Crime à Saint-Inn - Roger Moiroud - E-Book

Crime à Saint-Inn E-Book

Roger Moiroud

0,0

Beschreibung

Pas de repos pour le commissaire Féra...

Un cadavre qui flotte au bord d’un lac. Macabre découverte pour le commissaire Féra, venu se baigner à la plage du paisible village de Saint-Innocent.
C’est le point de départ d’une enquête que le commissaire va conduire avec son fidèle lieutenant, le capitaine Durieux. Au fil des rencontres et des interrogatoires, une sombre affaire va se dessiner, mettant à jour des conflits d’intérêts et des enjeux financiers considérables entre une association de personnes désireuses de sauvegarder l’environnement du lac du Bourget et d’autres groupes soucieux, avant tout, d’assurer le développement économique de la région.

Un polar finement construit qui plante son décor dans les magnifiques paysages de Savoie

EXTRAIT

Il déplia sa serviette, posa ses vêtements sur son sac et, avant de plonger dans le lac, monta sur la jetée pour admirer, une fois de plus, la montagne, verte et déjà un peu sombre, qui se reflétait dans une eau transparente qu’aucun souffle de vent ne ridait.
Seuls les cris de deux mouettes se disputant au large une mirandelle venaient ponctuer le silence ambiant.
C’est en se tournant sur sa gauche, vers une petite plage masquée au regard des autres baigneurs par la jetée, qu’il l’aperçut, sur le ventre, le visage dans l’eau, à un mètre de la plage. Compte tenu de son aspect ballonné et verdâtre, le corps avait dû séjourner plusieurs jours dans l’eau. Le bouche-à-bouche n’était plus d’actualité.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Roger Moiroud a créé en 2006 le personnage du commissaire Féra. À Aix-les-Bains, où il est installé, Philibert Féra mène des enquêtes afin de confondre les auteurs de crimes qui se produisent dans la région. On découvre avec lui les paysages de la Savoie, ses villes, ses villages, sa population, ses recettes culinaires et ses vins, car Féra est un commissaire gastronome...

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 268

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Présentation de l'auteur

Roger Moiroud a créé en 2006 le personnage du commissaire Féra. À Aix-les-Bains, où il est installé, Philibert Féra mène des enquêtes afin de confondre les auteurs de crimes qui se produisent dans la région. On découvre avec lui les paysages de la Savoie, ses villes, ses villages, sa population, ses recettes culinaires et ses vins, car Féra est un commissaire gastronome...

Résumé

Un cadavre qui flotte au bord d’un lac. Macabre découverte pour le commissaire Féra, venu se baigner à la plage du paisible village de Saint-Innocent.

C’est le point de départ d’une enquête que le commissaire va conduire avec son fidèle lieutenant, le capitaine Durieux. Au fil des rencontres et des interrogatoires, une sombre affaire se dessine, mettant à jour des conflits d’intérêts et des enjeux financiers considérables entre une association de personnes désireuses de sauvegarder l’environnement du lac du Bourget et d’autres groupes soucieux, avant tout, d’assurer le développement économique de la région.

À Chantal, mon épouseÀ Cyril et Éric, mes deux fils

I

Le commissaire Philibert Féra roulait lentement, au volant de sa Peugeot, le long du lac du Bourget, entre Aix-les-Bains et Saint-Innocent.

C’était un vendredi soir, fin août. Après une semaine plutôt tranquille, il allait piquer une tête à Saint-Inn, retrouver la fraîcheur du lac à cette heure et à cette période de l’année où la majorité des vacanciers avaient déserté la plage.

À travers les feuillages qui commençaient déjà à roussir, il apercevait la Dent du Chat. Il se sentait bien dans ce paysage, il y était chez lui.

Il était né à Aix. Après des études de droit à Grenoble, il avait souhaité monter à Paris. Il avait débuté sa carrière dans un commissariat du neuvième arrondissement avant d’être nommé capitaine et commandant à Saint-Cloud. Ce n’est que depuis deux ans, ayant passé le concours de commissaire, qu’il était revenu dans sa ville natale.

À quelques années de la retraite, il espérait ensuite pouvoir profiter pleinement des charmes de la Savoie.

Malgré de nombreuses rencontres, il ne s’était jamais marié, trop accaparé, disait-il, par le boulot. Et puis, être une femme de flic, ce n’était assurément pas une situation de tout repos. Il avait connu la vie faite d’angoisses qui était le lot des épouses de la plupart de ses collègues, sans parler de celles auxquelles il avait dû venir annoncer la mort de leur mari.

Il regrettait de ne pas avoir d’enfants. Il aurait aimé avoir au moins un fils, pouvoir passer le relais, se frotter au quotidien avec une autre génération. Il aurait apprécié, comme la plupart de ses amis, d’être grand-père et de pouvoir montrer avec fierté les photos de ses petits-enfants.

Il lui restait Pluche, son chien, un adorable caniche noir. Il n’avait pas décidé d’avoir un chien. C’est Pluche qui s’était réfugié dans son jardin. La recherche de ses maîtres s’étant révélée infructueuse, Féra avait décidé de le garder. Finalement, il était très content d’avoir un compagnon qui avait l’air tellement heureux quand il rentrait à la maison ou lorsqu’ils allaient ensemble faire de grandes balades au bord du lac ou en montagne.

Pourquoi pensait-il à tout cela ce soir ? se demandait-il avec un brin de mélancolie.

Il était entre-temps arrivé sur le parking quasi désert de la plage de Saint-Innocent. Il prit dans le coffre son sac de plage, qui côtoyait son sac de golf, et se dirigea vers l’espace cimenté qui bordait le lac et où les baigneurs avaient l’habitude de s’installer. En passant, Féra salua les rares consommateurs qui étaient accoudés au comptoir du café.

Puis il rejoignit son coin favori, l’angle que faisait la plage avec la jetée où venait s’ancrer, durant la saison, le bateau de surveillance.

Il déplia sa serviette, posa ses vêtements sur son sac et, avant de plonger dans le lac, monta sur la jetée pour admirer, une fois de plus, la montagne, verte et déjà un peu sombre, qui se reflétait dans une eau transparente qu’aucun souffle de vent ne ridait.

Seuls les cris de deux mouettes se disputant au large une mirandelle venaient ponctuer le silence ambiant.

C’est en se tournant sur sa gauche, vers une petite plage masquée au regard des autres baigneurs par la jetée, qu’il l’aperçut, sur le ventre, le visage dans l’eau, à un mètre de la plage. Compte tenu de son aspect ballonné et verdâtre, le corps avait dû séjourner plusieurs jours dans l’eau. Le bouche-à-bouche n’était plus d’actualité.

Féra se précipita sur son portable et appela le commissariat. Durieux, heureusement, était là.

- Allô ! Renaud, c’est Féra. Y a un mort à Saint-Inn… Oui, dans le lac. Envoie tout de suite l’identité judiciaire… Je vous attends sur la plage, à côté de la jetée. À tout de suite.

Renaud Durieux était son adjoint. Aix était son premier poste. Il avait succédé au Commandant Trochet, parti en retraite.

Féra appréciait la vivacité, l’enthousiasme de Renaud même si parfois, selon la formule consacrée, il lui arrivait de confondre vitesse et précipitation. En tout cas, aujourd’hui, c’était de vitesse que Féra avait besoin. Il fallait qu’on puisse examiner le corps puis le mettre en chambre froide avant la nuit.

II

Féra se rhabilla et prit soin de rester sur la jetée, faisant mine de continuer à contempler le paysage. Il souhaitait surtout éviter qu’avant l’arrivée de ses équipes d’autres personnes ne puissent découvrir le cadavre.

Le bruit des gyrophares au loin le rasséréna. Renaud n’avait pas perdu de temps. Les consommateurs et les baigneurs virent avec surprise les voitures de police déboucher sur la plage. Les rubans de sécurité furent immédiatement installés et les badauds refoulés.

Féra n’avait pas touché au mort. Louise Valin, le médecin légiste, après un bref salut à Féra, se dirigea vers le cadavre. Aidée par l’un de ses assistants, elle le retourna délicatement et ils l’installèrent sur une couverture qui avait été étendue sur la berge. L’homme paraissait avoir une cinquantaine d’années. De taille moyenne, il était plutôt enrobé et semblait avoir été plus attiré par la table que par le sport.

Ni Féra ni le docteur Valin ne le connaissaient. Durieux, qui s’était approché à son tour, s’exclama aussitôt :

- Mais c’est Lucien Mathis !

Il expliqua à l’équipe que Lucien Mathis était professeur à l’Université de Savoie. Il y enseignait l’environnement, l’écologie et le développement durable.

Passionné, lui aussi, par les problèmes d’environnement et notamment par le projet qui visait à maîtriser l’écologie du lac du Bourget, Durieux avait eu l’occasion d’assister récemment à une conférence donnée sur le sujet par Mathis, qui était membre de l’association « Lac et Nature ».

Il restait maintenant, se dit Féra, à établir les causes de la mort de Mathis : s’agissait-il d’une simple noyade ou était-on en présence d’un meurtre ? Les témoignages recueillis aussitôt auprès des tenanciers du restaurant, des consommateurs et des baigneurs étaient convergents : personne n’avait vu Mathis venir se baigner, ni le jour même, ni les jours précédents. D’ailleurs on ne retrouva aucune trace de ses vêtements sur la plage.

Son maillot, d’une marque de sport très courante, semblait neuf. Il n’avait, en dehors d’une alliance, aucun autre objet sur lui, pas même une montre, ce qui, pour un baigneur, n’avait rien de très étonnant.

Les lieux ne pouvant leur en apprendre davantage, toute l’équipe repartit, qui vers le commissariat, qui vers l’hôpital. Le Docteur Valin voulait examiner de plus près le corps afin de déterminer l’heure de la mort et surtout d’essayer d’en trouver les causes.

Comme Durieux l’apprit à Féra, Mathis était marié. Monique Mathis, l’épouse de Lucien, était, elle aussi, professeur à l’Université de Savoie. Elle y enseignait la littérature. Ils avaient une fille, Véronique, qui vivait depuis deux ans à San Francisco.

Féra appela le commissariat pour avoir l’adresse des Mathis. Henri le rappela rapidement : les Mathis habitaient à Chambéry, au cœur de la vieille ville, dans une petite rue donnant sur la place du château. Féra et Durieux décidèrent de s’y rendre aussitôt afin d’annoncer eux-mêmes la tragique nouvelle à Monique Mathis. Lorsqu’ils sonnèrent, c’est une femme souriante, au physique agréable, qui vint leur ouvrir.

- Madame Mathis ? Commissaire Féra et Capitaine Durieux. Nous souhaiterions vous parler.

- C’est à quel sujet ? demanda-t-elle, inquiète.

- C’est à propos de votre mari… .

- Il lui est arrivé quelque chose ?

- Nous pouvons entrer quelques instants ?

Elle les conduisit dans le salon et les invita à s’asseoir.

- Madame Mathis, pourriez-vous nous dire quand vous avez vu votre mari pour la dernière fois ?

- Dimanche soir. Il est parti pour un congrès à Paris par le TGV de dix-neuf heures. Le congrès se terminait hier soir. Il rentre aujourd’hui. Je vais aller le chercher à la gare tout à l’heure.

- Madame Mathis, nous sommes porteurs d’une terrible nouvelle : votre mari est mort.

Monique se mit à pleurer doucement, recroquevillée sur son canapé. Au bout de quelques minutes, durant lesquelles ils se sentirent incapables de dire ou faire quoi que ce soit, elle murmura :

- Que s’est-il passé ?

- Son corps a été retrouvé dans le lac du Bourget, au bord de la plage de Saint-Innocent.

Monique Mathis eut l’air stupéfaite.

- Dans le lac ! Lui qui ne se baignait jamais ailleurs que dans sa baignoire !

- Madame Mathis, nous vous présentons toutes nos condoléances. Il y a encore à accomplir une formalité douloureuse. Si vous en avez le courage, vous pourriez nous accompagner afin de reconnaître le corps. Sinon, cela peut attendre demain.

- Je vous suis, dit-elle dans un souffle.

Elle se leva, prit son sac à main et ses clés d’appartement.

- Je préfère en finir au plus vite, ajouta-t-elle.

III

Le corps était bien celui de Lucien Mathis. Durieux raccompagna Monique, tandis que le Docteur Valin faisait part à Féra de ses premières observations : le corps avait séjourné dans le lac entre trois et cinq jours. Et, surtout, la mort n’était due ni à une hydrocution ni à une noyade mais à un étranglement effectué vraisemblablement, vu l’absence de marque, avec un foulard ou un morceau de tissu du même genre. Les symptômes de mort par strangulation ne pouvaient être confondus avec ceux d’une suffocation consécutive à une noyade.

Enfin, compte tenu des courants dominants durant ces derniers jours, le corps avait dû être jeté dans le lac depuis la partie nord, entre Châtillon et la baie de Grésine, à partir d’une plage, d’un port ou d’un bateau. La mort était donc bien d’origine criminelle et le meurtre avait dû être commis entre lundi et mercredi.

- Ultime détail, lui dit Louise Valin, qui pourra peut-être aider à déterminer plus précisément la date de la mort : pour son dernier repas, le professeur Mathis avait mangé le poisson du lac le plus apprécié : un omble chevalier.

Tout en conduisant, Durieux jetait des regards furtifs vers Monique Mathis. Elle portait très bien sa cinquantaine. Il la trouvait très belle. Ses longs cheveux noirs et ses pleurs contenus lui donnaient l’air d’une Pietà. Durieux aurait eu envie de la prendre dans ses bras, pas seulement pour la consoler. Il avait déjà remarqué que souvent, dans des circonstances qui ne s’y prêtaient guère, les pleurs renforçaient l’attirance sexuelle.

Durieux était encore célibataire mais il était bien déterminé à ne pas rester seul comme Féra. Il voulait se marier, avoir des enfants. Encore fallait-il dénicher l’âme sœur.

Il déposa Monique Mathis devant chez elle en espérant qu’elle n’avait pas lu dans ses pensées et en lui promettant de la tenir informée de la suite des événements et notamment du moment où le corps de son mari pourrait lui être rendu. Puis il reprit, sous un orage et une pluie battante provoqués par la chaleur accumulée ces jours derniers, le chemin du commissariat d’Aix, en longeant le lac qui disparaissait sous les trombes d’eau si bien qu’on ne savait plus où étaient la route, le ciel, la montagne et le lac. Tout n’était, comme l’enquête qui débutait, que brume et brouillard.

Henri Vibert, le planton du commissariat, apostropha Durieux dès son arrivée :

- Le patron t’attend dans son bureau.

- Renaud, attaqua Féra, Mathis a été étranglé en début de semaine. Il faut tout de suite vérifier s’il a pris ou non le train de dimanche soir. Comme tu l’as entendu tout à l’heure, Monique Mathis nous a dit ne pas l’avoir accompagné. Il faut également appeler les organisateurs du congrès pour savoir s’ils l’ont vu.

Compte tenu du temps et des délais, il n’était pas question de retourner voir Monique Mathis.

Durieux l’appela pour avoir des informations sur le congrès. Elle semblait plus calme et lui communiqua les renseignements souhaités. Il raccrocha en espérant qu’on la laisserait tranquille durant le week-end.

Lorsque Durieux les appela, les organisateurs du congrès, qui était consacré au développement durable, furent formels : Lucien Mathis s’était bien inscrit à ce congrès mais il ne s’était pas présenté, ni le lundi, ni les autres jours et il n’avait laissé aucun message pour expliquer ou excuser son absence.

Les organisateurs ne s’étaient pas spécialement inquiétés : ce genre de situation, inscription puis absence non justifiée, était assez fréquent lors de ce type de manifestations. Certains congressistes profitaient de leur séjour parisien pour se livrer à des activités dont ils ne souhaitaient pas que leur conjoint soit informé. Bref, les congrès étaient souvent l’occasion de discrètes aventures extraconjugales.

Mais il n’était pas du tout certain que Mathis ait pris le train pour Paris. Il était encore moins probable que l’assassinat ait eu lieu à Paris et qu’on ait ensuite rapatrié le corps pour le jeter dans le lac. C’était plus vraisemblablement du côté de la Savoie qu’il fallait orienter les recherches.

Féra repensait, lui aussi, aux premiers éléments de l’enquête. Installé à la terrasse d’un café du Grand Port, il dégustait une Guinness tout en laissant son esprit vagabonder librement et en regardant le lac, les voiliers et, au premier plan, les platanes qui donnaient à ce paysage un côté méditerranéen qu’il aimait bien. Après l’orage, le ciel bleu était revenu et l’air sentait bon la pluie évaporée et la chaleur montante.

Au même moment, Durieux s’efforçait de reconstituer l’emploi du temps de Mathis entre le dimanche dix-huit heures, le moment où il avait quitté Monique, et l’heure de sa mort.

IV

Féra songeait, comme Louis Jouvet dans « Drôle de Drame » : « Bizarre, comme c’est bizarre ! ». Ce spécialiste du « Lac et Nature » qui n’aime pas nager et que l’on retrouve mort, en maillot de bain, dans le lac pour lequel il avait choisi de se battre.

Pourquoi n’avait-il pas assisté à ce congrès dont le thème était au cœur de ses préoccupations ? Avait-il seulement pris le train pour Paris ? Sinon, il était probable que ceux qui l’avaient empêché de partir l’avaient également tué.

Le crime était-il lié à son enseignement sur le développement durable et à sa participation au projet « Lac et Nature » ?

Il faut que j’aille rendre visite aux responsables de l’association « Lac et Nature », se dit Féra.

L’association était installée au second étage d’un immeuble moderne au sein de l’espace Technolac qui, entre l’Université de Savoie et l’aéroport d’Aix Chambéry, accueille des entreprises et des instituts de recherche.

Le permanent de « Lac et Nature », Pierre Fusin, reçut Féra dans un bureau encombré de cartes et de maquettes. Ils parlèrent bien sûr d’abord de la mort tragique de Lucien Mathis. Fusin lui dit combien Mathis était apprécié pour ses compétences, son engagement et ses qualités de pédagogue.

Toujours selon Pierre Fusin, le couple Mathis était exemplaire. L’idée d’un adultère parisien de Lucien lui semblait tout à fait farfelue. Il était bien sûr au courant du congrès de Paris puisque c’était au nom et aux frais de l’association que Mathis devait s’y rendre afin de prendre contact avec des experts étrangers ayant mené des expériences analogues à celles conduites par « Lac et Nature ».

Féra eut droit, il ne s’en plaignit pas car il trouva le sujet passionnant, à un cours sur le développement durable. D’après ce que Fusin lui expliqua, la clé de ce concept était d’essayer d’assurer la croissance économique tout en veillant à préserver l’environnement, les espèces animales et végétales, la qualité de l’air et de l’eau et pouvoir ainsi transmettre à nos enfants une planète en aussi bon état que celle que nos parents nous avaient léguée.

C’est dans cette optique que la région du lac du Bourget avait été retenue pour y conduire un projet que tienne compte de tous ces facteurs. C’était une opération d’envergure, qui devait se dérouler sur plusieurs années, et qui associait l’État, la région, les municipalités, l’université, les centres de recherche et les entreprises, car la démarche ne pouvait réussir que grâce à l’implication de tous.

C’est très intéressant tout cela, se dit Féra, mais si le développement durable a joué un rôle dans le meurtre, cela fait beaucoup de suspects potentiels !

De son côté, Durieux avait procédé à toute une série d’interrogatoires autour de la gare de Chambéry et du train qu’aurait dû prendre Mathis. Le contrôleur, qu’il avait pu aisément retrouver, lui confirma qu’il avait vérifié, comme d’habitude, les billets de tous les passagers du TGV du dimanche soir. Lorsque Durieux lui montra la photo, il le reconnut tout de suite :

- C’est Lucien Mathis, il monte régulièrement à Paris. Si je l’avais vu dimanche, je m’en souviendrais. Vous savez, au bout de vingt ans de métier, j’ai la mémoire des gens que je croise. Ça s’enregistre tout seul dans ma tête.

- Vous souvenez-vous de la dernière fois où vous l’avez vu à bord du TGV ?

- Ça doit remonter à un mois environ, fin juillet. Il rentrait de Paris. Ça devait être un vendredi soir. Même que la climatisation est tombée en panne et que les voyageurs étaient furieux. Qu’est-ce que j’ai pris, alors que je n’y étais pour rien !

Le contrôleur était bavard, mais son témoignage paraissait digne de foi : Mathis n’avait pas pris le TGV du dimanche soir. Mais alors, et ses interrogations rejoignaient celles de Féra, pourquoi n’était-il pas parti ? Et où était-il passé entre le dimanche soir et l’heure de sa mort ?

Monique leur avait dit lui avoir proposé de le conduire à la gare.

- Pas la peine de te déranger, je vais prendre un taxi, lui avait-il répondu.

Les taxis, il ne les appelait jamais de l’appartement, il allait les prendre à la station toute proche, place du château. Il y en avait toujours en attente mais aucun des chauffeurs de la place ne se souvenait d’avoir chargé Mathis ce dimanche soir.

Mathis s’était comme évaporé. Son corps avait bien réapparu, mais où étaient passés sa valise, ses vêtements et la pochette, qu’il portait toujours en bandoulière et dans laquelle il avait dû mettre ses papiers, son portefeuille et ses billets de train ?

Mathis avait un téléphone portable, mais il ne l’avait pas pris avec lui : il s’était aperçu, juste avant de partir, que la batterie était à plat.

- S’il y a un problème, je t’appellerai de l’hôtel, avait-il dit à Monique.

Durieux avait également eu confirmation qu’une chambre au nom de Mathis avait bien été réservée dans un hôtel Mercure près de la gare de Lyon mais que personne ne s’était présenté.

Monique ne s’était pas spécialement inquiétée du silence de son mari. Mathis n’avait pas l’habitude de beaucoup se manifester lors de ses déplacements professionnels.

Le portable de Durieux se mit à vibrer. C’était Féra qui lui proposait de faire un point de la situation le lendemain à neuf heures au commissariat. Le programme qu’avait prévu Durieux pour son samedi : montée du Revard à vélo puis, si le beau temps était de la partie, baignade dans le lac, ce serait pour une autre fois. Enquête oblige !

V

Durieux et Féra arrivèrent pratiquement en même temps. Il y n’avait pas grand monde dans la boutique. Il faisait un temps superbe et même le parking ombragé sur lequel donnait le commissariat avait un air de vacances en cette fin du mois d’août mais, pour Durieux et Féra, les vacances étaient finies. Un prof d’université avait été tué. Et pour tout arranger, ce crime de fin de saison allait être une aubaine pour les journalistes en mal de copie.

À Aix, comme dans toute la région, le journal de référence était le Dauphiné Libéré. Chaque matin, à la sortie des boulangeries, aux comptoirs des cafés, à l’entrée des bureaux, on voyait les Aixois parcourir leur journal et tout spécialement la rubrique locale, les faits divers et les pages sportives.

Claudia Bertoli était, à Aix, la journaliste du Dauphiné. Féra et Durieux la connaissaient bien et l’appréciaient. Elle les avait déjà appelés pour de premières informations et avait pris rendez-vous pour lundi.

Féra savait combien les autorités, le procureur en tête, étaient sensibles à la façon dont les médias couvraient des événements de ce type.

Le Dauphiné de ce samedi ne comportait qu’un encart laconique, en bas de première page : « le corps de Lucien Mathis, professeur à l’Université de Savoie, a été retrouvé hier soir dans le lac du Bourget, à proximité de la plage de Saint-Innocent. Une enquête sur les causes de sa mort a été ouverte et confiée au commissaire Féra. »

Après avoir pris un café, imbuvable comme toujours, au distributeur, Féra et Durieux s’installèrent dans le bureau de Féra.

Ils commencèrent par se mettre mutuellement au courant de leurs démarches et de leurs contacts. Leurs conclusions se rejoignaient : tout restait encore à faire, l’enquête n’avait pas progressé d’un pouce. La seule certitude c’était le caractère manifestement criminel de la mort de Mathis.

Mais pourquoi avoir jeté le corps dans le lac ? L’assassin devait pertinemment savoir qu’un légiste n’aurait aucun mal à détecter le caractère non naturel de la mort. De plus, si l’assassin connaissait la victime, il devait être au courant de l’aversion de Mathis pour la baignade.

Après un long silence, Féra chercha à résumer la situation :

- Il semble de plus en plus probable que le choix du lac soit une sorte de message laissé par les assassins. Si Mathis a été retrouvé dans le lac, ce n’est pas pour qu’on croie qu’il s’y est noyé, mais pour faire comprendre à certains : voilà ce qui arrive à ceux qui s’intéressent au lac et, peut-être, plus précisément, à ceux qui travaillent au projet « Lac et Nature ».

- Mais si c’est le cas, réagit aussitôt Durieux, cela veut dire que d’autres personnes, en premier lieu l’équipe de « Lac et Nature », seraient en danger. Pourquoi alors s’en être pris à Mathis et non au responsable de l’association, à Pierre Fusin ?

Les choses qui avaient paru s’éclaircir s’obscurcissaient à nouveau.

- Lundi, dit Féra, j’irai revoir Fusin pour qu’il me donne la liste des membres du conseil d’administration de l’association.

Toi, essaie d’en savoir plus sur les enjeux économiques et financiers de cette association « Lac et Nature ».

Il faut que nous allions au bout de cette hypothèse. Mais, tant que nous n’aurons pas d’éléments plus solides pour l’étayer, je propose qu’on n’en parle ni au substitut ni, a fortiori, à la presse. Il ne faut affoler personne ni laisser entendre aux assassins que nous avons une piste.

C’est toi qui recevras lundi Claudia Bertoli.

- OK, pas de problème, opina Durieux.

Ils se séparèrent à midi. Trop tard pour le Revard, mais il était encore temps pour la baignade. Malgré le drame, Durieux avait envie de plonger dans le lac, d’oublier durant quelques heures tous ses soucis et de reprendre des forces avant une semaine qui s’annonçait dure, très dure.

VI

De son côté, Féra fit quelques courses au supermarché avant de rentrer chez lui. Il habitait une maison à la sortie d’Aix, sur la route de Chambéry. C’était trop grand pour lui, trop d’entretien pour quelqu’un qui n’aimait pas spécialement le jardinage ni le bricolage, mais il était chez lui, il pouvait dès les beaux jours vivre dehors, inviter ses amis sur la terrasse et laisser gambader Pluche dont un des jeux favoris consistait à faire le tour du terrain avec un jouet que lui avait lancé son maître. Les voisins prétendaient qu’on apercevait souvent, courant derrière son chien et lui criant : « Allez, donne ! Pluche, donne ! » Philibert Féra, le commissaire d’Aix-les-Bains.

Ce samedi-là, Féra décida d’aller avec Pluche faire une balade au Revard. L’altitude, la fraîcheur, l’odeur des sapins et les grands horizons leur feraient du bien. Et puis peut-être trouverait-il quelques cèpes ?

Féra, s’il était gastronome, était malheureusement un piètre cuisinier et, hormis les barbecues de l’été, sa cuisine domestique étant essentiellement composée de plats surgelés ou de conserves. L’excellente charcuterie locale, les fromages et les vins de Savoie, qu’il connaissait et appréciait, venaient heureusement améliorer ses repas solitaires.

Le lundi matin, comme prévu, Féra appela Pierre Fusin. Celui-ci ne fit aucune difficulté pour recevoir Féra à nouveau et lui communiquer la liste des membres de l’association. Féra parla de vérification de routine.

Fusin lui donna des précisions sur chacun des membres du conseil d’administration : ils étaient neuf au départ mais huit aujourd’hui, un siège, devenu vacant après la création de l’association, n’ayant toujours pas été pourvu. Lui-même était le secrétaire général de « Lac et Nature », le permanent en quelque sorte, mais il n’était pas membre du conseil.

En dehors de Mathis, il y avait donc sept autres membres : d’abord Louis Berlot, le patron d’une entreprise locale de transport et de déménagement. Un homme du pays très concerné par les problèmes d’environnement et de pollution. Puis Jean Monot, qui représentait au sein de l’association le Conseil Régional Rhône-Alpes. Le Conseil était très attentif aux problèmes de développement durable et finançait une partie du projet piloté par « Lac et Nature ». Jean-Louis Sorgue, maire adjoint d’Aix-les-Bains, responsable des problèmes d’environnement, représentait la municipalité aixoise très impliquée dans le projet, notamment pour des raisons touristiques. Hervé Dutilleux, quant à lui, était viticulteur à Jongieux, petit village situé de l’autre côté du mont du Chat. Il produisait notamment un vin blanc très apprécié des connaisseurs, mais à diffusion confidentielle, le Marestel. Jacques Dulin était un agriculteur maraîcher d’Aix. Il vendait ses produits, de qualité, le mercredi et le samedi sur le marché. Jean-Michel Revol, architecte et urbaniste réputé, avait beaucoup travaillé le volet aménagement des infrastructures du projet. C’est lui qui avait conçu les maquettes qui décoraient le bureau de Fusin. Enfin Geneviève Berg était la grande spécialiste, reconnue au niveau international, de l’écologie des eaux douces (fleuves, rivières, lacs). Elle enseignait, elle aussi, à l’Université de Savoie.

Pierre Fusin précisa au commissaire en fin d’entretien que l’association fonctionnait normalement. Les relations entre les membres étaient excellentes et donc, selon lui – il n’était pas dupe des raisons invoquées par Féra – le meurtre de Mathis n’avait aucun lien avec son appartenance à l’association.

Durieux, de son côté, eut beaucoup de mal à obtenir des informations précises sur l’importance et la nature des enjeux économiques et financiers que pouvait représenter le projet dont s’occupait « Lac et Nature ».

La seule information utile fut la confirmation que ce projet était fortement subventionné au niveau local et régional et surtout que des engagements de financement avaient été pris sur le long terme. Les experts consultés par Durieux lui avaient confirmé que les sommes en jeu étaient tout à fait d’un ordre de grandeur compatible avec un projet de cette ampleur.

Lorsqu’ils se revirent, en fin d’après-midi, au commissariat, alors qu’un nouvel orage accompagné de grêlons criblait les tuiles du toit, ils firent un point rapide qui n’était guère encourageant. Aucune piste en vue.

Quelques instants plus tard, Claudia Bertoli arriva, trempée de la tête aux pieds. Féra décida, vu le temps, d’assister à l’entretien tout en laissant à Durieux le soin de mener les opérations.

Claudia, un gobelet de café à la main, arpentait le bureau. Féra s’installa dans un des fauteuils réservés aux visiteurs.

Elle attaqua tout de suite :

- Pour Aix-les-Bains, ville d’eaux, station thermale et balnéaire, pas terrible comme publicité, ce mort dans le lac. Surtout si on ne sait pas comment ça s’est passé. Alors, qu’est-ce que je leur dis, moi, à mes lecteurs ?

D’origine italienne mais née en France, Claudia Bertoli, après une école de journalisme à Paris, avait trouvé un poste au Dauphiné et, depuis cinq ans qu’elle y travaillait, elle avait réussi à se faire reconnaître comme une grande professionnelle. Toujours célibataire, elle était réputée avoir une vie libre. Certains parlaient d’une liaison qu’auraient eue Philibert et Claudia, lorsqu’ils étaient à Paris, mais rien n’avait pu être établi avec certitude.

Durieux indiqua à Claudia les éléments qu’on ne pouvait plus mettre en doute et qu’on n’avait aucun intérêt à cacher : la strangulation, le voyage à Paris qui n’avait pas eu lieu et l’absence de toute trace du dimanche soir jusqu’à la découverte du corps.

- Et quelles sont vos pistes de recherches, vos hypothèses de travail ?

Durieux resta un moment silencieux. Il devait se débrouiller tout seul, sans faire appel à Féra.

- Nous n’avons à ce jour aucune piste, finit-il par dire. Ou plutôt, et ça revient au même, nous en avons plusieurs : s’agit-il d’une affaire personnelle, d’un drame de la jalousie ? Le meurtre est-il lié aux activités de Mathis à l’Université, à son appartenance à l’association « Lac et Nature », à des problèmes financiers ? Rien ne nous permet de privilégier une hypothèse plutôt qu’une autre.

Elle posa encore deux ou trois questions, le temps de finir de se sécher. Durieux lui promit de la tenir au courant dès qu’il y aurait du nouveau et elle repartit équipée d’un parapluie qu’Henri se fit un plaisir de lui prêter.

Féra regagna son bureau. Il s’installa dans son fauteuil et resta immobile, sans allumer la lampe. Il ne dormait pas, il ne pensait pas. Il faisait le vide dans sa tête, essayant ainsi de se mettre en condition pour tenter d’attraper enfin le fil qui permettrait à l’enquête de démarrer.

À neuf heures, il sortit du commissariat, avec son visage fermé des mauvais jours, s’engouffra dans sa 607 et démarra, ce qui lui arrivait rarement, en faisant crisser les pneus de sa voiture.

Ceux qui étaient de garde ce soir-là se regardèrent et l’un d’eux résuma le sentiment général : « Si le patron est comme ça ce soir, demain, ça va barder ! »

VII

Le lendemain, Féra arriva au commissariat à dix heures. Auparavant, il était allé taper quelques balles, deux seaux selon son habitude. Il avait pris goût au golf lorsqu’il habitait la région parisienne. Il avait fait ses premières armes non sur le prestigieux golf de Saint-Cloud, financièrement inaccessible, mais sur le sympathique neuf trous de Noisy-le-Roi.

Il avait rarement le temps de faire un parcours, mais il venait régulièrement faire du practice. Quand il jouait, il ne pouvait s’en prendre qu’à lui si la balle n’allait pas dans la bonne direction. Peut-être aussi qu’en tapant sur la petite balle il s’imaginait taper sur quelqu’un. En tout cas, grâce à cette séance de golf, c’est un Féra détendu, déjouant les sombres pronostics de la veille, qu’Henri vit arriver.

- Patron, il y a une jeune fille qui vous attend depuis un petit moment. Je me suis permis de l’installer dans votre bureau.

- Et vous lui avez offert un café, je suppose ?

- Euh ! Oui, bafouilla Henri qui ne savait jamais si le patron était en colère ou s’il plaisantait.

En entrant dans son bureau, Féra vit une jeune fille souriante, aux cheveux noirs coupés courts, qui se levait de son siège :

- Excusez-moi, je me suis permise de vous attendre ici. Je n’avais pas rendez-vous, mais je souhaitais vous voir rapidement. Je suis Véronique, la fille de Lucien et de Monique Mathis. J’ai appris l’horrible nouvelle et j’arrive de San Francisco.

- Mademoiselle Mathis, je vous présente mes sincères condoléances.

- Merci, commissaire. Je devrai malheureusement repartir aux USA juste après l’enterrement qui aura lieu, comme vous le savez, après-demain jeudi.

Féra, les examens étant terminés, avait effectivement donné le feu vert pour l’inhumation.

- Je pense, lui dit Féra, que votre mère vous a donné toutes les informations sur le meurtre de votre père. L’enquête suit son cours. Malheureusement nous n’avons actuellement aucune piste concernant les auteurs de ce crime. Néanmoins, si vous avez des questions à me poser, j’y répondrai bien volontiers.

Véronique paraissait avoir surmonté le choc de la mort de son père. Peut-être s’était-elle, durant le voyage, laissée aller aux pleurs et à la douleur ; en tout cas, Féra avait en face de lui une jeune fille calme et déterminée.