que je viens de mettre en marche, faisant battre avec fougue le cœur que j’ai façonné. J’aspire un peu plus d’air, me laisse porter par cette soif.

Je me souviens et je découvre, simultanément. Comment avons-nous pu nous passer de ces sensations? J’avais oublié à quel point les contraintes de ce monde le rendent riche et savoureux. Cela fait près de trois mille ans que nous avons déserté la Terre pour protéger la magie de l’humanité. Cette décision m’appartient, comme à tous les Inexistants, et je ne la regrette pas. Cependant, je ne peux souffrir de me figer dans ces limites. Les dragons n’ont pas besoin de l’Originel, nous n’avons plus le droit d’y pénétrer. Plus le droit, hein? Le concept d’autorisation ne fait pas partie des inventions qui excitent mon intérêt. Je n’ai pas l’intention de briser mon serment, trop de vies en dépendent. Je me contente de contourner la règle. Oui, je relance le jeu.

Maintenant que je suis là, un sentiment d’euphorie m’envahit. Un sentiment d’euphorie et un pincement de peur. Tout ceci est si inattendu que je n’y crois pas vraiment. J’analyse le tiraillement qui naît dans mon for intérieur. Je ne veux pas que l’on m’enferme à nouveau. Ha! Cela me stimule, lance un élan remarquable. Je dois m’adapter! À cette enveloppe et à ses servitudes, à donner l’illusion parfaite, oui. Ne modifier que le strict minimum autour de moi, pour que les veilleurs ne puissent pas suivre ma trace. Ne pas même frôler le Voile qui dissimule les Alternatifs, ces êtres surnaturels engendrés par les Hommes, que nous n’avons pas pu emmener avec nous en Outremonde.

D’abord, je soigne mon apparence pour éviter d’attirer l’attention. J’ai créé un corps neutre, de taille et de corpulence moyennes, à la peau modérément foncée, et opté pour une teinte tout aussi peu tranchée pour mes yeux et ma pilosité, prudent. Sentant la texture abrasive de la pierre sous mes pieds, je leur ajoute de la corne, donne également à mes mains une usure confortable. En écoutant mon fonctionnement interne, je constate que ce ventre vide avait faim.

J’hésite.

La logique voudrait que je règle le problème simplement, en modifiant ma chimie, mais je risque d’être éjecté si je trafique trop la structure de ce vaisseau. Je décide plutôt de récolter l’eau et les nutriments au fil de mes déplacements. Il me suffit d’un contact pour transférer ce dont j’ai besoin, ou, à l’inverse, me délester du superflu. Je peux aussi utiliser mon système digestif selon ses prédispositions, si l’occasion se présente. Il est fonctionnel, même si je tâtonne encore.

En effet, je rencontre un autre désagrément : ma température corporelle sera bientôt trop basse pour maintenir une activité. Accélérer les mouvements de mes molécules est efficace, mais ce n’est pas à la portée du premier venu. Me confectionner des vêtements sera nécessaire. J’ajuste les détails au contact de modèles contemporains, mais, allons, je connais le principe; il date d’avant notre départ.

En fait, l’invention du tissu par les humains m’a marqué, à l’époque. Cette manipulation de la matière n’était pas sans me rappeler mon existence d’assimilateur de structure. J’ai jalousé leur imagination, cette faculté à projeter quoi créer avant de l’avoir jamais vu. Faculté dont je suis absolument dépourvu. Je suis un imitateur, un amateur de combinaisons astucieuses que je m’emploie à reproduire. Enfin, je le croyais. Peut-être que cette expérience va m’ouvrir à de nouvelles perspectives…

Il n’y a qu’une seule façon de le savoir, non?

Je me sens bien incapable de dessiner une garde-robe moi-même, néanmoins. Je m’en tiens à ce que je connais : une tunique, une paire de braies et des mocassins, le genre de fagotage passe-partout que la plupart des humains privilégient de par le monde, et qui devrait me permettre de circuler sans éveiller de soupçons. Je ramasse les fibres sur les végétaux qui m’entourent et les assemble juste un peu différemment. Je prends garde de ne léser aucune pousse trop sévèrement, minimisant mon impact, conscient de ma clandestinité.

Je marche lentement en posant la main sur les orties, les branches, les troncs, absorbant ce dont j’ai besoin, tressant au fur et à mesure, de mes épaules à mes pieds. Cette escapade inespérée est délicieuse! Je voudrais qu’elle se prolonge. M’amuser à explorer ce qu’est devenue cette planète depuis que nous l’avons désertée.

De nombreuses créatures reprochent aux dragons d’être trop fiers. Je trouve cela ridicule. Nous sommes invulnérables, donc de nature confiante… Qu’y a-t-il de mal à cela? Pour autant, cela me met dans une position délicate en un temps remarquablement court. J’ai manifestement présumé de ma capacité à me fondre dans la masse…

Où se situe le noyau de votre civilisation actuelle?

Puis-je examiner vos outils?

Êtes-vous personnellement à l’origine d’une «invention»?

Je soumets des questions claires et simples aux humains que je croise, mais leurs réactions ne sont pas celles que j’espérais. Ils s’effrayent de mon apparence de «sauvage» et ne comprennent plus un mot de la Langue. Même après que j’ai apprivoisé leurs dialectes, certains m’attaquent, ce qui me contrarie beaucoup. Si je les tue ou me dévoile, je briserais mon serment et condamnerais les peuples d’Outremonde et l’homo sapiens à une guerre dont je ne veux pas.

Je me montre merveilleusement inventif et refroidis légèrement ce qui m’entoure, au point d’immobiliser leurs pensées, comme j’ai pu l’observer sur mon vaisseau quand j’étais nu. Cela paralyse les fâcheux et je peux m’esquiver pour réparer les dégâts qu’ils ont faits sur mon enveloppe.

Je commence à disposer de vocabulaire. Mes vêtements sont beaucoup plus détaillés qu’au début, d’étoffes diverses et agrémentées de boutons. Comme les Hommes, je me contente de récolter et d’assembler soigneusement. Je progresse à une vitesse fulgurante.

J’ai trouvé ce qui se nomme un bourg, un nid d’humains, une véritable manne de détournements de matières premières. Ils parviennent dorénavant à façonner le métal avec une certaine précision, canalisent le feu de bien des manières et semblent s’intéresser plus que jamais aux ressources du sous-sol. Certains objets particulièrement répandus en témoignent : ils transportent de petits foyers dans des «lampes», jouent de la fusion pour créer du «verre», assemblent des véhicules de plusieurs tonnes qu’ils propulsent au moyen de chaudières… Leur ingéniosité me stupéfie. Ils s’équipent désormais de tubes munis d’une poignée leur permettant d’envoyer, à l’aide d’une minuscule explosion, des projectiles capables de perforer vêtements et corps, provoquant souvent des dégâts irréversibles. Ils les appellent poétiquement «armes à feu».