De la connoissance des bons livres ou examen de plusieurs autheurs - Charles Sorel - E-Book

De la connoissance des bons livres ou examen de plusieurs autheurs E-Book

Charles Sorel

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Beschreibung

Charles Sorel, est un romancier et écrivain français du XVIIe siècle. Polygraphe, il alterne oeuvres de fiction et oeuvres d'érudition. comme cet essai sur le choix des livres "à lire" qui anticipe ce que sera plus tard l'expertise culturelle du lecteur et la sociologie de la littérature. Il y énonce une méthodologie nouvelle pour parvenir à sélectionner les livres de qualité. De la connaissance des bons livres est une oeuvre encore largement sous-estimée qui mérite une re-découverte.

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Sommaire

CHAPITRE I.

CHAPITRE II.

DES HISTOIRES ET DES ROMANS.

CHAPITRE I.

Censure des Fables&des Romans. CHAPITRE II.

CHAPITRE III.

CHAPITRE IV.

CHAPITRE V &Dernier.

DE LA POESIE FRANCOISE. DE SES DIFFERENTES especes.&principalement, de la Comedie.

De la Cornedie.

DE LA MANIERE DE BIEN PARLER &de bien écrire en. nostre Langue; DU BON STYLE. ET DE LA vraye Eloquence,&du nouveau. Langage François.

De la maniere de bien parler en toute sorte de sujets. CHAPITRE I.

CHAPITRE IL

CHAPITRE III.

DU NOUVEAU LANGAGE FRANÇOIS.

CHAPITRE IV

CHAPITRE I.

On demade une Censure des Livres françois.

QUOYQE la Critique soit assez ample sur plusieurs Livres, dans la Bibliothèque Françoise,&en d’autres lieux, je n’ay jamais douté qu’il ne se trouvast des Gens qui n'en seroient pas encore satisfaits: N’ayans pas une opinion fort avantageuse de la pluspart des Livres de nostre Lanque, ils voudroient qu’on en fist icy une terrible Censure,&que ce fust comme la Chambre ardente des Autheurs, pour condamner au feu sans remission la pluspart de leurs ouvrages. Ne suffit-il pas d’aprendre à les connoistre&de remarquer leurs defaux sans bruit, plustost que d’exercer tant de rigueur envers eux? Toutefois n’ayons point trop d’indulgence pour ceux qui ne le meritent pas: Si je ne preten point arracher les Plantes salutaires du Jardin des Muses, j'en veux oster les mauvaises herbes. Il y a justice de blâmer&de suprimer si l’on peut quelques Livres inutiles ou impertinens, en conservant aux bons toute leur gloire. On ne doit pas souffrir qu’aucun ouvrage de peu merite surprenne les Esprits par des Titres specieux, par des sujets agreables, par de certains noms d’Autheurs, ou par leur credit. De vray ces aparences extérieures qui sont recherchées pour donner plus de cours aux Livres, ne sont pas négligées par les meilleurs Autheurs, craignant que les Autheurs mediocres ne s'en prévalent; En cecy ils ont quelque raison. Il en faut voir l'exemple par tout.

Nous pretendons tousjours parler des Livres François, puisqu’ils sont nostre principal object. Il ne faudra point s’estonner si je ne touche pas beaucoup aux Livres de Theologie, de Philosophie,&des autres Sciences: les uns doivent estre estimez sacrez, à cause des matieres qu’ils traitent; les autres sont laissez à examiner aux Docteurs de leurs Facultez. Il faut parler principalement de nos Livres de Morale, de Politique, d’Histoire, &de ceux qui concernent la vie civile,&mesmes qui sont pour le Divertissement assez utile dans nostre Police. C’est là au moins que se doit trouver le bon langage si necessaire au commerce des Villes&de la Cour. Les instructions les plus communes &les plus agreables sont tirées de ces endroits-là.

Voyons quels sont ces Livres dont les Hommes de toutes conditions s’entretiennent depuis quelques Siecles,&quel est le secret de leur origine.

Plusieurs livres sont faits à l’imitation les uns des autrès, & sont semblables de Titre.

L’Honeste Homme par M. Faret.L’Honeste-Femme par le Pere Dubosc L’Honeste-Garçon.L’Honeste Fille, L’Hone

ste-Mariage par M. de Grenaille. L’Honeste-Veuve. par M. I. Les Sentimens de l’Honeste Homme,& la Philosophie de l’Honeste-Homme par M. Chorier; Le Lycée par M. Bardin.Lettres des Dames par le P. Dubosc, M. de Grenaille& autres.Harengues des Dames par M. de Scudery Plaisirs

des Dames par M. de Grenaille Galerie des Femmes fortes par le R.P. le Moine La Féme Heroïque par le P. Dubosc; La Femme genereuse par un Inconnu.Le Ministre d’Estat par Silhon; le Ministre fidele par J. Baudoin: les Vies des Ministres par le Comte d’AuteuilPorraits des Hommes Illustres par M. de la Co

lombiere Vies des Cardinaux par M. Auberi; des Card. François par M. Duchesne; de quelques Cardinaux particuliers par divers Auteurs L’Escole du Sage par M. Chevreau l'Eschole du Prince par un Inconnu. l'Eschole des Marys,& l'Eschole des Femmes par M. de Moliere.Perce-forest, Palmerin, d’Olive; Amdis de Gau

le, le Chevalier du Soleil, &c.Plane de Monte-major, Astrée, Arcadie de Pembrok,&cPolexantre, Ibrahim, Cyrus, Cassandre, Cleopatre Mitridate, Clelie,&c.Recueil de Portraits par le sieur de L.

On remarque assez que pour rendre leur debit plus certain, on a observé cette methode de les faire à l’imitation de ceux qui ont desia rencontré heureusement; Ainsi quantité de Livres donnent l’origine à d’autres, comme s’ils estoient remplis d’une semence fertile. On en a toûjours veu qui ayant eu de la reputation en ont fait naistre de semblables ou d’aprochans au moins par le Titre. Le Livre de L’Honeste-Homme, a esté cause qu’on a fait celuy de L'Honeste-Femme ,&que depuis on a veu l’Honeste-Garçon, l’Honeste Fille, l’Honeste-Mariage, l’Honeste- Veuve ; les Sentimens de l’Honeste-Homme, la Philosophie de l’Honeste Homme; le Licée, ou des connoissances, des actions,& des plaisirs d’un Honeste-Homme, &plusieurs autres Livres avec des Titres pareils. Leur multitude n’estant pas au gré de chacun, on a commencé de s’en plaindre. Il est arrivé un jour qu’un Libraire, les ayant tous présentez l’un après l’autre à un Homme d’agreable Esprit afin qu’il les achetast, il luy repartit, il le remercioit de tant d’honestetez. L’Epithete d’Honeste n’avoit force autrefois qu’en disant, Un Honeste-Homme, pour signifier un Homme accomply en toute sorte de perfections,&de vertus; Et par l’Honeste-Femme, on entendoit seulement celle qui gardoit sa chasteté: mais depuis qu’il y a eu un Livre de ce nom, il a passé avec raison à des significations plus amples, la mesme force luy estant donnée pour les Femmes que pour les Hommes. Voila comment les Bons Autheurs se rendent Maistres de l'Usage&sont suivis du reste du monde. En continuant les exemples de la conformité des Livres, nous remarquerons qu’on a veu des Lettres des Dames, en plusieurs Tomes&de diverses mains, avec les Harangues des Dames, les Plaisirs des Dames, la Galerie des Femmes fortes, la Femme Héroïque, la Femme genereuse ,&plusieurs autres Traitez à l’avantage de ce Sexe. Les Autheurs,&les Libraires, croyent qu’en se servant à peu prez des mesmes Noms&des mesmes sujets des Livres qui ont obtenu de l’estime, ils feront desirer leurs ouvrages, comme si c’estoit une suite de ce qu’on a desia veu. On fait encore des Livres selon les qualitez des personnes qui sont dans la haute fortune. Le nom de Ministre ayant esté mis en credit pour ces Hommes célebres qui soulagent les Princes dans leurs affaires, on a veu incontinent des Livres parez de ce beau Titre, comme le Ministre d’Estat, le Ministre fidele, les Vies des Ministres de France ; Cecy a pû nous attirer le Livre Des Portraits des Hommes illustres de la Galerie du Palais Cardinal, parmy lesquels il y a quelques Ministres. Lors que les Cardinaux ont eu beaucoup de pouvoir, on a veu les Vies du Cardinal Ximenes, du Cardinal Albornos, du Cardinal d’Amboise, du Cardinal de Joyeuse ,&en general, les Vies de tous les Cardinaux ,&puis celles des Cardinaux François. Il est juste de contenter nostre curiosité selon les occasions Depuis qu’on s’est apliqué à des Compilations d’Histoires, il n’y en a aucune dont on n’ait fait quelque Abrégé; On a fait aussi des Abrégez de Philosophie&de Theologie car plusieurs voudraient devenir sçavans en toutes choses par abréviation. Le titre d'eschok a fait dresser plusieurs Escholes sur divers Sujets: Il y a l’Eschole du Sage, & l'Eschole du Prince ; Je doute si cela n’est point trop entreprendre, d’envoyer le Sage&le Prince à l’Eschole, veu que l’un&l’autre doivent tout sçavoir par inspiration, ou par une prudence naturelle&infuse, ou par les instructions qu’ils ont eües de bonne heure. Je laisse les autres Escholes qui ont paru sur le Theatre, desquelles on a d’autres choses à dire. Quand les Romans de Chevalerie ont esté en es time avec leurs enchantemens &leurs exemples incroyables de force&de vertu militaire, il sembloit que toute la Noblesse deust former ses desseins sur les aventures bigeares de ces faux-Braves; On a veu quantité de ces Livres merveilleux qui n’estoient remplis que d’Histoires de Princes&de Roys. Aprés on s’est ravallé tout d’un coup à l’une des plus basses conditions de la vie humaine, qui est celle de mener paistre les moutons aux champs. On a creû-rendre l’Invention plus agreable, en ostant aux Bergers leur rusticité ordinaire&les faisant parler&agir à la mode de la Cou: mais pource que ces sortes de narrations ont paru aussi peu vray-semblables que celles des Chevaliers errans, on nous a enfin donné des Romans un peu mieux accommodez aux constumes ordinaires des Hommes, lesquels on a voulu faire passer pour des Images de l’Histoire. C’estoit la mode en ce temps là de ne leur pas donner à chacun moins de quatre Volumes, ou de les faire passer jusques à huit ou à douze Volumes, comme si c’eust esté des Chroniques. Cela n’a pas empesché qu’au mesme temps les petites Pieces n’ayent eu leur regne. Tant de personnes ont fait leurs Eloges propres&ceux de leurs Amis, sous le nom de Portraits, qu’on ne voyoit plus que de ces Peintres en discours,& leurs Ouvrages ont remply plusieurs Livres. Il y a eu un temps qu’il se trouvoit de si gros Volumes de Lettres, qu’on croyoit que la pluspart n’avoient jamais esté envoyées à personne,&qu’elles avoient esté composées exprez pour les faire imprimer. Apres les Lettres serieuses, il y en a eu d’enjoüées, afin que chacun en trouvast selon son humeur. Les Pieces galantes ont eu leur cours,&l'on en rencontre de fort diverses. La Poësie a tousiours eu la vogue pour les Tragedies&les Comedies,&pour les Poëmes&les Odes à la loüange des Princes; mais la Poësie amoureuse a regné plus que les autres,&a fait faire beaucoup de Sonnets&d’Elegies; puis celle-cy a fait place à la Poësie Burlesque &à la Satyrique, qui ont produit quantité de Madrigaux, d’Epigrammes, de Bouts-ri mez,&mesmes de longs Poëmes de ce Stile. Nous avons eu si grand nombre de ces sortes d’ouvrages, qu’on a eû raison d’en estre satisfaict. On a aussi égard à quelques Livres de Critique, qui estant faits les uns contre les autres monstrent qui sont ceux dont ils parlent,&comment il en faut juger. Il y a des Livres qui sont de toutes les saisons, comme ceux des Histoires& ceux qui traitent des Sciences; Encore sont-ils faits ordinairement à l’envy les uns des autres. On ne finiroit jamais, si on vouloit nommer tous ceux qui ont quelque raport ensemble.

Il suffit de sçavoir qu’entre ceux, que nous avons alléguez, il y en a qui selon l’avis des gens du Monde, sont assez bons dans leur espece: Leur imitation de titre&de sujet n’a pas esté trouvée mal à propos. Il a bien falu que quelques Originaux ayent donné commencement à de nouveaux ouvrages. Si quelques-uns n’ont pû les égaller, il y en a eû d’autres qui les ont surpassez. On peut donc croire que les Livres qui se ressemblent en quelque chose, ne sont pas toûjours semblables pour leur valeur, mais on ne sçauroit dire au vray ce qu’ils valent que par la considération des bonnes&des mauvaises qualitez, qui sont en eux.

Qu’il y a une mode pour les Livres, comme pour les autres choses&à sçavoir si les Livres nouveaux sont les meilleurs.

Livre de la Mode fait par M. de Grenaille; la Contremodee par un Inconnu. Le Secretaire à la mode par M. de la Serre.Plutarque en la vie d’Epam.

Outre que les ouvrages de la pluspart des Escrivains suivent quelque modelle particulier, on les rend conformes à ce qui est le plus en usage dans le Monde. Nous remarquons qu’il y a une mode pour les Livres, comme pour toutes les autres choses. On a eû raison de nous donner un Livre de la Mode, &un autre de la Contre-Mode , comme deux Autheurs modernes ont fait en mesme temps. On peut bien parler dans les Livres, de la Mode qui leur est si convenable; On en a aussi fait un qui s’apelle le Secretaire à la Mode. On ne doit point blasmer ceux qui suivent l’humeur du Temps, pourvû qu’ils y reüssissent. Il faut observer qu’encore que tous les bons&anciens Livres François se vendent dans le Palais de Paris, on y en vend aussi plusieurs qui n’ont autre grace que leur nouveauté. Parce que c’est le principal endroit où se debitent les Modes, il s’y trouve une mode pour les Livres de mesme que pour les Esvantails, les Gans, les Rubans &les autres Merceries. Comme il y a des Peintres, des Brodeurs&d’autres Artisans qui ne travaillent que pour ce lieu-là,&pour remplir les Boutiques des Marchands Aussi s’est-il rencontré des Autheurs qui n’ont travaillé, que pour fournir aux Libraires des Livres nouveaux, selon les Sujets qui plaisoient le plus&selon la mode qui avoit cours alors. Il auroit mieux valu qu’ils eussent escrit ce que leur dictoit leur Genie, ou les choses dont ils estoient capables: mais peut-estre n’estoient-ils capables que de peu de chose. Ils ne se soucioient point si ce qu’ils escrivoient estoit utile aux autres, pourveu qu’il fust utile à euxmesmes, à l’égard du profit temporel, cela s’entend car pour d’autre, ils n’en reconnoissoient gueres: les biens Spirituels ne tenoient pas le principal lieu dans leur Esprit. Ils avoient soin seulement que ce qu’ils avoient fait se vendist bien, afin que la recompense leur en fust donnée de meilleur courage,&que cela asseurast leur credit pour l’avenir. Delà on peut penser que leurs ouvrages n’estoient pas tousiours des meilleurs&des plus solides, pource que ce qui est bon&instructif, n’est pas infailliblement ce qui se debite le mieux. Les Romans, les Comedies, les Profes galantes&les Vers licencieux estoient leurs aplications ordinaires, plustost que ce qui sert à nous rendre sçavans&sages. S’ils s’attachoient à des Pieces serieuses, ils s’en acquittoient legerement, comme d’un travail infructueux. Quelques-uns se voulans mettre au rang des Autheurs avec moins de peine, ne faisoient que changer quelques mots à des Livres anciens,&les donnoient comme nouveaux sous leur nom& sous de beaux Titres. Les mauvais Escriuains ont esté dignes de blame, s’ils ont entrepris ce qu’ils ne pouvoient executer,&pour ceux qui donnoient au public des ouvrages falsisiez, ils meritoient d’estre punis comme Larrons du bien d’autruy. On dira pour nous apaiser, Que la pluspart des mauvais Livres ne vivent gueres plus long-temps que leurs affiches;&qu’il en faudroit tous les jours de nouvelles pour faire qu’on pensast à eux; Que les feüilles de quelques Livres ne se trouvans plus propres qu’à servir d’envelopes aux Marchands, elles ont esté moins venduës imprimées, ou plutost barbouillées de tant de vains discours, que si elles fussent demeurées blanches. Mais on ne scauroit nier, que de semblables Livres n’ayent eu souvent du bon-heur estant passez à trois ou quatre Editions,&que leurs Autheurs n’ayent esté comblez de loüanges, tant les Hommes de leur siecle avoient le goust depravé. Il est vray que ces chetifs ouvriers n’en devoient point tirer de vanité; Ils devoient sçavoir que plus leurs ouvrages se vendoient&s’imprimoient, plus leur deshonneur devoit estre public,& que s’il n’estoit connû alors, il le seroit à la posterité qui en pouvoit estre juge equitable. « On avoit sujet de dire de ces Escrivains, Qu’au contraire de ce qu’on disoit d’Epaminon das, Que jamais Homme ne fut si scavant&parla moins que luy; jamais aucun ne fut si ignorant&escrivit tant comme eux. » C’est icy un coup de foudre qui tombe sur les Autheurs, mais il n’y a que les meschans Autheurs qui en soient touchez: les Bons sont couverts de leurs Lauriers qui les garentissent. On ne voudroit pas jurer, que ce qui est attribué icy à un ancien siecle ne se pust voir encore a present,&’qu’on ne se laisse souvent surprendre par des Livres frivoles&de peu de fruict.

Il faut faire une seconde distinction des Bons&des mauvais Autheurs; des Livres utiles&des Livres nuisibles. Les Gens du Monde apellent de bons Livres ceux qui leur semblent bien escrits; mais ils peuvent estre bien escrits,&contenir une doctrine perverse. Quelques-uns sont doublement mauvais, estant mal escrits,&contenans de tres mauvaises maximes. Ils sont croire par leurs titres qu’ils sont Livres de plaisir,&ils ne produisent que misere&douleur. Ils n’enseignent que les Voluptez&le libertinage qui nous menent à nostre ruine; Mais si la nuict a ses phantosmes&ses illusions, le jour les fait dissiper. Les Magiciens de Pharaon vouloient contrefaire les miracles de Moyse par de fausses apparitions qui furent mises à neant: Ainsi les mauvais Livres perdront enfin leur credit, les Bons leur estant opposez. Nous scavons que plusieurs Hommes se laissent gagner aux Modes nouvelles, quelque bigearrerie qu’elles ayent; mais il faut se moquer de l’aveugle affection qu’ils ont pour les Livres nouveaux, rejettat tous ceux qu’on leur monstre quand ils ne sont point dattez de l’année courante; Ils doivent considerer que ce qu’ils estiment pour estre nouveau, deviendra quelque jour ancien,&qu’il est fort à propos de n’estimer les ouvrages que pour quelque chose qui demeure fixe en eux,&qui soit pour toute sorte de Temps. Si c’est une imprudence de ne faire cas des choses que pour leur ancienneté, le trop grand desir de la nouveauté n’est pas moins à censurer; les fruits verds sont une pire nourriture que ceux qui sont pourris de vieillesse. La cause de nostre abuz est que nous nous persuadons que les ouvrages les plus nouveaux sont les meilleurs, dans cette croyance que les Esprits, se raffinent tous lesjours,& que ce qui se fait aujourd’huy doit estre plus accomply que ce qui se fit hier: Mais tous les Autheurs n’ont pas le don de surpasser leurs predecesseurs, quoy que leur presomption leur en fasse naistre l’esperance. Reconnoissons pourtant une verité infaillible. Un siecle prend l’instruction d’un autre siecle&en tire du profit: Les choses qu’on void conformes à l’usage qui court, doivent estre plus agreables que d’autres; Il se trouve d’excellens Genies qui sçavent composer des livres, lesquels pour estre à la mode, ne laissent pas de suivre les bonnes&eternelles reigles du vray art d’escrire, leur mérité sera tousiours distingué de l’impertinence des mauvais escrits.

Secrets pour faire valoir les Livres par les recommandations& par les dignitez des Autheurs.

Apologie de M. de Balzac.

Autres manieres de faire valoir les Livres

S’il y a des Livres dont on doit faire peu d’estime, à cause qu’ils sont escrits negligemment, ou qu’ils n’ont rien que de copié&de desrobé; Il y en a d’autres fort exquis&dont la gloire doit estre attribuée toute entiere à ceux qui les ont composez. Ce sont veritablement des Autheurs, estant Createurs de leurs Ouvrages, comme on a dit d’un de nos plus fameux Escrivains; Mais quelque avantage qu’ils s’attribuent, il faut avoüer qu’il y a tousjours de l’industrie& quelquefois du hazard, à donner cours à leurs Livres,&que les meilleurs peuvent avoir besoin de recommandation. Ces secrets sont communs aux grands Autheurs&aux moindres. Pour premier fondement, il faut que la matiere&le stile des Livres symbolisent aux humeurs du siecle, &que de plus l’adresse&la bonne fortune les assistent. Les Autheurs qui recherchent la gloire&le credit doivent estre des gens qui s’introduisent dans toute sorte de compagnies,&qui parlans à chacun de leurs ouvrages, les fassent desirer long-temps avant qu’on les voye. S’ils en lisent ou en recirent des fragmens, ce ne seront pas des pires, afin de donner bonne opinion de ce qui reste; Ils auront aussi mandié l’aprobation de quelques Hommes d’autorité qui feront valoir toutcequi partira de leurs mains. Quand leurs Livres sont des Poësies&autres œuvres galantes, il ne faut pas manquer de les monstrer aux Dames qui ayment ces sortes de choses,&ont accoustumé de leur donner le prix. Si l’autheur a pû acquerir leurs bonnes graces par tes soins &ses complaisances, elles le loüeront devant tous ceux qui leur rendront visite, afin qu’ils ayent desir de voir de si belles choses publiées,&qu’ils contribuent à enrichir le Libraire. Il y a d’autres circonstances qui fervent pour l’estime des Livres, comme s’ils viennent d’un Homme qui se soit desia acquis de la reputation par des Ouvrages precedens. Si c’est un Homme qui parle en public, il a cet avantage que s’estant fait connoistre en un seul moment de plusieurs milliers de personnes qui l’ont escouté, lors qu’il fait imprimer quelque chose, cela est bien plustost recherché, que ce que; fait celuy dont on n’a jamais ouy parler&de qui le nom commence à se faire connoistre par de simples affiches. On court soudain aux Ouvrages de ces hommes qui sont remarquables par leurs dignitez&leur employ: Toute leur vie&toutes leurs actions estans en butte à chacun, ils sont connûs sans peine de tout le Monde. Il n’y a personne qui ne vueille voir s’ils se sont aussi bien acquittez de la fonction d’Escrivain, comme de celle de Prelat ou de Magistrat, ou de quelques autres charges considerables. Nous avons veu des Ouvrages qui ont eu peu de credit lors qu’ils n’ont porté qu’un nom obscur, lesquels ont esté fort recherchez, depuis qu’ils ont esté illustrez par les nouvelles qualitez des Autheurs. Qu’arrivera-t’il à un pauvre Autheur de condition particuliere, auprez de ces grands Prelats ou de ces Religieux venerables, dont les Livres sont recommandez de maison en maison par les Gens de leur Robe? Pour juger sincerement de quelque Ouvrage, il ne faudroit estre préoccupé d’aucune chose, ny des dignitez mondaines, ny des dignitez Ecclesiastiques, ny de quelques Ordres de Religieux plustost que d’autres, ou de ceux qui tiennent de certaines opinions, plustost que de ceux qui y sont oposez. Nous avons veu que malgré les recommandations des uns&des autres, certains Livres ont tant aimé les Magasins des Libraires, qu’ils ont eu peine à en sortir. Les Autheurs qui se sont trouvez fort eslevez, en ont esté plus exposez au mespris, s’ils n’ont rien fait qui egallast nostre attente; On a veu aussi quelquefois qu’il n’a falu qu’un seul Livre pour establir la reputation d’un Homme.

Afin de sçavoir toutes les manieres de faire valoir les Livres, il faut observer que diverses Pieces ayans esté publiées separément se perdoient, comme les fueilles de la Sybille abandonnées aux vents; mais qu’estans recueillies ellessesont soustenuës l’une l’autre. Quand les Sujets dont on escrit sont plausibles, comme si c’est une Question du Temps, ou une Critique de quelque Ouvrage nouveau, cela est fort recherché, tant les Esprits du siecle ayment à voir que les Personnes les plus remarquables soyent censurées. S’il s’y trouve quelque invective contre des Personnes de consequence, cela fait acheter le Livre plus cher,&la de-fense augmentera le desir de le voir. Les Libraires aident à sa reputation pour faire valoir leur marchandise, estimans beaucoup ce qui devroit estre fort commun,&ce qui n’est rare que pour avoir esté defendu. Admirons, encore le caprice du Siecle; De certaines Boutiques de Marchands assez, sont trouver meilleur tout ce qui en vient, desorte que de tres-bons Livres achetez ailleurs, sont estimez contrefaits ou sont accusez de quelque deffaut. Je ne m’arresteray point à ce que la jalousie&la malice exercées quelquefois entre les Marchands, sont cause qu’ils descreditent tant qu’ils peuvent les Livres de leurs voisins pour vendre les leurs: Croyons que la reputation d’un bon Livre&celle de son Autheur surmontent enfin tous ces obstacles.

Que tous les Livres ont leur Temps.

Aprés tout, confessons qu’il y a des Livres qui auroient esté fort estimez autrefois, lesquels n’ont point eu de credit, parce qu’ils sont venus en mauvais temps; il y en a d’autres qui ne sont estimez qu’à cause qu’ils ont eu le bonheur de parestre lors qu’il n’y en avoit point de meilleurs, mais que s’ils venoient maintenant au monde on ne penseroit pas seulement à eux,&que l’honneur qu’on leur rend n’est que par préoc cupation&par accoustumance. Cecy soit dit de quelques ouvrages qui ont usurpé ce qui peut-estre ne leur estoit pas dû legitimement. Pour les Ouvrages excellens, il est certain que le Temps passé leur a aussi donné plus de reputation qu’ils n’auroient eu dans un Siecle où la verité n’a pas tousiours le dessus,&où l’artifice ne manque point pour faire parestre plu sieurs Livres qui ne sont que mediocres. Croyons nous certainement que si les Oeuvres de Montagne&de Charron s’imprimoient aujourd’huy pour la premiere fois, elles eussent les mesmes aplaudissemens qu’elles ont eu par le passé,&qu’elles fussent jamais imprimées autant de fois qu’elles ont desia esté? Nous avons tant de Livres des Passions&des Vertus&de toute la Conduite humaine, que ceux-là auroient esté confondus parmy la multitude. Ces premiers ont des pensées sortes&hardies qu’il est malaisé d’egaller; mais nos derniers ont l’ordre &l’elegance avec d’autres bonnes qualitez qui plaisent maintenant aux Hommes&qui sont capables de les seduire s’il en est besoin. Ces reflexions meritent bien d’estre faites sur plusieurs autres sortes de Livres qu’une saison favorable a autorisez, principalement lors qu’il ne s’en trouvoi point de leur espece.

Des Noms des Autheurs, & des Titres de leurs Livres.

C’est

Balsac d’Entragues

quis écrit avec une S. non pas avec un Z.

Prenons garde à l’estime qui est acquise par toutes ces voyes. Si les Livres sont faits sur un sujet agrea ble&bien receu; s’ils ont plusieurs suffrages obtenus avec soin;&si outre cela ils tirent avantage de leur propre merite, cela est fort avantageux pour eux. Il faut encore consulter les personnes judicieuses qui les ont lûs, pour sçavoir ce qu’on en doit croire. Auroit-on raison de se fonder sur leur reputation seule? le bruit commun est souvent trompeur, &mesme quand on n’adjousteroit foy qu’ à ce que les sages disent, tout ce qui part d’un Homme ne respond pas à l’opinion qu’on a conceüe par ses premiers ouvrages; Les seconds ne sont que trop sujets à dégenerer. Que pouvons-nous donc penser des Autheurs nouveaux&inconnûs qui se mettent sur les rangs? N’est ce pas une temerité de juger d’eux sur de legers indices,&sans avoir examiné attentivement leurs escrits. Le Poëte Theophile n’y vouloit pas faire tant de façon: Comme il prononçoit son avis librement plaisamment sur tout ce qui se presentoit, aynt oüy parler d’un nouvel Autheur dont le nom estoit vil&desagreable, il dit, « Qu’il n’avoir pas un nom à bien faire »; mais une telle observation n’est pas recevable par tout. S’il y a des Mysteres dans les noms, ils sont fort malaisez à expliquer. Il est vray qu’il s’en trouve quelques-uns de tresmauvais augure; Ce Poëte mesme qui s’apelloit Theophile Viau, ayant un surnom assez laid le quita entierement,&ne prit que son nom propre qui estoit plus agreable, afin qu’on fist plus de cas de luy à la Cour. Quelques personnes ont pris la hardiesse de dire, Qu si Monsieur de Balzac, qui s’apelloit Jean Guez, n’eust point pris le nom de sa Terre de Balzac prez d’Angou lesme, son nom de famille estant mis à la telle de ses œuvres n’eust pas eu tant de succez dans le mondes,&qu’en disant les Lertres de Monsieur Guez, on n’en eust pas conceu une si belle idée. On se persuade que ce nom de Balzac estant pris pour celuy d’une noble&ancienne Maison assez connuë luy donnoit plus d’authorité, quoy qu’il s’escrivist d’autresorte: Mais ce sont icy des visions; Sous quelque nom que ce soit, les œuvres de ce rare Homme, auroient tousiours esté estimées autant qu’elles sont aujourd’huy. Je preten qu’à la fin l’o s’accoustume aux Noms les plus extra ordinaires,&que les Noms bas ont en fin reverez, quand ils apartiennent à des Hommes dignes de respect. Neantmoins il faut remarquer que soit par precaution, ou par la seule fantaisie de parestre, quelques-uns de nos Autheurs les plus celebres venus de tres-bas lieu ont rendu leur surnom inconnu. Faute d’avoir des Noms de Seigneu ries&de fiefs, ils ont pris un nom supposé, craignant que leur nom paternel&hereditaire, n’estant pas des plus relevez ne rendist leur reputation moindre: Toutefois si un nom bas ou de prononciation peu agreable nuit quelquefois, on ne void pas que les plus beaux Noms fassent tousjours grande impression sur les Esprits,& qu’il y faille asseoir son jugement, sur tout en ce qui est des Noms des faiseurs de Livres. Un galand-homme de ce Siecle, disoit à propos de la pensée de Theophile; « Qu’il n’estoit pas d’avis qu’on s’arrestast à ces pretendus Noms à bien faire, desquels on conçevoit une vaine imagination; Que de vray la pluspart du temps, on n’avoit pas besoin de lire les Livres tous entiers pour les connoistre ; Qu’il ne faloit que voir leurs Titres dans leurs affiches ou sur leurs premieres pages, parce que celuy qui avoit fait un mauvais Livre, y donnoit d’ordinaire un mauvais titre, ne pouvant mieux reussir en l’un qu’en l’autre. » Cela se rencontre veritable quand les Autheurs n’estans pas Maîtres de leur sujet, rendent leurs intitulations peu convenables, ou quand ils les reiglent si mal qu’ils pechent contre les Loix de la Grammaire& de la Raison,&ne se monstrent pas capables d’arrenger seulement quatre mots de suite. Par ce moyen nostre bonne fortune veut que leurs fautes soyent veües dez l’entrée de leurs Livres, afin de nous epargner une peine inutile, nous avertissant qu’il ne faut point s’embarrasser dans une plus longue lecture. On doit encore se desfier de ces Titres fastueux&bigearres qui sont ordinaires à plusieurs Autheurs mesmes de la demiere Classe, comme dans les Livres qui portent les Noms de Lauriers, de Triomphes, de Trophées de Tresors, de Tableaux, d’Ames, d'Esprits, de Genies, &autres noms semblables, qui sont souvent mis audevant de quelques Ouvrages vains&confus. Cela ne fait rien contre les Livres qui avec juste raison portent de tels titres, &qui tirent leur principalle gloire, d’eux mesmes. Entre les Livres de Devotion nous en avons beaucoup qui portent des Titres fort ampoullez, comme qui diroit Le Soleil de l'Ame, Les Aisles du Caur devot, La Main qui nous guide au Ciel, Le Brazier de l’Amour divin,&autres pareils. Autrefois cela estoit plus commun qu’aujourd’huy, mais respe Etons ce qui est fait d’un grand zele &avec bonne intention. Quelques mauvais Livres sont embellis de fi gures en taille-douce, soit de Portraits ou de representations d’Histoires, afin de les rendre plus chers&plus considerables. Il y en a qui sont plûtost faits pour les images, que les images pour le Livre. On n’en reçoit gueres plus d’honneur que d’avoir fait des Vers au dessous de quelque Almanach. En ce qui est des bons Livres ausquels cet enrichissement est souvent necessaire pour l’intelligence du sujet, de quelque maniere que ce soit, on doit aprouver l’estat magnifique où l’on les a mis,&sans cela ils ne laisseroient pas de paroistre ce qu’ils sont; mais pour les Livres mediocres s’ils avoient esté imprimez d’abord en gros papier, en caracteres usez&sans aucun ornement d’images, ils auroient eu une fortune assez douteuse.

Horace en son Art Poetique.

De ceux qui font des Livres pour les dedier à quelque Grand, ou pour quelque autre profit.

Tout cecy fait connoistre que craignant d’estre abusé par les premieres aparences, si l’on veut estre certain du prix d’un Ouvrage, il faut sçavoir principalement qui en est l’ouvrier, C’est là que son nom peut servir effectivement, mais c’est alors qu’on aprend au mesme temps les qualitez de la personne qui le porte; Si c’est un Homme propre à travailler sur cette matiere, s’il le fait pour sa seule gloire&pour le profit du public, non point pour un interest particulier qui l’attache à des choses qui luy conviennent peu, lesquelles il acheve quelquefois avec precipitation pour la commodité de ses affaires. De tels Escrivains ne sont point en danger de laisser manger leurs papiers aux vers &à la poussiere; Ils ont peu de soin d’observer le precepte d’Horace, qui veut, Qu’on garde les Ouvrages neuf années dans le Cabinet avant que de les mettre au jour. Ceux qui ne travaillent qu’à mesure que des Imprimeurs les pressent, ne sont pas resolus de prendre le loisir de consulter long-temps leurs Amys ou leur propre Esprit, sur leurs erreurs&leurs incertitudes. On peut juger encore des uns&des autres par les Dedicaces frequentes de leurs Livres, qui sont voir qu’ils ont dessein de plaire aux Grands du Monde, plustost qu’aux Sçavans& aux sages. Nous en avons connu quelques-uns qui durant toute leur vie, n’ont gueres laissé ecouler d’années, qu’il ne soit sorty deux ou trois Ouvrages de leur main grands ou petits, pour en faire present à quelque Seigneur;&si on leur eust defendu de les dedier, ils eussent mieux aymé se passer d’escrire. Il y en a eu qui pour parvenir à leurs fins, apres avoir dedié des Livres aux grands Seigneurs en ont dedié à leurs Intendans, à leurs Secretaires&à leurs Maistres d’Hostel;&s’ils n’eussent enfin obtenu une partie de ce qu’ils demandoient, ils estoient resolus d’en dedier jusques à leur Portier, quand ce n’eust esté qu’afin qu’il leur laissast l’entrée libre. Comme leur but n’estoit que d’acquerir la faveur de ceux qui leur pouvoient faire du bien, ils remplissoient leurs escrits de quantité de choses fausses&inutiles pour les flatter&les divertir; mais les plus adroits resserroient cecy dans leurs Epistres dedicatoires ou plusieurs tiennent que le mensonge est de bonne-grace. Si quelqu’un a voulu faire passer cette comparaison en proverbe, Menteur comme un Panégyrique, ou comme une Oraison funebre, on y pourroit adjouster,&comme une Epistre dedicatoire : Il en faut excepter ce qui est fait pour les Gens de tres-haute qualité&de veritable merite. C’est une chose estrange, quand on ne parle pas seulement de dédier un Livre à un Homme de mediocre condition, mais deluy consacrer comme à une Divinité. Les loüanges y sont en si grand nombre qu’il y a telle Epistre liminaire qui est un Panegyrique complet,&qui est presque aussi grande que le Livre. Or quand ces Escrivains n’accomplissoient leur travail qu’afin d’en tirer quelque profit, il faut croire que ce n’estoit pas toûjours les plus habiles d’entre les Gens d’estude qui prenoient la hardiesse de faire imprimer leurs Ouvrages, mais ceux qui avaient le plus d’ambition &d’avarice, ou ceux qui se trouvoient le plus en necessité. Si quelquesuns n’ont attendu leur recompense que des Libraires, il faloit qu’ils fussent la misere mesme,&l’on tient que qui leur eust offert davantage pour suprimer un Livre que pour le mettre au jour, ils eussent vendu pour moins d’un Escu tout l’honneur qu’ils y pretendoient: Que pouvions-nous esperer de telles Gens., que des discours interessez, accommodez au Genie de ceux pour qui ils estoient faits, &qui n’estoient que des Bagatelles deguisées sous un air serieux? Certainement il est honteux qu’on se soit ainsi accoustumé à travailler pour le gain plustost que pour la gloire. Si cela ne s’estoit point pratiqué il y a quelque-temps, nous aurions eu à Paris moins d’une douzaine de mauvais Autheurs qui nous ont fort importunez de leurs Livres. Les Honestes Gens qui escrivent&qui ont de la capacité pour cecy, y auroient trouvé leur avantage; leurs Livres n’auroient pas esté confondus parmy d’autres ausquels on a fait un accueil qu’ils ne meritoient pas. Neantmoins persuadons-nous qu’aujourd’huy les Muses ne se rendent pas mercenaires autant qu’elles veulent: La misere du Siecle a fait beaucoup resserrer les liberalitez de toutes parts, en sorte que l’on n’a pas souvent occasion de croire que les Livres soient faits pour un Sujet si bas que pour de l’argent. Il faut avoüer que c’est une grande satisfaction à un Homme de se voir au dessus de ces choses&mesmes d’avoir fait plusieurs Volumes sans les dédier. C’est se monstrer indépendant. Les anciens Autheurs ne sçavoient gueres ce que c’estoit que cette maniere de Dédicace; Ils adressoient leurs Livres à leurs Amys en les nommant seulement, ou bien en leur disant quelques paroles familieres qui concernoient leur dessein,&qui estoient fort eloignées de nos loüanges hyperboliques. Senecque, Plutarque& quelques autres ont fait cecy; il y a de l’honneur à les imiter. Il est vray que les plus honestes-Gens&les plus qualifiez peuvent dedier des Livres aux Grands selon leur inclination&selon leurs affaires, y mettant des Epistres telles qu’il leur plaist. Il ne faut point pour cela avoir mauvaise opinion ny des Autheurs ny des Livres. Les bons Esprits sont flexibles à toutes occasions; Ils scavent bien à quoy les Loix du Monde nous obligent envers ceux qui sont les Arbitres de la fortune des Hommes, qui donnent offïces&pensions, ou qui les ostent à leur gré.

Des Riches qui écrivent sans capacité; Et dessense des Autheurs qui sont pauvres.

Plutarque en la Vie de Denys. Mart. 1.3. des Ep.

Comment en connoist les bons Livres.

On nous remonstre, Qu’encore qu’un homme n’ait pas besoin de s’occuper à écrire pour en recevoir quelque profit, ce n’est pas toûjours une connoissance certaine de sa capacité qui le porte à ce travail,&que s’il y est excité par un desir de gloire, c’est un desir vain&injuste. N’y a-t-il pas des hommes riches &de condition relevée qui se sont mélez d’écrire par une fantaisie ridicule sans y estre propres,&pour n’avoir eu autour d’eux que des Parasites&des flatteurs qui ne leur ont pas voulu dire leurs veritez? Ces sortes de gens qui obsedent les riches, ne sont pas toûjours de l’humeur de Philoxene, bon Poëte&bon Philosophe, qui ayma mieux estre renvoyé aux carrieres, que d’estre contraint d’oüir les pitoyables Vers de Denys le Tyran. Martial se moque de Ligurinus, lequel donnant à manger chez luy à quelques gens, leur recitoit ses mauvaises Poësies à chaque service,& les fatiguoit de telle sorte, qu’encore qu’il leur fist bonne cher, il pouvoit bien desormais s’accoustumer à manger seul. Tous les grands Seigneurs ne doivent pas croire qu’il leur faille ceder en bel esprit de mesme qu’en autre chose, comme s’ils devoient estre les premiers par tout. Nous plaiderons la cause des pauvres en son rang; ceux d’entr’eux qui se meslent d’écrire ont leur honneur&leur avantage à part. Si on a trouvé mauvais que les Gens de lettres travaillassent pour le gain,& si on a reproché au dernier Siecle, qu’ayant souffert une telle coustume, elle a esté cause de ce qu’il nous estoit venu quantité de mauvais Autheurs; il faut prendre garde que cela nous en a aussi fait naistre de bons, lesquels n’auroient jamais écrit s’ils n’y avoient esté contraints par le desordre de leurs affaires. Il ne se faut pas plaindre d’un mal qui produit un bien. La pauvreté a toûjours esté estimée la mere des arts; c’est la faim&la necessité qui aiguisent l’esprit pour les belles inventions. Ceux qui écrivent pour le gain, doivent estre fort exaltez par des considérations si puissantes. On les croit souvent meilleurs Ecrivains que les riches, parce qu’on suppose que s’ils se sont adonnez à écrire plust ost qu’à une autre Profession, c’est qu’ils ont la capacité requise,&que de plus ils employent une extreme diligence pour obtenir les choses dont ils ne se peuvent passer, au lieu que les riches n’ayant besoin de rien travaillent avec moins de soin&moins d’attachement. Il est certain que ç’a esté un honneste &utile recours à plusieurs de s’estre arrestez à écrire: Ils sont loüables d’avoir bien employé le talent que Dieu leur a donné. N’ayant pas eu la voix assez bonne&la santé assez forte pour s’appliquer à la Predication ou à la Plaidoyrie,&à d’autres fonctions d’hommes de lettres, il restoit qu’ils s’occupassent à composer des Livres, &qu’ils employassent leur repos à ce travail sedentaire. On ne doit point s’estonner que quelques gens cherchent du profit par leurs veilles &par leurs estudes. Les diverses manieres de subsister sont approuvées estans legitimes. On a fait cas de ces deux Ecoliers de Philosophie, qui estudians dans Athenes, apres avoir esté aux Ecoles tout le jour, alloient la nuit travailler à un moulin pour gagner dequovivre. Ceux qui peuvent tirer du profit de leurs estudes mesmes, sont encore plus heureux: Ils sont connoistre que l’application des Muses n’est pas si ingratte que plusieurs pensent; ils ont esté honorez de pensions à cause de leur doctrine, mais veritablement beaucoup d’autres en murmurent, croyans les meriter aussi bien qu’eux,&se trouvans dans l’incommodité quand ceux-là se trouvent dans l’opulence. Ils se consoleront s’ils sont habiles gens,&n’abandonneront point leurs premieres entreprises. Sans penser aux grandes fortunes, on sçait que d’un autre costé la vraye gloire est un excellent motif pour tascher d’accomplir de beaux Ouvrages; tellement qu’il se peut rencontrer de bons Ecrivains de toutes conditions. Pour en bien juger, il ne faut pas prendre garde seulement à leur naissance à leur education, à leurs facultez, ou à leur façon d’agir pour l’adresse de leurs Livres, soit à leurs amis&égaux, soit aux per sonnes qui sont au dessus d’eux; desquelles ils esperent quelque recompense. Leurs noms ou surnoms avec les titres de leurs Livres, leurs sujets à la mode, leur reputation,&plusieurs autres observations ont encore peu d’effet, puisque tout cela est attribué de mesme sorte aux bons&aux medians Autheurs. Ce ne sont que de petits prejugez ausquels on ne s’arrestera que selon les occasions. Ce que nous avons veu dans ce premier Chapitre, n’a esté que pour nous détromper des choses par lesquelles ou pense quelquefois. connoistre les bons Livres. Afin d’achever d’en découvrir le secret, je concluray en un mot que ce qui empesche qu’on ne connoisse un Livre parfaitement, c’est quand on s’arreste aux premieres apparences, sur tout à celle qui éclatte le plus, qui est, Qu’un Livre se vend bien; Sçachons que de se vendre bien, ce ne fut jamais la marque infaillible de la bonté d’un Livre. On a pu nous le faire prendre pour un autre,& nous enchanter par les diverses qualirez qui ont accoustumé de nous plaire. Il les faut examiner toutes,&ne se fier qu’aux qualitez les plus avantageuses; car s’il se trouve qu’un Livre soit fait sur un Sujet excellent; Qu’un homme de sçavoir&de reputation y ait long-temps travaillé,&pour sa seuse gloire, il faut se persuader qu’il peut contenir quelque chose de bon; mais si quelqu’une de ces circonstances luy manque, on peut douter de la bonté de l’Ouvrage, jusques à ce qu’on en ait veu des marques certaines. Apres avoir jetté les yeux sur ce qui paroist d’abord, il faut donc passer jusqu’à l’essence des choses.

CHAPITRE II.

Du sujet des Livres.