Demain sera un jour meilleur - Emmanuel BORTNIKOV - E-Book

Demain sera un jour meilleur E-Book

Emmanuel BORTNIKOV

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Beschreibung

Clémence, trente-sept ans, secrétaire administrative dans la fonction publique, évolue, silencieuse, dans la bruyante agglomération parisienne. Une existence banale, routinière, semblable à tant d’autres.

Certes entourée, elle s’enlise pourtant dans une solitude qu’elle semble avoir cultivée ; comme une lente autodestruction. Plus encore, la menace réside dans cette mélancolie, aussi ancienne qu’inexpliquée, ce mal qui affaiblit, ce mal qui dévore.

Le regard de Clémence lentement s’assombrit ; mais personne ne le remarque.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Passionné de littérature depuis toujours, Emmanuel BORTNIKOV ne franchit le pas de l'écriture que tardivement, lorsqu'il redécouvre la poésie. Cette rencontre intervient tandis qu'il parcourt la bibliothèque familiale et arrête son regard sur un recueil de poèmes d'Alfred de Vigny. Plus tard, les Fleurs du Mal de Baudelaire… La poésie, lue puis rédigée, devient rapidement pour lui une passion, mais aussi un besoin… Une fuite et une quête…

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Seitenzahl: 78

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Emmanuel BORTNIKOV

DEMAIN SERA UN JOUR MEILLEUR

CHAPITRE1

06h00: le réveil posé sur la table de nuit sonne. Dans un cri assourdissant, il met subitement un terme à la nuit. Cette nuit toujours réconfortante, qui ne garantit pas le bonheur, mais sait préserver des souffrances. S’y déploient des rêves salvateurs, des songes apaisants. Par l’irréel, l’esprit sait se replier dans la douceur des échappées nocturnes, ces périples intimes, ces accomplissements imaginaires. Comme une fuite, instinct de survie de l’esprit, face aux réalités d’un quotidien décevant et cruel.

Clémence s’extirpe de son sommeil, ce sommeil doux et confortable que l’on voudrait parfois ne jamais quitter. Mais une nouvelle journée s’annonce. Quelle journée ? Exceptionnelle ou semblable à tant d’autres ? Radieuse ou impitoyable ? Incertitude…

Clémence se lève, ouvre la fenêtre de son petit studio du dixième arrondissement de Paris. Un appartement qu’elle occupe depuis de nombreuses années, peu spacieux, au confort sommaire, pas assez charmant pour l’apprécier, pas assez lugubre pour le quitter. La décoration y apparaît pour ainsi dire inexistante, les meubles sont rares et sans intérêt, les murs vierges de tout cadre, de toute photographie, de tout miroir; rien qui puisse traduire la personnalité de son occupante. L’on pourrait croire à la chambre défraîchie d’un hôtel vieillissant, l’un de ces hôtels peuplés de clients qui ne l’ont pas choisi.

Dans un instant de délectation, Clémence ouvre l’unique fenêtre de son petit appartement situé au sixième étage et donnant sur rue. Elle apprécie contempler quotidiennement, durant ne serait-ce que quelques secondes, l’avenue encore endormie sous ses yeux. En cette heure très matinale, l’obscurité règne en maître, seuls les lampadaires et leur lumière jaunâtre viennent troubler, non sans un certain charme, la pénombre ambiante. Et ce silence quasiment parfait qu’elle aime plus que tout, un calme précieux car éphémère: la nuit se retirant, la ville va s’animer progressivement, jusqu’à devenir cet insupportable fourmillement qui caractérise les axes des grandes métropoles. Un vacarme désagréable composé de cris en tous genres, de vrombissements de moteurs, de klaxons répétés, ces sons agressifs émis par les citadins et leurs machines infernales: tout ce que déteste Clémence. Mais existe-t-il des personnes que ce spectacle enchante ?

La fenêtre à présent ouverte, un courant d’air frais pénètre immédiatement dans la petite pièce humide en ce mois de novembre, faisant virevolter les longs rideaux blancs rabattus de part et d’autre de l’encadrement, dans un mouvement irrégulier mais harmonieux, constitué de sursauts et d’ondulations qui donnent naissance à une chorégraphie poétique. On en viendrait à croire que la brise prend vie, personnifiée dans l’agitation du fin tissu. La fraîcheur envahit instantanément le studio. Clémence, pourtant très frileuse, apprécie sentir quelques instants ce souffle froid balayer son visage et ses longs cheveux noirs aux boucles lumineuses. L’aube semble lui chuchoter quelque espoir pour cette nouvelle journée qui débute comme toutes les autres, un réconfort passager; c’est du moins ce qu’elle ressent à ce moment précis; difficile à expliquer…

Vient l’heure de la séance de Yoga. Très peu sportive, Clémence aime pourtant pratiquer quotidiennement ce sport en début de matinée. Après avoir rapidement enfilé une tenue adaptée, elle déplie consciencieusement son tapis de mousse au sol, un tapis étonnamment coloré, comme s’il était peint à la bombe aérosol, avec une dominante de bleus et de roses; des couleurs vives jurant avec celles de son appartement, dominé par les nuances de beige et de gris.

Clémence enchaîne les exercices d’étirements et de gainage avec application. Elle espère entretenir ce corps âgé de trente-sept ans, un corps qu’elle n’aime pas, qu’elle trouve trop gras, trop flasque, pas assez ferme, pas assez affûté. Ses jambes la complexent particulièrement. Son regard sur cette enveloppe corporelle semble bien sévère: sans être athlétique, elle apparaît tout à fait svelte et beaucoup de femmes de son âge seraient heureuses de pouvoir exposer un corps similaire.

Au-delà des considérations physiques, c’est son esprit qu’elle souhaite travailler, qu’elle souhaite vaincre. Cet esprit inépuisable qui ne cesse jamais de se mouvoir, d’explorer le temps et l’espace, le réel et l’imaginaire, le spécifique et l’universel.

Ses pensées parcourent inlassablement les archives du passé, ces souvenirs proches ou lointains gravés dans un marbre éternel. Un passé par définition intangible, pas même susceptible d’éclairer le présent, que l’intellect, dans une quête insatiable d’activité, se plaît à déterrer.

Les pensées de Clémence aiment également se projeter dans un futur construit de toute pièce, souhaité ou appréhendé. Des instants à venir, dans quelques jours, quelques mois, quelques années… Des constructions intellectuelles aussi admirables qu’inutiles. Le futur se présente toujours trop vite.

Clémence a appris à haïr cet esprit qui sait si bien la faire souffrir par des pensées immanquablement négatives, ne retenant que le détestable, envisageant toujours le pire. Pas une once de positivité, pas un souffle de répit, pas une seconde d’espoir. Une véritable autodestruction mentale.

Aussi, par ces séances de yoga, Clémence tente de s’inscrire momentanément dans le présent, abandonnant regrets et craintes: rejeter l’esprit en ressentant pleinement le corps. Ne pas penser du tout relève du véritable défi, y parvenir quelques instants devient un exploit. Elle triomphe provisoirement en se concentrant sur sa respiration: ce souffle fébrile qui investit ses poumons avant de les abandonner. Enfin quelques courts moments de sérénité de l’âme chèrement acquis. Indicible apaisement.

Un petit-déjeuner expédié en quelques minutes, une rapide douche, puis Clémence se prépare, sans entrain, suivant une routine quotidienne faite de gestes automatisés, réalisés les uns après les autres sans en avoir conscience. L’esprit est ailleurs.

N’ayant que peu d’intérêt pour les vêtements, Clémence ne se soucie en aucune manière des revirements successifs d’une mode vestimentaire dont elle n’a jamais saisi le sens, s’il en existe un. Elle privilégie le confort à l’esthétique. À quoi bon ? Qui donc pourrait la regarder plus de quelques secondes ? Qui donc, bienveillant, pourrait lui porter le moindre intérêt ?

Les couleurs qu’elle porte jour après jour sont à l’image de son existence, sombres, ternes, sans éclat: elle affectionne le noir, les différents tons de gris et de brun, et quelquefois se laisse aller à porter des bleus foncés qui se marient parfaitement à la noirceur brillante de ses cheveux. En dehors de ces quelques timides incursions bleutées, la couleur a déserté son apparence.

Clémence enfile un pull de couleur taupe, un peu trop grand, ni spécialement beau, ni particulièrement déplaisant, tout simplement anodin. Ce pull est associé à un jean noir, également trop large, ayant pour principal but de masquer une silhouette qui ne devrait pas susciter la moindre honte. Le regard sur soi-même est toujours le plus dur… Seule pointe de style avec des chaussures Dr Martens hautes en cuir noir, leurs épaisses semelles et leurs coutures d’un jaune caractéristique. Une tenue pour sortir de chez soi et aller travailler, une tenue pour ne pas êtrevue.

Dans sa salle de bain, exiguë et sur-éclairée, Clémence s’octroie quelques instants pour se préparer avant de partir travailler.

Sa silhouette se dévoile dans le miroir. De longs cheveux descendant jusqu’au milieu de son dos, et venant recouvrir délicatement de frêles épaules, légèrement affaissées, comme si elles cédaient peu à peu sous le terrible poids de la vie; la fragilité innocente ploie sous la lourdeur insensée d’un quotidien toujours plus pesant. La chevelure se déploie en belles boucles d’un noir profond, menacé par quelques rares cheveux blancs qui ont fait, depuis peu, leur apparition. Clémence s’inquiète pour ces témoins inattendus des années qui passent; par chance elle est pour l’instant la seule à les voir. Elle songe à couper ces cheveux que tant lui envient, mais hésite encore.

Reflété dans le miroir, son visage se dessine avec grâce: assez pâle, aux traits fins, plutôt juvénile: pas une ride, pas une tache qui pourrait trahir son âge. On dit souvent à Clémence qu’elle paraît plus jeune qu’elle ne l’est, compliment qu’elle accepte avec gêne sans vraiment y croire. Clémence ne se juge pas vraiment belle, pas repoussante non plus, quelconque en quelque sorte. Ce visage qu’elle n’apprécie pas particulièrement contempler, elle le considère comme sans réel intérêt et en aucun cas susceptible de susciter l’attention, le désir, l’amour.

Clémence offre à la vue un regard à la fois magnifique et intriguant: de grands yeux si sombres que l’on ne peut distinguer ses iris de ses pupilles. Ces astres ténébreux semblent toujours abriter comme un voile de tristesse: pas un de ces désespoirs d’une violence ponctuelle, aussi brefs que puissants, mais plutôt une douce mélancolie, latente, éternelle. Clémence craint d’être trahie par ces yeux qui en disent trop sur ce que recèle son âme chancelante. Mais si, parmi les personnes qui la côtoient, beaucoup croisent le regard enténébré, le contemplent parfois, peu sont ceux qui parviennent à le lire, à le comprendre, et y déceler l’étrange, l’incompréhensible malheur. Myope, Clémence dissimule ses prunelles derrière une paire de lunettes aux verres épais et à la monture imposante, d’un noir brillant. Des lentilles de contact auraient été probablement plus esthétiques, mais ces lunettes la dissimulent, l’éloignent et la protègent de ce monde. Un mur. Un bouclier.

Aucun maquillage pour valoriser un visage laissé naturel: la démarche de séduction échappe à Clémence qui semble se complaire dans un célibat qui s’éternise. Pas un bijou, si ce n’est la fine chaîne en or qu’elle porte autour du cou, une chaîne soutenant à son extrémité une petite croix chrétienne, invisible de tous car glissée sous les vêtements.

À présent préparée, il est temps pour Clémence de quitter le petit appartement.