Dans tes yeux - Emeline Kerriou-Cholet - E-Book

Dans tes yeux E-Book

Emeline Kerriou-Cholet

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Beschreibung

Elle, c'est la fille discrète, craintive, sans la moindre confiance en elle, ni même en qui que ce soit d'autre d'ailleurs. Lui, il est le parfait cliché, trop beau, trop bien, trop populaire, trop tout. Tout semble les séparer, pourtant un été idyllique aura suffi à leur démontrer le contraire. La rentrée mettant fin à cette parenthèse, jamais ils n'auraient imaginé se revoir un jour... C'était sans compter sur un destin bien décidé à bousculer toutes les stratégies bien établies de notre jeune protagoniste ! Un simple regard suffit à nous faire sentir différent, pour le meilleur comme pour le pire.

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Seitenzahl: 440

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Pour mes filles, Puissiez-vous continuer de trouver des « Adam », qui vous feront vous sentir en confiance avec eux comme avec vous-même, tout au long de vos vies.

Pour tous ces « Adam », qui les ont acceptées, et qui les accepteront dans la leur, telles qu’elles sont.

Et bien évidemment, pour toi, Nicolas, qui me montres chaque jour des qualités que je ne me reconnais qu’au travers de ton regard amoureux.

Sommaire

Prologue

Chapitre 1 : Terminale

... Elle

... Lui

... Elle

... Lui

... Elle

... Lui

Chapitre 2 : Te connaître

... Elle

... Lui

... Elle

... Lui

Chapitre 3 : Fuis-moi, je te suis

... Elle

... Lui

... Elle

... Lui

... Elle

Chapitre 4 : Approches

... Lui

... Elle

... Lui

... Elle

... Lui

... Elle

Chapitre 5 : Conséquence

... Elle

... Lui

... Romy

... Adam

... Romy

... Adam

... Romy

Chapitre 6 : Surprenante invitation

... Romy

... Adam

... Romy

... Adam

... Romy

Chapitre 7 : Mère-fille

... Romy

... Adam

Chapitre 8 : La soirée

... Romy

... Adam

... Romy

... Adam

... Romy

Chapitre 9 : Dans tes yeux

... Adam

... Romy

... Adam

... Romy

... Adam

Chapitre 10 : Survivre

... Romy

... Adam

... Romy

... Adam

Chapitre 11 : Nouvelle routine

... Romy

... Adam

... Romy

... Adam

Chapitre 12 : Changement radical

... Romy

... Adam

... Romy

Chapitre 13 : Plates excuses

... Adam

... Romy

... Adam

Chapitre 14 : Différentes approches

... Romy

... Adam

... Romy

... Adam

Chapitre 15 : Entre filles

... Romy

... Adam

... Romy

Chapitre 16 : Echec et Match

... Adam

... Romy

... Adam

... Romy

... Adam

Chapitre 17 : Distances

... Romy

... Adam

... Romy

Chapitre 18 : Sentiments

... Romy

... Adam

Chapitre 19 : Pas toi ...

... Romy

... Adam

Chapitre 20 : Hors de ta vue ...

... Romy

... Adam

Chapitre 21 : Jalousie

... Romy

Chapitre 22 : Rôles inversés

... Adam

Chapitre 23 : L’avenir devant nous

... Romy

... Adam

Chapitre 24 : Juste une dose de courage

... Romy

... Adam

Chapitre 25 : Désillusions

... Romy

... Adam

Chapitre 26 : Toucher le fond

... Romy

Chapitre 27 : Absences justifiées

... Romy

Chapitre 28 : Ne m’abandonne pas

... Romy

Chapitre 29 : Règlements de comptes

... Romy

Chapitre 30 : Je suis là ...

... Adam

... Romy

Chapitre 31 : Pardonne-moi ...

... Romy

Chapitre 32 : Idiot(e)

... Romy

... Adam

Chapitre 33 : Hésitations

... Romy

... Adam

... Romy

Chapitre 34 : Le grand jour

... Adam

... Romy

Chapitre 35 : Baccalauréat

... Romy

... Adam

... Romy

Chapitre 36 : Droit vers l’avenir

... Adam

... Romy

Prologue

Si seulement le temps avait pu s’arrêter, juste pour cette fois.

Une amitié éphémère, sans attaches, et sans avenir. Un contrat à durée déterminée, garant de nos souvenirs d’adolescents. Combien de jours avant qu’elle ne m’oublie ? Sûrement moins qu’il ne m’en faudra pour l’effacer.

Son regard brillant, ses mimiques uniques, ses petites tapes dans l’épaule pour me dire de me taire quand je ne pense qu’à lui provoquer un nouvel éclat de rire…

Était-ce aussi platonique que nous le prétendions ? C’était sans aucun doute mieux ainsi. Pas d’attache, pas de douleurs. Pas une larme, non, sur le quai de cette gare, à travers cette vitre qui s’interpose déjà entre nous, avant que la distance ne fasse son œuvre.

Pas de nom, pas d’adresse, pas de numéro de téléphone. Les règles d’un jeu qui nous a tenus en haleine pour quelques semaines, mais je suis du genre mauvais perdant. Dernier crissement de rail, disparaît ce qui me semble alors être la plus belle rencontre de ma jeune vie. Son image s’efface, mais son souvenir me poursuit. J’ai perdu. De stupides règles, pour un stupide jeu.

Pas de douleur… Qui ai-je espéré tromper ainsi ? Mais c’était son idée, sa décision, et je mentirais si je disais ne pas avoir aimé tout ce mystère. Pas de contrainte, pas de superflu, seulement deux ados qui se côtoient, sans fards ni artifices, bien loin des jugements d’une société trop archétypale.

Elle m’avait offert légèreté et insouciance, brillait d’humour autant que d’intelligence, me comblait de spontanéité comme d’affection. Et me laisse désormais un trou béant dans cette vie que je retourne affronter bien loin de tout ce cocon que nous nous sommes créé.

Peut-être aurais-je finalement dû lui demander qui elle était…

Chapitre 1

Terminale

... Elle

La sonnerie retentit pour la première fois depuis le début de l’été, pour me sortir bien trop précocement de mes rêves à mon goût, avant de m’obliger à me préparer pour me rendre à ma toute dernière rentrée au lycée. Enfin, si tout se passe bien ! Après tout, j’ai réussi à survivre aux deux précédentes années, peut-être pourrais-je cette fois me reposer un peu plus sur mes lauriers. Je me trouve bien optimiste, après cet été radieux, et surtout… au calme ! Ou presque en vérité. Parce que l’été, alors que je suis partie loin de chez moi, je m’autorise à être « différente ». Entendez par là que je porte mon meilleur masque de la fille confiante et plutôt du genre populaire, vous voyez ? Faux, faux, et archifaux. Parce qu’aujourd’hui, pendant que je m’apprête à retrouver toutes ces personnes qui me connaissent depuis tant d’années, je suis cette fille effacée, dans l’ombre, pratiquement un fantôme. « Connaître » est d’ailleurs un bien grand mot, je ne suis même pas sûre qu’ils se souviennent ne serait-ce que de mon prénom. Et c’est aussi bien ainsi. Pas d’attaches, pas de problèmes. C’était devenu mon « Nindo », comme ils disent dans mon animé favori. Car des problèmes, je pense que j’en ai suffisamment traversé pour mettre tout le soin possible à les éviter dorénavant. Il faut dire que les rares congénères qui peuvent se targuer d’avoir mémorisé les quatre lettres de mon patronyme… ne l’utilisent même pas ! Et je préfère encore taire les sobriquets dont ils m’affublent lorsqu’ils daignent s’adresser à moi.

Mais l’été, c’est différent.

Personne ne me connaît, personne ne sait rien de mon passé, personne ne peut me juger, et, dans le pire des cas, ceux que j’y croise disparaîtront de ma vie aussi facilement qu’ils y sont entrés. Des relations éphémères pour une saison qui l’est tout autant. Et bon sang, qu’il est agréable de pouvoir vivre deux mois d’insouciance ! C’est comme recommencer une nouvelle vie sans engagement de durée. Et cet été avait été particulièrement mémorable, par ailleurs. Il y avait eu ce groupe de mon âge, drôle, intéressant, sans prétention, si ce n’est ce play-boy étrange, semblant tout droit descendre d’un croisement entre le physique d’Henry Cavill, l’humour de Ryan Reynolds et le cerveau de Stephen Hawking, le tout recouvert d’une tignasse de feu à côté de laquelle personne ne pouvait passer sans se retrouver éblouit. J’exagère à peine… ! Trop parfait pour être honnête. Un peu comme ce… garçon… qui vient d’entrer essoufflé… dans notre classe… DITES-MOI QUE C’EST UNE BLAGUE ?!

... Lui

En retard, dès le premier jour, c’est pas vrai ! C’est le moment de mettre tous tes talents de sprinteur en route, mon gars. On ne peut pas rassembler toutes les qualités, n'est-ce pas ? Eh bien, mon truc à moi c'est un léger, vraiment très léger, problème de sens d'orientation. Alors oui, j'ai pris le bus qui allait à l'opposé de mon lycée, où je suis supposé me rendre, je me suis aussi planté de bâtiment, et puis encore d'étage, mais ! J'avais finalement trouvé la bonne salle de classe du premier coup, et ce parmi une bonne douzaine ! Le tout quelques secondes après la sonnerie. Tout réside dans l'anticipation, voyez-vous. Enfin, j'espère ne pas devoir me lever chaque jour si tôt pour répéter cet exploit…

Tout juste entré, pas le temps de présenter mes excuses à ce professeur qui me regarde déjà de travers, que nous voilà interrompus par un cri se rapprochant plus du hurlement d'un ptérodactyle que d'une… bon sang… C'est bien elle ?!

Il n’y a pas de doute, cette marque si caractéristique sur son visage, c’est elle ! Les regards rivés sur son expression d’outre-tombe, elle semble littéralement disparaître sous la table, cherchant visiblement à fusionner avec sa chaise, alors que je lui adresse un geste de la main accompagné d'un sourire amical, croyant à peine en cette heureuse coïncidence ! Au moins, je ne serais pas complètement dépaysé dans ce nouveau lycée ! Il est bon de retrouver un visage familier. Même si ce visage a maintenant l’air de tout donner pour ignorer ma présence… Comment peut-on passer d'un ptérodactyle à une si petite souris avec tant de facilité ? Plus encore, quel est son problème au juste ?

Comment s'appelle-t-elle déjà ? C’est vrai, nous avions gardé nos identités sous silence… Quel idiot ! Si j’avais au moins eu le cran de briser cette règle d’or que nous nous étions fixé lors de nos adieux ! Je vais sans doute pouvoir réparer rapidement mon erreur, l'appel étant déjà passé avant mon arrivée, il ne me reste plus qu'à prendre place, et il y en a justement une de libre à côté d'elle, on dirait que c’est mon jour de chance !

... Elle

Bon sang, qu'est-ce qui m'a pris ? Si j'avais fermé ma fichue bouche, il ne m'aurait peut-être même pas vue, et encore moins reconnue. Il aurait suffi que j'attende sagement qu'il m'oublie et le tour était joué ! Mais non, il a fallu que j'en fasse des tonnes, et maintenant tout le monde me regarde comme si j'avais perdu la tête. Tout le monde, sauf Potiche.

Potiche, ce n'est évidemment pas son véritable nom, seulement un pseudonyme que je lui ai dégoté un jour de très grande inspiration… OK, vous allez certainement me croire un peu harpie sur les bords, mais sachez que nous avons tout un historique en commun, justifiant pleinement cet incroyable surnom ! Et il semble que nous sommes dans la même classe, encore une fois… À croire que l'on m'a jeté une malédiction depuis la maternelle. Pas une année sans qu'elle soit à plus de trois mètres de moi…

Donc, Potiche, c'est ce genre de fille qui a tout pour elle. Du moins physiquement. Parce qu'en soi, c'est aussi cette pimbêche, garce à temps plein, qui était la source de bon nombre de mes cauchemars. Et je ne vous parle pas de son visage ultratellement maquillé que le commun des mortels ignore sûrement quelle est sa véritable apparence. Mer…credi, à continuer de baver sur elle dans ma tête, je finirais bien par devenir moi-même une Potiche-bis. Surtout que, pour la connaître de longue date, je sais pertinemment que sous toute cette couche de peinture superficielle, elle demeure vraiment belle. Ce que la génétique peut être injuste parfois !

Je disais donc que tout le monde cherche à comprendre ce qui peut bien m'avoir poussé à hurler ainsi, moi, le fantôme inanimé de ce lycée, tout le monde, sauf Potiche. Elle, elle semble plutôt bien trop préoccupée à dévorer littéralement des yeux le nouvel arrivant. Évidemment. Exactement le genre de proie qu'elle « apprécie ». Mais même pour elle, il est beaucoup trop… bien.

Ses cheveux roux en bataille lui donnent une allure négligée, alors que je suis à peu près certaine qu’il y passe des heures pour obtenir ce rendu — ce qui justifie pleinement son retard en ce grand jour où n’importe qui prend normalement grand soin d’arriver à l’heure —, le regard vert perçant derrière quelques mèches tombantes, la mâchoire anguleuse, et visiblement un corps bien travaillé par des heures d'exercices, de plus en plus imposant au fur et à mesure qu'il s'appro…

Attendez… Est-ce qu'il est vraiment en train d'approcher le sombre fond de cette classe, mon antre inhabité, mon espace absolument et irrémédiablement VITAL ? Vite, une idée, vite, vite, vite !

... Lui

Est-ce qu’elle vient de poser son sac sur la chaise à côté d'elle… pour m'empêcher de m'y asseoir ? Je ne sais vraiment pas à quoi elle joue, mais elle n'a pas changé, toujours aussi espiègle et amusante ! J’ignore si elle s'imagine qu'elle peut m'arrêter aussi facilement, mais autant qu'elle le sache de suite, c'est raté.

— Tu permets ? lui demandé-je, pouvant ressentir le malaise qui explose à l'intérieur de sa si petite personne.

Peut-être pas si espiègle que cela… Si seulement elle me laissait l'approcher, je pourrais peut-être comprendre ce qui la met dans cet état…

— Occupé.

Occupé ? Elle vient vraiment de me snober avec une excuse aussi… pathétique ?

— Je pense que Monsieur le Sac peut me faire une place ?

Occupé, encore. Pourtant, cet été, les petites pointes d’humour fonctionnaient à chaque fois ! Son rire… Je n'aurais jamais espéré pouvoir l'entendre à nouveau, mais il semble que les opportunités ne manqueront pas, si tant est qu'elle m'accorde enfin un regard.

— Allez-vous enfin vous asseoir ? s'impatiente le professeur.

Je crois que je ne vais pas avoir beaucoup d'autre choix que de chercher ailleurs, je me suis déjà bien assez fait remarquer en bien trop peu de temps pour me permettre d’en rajouter. Mais je n'ai pas dit mon dernier mot, Miss…

... Elle

Il s'éloigne enfin… Je vais pouvoir inspirer à nouveau de l'air, loin de ce parfum que je n'ai pas encore eu le temps d'effacer de ma mémoire. Il sent bon, c'est indéniable, mais mon espace vital, quoi !

Attendez… Ne me dites pas que… ah… Évidemment. Le voilà à côté de Potiche, pimpante comme jamais, à deux doigts de roucouler de plaisir, et prise en flagrant délit de non-respect de son espace vital à lui ! Mais il ne dit rien. Ça ne doit pas lui déplaire… Je sens un avenir tout tracé pour Madame et Monsieur Parfaits. Trop cliché. Enfin bon, si je me concentrais plutôt sur le cours. Je pense que le message est passé, il ne viendra plus me voir, c'est certain.

Et l'horripilante sonnerie annonce ENFIN la fin de cette première heure interminable ! Ce que j'ai retenu ? Deux ou trois trucs avant que ma cervelle ne se ramollisse et ne semble plus qu'entendre de vagues « blablabla ». On est mal… JE suis mal. Combien de cours reste-t-il, déjà ? À raison de quoi ? Quatre à six par jour ? Cinq jours par semaine… Est-ce que j'ai vraiment envie de le savoir en fait ?

Je ramasse lentement mes affaires. C'est stratégique, si je sors la dernière, aucune chance de croiser qui que ce soit, ni le moindre regard ou la moindre remarque humiliante. Je pense que j’en ai assez fait pour aujourd’hui, inutile de me retrouver à devoir me justifier pour ce qu’il s’est passé.

Allez, ça fait quoi ? Au moins cinq minutes, non ? Je n’entends plus rien, ça devrait être bon. Je sors mon nez faussement caché dans mon sac et m'avance sans plus attendre. Seconde stratégie : ne pas rester à la disposition du professeur. Ça peut être risqué, mais bien moins que de les affronter eux…

Pas le temps de faire trois pas qu'une masse imposante et bien trop rigide me heurte violemment. À moins que ce soit moi qui lui sois rentrée dedans… C'est le genre de chose qui arrive quand l'on passe son temps à tergiverser sans relever la tête. Bordel… Trop d'interactions sociales pour mon petit être aujourd'hui.

— Pardon… bougonné-je en me baissant pour ramasser mes affaires.

Aïe ! Ma tête… MAIS, BORDEL !

... Lui

Bon sang, c'est qu'elle a la tête aussi dure que son entêtement à ne pas vouloir me regarder. Bien que cette fois je crois qu'elle ne l'a pas réellement fait exprès. Je ne peux m'empêcher de laisser échapper un rire en ramassant finalement ses affaires échouées au sol, éclatant de plus belle à chacune de ses railleries. Je crois bien qu'elle m'a maudit sur quelques générations au passage.

— Tu sais, si tu voulais entrer en contact avec moi, il suffisait de demander gentiment à Monsieur ton Sac de me laisser sa place.

La taquinerie, peut-être que cette fois-ci je pourrais enfin apercevoir ses pupilles. Mais c’est un nouvel échec… Elle m'arrache presque les affaires des mains, et me passe devant sans s'arrêter.

— Hé ! j’essaye de la retenir.

Classe… Bordel, si seulement je pouvais obtenir son nom. Je sors précipitamment dans les couloirs après avoir ramassé mon sac, et pars à sa poursuite. Pourquoi me fuit-elle ainsi ? Je ne me souviens pas que l'on se soit quittés en mauvais termes, bien au contraire… De quel côté est-elle partie ? Bon sang, elle a dû se faufiler comme une souris à travers la foule. C'est bien joué, mais nous sommes dans la même classe, et je peux donc aisément deviner le prochain lieu qu’elle doit rejoindre.

Chapitre 2

Te connaître

... Elle

Des jours que le manège du rouquin dure, et il ne semble pas vouloir lâcher l'affaire, malgré tous mes efforts pour l’éviter. Mais pourquoi ? Pourquoi s'entêter à poursuivre quelqu'un qui, de toute évidence, ne veut pas de toi ? Si je cherche à fuir les problèmes, ce n'est pas pour être encore une fois harcelée, même de cette manière ! Qu'est-ce qu'il me veut bon sang ! Le message me semble pourtant plutôt clair ! Nous n'avons même rien en commun ! Lui il est… comme il est. Le parfait cliché du lycéen populaire des séries américaines. Même Potiche n'a pas pu passer à côté de lui sans se retourner ! Et moi… Moi je suis… comme je suis. Informe, laide, inintéressante, invisible, et tellement d'autres choses sans aucune valeur. Pourquoi est-ce qu'il s'accroche comme ça ? Il ne peut pas faire comme les autres et ignorer mon existence !

À cause de lui, il a fallu que je monte une toute nouvelle stratégie de sortie de cours. Maintenant, je suis dans les starting-blocks pour être la première personne dehors. À peine le top vibrant de la sonnerie lancé, que je me faufile pour traverser la classe avant que les autres ne se lèvent et ne se trouvent dans mon passage. Il a bien essayé de me rattraper plus d'une fois, mais s'il était aussi rapide qu'il l'espérait, il arriverait peut-être ENFIN à l'heure à l'un des cours. À croire que c’est un rituel chez lui d’être systématiquement en retard !

Pour le coup, cela ne me regarde pas. Et cette fois-ci, la sonnerie annonçait la sacro-sainte heure du repas ! Hop, je passe devant tout le monde, petit tour aux toilettes, histoire de perdre un peu de temps et arriver dernière au self, et le tour est joué ! S'il y a bien un endroit où il ne peut pas me suivre, c’est celui-ci !

Mais manque de bol, je ne reste pas seule bien longtemps… Et j’en viens presque à regretter mes choix stratégiques, tant la conversation à laquelle j’assiste est barbante. Sans surprise : Potiche et sa clique cancanent sur le « nouveau ». Oui… lui. Bon, au moins mes soupçons sont confirmés, il est à son goût, c’est le moins que l’on puisse dire. Elle déclare qu’elle le veut pour elle et, de toute évidence, est prête à tout pour l’obtenir. À croire qu’elles parlent d’une vulgaire marchandise sans états d'âme. Pour un peu, j'aurais presque eu de la peine pour lui.

Bon sang… C'est quoi cette odeur ? Super… Voilà qu'elles se mettent à fumer. Ouvrez la porte au moins, non ? Trop tard. Je retiens avec peine une quinte de toux, manquant de m'étouffer, mais c'est malheureusement suffisant pour les oreilles averties des reines du complot de cet établissement.

— Qui est là ? demande une voix que je devine être celle de mon éternelle ennemie.

Je suis censée faire quoi maintenant ? Je suis terrée ici depuis une bonne vingtaine de minutes, rien de plus suspect.

— Une fille. Dans les toilettes des filles, normal, je lui réponds plus cinglante que je ne l’avais imaginé.

— Et depuis quand tu es là ? Tu fous quoi encore, la foldingue ?

Ah. On dirait bien qu'elle aussi sait que c'est moi. Enfin, parmi tous les qualificatifs dont elle m'a affublé jusqu’alors, celui-ci a encore le mérite de ne pas être trop vulgaire.

— Je chie. Tu veux une photo ? lui annoncé-je avec toute la finesse et la subtilité dont je suis capable.

Cris de dégoût, et hop, tout le monde est dehors, impeccable. Quelle bande de petites natures, vraiment ! Au moins, la voie est libre, et elles m'ont lâché en un temps record, il faut que je garde cette stratégie pour une prochaine fois ! Ce n’est pas comme si j’avais encore quoi que ce soit à craindre au sujet de ma réputation, cela fait un bon moment qu’elle y a veillé tout personnellement !

Je sors enfin de ma cachette, et regagne la cour après m'être lavé les mains, avant de foncer enfin vers le divin self avant que ces rapaces ne s’accaparent tous les desserts. Enfin « divin »… J'exagère. J'ai seulement super faim, et c'est bien le seul repas complet que je peux m'accorder dans la journée. Mais c'est encore une autre histoire. Pourvu que ce soit sans les choux de Bruxelles ! Un jour de rentrée, ils ne nous feraient tout de même pas ça !

Hallelujah ! Si je peux dire ça. Ce sera brocolis, mais… bon. J'adore les brocolis, est-ce un crime ?

Mon plateau bien rempli, je me retourne pour trouver une place répondant à tous mes critères : loin de tous, dans un lieu pas trop éclairé et à la fois pas trop loin de la sortie.

Mais voilà que je heurte un nouveau mur de muscles et de sweat, laissant échapper de mes mains mon plateau dans un grand fracas, sous mon regard désabusé. BORDEL, MAIS QU'EST-CE QU'ILS ONT TOUS EN CE MOMENT !!!

... Lui

Encore toi.

— Pour quelqu'un qui met tant de cœur à m'éviter, on dirait que c'est devenu une habitude de me rentrer dedans.

Je ricane, et me baisse déjà pour l'aider à ramasser le repas mélangé aux débris de verre et d’assiette qui gît au sol. Je veille particulièrement à ne pas à nouveau nous cogner la tête au passage, alors qu'autour les rires s'élèvent devant cette situation rocambolesque. J’allais suivre de bon cœur, mais elle n'avait pas besoin de dire quoique ce soit pour que je devine dans quel état d'esprit elle se trouve à cet instant : immobile, le regard vitreux, sa lèvre inférieure pincée entre ses dents, elle réagit comme si tout ceci était une véritable catastrophe.

— Eh… Je comprends, moi aussi je déteste les brocolis, mais c'était pas la peine de tout jeter à terre, tu sais. Enfin… J'étais parti chercher un deuxième dessert… Je te le donne si tu veux, au moins tu ne resteras pas avec l'estomac complètement vide.

J’essaye de détendre l'atmosphère, ne sachant pas vraiment si elle est au bord de l'explosion, ou simplement blasée de savoir son repas fichu à ses pieds. Finalement, je me relève, et fais un geste vers elle dans l’espoir d’obtenir une réaction, mais voilà qu'elle fuit à nouveau, aussi volatile qu'un moineau. Je veux la retenir, l'appeler, mais encore une fois, son fichu nom me manque, pour ne me laisser que comme un idiot, le bras levé, au-dessus du capharnaüm que nous avons provoqué.

— Laisse tomber vieux, tu n'obtiendras jamais rien d'elle, elle est plus sauvage et tout aussi cinglée qu'un chat qu'on aurait jeté dans une baignoire pleine, affirme un lycéen du groupe que je m'apprêtais à rejoindre avant l’incident.

Intéressé par l’idée que quelqu’un semble finalement la connaître, malgré un sens de la comparaison douteux, j’abandonne alors le responsable de la cantine, qui finit de ramasser les bris de verre en grommelant contre « l'écervelée qui a déguerpi sans assumer ses âneries ».

Sauvage ? Folle ? Elle ? Ce n'est pas le souvenir que j'en ai pourtant. Quelque chose me dit qu'elle est exactement ce chat échaudé, devenu méfiant après une mauvaise expérience. Pourtant, l’image qu’elle renvoie depuis plusieurs jours tend plutôt à me faire douter. Et si c’est finalement cet été qu’elle a revêtu le masque de cette fille que j’ai idéalisée, elle n’était donc qu’une douce illusion… Qui est-elle alors ? Qui est-elle vraiment ? Plus elle me fuit, plus je veux le savoir. Je ne peux me résoudre à croire que je me suis trompé sur toute la ligne à son sujet. C'est impossible… Personne ne peut aussi bien jouer la comédie. Mais alors, elle parvient à tromper tout un lycée avec ce comportement que je lui découvre désormais ?

— Mec ? me sort de mes pensées Antoine, un autre membre de notre groupe fraîchement formé, qui semble avoir répété ce mot un certain nombre de fois.

Bon sang, depuis combien de temps suis-je déconnecté ?

— Hm ? grommelé-je en rangeant mon brownie dans une serviette, comme si de rien n'était.

— Sérieux, c'est cette fille qui te met dans cet état ? se moque un autre. On dirait que t'es plus avec nous depuis tout à l'heure ! Vraiment, tu devrais pas lui prêter attention, c'est rien, elle est juste cheloue et… limite asociale, tu vois ? Puis franchement, tu l'as vue ? Qui pourrait bien s'intéresser à une fille comme elle ? Personnellement, je n’en voudrais même pas comme amie. Tu devrais plutôt regarder derrière toi. Elle, ce n'est pas rien. Belle, bien foutue, elle peut être drôle parfois aussi. Et puis on l'a tous vue, elle passe son temps à te mater, je ne sais pas ce que tu attends, mais si tu ne te bouges pas pour la pécho, moi je fonce !

— Tu la connais ? Et… Tu connais son nom ? demandé-je, entrevoyant enfin une opportunité dans la description peu flatteuse de ma mystérieuse inconnue.

— Évidemment ! Qui ne la connaît pas ici ? Elle s'appelle Anna Oberhaus, n'importe qui voudrait l'approcher ! nous interrompt dans un élan d’extase Antoine, de toute évidence à la tête du fan-club de cette « Anna » dont je n'ai que faire.

— Et n'importe qui lui est déjà passé dessus, intervient l’autre, avec une finesse qui n’a décidément de cesse de me faire grincer des dents.

— Ça c'est une vieille rumeur que l'autre sorcière a lancé, Anna a toujours démenti. D'ailleurs, est-ce qu'il y en a un seul autour de cette table qui peut se vanter de l’avoir ne serait-ce qu'embrassée ? Sûr qu'elle est jalouse de vivre dans l'ombre, alors qu'Anna… proteste Antoine, que je devine sans grande difficulté d'être fou amoureux de celle qu’il défend avec passion.

Le débat autour de cette fille — que j'ai déjà eu l'occasion de croiser à peu près à tous les cours, les seules places libres ne semblant toujours être réservées qu'à « Monsieur le Sac », ou être comme par hasard à côté d' « Anna » — s'éternise un moment, mais je n'y prête plus aucune attention. Ce n'est pas son prénom à elle que je cherche à savoir, mais comme je devine que « Sorcière » est la mystérieuse fille de cet été, je n'insiste plus, ne souhaitant pas lui créer plus de problèmes qu'elle ne semble déjà en avoir.

Je finis par me lever, et glisse le brownie emballé dans ma poche, avant de constater les pupilles d'Anna effectivement encore et toujours rivées sur moi. Cette obsession vire à l'indécence, à mon sens, un peu plus de retenue lui aurait sans aucun doute donné plus de charme. Pour l’instant, je la trouve presque vulgaire, mais ça finira bien par lui passer. Je ne suis qu’une “nouveauté”, ce qui explique tout cet attrait à mon encontre. Ce n'est donc pas une raison pour la blesser dans cet élan. Je lui fais un signe poli avant de m'éloigner tout en me faisant héler par le groupe d'amis qui ne comprend pas que je m’éclipse si soudainement. Je prétexte rapidement un entraînement de natation, excellente excuse pour fuir cette conversation beaucoup trop superficielle à mon goût.

... Elle

Bon sang, je meurs de faim à cause de cet imbécile. Je me suis cachée à la bibliothèque, là au moins je suis certaine de ne pas croiser tous ces idiots hilares. Ces rires… Je ne les supporte plus. Tout s'est mis à résonner dans ma tête, et je suis bêtement partie comme une voleuse… Il faudra que je pense à m'excuser auprès du responsable du self une prochaine fois, le connaissant, il a dû mettre beaucoup de cœur à me maudire pour avoir laissé tout ce bazar par terre.

N'y pense plus, c'est fini, et puis il y a ce livre super intéressant … que je tiens à l'envers depuis un quart d'heure. Pff… Vraiment, c'est mon cerveau qui est complètement retourné ces derniers temps ! Je n'attends qu'une chose, comme tous les jours depuis chaque lundi : le week-end ! Liberté chérie, loin de tout ce nid à ennuis. Beaucoup trop court à mon goût, par ailleurs. Mais pour le moment, il est plus que temps de retourner en cours. Bordel, mon estomac crie si fort qu'il pourrait couvrir le son d'une alerte incendie.

En parlant d'alerte… ça sonne ! Merle… Je me suis laissée distraire si longtemps ? Tout ça pour quelques brocolis perdus. Mes précieux brocolis…

Je me mets à courir jusqu'à la salle de classe, passe sans une excuse sous le regard sévère de notre professeur de sciences, et fonce en ignorant autant que je le peux le regard de mes si chers camarades. Hein ? Mais qu'est-ce que… ? Il y a un truc sur mon bureau ? Laissez-moi deviner, un « cadeau » pour me rappeler mon humiliation de ce midi ? Une menace peut-être ? Ou juste un mouchoir dégoûtant laissé à ma charmante attention ?

Avec mille précautions, je soulève, du bout de mes doigts, cet Objet Posé Non-Identifié. Il y a un truc dedans. Bordel, je devrais jeter ça immédiatement à la poubelle ! Maudite curiosité… Je soulève lentement le bout de papier. C'est… marron. Mon premier réflexe a été de tout refermer avec un petit bruit de dégoût sorti du fond de ma gorge, ce qui ne semble pas plaire à notre professeur :

— Vous avez l'intention de vous asseoir, Mademoiselle Meris ?

Uh… J'ai oublié. Vraiment, il va falloir que j'arrête de me faire remarquer à tout bout de champ. Mais qu'est-ce qui cloche chez moi ?! Je me dépêche de poser mon postérieur sur le bois dur de la chaise et réétudie l'OPNI devant moi. À tout bien réfléchir, ça ne sent pas mauvais, et puis surtout, personne n'a gloussé suite à mon geste.

Inspire un bon coup… On dirait… un gâteau ? Un brownie même. Il y en avait à la cantine. Évidemment. Un coup d’œil plus haut, et je l'aperçois, lui, me faire un petit signe de la main.

... Lui

Je ne sais pas à quoi elle joue avec ce stupide gâteau depuis tout à l'heure. Elle s'imagine qu'il est empoisonné ou quoi ? Mais elle semble l'avoir enfin trouvé et… sérieusement ?! Un doigt d'honneur ? C'est un jargon de chez elle pour dire merci ?

Je lui rends la pareille avec un immense sourire. Décidément, elle ne cesse de m'étonner, cette fille est vraiment amusante, je ne comprends pas pourquoi personne d'autre ne semble s'en rendre compte. Je vais la laisser manger, elle n'a sûrement aucune envie que je continue de la regarder pour le faire, de toute évidence, elle est bien trop fière pour admettre qu'elle a apprécié le geste. Et puis… C'est pour le bien de tous en fin de compte. Non, mais vous avez entendu cet appel au secours tout droit sorti de ses entrailles en souffrance ?

Il semble en tout cas que ça a suffi à les calmer, le reste du cours se déroulant dans un calme postprandial sur l'ensemble de la classe, allant même jusqu'à un « repos des yeux » forcé pour certains. Mais durant toute cette heure de leçon, il y a une chose essentielle que j'ai retenue : Meris.

Ainsi donc, j'obtiens enfin son nom. Avec quelques recherches, je finirais par obtenir le reste, qui n'a pas de réseaux sociaux de nos jours ? À moins qu'elle soit vraiment douée pour cacher son identité là-dessus aussi, mais avec un peu de persévérance, je finirais bien par tomber sur une faille !

Bon sang, on croit entendre un psychopathe… Un véritable stalker… T’étonne pas qu'elle se carapate à tout bout de champ maintenant.

La fin du cours sonne, et par chance pour nous, la fin de la journée par la même occasion. Je me retourne pour la voir une dernière fois, peut-être que je pourrais l'approcher cette fois-ci ? Rien de mieux que la nourriture pour attendrir les esprits les plus farouches. Mais… bon sang, elle a déjà disparu ! C'est vraiment incroyable ! Elle mériterait presque son surnom de « Sorcière » à ce niveau de magie là ! En attendant, je ne suis pas beaucoup plus avancé… Je ramasse mon sac, et trouve un mouchoir en papier par terre. Je l'aurais bien laissé là, c'est dégoûtant, mais n'est-ce pas aussi impoli pour celui qui finira bien par le ramasser ? Allez … Je ne suis pas à une B.A. près… Mais… De l'encre ? Oh… Je vois.

« Merci. »

J'aurais donc réussi à percer à jour son étrange langage corporel.

— Qu'est-ce qui te fait rire, mec ? me demande Antoine, qui m'attend pour sortir.

— Rien, laisse.

J’élude l’interrogatoire en rangeant précieusement le papier dans ma poche. Sauvage, n'est-ce pas ? Avec un peu de patience, je finirais bien par t'apprivoiser, Mademoiselle Meris.

Chapitre 3

Fuis-moi, je te suis

... Elle

Plusieurs semaines se sont passées depuis l'incident de la cantine, et je commence à croire que je me trompe sur le compte de cet idiot – pour le coup, j’avoue avoir explosé mon quota d’originalité pour ce surnom ! Mais on ne peut être qu’un idiot pour persister à vouloir poursuivre une personne qui fait tout son possible pour vous éviter, non ? –. Peut-être qu'il n'est finalement pas aussi “cliché” que je me l'imagine. Peut-être que derrière ces biceps saillants et ce minois à faire monter la vapeur dans les joues des plus insensibles d’entre nous, se cache ce garçon rieur et sans prétention que j’ai aperçu durant ces douces soirées estivales. J’ignore pourquoi je me suis imaginé qu’il pouvait être différent loin de cette plage paradisiaque ? La peur d’être une nouvelle fois déçue, sans aucun doute . Je suis même prête à faire un micro-effort, en souvenir de notre été partagé, pour éventuellement lui dire un truc aussi bateau que… je ne sais pas… « Bonjour » ?

Mais, alors que je m'approche de lui, semblable à un paresseux qui esquisse un pas en avant pour trois en arrière, le voilà qui passe un bras autour des épaules de Potiche. Celle-ci rit aux éclats au même moment, à je ne sais quelle plaisanterie qu'elle vient de lui lancer, avec cette bouche en cœur et ses yeux indécemment emplis d'intérêt pour lui. Ils semblent alors si proches… Toujours plus à chaque jour qui passe. Se peut-il qu’ils soient devenus plus que de simples voisins de classe en si peu de temps ? No way. Je ne sais pas ce qui m’a pris de croire qu’il pouvait être différent, ou même qu’il puisse réellement avoir le moindre intérêt pour moi. Je suis juste un visage familier au milieu d’une trentaine d’inconnus, une bouée de sauvetage en attendant qu’il trouve une place dans cette classe, là où je suis bien incapable d’en faire autant. Et de toute évidence, lui y est parvenu en un rien de temps, et a gagné au passage le cœur sacré de notre si peu vénérable Dame Potiche Ière du Nom. Rien d’étonnant venant de quelqu’un de son acabit. Bordel, voilà que je recommence à médire de l’intérieur ! Je vais finir par me prendre un retour de karma un de ces jours ! Je secoue la tête pour effacer ces indignes pensées de mon esprit impur, et je reprends finalement la direction inverse, réinstaurant cette belle et inévitable distance de sécurité entre ce groupe d'élite et moi.

... Lui

Je l'ai aperçue, du coin de l’œil, à chercher une manière de m'aborder, dans ce bien étrange manège. C'est vraiment… Aussi bizarre qu’adorable. Un peu comme une souris avide devant un bout de fromage qu’elle ne pourrait atteindre sans se voir piégée. Un pas en avant, la tête sur le côté, trois pas en arrière, la bouche entrouverte pour dire quelque chose, avant de finalement la refermer. C’est si divertissant que j’en oublie d’écouter Anna, ce que je ne tarde pourtant pas à me rendre compte, à la vue de sa mine renfrognée. Je l’entoure bien vite d’un bras, et la secoue doucement pour la taquiner, dans l’espoir de lui faire ainsi oublier cet instant d’égarement. Mais j’oublie qu’elle n’est pas comme elle, et elle n’apprécie a priori pas ce genre de familiarité. J’abats alors ma dernière carte, et j’espère la meilleure, riant aussi franchement que possible, sans oublier de prier que ses derniers mots étaient toujours bien destinés à m’amuser, puisque c’est ce qu’elle s'évertue à faire depuis une bonne demi-heure déjà pour je ne sais quelle raison. Et, magie ! Voilà que son sourire réapparaît, à mon grand soulagement. Satisfait de m’être sorti de ce pétrin en répondant visiblement à ses attentes, je m’autorise un nouveau coup d'œil vers ma Souris, convaincu de la voir bien plus proche de nous maintenant.

Mais elle n'est de toute évidence pas parvenue à aller jusqu'au bout. J'ignore ce qui l'a retenue, mais elle a déjà filé, avant même que qui que ce soit d'autre ne remarque sa présence dans les parages. La sonnerie met fin à la conversation du petit groupe que nous formons avec d’autres camarades, et je lâche enfin Anna, ayant oublié cette accolade improvisée après qu'elle se soit mise à me raconter une anecdote sur sa vie si compliquée avant le lycée. Bien sûr, je l’ai écoutée avec le plus grand des sérieux, elle qui a alors ressenti l’intime besoin de se confier. S’il y a bien un sujet avec lequel je ne plaisante pas, c’est le bien-être de mes pairs, et, j’imagine que comme tout le monde, j’ai particulièrement en exècre tout ce qui a trait au harcèlement. C'est donc tout naturellement que mon oreille est toujours prête à se tendre à ce genre de confession, bien que je ne sache jamais vraiment comment je peux aider pour améliorer ces situations bien trop répandues à mon goût. L'atmosphère s'est ensuite détendue après une plaisanterie d'Antoine, qui, sans masquer son mécontentement lié à notre proximité physique avec sa précieuse Anna, s’est senti obligé de se faire remarquer. Je ne manque pas de me faire une note mentale de ce détail pour ne pas commettre un nouvel impair à ce sujet à l’avenir. Puis, à la suite de cela, nous nous sommes montrés aussi soudés que possible pour ne pas qu’Anna s'inquiète d'avoir à traverser à nouveau une telle histoire, et l’avons assurée de notre soutien et notre amitié inconditionnels. Personnellement, cette promesse ne me met pas très à l’aise, je la connais à peine, après tout. Mais nos paroles ont au moins eu le mérite de la soulager.

Tellement, qu’elle entreprend de rester agrippée à mon bras, ce qui ne manque pas de me surprendre. Mais je la laisse faire. Il y a un moment que j’ai remarqué son côté tactile, et bien que le regard assombri d’Antoine tend plutôt à me convaincre de la repousser, qu’y puis-je ? J’apprécie sincèrement ce garçon, si je fais abstraction de sa jalousie excessive concernant cette fille. Lorsqu’il comprendra que je ne souhaite en aucun cas marcher sur ses plates-bandes, sans doute deviendrons-nous de bons amis. Après tout, mon esprit se trouve être actuellement déjà bien assez préoccupé par une petite Souris.

Nous arrivons alors en classe et c’est justement là que je la retrouve, elle, cachée au fond de son territoire, les yeux roulant vers le plafond alors qu'elle nous aperçoit, à son tour.

D'un sourire en coin, je vais m’asseoir sans plus d'attention, amusé par son comportement que j’imagine volontairement exagéré, bien décidé à user dorénavant d'une stratégie toute différente avec elle.

Je te laisserais t'approcher, faire le premier geste, le premier pas, lentement, mais sûrement, Petite Souris si craintive.

... Elle

Vraiment, un peu de tenue, non ? Il y a des hôtels pour roucouler hors de la vue de pauvres innocents ! Je vais vomir, sérieusement !

Bon, OK, j'exagère encore. Le moins que l'on puisse dire, c'est que depuis qu'il est dans le grappin de Potiche, il a vraisemblablement abandonné l'idée de m'approcher. Et c'est tant mieux ! Je crois… C’est bien ce que j’espérais ? Bon sang, pourquoi est-ce que je doute comme ça ! Mon espace vital, tout entier, et rien que pour moi ! Évidemment que c'est génial ! C'est exactement ce que je veux ! Ça lui prendra du temps avant de le comprendre !

Je mâchouille mon crayon, n'écoutant que d'une oreille distraite le cours d'histoire, tant je suis absorbée par mon observation du coin de l’œil du « couple » nouvellement formé… C'est vraiment son genre de fille ? Bien sûr que ça l'est. Elle est juste canon. Elle rit à toutes ses blagues aussi. Vraiment… Elle est obligée de dodeliner aussi fort de la tête pour le faire ? Combien de temps avant que ses cervicales ne cèdent pour laisser apparaître le vide sidéral qu’elle abrite ?

Il va vraiment falloir que je travaille sur ma médisance incessante. Je ne la déteste pas d’hier, et pourtant ce genre de pensée ne m’étouffe pas habituellement. Soigne ton karma, et il te remerciera.

Je prends une grande bouffée d’air méditative, emplie de toutes mes vieilles superstitions auxquelles je me raccroche sans y croire vraiment, lorsque la fin du cours sonne enfin, et je reprends bien vite ma stratégie initiale : prendre tout mon temps pour sortir la dernière. Sans surprise, il n'attend pas cette fois, trop préoccupé par son groupe de potes nouvellement formé. Je suis à nouveau seule dans ma bulle, un fantôme, invisible et sans aucun intérêt pour qui que ce soit. Et bien malgré moi, je ressens à nouveau ce douloureux pincement au cœur qui l’accompagne. Il est comme les autres, et je ne suis rien, comment aurait-il pu en être autrement ?

Mon sac sur le dos, j'emprunte une ruelle exiguë et sombre, qui me permet d'éviter toute la foule qui s’agglutine autour des arrêts de bus. J'en ai l'habitude, puisque tout le monde l'évite à cause de toutes ces légendes à glacer le sang qui tourne autour de ce recoin à l’odeur d’urine imprégnée dans chaque centimètre carré des hauts murs masquant fièrement la lumière des derniers rayons de l’été. Mais, je suis bien placée pour le savoir, il ne faut jamais se fier à ce que l'on raconte dans les couloirs de cette école ! Ce ne sont que de vieilles fables urbaines, dont personne n’a sans doute jamais été véritablement témoin. Les mêmes qui font de ma réputation celle qu’elle est aujourd’hui.

Mes sombres pensées liées à ce souvenir en tête, je traverse néanmoins l’allée au pas de course. Inutile de tenter le diable ! J'allais enfin revoir la lumière de la grande rue, quand un bras m'agrippe, trop fort, trop vite, me coupant le souffle de surprise.

— Tu as l'air pressée, jeune fille. Mais prendrais-tu le temps d'aider un vieil infirme comme moi ? souffle la voix de l'homme qui me retient par le poignet, assis sur le bas-côté, sa canne échouée au sol.

Vraiment, quelle idiote je peux être à me faire des films si facilement. D'un sourire, mi-forcé, mi-empathique, alors que je n’apprécie pas particulièrement ce soudain contact physique, je lui propose de l'aider à se relever. Reconnaissant, il prend appui sur mon bras encore fermement maintenu entre ses mains, et me remercie bien trop de fois pour un si petit acte, ce qui n’arrange rien à mon malaise d’introvertie. Une fois sur ses jambes, dont l'appui semble encore fragile, je me penche pour ramasser ce qui lui permettra de retrouver un équilibre plus stable. Mais une fois la main sur l'objet, je me retrouve bousculée, violemment. Ma tête heurte alors le mur puant qui me fait face, avant de finalement m'effondrer au sol.

Un ricanement. Une autre voix…

Tout est flou, et ma tête me fait si mal… Je ne comprends rien de ce qui se passe, trop sonnée pour réfléchir. Il n’y a que ces rires qui résonnent toujours plus fort, exacerbés par les souvenirs douloureux qu’ils provoquent. Ce n’est pas le moment, ressaisis-toi ! Je relève mon visage, et essaye de discerner les silhouettes devant moi. Combien sont-ils ? Trois ? Quatre ?

Mais je n'ai pas le temps de reprendre mes esprits pour identifier le problème, que je me vois décoller du sol, une poigne enroulant fermement ma queue de cheval pour me mettre à leur niveau, bien trop près du visage d’un autre homme, plus jeune cette fois.

— Lâchez-moi ! je leur somme, pendant que j’essaye de me débattre, bien décidée à tout donner pour m’échapper de cette situation qui ne m’inspire que de l’effroi.

Mais je suis bien vite rattrapée par une vive douleur à la tempe, au niveau de l’impact avec le mur. Dans quoi est-ce que je suis encore tombée ? Cela ressemble à un cauchemar, je dois absolument sortir de cette fichue rue !

D'un nouveau ricanement, l'homme qui me maintient approche son visage encore plus près du mien, me laissant pleinement accéder à son haleine saturée d'alcool.

— Alors, petite ! Pourquoi es-tu si pressée ? Tu n'as donc pas envie de t'amuser un peu ?

C'est pas vrai… Pourquoi ? Pourquoi faut-il que je me retrouve là-dedans ?! Je lutte encore, terrifiée par son immonde voix lourde de sous-entendus, et le repousse de toutes mes forces, sous les éclats de rire incessants de ses acolytes.

Arrêtez… ARRÊTEZ !

Je me mets à crier, sans en avoir pleinement conscience, saisie par mes réflexes de survie les plus primaires. Mes poumons me brûlent, peu habitués à se faire entendre si fort, mais cela s’avère inutile… La rue demeure désespérément vide, soigneusement évitée par toutes ces personnes finalement bien plus malines que je ne pouvais l’être. Ces mains… Ces rires… Ils me tétanisent. Je suis à bout de force tandis que mon vis-à-vis ne faiblit pas d’un pouce, persuadée qu'il ne me reste dorénavant plus qu'à subir ce qui me semble inévitable.

Mais un nouveau cri, de douleur cette fois, me sort brusquement de ma torpeur. La poigne dans mes cheveux se relâche si soudainement, que je ne peux que retomber lourdement sur mes genoux, qui ne veulent ou ne peuvent de toute manière plus me tenir.

— Que… ?

Mon agresseur n'a pas le temps de comprendre ce qui lui arrive qu'il rejoint le sol à son tour, s’étalant de tout son long. Mon bras est à nouveau brutalement tiré vers le haut, m'obligeant à me relever alors que mon corps ne semble plus en pouvoir de ces agressions incessantes. Je n’essaye même plus de me dégager.

— Ressaisis-toi ! On doit sortir de là ! m'ordonne une voix qui peine à maintenir l’assurance qu’elle cherche pourtant à me communiquer.

Cette voix, que j’ai tant cherché à fuir, et que je n’aurais jamais autant espéré entendre qu’à cet instant…

Lui…

... Lui

Bordel, il s'en est fallu de peu ! Qu'est-ce qu'elle peut bien faire ici, toute seule ? Pas le temps pour les questions, on verra ça plus tard, l'urgence est de la tirer d'ici avant que ces gars ne se relèvent. Une chance que les autres se soient lâchement enfuis, j'ignore déjà comment j'ai pu trouver la force de mettre ces deux-là à terre !

Elle ne réagit pas, sans doute sous le choc, alors je la tire derrière moi, sans prendre en compte les éventuelles blessures dont elle pourrait souffrir. On doit partir, et vite.

Quelques rues plus loin, sa main bouge enfin, pour glisser hors de la mienne et finalement la lâcher. Je me tourne vers elle, et je peux enfin constater l'état dans lequel elle se trouve. Ses genoux sont écorchés et ses cheveux dans un piteux état, mais par chance, tout n'est que superficiel en comparaison de ce que ces individus étaient sans doute prêts à lui faire subir. J'ai voulu la prendre contre moi, la rassurer, conscient qu'au-delà des quelques traces de sang coagulé sur son front, sa véritable souffrance, elle, était invisible. Mais elle se tourne au dernier moment, et m’esquive avec une facilité déconcertante, avant de s'éloigner sans un mot. Évidemment… Qui voudrait qu'on l'approche, qu'on la touche, après ce qu'elle vient de vivre ? Mais il est pour autant hors de question que je la laisse repartir seule, comme si rien de tout cela n’était arrivé !

— Eh ! je la hèle, sans succès.

Elle plaisante là ?

— T'as vraiment l'intention de rentrer seule après ce qu'il vient de se passer ?! Tu dois porter plainte ! Peut-être même allez à l’hôpital, lui fais-je remarquer, alors que je la rattrape sans difficulté.

— Laisse-moi, murmure-t-elle pour simple réponse, sans s’arrêter, tête baissée, contrite.

— Mais bon sang, c'est quoi ton problème ?!

Les mots se sont échappés, comme une bombe, exprimant pour la première fois toute la frustration qu’elle provoque en moi. Je regrette aussitôt la force que j’avais mise dans cette sentence, persuadé de la pousser un peu plus à me fuir. Comme si c’était le moment de régler nos comptes ! Mais contre toute attente, elle s'arrête enfin, et semble rassembler les mots qu'elle cherche à me dire. C’est du moins ce que j’espère du plus profond de mon cœur. Malgré toutes mes résolutions pour respecter son besoin de distance, l’incompréhension que je m'évertue de contenir avait fini par éclater. J’ai besoin de réponse. Maintenant. Et c’est dans un silence partagé entre l’espoir et la crainte que j’attends d’enfin connaître ses motivations.

... Elle

Pourquoi a-t-il fallu que ce soit lui ? Pourquoi est-il toujours là, partout, tout le temps ? C'est si humiliant… Le peu de positif qu'il pensait de moi doit sans doute s'être évanoui après une telle scène… ! Et je n’ai vraiment aucune envie de raconter cette histoire à ses côtés, devant un policier qui n’en croira probablement pas un traître mot. C’était surréaliste, comment à lui tout seul avait-il pu faire fuir mes agresseurs ? Il est quoi au juste ? Un de ces justiciers de l’ombre qui vient au secours de la première jouvencelle en détresse qu’il croise ?

— Je n'ai pas besoin que tu joues les chevaliers servants pour moi ! Je pouvais très bien m'en sortir toute seule !

Idiot. Tu aurais pu être blessé… Peut-être même pire ! Oui. C'est ce que je voulais lui dire, encore tremblante de cette succession d'événements dont je ne saisis pas le moindre sens. Mais perturbée par cette attaque et sa réaction, ma bouche transformait ces mots qui ne voulaient pas sortir en une espèce de colère encore plus insensée.

Il reste silencieux, immobile. Peut-être comprend-il enfin ? Oui, c’est cela, il voit enfin qui je suis, cette sorcière que les autres s’entêtent à lui décrire depuis des semaines déjà. Bien sûr, j’ai eu le loisir d’entendre tous ces mignons adjectifs qu’ils usent à mon encontre, ce n’est pas comme s’ils cherchaient à s’en cacher. Et évidemment, je n’ai rien fait pour les contredire. Ils ont raison. Je suis une mauvaise personne, je ne sais qu’attirer des problèmes à ceux qui essaient de m’approcher, alors pourquoi laisser prendre le risque à quelqu’un qui vient tout bonnement de me sauver la vie ? C'est le moment pour moi de prendre congé une bonne fois pour toutes. Cet événement ne fait que confirmer que je ne peux pas être une bonne chose dans sa vie. Il aurait pu y laisser sa peau, cet idiot.

— “Merci” aurait pu être suffisant. Même sur un bout de chiffon, peu importe. Tu te comportes vraiment comme une imbécile, parfois, tu le sais ça ? Je n’arrive plus à te suivre. Pourquoi es-tu ainsi ? Où est cette fille qui riait ? Cette fille si libre et sans attache ? Cette fille solaire qui ne se souciait de rien ni de personne ? Je ne comprends pas…

Je peux aisément déceler la pointe de déception dans sa voix. C'est trop compliqué, et même si je lui explique, il ne peut de toute évidence pas comprendre, il n'est pas comme… moi. Alors, autant achever ce qui lui reste d’espoir immédiatement.

— Tu es simplement comme tous les autres, tu ne peux pas savoir… Laisse-moi.