Le Revard pour linceul - Roger Moiroud - E-Book

Le Revard pour linceul E-Book

Roger Moiroud

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Beschreibung

En Savoie, le corps d'une mystérieuse jeune fille est découvert dans la neige.

Après Crime à Saint-Inn, sélectionné au festival du Premier Roman de Chambéry, Le Revard pour linceul nous plonge dans une nouvelle enquête, menée par le désormais célèbre commissaire Féra secondé par son adjoint, Renaud Durieux.
Cette fois-ci, nous quittons les rives du lac du Bourget pour le massif du Revard qui, de ses 1500 m, domine fièrement Aix-les-Bains et Chambéry.
Et c’est dans la brume et le froid que tout va commencer.
Qui est cette mystérieuse jeune fille ensevelie sous la neige ?
Qui l’a tuée et pourquoi ?
C’est le début d’une longue enquête au cours de laquelle des secrets vont peu à peu se dévoiler et éclairer d’une étrange lumière une affaire hors du commun.

Plongez-vous sans plus attendre dans un polar haletant et suivez le commissaire Féra et son adjoint Durieux en pleine Savoie, sur les traces d'une jeune filles découverte ensevelie sous la neige.

EXTRAIT

Pour aller au Revard, il opta pour une tenue classique seulement complétée d’un lourd pardessus à la Maigret et de chaussures à semelle épaisse pour pouvoir marcher dans la neige. D’habitude, c’était cette période de repérage sur les lieux qu’il préférait au cours d’une enquête. C’était à ce moment-là que les choses commençaient à se mettre en place, que lui venaient les premières intuitions, qu’il entrait progressivement dans l’affaire. Il n’était pas, comme Renaud, féru d’informatique. Il lui fallait rencontrer les gens, arpenter les lieux, s’imprégner de l’environnement du crime.
Mais cette fois se disait-il, en montant au Revard par une route bien dégagée, il avait le sentiment que la clé de l’énigme n’était pas sur les lieux du crime. Il n’était pas un adepte des contes de fées ni des œuvres de science-fiction mais il avait l’absurde impression que le corps de la jeune femme avait été transporté comme magiquement à cet endroit. Pourquoi pas, tant qu’on y était, par de petits hommes verts à bord d’une soucoupe volante. Il se voyait déjà interrogeant les habitants pour leur demander s’ils avaient noté les heures d’arrivée et de départ de la soucoupe.
Décidément, pour Féra, les choses ne s’arrangeaient pas. Ce n’était plus la retraite anticipée qui le guettait mais carrément l’asile. Heureusement personne n’était en mesure de décrypter ses pensées farfelues. « Quoique… » comme aurait dit Raymond Devos

À PROPOS DE L'AUTEUR

D’abord professeur de philosophie, puis Directeur de la Qualité dans une compagnie d’assurance à Paris, Roger Moiroud, savoyard d’origine, est revenu s’installer, dès sa retraite, sur sa terre natale. Il s’adonne aujourd’hui à sa passion : l’écriture de romans policiers dont le personnage principal, Philibert Féra, est commissaire de police à Aix-les-Bains.
Son souci : l’exactitude des lieux décrits, le respect des procédures policières et l’analyse de la psychologie et des motivations de ses personnages ancrés dans la réalité sociale.

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Présentation de l'auteur

L'auteur : d’abord professeur de philosophie, puis Directeur de la Qualité dans une compagnie d’assurance à Paris, Roger Moiroud, savoyard d’origine, est revenu s’installer, dès sa retraite, sur sa terre natale. Il s’adonne aujourd’hui à sa passion : l’écriture de romans policiers dont le personnage principal, Philibert Féra, est commissaire de police à Aix-les-Bains.

Son souci : l’exactitude des lieux décrits, le respect des procédures policières et l’analyse de la psychologie et des motivations de ses personnages ancrés dans la réalité sociale.

À Elliott, Luna, Margot et Félix, mes petits enfants.

Merci à Chantal et à Francis, mes fidèles relecteurs.

Merci à Elise Sadoulet pour ses remarques judicieuses qui m’ont aidé, une fois encore, à respecter les procédures juridiques et policières

I

On l’avait longtemps attendu cette année. Il y avait bien eu trois flocons en décembre, mais ça n’avait pas tenu. Depuis deux jours, ça y était enfin, l’hiver était là.

André Faure n’avait pas pu résister. Ce dimanche matin, il était monté au Revard.

— Vas-y tout seul si ça t’amuse, lui avait dit Lucienne, sa femme. Moi, je reste au chaud.

Il s’était garé sur le parking du foyer de ski de fond et était parti à pied avec sa parka et ses chaussures de montagne.

C’est au bout d’une heure que tout s’était transformé. La neige tombait jusque là en gros flocons paisibles. Un vent violent s’était soudain levé et la neige s’était mise à tournoyer, à tourbillonner. Faure n’y voyait plus rien. La neige lui cinglait le visage. Il avait du mal à garder les yeux ouverts.

Il savait qu’il n’était pas loin de la route mais il avait perdu ses repères, la neige avait effacé ses traces. Il ne savait plus vers où aller. Il imaginait déjà les commentaires goguenards de Lucienne à son retour :

— Alors maintenant tu te perds au Revard !

En attendant, il fallait bien qu’il essaie de retrouver son chemin. La neige pénétrait son cou, ses épaules. Ses pantalons étaient trempés et lui collaient aux jambes. Il risquait de prendre froid. Il n’avait pourtant pas besoin de ça. Sa boucherie marchait bien mais il fallait que Lucienne et lui, aidés par le petit René, leur commis, soient au magasin. Pas question de tomber malade.

Quelle idée il avait eu de monter au Revard pour voir la neige. Ah ! Côté neige, il était servi. Il avait oublié de prendre des gants et ses mains étaient maintenant humides et froides et il ne parvenait pas à les réchauffer.

— N’importe comment, se dit-il, d’un côté il y a la route qui va vers le Féclaz, de l’autre il y a le chemin de crête qui surplombe le lac du Bourget. Je finirai bien par arriver en terrain connu. Il marchait d’un bon pas, le dos courbé sous la tempête de neige, à la recherche du moindre indice qui lui permettrait de retrouver sa route.

À un moment donné, il dut se baisser, presque s’accroupir, pour passer au-dessous des longues branches basses d’un sapin qui lui barrait le passage. La neige s’effondra sur lui et le recouvrit d’un manteau blanc glacé. Sous le poids, il trébucha et, pour éviter de s’affaler, il mit les deux mains sur le sol enneigé. C’est en se relevant qu’il crut apercevoir quelque chose de bizarre. Ce n’était sans doute qu’une branche. Il s’approcha de ce qu’il entrevoyait à quelques mètres de lui et qui semblait émerger d’un monticule de neige.

Il se mit alors à trembler de tous ses membres. Mais, cette fois-ci, ce n’était plus de froid mais de terreur. Ce qu’il voyait, ce qu’il avait même touché, ce n’était pas une branche, c’était une main, une main qui dépassait d’une espèce de tumulus qui devait, selon toute évidence, recouvrir un cadavre.

— Mon Dieu, se dit Faure, et maintenant que faire ? Il essaya bien d’appeler avec son portable mais il savait déjà que, dans cette zone, il n’y avait pas de couverture. Il fallait bien sûr d’abord qu’il retrouve son chemin et qu’il soit ensuite capable d’indiquer à la police l’emplacement exact du corps qu’il venait de découvrir.

Il n’avait qu’une seule envie, s’éloigner de cet endroit. Mais d’un autre côté, il devait essayer de repérer le maximum d’indices. Il regarda attentivement les lieux, autant que la neige le lui permettait, cherchant à identifier des éléments caractéristiques. Mais tout n’était que neige et sapins comme sur l’ensemble du plateau.

Il commençait à désespérer, transi de froid et paralysé par sa macabre découverte, lorsque, comme il était venu, le vent tomba. Tout devint d’un seul coup plus lumineux, la brume s’estompa et Faure bénéficia enfin d’un horizon plus dégagé.

Il put rapidement se repérer. En fait, il n’était qu’à deux cents mètres de la route. Il prit soin de noter l’endroit où il la rejoignit. Ce fut facile puisqu’il y avait, tout près, une grande croix en pierre, ancrée sur un talus, comme il y en a tant en Savoie. Sa voiture était à un kilomètre de là. Il la retrouva avec un grand plaisir. Avant d’avertir qui que ce soit, il décida de rentrer chez lui, de se changer et d’envisager alors, plus sereinement, la suite des événements.

Quand il arriva à Aix-les-Bains, la neige avait déjà disparu. Elle n’avait pas tenu. Il y avait même un rayon de soleil. Cette ambiance contribuait à donner à son aventure un côté irréel. Mais il savait, malheureusement, qu’il ne s’agissait pas d’un rêve, qu’il y avait là-haut un cadavre enseveli sous la neige.

— Eh bien, tu es dans un bel état ! l’accueillit Lucienne. Mais où es-tu donc allé ? Va vite te changer pendant que je te prépare un bon vin chaud. C’est un truc à attraper la crève.

André ne fit aucun commentaire. Il alla dans la salle de bain, se déshabilla et prit une douche qui dura longtemps. Il se réchauffait à la fois le corps et l’esprit. Peu à peu, il se remettait les idées en place.

Il enfila des vêtements secs et rejoignit Lucienne dans la cuisine où l’attendait le vin chaud qu’il but à petites lampées.

— Alors, lui demanda Lucienne, où t’es-tu encore fourré ? Tu aurais mieux fait d’écouter la météo. Ils prévoyaient des tempêtes de neige au-dessus de 1200 mètres. Mais tu veux toujours n’en faire qu’à ta tête.

— J’ai découvert un cadavre.

André préféra le lui dire tout de suite. C’était trop lourd à garder pour lui tout seul. Lucienne resta interdite.

— Un cadavre ? Et où ça ?

— Au Revard, dans la forêt, sous la neige.

— Qu’est ce que tu vas faire ?

— Je vais appeler la police.

— Un dimanche, au commissariat, il risque de ne pas y avoir grand monde.

— Il a toujours une permanence.

— Et si tu appelais directement le commissaire Féra ? C’est un bon client et tu as son numéro personnel.

Le commissaire Féra était en effet un habitué de la boucherie Faure. C’est chez eux notamment qu’il venait l’été se ravitailler en saucisses et en grillades de porc pour son barbecue.

— J’ai peur de le déranger un dimanche. Et puis il n’est peut-être pas chez lui.

— Avec le temps qu’il fait, ça m’étonnerait qu’il soit allé bien loin, répondit Lucienne.

André hésita. Puis il se dit qu’il pouvait toujours essayer de le joindre. Féra ne lui en voudrait sûrement pas de le déranger, vu le motif de l’appel.

Il composa son numéro. Féra décrocha dès la deuxième sonnerie.

— Commissaire Féra, j’écoute.

Le ton était sec, professionnel. Faure sentit son cœur battre comme s’il était coupable de quelque chose.

— Bonjour commissaire, ici André Faure. Je suis vraiment désolé de vous déranger. Je suis allé me promener ce matin au Revard…

— Quelle drôle d’idée ! Vous aimez les tempêtes de neige ? ironisa Féra.

Faure ne releva pas la remarque et préféra aller directement à la raison de son appel :

— J’ai malheureusement découvert là haut un cadavre.

Il y eut un blanc à l’autre bout du fil puis Féra demanda :

— Vous avez déjà prévenu quelqu’un ?

— Non, Monsieur le commissaire, j’ai préféré vous appeler directement.

Féra regarda sa montre. Il était une heure de l’après-midi. Il venait juste de finir de déjeuner et s’apprêtait, vu le temps, à continuer la lecture de « Brouillard à Tolbiac » de Léo Mallet, un de ses auteurs favoris. Pluche, son caniche, était installé dans sa panière et guettait le moment où il pourrait sauter sur les genoux de son maître. Rien de très excitant, somme toute.

L’annonce d’un cadavre découvert au Revard venait rompre, de façon tragique, la monotonie de ce dimanche hivernal.

— Écoutez, Faure. Merci de m’avoir prévenu aussitôt. Si vous êtes d’accord, je passe vous prendre dans une demi-heure pour que vous puissiez me conduire sur les lieux où vous avez trouvé le corps.

— D’accord commissaire, je vous attends.

Féra raccrocha et se mit à arpenter son séjour, tout en réfléchissant. Une chute de neige importante, toujours possible en cette saison, pouvait compliquer les opérations. Il y avait tout intérêt à agir vite. Il avait les mêmes scrupules que ceux que Faure avait eu à son égard mais, comme lui, il décida d’appeler Louise Valin, le médecin légiste.

— Allô docteur Valin ? Ici Féra, je vous dérange ?

— Commissaire, vous ne changerez jamais. Le dimanche midi n’est pas l’heure idéale pour appeler les gens, sauf peut-être pour un célibataire comme vous.

Ça commençait mal. Féra faillit s’excuser et raccrocher mais il ne s’en sentit pas le droit. Il fallait qu’il la mette au courant.

— Docteur, André Faure, le boucher, vient de m’appeler. Il a découvert ce matin un cadavre au Revard.

— Je disais justement à mon mari et à mes enfants que j’irais bien cette après-midi faire une balade au Revard.

— J’y monte tout à l’heure avec Faure. Mais vous n’êtes bien sûr pas obligée de venir.

— Merci de cette précision. Mais je pense que je n’ai pas le choix. Et, plus sérieusement, il faut pouvoir intervenir le plus vite possible avant que la neige ne rende les choses plus difficiles.

— Merci Docteur. On peut, si ça vous convient, se retrouver chez Faure dans une demi-heure. Son appartement est juste au-dessus de la boucherie, avenue du Grand Port.

— Oui, je connais. Entendu. À tout de suite.

Fallait-il prévenir Durieux ? Le capitaine Renaud Durieux était l’adjoint de Féra au commissariat d’Aix-les-Bains. Sa présence n’était pas indispensable. Mais si Féra ne l’appelait pas, il risquait de se vexer. Peut-être était-il parti skier ?

Féra tomba effectivement sur son répondeur. Il lui laissa un message lui expliquant les raisons de son appel. Puis il s’habilla chaudement. Ne sachant pas exactement quand il allait rentrer, il prépara la pâtée de Pluche avant de partir, mais celui-ci refusa dédaigneusement d’y toucher, dépité d’être laissé seul un dimanche après-midi.

II

Faure ouvrit la porte quelques secondes à peine après le coup de sonnette de Féra. Lui aussi, cette fois, s’était équipé de pied en cap pour la neige. Il avait même récupéré dans son garage une pelle et une pioche. Féra regarda les outils et lui dit :

— Ce ne sera pas nécessaire. L’équipe de la police technique et scientifique sera là. Ils ont tout le matériel qu’il faut.

Féra, juste après son coup de fil à Valin, les avait appelés ainsi que les Pompes Funèbres. Il fallait tout faire pour que le corps puisse être transporté à l’hôpital de Chambéry avant la nuit.

Un second coup de sonnette annonça l’arrivée du docteur Valin.

— Les équipes nous rejoindront à trois heures au village du Revard. Ainsi on pourra aller ensemble sur les lieux.

— Je propose, dit Féra, que nous montions tous les trois avec ma voiture ce qui permettra à André de nous expliquer, pendant le trajet, comment et où il a découvert le corps.

Ils montèrent dans la 607 de Féra et prirent la direction du Revard. Faure leur raconta les circonstances de sa découverte. Au fur et à mesure qu’ils montaient, la neige apparaissait de nouveau. Mais elle tombait mollement. Le vent ne soufflait plus. C’était un paisible paysage de carte postale.

Ils se garèrent au parking du Revard, pratiquement désert. Ils ne descendirent pas de voiture. À peine cinq minutes après ils virent arriver à grande vitesse les voitures des deux équipes.

Les trois véhicules, la Peugeot en tête, repartirent en direction de la Féclaz. Une fine pellicule de neige recouvrait la route. Féra n’avait pas encore équipé sa voiture de pneus neige. Il conduisait donc prudemment. Faure était monté à l’avant pour pouvoir mieux repérer la croix de pierre. Il n’eut aucun mal à la retrouver. Ils s’arrêtèrent à une vingtaine de mètres sur un terre-plein.

Ils partirent à la queue leu-leu derrière Faure. Celui-ci eut plus de difficultés qu’il ne l’avait imaginé à retrouver l’endroit précis. Ils firent de nombreux allers et retours. À plusieurs reprises, Faure s’écria : « Par ici, c’est là ! », mais c’était une erreur, une fausse piste. Un moment même, il en vint à douter. Avait-il vraiment vu ce cadavre ? Et il sentait qu’il n’était pas le seul à se poser la question.

Et puis, alors qu’il commençait à désespérer, il reconnut le monticule. Simplement la neige, qui avait continué à tomber, avait complètement recouvert le cadavre. Plus rien ne dépassait. D’autres promeneurs auraient pu passer maintenant auprès du corps sans rien remarquer d’anormal.

— Cette fois-ci, c’est bien là, dit-il en montrant le tumulus.

Ils s’approchèrent du monticule. À l’aide d’une espèce de balayette, comme celle dont se servent les archéologues, l’un des experts commença à enlever la neige fraîche qui recouvrait la partie supérieure du cadavre. Une main, celle qu’avait aperçue Faure, apparut en premier. Le doute n’était désormais plus possible : un mort gisait dans la forêt du Revard et il avait été sommairement recouvert de terre puis de neige.

Ce fut une opération particulièrement macabre. La police prit des photos au fur et à mesure. C’était un peu comme un enterrement à l’envers. Un déterrement en fait. Bien sûr, Féra n’était pas obligé de rester là, d’assister à cette horrible cérémonie.

Mais quelque chose le retenait auprès de ce corps, quelque chose qui allait bien au-delà de la curiosité.

Les spécialistes procédaient avec méthode et précaution. La mise à jour d’une momie égyptienne n’aurait pas requis plus de soins. Les bras apparurent en premier, des bras longs et minces qui paraissaient enrobés dans une espèce de gaze, de tissu fin et transparent que le froid avait collé aux membres.

Puis ce fut le visage, un visage de femme, un beau visage aux traits réguliers, les yeux fermés, semblable aux masques de cire que l’on voit dans les musées : même pâleur, même impassibilité, même apparente sérénité.

Féra avait vu, métier oblige, beaucoup de morts, beaucoup de cadavres au cours de ses enquêtes. Les visages étaient souvent déformés, boursouflés par un séjour dans l’eau, méconnaissables à la suite d’une mort par arme à feu. Ici, Féra avait l’impression d’assister à une veillée mortuaire où la personne viendrait de s’éteindre paisiblement dans son lit. Ce sentiment était encore renforcé par la tenue portée par la morte. On l’apercevait maintenant distinctement, le corps ayant été dégagé jusqu’à la poitrine : elle était vêtue d’une chemise de nuit blanche. Ce n’était plus une enquête policière, c’était un conte de fée, c’était la Belle au bois dormant. Sauf que, malheureusement, il n’y avait aucune chance qu’elle ne se réveille. C’était plutôt, plus tragiquement, une Ophélie que Féra avait sous les yeux.

C’est alors que le vent se leva à nouveau. En quelques instants, tout s’obscurcit et les conditions de travail pour les experts devinrent extrêmement difficiles. On ne voyait plus à un mètre. Dès qu’on ouvrait la bouche, une neige froide et humide y pénétrait.

Ils continuèrent néanmoins leur travail et, au bout d’une demi-heure très éprouvante, ils parvinrent à extraire la totalité du corps. Il était d’une rigidité absolue. Les Pompes Funèbres l’installèrent alors sur une civière pliante et la procession se remit en marche vers la route. Ils eurent au retour, vu le temps, les mêmes difficultés qu’à l’aller, rebroussant chemin à plusieurs reprises.

Féra imaginait la réaction qu’aurait pu avoir un randonneur à pied, à skis de fond ou à raquettes s’il avait croisé ce défilé funèbre, digne d’un film d’horreur de série B.

Ils arrivèrent enfin, après une nouvelle demi-heure d’errance, sur la route. Ils marchaient lentement pour ne pas glisser. La civière fut installée à l’arrière du fourgon des Pompes Funèbres et les trois véhicules repartirent, alors qu’il faisait déjà presque nuit, en direction des locaux médico-légaux de l’hôpital de Chambéry.

Sombre dimanche, se dit Féra. Et, malheureusement, tout ne fait que commencer. Il y avait des jours où il se demandait ce qui avait bien pu le pousser à vouloir faire ce métier. Il n’avait jamais vraiment su la réponse. Il savait simplement qu’il en avait encore pour quelques années avant de pouvoir prendre une retraite qu’il attendait et qu’il redoutait à la fois.

Le docteur Valin le fit entrer dans son bureau.

— Les équipes vont procéder aux analyses habituelles. Vous assistez à l’autopsie ?

Normalement, ça faisait partie de son travail. D’autant qu’il ne pouvait même pas se faire remplacer par Durieux, comme le règlement l’autorisait. Mais aujourd’hui, c’était au-dessus de ses forces. Cette jeune femme, à peine entr’aperçue, il avait l’absurde impression que c’était sa fille. Lui le célibataire endurci qui n’avait jamais eu d’enfants !

Il émergea de ses réflexions morbides et dit simplement à sa collègue :

— Non, je préfère rentrer chez moi. Dés que les résultats seront prêts, appelez-moi.

— Entendu, répondit-elle, sans manifester d’étonnement apparent mais en voyant bien que le commissaire, sans qu’elle sache pourquoi, n’était vraiment pas dans son assiette.

De retour chez lui, il constata qu’il n’avait pas de message. Durieux avait bien dû aller skier. Féra aurait pu le joindre sur son portable. Mais il n’y avait pas urgence. Il fallait attendre désormais les premiers résultats des examens.

Féra eut une nuit agitée. Le visage de la morte le hantait. Il rêva qu’elle ouvrait les yeux, lui souriait et lui tendait les bras en lui disant : « Viens, mon amour ». Il criait « Non » et reculait horrifié. Il se réveilla en sursaut et se cogna la tête dans la table de nuit. À l’air apeuré de Pluche, il se dit qu’il avait dû réellement crier. Il eut beaucoup de mal à se rendormir.

Le réveil ne valut guère mieux. Féra mit un certain temps à reprendre contact avec la réalité, à faire la différence entre le rêve dont il était encore tout imprégné et ce qui s’était réellement passé la veille. Il but un grand bol de café noir, prit une douche glacée comme il le faisait lorsqu’il avait un peu bu et qu’il souhaitait recouvrer ses esprits. Sauf que hier il n’avait rien bu. Seul l’obsédait le visage de la morte.

Le coup de fil de Durieux vint interrompre ses lugubres ruminations.

— Alors patron, qu’est-ce qui se passe ? demanda Renaud Durieux, du ton enjoué de celui qui a passé son week-end sur les pistes.

Féra lui raconta de façon détaillée ce qui s’était passé la veille.

— C’est incroyable, dit Renaud. Le Revard, un endroit si paisible. Comment a-t-on pu commettre un tel acte dans ce lieu ?

— On ne sait pas encore si la femme a été tuée au Revard ou si le corps y a été transporté. Il faut attendre les résultats des experts. Dès que je les ai, je t’appelle.

— Entendu, à bientôt.

Féra, guettant l’appel du docteur Valin, fut incapable d’entreprendre quoi que ce soit. Il se sentait étrangement concerné par ce meurtre. Il était décidément temps qu’il arrête ce métier. La carapace que tout bon policier se doit d’avoir face aux événements auxquels il est confronté était en train de sérieusement se lézarder. Il avait l’impression d’être un ouvrier d’un site nucléaire dont la combinaison se déchire et qui n’est plus protégé des rayons radioactifs.

Enfin, Valin appela.

— Alors ? demanda Féra d’un ton qui trahissait son impatience et son inquiétude.

— Commissaire, nous vous attendons. Nous avons procédé à l’autopsie.

— D’accord, j’arrive dans une demi-heure.

Féra, qui était resté en pyjama, s’habilla rapidement et quitta rapidement sa maison en direction de Chambéry.

III

Il n’eut pas à attendre. L’hôtesse d’accueil de l’hôpital l’invita à aller directement dans le bureau de Louise Valin.

— Je vous propose d’aller tout de suite dans la salle.

Elle était là sur une longue table, éclairée par une énorme lampe. On avait l’impression de voir une personne prête pour une intervention chirurgicale dans un bloc opératoire et qui aurait été endormie. Une fois de plus, malgré la mort, Féra fut frappé par sa beauté.

— Je vous livre mes premières conclusions, lui dit le docteur Valin. Vous allez le voir, elles posent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses. D’après l’autopsie, la jeune femme a absorbé un somnifère mais une dose susceptible d’entraîner un sommeil normal, non la mort. Et il y a d’autres choses.

Louise Valin souleva délicatement la tête de la jeune femme.

— Vous voyez, derrière la nuque, à la racine des cheveux, il y a une trace de piqûre. Elle n’a pas pu se la faire elle-même. C’est certainement cette injection qui a provoqué la mort par arrêt cardiaque. Des analyses plus poussées nous permettront peut-être d’identifier le liquide utilisé. Ce n’est pas tout, reprit Valin. Cette femme avait manifestement, avant de mourir, fait un bon repas. Vraisemblablement un dîner de fête. Et nous ne sommes pas, comme je vous le disais, au bout de nos surprises. Regardez le visage de la morte, rien ne vous surprend ?

— Non, je ne vois pas, répondit Féra.

— C’est parce que vous êtes un homme. Là, elle lui montra la joue gauche, ce sont des traces de maquillage. Une femme se couche rarement avec son maquillage. D’autant que notre inconnue était coquette et soignée, regardez ses ongles bien faits et ces mains qui n’ont pas connu les gros travaux.

— Tout cela est bien mystérieux, remarqua Féra, décontenancé par ces informations.

— Encore deux choses, ajouta le médecin en prenant la main gauche de la femme. Elle porte une alliance. Mais l’alliance est neuve et le doigt ne porte aucune marque. Enfin, la chemise de nuit qu’elle portait est, elle aussi, neuve et sans la moindre trace de froissement. Vraisemblablement, quelqu’un l’en a vêtue juste avant ou juste après sa mort.

— Merci docteur, les équipes ont fait un très bon travail. Tout ce que vous venez de me dire me sera très précieux pour mon enquête.

Étant à Chambéry, il appela Gérard Moreau, le substitut du procureur. Il pouvait le recevoir dans une heure. En attendant, Féra déambula dans les rues. Comme dans beaucoup de villes, le lundi matin, la plupart des magasins étaient fermés. Sous un ciel blanc, annonciateur de nouvelles chutes de neige, tout semblait triste à l’image des pensées de Féra.

Tout un coup, une idée lui vint. Il appela aussitôt Valin.

— Docteur, j’ai oublié de vous demander : la jeune femme a-t-elle subi des violences sexuelles ?

— Je n’ai pas pensé à vous en parler. Non il n’y a eu ni viol, ni rapports sexuels. Je peux également vous dire son âge approximatif : entre vingt-deux et vingt-cinq ans et l’heure de sa mort : entre dix-huit et vingt-quatre heures avant sa découverte par Faure.

Féra rapporta au substitut les premiers éléments recueillis. Moreau parut aussi intrigué que Féra et lui demanda de se charger, toute affaire cessante, de cette enquête et de le tenir informé dès qu’il aurait des éléments nouveaux.

L’après-midi, Durieux et Féra s’enfermèrent dans le bureau de Féra pour mettre en place ce qu’ils appelaient leur plan de bataille. Faure ne leur apprendrait sûrement pas grand-chose de plus que ce qu’il avait déjà raconté à Féra. Renaud se chargerait néanmoins de recueillir sa déposition. Compte tenu des informations qu’avait communiquées Valin à Féra, la morte n’était certainement pas une habitante du Revard. Ce n’était pas une femme des champs mais une femme de la ville.

Féra irait le lendemain matin sur les lieux pour interroger les riverains. Le Revard était une station de sport d’hiver familiale surtout réputée pour son « plateau nordique », terre de prédilection du ski de fond. On pouvait aussi faire de belles randonnées en raquettes. Féra, depuis son retour à Aix-les-Bains, s’était mis à ce sport, plus adapté à son goût que le ski de fond et moins risqué que le ski alpin qui lui avait valu, par manque d’entraînements, de nombreuses chutes.

Bien que n’ayant pas encore vu la jeune femme, Durieux était, comme Féra, intrigué par le contexte de ce crime. Au lieu du côté sordide de ceux auxquels ils avaient eu jusqu’ici affaire, il y avait, aussi paradoxal que cela puisse paraître, une dimension poétique à ce meurtre. On ne pouvait pas ne pas penser, bien sûr, à la Belle au bois dormant, à ce long sommeil qui ressemblait tellement à la mort.

Il y avait aussi tout un aspect rituel : le dîner, le somnifère, le poison, la chemise de nuit blanche et l’alliance. Et enfin, peut-être le plus étrange, cette absence de violence sexuelle qui achevait de conférer à cette morte une apparence immaculée comme la neige dans laquelle elle avait été découverte.

— Pourquoi, bon sang, s’interrogeait Féra, être venu enterrer ce cadavre au Revard ? Tant qu’à faire dans le rituel ou le littéraire, pourquoi ne pas l’avoir mise dans une crypte ou dans le caveau d’un château moyenâgeux ? Mais Féra savait pertinemment que résoudre une enquête c’était non pas s’interroger sur ce que les gens auraient dû ou pu faire mais sur ce qu’ils avaient effectivement fait et pourquoi ils avaient agi ainsi.

Durieux proposa de s’occuper de la diffusion du portrait de la morte en vue d’une éventuelle identification. Il y avait peu de chance pour que la jeune femme soit connue des services de police. Féra doutait qu’elle soit de la région. Il ne pensait pas non plus, simple intuition, que sa disparition allait être signalée. Il n’était pas coutumier du fait mais, dans la situation où ils se trouvaient, la diffusion du portrait dans les journaux lui semblait être une bonne solution.

Féra appela son amie Claudia Bertoli, journaliste au Dauphiné Libéré.

— Philibert, comment vas-tu ? l’accueillit-elle.

— Moi, ça va, mais je commence une enquête sur une jeune femme qu’on vient de retrouver morte au Revard.

— Une touriste égarée ?

— Pas vraiment. J’aimerais t’en parler.

— Avec plaisir, si l’on peut dire. Cyniquement, il va certainement y avoir pour moi un article à la clé. Pour la peine je t’invite chez moi ce soir. Un risotto, ça t’ira ?

— Entendu. Je serai chez toi vers huit heures.

— Ok. À tout à l’heure.

Claudia et Philibert s’étaient connus à Paris, lors de leurs débuts professionnels. Ils avaient même eu une liaison. Ils s’étaient ensuite perdus de vue avant de se retrouver, il y a deux ans, en Savoie. Ils n’avaient pas renoué, sans trop savoir pourquoi, mais étaient restés bons amis.

Après sa réunion avec Durieux, Féra rentra chez lui, accueilli comme d’habitude par les aboiements joyeux de Pluche, le caniche qui lui tenait compagnie dans sa vie de célibataire. Ils firent leur petite balade vespérale. C’était souvent en marchant, lors de simples promenades au bord du lac ou de longues randonnées en montagne, que Féra trouvait ses meilleures idées.

Au retour, Féra se doucha, se changea et prit dans sa cave un Gamay de Savoie qui se marierait bien avec le risotto.

Quand il arriva chez elle, Claudia le gratifia d’un rapide baiser sur la joue et le remercia pour le vin. Puis elle lui proposa de passer directement à table pendant qu’elle finissait de préparer le repas.

— Sers-nous un verre de Gamay en guise d’apéritif.

Le risotto aux cèpes du Revard, cuit à point, était une petite merveille et faisait honneur aux origines italiennes de Claudia. Quand ils en furent aux fromages, vrai Gruyère suisse et Bleu de Gex, Féra fit à Claudia le récit des événements. Elle prit des notes et Féra voyait son intérêt s’éveiller au fil de son compte rendu.

— Mais c’est passionnant ce que tu me racontes là. Je sens que je vais sortir un papier du tonnerre sur cette enquête, si du moins tu m’y autorises.

— Non seulement je t’y autorise mais je souhaiterais aller plus loin : je voudrais que tu m’aides à faire publier la photo de la morte dans Le Dauphiné et dans les grands quotidiens nationaux.

— Pour Le Dauphiné ce sera fait après-demain si tu m’apportes la photo demain. Pour les autres quotidiens, je ne te promets rien mais j’appellerai quelques amis. Vu le sujet, il y a des chances pour que ça les intéresse.

— Merci Claudia. Le problème essentiel pour moi c’est l’identification de la victime. Vu tout ce que m’a dit Valin sur elle, je doute que la morte ait vécu dans la région ou qu’elle soit connue de la police. Notre seul espoir est que quelqu’un, quelque part, la reconnaisse.

— Je vais également tenter le coup auprès de TF1. On ne sait jamais. Ils m’ont déjà, comme tu le sais, repris des infos.

Féra promit à Claudia qu’il lui ferait passer les photos de la jeune femme le lendemain par Durieux. Il prit ensuite rapidement congé. Il avait envie de se retrouver seul. Claudia le comprit très bien et ne chercha pas à le retenir.

Il appréhendait un peu la nuit et ses rêves. Mais il dormit normalement, calmement, sans que le spectre de la morte ne vienne déranger son sommeil. Juste au matin, il sentit une chose humide sur son nez. Mais c’était seulement la truffe de Pluche qui, avant que le réveil ne sonne, venait lui donner un petit coup de langue matinal.

IV

Pour aller au Revard, il opta pour une tenue classique seulement complétée d’un lourd pardessus à la Maigret et de chaussures à semelle épaisse pour pouvoir marcher dans la neige. D’habitude, c’était cette période de repérage sur les lieux qu’il préférait au cours d’une enquête. C’était à ce moment-là que les choses commençaient à se mettre en place, que lui venaient les premières intuitions, qu’il entrait progressivement dans l’affaire. Il n’était pas, comme Renaud, féru d’informatique. Il lui fallait rencontrer les gens, arpenter les lieux, s’imprégner de l’environnement du crime.