Contes du jour et de la nuit - Guy de Maupassant - E-Book

Contes du jour et de la nuit E-Book

Guy de Maupassant

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Beschreibung

Contes du jour et de la nuit  est le huitième recueil de nouvelles de l'écrivain Guy de Maupassant |1885|.

Guy de Maupassant était un maître de la nouvelle. Cette collection affiche sa diversité vivante, avec des contes qui varient en thème et en ton, allant de la tragédie et de la satire à la comédie et à la farce. Dans un style lucidement direct, il offre un réalisme sans faille et une ironie sceptique. Il dépeint les tromperies, les hypocrisies et les vanités à différents niveaux de la société. La prostitution est décrite avec franchise, tandis que la dureté de la guerre est habilement exposée.
Ses contes ont été télévisés et ont influencé les films, les opéras et la musique rock. Sans illusion mais humain, Maupassant reste notre contemporain.
| Source Introduction par Cedric Watts, M.A., Ph.D. |

Histoires courtes :
Le Crime au père Boniface
Rose
Le Père
L’Aveu
La Parure
Le Bonheur
Le Vieux
Un lâche
L’Ivrogne
Une vendetta
Coco
La Main
Le Gueux
Un parricide
Le Petit
La Roche aux Guillemots
Tombouctou
Histoire vraie
Adieu
Souvenir
La Confession

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SOMMMAIRE

RECUEIL |8| - CONTES DU JOUR ET DE LA NUIT (1885)

LE CRIME AU PÈRE BONIFACE

ROSE

LE PÈRE

L’AVEU

LA PARURE

LE BONHEUR

LE VIEUX

UN LÂCHE

L’IVROGNE

UNE VENDETTA

COCO

LA MAIN

LE GUEUX

UN PARRICIDE

LE PETIT

LA ROCHE AUX GUILLEMOTS

TOMBOUCTOU

HISTOIRE VRAIE

ADIEU

SOUVENIR

LA CONFESSION

GUY DE MAUPASSANT

CONTES

DU JOUR ET DE LA NUIT

RECUEIL |8|

COLLECTION COMPLÈTENOUVELLES

GUY DE MAUPASSANT

C. Marpon et E. Flammarion, 1885

Raanan Editeur

Livre 825 | édition 1

RECUEIL |8| - CONTES DU JOUR ET DE LA NUIT (1885)

Le Crime au père Boniface

Rose

Le Père

L’Aveu

La Parure

Le Bonheur

Le Vieux

Un lâche

L’Ivrogne

Une vendetta

Coco

La Main

Le Gueux

Un parricide

Le Petit

La Roche aux Guillemots

Tombouctou

Histoire vraie

Adieu

Souvenir

La Confession

LE CRIME AU PÈRE BONIFACE

Ce jour-là le facteur Boniface, en sortant de la maison de poste, constata que sa tournée serait moins longue que de coutume, et il en ressentit une joie vive. Il était chargé de la campagne autour du bourg de Vireville, et, quand il revenait, le soir, de son long pas fatigué, il avait parfois plus de quarante kilomètres dans les jambes.

Donc la distribution serait vite faite ; il pourrait même flaner un peu en route et rentrer chez lui vers trois heures de relevée. Quelle chance !

Il sortit du bourg par le chemin de Sennemare et commença sa besogne. On était en juin, dans le mois vert et fleuri, le vrai mois des plaines.

L’homme, vêtu de sa blouse bleue et coiffé d’un képi noir à galon rouge, traversait par des sentiers étroits les champs de colza, d’avoine ou de blé, enseveli jusqu’aux épaules dans les récoltes ; et sa tête, passant au-dessus des épis, semblait flotter sur une mer calme et verdoyante qu’une brise légère faisait mollement onduler.

Il entrait dans les fermes par la barrière de bois plantée dans les talus qu’ombrageaient deux rangées de hêtres, et saluant par son nom le paysan : « Bonjour, maît’ Chicot, » il lui tendait son journal le Petit Normand. Le fermier essuyait sa main à son fond de culotte, recevait la feuille de papier et la glissait dans sa poche pour la lire à son aise après le repas de midi. Le chien, logé dans un baril, au pied d’un pommier penchant, jappait avec fureur en tirant sur sa chaîne ; et le piéton, sans se retourner, repartait de son allure militaire, en allongeant ses grandes jambes, le bras gauche sur sa sacoche, et le droit manœuvrant sur sa canne qui marchait comme lui d’une façon continue et pressée.

Il distribua ses imprimés et ses lettres dans le hameau de Sennemare, puis il se remit en route à travers champs pour porter le courrier du percepteur qui habitait une petite maison isolée à un kilomètre du bourg.

C’était un nouveau percepteur, M. Chapatis, arrivé la semaine dernière, et marié depuis peu.

Il recevait un journal de Paris, et, parfois, le facteur Boniface, quand il avait le temps, jetait un coup d’œil sur l’imprimé, avant de le remettre au destinataire.

Donc, il ouvrit sa sacoche, prit la feuille, la fit glisser hors de sa bande, la déplia, et se mit à lire tout en marchant. La première page ne l’intéressait guère ; la politique le laissait froid ; il passait toujours la finance, mais les faits divers le passionnaient.

Ils étaient très nourris ce jour-là. Il s’émut même si vivement au récit d’un crime accompli dans le logis d’un garde-chasse, qu’il s’arrêta au milieu d’une pièce de trèfle, pour le relire lentement. Les détails étaient affreux. Un bûcheron, en passant au matin auprès de la maison forestière, avait remarqué un peu de sang sur le seuil, comme si on avait saigné du nez. « Le garde aura tué quelque lapin cette nuit, » pensa-t-il ; mais en approchant il s’aperçut que la porte demeurait entr’ouverte et que la serrure avait été brisée.

Alors, saisi de peur, il courut au village prévenir le maire, celui-ci prit comme renfort le garde champêtre et l’instituteur ; et les quatre hommes revinrent ensemble. Ils trouvèrent le forestier égorgé devant la cheminée, sa femme étranglée sous le lit, et leur petite fille, âgée de six ans, étouffée entre deux matelas.

Le facteur Boniface demeura tellement ému à la pensée de cet assassinat dont toutes les horribles circonstances lui apparaissaient coup sur coup, qu’il se sentit une faiblesse dans les jambes, et il prononça tout haut :

― Nom de nom, y a-t-il tout de même des gens qui sont canailles !

Puis il repassa le journal dans sa ceinture de papier et repartit, la tête pleine de la vision du crime. Il atteignit bientôt la demeure de M. Chapatis ; il ouvrit la barrière du petit jardin et s’approcha de la maison. C’était une construction basse, ne contenant qu’un rez-de-chaussée, coiffé d’un toit mansardé. Elle était éloignée de cinq cents mètres au moins de la maison la plus voisine.

Le facteur monta les deux marches du perron, posa la main sur la serrure, essaya d’ouvrir la porte, et constata qu’elle était fermée. Alors, il s’aperçut que les volets n’avaient pas été ouverts, et que personne encore n’était sorti ce jour-là.

Une inquiétude l’envahit, car M. Chapatis, depuis son arrivée, s’était levé assez tôt. Boniface tira sa montre. Il n’était encore que sept heures dix minutes du matin, il se trouvait donc en avance de près d’une heure. N’importe, le percepteur aurait dû être debout.

Alors il fit le tour de la demeure en marchant avec précaution, comme s’il eût couru quelque danger. Il ne remarqua rien de suspect, que des pas d’homme dans une plate-bande de fraisiers.

Mais tout à coup, il demeura immobile, perclus d’angoisse, en passant devant une fenêtre. On gémissait dans la maison.

Il s’approcha, et enjambant une bordure de thym, colla son oreille contre l’auvent, pour mieux écouter ; assurément on gémissait. Il entendait fort bien de longs soupirs douloureux, une sorte de râle, un bruit de lutte. Puis, les gémissements devinrent plus forts, plus répétés, s’accentuèrent encore, se changèrent en cris.

Alors Boniface, ne doutant plus qu’un crime s’accomplissait en ce moment-là même, chez le percepteur, partit à toutes jambes, retraversa le petit jardin, s’élança à travers la plaine, à travers les récoltes, courant à perdre haleine, secouant sa sacoche qui lui battait les reins, et il arriva, exténué, haletant, éperdu à la porte de la gendarmerie.

Le brigadier Malautour raccommodait une chaise brisée au moyen de pointes et d’un marteau. Le gendarme Rautier tenait entre ses jambes le meuble avarié et présentait un clou sur les bords de la cassure ; alors le brigadier, mâchant sa moustache, les yeux ronds et mouillés d’attention, tapait à tous coups sur les doigts de son subordonné.

Le facteur, dès qu’il les aperçut, s’écria :

— Venez vite, on assassine le percepteur, vite, vite !

Les deux hommes cessèrent leur travail et levèrent la tête, ces têtes étonnées de gens qu’on surprend et qu’on dérange.

Boniface, les voyant plus surpris que pressés, répéta :

— Vite ! Vite ! Les voleurs sont dans la maison, j’ai entendu les cris, il n’est que temps.

Le brigadier, posant son marteau par terre, demanda :

— Qu’est-ce qui vous a donné connaissance de ce fait ?

Le facteur reprit :

— J’allais porter le journal avec deux lettres quand je remarquai que la porte était fermée et que le percepteur n’était pas levé. Je fis le tour de la maison pour me rendre compte, et j’entendis qu’on gémissait comme si on eût étranglé quelqu’un ou qu’on lui eût coupé la gorge ; alors je m’en suis parti au plus vite pour vous chercher. Il n’est que temps.

Le brigadier se redressant, reprit :

— Et vous n’avez pas porté secours en personne ?

Le facteur effaré répondit :

— Je craignais de n’être pas en nombre suffisant.

Alors le gendarme, convaincu, annonça :

— Le temps de me vêtir et je vous suis.

Et il entra dans la gendarmerie, suivi par son soldat qui rapportait la chaise.

Ils reparurent presque aussitôt, et tous trois se mirent en route, au pas gymnastique, pour le lieu du crime.

En arrivant près de la maison, ils ralentirent leur allure par précaution, et le brigadier tira son revolver, puis ils pénétrèrent tout doucement dans le jardin et s’approchèrent de la muraille. Aucune trace nouvelle n’indiquait que les malfaiteurs fussent partis. La porte demeurait fermée, les fenêtres closes.

— Nous les tenons, murmura le brigadier.

Le père Boniface, palpitant d’émotion, le fit passer de l’autre côté, et, lui montrant un auvent :

— C’est là, dit-il.

Et le brigadier s’avança tout seul, et colla son oreille contre la planche. Les deux autres attendaient, prêts à tout, les yeux fixés sur lui.

Il demeura longtemps immobile, écoutant. Pour mieux approcher sa tête du volet de bois, il avait ôté son tricorne et le tenait de sa main droite.

Qu’entendait-il ? Sa figure impassible ne révélait rien, mais soudain sa moustache se retroussa, ses joues se plissèrent comme pour un rire silencieux, et enjambant de nouveau la bordure de buis, il revint vers les deux hommes, qui le regardaient avec stupeur.

Puis il leur fit signe de le suivre en marchant sur la pointe des pieds ; et, revenant devant l’entrée, il enjoignit à Boniface de glisser sous la porte le journal et les lettres.

Le facteur, interdit, obéit cependant avec docilité.

— Et maintenant, en route, dit le brigadier.

Mais, dès qu’ils eurent passé la barrière il se retourna vers le piéton, et, d’un air goguenard, la lèvre narquoise, l’œil retroussé et brillant de joie :

— Que vous êtes un malin, vous ?

Le vieux demanda :

— De quoi ? j’ai entendu, j’vous jure que j’ai entendu.

Mais le gendarme, n’y tenant plus, éclata de rire. Il riait comme on suffoque, les deux mains sur le ventre, plié en deux, l’œil plein de larmes, avec d’affreuses grimaces autour du nez. Et les deux autres, affolés, le regardaient.

Mais comme il ne pouvait ni parler, ni cesser de rire, ni faire comprendre ce qu’il avait, il fit un geste, un geste populaire et polisson.

Comme on ne le comprenait toujours pas, il le répéta, plusieurs fois de suite, en désignant d’un signe de tête la maison toujours close.

Et son soldat, comprenant brusquement à son tour, éclata d’une gaieté formidable.

Le vieux demeurait stupide entre ces deux hommes qui se tordaient.

Le brigadier, à la fin, se calma, et lançant dans le ventre du vieux une grande tape d’homme qui rigole, il s’écria :

— Ah ! farceur, sacré farceur, je le retiendrai l’ crime au père Boniface !

Le facteur ouvrait des yeux énormes et il répéta :

— J’vous jure que j’ai entendu.

Le brigadier se remit à rire. Son gendarme s’était assis sur l’herbe du fossé pour se tordre tout à son aise.

— Ah ! t’as entendu. Et ta femme, c’est-il comme ça que tu l’assassines, hein, vieux farceur ?

— Ma femme ?…

Et il se mit à réfléchir longuement, puis il reprit :

— Ma femme… Oui, all’ gueule quand j’y fiche des coups… Mais all’ gueule, que c’est gueuler, quoi. C’est-il donc que M. Chapatis battait la sienne ?

Alors le brigadier, dans un délire de joie le fit tourner comme une poupée par les épaules, et il lui souffla dans l’oreille quelque chose dont l’autre demeura abruti d’étonnement.

Puis le vieux, pensif, murmura :

— Non… point comme ça… point comme ça… point comme ça… all’ n’ dit rien, la mienne… J’aurais jamais cru… si c’est possible… on aurait juré une martyre…

Et, confus, désorienté, honteux, il reprit son chemin à travers les champs, tandis que le gendarme et le brigadier, riant toujours et lui criant, de loin, de grasses plaisanteries de caserne, regardaient s’éloigner son képi noir, sur la mer tranquilles des récoltes.

ROSE

Les deux jeunes femmes ont l’air ensevelies sous une couche de fleurs. Elles sont seules dans l’immense landau chargé de bouquets comme une corbeille géante. Sur la banquette du devant, deux bannettes de satin blanc sont pleines de violettes de Nice, et sur la peau d’ours qui couvre les genoux un amoncellement de roses, de mimosas, de giroflées, de marguerites, de tubéreuses et de fleurs d’oranger, noués avec des faveurs de soie, semble écraser les deux corps délicats, ne laissant sortir de ce lit éclatant et parfumé que les épaules, les bras et un peu des corsages dont l’un est bleu et l’autre lilas.

Le fouet du cocher porte un fourreau d’anémones, les traits des chevaux sont capitonnés avec des ravenelles, les rayons des roues sont vêtus de réséda ; et, à la place des lanternes, deux bouquets ronds, énormes, ont l’air des deux yeux étranges de cette bête roulante et fleurie.

Le landau parcourt au grand trot la route, la rue d’Antibes, précédé, suivi, accompagné par une foule d’autres voitures enguirlandées, pleines de femmes disparues sous un flot de violettes. Car c’est la fête des fleurs à Cannes.

On arrive au boulevard de la Foncière, où la bataille a lieu. Tout le long de l’immense avenue, une double file d’équipages enguirlandés va et revient comme un ruban sans fin. De l’un à l’autre on se jette des fleurs. Elles passent dans l’air comme des balles, vont frapper les frais visages, voltigent et retombent dans la poussière où une armée de gamins les ramasse.

Une foule compacte, rangée sur les trottoirs, et maintenue par les gendarmes à cheval qui passent brutalement et repoussent les curieux à pied comme pour ne point permettre aux vilains de se mêler aux riches, regarde, bruyante et tranquille.

Dans les voitures on s’appelle, on se reconnaît, on se mitraille avec des roses. Un char plein de jolies femmes vêtues de rouge comme des diables, attire et séduit les yeux. Un monsieur qui ressemble aux portraits d’Henri IV lance avec une ardeur joyeuse un énorme bouquet retenu par un élastique. Sous la menace du choc les femmes se cachent les yeux et les hommes baissent la tête, mais le projectile gracieux, rapide et docile, décrit une courbe et revient à son maître qui le jette aussitôt vers une figure nouvelle.

Les deux jeunes femmes vident à pleines mains leur arsenal et reçoivent une grêle de bouquets ; puis, après une heure de bataille, un peu lasses enfin, elles ordonnent au cocher de suivre la route du golfe Juan, qui longe la mer.

Le soleil disparaît derrière l’Esterel, dessinant en noir, sur un couchant de feu, la silhouette dentelée de la longue montagne. La mer calme s’étend, bleue et claire, jusqu’à l’horizon où elle se mêle au ciel, et l’escadre, ancrée au milieu du golfe, a l’air d’un troupeau de bêtes monstrueuses, immobiles sur l’eau, animaux apocalyptiques, cuirassés et bossus, coiffés de mâts frêles comme des plumes, et avec des yeux qui s’allument quand vient la nuit.

Les jeunes femmes, étendues sous la lourde fourrure, regardent languissamment. L’une dit enfin :

— Comme il y a des soirs délicieux, où tout semble bon. N’est-ce pas, Margot ?

L’autre reprit :

— Oui, c’est bon. Mais il manque toujours quelque chose.  

— Quoi donc ? Moi je me sens heureuse tout à fait. Je n’ai besoin de rien.

— Si. Tu n’y penses pas. Quel que soit le bien-être qui engourdit notre corps, nous désirons toujours quelque chose de plus… pour le cœur.

Et l’autre, souriant :

— Un peu d’amour ?

— Oui.

Elles se turent, regardant devant elles, puis celle qui s’appelait Marguerite murmura : La vie ne me semble pas supportable sans cela. J’ai besoin d’être aimée, ne fût-ce que par un chien. Nous sommes toutes ainsi, d’ailleurs, quoi que tu en dises, Simone.

— Mais non, ma chère. J’aime mieux n’être pas aimée du tout que de l’être par n’importe qui. Crois-tu que cela me serait agréable, par exemple, d’être aimée par… par…

Elle cherchait par qui elle pourrait bien être aimée, parcourant de l’œil le vaste paysage. Ses yeux, après avoir fait le tour de l’horizon, tombèrent sur les deux boutons de métal qui luisaient dans le dos du cocher, et elle reprit, en riant : « par mon cocher. »

Mme Margot sourit à peine et prononça, à voix basse :

— Je t’assure que c’est très amusant d’être aimée par un domestique. Cela m’est arrivé deux ou trois fois. Ils roulent des yeux si drôles que c’est à mourir de rire. Naturellement, on se montre d’autant plus sévère qu’ils sont plus amoureux, puis on les met à la porte, un jour, sous le premier prétexte venu parce qu’on deviendrait ridicule si quelqu’un s’en apercevait.

Mme Simone écoutait, le regard fixe devant elle, puis elle déclara :

— Non, décidément, le cœur de mon valet de pied ne me paraîtrait pas suffisant. Raconte-moi donc comment tu t’apercevais qu’ils t’aimaient.

— Je m’en apercevais comme avec les autres hommes, lorsqu’ils devenaient stupides.

— Les autres ne me paraissent pas si bêtes à moi, quand ils m’aiment.  

— Idiots, ma chère, incapables de causer, de répondre, de comprendre quoi que ce soit.

— Mais toi, qu’est-ce que cela te faisait d’être aimée par un domestique. Tu étais quoi… émue… flattée ?

— Émue ? non ― flattée ― oui, un peu. On est toujours flatté de l’amour d’un homme quel qu’il soit.

— Oh, voyons, Margot !

— Si, ma chère. Tiens, je vais te dire une singulière aventure qui m’est arrivée. Tu verras comme c’est curieux et confus ce qui se passe en nous dans ces cas-là.

Il y aura quatre ans à l’automne, je me trouvais sans femme de chambre. J’en avais essayé l’une après l’autre cinq ou six qui étaient ineptes, et je désespérais presque d’en trouver une, quand je lus, dans les petites annonces d’un journal, qu’une jeune fille sachant coudre, broder, coiffer, cherchait une place, et qu’elle fournirait les meilleurs renseignements. Elle parlait en outre l’anglais.

J’écrivis à l’adresse indiquée, et, le lendemain, la personne en question se présenta. Elle était assez grande, mince, un peu pâle, avec l’air très timide. Elle avait de beaux yeux noirs, un teint charmant, elle me plut tout de suite. Je lui demandai ses certificats ; elle m’en donna un en anglais, car elle sortait, disait-elle, de la maison de lady Rymwell, où elle était restée dix ans.

Le certificat attestait que la jeune fille était partie de son plein gré pour rentrer en France et qu’on n’avait eu à lui reprocher, pendant son long service, qu’un peu de coquetterie française.

La tournure pudibonde de la phrase anglaise me fit même un peu sourire et j’arrêtai sur-le-champ cette femme de chambre.

Elle entra chez moi le jour même ; elle se nommait Rose.

Au bout d’un mois je l’adorais.

C’était une trouvaille, une perle, un phénomène.

Elle savait coiffer avec un goût infini ; elle chiffonnait les dentelles d’un chapeau mieux que les meilleures modistes et elle savait même faire les robes.

J’étais stupéfaite de ses facultés. Jamais je ne m’étais trouvée servie ainsi.

Elle m’habillait rapidement avec une légèreté de mains étonnante. Jamais je ne sentais ses doigts sur ma peau, et rien ne m’est désagréable comme le contact d’une main de bonne. Je pris bientôt des habitudes de paresse excessives, tant il m’était agréable de me laisser vêtir, des pieds à la tête, et de la chemise aux gants, par cette grande fille timide, toujours un peu rougissante, et qui ne parlait jamais. Au sortir du bain, elle me frictionnait et me massait pendant que je sommeillais un peu sur mon divan ; je la considérais, ma foi, en amie de condition inférieure, plutôt qu’en simple domestique.

Or, un matin, mon concierge demanda avec mystère à me parler. Je fus surprise et je le fis entrer. C’était un homme très sûr, un vieux soldat, ancienne ordonnance de mon mari.  

Il paraissait gêné de ce qu’il avait à dire. Enfin, il prononça en bredouillant :

— Madame, il y a en bas le commissaire de police du quartier.

Je demandai brusquement :

— Qu’est-ce qu’il veut ?

— Il veut faire une perquisition dans l’hôtel.

Certes, la police est utile, mais je la déteste. Je trouve que ce n’est pas là un métier noble. Et je répondis, irritée autant que blessée :

— Pourquoi cette perquisition ? À quel propos ? Il n’entrera pas.

Le concierge reprit :