Contes choisis de Alphonse Daudet - Alphonse Daudet - E-Book

Contes choisis de Alphonse Daudet E-Book

Alphonse Daudet

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Beschreibung

Les Contes choisis de Alphonse Daudet sont une collection d'histoires imaginatives et captivantes qui illustrent le style réaliste et émotionnel de Daudet. Dans ces contes, l'auteur explore les thèmes de la vie quotidienne, de la passion et de la nature humaine, tout en offrant une critique subtile de la société française du XIXe siècle. Son écriture est riche en détails et en émotions, ce qui permet au lecteur de s'immerger pleinement dans chaque histoire. Le livre est un mélange parfait de réalisme et de poésie, offrant une lecture enrichissante et mémorable. Alphonse Daudet, un écrivain français renommé de l'époque, a puisé son inspiration dans sa propre vie et dans les gens qu'il rencontrait. Sa capacité à capturer l'essence de la vie quotidienne et à exprimer les émotions humaines en fait un auteur unique et intemporel. Les Contes choisis de Alphonse Daudet sont un incontournable pour tout amateur de littérature française classique, offrant une expérience de lecture immersive et enrichissante.

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Alphonse Daudet

Contes choisis de Alphonse Daudet

 
EAN 8596547442110
DigiCat, 2022 Contact: [email protected]

Table des matières

LE PHOTOGRAPHE
UN TENEUR DE LIVRES
LE SINGE
ARTHUR
LE PÈRE ACHILLE
LES TROIS SOMMATIONS
LES PETITS PATÉS
AVEC TROIS CENT MILLE FRANCS QUE M’A PROMIS GIRARDIN!…
UN SOIR DE PREMIERE IMPRESSIONS DE L’AUTEUR
LA SOUPE AU FROMAGE
LE DERNIER LIVRE
MAISON A VENDRE
LESVIEUX
LES DEUX AUBERGES
LA MULE DU PAPE 1
L’ÉLIXIR DU R. P. GAUCHER
LES ÉTOILES RÉCIT D’UN BERGER PROVENÇAL
L’AGONIE DE LA SÉMILLANTE
LE PHARE DES SANGUINAIRES
LES DOUANIERS
LE CABECILLA
LES SAUTERELLES
LE CARAVANSÉRAIL
UN DÉCORÉ DU QUINZE AOUT
LE PAPE EST MORT
LA MORT-DU DAUPHIN
PAYSAGES GASTRONOMIQUES
LA BOUILLABAISSE
L’AIOLI
LE KOUSSKOUSS
LA POLENTA
LE MIROIR
LE VOL ÉTUDE
ALSACE! ALSACE!
KADOUR ET KATEL
LES ÉMOTIONS D’UN PERDREAU ROUGE RACONTÉES PAR LUI-MÊME
LA CHÈVRE DE M. SEGUIN
LE SOUS-PRÉFET AUX CHAMPS
UN RÉVEILLON DANS LE MARAIS
HOTEL CI-DEVANT DE NESMOND MAJESTÉ JEUNE FABRICANT D’EAU DE SELTZ
WOOD’STOWN CONTE FANTASTIQUE
LES TROIS MESSES BASSES

AVEC

SEPT EAUX-FORTES PAR E. BURNAND

PARIS

LIBRAIRIE DES BIBBLIOPHILE

Rue Saint-Honoré, 338

M DCCC LXXXIII

LE PHOTOGRAPHE (Contes de Daudet

LE PHOTOGRAPHE

Table des matières

OMME ils avaient l’air d’un tout petit ménage et que leur mobilier tenait dans une charrette à bras, on leur a fait payer le loyer d’avance. Un loyer d’essuyeurs de plâtres, car ils habitent le cinquième d’une maison toute neuve, sur un de ces grands boulevards inachevés, pleins d’écriteaux, de gravats, de terrains vides entourés de planches. Il y a une odeur de peinture fraîche dans ces trois petites pièces très éclairées d’une lumière droite, qui rend plus saisissante la nudité des murs. Voici d’abord l’atelier avec son vitrage grand comme une cloche à melon, sa cheminée à la prussienne sombre et froide, et un petit feu de coke tout préparé qu’on n’allumera que s’il vient du monde. Les photographies de la famille sont accrochées au mur: le père, la mère, les trois enfants, assis, debout, enlacés, séparés, dans toutes les poses possibles; puis quelques monuments, des vues de campagne mangées de soleil. Cela date du temps où ils étaient riches, et où le père faisait de la photographie pour s’amuser. Maintenant la ruine est arrivée, et, n’ayant pas d’autre métier sous la main, il essaye de s’en faire un avec son passetemps du dimanche.

L’appareil, que les enfants entourent d’une admiration craintive, occupe la place d’honneur, au milieu de l’atelier, et, dans ses cuivres flambants neufs, ses gros verres bombés et clairs, semble avoir absorbé tout le luxe, toute la splendeur du pauvre petit logis. Les autres meubles sont vieux, cassés, vermoulus et si rares! La mère a une méchante robe de soie noire, fripée, un bout de dentelle sur la tête, la tenue d’un comptoir où les chalands ne viennent guère. Le père, lui, par exemple, s’est payé une belle toque à l’artiste, une veste en velours pour impressionner le bourgeois. Sous cette défroque reluisante, avec son grand front lunaire, plein d’illusions, ses yeux étonnés et bonasses, il a l’air aussi neuf que son appareil. Et comme il s’agite, le pauvre homme! Et comme il se prend au sérieux! Il faut l’entendre dire aux enfants: «N’entrez pas dans la chambre noire.» La chambre noire! on croirait l’antre d’une pythonisse. Au fond, le malheureux est très troublé. Le loyer payé, le bois, le charbon, il ne reste plus un sou en caisse. Et si les clients ne montent pas, si la vitrine d’exposition qui est en bas au coin de la porte n’accroche personne au passage, qu’est-ce que les petits mangeront ce soir?. Enfin, à la garde de Dieu. L’installation est terminée. Il n’y a plus rien à préparer, à faire reluire. A présent tout dépend du passant.

Minutes d’attente et d’angoisse. Le père, la mère, les enfants, tout le monde est sur le balcon, à guetter. Parmi tant de gens qui circulent, il se trouvera bien un amateur, que diable!. Mais non. La foule va, vient, se croise le long du trottoir. Personne ne s’arrête. Si pourtant. Voilà un monsieur qui s’approche de la vitrine. Il regarde les portraits l’un après l’autre; il a l’air content, il va monter. Les enfants enthousiasmés parlent déjà d’allumer le poêle. «Attendons encore», dit la mère prudemment. Et comme elle a bien fait! Le monsieur continue sa route en flânant. Une heure, deux heures. Le jour devient moins clair. Il y a de gros nuages qui passent. Pourtant, à cette hauteur, on pourrait faire encore d’excellentes épreuves. A quoi bon, puisque personne ne vient? A chaque instant ce sont des émotions, de fausses joies, des pas qu’on entend dans l’escalier, qui arrivent tout près de la porte, puis s’éloignent brusquement. Une fois même on a sonné. C’est quelqu’un qui demandait l’ancien locataire. Les figures s’allongent, les yeux s’emplissent de larmes. «Ce n’est pas possible, dit le père. Il faut qu’on ait décroché notre cadre. Va donc voir, petit.» Au bout d’un moment, l’enfant remonte, consterné. Le cadre est toujours à sa place, mais c’est comme s’il n’y était pas. Personne n’y fait attention.

D’ailleurs, il pleut. En effet, sur le vitrage de l’atelier, la pluie commence à tomber avec un petit bruit narquois. Le boulevard est noir de parapluies. On rentre, on ferme la fenêtre. Les enfants ont froid; mais on n’ose pas allumer le poêle qui contient sa dernière bouchée de charbon. Consternation générale. Le père marche à grands pas, les poings crispés. Pour qu’on ne la voie pas pleurer, la mère se cache dans la chambre. Soudain un des enfants, qui a profité d’une éclaircie pour passer sur le balcon, tape vivement aux carreaux: «Papa, papa. Il y a quelqu’un en bas à l’étalage.» Il ne s’est pas trompé. C’est une dame, une dame très bien, ma foi! Elle regarde un moment les photographies, hésite, lève la tête. Ah! si toutes les paires d’yeux braqués de là-haut sur elle avaient un brin d’aimant, comme elle grimperait l’escalier quatre à quatre!. Enfin la dame se décide. Elle entre, elle monte. La voilà. Vite, l’allumette sous le feu, les petits dans la pièce à côté. Et pendant que le père rajuste sa toque, la mère se précipite pour ouvrir, émue, souriante, avec le froufrou modeste de sa vieille robe de soie.

«Oui, Madame, c’est bien ici.» On s’empresse, on la fait asseoir. C’est une personne du Midi, un peu bavarde, mais bien complaisante, et pas avare du tout de son profil. La première épreuve est manquée. Eh bien, on la recommencera, té! pardi!. Et, sans la moindre mauvaise humeur, la dame du Midi remet son coude sur la table et son menton dans sa main. Pendant que le photographe dispose les plis de la jupe, les rubans du bonnet, on entend des rires étouffés, des poussées contre la petite porte vitrée. Ce sont les enfants qui se bousculent pour regarder leur père passant sa tête sous le drap vert de l’appareil et restant là sans bouger comme une bête de l’Apocalypse avec un gros œil transparent. Oh! quand ils seront grands, ils se feront tous photographes. Enfin voici une bonne épreuve que l’opérateur apporte en triomphe, toute ruisselante. Dans ce blanc et ce noir la dame se reconnaît, commande douze cartes, les paye d’avance et sort enchantée.

Elle est partie, la porte est fermée. Vive la joie! Les enfants délivrés dansent en rond autour de l’appareil. Le père, très ému de sa première opération, s’essuie le front majestueusement; puis, comme la journée touche à sa fin, la mère descend bien vite chercher le dîner, un bon petit dîner d’extra en l’honneur de la crémaillère, et aussi,–car il faut de l’ordre,–un grand registre à dos vert sur lequel on écrit en belle ronde le jour de la livraison, le nom de la dame du Midi et le chiffre de l’encaisse: douze francs! Il est vrai de dire que grâce au pâté, au saint-honoré, avec lesquels on a fêté la crémaillère, grâce encore à quelques petites provisions de chauffage, de sucre, de bougies, le chiffre des dépenses est juste égal à celui des recettes. Mais, bah! si l’on a fait douze francs aujourd’hui, un jour de pluie, d’installation, jugez un peu ce qu’on fera demain. Et la soirée se passe en projets. C’est incrovable ce qu’il peut tenir de projets dans un petit appartement de trois pièces, au cinquième, sur le devantt!…

Le lendemain, un temps superbe, et personne. Pas un client de tout le jour. Qu’est-ce que vous voulez? C’est le commerce, cela. D’ailleurs il reste un peu de pâté, et les enfants ne se couchent pas le ventre vide. Le surlendemain rien encore. Les stations sur le balcon recommencent de plus belle, mais sans succès. La dame du Midi revient chercher sa douzaine, et c’est tout. Ce soir-là, pour avoir du pain on a été obligé d’engager un des matelas. Deux jours, trois jours, se passent ainsi. Maintenant c’est la vraie détresse. Le malheureux photographe a vendu sa toque en velours, sa vareuse; il ne lui reste plus qu’à vendre son appareil et à entrer garçon de magasin quelque part. La mère se désole, les enfants découragés ne vont même plus regarder sur le balcon. Tout à coup, un samedi matin, au moment où ils s’y attendent le moins, voilà qu’on sonne. C’est une noce, toute une noce, qui a monté les cinq étages pour se faire photographier. Le marié, la mariée, la demoiselle et le garçon d’honneur, braves gens n’ayant mis qu’une paire de gants dans leur vie et tenant à en éterniser le souvenir. Ce jour-là on fait trente-six francs. Le lendemain le double. C’est fini. La photographie est installée. Et voilà un des mille drames du petit commerce parisien.

UN TENEUR DE LIVRES

Table des matières

RR… quel brouillard!…» dit le bonhomme me en mettant le pied dans la rue. Vite, il retrousse son collet, ferme son cache-nez sur sa bouche, et, la tête baissée, les mains dans ses poches de derrière, il part pour le bureau en sifflotant.

Un vrai brouillard, en effet. Dans les rues, ce n’est rien encore; au cœur des grandes villes le brouillard ne tient pas plus que la neige. Les toits le déchirent, les murs l’absorbent; il se perd dans les maisons à mesure qu’on les ouvre, fait les escaliers glissants, les rampes humides. Le mouvement des voitures, le va-et-vient des passants, ces passants du matin, si pressés et si pauvres, le hache, l’emporte, le disperse. Il s’accroche aux vêtements de bureau étriqués et minces, aux waterproofs des fillettes de magasin, aux petits voiles flasques, aux grands cartons de toile cirée. Mais sur les quais encore déserts, sur les ponts, la berge, la rivière, c’est une brume lourde, opaque, immobile, où le soleil monte, là-haut, derrière Notre-Dame, avec des lueurs de veilleuse dans un verre dépoli.

Malgré le vent, malgré la brume, l’homme en question suit les quais, toujours les quais, pour aller à son bureau. Il pourrait prendre un autre chemin, mais la rivière paraît avoir un attrait mystérieux pour lui. C’est son plaisir de s’en aller le long des parapets, de frôler ces rampes de pierre usées aux coudes des flâneurs. A cette heure, et par le temps qu’il fait, les flâneurs sont rares. Pourtant, de loin en loin, on rencontre une femme chargée de linge qui se repose contre le parapet, ou quelque pauvre diable accoudé, penché vers l’eau d’un air d’ennui. Chaque fois l’homme se retourne, les regarde curieusement et l’eau après eux, comme si une pensée intime mêlait dans son esprit ces gens à la rivière.

Elle n’est pas gaie, ce matin, la rivière. Ce brouillard qui monte entre les vagues semble l’alourdir. Les toits sombres des rives, tous ces tuyaux de cheminée inégaux et penchés qui se reflètent, se croisent et fument au milieu de l’eau, font penser à je ne sais quelle lugubre usine qui, du fond de la Seine, enverrait à Paris toute sa fumée en brouillard. Notre homme, lui, n’a pas l’air de trouver cela si triste. L’humidité le pénètre de partout, ses vêtements n’ont pas un fil de sec; mais il s’en va tout de même en sifflotant avec un sourire heureux au coin des lèvres. Il y a si longtemps qu’il est fait aux brumes de la Seine! Puis il sait que là-bas, en arrivant, il va trouver une bonne chancelière bien fourrée, son poêle qui ronfle en l’attendant, et la petite plaque chaude où il fait son déjeuner tous les matins. Ce sont là de ces bonheurs d’employé, de ces joies de prison que connaissent seulement ces pauvres êtres rapetissés dont toute la vie tient dans une encoignure.

«Il ne faut pas que j’oublie d’acheter des pommes», se dit-il de temps en temps, et il siffle, et il se dépêche. Vous n’avez jamais vu quelqu’un aller à son travail aussi gaiement.

Les quais, toujours les quais, puis un pont. Maintenant le voilà derrière Notre-Dame. A cette pointe de l’île, le brouillard est plus intense que jamais. Il vient de trois côtés à la fois, noie à moitié les hautes tours, s’amasse à l’angle du pont, comme s’il voulait cacher quelque chose. L’homme s’arrête; c’est là.

On distingue confusément des ombres sinistres, des gens accroupis sur le trottoir qui ont l’air d’attendre, et, comme aux grilles des hospices et des squares, des éventaires étalés, avec des rangées de biscuits, d’oranges, de pommes. Oh! les belles pommes si fraîches, si rouges sous la buée. Il en remplit ses poches, en souriant à la marchande qui grelotte, les pieds sur sa chaufferette; ensuite il pousse une porte dans le brouillard, traverse une petite cour où stationne une charrette attelée.

«Est-ce qu’il y a quelque chose pour nous?» demande-t-il en passant. Un charretier, tout ruisselant, lui répond:

«Oui, Monsieur, et même quelque chose de gentil.»

Alors il entre vite dans son bureau.

C’est là qu’il fait chaud et qu’on est bien. Le poêle ronfle dans un coin. La chancelière est à sa place. Son petit fauteuil l’attend, bien au jour, près de la fenêtre. Le brouillard en rideau sur les vitres fait une lumière unie et douce, et les grands livres à dos vert s’alignent correctement sur leurs casiers. Un vrai cabinet de notaire.

L’homme respire; il est chez lui.

Avant de se mettre à l’ouvrage, il ouvre une grande armoire, en tire des manches de lustrine qu’il passe soigneusement, un petit plat de terre rouge, des morceaux de sucre qui viennent du café, et il commence à peler ses pommes, en regardant autour de lui avec satisfaction. Le fait est qu’on ne peut pas trouver un bureau plus gai, plus clair, mieux en ordre. Ce qu’il y a de singulier, par exemple, c’est ce bruit d’eau qu’on entend de partout, qui vous entoure, vous enveloppe, comme si l’on était dans une chambre de bateau. En bas la Seine se heurte en grondant aux arches du pont, déchire son flot d’écume à cette pointe d’île toujours encombrée de planches, de pilotis, d’épaves. Dans la maison même, tout autour du bureau, c’est un ruissellement d’eau jetée à pleines cruches, le fracas d’un grand lavage. Je ne sais pas pourquoi cette eau vous glace rien qu’à l’entendre. On sent qu’elle claque sur un sol dur, qu’elle rebondit sur de larges dalles, des tables de marbre qui la font paraitre encore plus froide.

Qu’est-ce qu’ils ont donc tant à laver dans cette étrange maison? quelle tache ineffaçable?

Par moments, quand ce ruissellement s’arrête, là-bas, au fond, ce sont des gouttes qui tombent une à une, comme après un dégel ou une grande pluie. On dirait que le brouillard, amassé sur les toits, sur les murs, se fond à la chaleur du poêle et dégoutte continuellement.

L’homme n’y prend pas garde. Il est tout entier à ses pommes qui commencent à chanter dans le plat rouge avec un petit parfum de caramel, et cette jolie chanson l’empêche d’entendre le bruit d’eau, le sinistre bruit d’eau.

«Quand vous voudrez, greffier!…» dit une voix enrouée dans la pièce du fond. Il jette un regard sur ses pommes, et s’en va bien à regret. Où va-t-il? Par la porte entr’ouverte une minute, il vient un air fade et froid qui sent les roseaux, le marécage, et comme une vision de hardes en train de sécher sur des cordes, des blouses fanées, des bourgerons, une robe d’indienne pendue tout de son long par les manches, et qui s’égoutte, qui s’égoutte.

C’est fini. Le voilà qui rentre. Il dépose sur sa table de menus objets tout trempés d’eau, et revient frileusement vers le poêle dégourdir ses mains rouges de froid.

«Il faut être enragé vraiment, par ce temps-là., se dit-il en frissonnant; qu’est-ce qu’elles ont donc toutes?»

Et comme il est bien réchauffé et que son sucre commence à faire la perle aux bords du plat, il se met à déjeuner sur un coin de son bureau. Tout en mangeant, il a ouvert un de ses registres, et le feuillette avec complaisance. Il est si bien tenu ce grand livre! Des lignes droites, des en-têtes à l’encre bleue, des petits reflets de poudre d’or, des buvards à chaque page, un soin, un ordre.

Il paraît que les affaires vont bien. Le brave homme a l’air satisfait d’un comptable en face d’un bon inventaire de fin d’année. Pendant qu’il se délecte à tourner les pages de son livre, les portes s’ouvrent dans la salle à côté, les pas d’une foule sonnent sur les dalles; on parle à demi-voix comme dans une église.

«Oh! qu’elle est jeune!… Quel dommage!…

Et l’on se pousse, et l’on chuchote.

Qu’est-ce que cela peut lui faire, à lui, qu’elle soit jeune? Tranquillement, en achevant ses pommes, il attire devant lui les objets qu’il a apportés tout à l’heure. Un dé plein de sable, un porte-monnaie avec un sou dedans, de petits ciseaux rouillés, si rouillés qu’on ne pourra plus jamais s’en servir,–oh! plus jamais;–un livret d’ouvrière dont les pages sont collées entre elles; une lettre en loques, effacée, où l’on peut lire quelques mots: «L’enfant… pas d’arg. mois de nourrice.»

Le teneur de livres hausse les épaules avec l’air de dire:

«Je connais ça.»

Puis il prend sa plume, souffle soigneusement les mies de pain tombées sur son grand livre, fait un geste pour bien poser sa main, et de sa plus belle ronde il écrit le nom qu’il vient de déchiffrer sur le livret mouillé:

Félicie Rameau, brunisseuse, dix-sept ans.

LE SINGE

Table des matières

AMEDI, soir de paye. Dans cette fin de journée, qui est en même temps une fin de semaine, on sent déjà le dimanche arriver. Tout le long du faubourg, ce sont des cris, des appels, des poussées à la porte des cabarets. Parmi cette foule d’ouvriers qui déborde du trottoir et suit la grande chaussée en pente, une petite ombre se hâte furtivement, remontant le faubourg en sens inverse. Serrée dans un châle trop mince, sa petite figure hâve encadrée d’un bonnet trop grand, elle a l’air honteux, misérable, et si inquiet! Où va-t-elle? Qu’est-ce qu’elle cherche?. Dans sa démarche pressée, dans son regard fixe qui semble la faire aller plus vite encore, il y a cette phrase anxieuse: «Pourvu que j’arrive à temps!» Sur sa route on se retourne, on ricane. Tous ces ouvriers la connaissent, et, en passant, accueillent sa laideur d’un affreux surnom: «Tiens, le singe. Le singe à Valentin qui va chercher son homme.» Et ils l’excitent: «Kss… kss… Trouvera… trouvera pas.» Sans rien entendre, elle va, elle va, oppressée, haletante, car cette rue qui mène aux barrières est bien dure à monter.

Enfin la voilà arrivée. C’est tout en haut du faubourg, au coin des boulevards extérieurs. Une grande usine. On est en train de fermer les portes. La vapeur des machines, abandonnée au ruisseau, siffle et s’échappe avec un bruit de locomotive à l’arrêt. Un peu de fumée monte encore des hautes cheminées, et l’atmosphère chaude qui flotte au-dessus des bâtiments déserts semble la respiration, ’ l’haleine même du travail qui vient de finir. Tout est éteint. Une seule petite lumière brille encore au rez-de-chaussée, derrière un grillage; c’est la lampe du caissier. Voici qu’elle disparaît, juste au moment où la femme arrive. Allons! c’est trop tard! La paye est finie. Comment va-t-elle faire maintenant? Où le trouver pour lui arracher sa semaine, l’empêcher de la boire?. On a tant besoin d’argent à la maison! Les enfants n’ont plus de bas. Le boulanger n’est pas payé. Elle reste affaissée sur une borne, regardant vaguement dans la nuit, n’ayant plus la force de bouger.

Les cabarets du faubourg débordent de bruit et de lumière. Toute la vie des fabriques silencieuses s’est répandue dans les bouges. A travers les vitres troubles où les bouteilles rangées mêlent leurs couleurs fausses, le vert vénéneux des absinthes, le rose des bitters, les paillettes d’or des eaux-de-vie de Dantzig, des cris, des chants, des chocs de verres, viennent jusque dans la rue avec le tintement de l’argent jeté au comptoir par des mains noires encore de l’avoir gagné. Les bras lassés s’accoudent sur les tables, immobilisés par l’abrutissement de la fatigue; et, dans la chaleur malsaine de l’endroit, tous ces misérables oublient qu’il n’y a pas de feu au logis, et que les femmes et les enfants ont froid.

Devant ces fenêtres basses, seules allumées dans les rues désertes, une petite ombre passe et repasse craintivement. Cherche, cherche, pauvre singe!. Elle va d’un cabaret à l’autre, se penche, essuie un coin de vitre avec son châle, regarde, puis repart, toujours inquiète, fiévreuse. Tout à coup elle tressaille. Son Valentin est là, en face d’elle. Un grand diable bien découplé dans sa blouse blanche, fier de ses cheveux frisés et de sa tournure d’ouvrier beau garçon. On l’entoure, on l’écoute. Il parle si bien, et puis c’est lui qui paye!. Pendant ce temps le pauvre singe est là dehors qui grelotte, collant sa figure aux carreaux où dans un grand rayon de gaz la table de son ivrogne se reflète, chargée de bouteilles et de verres, avec les faces égayées qui l’entourent.

Dans la vitre, la femme a l’air d’être assise au milieu d’eux, comme un reproche, un remords vivant. Mais Valentin ne la voit pas. Pris, perdu dans ces interminables discussions de cabaret, renouvelées à chaque verre et pernicieuses pour la raison presque autant que ces vins frelatés, il ne voit pas cette petite mine tirée, pâle, qui lui fait signe derrière les carreaux, ces yeux tristes qui cherchent les siens. Elle, de son côté, n’ose pas entrer. Venir le chercher là devant les camarades, ce serait lui faire affront. Encore si elle était jolie, mais elle est si laide!

Ah! comme elle était fraîche et gentille quand ils se sont connus, il y a dix ans! Tous les matins, lorsqu’il partait à son travail, il la rencontrait allant au sien, pauvre, mais parant honnêtement sa misère, coquette à la façon de cet étrange Paris où l’on vend des rubans et des fleurs sous les voûtes noires des portes cochères. Ils se sont aimés tout de suite en croisant leurs regards; mais, comme ils n’avaient pas d’argent, il leur a fallu attendre bien longtemps avant de se marier. Enfin la mère du garçon a donné un matelas de son lit, la mère de la fille en a fait autant; et puis, comme la petite était très aimée, il y a eu une collecte à l’atelier, et leur ménage s’est trouvé monté.

La robe de noce prêtée par une amie, le voile loué chez un coiffeur, ils sont partis, un matin, à pied, par les rues, pour se marier. A l’église il fallut attendre la fin des messes d’enterrement, attendre aussi à la mairie pour laisser passer les mariages riches. Alors il l’a emmenée en haut du faubourg, dans une chambre carrelée et triste, au fond d’un long couloir plein d’autres chambres bruyantes, sales, querelleuses. C’était à dégoûter d’avance du ménage! Aussi leur bonheur n’a pas duré longtemps. A force de vivre avec des ivrognes, lui s’est mis à boire comme eux. Elle, en voyant pleurer les femmes, a perdu tout son courage; et, pendant qu’il était au cabaret, elle passait tout son temps chez les voisines, apathique, humiliée, berçant d’interminables plaintes l’enfant qu’elle tenait sur ses bras. C’est comme cela qu’elle est devenue si laide, et que cet affreux surnom de «singe» lui a été donné dans les ateliers.

La petite ombre est toujours là, qui va et vient devant les vitres. On l’entend marcher lentement dans la boue du trottoir, et tousser d’une grosse toux creuse, car la soirée est pluvieuse et froide. Combien de temps va-t-elle attendre? Deux ou trois fois déjà elle a posé la main sur le bouton de la porte, mais sans oser jamais ouvrir. A la fin, pourtant, l’idée que les enfants n’ont rien pour manger lui tient lieu de courage. Elle entre. Mais, à peine le seuil franchi, un immense éclat de rire l’arrête court. «Valentin, v’là le singe…!» Elle est bien laide, en effet, avec ses loques qui ruissellent de pluie, toutes les pâleurs de l’attente et de la fatigue sur les joues.

« Valentin, v’là le singe!» Tremblante, interdite, la pauvre femme reste sans bouger. Lui, s’est levé, furieux. Comment! elle a osé venir le chercher là, l’humilier devant les camarades?. Attends, attends, . tu vas voir! Et terrible, le poing fermé, Valentin s’élance. La malheureuse se sauve en courant, au milieu des huées. Il franchit la porte derrière elle, fait deux bonds et la rattrape au tournant de la rue. Tout est noir, personne ne passe. Ah! pauvre singe!.

Eh bien! non. Loin des camarades, l’ouvrier parisien n’est pas méchant. Une fois en face d’elle, le voilà faible, soumis, presque repentant. Maintenant ils s’en vont tous deux bras dessus, bras dessous, et, pendant qu’ils s’éloignent, c’est la voix de la femme qu’on entend s’élever dans la nuit, furieuse, plaintive, enrouée de larmes. Le singe prend sa revanche.

ARTHUR

Table des matières

L y a quelques années, j’habitais un petit pavillon aux Champs-Elysées, dans le passage des Douze-Maisons. Figurez-vous un coin de faubourg perdu, niché au milieu de ces grandes avenues aristocratiques, si froides, si tranquilles, qu’il semble qu’on n’y passe qu’en voiture. Je ne sais quel caprice de propriétaire, quelle manie d’avare ou de vieux laissait traîner ainsi au cœur de ce beau quartier ces terrains vagues, ces petits jardins moisis, ces maisons basses, bâties de travers, avec l’escalier en dehors et des terrasses de bois pleines de linge étendu, de cages à lapins, de chats maigres, de corbeaux apprivoisés. Il y avait là des ménages d’ouvriers, de petits rentiers, quelques artistes, –on en trouve partout où il reste des arbres,– et enfin deux ou trois garnis d’aspect sordide, comme encrassés par des générations de misères. Tout autour, la splendeur et le bruit des Champs-Elysées, un roulement continu, un cliquetis de harnais et de pas fringants, les portes cochères lourdement refermées, les calèches ébranlant les porches, des pianos étouffés, les violons de Mabille, un horizon de grands hôtels muets, aux angles arrondis, avec leurs vitres nuancées par des rideaux de soie claire et leurs hautes glaces sans tain, où montent les dorures des candélabres et les fleurs rares des jardinières.