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En février 1998, Alain le rationnel, Didier le boute-en-train, Jean-Pierre le meneur et David le discret au passé trouble s’élancent pour leur traditionnelle expédition de ski hors-piste. Leur objectif : la mystérieuse montagne appelée « Crocomorphattack des neiges », réputée maudite. Ce qui devait être une aventure entre amis bascule dans l’horreur lorsqu’un monstre ancestral aux yeux de braise émerge de la neige. Prisonniers du blizzard et de la légende, les quatre compagnons voient leurs certitudes vaciller. Entre révélations enfouies et survie, chacun devra affronter bien plus que la peur. Un roman fantastique glaçant, où l’amitié se mesure à la terreur.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Alain Bodel explore les frontières du réel et de l’imaginaire avec une plume nourrie de légendes, de montagne et de mystère. Passionné par la nature sauvage et les histoires qui font frissonner, il puise son inspiration dans les souvenirs d’enfance et les récits oubliés. "Crocomorphattack des neiges – La terreur de la montagne maudit" est l’une de ses incursions les plus saisissantes dans l’univers de la peur.
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Seitenzahl: 480
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Alain Bodel
Crocomorphattack des neiges
La terreur de la montagne maudite
Roman
© Lys Bleu Éditions – Alain Bodel
ISBN : 979-10-422-8027-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ils étaient cinq amis.
Ils étaient cinq garçons, un petit groupe d’amis qui avait pris pour habitude de partir skier ensemble chaque hiver. Bien sûr, il fut une époque où – étant très jeunes – ces parties d’un plaisir commun se faisaient alors sous l’égide de parents protecteurs et indulgents. Les années ayant passé – à une allure que jamais un père et une mère ne soupçonnent – devenus des adolescents puis de jeunes adultes, c’est seuls qu’ils eurent la permission de partir pratiquer leur sport favori ensemble, préparant chacune de leurs « expéditions » le plus sérieusement du monde. Ils savaient toujours où ils allaient précisément se rendre et ne manquaient jamais d’en tenir informé au moins un de leurs parents, ou bien une personne bien connue du village de la montagne qu’ils avaient choisie.
Leur matériel personnel, c’est avec le plus grand soin qu’ils le préparaient, qu’il s’agisse des chaussures, des skis ou des vêtements qui se devaient d’être adaptés et à la neige et aux grands froids.
Rien du matériel nécessaire au petit groupe n’était non plus laissé au hasard : abris pour la nuit en montagne – une tente pour deux personnes – sacs de couchage calorifuges, nourriture et boissons pour quatre, deux réchauds à gaz – pour le cas où l’un des deux ne tombe en panne – torches électriques et lampes de survie, balises de détresse et, surtout, barres énergétiques.
Bref, rien, absolument rien ne passait au travers des mailles du filet de cette préparation plus que minutieuse, le tout vérifié et revérifié à chaque fois par une personne différente, car tous les quatre savaient – pour avoir vécu cette douloureuse expérience – que la montagne peut tuer…
***
Ils n’étaient encore que des adolescents – certes déjà âgés de dix-sept ans – à cette époque, mais leur mémoire jamais n’oublierait ce qu’il advint d’un des leurs, un jour de cet hiver 1988.
Il se prénommait Xavier et il était un peu leur « chef » – ayant quatre ans de plus qu’eux – ce qui lui avait valu le surnom bien amical de « Papy ».
Quatre années qui auraient dû lui faire don de beaucoup plus de prudence et de sagesse en la matière, mais ce ne fut – hélas – pas le cas puisque, par une superbe matinée ensoleillée de décembre, sans prévenir qui que ce soit au village – apparemment pas même l’un de ses amis de toujours ni aucun de ses proches – il décida de partir en solo afin d’assouvir sa véritable passion pour le ski hors-piste.
Personne jamais ne le revit. Où était-il allé skier ?
Que lui était-il arrivé ?
Avait-il chuté au bas d’une falaise, se tuant sur le coup ?
S’était-il cassé un membre pour ensuite succomber à ses blessures dans les nuits glaciales de la montagne ?
Avait-il été emporté par une avalanche ? Avait-il chuté au fond d’une crevasse, skiant sur l’un de ces redoutables « ponds de neige » qui ne font que masquer une faille ?
Autant de questions qui restèrent et resteraient certainement à jamais sans la moindre réponse.
Nul autre skieur n’avait croisé son chemin : le mystère demeurait entier.
Une semaine plus tard, les secours ne purent qu’abandonner les recherches : nul ne pouvait survivre plus longtemps dans les nuits glaciales de la montagne en hiver.
Son corps demeura introuvable et – dans le cimetière de ce tout petit village montagnard qui était le sien – une simple croix de bois sur laquelle était gravé son nom semblait vouloir toucher le ciel, placée sur un petit monticule de terre que sa famille fleurissait, sans tombe qui aurait pu abriter ne fût-ce qu’une relique.
Et tous les habitants du village – anciens, jeunes à qui l’on avait parlé de cette tragédie vieille de dix années déjà, adultes dans la force de l’âge – tous les habitants se souvenaient encore de ce drame, à plus forte raison ses quatre amis puisque – à eux cinq – ils formaient alors un petit groupe bien sympathique, apprécié de tous, à la fois chahuteurs et rêveurs au grand cœur, mais toujours plein de bons sentiments pour autrui et de bon sens dans leur vie.
Les quatre amis en question se prénommaient Alain, Didier, Jean-Pierre et David.
Quatre jeunes hommes, intrépides et parfois insouciants dans leurs jeux de jeunesse – mais au grand jamais dans leur activité sportive – lesquels décidèrent, pour cette saison hivernale qui s’annonçait plus que prometteuse en neige et en soleil, de partir skier au sommet d’une montagne pas tout à fait comme les autres, ne fût-ce que de par son nom : « Crocomorphattack des Neiges ».
En effet, depuis déjà bon nombre de décennies, bien des rumeurs – plus ou moins fantaisistes, surprenantes, voire terrifiantes – circulaient au sujet de cette montagne et tous ceux qui avaient osé un jour s’y aventurer jamais n’en étaient revenus. Ce qui ne faisait qu’alimenter le moulin aux rumeurs.
Les anciens du village racontaient – à qui voulait bien les écouter – que cette montagne était maudite et qu’un crocodile géant, aux yeux aussi rouges que les braises dans l’âtre de la cheminée, dévorait tous ceux qui avaient l’outrecuidance de violer son propre territoire, sa Montagne.
Mais, comme beaucoup de jeunes gens de leur âge, Alain, Didier, Jean-Pierre et David ne prêtaient qu’une oreille fort distraite à tout ce que les gens pouvaient bien raconter, encore moins aux rumeurs et aux légendes qui eurent tôt fait d’enflammer le minuscule village installé à quelques kilomètres du pied de cette fameuse montagne.
Malgré l’insouciance liée à leur âge – et encore n’étaient-ils insouciants que pour des choses sans réelle grande importance, futiles dirons-nous – ils savaient garder les pieds sur terre, contrairement à bien des adultes censés avoir un comportement beaucoup plus mature qu’eux.
Les préparatifs avaient été menés « tambour battant » et tout était fin prêt pour leur Grande Expédition.
Cependant que David, lui, ne se sentait pas très rassuré. Quelque chose l’effrayait énormément dans cette sortie en montagne qu’ils s’apprêtaient à réaliser, quelque chose dont lui seul avait le secret.
Aussi, prenant son courage à deux mains, demanda-t-il à ses amis de choisir une autre destination pour faire du ski durant ces vacances d’hiver, bien qu’il soit malgré tout un peu tard pour changer de programme.
Après tout, ils auraient bien d’autres occasions pour revenir sur cette montagne que tous qualifiaient – à tort ou à raison – de maudite. Ce n’était pas là leur unique opportunité de faire la connaissance de cet endroit à la réputation tout à la fois fascinante et terrifiante.
Mais Alain, Didier et Jean-Pierre lui rétorquèrent :
« David ! Cesse donc de te faire du souci pour des “broutilles” ! Que veux-tu qu’il nous arrive là-bas ? Nous avons bien des fois skié sur les pentes de montagnes autrement plus dangereuses que celle-ci ! Il n’y a vraiment pas de quoi “en faire une montagne” ! »
Et les trois amis de David partirent d’un fou rire communicatif, pas peu fiers du jeu de mots qu’ils venaient de trouver.
Jeu de mots qui ne sembla pas vraiment du goût de David, lequel n’esquissa pas même l’ombre d’un sourire, les yeux rivés sur la montagne qui les attendait.
« Ce sont tout simplement les habitants du village qui répandent toutes ces rumeurs, lesquelles alimentent toutes ces légendes, et ainsi de suite… poursuivit Jean-Pierre.
De cette façon, ils s’évitent de voir affluer beaucoup trop de touristes dans leur minuscule village durant les vacances d’hiver ! Et à eux la tranquillité ! Ils gardent “Leur Montagne” pour eux tous seuls !
Non, j’ai simplement comme un très mauvais pressentiment quant à cette expédition. Je ne saurais comment t’expliquer ce que je ressens, ni pourquoi…
C’est bien la première fois que tout ceci m’arrive, leur répondit-il, sentant ses joues rougir du mensonge.
Tope là ! » conclut-il, tendant la main à David.
Celui-ci le regarda alors droit dans les yeux avec une bien étrange lueur de tristesse et de frayeur mêlées qui firent aussitôt froid dans le dos d’Alain, lequel sentit sa propre gorge se nouer de compassion pour son ami en souffrance. Et David – complètement à contrecœur – finit par taper dans la main tendue d’Alain qui n’avait pas sourcillé, malgré ce qu’il avait ressenti de la détresse de son ami d’enfance.
« Eh bien voilà ! Tu vois ? C’est pas sorcier !
Allez, détends-toi un peu mon ami. Je suis sûr qu’il n’y a aucun danger et que nous allons passer des vacances fantastiques !
Inoubliables même ! »
Alors David se tut, observant ses amis – ses amis d’enfance, insouciants malgré eux –, muré qu’il était dans le silence de ce lourd secret qu’il portait en lui depuis bien longtemps déjà, sans pouvoir le moins du monde s’en délivrer sous peine de rompre une promesse sacrée, faite il y avait de cela de bien nombreuses années.
Pensant avoir bien rassuré leur ami et à cent lieues de s’imaginer quel cauchemar les attendait – bien patiemment – tout au sommet de la montagne, Jean-Pierre prit alors de nouveau la parole et dit à ses amis : « Bien ! Allons donc dîner ! Il nous faut nous coucher tôt ce soir, car, demain matin, nous devrons partir dès les premières lueurs de l’aube. Et la route sera très longue. »
Alain, Didier, Jean-Pierre et David rejoignirent ainsi la petite auberge du village – village situé à quelques kilomètres de la montagne où ils escomptaient bien s’adonner aux joies du ski hors-piste – auberge dans laquelle ils avaient réservé une table de quatre personnes pour le dîner du soir même et chacun une chambre particulière pour la nuit.
Ils prirent place à table, attendant le repas avec autant d’impatience qu’une meute de loups affamés.
Enfin, le dîner leur fut servi et nos quatre amis d’enfance se jetèrent littéralement sur leur assiette, se délectant d’une succulente tartiflette sans décrocher un seul mot.
Même Alain – qui avait pourtant pour habitude, avant chaque repas qu’ils avaient partagé ensemble – de prononcer, debout devant son assiette fumante, cette phrase un tantinet sentencieuse, mais – à ses yeux – plutôt sortie de la magie de son enfance :
« Quand on mange, on se tait, et quand on se tait, c’est que c’est bon ! » resta silencieux ce soir-là, le nez dans son assiette, la fatigue et la faim se faisant tellement ressentir qu’il ne pensa pas une seule seconde à sacrifier à son rituel favori.
Une bonne heure plus tard, le corps repu, l’esprit reposé et une fois l’addition réglée, chacun regagna sa chambre et tous s’endormirent paisiblement…
… Tous sauf un, David, qui n’avait de cesse de tourner et tourner encore dans son lit, ne parvenant pas à trouver un sommeil salutaire et sombrant dans d’horribles cauchemars à chaque fois que Morphée tendait vers lui – telle une offrande – ses bras apaisants et protecteurs : dès que David réussissait à s’assoupir ne serait-ce que quelques brèves secondes, un monstrueux crocodile aux yeux rougeoyants surgissait devant lui, accompagné de son maître, lequel n’était autre que…
… Xavier.
Soudain à bout, excédé, il se leva et décida d’aller rejoindre Alain dans sa chambre, celle-ci se trouvant être tout à côté de la sienne.
Il frappa délicatement à sa porte. Une voix ensommeillée lui répondit :
« Oui ? Qu’est-ce que c’est ?
Nous te l’avons tous expliqué par A plus B.
Comment faut-il te le dire ? En “petit chinois” ? Ce n’est qu’une légende parmi tant d’autres ! Et il n’y a rien de plus sur cette montagne que sur toutes les autres où nous avons déjà skié ! »
Cependant, tout en lui parlant, commençant à être excédé au vu de l’heure plus qu’avancée de la nuit, Alain vit bien cette terreur mêlée de tristesse qui avait envahi les yeux de David.
La gorge nouée par l’état dans lequel se trouvait son meilleur ami d’enfance, ayant mal pour lui, il accepta bien volontiers de le laisser dormir dans sa chambre pour la nuit en lui précisant bien qu’il ne fallait sous aucun prétexte en souffler mot aux autres, Didier et Jean-Pierre en l’occurrence.
La lumière éteinte, sentant tout près de son lit la présence d’Alain qui ronflait déjà, David parvint enfin à trouver le sommeil, se blottissant avec délice dans les bras de Morphée.
***
Le lendemain matin arriva.
Déjà levé depuis une bonne heure, Jean-Pierre s’en vint frapper à la porte d’Alain – qui sortit presque aussitôt – puis à celle de David : mais là, personne ne répondit.
C’est alors qu’Alain dit, s’adressant à Jean-Pierre :
« Ce n’est pas la peine de frapper à sa porte : David a débarqué dans ma chambre, il y a déjà plus d’une vingtaine de minutes. Il t’a coiffé au poteau mon petit Jean-Pierre ! ajouta Alain pour attirer Jean-Pierre sur son terrain favori : la plaisanterie et les jeux de mots.
À peine un quart d’heure plus tard, Alain et David retrouvaient Jean-Pierre et Didier qui les attendaient pour le petit-déjeuner ensemble.
« Alors les amis, bien dormis ? demanda Didier à Alain et David sitôt que ces deux derniers se furent installés avec eux à table.
Vingt minutes plus tard, une fois le petit déjeuner englouti, Alain se leva de table et dit à ses amis :
« Nous nous retrouvons dans une heure devant le hall d’entrée de l’auberge ? Chacun d’entre nous doit prendre une bonne douche avant de partir, car la route sera longue et la prochaine douche bien lointaine !
Les uns après les autres, nos quatre amis regagnèrent chacun leur chambre afin de se doucher et de récupérer tous leurs effets personnels puis – environ une heure plus tard – Alain, Didier et Jean-Pierre attendaient en bas, devant le hall : mais David manquait toujours à l’appel.
Alain, n’ayant pas oublié combien la nuit avait été éprouvante, effrayante même, pour son ami, s’apprêtait à remonter pour le chercher quand David fit enfin son apparition.
« Mais qu’est-ce que tu étais en train de trafiquer David ? s’enquit alors Didier.
Nul n’insista auprès de David et chacun prit son sac à dos.
Après avoir chargé le coffre de la voiture de toutes leurs affaires, ils montèrent à bord du véhicule de Jean-Pierre – la voiture la plus fiable et la plus robuste des quatre – et prirent aussitôt la route, direction la très fameuse montagne appelée – à tort ou à raison – « Crocomorphattack des Neiges », afin d’arriver avant la nuit et de profiter enfin de vacances bien méritées en se livrant à leur sport favori : le ski hors-piste.
***
Après des heures et des heures de route, Jean-Pierre – le chauffeur – prit la décision de s’arrêter afin de faire une pause : la monotonie de la route tout en ligne droite – n’ayant pas encore atteint les lacets montagneux – apportait avec elle un danger non négligeable : la somnolence.
Garant la voiture sur une aire de repos, tous les quatre en descendirent afin de se dégourdir les jambes puis David sortit du coffre de la voiture un thermos de café ainsi que leur glacière.
Un grand café bien chaud et de bonnes petites brioches au beurre – de fabrication locale, cela allait de soi – eurent tôt fait de redonner forces et courage à nos quatre compagnons et, au bout d’une demi-heure, David replaça tout le matériel dans le coffre de la voiture puis ils reprirent la route, admirant au passage de magnifiques paysages montagneux restés sauvages, recouverts d’une confortable épaisseur de neige fraîche tombée durant la nuit précédente.
De longues heures s’écoulèrent encore avant qu’ils n’aperçoivent – dans le lointain horizon – un sommet pas tout à fait comme les autres, car le faîte des sapins qui le couronnaient formait comme une fourche : là se trouvait le sommet de « Crocomorphattack des Neiges ».
Ils continuèrent de suivre la route unique qui partait – tout en virages – en direction de la montagne et, quelques kilomètres plus loin, un large sentier se présenta à eux sur leur droite, signalé par une pancarte bien rudimentaire sur laquelle était inscrit :
« Crocomorphattack des Neiges » suivi d’une flèche rouge, non moins rudimentaire. David – qui avait, depuis leur départ, relayé Jean-Pierre dans la conduite de la voiture – mit le clignotant droit en marche et se gara prudemment sur le bas-côté de la route, accotement rendu très instable par les chutes, abondantes et consécutives, de neige durant les derniers jours passés.
« Eh bien, les amis ! dit alors Jean-Pierre.
Qu’est-ce que vous en dites ? Il semblerait que l’on soit enfin arrivé à destination, non ?
À moins que quelque plaisantin ne s’amuse à décorer l’entrée des chemins forestiers de pancartes “bidon”, je crois que nous y sommes enfin parvenus ! David ? Tu en dis quoi ? »
Mais David ne répondit pas à son ami.
Tassé sur lui-même derrière le volant de la voiture, il fixait la pancarte d’un air absent.
« David ? répéta Didier, un peu plus fort.
Dis-moi David, n’y aurait-il pas quelque charmante damoiselle là-dessous ?
N’en aie surtout aucune honte. Il n’y a pas de honte à être peiné de la mort d’un être cher, même dix ans après. C’est normal.
Toujours, nous penserons à lui. Ce qui m’interpelle c’est pourquoi tu en parles spécialement pour cette expédition-ci, précisément celle-ci ? Pourquoi n’en as-tu jamais parlé pour les autres, pour toutes celles que nous avons déjà faites depuis sa disparition, et Dieu sait que nous en avons faites en dix années. Alors pourquoi celle d’aujourd’hui ? Y aurait-il quelque chose que tu saches et que nous autres nous ignorions ?
Des rumeurs, des racontars, rien de plus.
Aurais-tu peur de la rumeur, toi David, toi notre étoile ?
Oublie donc tout ça. À propos de mal au cœur, veux-tu un sucre avec un peu d’alcool de menthe ?
On y va alors ? Par contre David, je vais reprendre le volant : tu ne connais pas suffisamment ma voiture pour grimper tout en haut de ce sentier forestier complètement enneigé.
Jean-Pierre remit aussitôt le moteur de la voiture en marche, dégagea délicatement le véhicule du bas-côté recouvert de neige fraîche où David s’était garé et s’engagea alors dans le sentier signalé par la pancarte de bois.
Le chemin n’était nullement déneigé et celle-ci, tombée au fil des jours, avait fini par former un tapis d’une bonne cinquantaine de centimètres d’épaisseur qui était quelque peu verglacé, ce qui rendait sa pratique de plus en plus périlleuse, tant la pente qui sillonnait au milieu d’une haie d’honneur de superbes sapins se faisait de plus en plus forte.
Une fois parvenus au bout du sentier – non sans mal - ils se retrouvèrent alors sur une sorte de petite place avec, face à eux, un grand panneau sur lequel était écrit en lettres capitales d’imprimerie :
« E I N T E R D I K T I O N D’A N T R E R – D E N G E R D E M O R T »
Interloqués, Alain, Jean-Pierre, Didier et David se regardèrent en silence.
Voilà qu’ils se trouvaient enfin arrivés à destination avec un accueil qu’ils étaient à cent lieues de s’imaginer.
Mais, le plus gêné des quatre était sans aucun doute Jean-Pierre qui – depuis le départ – s’était évertué à persuader ses amis que toutes les rumeurs qui circulaient à propos de « Crocomorphattack des Neiges » n’étaient qu’histoires à dormir debout et n’avaient nulle raison d’être.
Or, cette pancarte se trouvait être – ni plus ni moins – que la confirmation de faits réels et non de simples rumeurs.
Passée la surprise d’une telle découverte, Jean-Pierre se ressaisit et, s’adressant à ses amis :
« Eh bien ! Vous parlez d’un accueil ! Je me demande bien qui a pu avoir l’idée saugrenue de mettre une telle pancarte à cet endroit !
— Elle n’est peut-être pas aussi saugrenue que cela, cette idée, lui rétorqua David, qui voyait soudain là une magnifique opportunité de faire changer ses amis d’avis et de faire demi-tour, chose dont il rêvait depuis le début.
On sait tous que tu ne tiens pas à aller skier sur les pentes de cette montagne, mais nous sommes quatre et – concrètement parlant – rien ne justifie ni les rumeurs ni cet écriteau, bourré de fautes d’orthographe par-dessus le marché ! Didier, qu’est-ce que tu en penses ?
Que fait-on ? On fait demi-tour, on renonce à nos vacances ?
Personne ne réagit à ses paroles, mais elles avaient quelque part – malgré tout – frappé les esprits de Jean-Pierre, de Didier et d’Alain.
« Bien, reprit Jean-Pierre. Nous n’avons toujours pas résolu notre dilemme. Nous sommes quatre amis d’enfance, des problèmes, nous en avons rencontrés et jamais nous ne nous sommes battus pour cela. Ce n’est pas une raison pour que cela commence aujourd’hui.
Donc, si je résume bien la situation, deux sont d’avis de franchir cet écriteau malgré tout – toi, Didier, et moi-même – et deux sont d’avis de faire demi-tour et de passer nos vacances ailleurs, si toutefois il est encore possible de le faire à la dernière minute – toi David, depuis le début et toi, Alain. Mes amis, je ne vois pas d’autre solution que le tirage au sort. Qu’en dites-vous ? Nous remettons la décision entre les mains de notre Destin.
Jean-Pierre ouvrit aussitôt la boîte à gants de sa voiture, en sortit une feuille de papier qu’il partagea en huit morceaux et, avec un crayon bois – l’encre de son stylo à bille ayant gelé dans la voiture – il se mit à écrire « non » sur quatre morceaux de papier et « oui » sur les quatre derniers.
Il ôta son bonnet, plia consciencieusement les huit morceaux de papier, les déposa dans le fond de son bonnet, secoua énergiquement le tout puis, s’adressant à ses trois amis :
« Le “NON”, cela veut dire que nous repartons tous, le “OUI” veut dire que nous restons tous. Tout le monde est d’accord ? »
Les trois têtes acquiescèrent, tous étaient parfaitement conscients des conséquences de ce qui avait l’apparence d’un jeu, mais qui n’en était nullement un, et, chacun leur tour, plongèrent une main – les yeux fermés – dans le bonnet que leur tendit Jean-Pierre.
Celui-ci fut le dernier à se saisir d’un morceau de papier.
Il posa le restant des morceaux de papier enfermés dans son bonnet à ses pieds, sur le plancher de la voiture et dit alors :
« Voilà. Maintenant, que chacun déplie son morceau de papier et lise à haute et intelligible voix ce qui est écrit dessus.
Didier ?
— Bien, c’est moi qui vais faire pencher la balance en faveur du “Oui” ou nous faire revenir au point de départ » conclut-il alors.
Jean-Pierre prit une profonde inspiration, ses trois amis retenant la leur, puis il déplia le morceau de papier qu’il avait tiré dans son bonnet :
« Eh bien mes amis, j’ai un “oui”. Donc, nous passons tous nos vacances ici… Tout en restant sur nos gardes et très prudents », ajouta-t-il en s’adressant à Alain, le plus sensé des quatre.
C’est ainsi que nos quatre amis passèrent outre l’avertissement écrit qui leur était donné – ceci guidés par leur destin – et que, remontant dans la voiture, ils franchirent allègrement l’accès interdit, faisant au passage un petit signe de la main à l’inscription du panneau de bois planté au sommet du sentier, petit geste qui pour eux signifiait :
« Salut ! On y va quand même ! »
L’avertissement du panneau de bois était déjà bien loin dans leur mémoire, excepté pour David et pour Alain, chez qui la sagesse l’emportait sur la « folle équipée ».
Mais, malgré cela, tous – même Alain au début récalcitrant avait fini par oublier ce sinistre présage, la fièvre du ski ayant eu tôt fait de balayer le côté raisonnable de sa personnalité – n’avaient à présent qu’une seule idée en tête : chausser leurs skis et dévaler les pentes enneigées.
Tous…
… sauf David, qui regardait le paysage sans réellement le voir, une immense tristesse au fond des yeux.
Ils roulèrent alors très lentement sur le chemin, au beau milieu de sapins plusieurs fois centenaires recouverts d’une épaisse couche de neige toute fraîche, et pouvaient entrevoir – entre les troncs épars – les pentes enneigées de « Crocomorphattack des Neiges » qui semblaient n’attendre qu’eux pour enfin dessiner, dans leur épais manteau blanc, les empreintes de leurs skis et de leurs snowboards.
Jean-Pierre au volant conduisait très prudemment et veillait à ne pas déraper tant la route était verglacée et – surtout – étriquée : un simple écart, un malencontreux coup de volant dans la mauvaise direction, et la voiture aurait alors glissé en contrebas, s’abîmant au passage contre des sapins bien plus solides qu’elle.
Visitant ainsi l’immense forêt de « Crocomorphattack des Neiges » – avec, à leur droite, une pente impressionnante sur laquelle d’immenses sapins se redressaient malgré le poids de la neige, retenant la terre de la montagne, et à leur gauche, une montée non moins raide qui conduisait tout au sommet de la montagne – ils apercevaient à présent le refuge bâti en ces lieux insolites bien des années auparavant pour servir d’abri aux montagnards surpris par une tempête de neige ou bien par un orage durant la saison estivale.
Tout de bois vêtu, le refuge disparaissait presque complètement sous l’épaisse couche de neige qui s’était accumulée depuis le début de l’hiver.
Mais l’on parvenait tout de même à voir la petite fenêtre, fermée par des volets d’un très joli vert tendre ainsi que la moitié de la porte – qu’ils auraient à dégager s’ils voulaient pénétrer à l’intérieur – surmontée d’une sculpture de bois – peinte en vert elle aussi – représentant un skieur.
« C’est pas mignon ça les amis ? s’exclama alors Jean-Pierre.
Vous imaginez le tableau ? Moi, je sens déjà l’odeur du feu de bois et du fromage fondu !
Dix jours de pur bonheur !
Jean-Pierre commença alors à ralentir – même si sa vitesse ne dépassait pas le vingt kilomètres/heure – pour pouvoir s’arrêter sans glissade incontrôlée quand, soudain, des cris absolument terrifiants surgirent de nulle part.
Jean-Pierre arrêta subitement la manœuvre qu’il venait tout juste d’entamer et, silencieux, regarda ses amis les uns après les autres.
« C’était quoi ça ? chuchota Didier.
La route étant bien trop étroite pour y effectuer un demi-tour dans des conditions normales, Jean-Pierre dut maintes et maintes fois s’activer à la fois sur le volant et sur le levier de vitesse – passant sans cesse de la première vitesse à la marche arrière – pour enfin parvenir à orienter à peu près la voiture dans le sens du départ, prévu pour le 22 février, soit tout juste dix jours plus tard.
Mais, tout à coup, les cris entendus une première fois retentirent de nouveau dans le silence glacial de la forêt, des cris si terrifiants qu’Alain, Jean-Pierre, David et Didier en eurent – cette fois-ci – le sang glacé d’effroi.
« Dis, Jean-Pierre, il a l’air de se rapprocher ton ours. T’as pas un pot de miel pour lui ? » plaisanta Didier qui commençait à rire de plus en plus jaune.
Et c’est alors que nos quatre amis – figés sur les sièges de la voiture, horrifiés par une vision surréaliste – virent au loin un énorme monstre qui avait tout l’air de se diriger droit sur eux.
Paralysés par la peur, aucun d’entre eux n’était en mesure d’avoir ne fût-ce que la plus infime réaction.
Mais, c’est à cet instant précis qu’un homme surgit de la forêt de sapins, se rua vers la voiture de nos jeunes amis et se mit à hurler à leur intention, eux qui étaient littéralement rivés sur leur siège :
« Sortez ! Bon sang, mais sortez vite de la voiture ! Il va tous vous tuer ! »
Ni Jean-Pierre, ni Didier, ni Alain n’eurent la moindre réaction. Seul David, l’air bien éveillé, regardait le monstre qui arrivait sur eux d’un air à la fois effrayé et farouche.
Mais il ne réagit pas plus que ses amis et ne bougea nullement de son siège.
« Eh ! Mais sortez de la voiture ! Vite ! » se remit à crier l’inconnu, encore plus fort.
Au bout de quelques secondes, Alain finit par réagir : il se mit à secouer violemment ses amis et les poussa l’un après l’autre afin qu’ils sortent le plus rapidement possible du véhicule.
Jean-Pierre et Didier, complètement tétanisés, mirent plusieurs minutes – qui parurent interminables à Alain – avant que de ne réagir enfin et de se précipiter hors du véhicule, indemnes.
David, quant à lui, avait quitté l’habitacle de la voiture bien avant Alain et, campé sur ses deux jambes, regardait fixement la créature monstrueuse qui se rapprochait d’eux dangereusement.
Et il était grand temps qu’ils ne s’extirpent du véhicule, car – à peine quelques secondes plus tard – le monstre géant d’un bond surgit et propulsa le véhicule dans les airs tel un vulgaire château de cartes.
C’est alors qu’il fit subitement volte-face et aperçut là – à moins de quinze mètres derrière lui – nos quatre amis totalement effarés, ainsi que cet homme, prénommé Albert, dont l’arrivée providentielle les avait tous sauvés d’une mort effroyable et certaine.
Tout à coup, ce dernier se mit à leur crier de toutes ses forces :
« Allez ! Vite ! Courez ! Courez le plus vite possible ! Et ne vous retournez surtout pas ! Sous aucun prétexte ! »
Personne ne chercha à discuter les ordres de cet homme surgi de nulle part qui se mit alors à courir, courir de toute la force de ses jambes – dans la direction du refuge – suivi de très, de très près même par Alain, Jean-Pierre, Didier ainsi que par David et qui n’avaient – en cet instant précis, oubliant le joli chalet de bois où ils devaient s’installer confortablement pour y passer leurs vacances – qu’une seule idée en tête : à aucun moment ne perdre de vue cet homme littéralement tombé du ciel, pour ne pas tomber dans les griffes de cet horrible monstre qui venait de les prendre en chasse tous les cinq et qui – à une vitesse plus que fulgurante – avait déjà rattrapé les quelques longueurs de retard qu’il avait sur eux, les talonnant à présent, l’air farouchement décidé à ne point laisser s’échapper ses proies.
Une course-poursuite infernale venait de s’engager, une course-poursuite que nul ne saurait s’imaginer : cinq hommes – vêtus de leurs combinaisons de ski – qui couraient à perdre haleine pour tenter d’échapper à une créature dantesque, mi-crocodile, mi-dragon, avec de grands yeux terriblement rougeoyants qui lui donnaient un regard d’une force infernale inouïe.
Tout à coup – une fois dépassé le refuge d’une bonne dizaine de mètres – un chemin très escarpé qui semblait serpenter jusqu’au sommet de la montagne – se présenta.
Mais, contre toute attente, Albert – suivi comme son ombre de ses quatre protégés – ne l’emprunta pas, préférant prendre la décision de le contourner, pensant ainsi pouvoir semer la créature qui les talonnait.
Hélas, les événements ne se déroulèrent pas comme il l’avait prévu : loin de perdre leurs traces, le monstre – contrairement à toute attente – continua de les poursuivre.
Aussi, parvenu à quelques mètres du chemin soigneusement contourné, Albert soudain sauta de l’autre côté de celui-ci et, là, sa tactique s’avéra payante : le monstre géant le prit alors en chasse.
Puis, tentant d’attraper Albert, l’horrible créature perdit tout à coup l’équilibre et chuta en contrebas du chemin, à seulement quelques mètres d’eux.
À plusieurs reprises, il tenta de remonter la pente abrupte et enneigée, mais cela lui fut impossible : sa trop grande taille et son poids faisaient qu’il glissait à chaque fois encore plus bas.
C’est ainsi qu’après de nombreuses et vaines tentatives, le monstre géant jeta l’éponge et s’en fut, abandonnant pour un temps la partie engagée en poussant de sourds grondements de colère.
Il était certain que – tôt ou tard – il allait revenir à la charge pour mettre ses horribles griffes sur les proies repérées et qu’il avait dû abandonner provisoirement, bien malgré lui, après être resté dans la totale incapacité de remonter cette pente plus qu’abrupte.
***
Bien des heures s’étaient écoulées depuis la course-poursuite infernale qui s’était fort heureusement bien terminée.
Des heures et des heures passées à marcher, marcher encore et encore dans une épaisse couche de neige fraîche.
Vaille que vaille, Alain, Jean-Pierre, Didier et David poursuivaient leur chemin, à la fois soulagés et inquiets, car – intuitivement – ils savaient que la partie était encore bien loin d’être gagnée : le monstre reviendrait, cela était plus que certain.
Et Albert, cet inconnu salvateur, muet comme une carpe, ne leur dit alors rien qui puisse leur donner ne serait-ce qu’une once d’espoir quant à la suite des événements : le monstre, même s’ils ne le voyaient plus, n’était pas loin et son flair affiné et dévastateur ne tarderait pas à le remettre, tôt ou tard, sur leurs traces.
Seul David avait une attitude pour le moins étrange, différente de celle de ses amis.
Certes, tout comme eux, la vue de cette horrible créature l’avait impressionné au plus point et la peur lui tenaillait le ventre.
Certes, il ne pensait – tout comme Jean-Pierre, Didier et Alain – qu’à « sauver sa peau », instinct de survie que rien ne peut empêcher de surgir des profondeurs de l’âme humaine quand la vie est menacée.
Cependant, David se comportait comme si tout cela s’avérait relever d’une logique implacable, événements non pas incroyables, mais parfaitement cohérents.
Cohérents ? Mais avec quoi ?
Ou avec qui ?
Cet énigmatique jeune homme de trente et un ans n’avait cessé d’intriguer ses amis depuis qu’ils s’étaient retrouvés à l’hôtel de la station de ski. Et rien, pas un mot, pas une explication n’était venue éclairer la pauvre lanterne éteinte de Jean-Pierre, Didier et d’Alain.
Tout au plus avaient-ils reparlé de Xavier, mystérieusement disparus, il y avait de cela dix années déjà, et dont le souvenir les hantait toujours, même après tout ce temps passé.
Personne ne savait où il était parti skier, personne ne savait comment il était mort – si tel était le cas – et pourtant David semblait en savoir plus long que tout le monde sans jamais avoir dit quoi que ce soit à quiconque à ce sujet.
David suivait ainsi le mouvement, marchant derrière Alain qui commençait à faiblir et lequel tentait, malgré tout, de ne pas laisser la distance s’allonger entre lui et le duo Jean-Pierre/Didier qui ne lâchait pas Albert d’un pouce.
Ce n’est qu’à l’issue d’un bien pénible parcours qu’ils parvinrent enfin au sommet de « Crocomorphattack des Neiges ».
Albert – en tête de cette surprenante expédition – s’immobilisa alors subitement, faisant un signe d’arrêt et de silence à ses quatre protégés.
Nos quatre amis l’imitèrent et quelle ne fut pas leur surprise de se retrouver devant l’entrée d’une sorte de grotte.
Ils regardèrent Albert – l’air tout à la fois étonné et interrogateur – et ce dernier leur expliqua à voix basse :
« Voici ma cachette. Cette grotte n’est qu’en partie naturelle : cette ouverture que vous voyez dans la roche de la montagne a été faite – il y a bien longtemps de cela maintenant – durant la Seconde Guerre mondiale, alors que la région subissait à cette époque d’intenses bombardements de la part de la “Luftwaffe” – puisque cette montagne, qui ne portait pas encore le nom de “Crocomorphattack des Neiges”, mais se nommait “Le Mont-Saint-Pierre”, en hommage à Pierre, un pionner du ski qui perdit la vie sur ses pentes enneigées aux environs du milieu du XIXe siècle, servait de refuge à un très grand nombre de maquisards et de réfractaires au STO. Je l’ai découverte tout à fait par hasard, bien avant que de ne faire connaissance avec le sinistre personnage que vous avez entr’aperçu et, lorsque je me suis retrouvé coincé ici – tout comme vous, sans aucun moyen de communication pour signaler ma détresse aux gens du village – je m’y suis replié et j’ai alors pu constater que le monstre ne pouvait pas en franchir le seuil, trop étroit pour sa taille gigantesque. J’ai également découvert que c’est un ruisseau souterrain qui a creusé cette grotte, cela durant des milliers d’années, et qu’il existe d’innombrables…
Non, ils ont envoyé, à plusieurs reprises, un hélicoptère qui avait pour mission de survoler la zone et de tenter de me localiser.
Je l’ai bien entendu par ailleurs : à chacune de ses interventions, il a tournoyé au-dessus de “Crocomorphattack des Neiges” un très long moment, prenant tous les angles d’approche possibles et imaginables. Mais le charmant guide qui vous a accueillis tantôt ne m’a pas laissé ne fusse qu’une seule et unique opportunité de leur signaler ma présence.
Nous sommes en plein cœur de l’hiver, un hiver plus que glacial cette année et d’ici peu de temps, ils vont abandonner les recherches – si ce n’est déjà fait – estimant, non sans juste raison d’ailleurs, que je n’ai plus la moindre chance de survie dans la neige et dans le froid… Mais, laissons cela, voulez-vous ? Il y a bien d’autres priorités pour le moment : la première, se mettre tous les cinq à l’abri. Mon modeste refuge est le vôtre : soyez-y les bienvenus ! Vous allez enfin rompre la pesante solitude du vieil idiot que je suis !
Allez vite ! Entrez à l’intérieur ! » murmura Albert.
Nos quatre amis se précipitèrent alors dans la grotte – suivis de près par Albert qui refermait la marche – et se dirigèrent au fond de celle-ci.
Ils étaient exténués, les uns tout autant que les autres, et tous les cinq s’assirent sur le sol de la grotte en poussant un immense soupir de soulagement.
Albert leur proposa gentiment et de bon cœur une boisson chaude que tous acceptèrent bien volontiers : tous les quatre avaient grand besoin d’un peu de réconfort après ce qu’ils venaient tout juste de vivre.
Albert alluma un bon feu de bois et leur fit chauffer des racines d’arbres. Il recueillit de la neige pour la faire fondre et obtenir de l’eau pure et – au bout de quelques minutes – les servit l’un après l’autre.
« Voyez-vous, les racines de cet arbre que j’ai trouvées, émergeant d’une des parois de cette grotte, ont un bon goût sucré et sont en plus bourrées de vitamines. La nature – pour peu que l’on se donne la peine de chercher – sait vous offrir tout ce dont vous avez besoin pour survivre, leur expliqua Albert.
Et David replongea aussitôt le nez dans son bol fumant.
C’est alors que – à son tour – Albert leur demanda :
« Pourquoi diable vous êtes-vous aventurés jusqu’ici ? Depuis de bien nombreuses années, plus personne ne se hasarde au sommet de “Crocomorphattack des Neiges” ! »
La même raison qui vous a poussé – j’en suis sûr – à venir jusqu’à cet endroit pour le moins « spécial » : le ski. Je me trompe ? suggéra alors Alain.
Voici Jean-Pierre, à côté de lui, se trouve Didier. Moi, je m’appelle Alain et voici, juste derrière moi, David. Nous sommes quatre amis de toujours, inséparables tout comme les doigts de la main, lui dit Alain. Nous nous connaissons depuis l’âge de 5 ans ! Et nous en avons plus de trente aujourd’hui… En fait, nous étions cinq il y a dix années de cela, cinq ainsi que les cinq doigts d’une main.
Mais ceci est une tout autre histoire.
Je disais donc, poursuivit Alain, s’adressant à Albert, que – tout comme vous – nous sommes quatre passionnés de ski hors-pistes et nous avons un jour incidemment entendu parler de cette montagne, « Crocomorphattack des Neiges ».
C’est pour cette raison que, cette année, nous avons décidé – d’un commun accord – de venir passer nos vacances de février ici, tous les quatre.
Quelques kilomètres plus bas, en arrivant, poursuivit-il, nous avons bien vu un panneau de bois sur lequel était écrit vulgairement :
« INTERDICTION DE RENTRER DANGER DE MORT » inscription bourrée de fautes d’orthographe par ailleurs ! Je pense que cela a un peu contribué au fait que nous avons passé outre ce sévère avertissement : si tout avait été écrit sans la moindre faute, assorti d’une signature ou du nom d’un organisme quelconque, ou d’un arrêté mentionnant le nom du maire de votre commune ou – mieux encore – d’un arrêté préfectoral interdisant de façon formelle l’accès à « Crocomorphattack des Neiges » et stipulant que toute intrusion ne pouvait qu’être considérée que comme étant à nos risques et périls, peut-être aurions-nous réfléchi plus sérieusement au problème. Et encore, je n’en suis même pas sûr, tant nous sommes passionnés et – en tant que tels – quelque part inconscients et aveuglés par notre passion.
Donc, nous n’avons nullement tenu compte des mises en garde des gens de votre petit village ni de l’avertissement de ce panneau, croyant que tout ceci n’était là que légendes et rumeurs quelque peu fantaisistes comme il en court tant dans les petites stations de ski telles que la vôtre. Et nous avons décidé de franchir la limite interdite.
Seulement, quelques mètres plus loin – alors que nous roulions tranquillement et plus que prudemment en direction du charmant refuge dans lequel nous devions passer nos vacances – nous avons tout à coup entendu des cris si violents et si terrifiants que nous en avons eu, tous les quatre, froid dans le dos. Et Dieu sait que nous ne nous effrayons pas d’un rien.
Et lorsque ces cris sinistres ont retenti pour la seconde fois, nous avons alors pris la décision de tenter un demi-tour de façon à retourner la voiture dans le sens du retour – nous étions en effet, à cet instant, tout près du refuge – pour le cas où nous nous trouverions dans l’obligation de partir subitement.
Mais le chemin étant très, très étroit, Jean-Pierre a dû s’y prendre à de nombreuses reprises pour pouvoir – non pas faire demi-tour – mais tout au moins positionner la voiture le plus possible en travers et diriger dans le sens du retour.
Et c’est à ce moment-là que nous avons aperçu au loin ce monstre, qui semblait foncer droit sur nous et que vous êtes soudain intervenu, impuissants que nous étions, ne pouvant que rester là, dans la voiture, tétanisés par la peur. Vous êtes arrivé, vous avez frappé avec insistance à la vitre de notre voiture tout en nous criant de sortir le plus vite possible. J’ai alors repris mes esprits et j’ai pu pousser mes amis au-dehors. Et nous vous avons suivi dans votre fuite.
Voilà toute notre histoire… jusqu’ici. Albert, dites-moi, poursuivit Alain, pourquoi diable êtes-vous venu sur cette montagne, vous qui saviez ce qui se passait ici ? Et comment cela se fait-il qu’il n’y ait personne aux alentours ? Tout est complètement déserté, nous n’avons pu voir que quelques bâtisses, apparemment abandonnées depuis des années et des années ! Et quelle est cette espèce de monstre géant qui sème la terreur ?
— Oh là ! Jeune homme ! Pas tout à la fois !
Commençons par le commencement, veux-tu ?
Déjà – vous l’avez sans doute remarqué – nous ne sommes pas du même âge : mes trente ans sont bien loin, tu sais ! Mais peu importe. Ce n’est pas ce qui a fait que j’ai eu plus de jugeote que vous…
Voyez-vous, je suis moi aussi un passionné de ski hors-piste et je rêvais, depuis de très nombreuses années, de venir en ces lieux isolés et sauvages, quelque peu atypiques, mais aussi « magiques » – il faut bien se l’avouer – pour assouvir cette passion. Tout comme vous, l’on m’a mis en garde, tout comme vous, l’on m’a dit que personne jamais n’était revenu de « Crocomorphattack des Neiges » et qu’il ne fallait surtout pas se hasarder en ces lieux, car cela ne revenait ni plus ni moins qu’à mettre sa propre vie en grand danger, venir en ces lieux c’était tout simplement… mourir.
Au début, j’ai bien tenu compte de ces sages conseils et j’ai alors mis à profit cette interdiction – enfin, ces conseils de sage prudence – pour plonger dans l’étude de l’histoire de cette montagne, son passé, pour me renseigner sur toutes ces rumeurs qui couraient à son sujet.
Puis, la passion a été plus forte que tout et je n’ai pu résister à l’envie d’y venir.
C’est ainsi que me voilà aujourd’hui devant vous, bloqué en ces lieux par l’horrible créature que vous avez vue tout à l’heure.
Mais avant tout cela, poursuivit Albert, j’ai appris bien des choses quant à l’histoire de cette montagne et aux légendes qui entourent son nom.
Il y de cela des milliers d’années, poursuivit Albert en regardant Alain droit dans les yeux, vivaient ici – en paix et en parfaite harmonie – un homme et une Déesse qui s’aimaient à la folie.
Mais, les autres Dieux et Déesses de l’Olympe ne voyaient pas d’un très bon œil cet amour illicite et ne pouvaient tolérer une telle situation : Dieux et Déesses se devaient de rester entre eux, nul n’ayant le droit ne serait-ce que de fréquenter le monde des mortels – encore moins d’aimer un mortel avec tout ce que cela implique – et d’enfreindre cette loi qui régissait l’Olympe, le domaine des Dieux.
Cependant, chaque soir, à la nuit tombée, une Déesse – prénommée Déesilor – descendait sur Terre pour y rejoindre son bien-aimé, un être humain, et donc mortel, prénommé Crocoman.
Mais, une nuit, une autre Déesse – la Déesse des Nuages – surprit Déesilor quittant en cachette l’Olympe afin de descendre sur Terre retrouver Crocoman, l’homme qu’elle aimait et le seul être humain à être éperdument tombé amoureux d’elle.
Aussitôt, la Déesse des Nuages s’en fut rapporter aux autres Dieux et Déesses de l’Olympe ce qu’elle venait tout juste de découvrir.
Ces derniers, furieux de l’attitude pour le moins laxiste et irresponsable de la Déesse Déesilor – qui avait tout bonnement trahi leur confiance et enfreint sans scrupules la loi sacrée de l’Olympe en allant s’accoupler avec un simple mortel – prirent alors la décision d’organiser un Conseil des Sages aux seules fins de juger de cette grave infamie.
Ils convoquèrent donc la Déesse Déesilor ainsi que son bien-aimé, le mortel Crocoman.
Questionnant la Déesse fautive quant à la raison de cette gravissime trahison, elle leur répondit alors simplement en ces termes :
« Mais je n’ai enfreint nulle loi, je n’ai agi que par amour. »
Ainsi, elle expliqua au Conseil des Sages comment – chaque nuit – elle descendait sur Terre en ajoutant :
« Crocoman, mon bien-aimé, ne savait même pas que j’étais une Déesse de l’Olympe et il ignore donc tout de notre loi, celle-là même qui nous interdit de fréquenter le monde des humains. Je ne dois être que la seule fautive aux yeux des Sages de l’Olympe, Crocoman n’y est absolument pour rien dans tout cela, il est innocent et je vous supplie de le traiter comme tel. »