Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
"D’ici et d’ailleurs" est un recueil de nouvelles qui déploie une mosaïque de destins, tissée d’émotions profondes et de réflexions subtiles. Ses personnages vous entraînent au gré de leurs parcours, des vallées du Val de Loire aux cimes des Vosges, des plaines infinies de Beauce aux terres empreintes d’histoire d’Alsace. Mais le voyage ne s’arrête pas aux frontières de la France : il s’étend bien au-delà, vers l’Angleterre, le Moyen-Orient, l’Inde et la Chine, explorant les âmes et les territoires avec la même intensité. Entre itinéraires intimes, drames poignants et rencontres inoubliables, ce recueil esquisse une fresque humaine où passé et présent s’entrelacent.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Universitaire, écrivaine et pastelliste,
Evelyne Hanquart-Turner cultive depuis l’enfance une passion pour l’écriture. Son amour des belles lettres a façonné son parcours académique et professionnel, la conduisant d’abord à l’étude de la littérature française et anglaise, avant de l’ouvrir aux richesses littéraires de l’Inde anglophone.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 144
Veröffentlichungsjahr: 2025
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Evelyne Hanquart-Turner
D’ici et d’ailleurs
Nouvelles
© Lys Bleu Éditions – Evelyne Hanquart-Turner
ISBN : 979-10-422-6583-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Brèves de conte, Le Lys Bleu Éditions, Paris, 2022.
Il était arrivé le 25 décembre alors qu’on ne l’attendait pas, le dernier de la fratrie. Il était si petit, qu’il avait échappé à l’œil pourtant exercé du vétérinaire lors de l’échographie. Ils étaient tous à table à festoyer joyeusement sans plus se préoccuper des naissances. La mère s’occupait, elle, de ses quatre frères et sœurs qui déjà tétaient à petits bruits lorsqu’il fit son apparition, deux fois plus petit qu’eux, mais bien déterminé à vivre. Si minuscule, qu’il était cependant trop faible alors pour se saisir d’une mamelle face à la compétition. Elle le prit dans le creux de sa main, le sécha et entreprit de le nourrir. Du lait maternisé dans une seringue, plus tard dans un biberon. Toutes les deux heures, jour et nuit, pendant une quinzaine de jours avant qu’il puisse se joindre aux autres pour accéder au lait maternel. Mais les autres, deux fois plus gros que lui et voraces, ne lui faisaient pas la part belle. Sa nourrice continuait à lui fournir le supplément nécessaire jusqu’à ce qu’en se faufilant entre eux, il parvienne enfin à ses fins et à téter à sa faim. Il profitait bien, régulièrement, à son rythme et, signe que tout allait bien, sa mère lui consacrait la même attention, les mêmes soins qu’aux autres plus dodus et robustes. Plus dodus certes, mais pas plus vifs que le petit dernier. Il avait en effet un tel désir de vivre, de persévérer dans son être, qu’il faisait preuve d’une grande énergie malgré sa taille.
Cette année-là, les « S » étaient de mise. Ils le baptisèrent donc Shogun avec une certaine tendresse admirative et un peu ironique pour cette belle détermination à vivre et grandir. À côté de ses frères et sœurs, il était petit mais il ne le savait pas. Il évoluait au même rythme et avec les mêmes appétits, mais deux fois moins. Cela ne l’empêchait pas de chahuter et de se bagarrer avec eux, même s’il avait le dessous. Cela n’entamait pas sa confiance en lui et ce chiot miniature marchait, trottait, courait dans les herbes folles ou les sentiers de terre d’un pas assuré, la queue frétillante, les oreilles bien droites et le museau joyeux. Il était gai et câlin, c’était un plaisir de le voir, de le prendre et de caresser cette petite peluche « black and tan », chaude, vivante et si heureuse de vivre.
Quand ils eurent trois mois, arriva le temps de la séparation. Ses frères et sœurs partirent pour leur nouvelle vie auprès des familles qui les avaient choisis. Shogun n’était pas à vendre. Ils avaient décidé de le garder, tant par attachement pour ce petit être qui leur avait demandé tant de soins que pour sa personnalité attachante et sa beauté. En effet, Shogun était un petit chien superbe, bien proportionné, bien dans son corps et bien dans sa tête. Petit modèle certes, mais on nourrissait de grands espoirs pour lui.
Vint l’été de ses six mois. C’était maintenant un chien juvénile, toujours plein d’ardeur et de vivacité, toujours aussi attachant et Ils en étaient fiers. Le verger était son lieu de prédilection. Il y jouait et se chamaillait avec les autres, se cachait dans les herbes, croquait les fruits tombés sans vergogne, aboyait et poursuivait les oiseaux suffisamment hardis pour venir picorer leur part. Mais, ce qu’il aimait vraiment par-dessus tout, c’étaient les grandes balades dans les champs où tous couraient à fond de train, dans les herbes ou sur les chemins, prétendant poursuivre un mulot ou une musaraigne, jusqu’à en perdre le souffle. Après une heure ou deux, ils rentraient tous détendus et ravis, à la recherche de la dalle la plus fraîche pour s’affaler mollement et soulager les coussinets fatigués, les petits ventres encore haletants. C’était pur bonheur. Pur bonheur aussi, le soir, alangui sur Ses genoux pour se laisser caresser, La regardant avec amour, en s’endormant presque, bercé par le son de Sa voix qui raconte les événements petits ou grands de la journée. La vie est douce alors…
C’était aussi l’âge où il avait perdu ses dents de lait et sentait pousser les autres. Expérience un peu ennuyeuse mais qui ne lui coupait pas l’appétit. Pourtant, ce fut le moment où les nuages s’assombrirent au-dessus de sa tête. Ils observèrent bientôt que, contrairement à ses dents de lait parfaitement alignées, les nouvelles n’étaient pas aussi régulières. C’était fâcheux, mais on allait bien voir quand tout se serait stabilisé. Cela ne s’arrangea pas. C’était maintenant extrêmement fâcheux, car les grandes espérances qu’ils avaient nourries pour Shogun se trouvaient plus que compromises. En effet, seul un chien parfait, avec une dentition parfaitement alignée, pourrait devenir un étalon et donc produire de petits Shogun tout aussi parfaits qu’il avait promis d’être. Il n’y a pas d’orthodontiste pour chien, et ce défaut manifeste serait immanquablement sanctionné par le Juge qui déciderait ainsi du sort de Shogun lorsqu’il aurait un an.
Ils étaient déçus et tristes, car chaque chien dans l’élevage avait un rôle, un métier, étalon ou lice. Si Shogun ne pouvait pas être étalon, que faire de lui ? On ne pouvait pas avoir un « rentier » au milieu de tous ceux qui gagnaient leurs croquettes. Lui, rationnel et pragmatique, pensait, se résignait à le vendre malgré l’affection qu’ils avaient pour lui. Elle qui avait passé maintes nuits à le nourrir et veiller sur sa croissance lui était encore plus attachée, hésitant à se séparer de ce petit être plutôt exceptionnel. Les sourcils froncés et le cœur gros, Ils pensaient à l’avenir du petit chien insouciant et charmant qui continuait à gambader ici et là dans le verger en toute innocence.
Pour son premier anniversaire, Shogun était toujours là. Mais les semaines passant, Il évoquait de plus en plus souvent une séparation qui conduirait Shogun à vivre chez des inconnus si aucun de leurs familiers ne voulait le prendre. Enfin, pour le moment, rien n’était encore fait. Shogun était toujours là, fidèle à lui-même, à son bel entrain et à son affection pour ses maîtres et leurs visiteurs ; la queue toujours frétillante, les oreilles bien dressées et son manteau « black and tan » toujours aussi luisant. C’était vraiment un beau chien au regard intelligent et doux, attirant, car son défaut importait peu aux non spécialistes.
Un nouveau printemps. Un retour aux plaisirs du jardin. Ce jour-là, Petit Paul était venu déjeuner avec ses parents. Pour le petit garçon, c’était toujours une joie de venir chez Eux, car il y avait de l’espace pour courir sans contrainte et de nombreux petits chiens prêts à courir et jouer avec lui. Après le dessert, Paul était en liberté dans le verger. Seul, lui avait-on dit, le tas de bois lui était interdit. Il courait, sautait comme un fou, excité par les chiens sur ses talons. À eux, on n’avait rien dit. Ils escaladaient le tas de bois à toute vitesse pour en descendre aussitôt. Dans l’excitation du jeu, Paul oublia tout. Ce qui devait arriver arriva. Les bûches se mirent à rouler en dégringolant et Paul avec elles. En pleurant et boitant un peu, petite écorchure au genou, il partit chercher quelque réconfort auprès des adultes. Au lieu de cela, comme visiblement rien de grave ne lui était arrivé, il n’eut droit qu’à un peu de mercurochrome plus quelques paroles bien senties, sévères et moqueuses. Mortifié par ces reproches inattendus plus que par son écorchure ou sa chute, le petit garçon, qui avait quand même aussi un peu mal, partit s’asseoir tout seul et pleurer dans un coin du jardin. Au bout de quelques instants, Shogun arriva à petits pas, doucement, et posa sa patte sur la cuisse de Paul avec un petit gémissement. L’observant d’un regard doux et compatissant, il se mit à lui lécher la main. Paul, attendri par cette unique manifestation de sympathie pour son humiliation et sa douleur, se mit à caresser le chien et bientôt tous deux retrouvèrent une certaine sérénité mâtinée de caresses et de léchouilles affectueuses.
Elle avait observé la scène de loin et soudain, elle eut une fulgurance, une illumination ! Mais oui, c’était ça ! Voilà ce qu’il fallait faire ! Dès le lendemain matin, Elle téléphona à son amie Carine. Psychologue, celle-ci s’intéressait à la médiation animale.
C’est ainsi que Shogun devint psychothérapeute.
Dans la librairie, tout à coup, ce parfum qui n’avait pas caressé mes narines depuis des années. Shalimar, de Guerlain… Une dame d’un certain âge achetait le dernier Goncourt. Cette fragrance fugitive avait aussitôt dessiné une image, un souvenir, que certains trouveront banal, mais qui pour moi avait marqué une période importante de ma vie paisiblement banale. Un souvenir ancien qui soudain renaissait dans l’évanescence d’un parfum.
Je les voyais tous les jours dans ma rue. Pendant des années, tous les matins et les après-midi lorsque j’étais chez moi. Dans cette petite ville provinciale aux hauts murs de tuffeau où les rues sont plutôt vides, cette présence régulière était assez remarquable, et probablement remarquée par d’autres que moi derrière leurs fenêtres. Lui, un petit Yorkie, la tête haute et la queue en panache, trottinait allègrement à ses côtés. Elle, élégante et svelte silhouette en pantalon, marchait d’un pas ferme, souple et régulier, son catogan de cheveux sombres dansant à peine sur ses épaules droites.
Le matin, ils se dirigeaient vers la partie animée, le centre de la ville, avec ses boutiques et son marché du lundi. Pourtant, il était clair qu’ils n’allaient pas vraiment faire leurs courses, le journal peut-être et quelques croissants ou chouquettes tout au plus. Non, c’était le temps d’une promenade matinale que le petit chien semblait apprécier tout particulièrement. Lorsque je les voyais passer en fin d’après-midi, la dame choisissait l’autre direction, celle qui les conduirait vers les champs ou les ruines de l’ancien monastère où ils étaient sûrs de ne rencontrer personne.
Cela faisait maintenant des mois que j’étais le témoin régulier de cette scène dont la régularité même attisait ma curiosité, en fait depuis que j’avais arrêté de travailler à l’extérieur et me retrouvais de bon matin à mon bureau du rez-de-chaussée, observatoire idéal avec une large vue sur une bonne longueur de rue. Si ma fenêtre était ouverte, je percevais dans leur sillage un parfum subtil mais puissant dans sa délicate persistance, un parfum que je percevais comme élégant et cher mais que mon ignorance ne me permettait pas d’identifier. La dame, le petit chien, le parfum, image précise et pourtant plaisamment mystérieuse pour un esprit imaginatif et curieux.
Cette présence familière et pourtant anonyme ne pouvait pas le rester pour toujours. Après plusieurs mois de curiosité perplexe et d’appels à une retenue de bon sens, j’entrepris donc un jour d’être déraisonnable et de la suivre à distance pour voir où elle habitait et d’apprendre peut-être ainsi qui elle était.
Je n’eus pas à la suivre longtemps. Après avoir tourné deux ou trois fois dans les rues sinueuses et étroites, bordées de hauts murs, elle s’arrêta devant un haut et lourd portail de fer qu’elle entrebâilla aisément pour laisser passer le petit chien et sa propre silhouette. Sans un regard alentour, elle referma le portail d’un geste familier. Je me retrouvai seul dans une rue déserte. Les murs de la propriété étaient hauts comme la plupart de ceux de la petite ville. Seuls dépassaient la canopée d’un superbe vieux tilleul et le toit d’ardoise d’une maison de taille moyenne. Dans l’alignement du mur, une unique fenêtre donnait sur la rue au rez-de-chaussée comme au premier étage. Il était clair que la vie des occupants était tournée vers l’intimité de la maison et de son jardin, non pas vers la vie extérieure de la ville.
Cette filature, que j’espérais discrète, inaperçue, ne m’avait guère permis d’en savoir plus sur la dame au petit chien. À ma curiosité s’ajoutait maintenant une bonne mesure de perplexité. Elle semblait vivre seule avec le petit chien. Aucun bruit ne s’échappait hors des murs qui aurait pu témoigner d’une plus grande activité. Comme la rue était déserte et que je ne me sentais pas observé, j’attendis un long moment pour voir, ou plutôt pour entendre, si quelque chose allait se passer. Enfin, le son étouffé d’un piano, puis plus clair – on avait dû ouvrir une fenêtre – se répandit dans l’air paisible de la rue. C’était une valse de Chopin, puis une autre, une autre encore, un enregistrement, probablement d’un grand artiste, qui maintenant remplissait l’espace avec douceur et donnait vie à cette demeure, à cette rue déserte que je n’arrivais plus à quitter. Puis brutalement le silence. Le disque était fini, la magie brisée. Songeur, je retournai chez moi et me remis, non sans mal, à travailler.
Un matin, alors que je les avais aperçus au bout de la rue, je décidai de sortir comme par hasard, et de la saluer. Lorsque j’arrivai à sa hauteur, je lui adressai un chaleureux « bonjour » comme il est naturel dans les villes de province lorsqu’on croise des inconnus. Elle me répondit tout aussi naturellement avec un sourire discret qui me fit tout de suite comprendre pourtant qu’elle n’avait nulle intention d’entamer la conversation. Mais, dans l’immédiateté de cet échange, j’avais remarqué chez cette femme d’un âge certain la franchise et la jeunesse de son sourire et surtout l’éclat de son regard qui semblait émaner de la profondeur de l’être. De grands yeux d’un bleu clair mais intense, un regard lumineux et perçant qui révélait une fraîcheur d’être et une chaleur humaine derrière cette apparente réserve et cette courtoisie bienséante. Curiosité et perplexité se trouvaient maintenant dépassées, j’étais en train de tomber sous son charme, tout en pressentant que sa réserve demeurerait sans faille. La dame au petit chien resterait pour moi cette mystérieuse apparition quotidienne qui certes me réjouissait le cœur mais dont je n’avais rien à attendre de plus. Nous nous saluerons aimablement lors de nos rencontres, mais comme visiblement elle se suffisait à elle-même, nous en resterons toujours là.
Il y eut d’autres matins, d’autres après-midi, où nous nous croisâmes, comme par hasard, et nous saluâmes toujours selon ce même rituel. La dame n’avait visiblement aucune intention de s’attarder pour plus ample conversation.
Les mois passèrent jusqu’au jour où ma sœur vint me rendre visite. C’était l’été, la fenêtre de mon bureau était ouverte et nous discutions de choses et d’autres comme deux personnes qui ne se sont pas vues depuis longtemps. La dame et le petit chien vinrent à passer comme à leur habitude. Observant que j’avais fait une pause imprévue dans mes propos, ma sœur ayant vu les passants, sourit d’un air que je trouvai un peu trop entendu : « Shalimar… de Guerlain… » Ce fut son unique commentaire. Je ne relevai pas – qu’allait-elle imaginer ? – mais lui fus intérieurement reconnaissant d’avoir apporté cette réponse à une question que mon inexpérience en matière de parfum avait laissée ouverte pendant des mois ! L’impression d’élégance et de raffinement que m’avait donnée la dame, sa silhouette, ses goûts musicaux maintenant affirmés par plusieurs passages devant sa propriété, était à nouveau confirmée par ce parfum célèbre. Je ne savais toujours pas qui elle était, mais j’en savais assez pour que ce mélange de familiarité et de mystère me satisfasse et, finalement, me séduise plus qu’une certitude.
Quelques mois passèrent encore, semblables aux précédents. Brutalement, mes activités professionnelles m’appelèrent impérieusement à Paris. Ce changement de vie n’était pas vraiment pour me plaire. J’aimais ma routine quotidienne, et la perspective d’une vie plus intense et nourrie d’imprévu n’était pas ce qui me réjouissait le plus. Cela ne devait durer que quelques mois. En fait, les quelques mois devinrent une année, puis deux, puis trois… Ma vie parisienne était si prenante que je ne pouvais penser à ma maison qu’avec nostalgie. Souvent, Les Regrets de du Bellay me venaient à l’esprit lorsque je pensais à ma chère maison des bords de Loire, à ma petite ville blanche, calme et fleurie.