De l'essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques - Charles Baudelaire - E-Book

De l'essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques E-Book

Charles Baudelaire.

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Beschreibung

Dans ce court essai philosophique rédigé de 1855 à 1857, année de publication des "Fleurs du mal", Baudelaire énonce l'une des thèses marquantes de son esthétique : le rire est satanique, il est le signe de l'imperfection de l'homme, de son orgueil et de son angoisse. Le travail de Baudelaire inaugure une conception moderne du rire Lautréamont et André Breton s'en feront l'écho.

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Paul Legrand dans le personnage de Pierrot (1855 environ), photographié par Nadar.

Sommaire

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Chapitre VI

I

Je ne veux pas écrire un traité de la caricature [1]; je veux simplement faire part au lecteur de quelques réflexions qui me sont venues souvent au sujet de ce genre singulier.

Ces réflexions étaient devenues pour moi une espèce d’obsession ; j’ai voulu me soulager. J’ai fait, du reste, tous mes efforts pour y mettre un certain ordre et en rendre ainsi la digestion plus facile. Ceci est donc purement un article de philosophe et d’artiste. Sans doute une histoire générale de la caricature dans ses rapports avec tous les faits politiques et religieux, graves ou frivoles, relatifs à l’esprit national ou à la mode, qui ont agité l’humanité, est une œuvre glorieuse et importante. Le travail est encore à faire, car les essais publiés jusqu’à présent ne sont guère que matériaux ; mais j’ai pensé qu’il fallait diviser le travail. Il est clair qu’un ouvrage sur la caricature, ainsi compris, est une histoire de faits, une immense galerie anecdotique.

Dans la caricature, bien plus que dans les autres branches de l’art, il existe deux sortes d’œuvres précieuses et recommandables à des titres différents et presque contraires. Celles-ci ne valent que par le fait qu’elles représentent. Elles ont droit sans doute à l’attention de l’historien, de l’archéologue et même du philosophe ; elles doivent prendre leur rang dans les archives nationales, dans les registres biographiques de la pensée humaine. Comme les feuilles volantes du journalisme, elles disparaissent emportées par le souffle incessant qui en amène de nouvelles ; mais les autres, et ce sont celles dont je veux spécialement m’occuper, contiennent un élément mystérieux, durable, éternel, qui les recommande à l’attention des artistes. Chose curieuse et vraiment digne d’attention que l’introduction de cet élément insaisissable du beau jusque dans les œuvres destinées à représenter à l’homme sa propre laideur morale et physique ! Et, chose non moins mystérieuse, ce spectacle lamentable excite en lui une hilarité immortelle et incorrigible. Voilà donc le véritable sujet de cet article.

Un scrupule me prend. Faut-il répondre par une démonstration en règle à une espèce de question préalable que voudraient sans doute malicieusement soulever certains professeurs jurés de sérieux, charlatans de la gravité, cadavres pédantesques sortis des froids hypogées [2] de l’Institut, et revenus sur la terre des vivants, comme certains fantômes avares, pour arracher quelques sous à de complaisants ministères ? D’abord, diraient-ils, la caricature est-elle un genre ? Non, répondraient leurs compères, la caricature n’est pas un genre. J’ai entendu résonner à mes oreilles de pareilles hérésies dans des dîners d’académiciens. Ces braves gens laissaient passer à côté d’eux la comédie de Robert Macaire sans y apercevoir de grands symptômes moraux et littéraires.

Contemporains de Rabelais, ils l’eussent traité de vil et de grossier bouffon. En vérité, faut-il donc démontrer que rien de ce qui sort de l’homme n’est frivole aux yeux du philosophe ?

À coup sûr ce sera, moins que tout autre, cet élément profond et mystérieux qu’aucune philosophie n’a jusqu’ici analysé à fond.

Nous allons donc nous occuper de l’essence du rire et des éléments constitutifs de la caricature. Plus tard, nous examinerons peut-être quelques-unes des œuvres les plus remarquables produites en ce genre.

II

Le Sage ne rit qu’en tremblant [3]. De quelles lèvres pleines d’autorité, de quelle plume parfaitement orthodoxe est tombée cette étrange et saisissante maxime ? Nous vient-elle du roi philosophe de la Judée ? Faut-il l’attribuer à Joseph de Maistre, ce soldat animé de l’Esprit-Saint ? J’ai un vague souvenir de l’avoir lue dans un de ses livres, mais donnée comme citation, sans doute. Cette sévérité de pensée et de style va bien à la sainteté majestueuse de Bossuet ; mais la tournure elliptique de la pensée et la finesse quintessenciée me porteraient plutôt à en attribuer l’honneur à Bourdaloue, l’impitoyable psychologue chrétien. Cette singulière maxime me revient sans cesse à l’esprit depuis que j’ai conçu le projet de cet article, et j’ai voulu m’en débarrasser tout d’abord.

Analysons, en effet, cette curieuse proposition : le Sage, c’est-à-dire celui qui est animé de l’esprit du Seigneur, celui qui possède la pratique du formulaire divin, ne rit, ne s’abandonne au rire qu’en tremblant. Le Sage tremble d’avoir ri ; le Sage craint le rire, comme il craint les spectacles mondains, la concupiscence. Il s’arrête au bord du rire comme au bord de la tentation. Il y a donc, suivant le Sage, une certaine contradiction secrète entre son caractère de sage et le caractère primordial du rire. En effet, pour n’effleurer qu’en passant des souvenirs plus que solennels, je ferai remarquer, – ce qui corrobore parfaitement le caractère officiellement chrétien de cette maxime, – que le Sage par excellence, le Verbe Incarné, n’a jamais ri.