Contes populaires de la Grande-Bretagne - Loys Brueyre - E-Book

Contes populaires de la Grande-Bretagne E-Book

Loys Brueyre

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Beschreibung

David Hume, au début de sa célèbre Histoire d’Angleterre, s’exprime ainsi : « Les esprits curieux et oisifs portent volontiers leurs recherches dans l’antiquité. Les commencements des nations barbares, s’ils étaient connus, paraîtraient insipides aux gens nés dans un siècle plus éclairé. » — Tel était naguère encore le sentiment général des plus graves historiens sur les problèmes que soulèvent les questions relatives à l’origine des races dont nous sommes descendus. — Depuis lors, on en a bien appelé de ce jugement, et les savants de tous pays se sont au contraire efforcés de porter la lumière dans les ténèbres épaisses qui enveloppent les questions ethnologiques. 

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Veröffentlichungsjahr: 2020

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Contes populaires

de la Grande-Bretagne

Loys Brueyre

© 2020 Librorium Editions

Tous Droits Réservés

 

INTRODUCTION

Regrettez-vous le temps où le ciel sur la terre Marchait et respirait dans un peuple de dieux ? Où quatre mille dieux n’avaient pas un athée

ALFRED DE MUSSET.

 

Sciences auxiliaires de l’histoire. — Géologie, Anthropologie, Philologie comparée. — Mythologie comparée.

David Hume, au début de sa célèbre Histoire d’Angleterre, s’exprime ainsi : « Les esprits curieux et oisifs portent volontiers leurs recherches dans l’antiquité. Les commencements des nations barbares, s’ils étaient connus, paraîtraient insipides aux gens nés dans un siècle plus éclairé. » — Tel était naguère encore le sentiment général des plus graves historiens sur les problèmes que soulèvent les questions relatives à l’origine des races dont nous sommes descendus. — Depuis lors, on en a bien appelé de ce jugement, et les savants de tous pays se sont au contraire efforcés de porter la lumière dans les ténèbres épaisses qui enveloppent les questions ethnologiques. — Malheureusement les anciens tenaient en profond dédain les événements qui s’accomplissaient chez les nations étrangères ; aussi les rares documents qu’ils nous ont transmis, tout en contenant de précieux renseignements, témoignent-ils de leur ignorance extrême de l’histoire et de la géographie des peuples barbares, c’est-à-dire de nos pères. Strabon, dont l’ouvrage est pourtant postérieur à la conquête de César, n’écrivait-il pas que les Pyrénées courent du sud au nord et parallèlement au Rhin ? Selon lui, la Seine, la Saône, le Doubs prennent leur source dans les Alpes, et la Garonne, la Loire et la Seine coulent du midi au nord1 ? D’un autre côté, les Celtes et les Germains n’écrivaient pas, et c’était même un précepte de la religion druidique que de conserver dans la mémoire seule et de confier à la tradition orale la transmission des dogmes religieux et des hauts faits des ancêtres.

Les documents écrits faisant défaut ou ne pouvait être acceptés qu’après un contrôle sévère, il a fallu rechercher si d’autres sciences ne pouvaient y suppléer, et l’on a trouvé en effet des lumières inattendues dans des sciences qui au premier abord semblent étrangères à l’histoire.

En premier lieu, c’est la géologie qui, par la découverte de l’homme fossile, reporte à des milliers de siècles la présence de l’homme sur la terre ; c’est l’anthropologie qui, par la comparaison des caractères physiques des squelettes humains rencontrés dans les antiques sépultures et principalement par la forme et les dimensions de leurs crânes, s’efforce, jusqu’ici d’ailleurs sans résultats bien concluants, de déterminer les races auxquelles ils ont appartenu ; c’est aussi la philologie comparée qui, grâce à l’étude du sanscrit, a pu rattacher par le lien des racines et des principes grammaticaux communs de leurs langues, les nations européennes à celles de l’Inde et de la Perse. Enfin, on s’est demandé si les fables primitives et les mythes religieux des peuples anciens ne fourniraient pas à leur tour quelques éléments du problème. On s’est aperçu alors, non sans exciter d’abord la surprise et le doute, que les récits qui charment les veillées d’hiver dans les campagnes, que les contes avec lesquels les nourrices amusent les enfants de génération en génération, que les chansons qui courent les chemins étaient le véhicule d’événements historiques et religieux remontant souvent aux âges les plus reculés.

 

Origine des traditions communes chez les peuples expliquée par les émigrations et les invasions

Les migrations dans l’antiquité n’avaient pas lieu individuellement comme de nos jours ; chassés par une inondation, refoulés par l’invasion de hordes conquérantes ou contraints de fuir un fléau quelconque, les peuples anciens : hommes, femmes, enfants, vieillards, réunissaient un jour leurs troupeaux, entassaient leurs biens dans des chariots, puis commençaient des exodes qui se prolongeaient des années, quelquefois des siècles, pour s’arrêter enfin dans une contrée dont ils expulsaient ou absorbaient les habitants. Le récit que César nous a laissé, dans ses Commentaires, de l’émigration des Boïens et des Helvètes ; ceux que Plutarque nous a transmis de cette irruption torrentielle des Cimbres en Gaule, en Espagne, en Italie, que le génie de Marius arrêta aux champs d’Aix et de Verceil ; et tant d’autres encore nous fournissent des exemples de ces invasions d’un pays par une nation tout entière.

Mais ce n’était pas seulement leurs biens qu’emportaient avec eux ces conquérants, et dans les contrées qu’ils écrasaient en les traversant, ils laissaient l’empreinte de leurs mœurs, de leur langue, de leurs traditions. Soit que nous considérions les migrations des Aryens des hauts plateaux d’Asie aux extrémités de la Gaule, les invasions des Visigoths en Provence et en Espagne, ou les conquêtes des Normands en Angleterre, en France, en Sicile, les contes que ces peuples ont semés sur leur route sont pour nous les cailloux blancs du Petit-Poucet qui nous font reconnaître les traces de leur passage.

N’est-ce pas une merveilleuse chose, pour prendre un exemple entre mille, que notre conte de Cendrillon se retrouve à la fois dans les traditions de tous les peuples de la race aryenne, aussi bien sur les bords des golfes de Naples et de Venise que sur ceux de la Baltique, et qu’on puisse le suivre dans son idée principale comme sur une piste ininterrompue depuis l’extrémité de l’Europe jusque dans l’Inde et la Perse, dans les contes gaéliques de Campbell, dans les récits de Perrault, dans plusieurs Mærchen de Grimm, chez les Slaves et chez les Russes ? Comment ne pas être frappé de rencontrer chez les peuples le plus séparés par la distance, par la langue, par les labeurs quotidiens, la vieille fable de Midas et de ses oreilles d’âne2 ou des récits rapportés dans l’Ane d’or d’Apulée, il y a plus de quinze cents ans, comme les tâches imposées par Vénus à son fils Éros (voir conte XIII) et mieux encore dans l’Odyssée, il y a près de trois mille ans, comme la légende d’Ulysse dans l’antre de Polyphème, et cette facétie, à ce qu’il paraît toujours jeune, du héros grec prenant le nom de « Personne ? » (Voy. Conte XVI.)

 

Objections à la théorie qui rapporte aux migrations des peuples les traditions communes des nations âryennes

 

D’illustres savants ont conclu de la similitude des traditions populaires des peuples indo-européens qu’à une certaine époque, ils avaient dû subir l’influence de conquérants qui avaient fait pénétrer chez eux leur civilisation et qui peut-être même les avaient absorbés en tant que races. — Deux objections principales ont été élevées contre cette théorie :

1° L’esprit humain est limité dans ses inventions ;

2° Les contes européens nous sont venus de l’Inde au moyen âge, principalement à la suite des croisades et par l’intermédiaire des Arabes.

 

Examinons ces objections :

1° Il est vrai que le cercle de l’imagination de l’homme ne peut s’étendre indéfiniment. L’homme étant, au moral, partout pareil à lui-même, qu’il soit blanc, jaune, rouge ou noir, les événements historiques, sociaux ou autres, nés des mobiles identiques des passions humaines, doivent, en effet, produire des résultats semblables ; il n’y a donc pas lieu de s’étonner que des récits analogues soient éclos sous des ciels et chez des peuples différents, ainsi qu’en témoignent les contes trouvés chez les Indiens du nouveau monde, chez les noirs zoulous, etc. Au surplus, les rapprochements qui existent entre ces contes et les nôtres sont en si petit nombre, tandis que les dissemblances en sont si considérables, que l’objection perd toute sa valeur. Enfin, si, plus tard, une étude plus approfondie devait révéler entre nos contes. âryens et ceux d’autres races, entre leurs langues et les nôtres des points de contact réels, il faudra en conclure qu’il fut une époque perdue dans la nuit des temps où ces races avaient elles aussi vécu en commun de la même vie intellectuelle et matérielle jusqu’au jour où un événement, que la Bible rattache à l’érection de la tour de Babel, a causé leur dispersion.

Ajoutons que, dans l’état présent des choses, il ne faudrait pas s’exagérer cette pauvreté d’invention, même lorsqu’elle ne s’exerce que dans les limites du merveilleux. Les contes d’imagination pure, absolument étrangers aux fictions de la littérature populaire, tels que les récits de Swift, d’Hoffmann, d’Edgard Poë et de tant d’autres sont là pour en témoigner.

2° La seconde objection est plus sérieuse, et elle est même exacte par certains côtés. Les pèlerins de terre sainte, les troubadours, les trouvères, les jongleurs parcouraient au moyen âge les châteaux et les villages, chantant ou déclamant des lais et des contes merveilleux. D’un autre côté, les deux célèbres recueils de fictions indiennes, le Pantchatantra et les apologues de Sendabad, se sont répandus par toute l’Europe ; parvenus entre les mains des lettrés du moyen âge et de la Renaissance, dans des versions plus ou moins altérées, connues sous les noms de Fables de Bidpaï, de Kalila et de Dimna, de Gesta Romanorum, de Dolopathos, etc., etc., ils ont passé dans la littérature de la France et de l’Italie et ont inspiré les écrivains les plus illustres de l’Europe. Mais de ce que les classes lettrées ont connu, apprécié et fait leurs les récits orientaux, il est tout à fait erroné de conclure que les masses populaires en aient subi la moindre influence, à plus forte raison s’en soient imprégnées et les aient conservés à ce point vivaces qu’elles en aient fait les récits de leurs veillées d’hiver, aussi bien sur le sommet des montagnes d’Écosse que dans les steppes de la Russie ou les landes de la Bretagne. D’ailleurs, il faut bien le dire, est-ce que les œuvres des écrivains d’un pays, quel qu’en soit le mérite, peuvent pénétrer dans les masses et s’y perpétuer dans leurs souvenirs ? Quel est le paysan français qui racontera un conte de Nodier ou les Aventures du voyage dans les empires de la Lune et du Soleil, par Cyrano de Bergerac, ou autres contes jadis célèbres ? quel est le paysan allemand qui connaît les Contes fantastiques d’Hoffmann ? ou le tenancier irlandais au courant des Aventures de Gulliver, par son compatriote Swift ? Aucun assurément. C’est qu’il faut distinguer d’une façon absolue les contes réellement populaires des récits d’imagination. Ces derniers ne sont connus que des lettrés ; les autres ont à une période de l’histoire fait partie d’un système religieux et mythologique. Une fois entrés dans le fonds populaire, ils ont continué à se transmettre de bouche en bouche, soit pour l’amusement des enfants, soit pour égayer le foyer domestique. De même, dans quelques milliers d’années, si, par impossible, la religion chrétienne venait à s’éteindre, on retrouverait dans des nations éloignées les unes des autres des souvenirs profonds laissés par l’Évangile et les livres saints, et la conclusion qu’il y aurait lieu d’en tirer serait précisément celle que nous invoquons par rapport aux récits âryens : à savoir que ces traditions ont fait partie du fonds commun populaire de nations ayant professé jadis la même foi et qui partageaient les mêmes idées. Nous ajouterons que si les objections auxquelles nous venons de répondre peuvent expliquer la présence de quelques contes isolés chez des peuples différents, elles cessent de se comprendre lorsqu’il s’agit d’un ensemble de traditions reliées par un système d’idées communes et exprimant des mythes de même nature, traditions dont on peut retrouver la trace dans les mythologies indienne, grecque et scandinave bien avant que les relations avec l’Inde eussent pu se renouer par l’intermédiaire des Arabes ou des Maures d’Espagne.

Nous sommes donc amené à conclure que les traditions populaires d’un pays y ont été apportées par les diverses races qui se sont fixées sur son sol et que les contes communs à toutes les nations indo-européennes sont, pour la majorité, ceux que leurs pères possédaient en commun lorsqu’ils vivaient dans la Bactriane.

Cette conclusion, qui eût pu paraître hardie au siècle dernier avant que la philologie comparée eût démontré la parenté originelle des peuples indo-européens, n’est plus maintenant qu’un corollaire naturel de cette découverte. Elle la complète d’autre part en nous révélant, dans une certaine mesure, le côté poétique et religieux de l’antique nation aryenne.

 

Division des contes populaires en trois groupes.

La comparaison des contes populaires de tous les pays indo-européens nous a conduit à les répartir en trois groupes que nous allons analyser successivement :

 

1° Contes mythiques de l’époque aryenne.

1° Il existe une couche, on pourrait dire géologique, de fictions qui avaient cours dans l’Aryane avant la séparation, et que les tribus émigrantes ont emportées avec elles en Europe et en Asie.

Ces contes, qui commencent et se terminent par des formules presque toujours semblables, avaient à l’origine un sens symbolique ; en général, c’étaient des mythes relatifs au cours journalier ou annuel des astres et-aux phénomènes périodiques de la nature, tels que le retour des saisons ou tout autre phénomène analogue. Les récits de ce genre ont une double action, l’une se passe dans les cieux sous la forme des phénomènes célestes qu’on symbolise ; l’autre a pris corps sur la terre dans le récit qu’on raconte.

Dans les grands poëmes indiens, les luttes formidables des Devas et des Détyas, les dix avatars de Vichnou, ne sont que des allégories météorologiques relatives aux phases successives de la création de la terre et de l’univers.

Ces mythes solaires ne sont pas toujours faciles à reconnaître dans les contes tels qu’ils nous sont parvenus, à cause des corruptions et des interpolations qui sont venues troubler la marche du récit primitif et dès lors le développement du mythe initial. En outre, les personnages des mythologies antiques : indienne, grecque, Scandinave, les deux premières surtout, avaient à l’origine une variété d’aspects et d’attributions qui en rendent l’étude très-difficile, habitués que nous sommes à nous les représenter sous le type définitif qu’ils ont pris chez les écrivains de la Grèce et de Rome. — Les événements sanguinaires ou contraires à la morale, les personnages féroces, les monstres des récits mythiques n’y sont le plus souvent que des fictions ou des images, ainsi que l’ont démontré Max Müller et Alfred Maury pour les fables de la mythologie grecque. Il en est de même pour les contes aryens. Mais si ces contes n’ont en eux rien d’immoral, ils ne se proposent pas non plus pour but d’instruire les hommes ni d’inviter à la vertu. Lorsque leur objet est tel, ce qui présente assez souvent, c’est que les narrateurs ayant fini dans la suite des siècles par perdre de vue le caractère primitif purement mythique de ces contes, leur ont donné un sens et une conclusion qu’ils n’avaient très-probablement pas à leur point de départ, afin de faire servir les traditions populaires à la propagation de doctrines morales, philosophiques ou religieuses.

Les contes aryens peuvent être ramenés à un nombre de types peu considérable dont les versions différentes sont répandues dans les nations indo-européennes3.

Les épisodes qui composent ces contes mythiques sont eux-mêmes des mythes. Pendant que le récit général symbolise sous la forme de travaux ou de luttes accomplis par un héros terrestre un grand phénomène périodique, par exemple le soleil du matin qui, se levant dans un ciel orageux, dissipe les vapeurs et les nuages, les épisodes de leur côté symbolisent les phénomènes partiels dont se compose l’action générale. Ainsi les vapeurs et les nuages seront des dragons ou des géants ; les rayons ardents du soleil deviendront les flèches d’or d’Apollon ou des armes qui ne manquent jamais leur but ; d’autres fois pour dépeindre la vitesse du vent, on représente le héros chaussant des bottes de sept lieues, comme notre Petit Poucet ou se plaçant sur un tapis volant à l’exemple du prince Ahmed des Mille et une Nuits. Ces épisodes, ramenés par l’analyse à leur idée première, se réduisent à un petit nombre. Ils ne sont pas plus de quatre-vingts 4. Les différences qu’on remarque entre les contes âryens dans toutes les nations indo-européennes ne proviennent que des combinaisons différentes des épisodes qui les composent avec les événements historiques, sociaux ou religieux, des pays où ils subsistent, et avec la couleur locale donnée par le narrateur. C’est ainsi que M. P. Kennedy, dans sa préface aux Contes irlandais, dit avec beaucoup de justesse d’expression qu’il pourrait intituler son ouvrage : Récits âryens tels qu’ils sont racontés par les Celtes d’Irlande.

 

Contes mythiques d’origine âryenne dans la grande-Bretagne

En ce qui concerne spécialement la Grande-Bretagne, les contes mythiques dont nous venons de parler subsistent en Irlande, dans les Highlands d’Ecosse et dans le pays de Galles, c’est-à-dire dans les contrées de langue gaélique et galloise où les éléments celtiques et kymriques sont restés le plus purs. Ces contrées sont peuplées des descendants des malheureuses populations du sud de l’Angleterre qui se sont réfugiées, lors des invasions romaines, dans les retraites inaccessibles des hautes terres, et qui, soustraites parleur manière de vivre et leur langage différent, à l’influence subie par leurs autres compatriotes, sont demeurées les dépositaires fidèles des plus vieilles traditions nationales. Dans le reste de l’Angleterre, ces contes d’origine aryenne semblent s’être effacés sous l’action du temps.

 

1° — Traditions provenant des mythologies locales nées après l’invasion âryenne. — En Angleterre, ce sont les contes de Fairies.

Au-dessus de cette première couche on rencontre les contes tirés des développements locaux des religions naturalistes communes, à l’origine, aux races âryennes. Chez les Grecs et les Romains, c’étaient ces milliers de divinités locales, éponymes, domestiques, etc. que nos études classiques nous ont rendues familières. Ce sont, èn Angleterre, les récits relatifs aux Elfes des bois, des prés, des cavernes, ce qu’on appelle les contes de Fairies5. Ces superstitions ont été apportées, pour la plupart, par les conquérants saxons et scandinaves. En effet, lorsque Rome, forcée de défendre ses frontières contre les barbares qui les envahissaient, laissa la Grande-Bretagne résister avec ses propres forces aux envahisseurs saxons, ceux-ci, après des luttes terribles, finirent par dompter les anciens Bretons, déjà pliés au joug romain. Un grand nombre des habitants émigrèrent : les uns se réfugièrent dans la Bretagne française ; les autres s’enfoncèrent dans le nord ou se retirèrent dans les montagnes. Des colonies venues de la Germanie prirent la place des anciens Bretons, et ainsi se forma, principalement dans le sud de l’Angleterre, une nouvelle population où l’élément anglo-saxon l’emporta sur l’élément celtique. Les invasions scandinaves ultérieures renforcèrent encore, au point de vue de la race et des traditions, l’élément germanique. Sous ces efforts, les traces laissées par la civilisation latine disparurent presque complétement, et la mythologie du Nord, avec ses Elfes, ses Mermaids, ses esprits de toutes sortes, vint se mêler aux traditions locales, et constituer les croyances aux divers esprits connus sous le nom générique de Fairies. Les relations entre les diverses parties de l’Angleterre ont d’ailleurs disséminé sur son sol les contes appartenant au groupe des Fairies : on les rencontre dans toutes les parties de la Grande-Bretagne. Nous ajouterons que les superstitions de cette nature doivent se retrouver, comme cela arrive en effet, chez les nations apparentées à ces races, c’est-à-dire en Danemark, en Norwége, en Allemagne et dans les pays où se sont fixés des conquérants d’origine scandinave ou saxonne, comme les Visigoths dans le nord de l’Espagne et la Provence, et comme les Normands et les colons saxons de Bayeux, dans la Normandie.

 

3° — Traditions modernes. Légendes, ballades, chansons, etc.

La troisième couche est formée des légendes religieuses, ballades, chansons, proverbes, etc.,... engendrés par les faits historiques, généraux ou locaux, par les événements religieux survenus depuis la chute de l’empire romain et l’avénement du christianisme, faits qui ont remplacé le vieux monde par un monde complétement différent. Cette catégorie de traditions est par cela même spéciale à chaque pays.

Telles sont les trois catégories bien tranchées dans lesquelles il faut répartir les récits de la race indo-européenne.

Néanmoins, il va de soi que cette distinction, si nette en théorie, présente dans la pratique de nombreuses exceptions et que dans les récits populaires, les souvenirs des contes âryens de l’époque mythique et ceux des deux autres périodes se mêlent et se confondent souvent. La transformation des anciens récits en légendes religieuses est surtout frappante. Mais le principe n’en subsiste pas moins et si la distinction des éléments d’un conte n’est pas toujours facile à faire à cause de ces mélanges, à plus forte raison le classement des contes dans les trois catégories que j’ai indiquées a quelque chose d’artificiel. J’ai cru pourtant devoir l’adopter, malgré son imperfection, comme correspondant à la nature des choses.

 

I.

RECHERCHES DANS TOUTE L’EUROPE DES CONTES POPULAIRES, CHANSONS, LÉGENDES, ETC. — BIBLIOGRAPHIE DES CONTES POPULAIRES DE LA GRANDE-BRETAGNE. — PLAN DU LIVRE.

 

Ce sont ces rapprochements multiples entre les fictions populaires des pays âryens et les conclusions qui en découlent qui donnent tant d’intérêt à la recherche des légendes, contes de nourrices, proverbes, locutions, chansons de pauvres, etc... De même que Cendrillon, ces sujets ont été dédaignés jusqu’au jour où, semblable à la baguette de la bonne marraine, la science des Müller, des Grimm, des Kuhn6, des R. Kôhler, des Benfey7, des Cox8, des Maury9, des Bréal10, des Gaston Paris, etc..., les a élevés au rang qui leur appartenait et nous a permis de remonter, grâce à eux, le cours des siècles.

De toutes parts, alors, on s’est mis à l’œuvre ; les traditions populaires ont été recueillies, classées, analysées, comparées. Ce mouvement intellectuel qui se produisait à la fois dans toutes les nations de l’Europe a donné naissance à de remarquables travaux, dont il faut d’autant plus se réjouir que nous vivons à une époque de transformation sociale qui fait disparaître avec une rapidité incroyable les vestiges du passé. Qui sait si, dans un siècle ou deux, le flot toujours montant des idées et des découvertes n’aura pas submergé les coutumes locales, les mœurs particulières à chaque coin de terre, les vieilles et touchantes croyances de nos pères, l’attachement au clocher du village, peut-être, hélas ! l’amour de la patrie : doux sentiments qui font aimer le sol où nous sommes nés et nous rattachent par des liens d’affection et de reconnaissance aux générations qui nous ont précédés ?

En Allemagne, de nombreux publicistes, en tète desquels se placent les frères Grimm avec leur célèbre ouvrage intitulé Contes d’enfants et de foyer11, ont recueilli toutes les légendes de la race gotho-germanique. En Suède, Cavallius et Stephens ; en Norwége, Abjörsen et Möe ; en Danemark, Carit Etlar, ont rassemblé les traditions du Nord ; Dasent et Thorpe les ont traduites en anglais. Dans les pays slaves, quarante recueils ont été réunis et Chodzko en a extrait les récits qui composent son livre si attrayant. En Russie, Afanasieff, Khudiakoff, Erlevein, etc..., ont rassemblé les contes et légendes populaires ; Rhuibnikoff, Hilferding, Maikoff, ont recueilli les Builinas, c’est-à-dire les cantilènes héroïques de la Russie12.

 

Bibliographie des ouvrages relatifs aux traditions opulaires de la rande-Bretagne

 

 

Sources ou sont puisés les récits u présent livre.

En Angleterre, quelques-unes des superstitions populaires, principalement celles relatives au groupe des Fairies, avaient été décrites par d’anciens auteurs, parmi lesquels nous citerons Gérald le Cambrien (Barry Gerald)13, qui écrivit au XIIe siècle l’Itinerarium Cambriœ et surtout Gervaise de Tilbury, qui composa en 1183 l’ouvrage intitulé Otia imperialia. Gervaise,.devenu le favori de l’empereur d’Allemagne Othon, fut nommé maréchal du royaume d’Arles. C’est en Provence que furent écrits pour distraire l’empereur les Otia imperialia ; on les trouve publiés, à la suite des Œuvres de Leibnitz, dans la Collection Scriptores rerum Brunsvicarum 14 ; c’est dans le troisième et dernier livre de cet ouvrage que sont mentionnées les légendes populaires de la Provence et de l’Angleterre. On peut aussi consulter avec fruit l’ouvrage de Reginald Scot intitulé : Discovery of Witchcrafte. London, 165115. Ce livre, dirigé contre la religion catholique et qui sent le fagot, s’occupe surtout, comme son nom l’indique, de la sorcellerie et des formules de la cabale, mais on y trouve quelques allusions utiles à noter sur les superstitions anglaises.

Les ouvrages précédents, la plupart écrits en latin, n’étaient lus que du petit nombre ; encore les érudits auxquels ces ouvrages étaient accessibles ne songeaient-ils guère à faire des traditions populaires un sujet d’étude. C’est à Walter Scott que revient le mérite d’avoir, dans son pays, attiré l’attention sur les croyances rustiques, en choisissant des légendes écossaises pour sujets de ses célèbres romans ; lui-même donna le branle au mouvement en publiant en 1803 ses Minstrelsy of the Scottish Border (Ballades des frontières d’Ecosse) et ses Lettres sur la démonologie.

Une fois le sujet devenu à la mode, les publications et les recherches abondèrent de toutes les parties de la Grande-Bretagne, mais la plupart des auteurs de ces ouvrages, en mettant au jour les traditions conservées dans le peuple, ne poursuivaient qu’un but littéraire ; ils écrivaient tantôt pour l’amusement des enfants, tantôt pour satisfaire le goût très-vif que le public avait pris pour les contes. En tout cas, les superstitions populaires n’étaient pour eux qu’un accessoire qu’ils amplifiaient ou modifiaient au caprice de leur imagination. Quel que soit le mérite d’un certain nombre de ces ouvrages16, nous avons dû les rejeter pour ne nous occuper que de ceux qui nous présentent les superstitions des diverses parties de l’Angleterre dans la forme souvent incorrecte où elles ont été recueillies aux sources populaires.

 

Angleterre proprement dite.

Contes mythiques âryens. — Les traditions mythiques se sont à peu près effacées dans les comtés de l’Angleterre. On a presque tout cité quand on a fait connaître Jack le tueur de géants, Tom Hickathrift, Jack et la Tige de haricot, enfin Tom-Pouce. Encore ce dernier personnage d’origine mythique a-t-il fini par se transformer en un lutin de féerie ? Ces contes se trouvent mêlés aux récits de Perrault et de Mme d’Aulnoy dans une foule de livres d’enfants, où ils constituent autant de versions plus ou moins altérées.

Contes de Fairies et autres superstitions diverses. — L’ouvrage de Keightley, qui porte pour titre : the Fairy Mythology illustrative of the romances and superstitions of various countries, est un exposé clair et méthodique de tout ce qui a été écrit sur la mythologie féerique ; il est en même temps un recueil des contes les plus intéressants parmi ceux de cette nature dans les pays indo-européens. On lira aussi avec plaisir : Tales and Popular Fictions du même auteur. Pourquoi faut-il que M. Keightley gâte les éloges qu’il mérite par ceux qu’il se décerne dans maints endroits de ses ouvrages ?

En tant que recueils locaux, citons d’abord pour les comtés du Nord : Notes on the Folk-Lore of the Northern counties of England and Borders, par W. Henderson. Cet excellent ouvrage est suivi d’un appendice par le savant Baring Gould, auquel on doit l’important traité intitulé : Curious Myths of the middle ages, souvent cité dans le présent livre17. Au sud-ouest de l’Angleterre, dans les comtés de Devon et de Somerset, Mistress Bray a rapporté (dans une forme non populaire, il est vrai, mais avec beaucoup de charme) les légendes relatives aux Fairies, qui, dans ces comtés, portent le nom de Pixies. Ces ouvrages sont : a Peep at the Pixies et the Borders or the Tamar and the Tavy.

Dans le Cornouailles, théâtre des exploits de Jack the Giant Killer, les légendes de géants et les superstitions de toutes natures, contes de Fairies et autres, peuvent être étudiées dans l’ouvrage de R. Hunt, Popular Romances of the West of England.

Il convient aussi d’indiquer les chansons et les contes de nourrices, rimes, légendes de lieux et de familles, etc.,... recueillis parle savant James Orchard Halliwell dans : the Nursery Rhymes of England et Popular Rhymes and Nursery tales. L’autorité qui s’attache au nom de Hallivell dit assez la valeur de ses ouvrages.

Enfin, dans a Handful of Weather Folk-Lore par Swainson, on trouve les proverbes, dictons, etc,... relatifs aux mois, aux saisons de l’année, etc...

 

Écosse.

L’Écosse, surtout dans ses Highlands, est fertile en traditions populaires de tous les genres et de toutes les époques. Le recueil le plus remarquable de toute l’Angleterre, et qui peut marcher de pair avec les plus fameux des autres pays, est celui de Campbell, West Highlands Popular Tales, 4 vol. in-12. — Les contes que cet écrivain a recueillis dans une partie des Highlands d’Écosse sont la plupart écrits dans la vieille langue gaélique. M. Campbell les a accompagnés de la traduction anglaise ; chacun des récits est suivi de notes indiquant les versions et les contes similaires connus de l’auteur. J’en ai reproduit les parties essentielles en y ajoutant mes propres observations. Je ne saurais trop faire l’éloge d’un pareil livre. Son premier mérite est dans la conscience scrupuleuse avec laquelle M. Campbell a recueilli les récits des pâtres et des paysans. Afin d’affirmer l’authenticité du conte, l’auteur donne une sorte de biographie du paysan de qui il le tient, il indique si celui-ci savait ou ne savait pas lire, s’il connaissait ou non l’anglais, de qui il tenait son conte, enfin toutes les circonstances propres à prouver que le récit n’est pas venu d’une source autre que la tradition. M. Campbell, ne se préoccupant que de la fidélité du récit, a résisté au plaisir de fleurir le langage des narrateurs et même au désir naturel d’en dissiper l’obscurité. Ce que le lecteur perd au point de vue du charme littéraire, il le retrouve en sûreté d’informations. M. Campbell a réuni, tant en anglais qu’en gaélique, six cent-soixante-cinq contes qu’il publiera un jour ; son ouvrage actuel, bien que n’ayant que quatre-vingt-six numéros, contient environ deux cents contes en y comprenant les versions différentes de la même histoire.

Un petit nombre de traditions mythiques populaires en Ecosse se trouvent aussi dans l’ouvrage de M. Chambers : Popular Rhymes of Scotland, 1 vol. Édimbourg. Ce recueil est excessivement intéressant, il est fait avec le plus grand soin, mais il donne surtout les chansons des nourrices, les rimes populaires, etc,... sujets qui sortent un peu du cadre de ce livre.

On peut aussi consulter : the Popular Superstitions and Festive Amusements of the Highlanders, par Grant Stewart, et the English and Scottish Peasantry, par Allan Cuningham, etc.

 

Pays du Galles.

Le pays de Galles est par excellence une contrée où les traditions populaires se sont conservées longtemps vivaces. Cependant, il n’existe, à ma connaissance du moins, aucun recueil important des contes de cette nature. Un livre fort intéressant a été publié sur cette contrée ; c’est le Mabinogion de lady Guest (3 vol. in-8°. Londres, 1849). — On nomme Mabinogion les anciens recueils de traditions galliques. Une noble dame, lady Guest, a édité, d’après d’anciens manuscrits de la fin du XVe siècle, un certain nombre de romans gallois du XIIe et du XIIIe siècle ; ces romans sont les versions des romans anglo-normands du cycle d’Arthur, qui ont été traduits ou imités par toute l’Europe et jusqu’en Islande. Lady Guest réclame pour son pays l’honneur de les avoir le premier mis au jour ; elle attribue particulièrement une origine gallique (welche) aux célèbres romans de Chrestien de Troyes : le Chevalier au Lion, Parce val le Gallois, Erec et Enide. Bien que contenant des traces évidentes et nombreuses d’anciennes croyances mythiques analogues à celles de nos contes, ces romans sont des œuvres littéraires plutôt que populaires, et ne pouvaient dès lors trouver place dans le présent volume. On peut lire avec fruit au sujet du Mabinogion : la Villemarqué : Romans de la Table Ronde. — L’ouvrage le plus important sur la vieille littérature du pays de Galles est intitulé : Myvyryan Archaiology of Wales, mais la lecture n’en est pas abordable, car il est écrit en langue kimrique ; une petite partie seulement en a été traduite en anglais.

 

Irlande

Les croyances populaires de l’Irlande ont été parfaitement étudiées par M. Patrick Kennedy, notamment dans les livres suivants : Legendary Fictions of the Irish Celts et Fire Side Stories of Ireland.

Les contes de Fairies et les cauchemars, apparitions, etc..., qui hantent le cerveau des Irlandais font l’objet de l’ouvrage que M. Crofton Croker, avec la collaboration de Keightley, a écrit sous le titre de : Fairy Legends and Traditions of the South of Ireland. Le livre de M. Croker a eu un succès considérable et il a eu l’honneur d’être traduit par l’un des frères Grimm. Écrits avec beaucoup de talent et d’esprit, les Contes de Croker ne sont pas rigoureusement populaires ; Keightley, dans sa Fairy Mythology, l’avoue loyalement. La forme en appartient à la littérature et il serait imprudent de les analyser de trop près pour en tirer des conclusions ; mais ils font connaître dans une forme agréable les personnages ordinaires des croyances féeriques. A ce point de vue, ils sont en général dignes de foi, et les superstitions qu’ils rapportent existent réellement dans le sud de L’Irlande. Parmi les récits que j’ai traduits j’ai eu soin de n’admettre, au risque d’écarter ceux qui sous le rapport littéraire sont les plus intéressants, que les contes qui ne m’ont pas paru contestables. M. Croker a aussi publié les Légendes de Killarney.

Tels sont les éléments dont se compose le présent ouvrage. Ils sont répartis dans les trois groupes dont j’ai parlé plus haut. Chaque conte porte en tête le nom de l’auteur d’où il est tiré et le pays où il a été recueilli. J’ai indiqué dans les notes qui l’accompagnent les rapports qu’il présente avec ceux des autres pays.

J’espère que le présent ouvrage, malgré le petit nombre relatif des récits qu’il contient, donnera une idée assez complète de la littérature populaire de la Grande-Bretagne, surtout pour les deux premières sections. Un grand nombre des contes anglais ne présentent en effet, suivant les comtés où ils ont été recueillis, que des variantes sans importance, principalement dans la section des Fairies. Quant à la troisième section, pour la faire un peu complète, un volume n’y eût pas suffi si on y avait introduit les ballades sur les personnages historiques ou semi-historiques populaires, tels que le roi Arthur, Robin Hood18, Clym of the Clough, Adam Bell, etc. D’ailleurs, il faut le dire, les Français n’y eussent pas trouvé l’intérêt bien légitime et patriotique qu’y attachent les Anglais.

 

II.

POËTES DE L’ANGLETERRE

QUI SE SONT INSPIRÉS DES TRADITIONS POPULAIRES.

 

Avant d’être reproduites dans leur forme populaire par les écrivains dont nous venons de parler, les traditions du peuple s’étaient cependant fait jour dans les œuvres des romanciers et des poëtes anglais du moyen âge et de la Renaissance. C’est ainsi que, dans les poëmes homériques, dans les récits d’Hérodote et d’autres écrivains de l’antiquité, nous retrouvons des traces précieuses, au point de vue de la comparaison des mythes, des superstitions de leur temps. Les personnages des contes d’origine aryenne ont assez peu fourni à la littérature poétique, mais les croyances aux Fairies ont eu des destinées plus brillantes, elles ont eu la bonne fortune d’inspirer les poëtes les plus illustres de l’Angleterre : Chaucer, Spenser, Shakespeare, etc.

 

L’éducation classique de l’Angleterre était, à la fin du moyen âge, et au début de la Renaissance entièrement consacrée à l’étude de la littérature grecque et latine. Il était alors de mode, dans l’aristocratie anglaise et dans la société polie, de disserter, non sans pédantisme, sur les beautés et les finesses des écrivains de l’antiquité. Les femmes même se piquaient de lire le grec, et il faut voir avec quelle emphase le précepteur de la reine Élisabeth parlait de la facilité de sa royale élève à s’instruire dans cette langue, et avec quel ravissement comique il écrivait que la reine « lisait plus de grec en un jour que les chanoines de Windsor ne lisaient de latin en une semaine19 ! » Faut-il donc s’étonner si les poëtes mêlaient volontiers dans leurs récits les démons familiers dont ils avaient tant entendu parler dans leur enfance aux gracieux souvenirs de la mythologie antique ? Ils sacrifiaient au goût du jour en faisant vivre les personnages populaires côte à côte avec les sylvains et les nymphes d’Ovide et d’Horace, et en introduisant, sans souci des dates et des lieux, les chevaliers de la Table Ronde à la cour de Jules César et d’Alexandre le Grand. En outre, usant de la licence poétique, ils donnèrent à la fois à leurs lutins les attributs des déités champêtres de la Grèce, l’amour de la musique et de la danse des Elfes populaires et les coutumes chevaleresques des fées de romans qui, elles-mêmes, avaient emprunté après les croisades une partie des traits des péris de la Perse et des génies de l’Inde. C’est ainsi que les peintres de la Renaissance ne craignaient pas de représenter les plus austères personnages de la Bible et de l’Évangile sous le pourpoint de la cour de France et le manteau des nobles vénitiens. Ne nous étonnons donc pas lorsque, dans Chaucer, par exemple, Conte du Marchand, nous voyons Pluton, qui est « roi de féerie, » parler à Proserpine de Salomon et de Jésus, et la reine des enfers lui répondre en jurant par sa mère Cérès ; ou dans le Songe d’une nuit d’été, Shakespeare choisir pour scène des amours de Titania et d’Obéron les jardins du palais de Thésée et les clairières des bois consacrées aux nymphes grecques ; ou dans Drayton figurer à la fois Tom Pouce, Obéron, Mab, Proserpine et le Lélhé. Ces anachronismes étaient fréquents alors à ces époques de renaissance, où les germes des lettres et des sciences, cultivées avec ardeur par les moines du moyen âge, se trouvaient, ainsi qu’en un printemps de l’esprit, éclore tous à la fois.

Il est d’ailleurs fort important de remarquer que cette fusion quelque peu hybride opérée par les poëtes entre des mythologies différentes n’a altéré en rien les traditions populaires. Pour modifier celles-ci il faut des événements considérables qui remuent profondément les masses, comme les changements de religion, les mélanges de races, etc... Les inventions des poëtes ou les incidents ordinaires de la vie des nations glissent sur elles sans y laisser de traces.

L’introduction de la langue française à la cour d’Angleterre est due à Édouard le Confesseur, qui, élevé en Normandie auprès de son oncle Richard, voulut que les officiers de la couronne qui l’approchaient parlassent français. Vingt-trois ans après l’avénement d’Edouard, Guillaume faisait la conquête de la Grande-Bretagne et imposait l’obligation de la langue française à sa cour et dans les tribunaux ; ses successeurs tinrent la main à ce que ces prescriptions fussent obéies et ils réussirent si complétement dans cette tâche que les premiers romans composés en Angleterre le furent en français, et que, même du temps de Chaucer, son ami Gower écrivit un ouvrage en notre langue. On peut même dire avec les critiques anglais les plus sérieux : Ritson, Warton, Tyrwhitt, etc., que les auteurs qui ont précédé Chaucer sont des traducteurs, ou tout au plus des imitateurs des écrivains français. L’émancipation littéraire ne commence en Angleterre qu’avec Chaucer et elle ne devient complète qu’à partir de Shakespeare.

C’est seulement à la fin du règne d’Édouard III que l’usage du français commença à tomber en désuétude. La littérature de la France, qui répandait d’ailleurs un vif éclat dans toute l’Europe20, était fort goûtée dans l’aristocratie anglaise, en grande partie d’origine normande, et chez les lettrés. Aussi, quand, aux XIIe et XIIIe siècles, parurent nos romans de chevalerie, furent-ils bientôt à la mode en Angleterre ; les romans féeriques du cycle d’Arthur et des chevaliers de la Table Ronde qui, reproduisant les traditions de la vieille Armorique mêlées à des récits considérés comme historiques, rappelaient aux habitants des Highlands d’Écosse, de Cornouailles et de Galles les souvenirs patriotiques de leurs luttes contre les envahisseurs saxons, au Ve siècle, devinrent même plus populaires en Angleterre qu’en France. En réalité, ils font partie intégrante de la littérature anglaise par l’importance qu’ils y ont acquise ; ce fut d’ailleurs à la cour d’un Plantagenet (probablement Henri III) que furent composés les lais poétiques de Marie de France, dont les sujets étaient empruntés à des traditions également chères aux habitants de même race de la Bretagne française et de la Grande-Bretagne21.

Nos romans de chevalerie devinrent donc la source principale à laquelle ont puisé les écrivains de la féerie anglaise. Le lai de Lanval et une de ses variantes, le lai de Graëlent22, de Marie de France, furent les principaux matériaux dont Chestre23 se servit pour son roman en vers du Sire de Lanval, et Chaucer donna pour conclusion à son conte le Rêve les conclusions du lai d’Eliduc, que Marie de France avait elle-même tiré d’une vieille fable grecque. Chaucer emprunta aussi à cette poétesse le fabliau le Coq et le Renard, qui devint son conte des Nonnes.

Les aventures de Lancelot du Lac, de Perceforest, de Parthenopeus de Blois, de Merlin l’Enchanteur, de Floir et Blancheflor, d’Ogier le Danois fournissent en outre des traits nombreux à Chaucer, à Spenser, à Shakespeare et à nombre d’auteurs du moyen âge24. Il est juste d’ajouter que si notre littérature devenait ainsi le thème sur lequel brodait l’imagination des plus illustres écrivains de l’Angleterre et de l’Italie, elle en avait à son tour puisé les sujets aux deux célèbres recueils d’apologues indiens : le Dolopathos et le Pantchatantra, ou dans les très-nombreuses versions et imitations de ces livres.

Parmi les romans du cycle d’Arthur, le plus apprécié peut-être en Angleterre fut Huon de Bordeaux, attribué, mais sans aucune preuve, à Huon de Villeneuve25. C’est de lui que Spenser, et après lui Shakespeare et Ben-Jonson26, empruntent le nom et une partie des traits d’Obéron, pour lequel les Anglais se sentaient d’autant plus d’affinité que cet Obéron était un nain évidemment apparenté aux lutins hauts comme le pouce de leurs croyances populaires.

Le premier en date des auteurs qui se sont inspirés de la mythologie féerique est Chaucer27 dans ses Contes de Canterbury, qu’il écrivit dans la deuxième moitié du XIVe siècle sur un plan analogue à celui du Décaméron de Boccace et de l’Heptaméron de la reine de Navarre. Toutefois les types de la féerie populaire ne lui fournissent que des allusions passagères ; sa plume incrédule ne mentionne les Elfes et leurs danses légères sur les vertes prairies que comme un souvenir effacé des croyances du temps d’Arthur : Pluton et Proserpine sont pour lui les vrais souverains du pays de Féerie. Lorsque Spenser viendra, et après lui Shakespeare, il ne faudra plus qu’un simple coup de baguette pour transformer les terribles monarques de l’enfer grec en ces aimables lutins qu’on nomme Obéron et Titania.

Il nous faut après Chaucer franchir deux siècles pour trouver le grand poëte, son continuateur et son imitateur dans la littérature féerique : j’ai nommé Spenser. Ce fut à la fin du XVIe siècle, quelques années avant que Shakespeare composât le Songe d’une nuit d’été, que Spenser écrivit son poëme intitulé la Reine de Féerie, dédié à la reine Élisabeth. Spenser, dans ce poëme remarquable, mais un peu long28 (il compte 35,000 vers) compose une mythologie féerique de pure fantaisie et presque sans rapport avec les croyances populaires. Le premier livre est intitulé : Légende de l’enlèvement du chevalier à la Croix-Rouge ou de sainteté ; c’est un souvenir des changeling, c’est-à-dire de ces substitutions faites par les Fairies de leur propre enfant à celui d’une paysanne. Tel est à peu près le seul emprunt qu’ait fait Spenser à la féerie populaire. — Le reste de l’ouvrage est d’ailleurs rempli d’allusions se rapportant aux traditions plus ou moins historiques des cycles de Charlemagne et d’Arthur avec force enchanteurs, géants et autres accessoires des romans de chevalerie. Quant au titre de Fairy Queen (Reine de Féerie), il a été vraisemblablement suggéré à Spenser par le titre donné par Chaucer à la maîtresse de sir Thopas, dont le type rappelle un peu celui de Don Quichotte.

Mais c’est dans les comédies de Shakespeare que la mythologie féerique du peuple apparaît réellement pour la première fois dans toute sa fraîcheur et tout son éclat. Le type choisi par l’illustre poëte parmi les croyances populaires qui avaient entouré son berceau est celui de ces gentils lutins venus de la Scandinavie et qui, sous le nom d’Elfes, défraient tant de contes anglais. Dès que le soleil a disparu derrière les collines, ces gracieux nains s’assemblent dans les bruyères, sur les gazons fleuris ou sous le vert branchage d’un frêne, et là, à la clarté de la lune qui sourit à leurs ébats, ils se livrent à la musique et à la danse jusqu’au chant du coq ou aux premières lueurs de l’aube naissante.

Les Elfes champêtres vivent en monarchie, les nains des grottes et des cavernes en république. Shakespeare, ne s’étant occupé que des premiers, leur donne pour souverains, dans le Songe d’une nuit d’été, Obéron et Titania, et comme, selon la coutume, il fallait aux rois un bouffon, il place à côté d’eux l’espiègle Puck. Obéron, nous l’avons dit, est le héros de la légende bretonne de Huon de Bordeaux ; il rappelle à la fois le Korrigan des landes de la Bretagne, le nain Elbérick de la légende allemande de l’Empereur Otnit, par Wolfram de Eschembach, et le célèbre nain Albérich des Niebulengen29. Shakespeare le transporte à son tour parmi les Elfes anglais. Pour la belle Titania, elle est, comme Phœbé, si elle n’est pas Phœbé elle-même30, la personnification de la lumière argentée de la lune ; et les Elfes ses sujets en sont les doux rayons. Puck, dont le nom, avec des acceptions très-diverses (comme nous le verrons dans maintes légendes de ce livre) est choisi par Shakespeare pour représenter le démon familier à la fois malicieux et bienveillant qui, sous le nom de Robin-Bon-Enfant, (Good Fellow), de Goblin et Hob Goblin en Angleterre, de Brownie en Écosse, de Goubelin en Normandie, de Niss en Suède, de Kobold en Allemagne, est le génie du foyer domestique.

« N’êtes-vous pas, dit une fée (Songe d’une nuit d’été) celui qui effraie les filles du village, celui qui écrème le lait, celui qui égare les voyageurs nocturnes en riant de leurs mésaventures ? Ceux qui vous appellent Hob Goblin et gentil Puck, vous faites leur ouvrage et leur portez bonheur !.. » Puck lui répond : « Tu as trouvé juste, j’amuse Obéron et je le fais sourire lorsque je trompe quelque cheval bien nourri de fèves en imitant le hennissement d’une pouliche en rut. Parfois je me blottis dans la coupe d’une commère sous la forme d’une pomme cuite, je fais paf contre ses lèvres et je répands la bière sur sa gorge parcheminée31. »

Avant Shakespeare, Spenser, en son Epithalamium, avait déjà mentionné Puck :

« Ne nous laissons pas effrayer de choses qui n’existent pas, ni par Pouke, ni par un autre fantôme ni par les Hob Goblins, appellations dont le sens est incompréhensible. »

Titania, dans Roméo et Juliette, est remplacée par la reine Mab. Ben-Jonson, dans le divertissement du Satyre, qu’il composa en l’honneur de la reine Anne, femme de Jacques Ier, fit souhaiter la bienvenue à la reine par Mab et sa cour, composée de satyres et de fées32. Mab n’est point cependant comme Titania la reine des Elfes, mais elle personnifie les esprits des songes et les rêves agréables ; elle se présente alors dans un équipage dont l’adorable description est connue de tous : « MERCUTIO. — Allons, je le vois, la reine » Mab vous a rendu visite cette nuit. Elle est l’ac- » coucheuse des fées ; et elle vient, pas plus grosse » que l’agate de la bague que porte à son doigt un » alderman, traînée par un attelage de petits êtres, — » effleurant le nez des gens endormis ; — les rayons des » roues sont de longues pattes d’araignée ; le dessus » est couvert d’ailes de cigales, — les traits sont les fils » les plus fins de l’araignée, — les harnais, les rayons » humides de la lune ; — son fouet est fait d’un os de » grillon, la lanière d’une petite bande de peau ; — son » cocher est une petite mouche rose vêtue de gris ; — son » char, une noisette vidée par un écureuil son menui- » sier et par la vieille larve qui fabrique les voitures » de fées depuis un temps immémorial. — C’est dans » cet équipage qu’elle galope de nuit, etc.... »

La description donnée par Drayton de la reine Mab n’est pas moins curieuse : « Les chevaux qui traînent son char sont quatre coursiers agiles et leurs harnais sont des fils de la Vierge ; — le cocher est une petite mouche posée sur le siège. — Le char est une éclatante coquille d’escargot, — le siège est fait du duvet moelleux d’un bourdon, — la capote est l’aile d’un papillon ; — les roues sont construites avec des os de grillons élégamment recourbés, et pour éviter le bruit qu’elles feraient en roulant sur les pierres, elles sont entourées du coton de la fleur de chardon. »

Les filles d’honneur viennent derrière leur reine, « montées sur des cigales qui vont l’amble ou le trot, et s’il survient quelque brise, elles jettent sur leurs épaules une toile d’araignée 33. »

Tom Pouce (Tom Thumb) aussi appartient à la race des Elfes et comme eux vient du Danemark ; il en a la taille et figure à leurs côtés dans maints récits. Scott (Discoverie of Witchcraft) le range parmi les lutins ; son nom se rencontre chez presque tous les écrivains de féerie du XVIIe siècle, et Drayton, dans ses Nymphidia, en fait un page chargé de porter un message d’amour et un bracelet fait d’yeux de fourmis à la reine Mab, de la part de son maître, le chevalier Pigwiggen ; d’autres le font figurer à la cour du roi Arthur. Nous le verrons ailleurs sous son caractère populaire, et quittant la mythologie féerique pour entrer dans la légende sous la forme, non d’un esprit mais d’un être tout à fait humain, sauf sa taille, haute d’un pouce, qui rappelle son origine d’Elfe. Tom Pouce (voy. Conte I), ne rappelle que par son nom notre Petit Poucet. Le vrai Poucet de nos voisins est Jack le Tueur de géants (voy. Conte II.) Depuis des siècles, les jeunes enfants anglais frémissent à l’exclamation terrible, à ce qu’il paraît, que poussent les géants quand ils aperçoivent Jack : Fi, fi, fo, fum ! (Je sens le sang d’un Anglais, je vais écraser tes os pour en faire du pain !) Shakespeare, véritable enfant du peuple et aimant tout ce qui en vient, s’empare de ce : « Fi, fi, fo, fum ! » et le met dans la bouche d’Edgar (Roi Lear, acte III, scène V34.)

Dans ses autres comédies, Shakespeare nous montre d’autres traits des moeurs des Elfes. Dans les Joyeuses Commères de Windsor, il nous dépeint les espiègleries des esprits domestiques qui sautent dans les cheminées, pincent les filles « noir et bleu » lorsque la maison n’est pas tenue proprement et que les âtres n’ont pas été balayés, ou lorsqu’elles se sont endormies sans faire leurs prières. Dans la Tempête, Prospero a le caractère d’un magicien des Mille et une Nuits. Il tient sous sa domination les Elfes et les appelle à son aide : « Vous, Elfes des collines, des ruisseaux, des lacs dormants et des bosquets, et vous qui de vos pieds qui ne font pas d’empreinte, courez sur le sable, et vous, qui au clair de lune tracez en dansant ces cercles qui laissent l’herbe amère et que la brebis ne broute pas, et vous dont le passe-temps est de faire naître à minuit les champignons..... »

Quant à Ariel, il diffère assez peu de Puck ; il en a la malice et l’espièglerie. Prospero le charge de jouer à Caliban un tour qui rappelle une tradition populaire en honneur chez tous les peuples âryens et jusque chez les Bulgares de Macédoine35 (voy. Conte XXIII). Au son d’un instrument magique, chez les Grecs c’était la lyre d’Orphée ou celle d’Amphion ; ailleurs, c’est un pipeau, un cor, un violon ; ici, c’est un tambourin, les hommes, les animaux, les arbres, les poissons, la mer même se mettent à danser frénétiquement jusqu’à ce que la musique cesse de se faire entendre. « ARIEL. — Alors j’ai battu mon tambourin et aussitôt, pareils à des poulains sauvages, ils ont dressé les oreilles et relevé le nez comme pour flairer la musique. J’ai tellement charmé leurs oreilles que je les ai fait courir comme des veaux à travers les ronces aux dents aiguës, les fougères aux dards effilés et les ajoncs piquants ; à la lin, je les ai laissés barbotant36 dans l’étang et s’enfonçant jusqu’au menton dans la vase puante du lac. » Dans une autre scène de la Tempête, Shakespeare fait dire à Prospero : « Tu te rappelles ce jour où j’écoutais une sirène exhalant des sons si doux et si harmonieux que ma revêche devint courtoise et que certaines étoiles s’élancèrent follement hors de leurs sphères pour écouter la musique. »

On le voit, certaines figures exagérées reprochées à Shakespeare par les commentateurs trouvent leur explication dans le souvenir des traditions populaires auxquelles le poëte faisait allusion pour plaire à ses spectateurs. Du reste, dans une vieille ballade écossaise du recueil de Jamieson, la harpe du héros Glenkidie a une bien autre puissance que le tambourin d’Ariel. Pour entendre ses accords enchanteurs, les poissons sautaient hors de la mer, l’eau s’élançait des pierres ; enfin le lait jaillissait de la poitrine d’une jeune fille qui n’avait pas eu d’enfant !

Les seuls types de la féerie rustique qu’ait immortalisés le génie de Shakespeare sont les Elfes champêtres et les Lutins familiers ; il n’adépeint qu’en les effleurant les aventures des gracieuses filles des eaux qui, sous la figure de cygnes, de phoques, viennent s’ébattre sur terre, parfois s’y laissent surprendre par un amant, puis un jour retrouvent leurs ailes et s’envolent, ou reprennent leur peau de phoque et plongent dans la mer. (voy. IIe partie, Contes sur les Mermaids). C’est à elles que fait allusion Shakespeare dans ce passage du Conte d’hiver : « ANTOCHYUS. — Voici une autre ballade sur un poisson qui apparut à la côte le 80 d’avril ; on pensa que c’était une femme changée en poisson froid pour n’avoir pas voulu faire échange de chair avec un amant. » Dans cette même comédie, Shakespeare fait aussi allusion, mais en passant seulement, à la croyance si répandue dans les campagnes des changeling.

Dans plusieurs histoires de ce recueil nous verrons que les Elfes donnent une pommade ou une liqueur qui a la propriété merveilleuse de faire voir les fées ; dans le Songe d’une nuit d’été, c’est la fleur dont le suc versé sur les paupières de Titania la rend amoureuse de Bottom. Chaucer, dans Palamon et Arcite, avait déjà rappelé ce conte populaire ; et l’Arioste et Boiardo avaient donné la même propriété à la fontaine des Ardennes. Tel est le contingent fourni à Shakespeare par les superstitions populaires.

Parmi les imitateurs de la poésie féerique de Spenser et de Shakespeare, et il en est d’illustres : Milton dans son Démon pimpant37, Dryden dans la Feuille et la Fleur, Pope enfin, et de nos jours Tennyson, ne mettent en scène que les personnages déjà célébrés par les poëtes leurs prédécesseurs.

Après ces grands noms il nous reste à citer les poetœ minores qui ont puisé des inspirations aux sources des croyances populaires. Dans ces œuvres d’inégale valeur, mais dont plusieurs sont des plus remarquables et mériteraient d’être connues en France, nous ne trouvons non plus aucun trait que nous ne connaissions déjà des mœurs des lutins champêtres, et dans la Fidèle bergère de Fletcher38, dans la bucolique d’Amyntas, œuvre aimable mais bizarre moitié latin moitié anglais, de sir Randolph, dans les petits poëmes féeriques si goûtés des délicats par Herrick, le Catulle anglais ; enfin dans les gracieuses Nymphes de Drayton, c’est toujours Obéron, Titania, Mab, Puck, Tom-Pouce et leur joyeux cortège d’Elfes malicieux et espiègles, mêlés aux déités antiques, qui gambadent au clair de la lune et mènent leurs rondes fantastiques sur les prés verts jusqu’à l’aurore39.

 

III.

CROYANCES ET SUPERSTITIONS APPORTÉES EN ANGLETERRE PAR LES RACES CONQUÉRANTES.

Recherchons maintenant, en nous restreignant aux limites d’une introduction, l’influence exercée sur les superstitions mythiques et autres de la Grande-Bretagne par les races qui se sont succédé dans cette contrée. Considérées à ce point de vue, les traditions populaires de l’Angleterre sont particulièrement intérestantes, car elles empruntent leurs couleurs aux flores des différentes nations celtique, saxonne, danoise, normande qui sont venues tour à tour s’implanter sur son sol.

 

Arrivée des Celtes en Gaule ot on Angleterre.

Lorsqu’il y a cinq mille ans 40, à la suite de commotions inconnues, la nation âryenne, répandue dans la Bactriane et la Sogdiane, commença ce mouvement d’émigration que notre temps voit se continuer sous une autre forme, mais avec non moins de force, par delà l’Atlantique, dans les plaines du Far West et jusqu’en Australie, ce fut la tribu des Celtes qui s’ébranla la première. Laissant derrière elle l’Asie et les tombeaux de ses ancêtres, elle marcha toujours à l’ouest en suivant le cours du soleil, franchit montagnes et fleuves et s’avança jusqu’à ce qu’elle cessât de trouver la terre pour la porter. Elle parvint ainsi jusqu’en Bretagne (Finis terrœ) et se répandit en Gaule ; puis traversant l’étroit canal qui sépare la France de l’Angleterre, elle envahit et peupla ce dernier pays.

Les Celtes apportèrent avec eux en Angleterre les idées et les traditions de leur mère patrie. L’imagination poétique de la nation aryenne qui, plus tard, des bords du Gange aux rivages de l’Atlantique, devait s’épanouir dans les merveilleuses productions de l’art et de la littérature, orgueil de notre civilisation, adorait alors Dieu dans les manifestations de la nature et donnant une incarnation aux astres et aux éléments, expliquait les phénomènes dont elle était le témoin par des luttes dont elle racontait poétiquement les phases et les incidents.

 

Kymris.

Les Celtes étaient depuis au moins quinze cents ans établis en Gaule, d’où ils avaient envoyé des colonies en Espagne et en Italie, quand une invasion de Kymris ou Cimbres, chassés de la Chersonèse par une inondation de la Baltique, pénétra en masses profondes en Gaule et en Angleterre. Ils marchaient sous la conduite de Hu-Gadarn, ou Hu le Puissant41. En Gaule, ils refoulèrent les Celtes du nord-est qui émigrèrent sous la conduite de Sigovèse et de Bellovèse, les uns dans la Cisalpine, les autres dans la forêt Hercynie et le long du Danube. Prenant ainsi la place des Celtes du nord-est, ils s’étendirent dans la Gaule-Belgique et dans l’Armorique. En Angleterre, ils s’établirent dans le pays de Galles (les Welches). Leur langue était voisine de celle des Celtes ; il est probable qu’ils descendaient d’un groupe resté en arrière de la masse lors de la migration d’Asie en Europe.

Quoi qu’il en soit, la langue kymrique est encore parlée en France dans quelques districts de Bretagne ; elle comprenait les dialectes comique (aujourd’hui éteint), gallois ou cambrien et le bas-breton. Le celtique ou gaélique, qu’il ne faut pas confondre avec le gallois, est encore le langage de l’Irlande, où il s’appelle errinach, des Highlands d’Écosse, où il se nomme erse, et de l’île de Man.

L’Angleterre et la France se trouvèrent donc peuplées d’éléments semblables ayant des traditions communes, que fortifiait encore la pratique d’une même religion : le druidisme. En dépit de toutes les invasions et du flot d’idées nouvelles qui en fut la conséquence, les vestiges des anciennes traditions des deux Bretagnes se retrouvaient encore naguère dans les contes et les chants populaires de ces pays, ainsi qu’en témoignent en France les ouvrages de la Villemarqué, Barzaz-Breiz, et d’Emile Souvestre, le Foyer breton, et surtout les contes authentiquement populaires recueillis par M. Luzel, et, dans la Grande-Bretagne, les récits qui vont suivre. Dans le pays de Galles, une vieille croyance considérait les Fairies comme les âmes des anciennes druidesses, et l’on peut regarder les incantations des magiciennes du moyen âge et une partie des attributions des fées et des génies comme un souvenir des pratiques farouches des prêtresses des îles de Sein et de Mona, dont parle Pomponius Mela.

 

Triades galloises.

Les seuls documents que nous possédions sur ces époques sont contenus dans les triades galloises écrites du IVe au IXe siècle. Elles nous tiennent lieu des manuscrits contenant les traditions des anciens Irlandais, que saint Patrick fit incendier dans un but de prosélytisme religieux et dont on ne saurait trop déplorer la perte. Les triades les plus célèbres sont celles des bardes Taliésin, Aneurin et Myrddin, ou Merlin l’Enchanteur42. Bien que confuses, elles fournissent de précieux renseignements au point de vue historique ; malheureusement elles ne nous ont rien conservé des mythes religieux des Celtes et des Kymris.

 

Poëmes d’Ossian.

Quant au Poëme d’Ossian43, quelle que soit la part qu’il faille attribuer dans cet ouvrage à l’imagination de Mac-Pherson, il n’est pas douteux que les chants qu’il contient ne soient, avec une forme plus ou moins altérée, ceux par lesquels les bardes célébraient les hauts faits de Fingal et des autres héros ses successeurs lorsqu’ils défendaient le sol de la patrie contre les Romains et plus tard contre les Saxons et les Scandinaves. Telle est, du reste, l’opinion de Campbell dans le IVe volume de ses Contes des Highlands et dans la substantielle Introduction qui précède ses œuvres. Par sa connaissance des idiomes gaéliques, par ses relations avec les pêcheurs et les humbles gens qui lui ont fourni ses contes, par ses études sur les croyances populaires de l’Ecosse, personne ne peut prononcer avec plus d’autorité que M. Campbell sur le degré d’authenticité du poëme de Mac-Pherson. Voici cette opinion résumée.

« Je crois qu’il y a des poëmes de très-vieille date « dont les fragments existent encore en Écosse à l’état » de traditions et que ceux-ci se rapportent à des héros » celtes ; je pense que les mêmes personnages ont été » des héros mythiques chez les Celtes dans les plus an- » ciens temps ; enfin, je crois que les poëmes recueillis » par Mac-Pherson et Smith sont de vieilles poésies » altérées, mais en somme originales. Les sujets exis- » taient, mais c’est Mac-Pherson qui leur a donné la » forme que nous connaissons. »