De mes deux balcons - Alain Lella - E-Book

De mes deux balcons E-Book

Alain Lella

0,0

Beschreibung

"De mes deux balcons" retrace le destin de celles et ceux qui, portés par l’espoir d’un avenir meilleur, quittent leur terre natale pour un ailleurs incertain. À travers le parcours d’une âme en quête de renouveau, ce récit explore non seulement les épreuves du départ, mais aussi le poids du passé et les raisons profondes qui conduisent à l’exil. Loin d’être un cas isolé, cette histoire reflète celle de milliers de déracinés, contraints de laisser derrière eux leurs repères pour tenter de reconstruire ailleurs une existence plus clémente. C’est aussi le témoignage silencieux de ces sourires qui dissimulent la souffrance, de ces destins marqués par l’épreuve infinie de la traversée. Avec une plume engagée, l’auteur révèle l’essence même de l’humanité, interroge l’indifférence face aux tragédies qui se répètent et confronte le lecteur à ces torrents de vies et de sang qui coulent dans l’oubli.

 À PROPOS DE L'AUTEUR

Depuis son enfance, Alain Lella a grandi au rythme des récits sur les animaux et les mystères de la nature, dont L’histoire de Leuk-le-lièvre, qui a éveillé son imaginaire et renforcé son attrait pour la narration. Puisant dans la richesse de la tradition orale, il s’est tourné vers l’écriture pour en préserver l’âme, donnant naissance à ses propres histoires.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 289

Veröffentlichungsjahr: 2025

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Couverture

Titre

Alain Lella

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De mes deux balcons

Nouvelle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Alain Lella

ISBN : 979-10-422-6289-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

Ma r

230134elation avec l’écriture

 

 

 

Étant enfant, j’ai eu le privilège de passer des vacances au village et d’écouter, les soirs, des histoires magnifiques sur la vie des animaux, des génies et des autres mystères de la nature. Il y avait les histoires de Leuk-le-Lièvre, de Kanamba, l’araignée, du lion, roi de la forêt, et bien d’autres encore.

Ayant baigné dans cet univers imaginaire, je me suis retrouvé plus tard à inventer mes propres récits, en reprenant d’abord ces personnages, puis en créant les miens. J’ai vu ces histoires évoluer dans mon esprit avant de les transcrire sur papier. Je suis ainsi passé de l’imaginaire oral à l’écrit.

Ces histoires, qu’elles soient issues de mon imagination ou héritées de mes grands-parents et de mes aînés, ont jalonné ces moments privilégiés, si rares aujourd’hui, qui m’ont aidé à trouver mon chemin. Elles restent imaginaires, certes, mais elles entretiennent parfois une amitié – et souvent une inimitié – avec le réel.

J’écris parce que j’ai reçu, et parce que je refuse de perdre ce qui m’a été transmis. J’imagine, je crée, parce que j’ai l’intime conviction qu’il faut perpétuer, à ma façon, ces vies que nous croyons imaginaires, mais qui pourraient cependant ne pas être si éloignées de la réalité.

J’écris pour Madeleine, qui savait nous faire vivre ces contes comme s’ils étaient réels. Je transmets, à mon tour, en souvenir de tonton Moïse, qui nous effrayait avec ses récits de parties de chasse nocturnes.

À travers mes histoires, je raconte celles qui m’ont appris à voir la fourmi autrement que comme un simple insecte, l’araignée comme un être malin, et le lièvre comme le plus intelligent des animaux.

Je tatoue les pages blanches afin que le monde ne se limite pas aux seuls humains.

 

 

 

 

 

 

Mon chemin

 

 

 

Je fais partie de ces miraculés, de ces chanceux qui ont eu l’opportunité de traverser les aéroports européens en quête d’une vie meilleure. Le vingt-sept mai de l’année mille neuf cent quatre-vingt-quinze, je foulais ce sol qui, pour bon nombre d’entre nous, représentait un eldorado, muni d’un passeport d’un autre pays que le mien, de langue coloniale autre que la mienne, et enceinte de sept bonnes semaines déjà. J’avais investi toutes mes économies dans cette aventure de la dernière chance. Chance de réussir ma vie, possibilité d’aller de l’avant, opportunité d’être une poche pour les miens, accès à des choix non limités et non restrictifs.

Au pays, ce n’était plus vraiment reluisant pour moi, à l’image de toutes ces personnes qui, comme moi, étaient obligées de se contenter de ce qu’elles avaient sous la main. Malgré mon brevet de technicien supérieur avec pour option la communication des entreprises, j’occupais, et cela malgré moi, un poste de standardiste au ministère du « colmatage » des routes de mon pays. Pour mes amis du quartier, qui, pour la majorité, m’avaient abandonnée en chemin, me laissant seule emprunter les différentes pistes et autres ruelles menant à l’un de ces nombreux temples du savoir que je m’efforçais de fréquenter, afin de devenir moi aussi quelqu’un dans ma famille et dans mon pays, j’avais réussi. Pour eux, j’étais fonctionnaire de l’administration de mon cher pays, sur mon beau continent et pour ma belle patrie pour laquelle du plomb chaud a souvent traversé des poitrines inutilement. C’est vrai que le regard des gens à l’entour change au fil du temps. Plus vous avancez dans la vie avec en prime des lauriers sur votre parcours du primaire, du collège, du lycée, du supérieur puis du monde du travail, le regard passe de l’étape de l’admiration pour évoluer vers le respect. Dans mon quartier, que ce fût durant mes années de collège ou aujourd’hui, j’ai toujours inspiré le respect dans le regard des gens qui me connaissent, sauf aux yeux de certains que la jalousie négatrice du bon côté d’autrui détruit et pour qui je n’étais que tricheuse et arriviste, gonflée et ingrate. Que d’histoires pour rien qui me laissent de marbre ! Il est indéniable que pour les parents du quartier, j’étais mieux que la plupart des jeunes de ma génération que les difficultés sociales de tous les acabits ont obligé à baisser les bras, plus par contrainte que par envie. J’étais même et cela très souvent, citée en exemple par les pères et mères aux enfants qui avaient pris des chemins différents de ceux prés tracés par leurs parents et qui en général sont vus d’un mauvais œil par et dans la société. J’avais reçu plusieurs « bonjour, ma fille » avec l’impression d’être une enfant de toutes ces personnes et je répondais toujours par un « bonjour, tonton ou bonjour, tantine », comme je le faisais pour les membres de ma propre famille, qui étaient de la génération avant la mienne. J’appartenais à ce quartier, à ses rues bordées de problèmes souvent insolubles, à ses couloirs à risque, à ces parents soucieux de notre avenir, mais incapables pour la plupart de faire quoi que ce soit pour améliorer le quotidien.

J’étais un enfant de Gnonpongnon, ce quartier populaire et populeux où tout est tolérable et très souvent toléré. Ce coin du monde, où la foi est grande et qui, cependant, fournie le plus d’adeptes à Lucifer que tous les endroits par moi connus.

Depuis mon entrée au ministère, j’assistais aux messes de six heures et demie du matin, tous les jours de la semaine sauf les week-ends, depuis que monsieur Dibebla, un haut cadre du ministère refusant de prendre sa retraite, m’avait repérée à la messe dominicale et proposé de m’y accompagner, avec en prime la possibilité de me déposer au travail chaque fois que cela lui serait possible. Cela me permettait d’économiser le transport. Je le savais tout puissant directeur dans mon ministère, mais j’étais loin de penser à lui comme voisin de quartier et surtout comme doyen du conseil des sages de la paroisse « saint-honoré de Gnonpongnon ». Et pourtant, il était mon voisin de quartier, gérait les conflits entre paroissiens et inspirait crainte et respect à ceux qui ne connaissaient pas vraiment l’ami personnel du propriétaire de notre ministère qui draguait tout ce qui avait une paire de seins et fesses. Le bruit courait qu’il ne pouvait rien faire au lit à toutes celles qui, pour la couleur de ses billets, lui avaient offert leur corps, vieux ou jeunes. J’y avais cru moi aussi au départ.

Pendant environ six mois, je fus sa chasse gardée. Tout le monde avait compris à la sous-direction de la logistique, que je faisais, lentement mais sûrement route vers le harem du tout puissant Dibebla, vers un de ses lits. Tous, sauf moi qui voyais en lui, le conseiller de la paroisse, le gentil patron, le père, le protecteur, le parrain qui vous aidait à aller loin dans la vie surtout professionnelle.

Mon salaire était d’environ cent euros approximativement parlant. J’étais lié au ministère par un contrat de travail à durée déterminée, par la société « EDIPIAN » interposée. En réalité, je travaillais pour la société EDIPIAN qui elle avait un contrat de fourniture en main-d’œuvre, avec le ministère du « colmatage » des routes de mon cher et très beau pays. C’est donc EDIPIAN qui me donnait un salaire d’environ cent euros sur les trois cents à peu près que je coûtais à l’état de mon pays via mon ministère. Ce contrat liant la société EDIPIAN au ministère du « colmatage » stipule qu’elle garantit les salaires de sa main-d’œuvre fournie de façon mensuelle et est payée à son tour à la fin de chaque trimestre. Ce ne fut jamais le cas. Tous les employés de EDIPIAN que nous étions, près de six cents personnes dispersées sur l’ensemble du territoire, ne percevions nos salaires qu’après que notre employeur ait lui-même reçu son chèque du trésor public via le payeur général. Jamais elle n’a pu préfinancer les salaires comme convenu dans le contrat, mais avait cependant toujours de quoi donner un crédit à qui le voulait. Et ce fut toujours ainsi jusqu’à ce que je les quitte avec des arriérés de trois mensualités salariales.

Je n’avais pas d’enfant et c’était déjà difficile pour moi de faire face aux charges qui incombent au nouveau statut de travailleur que j’avais acquis dans mon entourage. Je comprenais souvent, sans les en excuser, ces voleurs de la république, quand on sait que salaire et responsabilité ne sont que de lointaines voisines. Surtout que sur mon continent et dans mon beau pays, les responsabilités professionnelles sont proportionnelles aux familiales, aux responsabilités villageoises et même départementales souvent, plus la république t’en donne et plus tu en as vis-à-vis des tiens proches et lointains. Et les plus grands pleurnichards sont ceux-là mêmes vers qui on voudrait courir. Ils occupent de hauts postes et ont des problèmes à la hauteur de ceux-ci. Au final, on se rend compte que c’est difficile pour quelqu’un de bien payé chaque mois. Imaginez un peu la vie de quelqu’un, avec plusieurs enfants, sous-payés de façon incertaine et souvent trimestriellement. On s’imaginerait bien que le pauvre percevrait la totalité de ses trois mensualités que non ! Sa plus grande chance serait déjà de pouvoir toucher deux mois des trois à lui dus, c’était pénible pour nous, mais ça l’était encore plus pour ceux d’entre nous qui avaient des familles nombreuses à charge. Je refusais de devenir comme eux. J’avais mal pour eux et me disais toujours : « Tu dois sortir de ce merdier avant de t’y enliser. »

Ce qu’il y avait de plus choquant, voire de révoltant dans tout ce jeu de dupe était que, quelques membres du système administratif savaient qu’une organisation avait réussi à mettre en place une machine frauduleuse afin de me pomper les deux tiers de mon salaire sans que cela ne dérange qui que ce soit à part moi. On en faisait cas souvent en haut lieu chaque fois qu’il y avait, par mon syndicat, promesse de grève sans plus. Ils s’en foutaient royalement. Pourraient-ils attendre comme nous que l’état fasse trois mois sans leur verser leurs salaires ? Ils n’en avaient vraiment cure. C’était notre problème et non le leur. Et puis, les gens pour nous remplacer, il y en avait tellement, ces personnes qui nous enviaient et qui seraient même prêtes à travailler pour rien, pourvu qu’elles soient assises dans un bureau, pour peu qu’elles aient un but chaque matin. Et ces phrases, on nous les sortait souvent comme si cela relevait de la chance de travailler sans salaire. Sérieusement quelle chance y a-t-il de trimer pour du vent. En fait, c’est de cela qu’il s’agissait, on travaillait pour du vent. Comment fait-on pour son loyer, la scolarité des enfants, les soins de santé, la nourriture, etc. C’est forcément avoir recours à l’endettement, ce qui suppose que lorsqu’on percevra le salaire ce sera pour rembourser les dettes contractées. Pour la majorité d’entre nous, cet engrenage était inévitable surtout pour les hommes, les pauvres ; pères et maris qu’ils étaient avec ce que cela implique comme charges. Que l’état permette à des individus de mettre en place cette arnaque sans rien faire, voire s’en faire complice, me donnait des ulcères.

Ce furent des moments difficiles et la plupart du temps, d’une tristesse insoutenable pour les personnes normales ou sensibles dont je faisais partie. Il arrivait que des personnes de mes collègues ne puissent pas se rendre à leur travail faute de transport. Moi, j’avais Dibebla et son chauffeur pour me conduire au boulot, tous les jours ouvrables, et surtout lorsque les comptes commençaient à devenir serrés. Et ceux qui ne pouvaient compter sur personne ? Et ceux qui n’avaient que ce travail comme source de revenus ? Et avec ce système d’incertitude salarial, on se permettait de procéder à des affectations et autres sanctions, et renvois, et mutations, et brimades, et humiliations de toutes sortes. Je n’y aurais pas survécu et je me demande comment le vieil Attoh a réussi à y passer 36 ans de sa vie. Il ne donne jamais son âge, mais nous savons tous qu’il n’est pas aussi loin de la retraite qu’il aime à le faire croire. Il se pourrait bien que d’avoir encaissé toutes ces difficultés fait vieillir aussi. Ce vieux qui prétend avoir des parents partout et qui connaît tout le monde. Ce vieux qui a fait rêver tous les contractuels de la société EDIPIAN que nous étions. Son neveu à ce qu’il nous disait était le jeune colonel qui venait d’être nommé général et qui avait en charge l’armée de terre. Il avait réussi à le faire rencontrer par notre syndicat qui lui avait remis un dossier récapitulatif de notre situation et les solutions qu’on pouvait trouver afin de remédier à la souffrance des citoyens que nous aussi étions malgré tout. On avait souhaité une prise en charge directe de la part de l’état, qui nous payerait les mêmes salaires en nous garantissant son versement chaque fin du mois. Ce fut un rêve de plus. Nous eûmes droit à des propos rassurants, les premiers mois, puis, plus rien. Le fameux neveu ne voulant plus nous accorder d’audience, ni chez lui ni à son bureau. Un coup de fil ou une enveloppe lui avait rappelé sa petite place qu’il ne devait pas risquer de perdre pour des inconnus que nous étions. Le débat fut clos et les espoirs avec. L’épineux dossier n’intéressait personne ou du moins personne n’était prêt à se sacrifier pour nous.

Mine de rien, je passai quand même trois ans de ma vie dans ce ministère avec plus de boulot chaque fois que je prenais de l’âge. Je devins, la deuxième année en ces lieux, une des secrétaires particulières de Dibebla. J’avais toujours le même salaire, mais en prime des billets reçus çà et là et une dotation en carburant comme tous les membres de son staff. Je n’avais pas de véhicule de service et n’était pas fonctionnaire, cependant je bénéficiais de cet or noir moi aussi et comme certaines grandes puissances de ce monde, j’aurais été prête à ôter à des êtres humains les biens le plus précieux que sont leurs vies pour continuer à en jouir. Comme elles, j’aurais pu inventer des raisons de guerre, des causes de mort. Je n’allais tout de même pas cracher sur cette manne qui était d’un apport grandissime et représentait une bouée de sauvetage dans ce lac à problèmes où la noyade, comme un prédateur, se faisait sentir à grands pas feutrés et sûres. Et ces bons de carburant, je les attendais avec impatience. Ils représentaient un pan de mon salaire et la grande partie de mes projets mensuels en tenait compte. Chaque mois, depuis l’avènement de ces bons, un nouveau vêtement s’insérait dans ma garde-robe, ce qui pouvait aller souvent jusqu’à deux ou trois nouveautés. Je me permettais des fois des invitations au restaurant, en évitant toutefois de faire des excès. Ces cinquante euros qui m’étaient destinés chaque mois, variant légèrement en fonction des stations d’essence où les échanges avaient lieu, j’en avais fait ma paie, eux au moins étaient réguliers, mon salaire venant par à-coups. Cela vous rend en général intelligent de gagner très peu d’argent et d’être obligé d’en vivre. Je connaissais des endroits où l’on pouvait s’habiller à moindre coût et bien. Je savais comment « bien » manger et où le faire en dépensant peu. Malgré toutes ces difficultés et cette disette, je devenais de plus en plus belle et ne passais pas inaperçue partout où j’allais.

Ils sont nombreux, ceux qui ne pouvaient pas imaginer que je me ravitaillais en matière vestimentaire au marché aux puces. Je m’y rendais très tôt les samedis, jours où les balles d’habits et de chaussures arrivaient d’on ne sait où ni comment, sur le marché de GBATA. Ce marché sur lequel chacun trouve forcément son compte. Ici, le tout est de surmonter sa honte, en se disant qu’ailleurs n’est pas à la portée de notre bourse. Les filles de parents pauvres comme moi avaient le choix entre aller au marché de « GBATA » incognito, ou se faire un ami parmi les vendeurs de vêtements neufs. La solution première était de loin la plus digne et la moins onéreuse et j’avais opté pour elle. Un vêtement aussi beau soit-il ne valait pas que je me déshabille devant un homme. J’avais donc les meilleurs choix et une large palette de modèles différents qui me mettaient en valeur et qui, surtout, venaient d’ailleurs même si souvent de seconde main. Et le coup d’œil, je l’avais en ce qui concerne ce qui m’irait bien et les occasions de grandes marques d’ici à moindre coût. J’y faisais de très bonnes affaires et même des envieux. J’y prenais même les dessous qui, bien bouillis et lavés, devenaient comme neufs, dessous que je partageais avec mes deux cadettes de sœurs encore au lycée à l’époque. On avait la même garde-robe en matière de slip, string, soutiens et cela ne nous causait aucune gêne véritable. L’impératif, et le seul, était qu’on ne devait jamais en laisser de sales. La règle « soleil, placard ou corps » était la seule à être appliquée et ces endroits étaient les seuls où les dessous devaient être. C’était notre règle à nous et elle était vraiment respectée surtout par mes deux cadettes. Nous étions des enfants de fonctionnaires africains en préretraite, mais trois filles très intelligentes qui faisaient et continuent de faire la fierté de leurs parents. Mes deux sœurs étant aujourd’hui étudiantes en médecine et en pharmacie et moi chez les blancs. C’est vrai qu’on aurait pu comme certaines filles de mon quartier, opter pour la facilité et bénéficier de certaines choses à elles offertes en échange de torrides parties de jambes en l’air. Mais l’envie de nous en sortir par les moyens mis à notre disposition et rien d’autre était plus forte que tout le reste. Il y avait en sus la crainte de déplaire à notre Seigneur qui, comme le disait notre père, nous aime trop. Et qui aime bien, châtie bien comme on le dit. Il nous aime trop, le châtiment serait proportionnel à son amour pour nous, il nous châtierait plus. Nous avons grandi avec ce genre de paroles qui nous ont effrayées, petites, et qui, par la suite, nous ont aidées à ne pas faire de bêtises. Il me fut cependant arrivé d’en faire, mais pas d’aussi grandes qu’on pourrait l’imaginer. Je me souviens de la fois où, j’avais accepté de suivre mes collègues d’alors pour une virée à « la rue des vertus perdues ». Cet endroit existe encore dans mon pays et représente une des attractions des touristes que sont devenus certains de mes concitoyens. Voir « la rue des vertus perdues » et s’y perdre un peu, faisait partie de leurs programmes de vacances. Et les dépenses folles qu’ils y effectuent dans « l’alcool et les fesses » sont, je le pense, une des nombreuses raisons qui poussent les jeunes de mon pays à vouloir vaille que vaille, « traverser l’eau » comme on le dit chez nous, expression signifiant voyager pour l’occident. Ils prenaient tous les risques pour y arriver, bien que malheureusement, un grand nombre finit son voyage dans les entrailles de la mer impitoyable pour ces frères et sœurs.

Il y avait du bruit partout et l’on avait du mal à s’entendre d’où, la nécessité de devoir crier pour se faire entendre les uns des autres ou réussir à lire sur les lèvres de l’interlocuteur. Les décibels dans cette rue vorace, avaient la capacité de vous rendre sourds, mais, je me souviens que malgré tout ce vacarme et cette impression d’insécurité, je me sentais bien et heureuse d’être là. Sur le moment, je me disais que j’avais raté beaucoup de choses toutes ces années où je fus la fille à son papa, la fille aux mœurs exemplaires, la fille respectueuse des règles familiales et parmi elles, il y en avait qui ne tenaient pas des saintes Écritures ; je les appelais les règles économiques à l’époque ; ces mêmes règles qu’aujourd’hui j’impose à mon fils et qui le mettent très souvent en rogne. De petites obligations comme rentrer directement à la maison après les cours, éteindre la lumière lorsqu’on quitte une pièce de la maison, entretenir ses vêtements, manger ce qu’il est prévu comme repas à la maison, éviter tout ce qui peut nous rendre malades, travailler bien à l’école afin de ne pas pousser les parents à dépenser dans une école privée, attendre de travailler avant d’avoir des enfants afin de pouvoir s’en occuper convenablement, etc. C’étaient de petites choses qui étaient mal prises par les enfants que nous étions. Ceux de nous qui étions encore de vrais enfants pour leurs parents. Ceux d’entre nous qui avions ou qui ont toujours la chance de ne pas participer aux dépenses de la maison, qui ne supportent d’aucune façon les charges familiales. Car pour en supporter, il y en a qui en supportent, même de nos jours. Et ils sont nombreux, ceux des enfants qui subviennent aux charges parentales et souvent familiales, dans ces villes et villages dans lesquels les circonstances diverses ont inversé les rôles. Et la plupart de ces enfants qui étaient là ce soir étaient des parents pour leurs parents. Des « parents » qui étaient là ce soir, la frange des mineurs de moins de quinze ans, se voyait déjà très sollicitée par leurs familles respectives.

Mes amis avaient passé commande des poissons et des poulets cuits à la braise et tellement délicieux, dont raffolent les gens de chez nous, de mon continent. Et je me souviens de cette jeune et belle fille qui avait fait du charme à Armand Klocô, le chauffeur de mon très cher patron Dibebla. Elle l’avait dragué sans se soucier de notre présence à cette table. C’était comme si nous n’existions pas pour elle. Elle n’était quand même pas aveugle pour ne pas nous voir, ou était d’une impolitesse vraiment au-delà du raisonnable pour ainsi oser. Au final, elle se retrouva à la même table que nous et à côté du pauvre Armand qui en était plutôt heureux. Moi, j’étais choquée. Quel manque de savoir-vivre ?

Elle mangea plus que tout le monde à cette table donnant l’impression qu’elle se faisait une réserve pour les jours de disette et que ceux-ci, dans sa vie, étaient présents de façon régulière. Toujours est-il qu’elle fut dans la voiture lorsqu’Armand me déposa chez moi. Comment avaient-ils pu s’entendre aussi facilement ? Était-on sur un marché ? Elle n’allait pas coucher avec lui dès le premier soir ? Elle est devenue sa concubine et celle qui lui a donné ses enfants à Armand. Ils se sont permis d’avoir deux enfants dans la situation précaire qui était la leur. Le bon de cette histoire d’Armand est que la fille de cette soirée a réussi à le « maîtriser » comme on dit dans le langage courant des rues de chez moi. Il était entré désormais dans les rangs comme on le dit ici. Il y a certaines qui ont, comme elle, la chance de s’offrir un foyer et de changer de vie. Cependant, pour la majorité, un foyer demeure au stade du rêve et la plupart de ces filles, pour celles qui arrivent à éviter l’infection du siècle, c’est le statut de mère célibataire sans ressources réelles, qu’elles ont en partage.

Cette soirée à « la rue des vertus perdues » s’était passée sans que je ne participe véritablement aux conversations tant le bruit de la musique les couvrait. Je me souviens cependant que je faisais comme les autres, riant ou me taisant comme eux, essayant parfois de comprendre ce qui se disait autour de moi ou faisant semblant d’avoir compris même si ce n’était pas le cas. Il était vraiment impossible pour la novice que j’étais concernant ces lieux, de s’y entendre. Mais comment ne pas aimer cet endroit pour ce qu’il permettait d’apprécier comme spectacle. C’était simplement féerique pour moi. Le décor était tel qu’on aurait dit que le diable venait d’avoir le chiffre six au lancer de dé. Les filles étaient belles, et surtout bien habillées. Je suis sûre qu’elles piochaient pour la majorité au marché aux puces, au supermarché de GBATA comme moi. Je sais aussi que c’est pour ces belles danseuses que mes compatriotes se ruaient au pays chaque fois qu’une possibilité de vacances s’offrait à eux. Sur place, ils ne ratent aucune occasion de faire la fête à « la rue des vertus perdues », ou des modèles de rues semblables sous d’autres cieux de quartiers et de villes de ce cher mien de pays.

C’est une rue ordinaire le jour. Une rue d’Afrique dédiée à la joie. Une rue qui vous rappelle que les ministères qui en ont la charge ont d’autres rats à poursuivre. Une rue où la tristesse se lit sur le visage de certains parents qu’on y croise et l’insouciance sur ceux des adolescents qu’on y rencontre. Une rue commune et communale le jour. Une rue internationale dès le coup des seize heures de l’après-midi. Une rue pleine de petits commerces où l’on hèle le passant afin de rentrer le soir, de son boulot de commerçant, avec un petit quelque chose qui permettrait à la maisonnée de manger le lendemain. Une rue dans laquelle l’on n’est pas sûr de retrouver son magasin ou sa petite table de débrouillard intacte le lendemain. Une rue qui changeait de visage sous le coup de quatre heures de l’après-midi, pour peu à peu tuer les tristesses qui s’y sont côtoyées le jour. Une rue où les produits tolérés en majorité par les pauvres parents obligés de rester, par la faute des aléas de la vie, toujours ses riverains allaient laisser, dès la nuit tombée, le trône à l’alcool, au tabac, à la drogue et au sexe. Une rue qui reprend ses droits de quatre heures de l’après-midi à huit heures le matin après le départ forcé de difficiles clients, du lundi au jeudi et n’admet aucun partage les week-ends. Une rue ruineuse et destructrice, qui vous tue dans la joie. C’est cependant l’un des rares endroits de mon pays où riches et pauvres se côtoient et se tolèrent ; où riches et pauvres partagent des moments de joie et de plaisir, sans égoïsme ni hypocrisie : c’est la rue des vertus perdues.

Du haut de mon balcon, je pouvais voir tout ce qui, dans la rue, s’offrait à moi en spectacle. Des passants aux voitures, du clochard du coin au bus, tout y passait. Et ce matin, en séchant mon linge fraîchement sorti de la machine à laver – que la publicité avait aidé mon époux à m’offrir –, je jetais de brefs coupsd’œil à la rue. Elle était devenue mienne, cette rue dans laquelle je pouvais marcher même les yeux fermés, tant je la connaissais, tellement je la savais. Elle était toujours coquette, ma rue, et rarement elle se retrouvait avec des blessures que les services adéquats venaient aussitôt soulager. Sa robe noire était changée dès qu’elle commençait à représenter un danger pour l’usager. Je la sais très solidaire de ses cousines, en général, nues et très souvent malades, de mon pays et sur mon continent. Là-bas, leurs nombreuses quintes de toux ne troublent en rien le sommeil des autorités, mais plutôt celui des conducteurs de véhicules. Elles ne savent même plus à quand remontent leurs derniers bains et le dernier raccommodage. Pendant les fêtes, on leur donne fière allure, mais malheureusement, le manque de civisme les rend encore plus sales que la veille. Les seuls endroits approximativement propres étaient ceux occupés par les forces de l’ordre pour leurs simulacres de contrôle. Les voitures de transport en commun, mini bus ou taxis communaux ou intercommunaux pouvaient se permettre le luxe d’utiliser le montant des assurances pour d’autres charges plus utiles pour leurs propriétaires. L’assurance, ils n’en ont pas besoin, et le véhicule non plus. En cas d’accident, on pourrait toujours s’arranger, c’est le système. On pouvait voir un courtier en assurance pour nous arranger un contrat vite fait et bien, ou voir qui on pouvait pour que les victimes d’un accident se lassent de poursuivre une assurance pendant de nombreuses années onéreuses et épuisantes.

Ce matin, ma rue est belle et les passagers de bus qui passent devant mon immeuble pour longer le fameux hippodrome de Saint-Cloud, ne sentiraient même pas qu’ils se déplaçaient, n’eût été l’impression de voyage du paysage. Ah, Saint-Cloud et son hippodrome dont on parle tant dans la cité administrative de la capitale économique de mon pays. Ce parc dont la texture du sol est connue par des vendeurs d’illusions de parieurs de mon beau, mais pitoyable jardin public. Cet endroit qui avait souvent une température différente de celle de la ville de Saint-Cloud comme ces charlatans le prétendent dans mon beau pays. Je me suis souvent posé la question de savoir, depuis que moi je le sais, si ces personnes qui en parlent toujours savent que Saint-Cloud est une ville ? Ces gens qui connaissent jusqu’à la vitesse du vent dans le parc et celle à l’entoure devraient être capables d’indiquer aux gens qui voudraient le savoir, comment accéder à ce fameux parc et son hippodrome qui brise des familles et ruine des parents. Pour ces démarcheurs comme je les appelle, comparaison faite aux vrais qui proposent aux autres sans jamais en être eux-mêmes intéressés, le décalage horaire n’était pas un problème. Ils en étaient les maîtres et arrivaient à vous pousser à jouer et même lorsque vous étiez un bon client, ils arrivaient à vous aider à parier à la minute dernière, la minute où tout est connu à ce qu’il paraît, la minute de la chance. Pour ces gens, pour la plupart des jeunes désœuvrés, le pari était banni. C’est bizarre que des gens qui ont la science infuse concernant ce jeu ne veuillent pas empocher le gros lot chaque jour de course et sont si généreux au point de vouloir que les autres gagnent à leurs places et leur remettent en contrepartie quelque chose. Ils sont très convaincants, ces mecs au parler et non à la main facile. Ils ne se permettent pas de jours de repos. Même le jour du Seigneur y passe. Ils étaient toujours là ces vendeurs d’illusions et de formules et autres combinaisons magiques et qui s’en sortaient bien. Souvent, en les entendant, on parierait son âme que leurs résidences se trouveraient dans ce parc ou encore que les chevaux dormissent juste à côté de chez eux. Ces messieurs étaient très rassurants, et les hommes, car en général, c’est d’eux qu’il s’agit, misaient gros pour certains. C’est justement en ce genre de moments que je suis heureuse d’appartenir au sexe dit faible et qui, pourtant à bien y regarder, est le plus fort selon moi. Permettez-vous juste un tour d’horizon pour voir ce que leur force aurait créé si l’autre sexe n’existait pas. Ils leur arrivent de pousser leur irresponsabilité, là-bas chez moi au pays, jusqu’à donner comme mise, l’argent devant servir à payer le loyer. Ils le font dans l’espoir d’un grand gain, à eux promis par ces charlatans des temps nouveaux, qui réglerait tous leurs problèmes, loyer y compris. Et en général, ils font des promesses de fumeurs, d’être capables d’arrêter s’ils le voulaient, confessant ainsi leur volonté de continuer. Ils sont comme pour la cigarette, tombés dans un engrenage. Ce genre de choses, il ne faut pas flirter avec. On paye toujours cash sinon. On oublie trop souvent, ou on l’ignore, c’est selon, que ce sont de grosses sommes qui sont investies dans ces courses et que leur objectif à ces hommes d’affaires, est de se faire au pire des cas rembourser leur investissement. Des chevaux à soigner, à nourrir, à entraîner, à remplacer, au jockey et à toute l’écurie à entretenir financièrement, il faut être solide pour réussir à entrer dans ses fonds et faire en plus des bénéfices. Il fallait trouver des brebis prêtes à nous rendre riche en pensant le devenir elles-mêmes. Eh ! Les pauvres parents qui finissent par être empêtrés dans ces affaires d’animaux que l’on fait courir quelque part dans un monde qui ne sera sûrement, par eux, jamais connu. À ce qu’il paraît, pour gagner gros, il faut faire de très grosses mises. Mais n’était-ce pas une évidence avec toutes les combinaisons possibles qui s’offrent à vous ? Que ce soit pour ceux ayant visité un jour le monde très fermé des mathématiques ou ceux que d’autres élèves et étudiants ont sortis du circuit scolaire, ou pour celui qui n’en a cure, savent-ils chez moi, dans mon beau pays, qu’il s’agit de calculs, de probabilité, de statistiques appliqués à la haute finance « escroquienne » ? Si cela ne nous ramène pas à la magie « médoffaire » ?

Il m’arrive, chaque fois que je passe par son hippodrome à monsieur Saint-Cloud, de penser à ces femmes et enfants à qui l’on dit trop souvent « je n’ai pas d’argent ». Ces élèves et écoliers à qui l’on refuse le prix d’un stylo à bille ou d’un cahier parce que le pari en a besoin, parce que le jeu est plus important. Il y a plus urgent pour ces maris et pères en qui l’on a confiance, mais, face à qui l’on ne peut rien. De vrais bourreaux que ces pères qui n’ont de priorité que le jeu. Il leur arrive parfois de gagner, mais que font-ils de cet argent ? La plupart du temps, on assiste à des parties de beuveries. Et les problèmes demeurent, et le stylo manque aux fournitures scolaires, et la viande se montre absente de la sauce et, petit à petit, le respect abandonne la maison, suivi par les enfants qui préfèrent la rue quand ils commencent à percevoir certaines réalités de la vie et de leurs familles, tout ceci couronné encore une fois par des lauriers décernés à « dame rue ».