The Flowers of Evil / Les Fleurs du Mal   :  English - French Bilingual Edition - Charles Baudelaire - E-Book

The Flowers of Evil / Les Fleurs du Mal : English - French Bilingual Edition E-Book

Charles Baudelaire.

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Beschreibung

Les Fleurs du mal (English: The Flowers of Evil) is a volume of French poetry by Charles Baudelaire. First published in 1857, it was important in the symbolist and modernist movements. The poems deal with themes relating to decadence and eroticism. This Bilingual English - French edition provides the original text by Baudelaire and its English translation by Cyril Scott. The initial publication of the book was arranged in six thematically segregated sections: 1. Spleen et Idéal (Spleen and Ideal) 2. Tableaux parisiens (Parisian Scenes) 3. Le Vin (Wine) 4. Fleurs du mal (Flowers of Evil) 5. Révolte (Revolt) 6. La Mort (Death) Baudelaire dedicated the book to the poet Théophile Gautier, describing him as a parfait magicien des lettres françaises ("a perfect magician of French letters"). The foreword to the volume, Au Lecteur ("To the Reader"), identifying Satan with the pseudonymous alchemist Hermes Trismegistus. The author and the publisher were prosecuted under the regime of the Second Empire as an outrage aux bonnes moeurs ("an insult to public decency"). As a consequence of this prosecution, Baudelaire was fined 300 francs. Six poems from the work were suppressed and the ban on their publication was not lifted in France until 1949. These poems were "Lesbos"; "Femmes damnées (À la pâle clarté)" (or "Women Doomed (In the pale glimmer...)"); "Le Léthé" (or "Lethe"); "À celle qui est trop gaie" (or "To Her Who Is Too Joyful"); "Les Bijoux" (or "The Jewels"); and " Les "Métamorphoses du Vampire" (or "The Vampire's Metamorphoses"). These were later published in Brussels in a small volume entitled Les Épaves (Scraps or Jetsam). On the other hand, upon reading "The Swan" (or "Le Cygne") from Les Fleurs du mal, Victor Hugo announced that Baudelaire had created "un nouveau frisson" (a new shudder, a new thrill) in literature. In the wake of the prosecution, a second edition was issued in 1861 which added 35 new poems, removed the six suppressed poems, and added a new section entitled Tableaux Parisiens. A posthumous third edition, with a preface by Théophile Gautier and including 14 previously unpublished poems, was issued in 1868.

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AU LECTEUR

La sottise, l'erreur, le péché, la lésine, Occupent nos esprits et travaillent nos corps, Et nous alimentons nos aimables remords, Comme les mendiants nourrissent leur vermine. Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches; Nous nous faisons payer grassement nos aveux, Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux, Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches. Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste Qui berce longuement notre esprit enchanté, Et le riche métal de notre volonté Est tout vaporisé par ce savant chimiste. C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent! Aux objets répugnants nous trouvons des appas; Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas, Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent. Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange Le sein martyrisé d'une antique catin, Nous volons au passage un plaisir clandestin Que nous pressons bien fort comme une vieille orange. Serré, fourmillant, comme un million d'helminthes, Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons, Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes. Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie, N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins Le canevas banal de nos piteux destins, C'est que notre âme, hélas! n'est pas assez hardie. Mais parmi les chacals, les panthères, les lices, Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents, Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants, Dans la ménagerie infâme de nos vices, II en est un plus laid, plus méchant, plus immonde! Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris, Il ferait volontiers de la terre un débris Et dans un bâillement avalerait le monde; C'est l'Ennui! L'oeil chargé d'un pleur involontaire, II rêve d'échafauds en fumant son houka. Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat, —Hypocrite lecteur,—mon semblable,—mon frère!

TO THE READER

Folly, error, sin, avarice Occupy our minds and labor our bodies, And we feed our pleasant remorse As beggars nourish their vermin. Our sins are obstinate, our repentance is faint; We exact a high price for our confessions, And we gaily return to the miry path, Believing that base tears wash away all our stains. On the pillow of evil Satan, Trismegist, Incessantly lulls our enchanted minds, And the noble metal of our will Is wholly vaporized by this wise alchemist. The Devil holds the strings which move us! In repugnant things we discover charms; Every day we descend a step further toward Hell, Without horror, through gloom that stinks. Like a penniless rake who with kisses and bites Tortures the breast of an old prostitute, We steal as we pass by a clandestine pleasure That we squeeze very hard like a dried up orange. Serried, swarming, like a million maggots, A legion of Demons carouses in our brains, And when we breathe, Death, that unseen river, Descends into our lungs with muffled wails. If rape, poison, daggers, arson Have not yet embroidered with their pleasing designs The banal canvas of our pitiable lives, It is because our souls have not enough boldness. But among the jackals, the panthers, the bitch hounds, The apes, the scorpions, the vultures, the serpents, The yelping, howling, growling, crawling monsters, In the filthy menagerie of our vices, There is one more ugly, more wicked, more filthy! Although he makes neither great gestures nor great cries, He would willingly make of the earth a shambles And, in a yawn, swallow the world; He is Ennui!—His eye watery as though with tears, He dreams of scaffolds as he smokes his hookah pipe. You know him reader, that refined monster, —Hypocritish reader,—my fellow,—my brother!

SPLEEN ET IDÉAL — SPLEEN AND IDEAL BENEDICTION

Lorsque, par un décret des puissances suprêmes, Le Poète apparaît en ce monde ennuyé, Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié: —«Ah! que n'ai-je mis bas tout un noeud de vipères, Plutôt que de nourrir cette dérision! Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères Où mon ventre a conçu mon expiation! Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes Pour être le dégoût de mon triste mari, Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes, Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri, Je ferai rejaillir ta haine qui m'accable Sur l'instrument maudit de tes méchancetés, Et je tordrai si bien cet arbre misérable, Qu'il ne pourra pousser ses boutons empestés!» Elle ravale ainsi l'écume de sa haine, Et, ne comprenant pas les desseins éternels, Elle-même prépare au fond de la Géhenne Les bûchers consacrés aux crimes maternels. Pourtant, sous la tutelle invisible d'un Ange, L'Enfant déshérité s'enivre de soleil Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil. II joue avec le vent, cause avec le nuage, Et s'enivre en chantant du chemin de la croix; Et l'Esprit qui le suit dans son pèlerinage Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois. Tous ceux qu'il veut aimer l'observent avec crainte, Ou bien, s'enhardissant de sa tranquillité, Cherchent à qui saura lui tirer une plainte, Et font sur lui l'essai de leur férocité. Dans le pain et le vin destinés à sa bouche Ils mêlent de la cendre avec d'impurs crachats; Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche, Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas. Sa femme va criant sur les places publiques: «Puisqu'il me trouve assez belle pour m'adorer, Je ferai le métier des idoles antiques, Et comme elles je veux me faire redorer; Et je me soûlerai de nard, d'encens, de myrrhe, De génuflexions, de viandes et de vins, Pour savoir si je puis dans un coeur qui m'admire Usurper en riant les hommages divins! Et, quand je m'ennuierai de ces farces impies, Je poserai sur lui ma frêle et forte main; Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies, Sauront jusqu'à son coeur se frayer un chemin. Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite, J'arracherai ce coeur tout rouge de son sein, Et, pour rassasier ma bête favorite Je le lui jetterai par terre avec dédain!» Vers le Ciel, où son oeil voit un trône splendide, Le Poète serein lève ses bras pieux Et les vastes éclairs de son esprit lucide Lui dérobent l'aspect des peuples furieux: —«Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance Comme un divin remède à nos impuretés Et comme la meilleure et la plus pure essence Qui prépare les forts aux saintes voluptés! Je sais que vous gardez une place au Poète Dans les rangs bienheureux des saintes Légions, Et que vous l'invitez à l'éternelle fête Des Trônes, des Vertus, des Dominations. Je sais que la douleur est la noblesse unique Où ne mordront jamais la terre et les enfers, Et qu'il faut pour tresser ma couronne mystique Imposer tous les temps et tous les univers. Mais les bijoux perdus de l'antique Palmyre, Les métaux inconnus, les perles de la mer, Par votre main montés, ne pourraient pas suffire A ce beau diadème éblouissant et clair; Car il ne sera fait que de pure lumière, Puisée au foyer saint des rayons primitifs, Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entière, Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs!»

BENEDICTION

When, after a decree of the supreme powers, The Poet is brought forth in this wearisome world, His mother terrified and full of blasphemies Raises her clenched fist to God, who pities her: —"Ah! would that I had spawned a whole knot of vipers Rather than to have fed this derisive object! Accursed be the night of ephemeral joy When my belly conceived this, my expiation! Since of all women You have chosen me To be repugnant to my sorry spouse, And since I cannot cast this misshapen monster Into the flames, like an old love letter, I shall spew the hatred with which you crush me down On the cursed instrument of your malevolence, And twist so hard this wretched tree That it cannot put forth its pestilential buds!" Thus she gulps down the froth of her hatred, And not understanding the eternal designs, Herself prepares deep down in Gehenna The pyre reserved for a mother's crimes. However, protected by an unseen Angel, The outcast child is enrapt by the sun, And in all that he eats, in everything he drinks, He finds sweet ambrosia and rubiate nectar. He cavorts with the wind, converses with the clouds, And singing, transported, goes the way of the cross; And the Angel who follows him on pilgrimage Weeps to see him as carefree as a bird. All those whom he would love watch him with fear, Or, emboldened by his tranquility, Emulously attempt to wring a groan from him And test on him their inhumanity. With the bread and the wine intended for his mouth They mix ashes and foul spittle, And, hypocrites, cast away what he touches And feel guilty if they have trod in his footprints. His wife goes about the market-places Crying: "Since he finds me fair enough to adore, I shall imitate the idols of old, And like them I want to be regilded; I shall get drunk with spikenard, incense, myrrh, And with genuflections, viands and wine, To see if laughingly I can usurp In an admiring heart the homage due to God! And when I tire of these impious jokes, I shall lay upon him my strong, my dainty hand; And my nails, like harpies' talons, Will cut a path straight to his heart. That heart which flutters like a fledgling bird I'll tear, all bloody, from his breast, And scornfully I'll throw it in the dust To sate the hunger of my favorite hound!" To Heav'n, where his eye sees a radiant throne, Piously, the Poet, serene, raises his arms, And the dazzling brightness of his illumined mind Hides from his sight the raging mob: —"Praise be to You, O God, who send us suffering As a divine remedy for our impurities And as the best and the purest essence To prepare the strong for holy ecstasies! I know that you reserve a place for the Poet Within the blessed ranks of the holy Legions, And that you invite him to the eternal feast Of the Thrones, the Virtues, and the Dominations. I know that suffering is the sole nobility Which earth and hell shall never mar, And that to weave my mystic crown, You must tax every age and every universe. But the lost jewels of ancient Palmyra, The unfound metals, the pearls of the sea, Set by Your own hand, would not be adequate For that diadem of dazzling splendor, For that crown will be made of nothing but pure light Drawn from the holy source of primal rays, Whereof our mortal eyes, in their fullest brightness, Are no more than tarnished, mournful mirrors!"

L'ALBATROS

Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers. À peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à côté d'eux. Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule! Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid! L'un agace son bec avec un brûle-gueule, L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait! Le Poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l'archer; Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

THE ALBATROSS

Often, to amuse themselves, the men of a crew Catch albatrosses, those vast sea birds That indolently follow a ship As it glides over the deep, briny sea. Scarcely have they placed them on the deck Than these kings of the sky, clumsy, ashamed, Pathetically let their great white wings Drag beside them like oars. That winged voyager, how weak and gauche he is, So beautiful before, now comic and ugly! One man worries his beak with a stubby clay pipe; Another limps, mimics the cripple who once flew! The poet resembles this prince of cloud and sky Who frequents the tempest and laughs at the bowman; When exiled on the earth, the butt of hoots and jeers, His giant wings prevent him from walking.

ÉLEVATION

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées, Des montagnes, des bois, des nuages, des mers, Par delà le soleil, par delà les éthers, Par delà les confins des sphères étoilées, Mon esprit, tu te meus avec agilité, Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde, Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde Avec une indicible et mâle volupté. Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides; Va te purifier dans l'air supérieur, Et bois, comme une pure et divine liqueur, Le feu clair qui remplit les espaces limpides. Derrière les ennuis et les vastes chagrins Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse, Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse S'élancer vers les champs lumineux et sereins; Celui dont les pensers, comme des alouettes, Vers les cieux le matin prennent un libre essor, —Qui plane sur la vie, et comprend sans effort Le langage des fleurs et des choses muettes!

ELEVATION

Above the lakes, above the vales, The mountains and the woods, the clouds, the seas, Beyond the sun, beyond the ether, Beyond the confines of the starry spheres, My soul, you move with ease, And like a strong swimmer in rapture in the wave You wing your way blithely through boundless space With virile joy unspeakable. Fly far, far away from this baneful miasma And purify yourself in the celestial air, Drink the ethereal fire of those limpid regions As you would the purest of heavenly nectars. Beyond the vast sorrows and all the vexations That weigh upon our lives and obscure our vision, Happy is he who can with his vigorous wing Soar up towards those fields luminous and serene, He whose thoughts, like skylarks, Toward the morning sky take flight —Who hovers over life and understands with ease The language of flowers and silent things!

CORRESPONDANCES

La Nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles; L'homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l'observent avec des regards familiers. Comme de longs échos qui de loin se confondent Dans une ténébreuse et profonde unité, Vaste comme la nuit et comme la clarté, Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. II est des parfums frais comme des chairs d'enfants, Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, —Et d'autres, corrompus, riches et triomphants, Ayant l'expansion des choses infinies, Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens, Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

CORRESPONDENCES

Nature is a temple in which living pillars Sometimes give voice to confused words; Man passes there through forests of symbols Which look at him with understanding eyes. Like prolonged echoes mingling in the distance In a deep and tenebrous unity, Vast as the dark of night and as the light of day, Perfumes, sounds, and colors correspond. There are perfumes as cool as the flesh of children, Sweet as oboes, green as meadows —And others are corrupt, and rich, triumphant, With power to expand into infinity, Like amber and incense, musk, benzoin, That sing the ecstasy of the soul and senses.

J'AIME LE SOUVENIR DE CES EPOQUES NUES

J'aime le souvenir de ces époques nues, Dont Phoebus se plaisait à dorer les statues. Alors l'homme et la femme en leur agilité Jouissaient sans mensonge et sans anxiété, Et, le ciel amoureux leur caressant l'échine, Exerçaient la santé de leur noble machine. Cybèle alors, fertile en produits généreux, Ne trouvait point ses fils un poids trop onéreux, Mais, louve au coeur gonflé de tendresses communes Abreuvait l'univers à ses tétines brunes. L'homme, élégant, robuste et fort, avait le droit D'être fier des beautés qui le nommaient leur roi; Fruits purs de tout outrage et vierges de gerçures, Dont la chair lisse et ferme appelait les morsures! Le Poète aujourd'hui, quand il veut concevoir Ces natives grandeurs, aux lieux où se font voir La nudité de l'homme et celle de la femme, Sent un froid ténébreux envelopper son âme Devant ce noir tableau plein d'épouvantement. Ô monstruosités pleurant leur vêtement! Ô ridicules troncs! torses dignes des masques! Ô pauvres corps tordus, maigres, ventrus ou flasques, Que le dieu de l'Utile, implacable et serein, Enfants, emmaillota dans ses langes d'airain! Et vous, femmes, hélas! pâles comme des cierges, Que ronge et que nourrit la débauche, et vous, vierges, Du vice maternel traînant l'hérédité Et toutes les hideurs de la fécondité! Nous avons, il est vrai, nations corrompues, Aux peuples anciens des beautés inconnues: Des visages rongés par les chancres du coeur, Et comme qui dirait des beautés de langueur; Mais ces inventions de nos muses tardives N'empêcheront jamais les races maladives De rendre à la jeunesse un hommage profond, —À la sainte jeunesse, à l'air simple, au doux front, À l'oeil limpide et clair ainsi qu'une eau courante, Et qui va répandant sur tout, insouciante Comme l'azur du ciel, les oiseaux et les fleurs, Ses parfums, ses chansons et ses douces chaleurs!

I LOVE TO THINK OF THOSE NAKED EPOCHS

I love to think of those naked epochs Whose statues Phoebus liked to tinge with gold. At that time men and women, lithe and strong, Tasted the thrill of love free from care and prudery, And with the amorous sun caressing their loins They gloried in the health of their noble bodies. Then Cybele, generous with her fruits, Did not find her children too heavy a burden; A she-wolf from whose heart flowed boundless love for all, She fed the universe from her tawny nipples. Man, graceful, robust, strong, was justly proud Of the beauties who proclaimed him their king; Fruits unblemished and free from every scar, Whose smooth, firm flesh invited biting kisses! Today, when the Poet wishes to imagine This primitive grandeur, in places where Men and women show themselves in a state of nudity, He feels a gloomy cold enveloping his soul Before this dark picture full of terror. Monstrosities bewailing their clothing! Ridiculous torsos appropriate for masks! Poor bodies, twisted, thin, bulging or flabby, That the god Usefulness, implacable and calm, Wrapped up at tender age in swaddling clothes of brass! And you, women, alas! pale as candies, Whom Debauch gnaws and feeds, and you, virgins, Who trail the heritage of the maternal vice And all the hideousness of fecundity! Degenerate races, we have, it's true, Types of beauty unknown to the ancient peoples: Visages gnawed by cankers of the heart And what one might say were languor's marks of beauty; But these inventions of our backward Muses Will never prevent unhealthy races From paying to their youth deep and sincere homage, —To holy youth, with serene brow and guileless air, With eyes bright and clear, like a running brook, Which goes spreading over all things, as free from care As the blue of the sky, the birds and the flowers, Its perfumes, its songs and its sweet ardor!

LES PHARES

Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse, Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer, Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse, Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer; Léonard de Vinci, miroir profond et sombre, Où des anges charmants, avec un doux souris Tout chargé de mystère, apparaissent à l'ombre Des glaciers et des pins qui ferment leur pays; Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures, Et d'un grand crucifix décoré seulement, Où la prière en pleurs s'exhale des ordures, Et d'un rayon d'hiver traversé brusquement; Michel-Ange, lieu vague où l'on voit des Hercules Se mêler à des Christs, et se lever tout droits Des fantômes puissants qui dans les crépuscules Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts; Colères de boxeur, impudences de faune, Toi qui sus ramasser la beauté des goujats, Grand coeur gonflé d'orgueil, homme débile et jaune, Puget, mélancolique empereur des forçats; Watteau, ce carnaval où bien des coeurs illustres, Comme des papillons, errent en flamboyant, Décors frais et légers éclairés par des lustres Qui versent la folie à ce bal tournoyant; Goya, cauchemar plein de choses inconnues, De foetus qu'on fait cuire au milieu des sabbats, De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues, Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas; Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges, Ombragé par un bois de sapins toujours vert, Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges Passent, comme un soupir étouffé de Weber; Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes, Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum, Sont un écho redit par mille labyrinthes; C'est pour les coeurs mortels un divin opium! C'est un cri répété par mille sentinelles, Un ordre renvoyé par mille porte-voix; C'est un phare allumé sur mille citadelles, Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois! Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage Que nous puissions donner de notre dignité Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge Et vient mourir au bord de votre éternité!

THE BEACONS

Rubens, river of oblivion, garden of indolence, Pillow of cool flesh where one cannot love, But where life moves and whirls incessantly Like the air in the sky and the tide in the sea; Leonardo, dark, unfathomable mirror, In which charming angels, with sweet smiles Full of mystery, appear in the shadow Of the glaciers and pines that enclose their country; Rembrandt, gloomy hospital filled with murmuring, Ornamented only with a large crucifix, Lit for a moment by a wintry sun, Where from rot and ordure rise tearful prayers; Angelo, shadowy place where Hercules' are seen Mingling with Christs, and rising straight up, Powerful phantoms, which in the twilights Rend their winding-sheets with outstretched fingers; Boxer's wrath, shamelessness of Fauns, you whose genius Showed to us the beauty in a villain, Great heart filled with pride, sickly, yellow man, Puget, melancholy emperor of galley slaves; Watteau, carnival where the loves of many famous hearts Flutter capriciously like butterflies with gaudy wings; Cool, airy settings where the candelabras' light Touches with madness the couples whirling in the dance Goya, nightmare full of unknown things, Of fetuses roasted in the midst of witches' sabbaths, Of old women at the mirror and of nude children, Tightening their hose to tempt the demons; Delacroix, lake of blood haunted by bad angels, Shaded by a wood of fir-trees, ever green, Where, under a gloomy sky, strange fanfares Pass, like a stifled sigh from Weber; These curses, these blasphemies, these lamentations, These Te Deums, these ecstasies, these cries, these tears, Are an echo repeated by a thousand labyrinths; They are for mortal hearts a divine opium. They are a cry passed on by a thousand sentinels, An order re-echoed through a thousand megaphones; They are a beacon lighted on a thousand citadels, A call from hunters lost deep in the woods! For truly, Lord, the clearest proofs That we can give of our nobility, Are these impassioned sobs that through the ages roll, And die away upon the shore of your Eternity.

LA MUSE MALADE

Ma pauvre muse, hélas! qu'as-tu donc ce matin? Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes, Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint La folie et l'horreur, froides et taciturnes. Le succube verdâtre et le rose lutin T'ont-ils versé la peur et l'amour de leurs urnes? Le cauchemar, d'un poing despotique et mutin T'a-t-il noyée au fond d'un fabuleux Minturnes? Je voudrais qu'exhalant l'odeur de la santé Ton sein de pensers forts fût toujours fréquenté, Et que ton sang chrétien coulât à flots rythmiques, Comme les sons nombreux des syllabes antiques, Où règnent tour à tour le père des chansons, Phoebus, et le grand Pan, le seigneur des moissons.

THE SICK MUSE

My poor Muse, alas! what ails you today? Your hollow eyes are full of nocturnal visions; I see in turn reflected on your face Horror and madness, cold and taciturn. Have the green succubus, the rosy elf, Poured out for you love and fear from their urns? Has the hand of Nightmare, cruel and despotic, Plunged you to the bottom of some weird Minturnae? I would that your bosom, fragrant with health, Were constantly the dwelling place of noble thoughts, And that your Christian blood would flow in rhythmic waves Like the measured sounds of ancient verse, Over which reign in turn the father of all songs, Phoebus, and the great Pan, lord of harvest.

LA MUSE VENALE

Ô muse de mon coeur, amante des palais, Auras-tu, quand Janvier lâchera ses Borées, Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées, Un tison pour chauffer tes deux pieds violets? Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées Aux nocturnes rayons qui percent les volets? Sentant ta bourse à sec autant que ton palais Récolteras-tu l'or des voûtes azurées? II te faut, pour gagner ton pain de chaque soir, Comme un enfant de choeur, jouer de l'encensoir, Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère, Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appas Et ton rire trempé de pleurs qu'on ne voit pas, Pour faire épanouir la rate du vulgaire.

THE VENAL MUSE

Muse of my heart, you who love palaces, When January frees his north winds, will you have, During the black ennui of snowy evenings, An ember to warm your two feet blue with cold? Will you bring the warmth back to your mottled shoulders, With the nocturnal beams that pass through the shutters? Knowing that your purse is as dry as your palate, Will you harvest the gold of the blue, vaulted sky? To earn your daily bread you are obliged To swing the censer like an altar boy, And to sing Te Deums in which you don't believe, Or, hungry mountebank, to put up for sale your charm, Your laughter wet with tears which people do not see, To make the vulgar herd shake with laughter.

LE MAUVAIS MOINE

Les cloîtres anciens sur leurs grandes murailles Etalaient en tableaux la sainte Vérité, Dont l'effet réchauffant les pieuses entrailles, Tempérait la froideur de leur austérité. En ces temps où du Christ florissaient les semailles, Plus d'un illustre moine, aujourd'hui peu cité, Prenant pour atelier le champ des funérailles, Glorifiait la Mort avec simplicité. —Mon âme est un tombeau que, mauvais cénobite, Depuis l'éternité je parcours et j'habite; Rien n'embellit les murs de ce cloître odieux. Ô moine fainéant! quand saurai-je donc faire Du spectacle vivant de ma triste misère Le travail de mes mains et l'amour de mes yeux?

THE BAD MONK

Cloisters in former times portrayed on their high walls The truths of Holy Writ with fitting pictures Which gladdened pious hearts and lessened the coldness, The austere appearance, of those monasteries. In those days the sowing of Christ's Gospel flourished, And more than one famed monk, seldom quoted today, Taking his inspiration from the graveyard, Glorified Death with naive simplicity. —My soul is a tomb where, bad cenobite, I wander and dwell eternally; Nothing adorns the walls of that loathsome cloister. O lazy monk! When shall I learn to make Of the living spectacle of my bleak misery The labor of my hands and the love of my eyes?

L'ENNEMI

Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage, Traversé çà et là par de brillants soleils; Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage, Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils. Voilà que j'ai touché l'automne des idées, Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux Pour rassembler à neuf les terres inondées, Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux. Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve Trouveront dans ce sol lavé comme une grève Le mystique aliment qui ferait leur vigueur? —Ô douleur! ô douleur! Le Temps mange la vie, Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le coeur Du sang que nous perdons croît et se fortifie!

THE ENEMY

My youth has been nothing but a tenebrous storm, Pierced now and then by rays of brilliant sunshine; Thunder and rain have wrought so much havoc That very few ripe fruits remain in my garden. I have already reached the autumn of the mind, And I must set to work with the spade and the rake To gather back the inundated soil In which the rain digs holes as big as graves. And who knows whether the new flowers I dream of Will find in this earth washed bare like the strand, The mystic aliment that would give them vigor? Alas! Alas! Time eats away our lives, And the hidden Enemy who gnaws at our hearts Grows by drawing strength from the blood we lose!

LE GUIGNON

Pour soulever un poids si lourd, Sisyphe, il faudrait ton courage! Bien qu'on ait du coeur à l'ouvrage, L'Art est long et le Temps est court. Loin des sépultures célèbres, Vers un cimetière isolé, Mon coeur, comme un tambour voilé, Va battant des marches funèbres. —Maint joyau dort enseveli Dans les ténèbres et l'oubli, Bien loin des pioches et des sondes; Mainte fleur épanche à regret Son parfum doux comme un secret Dans les solitudes profondes.

EVIL FATE

To lift a weight so heavy, Would take your courage, Sisyphus! Although one's heart is in the work, Art is long and Time is short. Far from famous sepulchers Toward a lonely cemetery My heart, like muffled drums, Goes beating funeral marches. Many a jewel lies buried In darkness and oblivion, Far, far away from picks and drills; Many a flower regretfully Exhales perfume soft as secrets In a profound solitude.

LA VIE ANTERIEURE

J'ai longtemps habité sous de vastes portiques Que les soleils marins teignaient de mille feux, Et que leurs grands piliers, droits et majestueux, Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques. Les houles, en roulant les images des cieux, Mêlaient d'une façon solennelle et mystique Les tout-puissants accords de leur riche musique Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux. C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes, Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs, Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes, Et dont l'unique soin était d'approfondir Le secret douloureux qui me faisait languir.

MY FORMER LIFE

For a long time I dwelt under vast porticos Which the ocean suns lit with a thousand colors, The pillars of which, tall, straight, and majestic, Made them, in the evening, like basaltic grottos. The billows which cradled the image of the sky Mingled, in a solemn, mystical way, The omnipotent chords of their rich harmonies With the sunsets' colors reflected in my eyes; It was there that I lived in voluptuous calm, In splendor, between the azure and the sea, And I was attended by slaves, naked, perfumed, Who fanned my brow with fronds of palms And whose sole task it was to fathom The dolorous secret that made me pine away.

BOHEMIENS EN VOYAGE

La tribu prophétique aux prunelles ardentes Hier s'est mise en route, emportant ses petits Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes. Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes Le long des chariots où les leurs sont blottis, Promenant sur le ciel des yeux appesantis Par le morne regret des chimères absentes. Du fond de son réduit sablonneux, le grillon, Les regardant passer, redouble sa chanson; Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures, Fait couler le rocher et fleurir le désert Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert L'empire familier des ténèbres futures.

GYPSIES TRAVELING

The prophetical tribe, that ardent eyed people, Set out last night, carrying their children On their backs, or yielding to those fierce appetites The ever ready treasure of pendulous breasts. The men