Dans les abîmes du Gouf - Gérard Serrie - E-Book

Dans les abîmes du Gouf E-Book

Gérard Serrie

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Le Nautile, un bateau de pêche basé à Saint-Jean-de-Luz, sombre pendant un trait de chalut au-dessus du Gouf de Capbreton. Le patron Jean Lartigue et sa fille Pauline en réchappent de justesse grâce à l’intervention rapide des sauveteurs. Passé le temps de la stupeur, la jeune femme sollicite Steve, le plongeur de la SNSM avec qui elle a sympathisé, pour tenter de renflouer le bateau.
Les indices collectés par la petite équipe au fond du Gouf semblent pourtant de nature à contredire la thèse du simple accident.
Dès lors, des événements inquiétants se succèdent : naufrage du Chipiron qui leur sert de base pour les plongées, incendie de la crampotte sur le vieux port de Biarritz, et même tentative d’enlèvement. La vérité est-elle condamnée à demeurer immergée dans les entrailles du golfe de Gascogne ? De toute évidence, des forces insoupçonnées s’y emploient.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Aulnay-Sous-Bois en 1954, Gérard Serrie, ingénieur de formation, est romancier français.
Il est l'auteur de plusieurs romans, parmi lesquels Le secret de la valise perdue en 2018 aux editions Terres de l'Ouest.
C'est l'étude généalogique de sa famille qui l'amène à écrire son premier roman Rue du Grand Faubourg (2011). Puis trois livres se succèdent traitant du vol d'un tableau, du parcours initiatique d'un livre et de l'attentat du pape François.

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Gérard SERRIE

Dans les abîmes

du Gouf

Roman

Du même auteur :

Rue du Grand Faubourg, Édition privée, Tarbes 2011Le Voyage des Blanchisseuses, L’Harmattan, Paris 2012J’ai une âme, L’Harmattan, Paris 2014Celui qui sauva le pape François, L’Harmattan, Paris 2016Au bord du Gouf, L’Harmattan, Paris 2017Le secret de la valise perdue, Seignosse 2019

Tous droits réservés

©Editions Terres de l’Ouestwww.terresdelouest-editions.fremail : [email protected]

ISBN papier : 979-10-97150-57-0

Isbn Numérique : 979-10-97150-59-4

Cette histoire est une fiction librement inspirée de faits réels… Par conséquent, toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

L’espionnage serait peut-être tolérable s’il pouvait être exercé par d’honnêtes gens.Charles de Montesquieu

Nautile

Mois d’avril 2019.

Dès l’aube, le port de Saint-Jean-de-Luz grouillait d’activité. Les pêcheurs procédaient aux derniers préparatifs avant d’appareiller. Il ne fallait rien oublier. Jean ne faisait pas exception à la règle malgré son expérience de plus de trente ans. Il était occupé à ranger consciencieusement filets et flotteurs, manilles et bouts lorsque sa fille le rejoignit. Pauline lui claqua une bise puis déposa son sac dans la cabine. Jean avait l’âge de la retraite, mais conservait le Nautile, son petit chalutier de douze mètres, pour arrondir ses fins de mois. Tout du moins, c’est ce qu’il prétendait. La réalité était tout autre. Il ne pouvait supporter très longtemps l’absence des vagues, des embruns, de l’air iodé, et les cris des goélands. Abandonner l’océan lui était impossible. Il faisait partie de ces gens de mer qui n’envisageaient de quitter le bord que les pieds devant. Tout l’amour que sa femme Carmen lui consacrait ne pouvait rien y changer, d’ailleurs elle n’essaya jamais de l’en dissuader. Pompeusement honorée du titre de technicienne de surface, le travail de son épouse consistait à faire le ménage dans les bâtiments de la commune ou chez quelques particuliers aisés, contribuant ainsi à sa manière aux revenus du couple.

Jean avait initié Pauline à la pêche en mer depuis seulement quelques années. Mais la jeune fille avait démontré un grand potentiel et développé une passion pour l’océan au delà des espérances du père. Du haut de ses vingt ans, elle tenait maintenant le rôle de second. Le seul regret qu’il éprouvait, sans le faire remarquer, concernait le peu de temps que la jeune fille consentait à lui consacrer. Elle avait entamé sa deuxième année de droit à l’université de Bordeaux et ne partageait ces bons moments avec lui que le samedi. Les autres jours de la semaine, le jeune apprenti Carlito accompagnait le pêcheur.

Il fallait gagner le large avant que la marée descendante ne vienne compliquer les manœuvres de sortie du port. Jean prit la barre et Pauline largua les amarres. La météo clémente augurait d’une belle matinée en ce début de mois d’avril. La température ambiante n’excédait pourtant pas les 8 °C et l’océan offrait au regard du promeneur sur la plage une surface lisse comme celle d’un lac de montagne. Les conditions n’étaient pas toujours aussi favorables tout au fond du golfe de Gascogne, cul-de-sac de l’Atlantique où la houle adorait s’engouffrer.

Pauline s’activait sur le pont. Elle préparait les engins de pêche tandis que Jean, à la barre, faisait cap au 350 pour rejoindre la zone qu’il fréquentait habituellement, située quinze milles à l’ouest de Capbreton. Par ce beau temps, il ne leur fallut que quelques heures pour s’y rendre. Une fois sur place, Jean analysa les informations fournies par le sonar à la recherche de bancs de poissons. Il repéra une première zone et fit signe à sa fille de larguer le chalut. Tout était déjà prêt, elle laissa filer l’engin en veillant à ce que rien ne s’emmêle. Puis le capitaine vint lui prêter main-forte. Le trait dura environ deux heures. Ils remontèrent le train de pêche à bord avant de libérer les prises en dénouant le raban de cul. Une quantité impressionnante de poissons de toutes sortes rejoignit la cale dans une frénésie de gesticulations inutiles. Jean se chargea de les trier en rejetant à la mer les espèces non désirées ou les prises trop petites. Il plaça ceux destinés à la vente dans des casiers puis les couvrit de glace tandis que Pauline remettait le filet à l’eau en pratiquant les gestes techniques maintes fois répétés, comme le lui avait appris son père. Le marin regagna la cabine et remit les gaz pour entamer un second trait. L’afficheur du sonar laissait entrevoir un chalut de rêve. Jean positionna le chalutier dans l’axe de déplacement du banc. Le résultat ne se fit pas attendre. Les cris de Pauline traduisaient étonnement et satisfaction. Ils encouragèrent son père. Le filet faisait le plein tirant sur ses funes1. Le patron du Nautile réduisit les gaz. La jeune fille enclencha les commandes pour hisser le train de pêche à bord.

C’est à cet instant que tout bascula.

Le treuil ne parvint plus à relever le chalut alourdi. Sous l’extrême tension, le portique plia. Les crissements des parties mécaniques sous contraintes couvraient le cri des mouettes excitées par les prises qu’elles ne pouvaient encore atteindre. Jean stoppa les moteurs qui ne permettaient plus de faire avancer le navire ni de remonter le filet.

Alors, la poupe enfourna sous la charge. Pauline, déséquilibrée, fut précipitée à l’eau. Le chalutier se renversa et sombra dans un mouvement de vrille. Plusieurs dizaines de tonnes entraînaient inexorablement le chalutier vers le fond, emprisonnant Jean dans la cabine.

Perdition

Pauline suffoquait sous l’effet du froid et se débattait pour se maintenir à flot. En se retournant dans tous les sens, elle constata qu’il n’y avait rien en surface, pas un esquif, pas la moindre trace de son père. Elle hurla de toutes ses forces, de rage, de colère puis de chagrin. L’incroyable s’était produit. En une poignée de secondes, tout avait basculé. Le calme plat de l’océan soulignait ce drame dans un silence de cathédrale. Des larmes mêlées à l’eau salée ruisselaient sur son visage. Le Nautile avait sombré sans crier gare. Ce bateau, qui avait nourri sa famille pendant des lustres et parcouru au cours de son existence tant de milles nautiques dans des conditions parfois dantesques, gisait maintenant par le fond. Et maintenant, son père était coincé dans ses entrailles. Un profond sentiment de solitude et de découragement l’envahit. La jeune femme se sentit abandonnée, flottant tant bien que mal dans une eau glacée, avec pour seul horizon l’océan à l’infini, calme, froid et silencieux.

À quelques mètres de sa position, elle perçut un remous, puis une forme émergea comme un ludion fou. La bouche grande ouverte, dirigée vers le ciel, cherchait à emmagasiner la plus grosse quantité d’air possible. Jean ressuscitait.

Le marin avait réussi à s’extirper de la cabine et avait remonté en apnée les quelques mètres qui le séparaient de la surface, avant que le Nautile ne rejoigne les abysses. Pauline ne comprit pas tout de suite. Cette masse imposante, qui soudainement émergeait des flots en lui tournant le dos, lui fit peur. Elle eut un mouvement de recul lorsqu’il apparut d’une façon aussi spectaculaire qu’inattendue. Elle laissa son père reprendre son souffle et l’attira dans ses bras. Jamais elle n’avait eu autant de plaisir à le serrer contre elle. Pendant ces quelques secondes d’immersion, qui lui avaient semblé une éternité, la jeune fille était convaincue qu’elle ne le reverrait plus jamais. Elle le savait dans la cabine au moment du naufrage. En réchapper relevait du miracle.

Ils se tenaient tous les deux, là, au milieu de nulle part, dans une eau glacée, sans les équipements qui leur auraient permis de survivre très longtemps. Les événements s’étaient enchaînés si rapidement qu’ils n’avaient pas eu la possibilité de libérer le radeau de sauvetage resté sur son ber2.

Jean, reprenant ses esprits, scruta l’horizon dans l’espoir d’apercevoir quelque chose. Le calme plat de l’océan l’aida à repérer un objet flottant à une dizaine de mètres. En s’approchant, il distingua un petit éclat lumineux scintillant faiblement dans la clarté du jour. Cette découverte lui redonna espoir. La balise de détresse s’était déclenchée et le flash indiquait qu’elle émettait un signal. Ils avaient donc toutes les raisons de penser qu’on pourrait les secourir. Il fallait tenir le plus longtemps possible au milieu de cette onde liquide qui n’aspirait qu’à les avaler.

CROSS Etel

Le CROSS Etel reçut le message de détresse à 10 h 08. La procédure relevait presque de la routine : lancer un appel sur le canal 16 pour que les navires sur zone se déroutent vers le lieu du naufrage, contacter le président de la station SNSM la plus proche pour faire intervenir le canot de sauvetage. Celui de Capbreton – localement concerné – étant en maintenance, c’est le SNS 079 de Bayonne basé à Anglet qui fut chargé d’entreprendre les recherches. La difficulté de l’opération tenait à la température de l’eau en cette saison. Elle n’excédait pas les 12 °C ; le temps de survie ne dépasserait pas quelques heures.

Prévenu par le président, Claude, le patron du canot, envoya un SMS aux sauveteurs d’astreinte à 10 h 10. Moins de vingt minutes après la réception du signal de la balise de détresse, l’équipage constitué d’un patron, d’un chef mécanicien et de quatre équipiers, dont deux plongeurs, était maintenant opérationnel.

Sans connaître encore le but de l’intervention, les hommes du SNS 079 procédèrent à l’appareillage. Les objectifs détaillés de la mission seraient communiqués pendant le trajet. Claude nomma le bosco qui aurait la charge de commander la manœuvre sans y participer. Tous bénévoles, dopés par l’adrénaline, les sauveteurs se tenaient prêts à accomplir leur devoir. Claude les informa qu’un bateau de pêche avait déclenché sa balise de détresse. Après avoir quitté le port, les plongeurs s’équipèrent de palmes, combinaison, masque et tuba – comme c’était la règle dans ce cas – pendant que le canot s’engageait dans l’Adour avant de gagner le large.

Tenir le coup

Pauline se maintenait en surface grâce à la brassière qu’elle avait capelée3 comme à chaque fois qu’elle sortait en mer. Elle cramponnait Jean par la ceinture pour l’empêcher de couler. Le vieux pêcheur avait fait le choix de ne pas s’encombrer du gilet de sauvetage tout en connaissant parfaitement les risques qu’il encourait. Il n’avait cependant jamais imaginé être confronté à une telle situation.

— La balise est déclenchée, les secours ne vont pas tarder. Il faut tenir, le rassura Pauline, qui en même temps cherchait à s’en convaincre elle-même.

Jean resta muet, il semblait préoccupé. Elle sentit qu’il se débattait comme pour se débarrasser de quelque chose.

— Mais que fais-tu?

— Tiens-moi plus fort, ordonna-t-il.

Les mains sous la surface, il enleva sa botte droite puis la gauche.

— C’est un truc de marin. Je ne l’ai jamais testé.

Il leva la première au-dessus de sa tête, semelle vers le ciel, et la laissa se remplir d’air avant de l’immerger. Il fit de même avec la seconde. En glissant une botte sous chaque bras, il put ainsi améliorer sensiblement sa flottabilité.

— Tu vois, c’est simple, se justifia-t-il en tentant un sourire.

Pauline ne connaissait pas cette astuce et constata son efficacité. Même si elle ne pouvait pas lâcher complètement son père, l’effort nécessaire pour maintenir les deux corps en surface était nettement moins éprouvant.

Dans un sens, le calme plat les réconfortait. Un sauvetage dans ces conditions devait plutôt bien se passer ; cependant l’absence du moindre clapot leur permettait de scruter loin l’horizon, si bien qu’ils pouvaient se rendre compte que pour l’instant personne n’était en route pour les secourir. Ils ne doutaient pas que l’alerte avait été donnée. Ils craignaient que l’attente fût trop longue. Le froid commençait à envahir les extrémités de leurs membres en les engourdissant, puis gagnait insidieusement les muscles en les raidissant.

— Je n’aurais jamais dû t’entraîner avec moi.

— Tu ne m’as pas entraînée! C’est moi qui ai toujours voulu t’accompagner quand je le pouvais. Arrête de te culpabiliser, on va s’en sortir.

Tremblements et crampes se succédaient. Pauline devait exécuter quelques mouvements de nage pour maintenir les deux corps à flot malgré l’aide du gilet et des bottes. En faisant cela, elle perdait de précieuses calories. La consigne, dans ces conditions, était de se recroqueviller dans la position du fœtus et de ne plus bouger pour limiter le refroidissement. Jean le savait et comprit qu’ils ne pourraient pas résister très longtemps dans de telles circonstances. L’air s’échappait des bottes insuffisamment étanches. Après les avoir vidées plusieurs fois, Jean abandonna. La fatigue commençait à l’emporter.

— Pauline… tu vas devoir me lâcher, constata le marin impuissant.

— Qu’est-ce que tu racontes?

— On ne s’en sortira jamais tous les deux. Tu dois me lâcher pour survivre.

— Tu délires complètement! Oublie ça tout de suite.

— Il… il faut le rec… reconnaître. Garde tes… forces et laisse-moi!

— Jamais! Tu m’entends, je ne t’abandonnerai jamais, tu coules, on coule, hurla-t-elle à ses oreilles en l’agrippant de toutes ses forces par la ceinture.

— Tu dois…, tu dois…

Sans pouvoir terminer sa phrase, Jean perdit connaissance.

Sauvetage

— SNS 079 à CROSS Etel, nous avons un contact en visuel à moins d’un mille au nord, fit Claude après avoir ajusté ses jumelles.

— CROSS Etel à SNS 079, les pêcheurs qui le connaissent bien nous ont signalé par radio qu’il y aurait deux personnes à bord.

— SNS 079 à CROSS Etel, je ne vois qu’une tête, confirma Claude.

Sur cette mer d’huile, le canot évoluait à vive allure. Steve et Bob, les deux plongeurs se tenaient prêts à intervenir. Le canot de la SNSM rejoignit les naufragés en quelques minutes.

Tout l’équipage était mobilisé pour cette partie décisive du repêchage des navigateurs. Le pilote réduisit l’allure en décrivant un cercle autour de la cible qu’ils distinguaient maintenant clairement.

— Ils sont deux! hurla le bosco en les pointant du doigt. En effet, une tête cachait l’autre. Le canot manœuvra avec prudence, tandis que les plongeurs se mettaient à l’eau pour prêter assistance et rapprocher les naufragés de la coque.

Après avoir tenté, sans succès, de remonter l’homme à bord, un équipier jeta une barquette une fois goupillé à la potence. Il s’agissait d’une sorte de brancard en plastique rigide et léger sur lequel on pouvait aisément hisser un corps. Deux flotteurs latéraux permettaient de soutenir le tout. Christian souqua sur le palan en se faisant aider par le mécanicien. Jean fut extirpé de l’eau et déposé en douceur sur le pont. Il respirait très lentement. Charly, le secouriste le plus expérimenté, prit son pouls et informa ses coéquipiers de sa faible valeur.

Pendant ce temps, avec l’aide des sauveteurs, Pauline avait regagné le bord. Elle était épuisée, mais soulagée de savoir son père en sécurité, même si son état semblait préoccupant. Des souvenirs intenses lui revinrent en mémoire : ceux d’un papa attentif, aimant, humble, qui prenait le temps de lui expliquer les choses, de la soutenir chaque fois qu’une épreuve se présentait. En cet instant, ce père dévoué semblait avoir été terrassé par cet océan qui pourtant, lui avait tant apporté. Alors qu’il lui avait tenu la main à chaque étape importante de sa vie ces dernières années, c’était maintenant au tour de Pauline de lui tenir la sienne et de prendre soin de lui.

L’équipage transféra les deux rescapés en hypothermie dans la cabine, avant de les allonger sur les bannettes et de les déshabiller. Il fallait ôter les vêtements mouillés le plus vite possible. Jean était à demi conscient. Son effeuillage dévoila une peau grise et marbrée sur tout son corps. Sa fille, moins éprouvée, apparaissait très affaiblie. Ses propos incohérents n’inquiétaient pas Charly qui savait que cela pouvait se produire après de longues minutes dans l’eau glacée. Les deux pêcheurs furent enveloppés d’un drap en laine, tandis que les plongeurs abandonnaient leur équipement et enfilaient des vêtements secs. Consciencieux et professionnel jusqu’au bout, le patron avait manœuvré pour récupérer la balise de détresse du Nautile. Christian, le radio, l’enroula dans une couverture de survie en aluminium et la plaça dans le frigo du bord afin de rompre le signal, confirmant ainsi le sauvetage aux autres navires et mettant fin à toute recherche inutile. Puis il transmit l’état de la situation au CROSS Etel. Ils furent informés que les pompiers attendaient leur arrivée au port du Brise-Lames à Anglet.

— Il me faut des volontaires pour réchauffer nos passagers. Vous connaissez la procédure en cas d’hypothermie, précisa Claude.

Les regards se croisèrent sans la moindre remarque. Réchauffer les corps était une chose, mais les deux n’exerçaient pas la même attractivité. Bien que le contact ne se fasse que par vêtements interposés, s’allonger auprès du quinquagénaire ou rejoindre la jeune femme augurait de perspectives bien différentes. Claude, comprenant la situation, intervint. Il distribua les rôles sachant que chaque membre d’équipage était parfaitement aguerri au matelotage.

— J’ai besoin de Christian à la radio, du chef mécanicien et d’un équipier. Le bosco ne peut pas se porter volontaire.

Il ne restait donc que le secouriste et les deux plongeurs. Très logiquement, Charly serait chargé de gérer les gestes de secours et l’oxygène en cas de nécessité. Bob et Steve étaient donc tout désignés pour se fendre de cette tâche. Réchauffer une personne en hypothermie faisait partie intégrante de leurs attributions. Le patron fixa Bob du regard et pointa le doigt en direction du marin allongé. Le plongeur ne fit aucun commentaire et le rejoignit sur la bannette.

Steve, sans plus attendre, souleva délicatement la couverture de survie et expliqua ce qu’il allait faire à Pauline avant de se lover contre elle. Il ne voulait surtout pas que ses gestes puissent laisser place à la moindre ambiguïté. La jeune femme, encore sous le choc, ne réagissait pas. Il était difficile de savoir si elle comprenait ce qui lui arrivait. Le plongeur la prit dans ses bras en collant son corps contre le sien avec une légère brutalité volontaire en évitant toute marque de tendresse. Pourtant, ce corps féminin si proche n’aurait pas laissé Steve indifférent en d’autres circonstances. Ses pensées vagabondèrent puis furent vite réduites à néant. La jeune femme lui tournait le dos, mais surtout, elle était glacée.

Le canot évoluait à vive allure, secouant les passagers. Pauline recouvra progressivement ses esprits et ne chercha pas à s’éloigner de cette source de chaleur qui lui faisait tant de bien.

SNS 079 accosta à 11 h 10. Les rescapés furent transférés allongés dans les véhicules des pompiers, puis ils quittèrent le port à vive allure, toutes sirènes hurlantes, pour une évacuation vers l’hôpital de Bayonne.

De retour

La jeune femme chercha une sonnette près du portail grand ouvert, sans succès. Les nasses, filets et bouées qui jonchaient le sol indiquaient qu’elle se trouvait à la bonne adresse. En s’approchant de la maison, elle espérait que quelqu’un la remarquerait. Une barque renversée, calée avec un casier, bâillait en laissant traîner une chaîne. En observant le collier à son extrémité, la jeune femme supposa que cet endroit servait d’abri à un chien, actuellement en vadrouille. Sans être vraiment repoussante, une forte odeur de poisson séché imprégnait l’endroit, comme une signature qui en disait long sur le métier des propriétaires. Une camionnette et une remorque qui accusaient leur âge, mais encore en état de marche, occupaient une partie de la cour qu’elle traversa. Elle frappa au carreau de la porte qui donnait sur la cuisine. Un « Ouiiii » prolongé précéda l’apparition de Carmen. De petite taille, vêtue d’un tablier et d’un foulard sur la tête, la quinquagénaire espagnole se déplaça à petits pas pour aller ouvrir.

— Bonjour madame, je suis bien chez Jean Lartigue ?

— Que lui voulez-vous?

— Corinne Chaput, journaliste à Sud Ouest. J’aimerais parler à monsieur Lartigue, je suis sûre que son histoire intéressera nos lecteurs. On aimerait bien faire un article.

— Mon mari ne s’est pas encore remis. Il est toujours sous le choc. Lui et notre fille ont failli mourir, vous savez!

— Pauline, c’est ça? Je peux entrer?

— Oui.

Ne sachant pas si la réponse de Carmen concernait le prénom de sa fille ou l’autorisation d’entrer, la journaliste en profita pour franchir le seuil.

— Je suis contente que leur aventure se soit bien terminée, précisa-t-elle, d’un ton affable.

— C’est grâce aux sauveteurs, fit remarquer Carmen en tendant une chaise à Corinne Chaput. Sans eux, ils seraient morts d’hypothermie. J’ai eu très peur. Il me prévient toujours avec son téléphone portable lorsqu’il est en retard. Ce jour-là, sans nouvelles de sa part, j’ai compris tout de suite qu’il s’était passé quelque chose de grave.

— Votre mari vous a raconté?

— Non, il n’en parle pas, Pauline non plus. Je sais simplement qu’ils n’ont pas eu d’avaries, le naufrage est consécutif à un incident de mer, c’est tout ce qu’ils m’ont dit.

La journaliste avait saisi son carnet tout en poursuivant la conversation lorsque Pauline entra. Les présentations furent rapides. La fille du pêcheur s’installa face à Corinne Chaput en posant les deux coudes sur la table. Sa mère leur proposa à boire, sortit une bouteille de jus de fruits et une carafe d’eau du réfrigérateur.

— Je viens d’interviewer les marins de la SNSM avant de passer vous voir. Vous avez été sauvés de justesse.

— J’en suis bien consciente. On a eu beaucoup de chance. Le froid nous avait complètement paralysés. Mon père avait même perdu connaissance. La fin était proche.

— Tout s’est bien terminé et c’est tant mieux.

— Oui, c’est sûr. Mais mes parents font face à un nouveau problème. Leur seule source de revenus est maintenant au fond de l’océan.

— Que va faire votre père ?

— Il cherche un embarquement. J’espère qu’il va trouver, au moins provisoirement. Heureusement, il existe encore une certaine solidarité chez les gens de mer.

— J’ai compris que vous êtes étudiante...

— Oui, enfin j’étais, car vu les circonstances, je ne sais pas si je pourrai continuer. Il me faudrait trouver un job en parallèle.

Sa mère détournait le regard en s’affairant aux tâches ménagères. La perspective de voir sa fille abandonner l’université la bouleversait. Tout ce travail, toute cette abnégation pour en arriver là! Que pouvait-elle faire? Carmen se sentait démunie et triste. La journaliste chercha un instant comment l’aider, puis se souvint.

— Une de nos collaboratrices vient de partir en congé maternité. Vous devriez postuler pour la remplacer, on ne sait jamais. Vous pouvez envoyer votre CV au directeur de rédaction de ma part.

Ouais

! la chance…

pensa Pauline

.

— Merci, c’est super sympa. Je vais faire ça. C’est quoi le poste?

— Relecture et correction des articles.

— J’espère que mon niveau universitaire suffira.

— Vous verrez bien.

— D’accord.

— Pauline, vous êtes restée presque une heure dans l’eau glacée avec votre père. Comment ça s’est passé ?

— On avait froid. Le clignotement de la balise de détresse nous donnait du courage. Au début, on voulait y croire. Puis la douleur s’estompe, on ne sent plus ses extrémités. J’ai compris au retour, en discutant avec les médecins, que le cerveau adopte spontanément un mode de survie visant à ne gérer que les fonctions vitales. En y repensant, c’est bien ce qui s’est passé.

— Pendant tout ce temps, vous avez bien échangé avec votre père. Que vous êtes-vous dit ?

La jeune femme fixa sa mère du regard et répondit :

— Il m’a fait comprendre qu’il m’aimait et qu’il ferait tout pour me sauver. Il a tenu parole.

Brise-Lames d’Anglet

Les places de stationnement sous les arbres offraient un ombrage idéal au soleil d’été. Situé au bord de l’Adour, le petit port du Brise-Lames d’Anglet s’étendait sur quelques centaines de mètres de part et d’autre de la capitainerie. Sa réputation d’abri fiable se justifiait par son emplacement, deux kilomètres à l’intérieur de l’embouchure du fleuve. Il fallait cependant franchir la barre qui séparait l’Adour du large pour y accéder, ce qui, tout comme l’estacade à Capbreton, n’était pas une mince affaire par mauvais temps. Le SNS 079 de la SNSM avait choisi ce lieu pour reposer ses flancs et se préparer à affronter les caprices de l’océan qui parfois n’hésitait pas à mettre en danger les marins, même les plus expérimentés.