Le secret de la valise perdue - Gérard Serrie - E-Book

Le secret de la valise perdue E-Book

Gérard Serrie

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Beschreibung

Un Thriller au départ de Biarritz.

Alexandre est un homme chanceux, tout lui sourit, mais il refuse de le reconnaître. Au cours d’un dîner à Biarritz, où il réside, il accepte cependant le défi lancé par ses amis : acheter aux enchères, sans en connaître le contenu, une valise égarée, ce que proposent régulièrement les compagnies aériennes. On imagine aisément que cette démarche hasardeuse réserve parfois des surprises. Cela valait bien un roman. Le voici.
Très vite Alexandre, aidé par son ami Greg, surfeur de la côte des Basques, comprend que la valise cache un secret codé. Les deux hommes se mettent alors en tête de retrouver son propriétaire en réunissant les indices dissimulés parmi les vêtements.

Kidnapping, exfiltration, intimidation, subtilités juridiques, tous les ingrédients d’un roman surprenant sont ici rassemblés.
Pour Alexandre, cette fois encore, la chance sera-t-elle au rendez-vous ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Aulnay sous bois en 1954, Gérard Serrie, ingénieur de formation, est un romancier français. C’est l’étude généalogique de sa famille qui l’amène à écrire son premier roman, Rue du Grand Faubourg (2011). Puis trois livres se succèdent traitant du vol d’un tableau ( Le voyage des Blanchisseuses, 2012), du parcours initiatique d’un livre ( J'ai une âme, 2014) et de l’attentat du pape François ( Celui qui sauva le pape François, 2016). Le terrorisme écologique est le thème de son cinquième roman, Au bord du Gouf (2017).

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Gérard Serrie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le secret

de la valise perdue

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Roman

 

 

Crédits photographiques :

Réalisation couverture : Benjamin Jugieau d’après un fichier Fotolia : relaxed woman sitting in her big suitcase after a long journey ©Cristina Conti.

 

Tous droits réservés

© Editions Terres de l’Ouesthttp://www.terresdelouest-editions.frISBN : 979-10-97150-27-3

 

 

1- Exfiltration, septembre 2015

Le bruit de morceaux de verre fit sursauter Birsen. Elle regarda sa montre-bracelet : trois heures du matin. Elle tendit l’oreille. Un bruit sourd et répété puis un chahut inhabituel précédèrent la chute d’un élément lourd qui ne correspondait à rien de ce qu’elle avait pu entendre depuis qu’elle était enfermée. Sancho n’était pas homme à se battre, mais peut-être que les deux autres en avaient trouvé le motif. Une dispute entre ses geôliers ne la surprendrait pas outre mesure, néanmoins l’heure tardive l’inquiétait : qu’allait-il lui arriver encore ?

Allongée sur le lit de camp de fortune, Birsen tira la couverture sur son menton comme si le tissu pouvait la protéger. Les bruits s’amplifiaient, confirmant la violence des échanges. Deux coups de feu rapprochés claquèrent, suivis d’un silence. Elle quitta sa couche et se blottit contre le mur, dans un coin de la cellule. Quelqu’un dévalait les escaliers.

La captive ne pouvait pas deviner ce qui s’était passé au rez-de-chaussée quelques minutes plus tôt. Après avoir défoncé la porte au bélier, trois hommes en tenue de combat avaient pris d’assaut la place. Ce jour-là, les ravisseurs de Birsen n’étaient que deux, l’un dormait pendant que l’autre montait la garde tout en regardant un film en streaming sur son portable. Le son, poussé au maximum, ne couvrait pas celui des assaillants. Le commando se dirigea vers la seule pièce éclairée. Cobra 2 et Cobra 3 se placèrent de part et d’autre de la porte encadrée par un halo lumineux, armes aux poings, tandis que Cobra 1 décomptait sur les doigts d’une main, l’autre sur la poignée de la porte. Au signal, Cobra 2 et Cobra 3 se précipitèrent à l’intérieur de la pièce dans deux directions opposées. Le veilleur eut juste le temps de saisir son Glock 17 et de tirer sans sommation en direction des assaillants. La première balle manqua sa cible et s’enfonça dans le mur en éparpillant des débris de plâtre. La deuxième fit mouche. Cobra 2 fut projeté contre une fenêtre et en brisa les vitres avant de s’écrouler. Le gilet pare-balles avait rempli son office mais la courte distance qui séparait le tireur de Cobra 2 avait contribué à la violence du choc. Le veilleur fut brutalement neutralisé par Cobra 3. Cobra 1 fouilla les pièces du modeste pavillon de banlieue et ne tarda pas à trouver l’autre ravisseur. Ce dernier n’opposa aucune résistance, diminué par les effets du somnifère qu’il avait cru bon d’avaler avant de se coucher. Le commando, habitué aux opérations musclées, n’avait pas mis longtemps pour maîtriser les deux hommes maintenant couchés au sol, pieds et mains entravés par des bracelets en plastique. Cobra 2 avait repris ses esprits. L’interrogatoire fut bref et sans brutalité. La détermination du commando fit le reste, l’un des deux malfrats indiqua où se trouvait Birsen.

Un homme qu’elle ne connaissait pas apparut dans la pénombre à visage découvert. Il portait une tenue impressionnante qu’elle avait déjà vue à la télévision dans des reportages de guerre. Il avait ôté sa cagoule pour ne pas l’effrayer.

― Vous êtes Birsen Yilmaz ?

Elle hésita se demandant s’il était prudent de confirmer son identité. L’homme s’en aperçut et compléta sa question.

― Nous venons vous délivrer, ne craignez rien, vos tortionnaires sont neutralisés.

Une joie immense l’envahit. Elle comprenait que son calvaire s’achevait. L’homme s’approcha et lui demanda de se reculer avant de défoncer d’un coup d’épaule la fragile porte constituée de lattes en bois ajourées.

Elle saisit de ses bras tendres le corps capitonné du combattant qui n’osait plus bouger de peur de blesser la vieille dame avec ses protections.

― C’est vrai ? Je suis libre ? dit-elle les larmes aux yeux. Je ne sais comment vous remercier.

― Nous allons vous accompagner à l’hôpital pour un examen général.

La dame turque, encadrée de deux colosses, rejoignit le fourgon noir garé devant le pavillon. Après avoir revêtu leurs tenues de ville, les hommes du commando la déposèrent au service des urgences, puis l’un d’eux adressa un message anonyme à la police en indiquant le lieu où se trouvaient les ravisseurs et les trois hommes disparurent.

 

 

 

2- Hambourg, mai 2013

Klaus Salk détestait voyager sur les lignes régulières. Son jet privé, indisponible pour des raisons techniques, resterait sur le tarmac de l’aéroport de Finkenwerder, près de Hambourg. Véronique lui avait réservé une place sur un vol régulier de la Lufthansa. Assistante personnelle du milliardaire, elle avait travaillé suffisamment à ses côtés pour savoir que ce n’était pas la peine de l’informer d’un problème si celui-ci n’offrait pas encore de solution. On ne plaisantait pas avec Monsieur Salk ! Faire fortune dans l’immobilier avait forgé son caractère, ou peut-être était-ce l’inverse. Négocier les meilleurs prix d’achat, transformer les biens en leur donnant de la valeur et les revendre aux plus offrants demeuraient la base de son métier. La maîtrise de cet art l’avait propulsé dans les plus hautes sphères.

Véronique remit au chauffeur une enveloppe contenant les billets. Herbert avait lustré la Maserati, persuadé que Monsieur la choisirait parmi les cinq voitures stationnées au garage. Son entourage le connaissait bien et depuis longtemps, ce qui n’était pas le cas de sa jeune et récente épouse. L’homme approchait la soixantaine, la blonde s’éloignait lentement de la vingtaine, vingt-huit pour tout dire. Superbe femme ! Difficile de ne pas attirer le regard des hommes. Krista avait dû abandonner sa carrière de mannequin à la demande de son époux. Non qu’elle fût sotte, loin de là. Klaus ne l’aurait pas épousée. Krista se complaisait dans l’aisance sans pour autant s’y abandonner. Elle s’occupait de la maison, de la paye des employés, des travaux d’entretien lorsqu’il y en avait. Klaus ne lui demandait jamais de rendre des comptes.

Herbert ne s’était pas trompé. En prenant place, l’homme d’affaires le remercia d’avoir choisi la voiture au trident de Neptune. Il démarra lentement sachant que son patron ne resterait pas inactif pendant le trajet. Klaus Salk consultait ses dossiers sans lâcher son téléphone portable. Le véhicule de luxe précédait celui de la garde rapprochée composée de trois hommes armés qui le suivaient en permanence lors de ses déplacements.

Il rejoignit l’aéroport en un peu plus d’une heure, ce qui était un record qu’il pouvait attribuer à la dextérité de son chauffeur. Le vol n’avait pas de retard. L’embarquement s’effectua rapidement. En s’installant sur le siège C1, Klaus pouvait, pendant quelques heures, se déconnecter du monde. Dans son jet privé, il avait le téléphone et Internet. Ici, rien de cela.

Le sifflement des réacteurs de l’Airbus le relaxa. Véronique lui avait, bien évidemment, réservé une place en première. Son voisin, concentré sur son ordinateur, peaufinait un dossier qu’il aurait sans doute à présenter bientôt. Quant aux autres passagers, la plupart commençaient à s’assoupir. Les hôtesses avaient regagné leur espace réservé. Klaus en profita pour se détendre lorsque la douleur, qu’il ressentait depuis quelque temps au côté gauche, se réveilla. Il attendait les résultats des analyses prescrites par son médecin. Un conseil d’administration ennuyeux était programmé. Il animerait la séance en tant que Président, comme il en avait l’habitude, mais avant, Véronique avait arrangé un rendez-vous à la première heure avec le Professeur Clovis, un gastro-entérologue réputé.

Klaus Salk avait bâti sa fortune comme un édifice et sa famille comme un précipice. L’une ne cessait de prospérer, l’autre de s’effondrer. Trois mariages sans enfants, deux divorces ruineux, des avocats à la pelle. Il n’y avait pourtant pas de quoi le décourager. Krista, qui partageait maintenant sa vie, lui apportait la fraîcheur de sa jeunesse. Les choses auraient pu en rester là. Ce ne fut pas le cas.

 

 

3- Rachida

Véronique avait réservé une suite à l’hôtel Hilton, les bagages avaient été pris en charge par le chauffeur de la limousine de location. Une société assurait, en sous-traitance, la sécurité du milliardaire lorsqu’il séjournait à l’étranger. Tout était soigneusement organisé au point d’en devenir presque ennuyeux. Comme la plupart des hommes de haut rang, la solitude ne le quittait que rarement. Des sujets intenses imposant des décisions souvent lourdes de conséquences, prises sans l’aide de personne – les conseilleurs étaient nombreux mais les décideurs beaucoup moins – occupaient ses journées et les mondanités ses soirées. Quelques heures de sommeil lui suffisaient. Le monde bouillonnait autour de lui sans pour autant lui tenir compagnie. Était-ce cela qui avait poussé Klaus dans les bras de Rachida il y avait plus de 15 ans maintenant ? Les faits restaient gravés dans sa mémoire. Il n’avait jamais eu d’autre relation extra-conjugale, seulement une fois, cette nuit-là.

Elle était rayonnante, il était faible. Le milliardaire l’avait observée sans y prendre garde, puis il avait croisé son regard. Un petit couloir venait d’ouvrir le chemin aux photons impudiques. Une ouverture vers l’intérieur, quelque chose de tellement insaisissable que même un ouragan ne pouvait le détourner. Klaus avait résisté jusqu’au départ des invités avant de lui proposer un dernier verre. La jeune femme avait accepté. Ensemble, ils avaient regagné la chambre de Klaus au vingt-cinquième étage de l’hôtel. Elle avait dix-huit ans, il en avait quarante. La nuit avait été torride, aucun des deux ne manquait d’énergie. Savoir qu’ils ne se reverraient sans doute jamais après ces moments de folie les avait libérés complètement. Ils avaient ainsi pu se livrer sans retenue. Ils s’étaient ensuite quittés sans un mot au petit matin.

Le chauffeur attendait dans le hall. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur le milliardaire, qui se dirigea vers la limousine stationnée devant l’accueil. Il s’installa confortablement et pianota sur son smartphone pour se remémorer les différents rendez-vous. Sa journée commençait par le cabinet médical.

― Bonjour Monsieur Salk, asseyez-vous là, proposa le Professeur.

― Merci d’avoir accepté de me recevoir aussi vite.

― Je vais vous examiner.

Klaus enleva sa chemise et se prêta au contrôle. Le praticien se livra à un examen de routine en quelques minutes. Tension…

― Votre médecin m’a envoyé les résultats de la biopsie. Le diagnostic est confirmé. Vous avez un adénocarcinome.

― Mais encore ?

― Un adénocarcinome pancréatique.

― De quoi s’agit-il plus précisément ?

― Le cancer du pancréas, confirma le médecin d’une voix neutre très professionnelle.

Klaus Salk accusa la nouvelle. Il savait parfaitement que cette maladie était très agressive et qu’il était difficile d’en réchapper.

― Vous êtes tout à fait sûr de votre diagnostic ?

― Absolument, il n’y a aucun doute, mais il est légitime que vous consultiez un confrère pour avoir un deuxième avis, si vous le souhaitez.

― Non, je ne mets pas en doute vos compétences ni celles de mon médecin. J’en ai pour combien de temps ?

― C’est difficile à dire, car cela dépend de l’évolution de la maladie, très variable d’un patient à l’autre. Vous pouvez tout à fait vivre encore quelques années.

― Pouvez-vous êtes plus précis ?

― J’ai déjà eu des cas tout à fait remarquables qui ont survécu pendant cinq ans.

 

 

4- Biarritz, avril 2015

Clapot s’étirait de tout son long sur le convecteur tiède. Allongé sur le dos, les pattes tendues à l’horizontale vers une cible virtuelle, le chat somnolait tout en maintenant un équilibre défiant la loi de la gravitation. Il s’était attribué d’autorité cet emplacement que personne ne convoitait. L’animal passait le plus clair de son temps avachi sur ce promontoire climatisé. Perdu dans ses rêves, le matou émettait des sons incongrus ressemblant vaguement au mouvement de l’eau au bord du rivage. Alexandre Criton n’avait pas fait beaucoup d’effort d’imagination pour lui trouver un nom. Clapot avait adopté Alexandre depuis quelques mois, puisque c’est en effet dans cet ordre que les choses se passent avec les chats.

Les bras chargés de bouteilles, Alexandre ferma maladroitement la porte à l’aide de son pied droit sans que le claquement n’attire l’attention de l’animal. Il déposa la précieuse marchandise sur la table de la cuisine et regagna le living. Le séjour très accueillant offrait une magnifique vue sur la plage du Miramar à Biarritz. Deux confortables canapés meublaient une partie de l’espace. Le bar prenait plus de place que le piano, l’écran géant plus de place que le bar. Les trois chambres avaient chacune terrasse et salle de bains attenante. Un appareil de musculation et un cycle d’intérieur occupaient en partie une autre pièce spécialement équipée pour la gymnastique.

Le bip de son smartphone indiqua qu’il avait reçu un texto. Il identifia l’expéditeur avant de lire le court message. De Marmotte : « Serai un peu en retard ». Il ne fut pas étonné. La jeune femme n’avait pas l’habitude d’être à l’heure. Alexandre, célibataire endurci, plaignait Marco, son conjoint qui semblait pourtant s’accommoder des tendances léthargiques de sa chère et tendre. Marco s’adaptait. Du haut de leurs vingt-cinq ans, Lili, dite Marmotte, et Marco avaient choisi l’alternance. Ils habitaient tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, pour une durée variable, selon leurs humeurs. Les séparations temporaires contribuaient à l’équilibre de leur couple.

La soirée s’annonçait bien.

Alexandre avait fait appel à un traiteur qu’il connaissait de longue date et qui prenait en charge le service. Le maître de maison devait simplement s’occuper de la boisson, ce qu’il avait fait. Il savait que le personnel désigné pour ce genre de prestation était toujours d’une efficacité et d’une discrétion irréprochables. Il y aurait six convives. En plus du couple en retard, Nina et Louis avaient accepté l’invitation sans hésiter. L’homme de quarante ans en avait dix de plus que son épouse. Il était comédien. En se déguisant, en usurpant l’identité de héros imaginaires, il vivait plusieurs vies : celle des personnages et la sienne. Prendre la pose, déclamer avec ardeur, amplifier les attitudes sans exagération, tout ceci le libérait. Ce n’était pas de la simulation, lorsqu’il jouait le rôle. Pour un moment, un acte, un instant, il n’était plus lui, il n’était plus Louis.

Nina s’occupait autrement. Elle passait le plus clair de son temps dans les airs. Trente mille pieds, moins quarante degrés de température extérieure, vitesse proche de 900km/heure, résumaient sommairement ses conditions de travail. Elle volait en prenant soin de ses passagers. La jeune femme faisait fièrement partie du Personnel Navigant Commercial, hôtesse de l’air en quelque sorte. Escales courtes, levers de bonne heure, tenue impeccable, sourires permanents : c’était son quotidien. Sans se lasser, elle devait faire bonne figure et rassurer les inquiets. Être aimable avec les voyageurs, qui parfois prenaient cela pour des avances, répondre aux exigences sans laisser paraître les effets du décalage horaire, toutes ces choses demeuraient la base du métier. Nina aimait cela. La jeune femme avait de l’allure, un charme à couper le souffle. L’uniforme de la compagnie ajoutait une note de respectabilité qui la rendait encore plus séduisante. Chef de cabine, elle avait l’autorité. Pourtant lorsqu’elle devait prendre soin de jeunes enfants, elle se comportait comme une mère.

Les deux couples et Alexandre avaient fait connaissance lors d’une croisière de luxe en Crète organisée par l’agence Galactica. Un voyage de rêve… Dix niveaux, trois piscines dont une couverte, cinémas, casino, accueillaient à tout moment les passagers embarqués pour cette traversée idyllique. Alexandre l’avait gagnée par tirage au sort du ticket de caisse des clients possédant la carte de fidélité d’un supermarché. Les liens amicaux qu’ils avaient tissés pendant la traversée les amenèrent à se retrouver une fois par an, chez les uns ou les autres.

Leur première rencontre fut l’occasion de se remémorer les bons moments de leur voyage, puis d’autres sujets de conversation animèrent les soirées suivantes pour aboutir à un rituel qui scella une amitié partagée.

Cette année, le repas avait lieu chez Alexandre qui n’avait pas résisté à la tentation d’inviter Greg, son ami de toujours. Ces deux-là faisaient la paire, pourtant leurs profils étaient bien différents. Surfeur passionné, vegan et écologiste dans l’âme, le grand jeune homme mince portait des cheveux mi-longs, gorgés de sel, raides comme des crayons. Il se déplaçait couramment en skateboard ou à vélo soucieux de marquer l’époque de son empreinte non carbonée. Les parents de son ami avaient tenu une cidrerie en Espagne jusqu’à leur retraite. Puis, ils s’étaient installés à Hendaye, à proximité du casino, lorsque leur fils unique entamait sa dix-huitième année. Greg prenait le temps de vivre et refusait les contraintes les plus élémentaires, ce qui ne lui facilitait pas l’intégration dans le monde du travail. Heureusement, il avait trouvé un emploi sur mesure chez Quicksilver à Biarritz. Alexandre s’étonnait du succès de son ami auprès des jeunes filles. Les jeans déchirés aux genoux et les teeshirts maculés de wax n’avaient aucun pouvoir répulsif. Greg était un écolo passif qui ne militait pas, trop occupé à farter sa planche de surf dans l’attente de la prochaine vague, celle qui le ferait entrer dans la légende du surf. Sans être en permanence l’un chez l’autre, ils savaient se retrouver pour les bons plans et s’entraidaient si nécessaire. Deux amis quoi. Greg n’était pas étranger à la bonne fortune d’Alexandre. Il l’avait orienté vers le magasin qui organisait ce tirage promotionnel le jour où ce dernier prévoyait de faire ses courses. C’est ainsi qu’Alexandre avait remporté le gros lot de la semaine. Greg ne cessait d’affirmer que son copain avait une veine incroyable. Alexandre refusait de l’admettre sous prétexte que rien de particulier ne lui arrivait. Les échanges sur ce sujet se terminaient inexorablement de la même façon : Greg argumentait, preuves à l’appui, Alexandre niait l’évidence.

Contrairement à ce que pensaient les autres, la chance ne lui avait pas toujours souri. Alexandre n’oublierait jamais son passé, même s’il faisait tout pour cela. Et celui-ci venait le hanter encore trop souvent.

*

À cette époque, son frère Charles avait quatre ans. Le petit garçon au regard pétillant séduisait, facile quand on a cet âge. Les femmes surtout. Elles se pâmaient devant lui comme si le bambin était un prince. Il s’intéressait à tout, questionnait les adultes sur des sujets que la plupart d’entre eux avaient choisi de négliger. Sa naïveté le lui permettait. Pourquoi la lune est-elle blanche la nuit ? Pourquoi la mer est-elle salée ? Pourquoi les chiens aboient-ils et pas les chats ? Naturellement, pour l’enfant, ces questions faisaient sens. Un rien l’émerveillait. Sa mère affichait une fierté bien naturelle, tout le monde l’enviait. Les regards se tournaient systématiquement vers Charles, délaissant Alexandre. Sans manifester une jalousie excessive, cette préférence permanente l’agaçait. Il aimait bien son frère, mais trouvait les adultes injustes à son égard. La découverte de la maladie de Charles n’arrangea pas l’affaire. Le médecin, pourtant formé à ce genre de situation, ne sut expliquer à sa mère que le petit garçon était atteint de mucoviscidose et que ses jours étaient comptés. Ce fut un drame pour la famille. Ce qui choqua Alexandre n’était pas que l’enfant malade soit l’objet de toutes les attentions, mais que personne ne prit soin de l’informer ; comme s’il était quantité négligeable. Il eut connaissance de l’état de son frère tout à fait par hasard, en écoutant une conversation entre adultes. C’était pour lui la double peine. Son frère allait mourir et on n’avait même pas jugé utile de le lui dire.

Il en voulait terriblement à sa mère. Comment avait-elle pu l’oublier à ce point ? Il faut dire que la pauvre était seule à supporter ce malheur, son mari l’avait quittée quelques années plus tôt pour s’installer avec sa meilleure amie. À la mort de son fils, la jeune femme sombra dans une profonde dépression. Alexandre avait quinze ans, en pleine adolescence et déjà fragilisé, il ignorait comment s’y prendre. L’annonce du suicide de sa mère quelques semaines plus tard fut un choc terrible. Il se souvenait avoir eu le souffle coupé par cette annonce, tétanisé comme s’il venait de percuter un mur à pleine vitesse. Peut-être même s’était-il évanoui, il n’en avait pas le souvenir. Un grand trou noir subsistait dans sa mémoire. Il aurait dû trouver le moyen de lui parler. Il l’avait pourtant quittée seulement l’espace d’un instant, mais cela lui avait suffi pour mettre fin à ses jours. Selon lui, tout était de sa faute. Il s’en voulait terriblement. Son oncle, qui avait beaucoup d’affection pour lui, accepta de le prendre à sa charge. Il fut d’un grand secours. Aussi, lorsque ses amis prétendaient qu’il avait toujours de la chance, il ravalait sa salive deux fois. Et surtout, jamais il n’évoquait son passé. Le seul moyen qu’il avait trouvé pour y faire face avait été de se murer dans le silence. Ce terrible secret constituait une sorte de carapace qui le mettait, en apparence, dans la même situation que les autres. Ce qu’Alexandre n’avait pas compris, c’était que la chance avait tourné irréversiblement en sa faveur le jour où il avait changé de nom.

 

 

5- Criton

Clapot leva nonchalamment son nez lorsque le carillon retentit. Alexandre déclencha l’ouverture de la porte située en bas de l’immeuble après avoir compris qu’il s’agissait du traiteur. Il arrivait à l’heure. Un jeune garçon accompagnait le prestataire chargé du service et de la mise en place. Après une visite rapide de la cuisine, le matériel nécessaire fut déballé, puis transporté à l’étage par l’ascenseur. Greg, le surfeur, donna un coup de main. Les ingrédients pour la préparation du repas furent acheminés vers le plan de travail. Alexandre avait spécifié qu’il souhaitait un dîner de qualité servi simplement pour ne pas gêner ses invités. Le prix n’étant pas un obstacle. Le jeune homme avait les moyens.

Lili et Marco avaient choisi le barbecue dans leur jardin lorsqu’ils avaient invité leurs amis. Alexandre avait trouvé la réception plaisante et bucolique. Certes, dans son appartement, au dernier étage de cet immeuble huppé, les choses étaient différentes. Il ne prétendait pas offrir à ses convives la même ambiance. La vue et le confort devraient sans nul doute compenser. Ne pas être à la hauteur le tourmentait depuis plusieurs jours. Ne pas chercher à imiter, faire autrement, voilà ce qu’il fallait ! Greg demeurait de bon conseil « fais dans la simplicité, mais sers-nous un bon repas » avait-il préconisé. Il ne comprenait pas pourquoi son ami avait une fâcheuse propension au pessimisme et à broyer du noir alors que tout lui souriait. Les moyens dont Alexandre disposait, lui garantissaient un train de vie qu’il n’appréciait même pas. Pourquoi n’en profitait-il pas plus ? Tourner en rond toute la journée, ne pas savoir à quoi employer son temps, voilà qui lui paraissait complètement insensé. Greg ne l’enviait pas. Lui qui parvenait difficilement à maintenir un découvert raisonnable sur son compte en banque avait du mal à comprendre les tendances dépressives d’Alexandre. Les jours s’écoulaient lentement, toujours les mêmes, sans la moindre difficulté, d’une morosité lancinante. Il vivait sans bonheur.

Les voyages ne l’attiraient guère plus. Les gens le laissaient indifférent. Le monde lui paraissait incompréhensible et sans intérêt. L’ennui l’emportait. Lorsque son ami de toujours s’évertuait à le convaincre de ne pas se relâcher, il se défendait en prétendant que le monde n’était que souffrance ; qu’il suffisait d’écouter les informations pour se rendre compte de son état : guerres, séismes, famines, voilà ce qu’il y avait à découvrir. Plongé dans son confort et une routine rassurante, Alexandre sombrait lentement.

Marco arriva le premier, seul. Alexandre l’accueillit chaleureusement sans se préoccuper de l’absence de Lili puisqu’elle avait pris soin de l’informer de son retard. Les deux hommes s’installèrent au salon et l’hôte servit le champagne sans attendre.

Les deux garçons grappillaient quelques amuse-gueules lorsque Nina et Louis signalèrent leur arrivée avec leur smartphone en l’absence de réaction au portier électronique. Alexandre abandonna son ami un instant.

La jeune femme portait un élégant tailleur qui ne cachait rien de ses formes. La veste couvrait un chemisier léger. Lorsqu’elle s’assit en face de Marco, la jupe s’ouvrit pudiquement et dévoila en partie ses jolies jambes.

― Tu es toujours aussi ravissante Nina ! ne put s’empêcher de complimenter son vis-à-vis. D’où viens-tu ? Dis-nous tout : du Mexique, du Brésil, de Bali…

― Rien de tout cela, tout simplement de Francfort. Et avec une histoire incroyable de bagages perdus qui aurait pu faire scandale.

― Raconte, ajouta Marco.

― Une dame célèbre dont je tairai le nom, membre du Parlement européen, a fait valoir un prétendu droit diplomatique pour interdire à quiconque d’ouvrir sa valise égarée par la compagnie aérienne – si on la retrouvait – prétextant que des documents confidentiels de très haute importance s’y trouvaient. La « Louis-Vuitton » a rapidement été identifiée et les services de l’aéroport s’apprêtaient à la rendre à sa propriétaire. Mais auparavant, le bagage devait être contrôlé pour vérifier qu’il ne contenait pas d’armes ou de drogue. La valise a été ouverte malgré les protestations de sa propriétaire. Elle était pleine de sextoys. Mais les services de police sont restés discrets.

Louis fit remarquer que le nombre de bagages égarés dans les aéroports était relativement important. Une des plus grandes compagnies aériennes européennes reconnaissait qu’elle transportait plus de 80 millions de bagages par an et qu’elle en égarait environ 200 000.

― Comment est-ce possible ? interrogea Marco. Lorsqu’on enregistre son bagage, il y a un ticket qui permet de le retrouver. Il suffit de déposer une réclamation.

― C’est exact, confirma Nina, c’est pour cela que généralement, la compagnie restitue le bagage au propriétaire quelques jours après. Mais parfois, ce n’est pas le cas. Par exemple, si l’étiquette est arrachée ou illisible. Il n’est plus possible d’établir le lien entre le propriétaire et le bagage.

― Que fait-on alors ? demanda Greg qui s’était accroupi au sol, assis en tailleur en s’appuyant contre un accoudoir du canapé.

― Eh bien, cela dépend des pays, précisa Nina. En Europe, on procède à l’ouverture des bagages, on isole les objets de valeur. Ils sont revendus aux enchères au profit d’œuvres caritatives. Sauf en Allemagne et en Angleterre.

― Et que fait-on dans ces deux pays ? La question brûlait aux lèvres de chacun, même si ce fut Alexandre qui la posa.