Dernier requiem - Alain Chartier - E-Book

Dernier requiem E-Book

Alain Chartier

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  • Herausgeber: Publishroom
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2019
Beschreibung

Accompagnez Gauthier Chapuis et son homologue marocain dans une enquête pleine de rebondissements.

Un professeur est retrouvé assassiné. Présent sur les lieux alors qu'il assistait à un récital de musiques sacrées, Gauthier, attaché de sécurité à l'ambassade de France décide de mener l'enquête. Accompagné par son homologue marocain Ismaël, il pense d'abord à la piste des narcotrafiquants. Mais rapidement, un jeu de pistes morbide s'engage, des quartiers périphériques de la ville de Fès aux confins du royaume près de la frontière algérienne et loin de toute frénésie touristique. Rythmé par les notes d’un requiem, ce polar est un hymne à la vie malgré́ les vicissitudes qu’elle peut nous réserver. Embarquez pour un polar au coeur du Maroc !

Engagez-vous dans un jeu de piste morbide à travers le Maroc, avec ce roman policier palpitant !

EXTRAIT

Intrigué, je remis l’ensemble et réfléchis. Plus j’avançai dans cette enquête, plus j’avais l’impression que Lecomte n’avait pas du tout la petite vie bien rangée qu’on pouvait bien lui accorder.
Je ne vis pas venir Slimani qui s’installa face à moi :
–Bonjour M. Chapuis.
–Bonjour, vous avez suscité chez moi de l’interrogation en précipitant cette entrevue, je vous écoute.
–Je serai bref, nous avons l’identité de la personne qui s’est effondrée à vos pieds.
–Très bien, vous avez fait du bon boulot.
–Il s’agit de Youssef Slaoui.
–Oui.
–Cet homme vivait dans le quartier Ben Slimane qui se trouve juste en face de la médina du côté de la porte Bab Boujeloud. Il a travaillé pendant trente ans au sporting club comme ramasseur de balles.
–Ce n’est pas le club qui se trouve à côté du GSU La Fontaine ?
–Exactement.
–Je n’ai pas trop de mérite, j’y ai quelquefois joué au tennis, avec un ami.
–À mon avis, vous n’aviez aucune chance de le rencontrer, car Slaoui a pris sa retraite, il y a plus de vingt ans.
–En effet, sinon, avez-vous trouvé un mobile à ce meurtre ?
–Visiblement ce vieil homme est mort par erreur, ce n’était pas lui qui était visé.
–Vous êtes sérieux, vous n’avez pas la moindre hypothèse ?
–Je n’ai pas dit ça.
–Cessez ce suspens intenable, allez à l’essentiel.
–Soyez perspicace, M. Chapuis, vous n’avez pas une petite idée ?
–Pas la moindre.
–Le vieux n’est-il pas tombé pour ainsi dire dans vos bras ?
–Oui, mais nous étions nombreux et tous serrés les uns contre les autres, il aurait pu tomber dans les bras du voisin.
–Allez, cher collègue, faites un petit effort, n’évacuez pas ce qui paraît évident.
Je compris où voulait en venir mon interlocuteur.
–Vous êtes en train de me dire que c’était moi qui étais visé par l’assassin de ce vieil homme ?
Le type hocha affirmativement la tête, je ravalais ma salive, surpris par ces révélations.
–Mais quels sont les éléments qui vous font penser que c’était moi qui étais visé ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Enseignant de formation, l’auteur a commencé sa carrière professionnelle en Afrique noire et au Maghreb comme coopérant. Alain Chartier signe son second roman avec Publishroom. Il vit actuellement en proche banlieue parisienne.

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www.publishroom.com

ISBN : 979-10-236-1242-4

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Alain Chartier

Dernier

Requiem

À ma mère,

À Clotilde et Corentin, mes enfants.

« Un teint de volutes

Bleu d’incertitudes

Encens perdu »

Jamila Abitar,L’oracle des fellahs

Chapitre 1

Je ne voulais pas arriver en retard, je pressai le pas. Il me fallait absolument rejoindre la voie principale, j’essayai de visualiser le site que j’avais pourtant visité plusieurs années en arrière, en vain.

Comme le passage devenait pentu, je regardai machinalement le sol et je ne vis pas le type qui arrivait face à moi. Il me heurta assez violemment et repartit en courant sans même s’excuser. Sous l’effet de la surprise, je n’eus pas le temps de dire quoi que ce soit.

Je continuai mon ascension, cette fois en regardant droit devant moi. Je fis le bon choix, car un deuxième coureur arriva, cette fois j’eus le temps de me mettre sur le côté et de me retourner pour voir qu’une bonne centaine de mètres séparait les deux sprinters.

J’arrivai enfin sur le decumanus maximus1 et dépassai des touristes. À chaque fois, le guide qui les accompagnait semblait déployer une énergie certaine pour ramener à lui les éléments du troupeau qui s’égaraient au fil de la visite. Je vis au loin les contreforts de l’Atlas avec, en première ligne, le mont Zerhoun dont l’aridité du sommet contrastait avec les flancs parsemés d’oliveraies d’un vert plus foncé.

Des places disponibles se trouvaient encore dans les dernières rangées, je m’installai. Face à la basilique, la scène se trouvait au milieu du forum, la diva était occupée avec l’ingénieur du son à faire les derniers réglages. Pendant ce temps, la foule s’installait, j’étais venu seul. Je profitais pour l’instant du spectacle architectural, derrière moi les colonnes du capitole se dressaient comme pour retenir les nuages.

Au fur et à mesure des minutes qui passaient, le ciel s’assombrissait. Yungchen Lhamo commença à chanter a cappella d’une voix très pure, presque céleste, des chants religieux tout droit venus des montagnes tibétaines. Originellement, il est fort probable qu’ils avaient été apportés par des nomades forgerons adeptes du chamanisme, des chants qui auraient aussi des effets favorables à la méditation.

Je n’eus pas l’impression que l’interprète suivait une partition écrite, la tonalité, difficile à définir, était peut-être en do majeur. Le piano arriva et un duo s’installa. La voix répétait la même phrase musicale, ostensiblement, en donnant de la puissance au piano qui, lui, variait et montait en tonalité en passant d’une gamme à l’autre. La voix reprit le phrasé du début, de façon répétitive, j’avais presque le sentiment que Yungchen Lhamo chantait une berceuse.

Les premiers éclairs déchirèrent les nuages devenus noirs, au loin la foudre s’invitait au concert, et les premières gouttes de pluie s’écrasèrent mollement sur nos joues.

J’avais l’impression que la cantatrice jouait avec les éléments qui se déchaînaient autour d’elle, puis les organisateurs lui firent signe de se mettre sous un auvent pour se protéger de la pluie. Elle refusa. Après quatre ou cinq chansons, la pluie s’arrêta brusquement. Alors que mon esprit vagabondait avec la pureté du timbre de sa voix, j’étais pourtant troublé, comme suspendu dans le temps. J’avais du mal à m’abandonner complètement, et quelque chose de soudain me fit reprendre le cours normal de ma vie.

Le téléphone se mit à vibrer, je décrochai et répondis en chuchotant :

– Désolé, mais je ne peux pas te parler, c’est important ?

– Oui, tu es à Volubilis, c’est ça ?

– Je t’avais dit que j’allais au concert de Yungchen Lhamo, pourquoi ?

– Écoute, je viens de recevoir un appel de mon collègue de Meknès, un assassinat vient d’être commis sur le site archéologique où tu te trouves, non loin de la basilique.

– Non !!! Je vais finir par croire que je suis maudit par les dieux de la triade capitoline.

– Par qui ?

– Laisse tomber.

– Je quitte le concert et je vais voir ce qui se passe.

– Je suis déjà en route, on se retrouve sur place.

Je fis un long détour pour éviter de gêner les spectateurs. Je repassai derrière le capitole, la basilique puis les thermes. Un attroupement se tenait là, je m’approchai, on me demanda mes papiers. Je montrai mon passeport de service, seul élément d’identité que j’avais sur moi. On me posa des questions, et pour éviter de trop longues explications, j’allai à l’essentiel : j’étais flic et j’avais rendez-vous avec Ismaïl Tazi. À ce moment-là, le policier qui se trouvait devant moi se mit presque au garde à vous, je n’en demandais pas tant. J’en profitai pour passer, le type me doubla, je ralentis, et il se retourna :

– Commissaire, le lieu n’est pas encore tout à fait sécurisé, laissez-nous encore quelques minutes.

– OK, j’attends ici.

Je regardai tout autour de moi : la frénésie commençait à s’emparer des policiers présents, les badauds furent refoulés avec plus ou moins de délicatesse, les plus récalcitrants en eurent pour leur grade. L’un d’entre eux, plus têtu que les autres, se vit mettre les menottes sans même comprendre ce qu’il lui arrivait. L’image fut suffisamment choc et les autres se tinrent à carreau, beaucoup rebroussèrent chemin.

Au loin, j’entendis les applaudissements que reçut Yungchen Lhamo, le public lui faisait une standing ovation, et la diva reprit l’une des toutes premières chansons du récital. Je fermai les yeux et fis abstraction du regain d’agitation liée à l’arrivée imminente du procureur royal. Les forces de l’ordre, peu sensibles à la voix cristalline de la chanteuse, s’activaient à matérialiser un périmètre de sécurité tout autour de la victime. Un homme d’âge mûr venait d’être sauvagement assassiné.

J’étais assis sur un muret quand l’épais couvert nuageux fut transpercé par les rayons du soleil, l’arc de Caracalla apparut d’une couleur ocre presque orangée. Le monument n’avait pas résisté au temps et les archéologues l’avaient reconstruit avec les moyens du bord. Il manquait un étage et deux colonnes, bref le résultat n’était peut-être pas aussi fastueux qu’à l’origine, mais l’ensemble monumental surprenait tout de même par sa qualité architecturale.

Même si la voix de Yungchen Lhamo n’emplissait plus l’espace sonore, le lieu me parut propice à la réflexion. Je repensai à la course-poursuite, sûrement une histoire banale de larcins, mais peut-être avais-je aussi croisé le meurtrier.

« Les déserteurs ne sont pas représentésils se trouvent sur les lieux du crime

et combattent l’idiotieComme une promesse de vie. »

Jamila Abitar,Le bleu infini

Chapitre 2

Je n’arrivais pas à me défaire de l’expression du visage de l’homme retrouvé sans vie. Ses mâchoires étaient crispées, signe de la violence des coups portés à plusieurs reprises dans l’abdomen et le thorax.

Le médecin légiste, venu sur place, avait comptabilisé plus de quarante coups de couteau et avait conclu que la victime avait succombé à ses blessures. N’importe quel quidam, en observant le macchabée, aurait trouvé le propos du légiste tout à fait réaliste. Je me disais que les spécialistes pouvaient se réfugier derrière des formules toutes faites et peu pertinentes, de toute façon, l’autopsie nous en apprendrait plus.

La victime, vraisemblablement de type européen, n’avait pas de papiers sur elle, hormis une carte de visite retrouvée dans une de ses poches de chemise qui indiquait le nom d’une psychologue psychanalyste dont le cabinet se trouvait à Rabat, et un billet pour le concert de Yungchen Lhamo dans la poche de son jean. Je me dis que le numéro de série de ce billet nous amènerait peut-être à l’identité d’un acheteur si le billet avait été payé par carte bancaire.

Peut-être, avant de mourir, avait-il entendu la voix de la cantatrice le bercer pour l’emmener vers le néant, comme une messe jouée à ciel ouvert.

J’entendis une autre mélodie, pas celle de Yungchen Lhamo, il y avait des instruments à cordes et un chœur, mais je n’arrivai pas à distinguer d’où elle provenait.

En m’approchant du corps, je vis posé, à côté, un magnétophone : surpris, j’essayai de me remémorer la dernière fois que j’en avais utilisé un, sans doute à ma préadolescence.

Les haut-parleurs diffusaient une musique religieuse que je reconnus immédiatement, il s’agissait du Requiem de Fauré, je le préférais à ceux de Berlioz et de Mozart. Je l’avais découvert au cours de mes années passées au conservatoire et il ne m’avait jamais quitté depuis. Je l’écoutais régulièrement, au moins une fois par semaine.

En me tournant, je vis Ismaïl qui m’avait rejoint :

– Très étonnant comme découverte, à mon avis ce n’est pas le type qui s’est fait dessouder qui a mis ce magnétophone en route.

– Remarque judicieuse, tu en as d’autres dans le genre ?

– Attends, écoute.

Je tournai la molette du son.

– Quoi ?

– Chut ! Libera me, c’est une prière dans laquelle Fauré joue à la fois avec les nuances, le tempo et l’ostinato.

– L’ostinato ?

– Oui, c’est un procédé de composition musicale qui consiste à répéter une mesure comme une formule rythmique, mélodique, une harmonie qui revient dans tout le morceau. Tiens, écoute les paroles :

« Quando cœli movendi

Sunt et terra ;

Dum veneris judicare

Sæculum per ignem. »

Je repris :

– Tu étais fort en version ?

– Je suis confus, car je n’ai jamais fait de latin, seulement du grec ancien.

– Bon, je te traduis : « Quand la terre et le ciel seront ébranlés ; quand tu viendras juger le monde par le feu. » Ce qu’il faut retenir en dehors de la signification de cette prière, c’est sa forme musicale, plus on monte dans l’aigu, plus on monte vers le ciel et ne pas perdre de vue cette corrélation permanente entre la prière chantée et la musique, c’est juste fabuleux !

– Je n’en doute pas une seule seconde, Gauthier. Mais revenons, si tu le veux bien, à notre macchabée, OK ce requiem serait peut-être un message ou une signature de l’assassin.

– Il faudrait vérifier dans la base de données s’il existe une autre affaire de meurtre mettant en scène ce requiem, mais de mémoire, ça ne me parle pas.

Ismaïl prit un sachet en plastique pour y mettre le magnétophone et demanda à l’un de ses hommes de l’emmener au laboratoire pour expertise. Mon collègue poursuivit en s’adressant à moi :

– Nous avons constaté que le corps a été traîné sur plusieurs dizaines de mètres, viens avec moi, le lieu du crime est ailleurs.

Dans le labyrinthe des ruelles, nous vîmes une trace régulière, comme celle laissée par un très gros bâton. Des taches de sang plus ou moins importantes au sol montraient que le corps avait fait plusieurs haltes et au regard des pas laissés dans le sable, j’en déduisis qu’ils étaient au moins deux à l’avoir traîné. Je fis part à mon collègue de mon histoire des deux sprinters, croisés un peu plus tôt en arrivant sur le site archéologique. Ismaïl s’arrêta net, il se mordit la lèvre nerveusement puis reprit son chemin.

Il enjamba avec difficulté un muret puis continua tout droit, tourna à gauche et en arrivant, mon collègue se pencha vers moi :

– Nous nous trouvons ici dans la maison du Désultor2, enfin de ce qu’il en reste, la mosaïque représente un cavalier acrobate, admire la qualité du travail et sa couleur ! Volubilis, à la différence des autres villes de l’Afrique romaine, ne possède peut-être pas les plus beaux monuments publics, mais les maisons de l’aristocratie locale sont de très belle facture. Les mosaïques que tu vois là sont le fruit d’ateliers locaux et elles sont juste magnifiques !

– Ismaïl, j’apprécie la justesse de ton propos et la richesse de tes explications, ne pourrions-nous pas revenir à notre enquête, s’il te plaît ?

– T’as raison, je pensais qu’un peu de culture dans ce monde de brutes pouvait quelque peu embellir une scène de crime. À l’instant, tu me parlais de musique religieuse, moi, je te parle d’histoire de l’art, finalement nous apportons à l’enquête un cachet culturel indéniable, nous travaillons en totale complémentarité !

– Je suis d’accord avec toi, mais à mon avis le type qui vient de se faire assassiner se fichait de terminer son existence dans un lieu aussi prestigieux, même accompagné au moment de son trépas du Requiem de Fauré.

– C’est une musique de messe.

– Oui, c’est exact, cette mise en scène prépare le mort à passer vers l’au-delà.

Ismaïl s’accroupit. Comme je me penchais au-dessus de lui, il m’indiqua avec l’index des pierres posées là : derrière l’une d’elles, je vis quelque chose briller. Il nettoya avec ses doigts, délicatement, l’objet étincelant. Une lame d’une vingtaine de centimètres apparut.

– Je pense que nous avons trouvé l’arme du crime.

Il appela un flic en tenue :

– Prends des photos et emporte-moi ça au labo ! Merci.

– Oui, chef !

– Oui, Hakim.

– Patron, nous venons de trouver ça à quelques mètres de là.

Le flic en question tendit un sachet transparent. Mon collègue, en se parlant à lui-même, s’exclama :

– Mais on dirait une savonnette de cannabis !

– Ça en a tout l’air.

En lui prenant le sachet, il l’ouvrit et confirma son intuition. Et en se tournant vers un autre de ses collègues, Ismaïl l’interpella :

– Envoie-la au labo, peut-être que le film plastique qui protège la résine nous donnera une éventuelle empreinte ou un peu d’ADN exploitable.

– Je n’y crois pas vraiment, mais tu as raison, ne laissons rien au hasard, prenons toutes les précautions d’usage.

Décidément, les premiers éléments de l’enquête me semblaient tout à fait étonnants et j’avais l’impression qu’elle démarrait sur les chapeaux de roue.

Ismaïl se tourna vers moi :

– Tout à l’heure, tu me disais qu’en arrivant sur le lieu du concert, tu avais croisé deux types qui couraient, tu les as bien vus ?

– Je pourrais te décrire éventuellement le second coureur.

– Tu crois que ça vaut la peine d’essayer d’établir un portrait-robot ?

– Je ne sais pas, l’action a été tellement rapide que la seule chose que je pourrais te dire, c’est que le type était d’une taille moyenne, peut-être un mètre soixante-dix et avait une physionomie fine. Il était brun, de type méditerranéen. Il avait un visage plutôt émacié, un menton angulaire et des joues très creusées. Et pour finir, il portait une chemise blanche avec un jean.

– Ça fait quelques éléments à nous mettre sous la dent, c’est un bon début.

Ismaïl reprit ses investigations et j’en fis autant.

Trois policiers se tenaient là, près du ruban plastifié jaune sur lequel était écrit en arabe « scène de crime », ils plaisantaient et riaient fort.

Aux premiers coups d’œil insistants d’Ismaïl, des rires étouffés échappèrent à la vigilance du groupe ; visiblement agacé par cette franche camaraderie, mon collègue se dirigea d’un pas déterminé vers les trois hommes :

– Peut-être que vous n’avez rien à faire, mais ça, j’en doute fort ! Soit vous allez ricaner un peu plus loin, soit vous restez ici en la mettant en veilleuse, ou dernière solution, c’est celle que je préconise, vous vous mettez à bosser en silence ! Me suis-je bien fait comprendre ?

Chacun avala sa salive, baissa la tête, et le groupe se sépara. Je vis arriver un type aux cheveux ébouriffés qui apostropha mon collègue :

– Mais c’est bien la voix de mon cher ami Tazi que j’avais cru entendre, fit l’homme en ouvrant les bras tout en s’avançant vers Ismaïl.

– Salut, Abderrahmane, quelle surprise, ça doit faire au moins un an que nous ne nous sommes pas croisés, je pensais que tu avais définitivement quitté notre bonne ville de Fès.

– Oui, que le temps passe vite ! Je suis toujours à Fès, sans doute les aléas de nos activités qui nous poussent ou pas à nous rencontrer.

– Je te trouve bien philosophe, t’es sûr que ça va ?

– Oui, très bien, je te remercie.

– Mais qu’est-ce que tu fiches là ? Je n’ai pas l’habitude de te voir sur les scènes de crime, t’as changé de service ?

L’autre marqua une pause avant de répondre :

– Non, non, j’ai décidé de profiter un peu du festival des musiques sacrées. Chaque année, je me dis qu’il faut aller voir un concert et je repousse. Du coup, j’ai décidé de venir voir cette chanteuse… chinoise.

– Si vous voulez parler de Yungchen Lhamo, elle est tibétaine, et si vous lui dites qu’elle est chinoise, je ne pense pas que cela lui fasse plaisir, rectifiai-je d’un air amusé.

Le type me dévisagea en exerçant sur moi un regard goguenard, je rajoutai :

– Depuis qu’elle s’est exilée à la fin des années quatre-vingt, elle n’a pas cessé de chanter pour la cause tibétaine, je dis ça pour votre information.

L’autre, de plus en plus crispé, me regarda et interrogea du regard Ismaïl. Finalement je décidai de rompre le silence qui s’installait :

– Désolé pour mon impertinence, et en disant cela, un rictus m’échappa, je me présente, Gauthier Chapuis.

Mon collègue précisa :

– Gauthier est responsable de la sécurité à l’ambassade de France à Rabat.

– Enchanté, fit l’autre sans conviction.

– Abderrahmane, tu ne m’as pas dit ce que tu faisais ici, sur cette scène de crime, les renseignements généraux seraient-ils appelés en renfort ? Gauthier, je te présente le chef des grandes oreilles, en poste à la région de Fès-Boulemane.

L’autre se pinça la lèvre et répondit :

– Non, je suis passé par là quand j’ai vu qu’il y avait autant de képis au mètre carré, une déformation professionnelle, sans doute, mais vous êtes sûrs qu’il s’agit bien là d’un meurtre ?

– Il semblerait, oui, au regard du nombre de coups de couteau reçus par la victime, nous en avons tout de même retrouvé une quarantaine ! Pour moi, un acharnement pareil, c’est presque comme si le meurtrier avait agi dans un état de démence.

– Ismaïl, je vous laisse, il faut que je sois à Témara en début de soirée, ça m’a fait plaisir de te revoir.

L’autre me toisa et s’en alla sans même s’adresser à moi.

Ismaïl partagea la zone qui se trouvait face à nous, puis de mon côté, j’analysai la moindre surface à la recherche d’un éventuel indice, on aurait pu aisément nous prendre pour des archéologues. Au bout d’un long moment, comme j’avais l’impression qu’on ne retrouverait rien de plus, je décidai de faire une pause. Là, je vis sur le sol, à moins de trois mètres de moi, comme un morceau de cuir bleu. Je m’approchai et le déterrai délicatement. Il s’agissait d’une montre, la barrette qui la reliait au bracelet avait dû être arrachée durant l’agression. J’appelai mon collègue :

– Ismaïl, le cadran est cassé et il y aurait comme une tache de sang, tu vois, juste ici.

– Oui, il y a des chances que cette montre appartienne à notre victime et encore, il faudrait le prouver, je l’envoie aussi au labo.

– La bagarre a vraiment dû être acharnée !

– Pour l’instant, arrêtons là nos investigations, je mets deux hommes qui repasseront toute cette zone au peigne fin. J’ai fait réunir l’ensemble des guides présents sur le site, ils m’attendent dans la salle du restaurant, allons leur faire une petite visite pour les interroger.

Nous laissâmes derrière nous le chevalier acrobate pour rejoindre le decumanus, en le contournant à gauche. La voie conduisait vers la porte de Tanger. Le ciel était complètement dégagé, les rayons du soleil presque à l’horizontale donnaient à l’ensemble du site une couleur orangée.

Après avoir parcouru un dédale de ruelles, un chemin escarpé nous amena enfin au complexe touristique.

Les guides avaient terminé leur service et nous attendaient avec impatience pour rentrer le plus vite possible chez eux, la plupart devaient habiter Meknès, d’autres Moulay Idriss, située seulement à quelques kilomètres de là.

À notre arrivée, je perçus une légère clameur de satisfaction, je laissai passer en premier mon collègue : très à l’aise, il invita tous les badauds et les curieux à quitter la pièce, et demanda aux guides de se rapprocher. J’en comptai à la louche une quinzaine.

Ismaïl Tazi était robuste, il donnait l’impression d’avoir été taillé dans la roche avec ses bras trop longs qu’il balançait, et quand il les ramenait en l’air en faisant des mouvements acrobatiques, j’avais l’impression de me retrouver dans une battle de breakdance. Son visage était massif, souligné par d’épais sourcils en accent circonflexe, et une petite moustache en forme de guidon complétait le tableau. Le commissaire s’exprimait en arabe dialectal et en l’écoutant, il me semblait qu’il leur passait un savon. Personne ne bronchait et presque tous regardaient ailleurs.

Quand l’un d’eux osait soutenir du regard le tribun, Tazi s’approchait de lui en aboyant encore plus fort au point que des postillons volaient dans sa direction. L’autre n’osait pas s’essuyer, on aurait dit qu’il buvait ses paroles. En fait, il était mort de trouille.

Après un discours-fleuve, le commissaire demanda un verre d’eau qu’on lui apporta sur-le-champ.

Un bras se leva parmi l’assistance puis un type tout maigrichon s’avança. Il était petit, et sa peau toute fripée montrait qu’il avait largement dépassé l’âge de la retraite. L’homme parla d’une voix presque mélodieuse, tout le monde l’écoutait. Je ne compris pas un seul mot de ce qu’il disait. Ismaïl se rapprocha et me murmura :

– Des gamins sont venus rapporter à ce vieux que trois hommes s’étaient violemment disputés sous l’arc de Caracalla. Ensuite, un des gardiens sur le parking aurait aperçu deux hommes s’enfuir à bord d’un gros 4x4 blanc.

– Bon je vais y faire un tour.

– OK, c’est une bonne idée, on se retrouve là-bas.

Un attroupement attira mon regard. Je m’approchai et vis deux gamins d’une douzaine d’années se battre pour une pièce laissée par un jeune couple. Un homme essaya vainement de les séparer, le plus agile prit la pièce et s’enfuit en courant.

Je repris la direction du parking et entendis de plus en plus distinctement « Meknès, Meknès, Meknès, Moulay Idriss, Moulay Idriss ». Je compris que des rabatteurs cherchaient des clients intéressés pour voyager en grand taxi. Quelqu’un s’approcha de moi :

– Salam alikoum sidi, koulchi labes ?

– Hamdoulillah3, je recherche celui qui aurait vu deux hommes s’enfuir au volant d’un 4x4, tu es au courant ?

– Oui, tout le monde ne parle que de ça. Tiens, regarde, il est à côté de la voiture grise.

En suivant la direction de son doigt, je vis un petit groupe de trois personnes qui discutaient et devant ma mine figée, mon interlocuteur apporta une précision décisive.

– C’est celui qui est assis, il s’appelle Rachid.

– Choukran bezef, slama4.

Le gardien vêtu d’une djellaba blanche s’arrêta de compter ses pièces quand j’arrivai à sa hauteur. Ses deux amis poursuivirent leur discussion sans se soucier de moi.

Rachid leva la tête et me scruta. Je me raclai la gorge comme pour donner à ma voix une certaine contenance et je commençai :

– J’ai entendu dire que tu aurais vu deux types s’enfuir au volant d’une voiture blanche.

– Tout à fait, mais tu as dû les croiser, toi aussi, je t’ai vu arriver en taxi peu de temps avant.

– En effet, répondis-je un peu décontenancé, mais je voulais savoir si tu avais remarqué quelque chose de particulier.

– Non ! Je ne les ai pas bien vus et quand ils sont partis, le conducteur a ouvert sa fenêtre et m’a crié quelque chose en arabe, je n’ai pas bien compris, mais il parlait avec un accent fassi5.

– Et tu te souviens de la voiture qu’il conduisait ?

– Oui, c’était un Land Cruiser de couleur blanche, à l’avant il y avait un gros pare-buffle.

– C’était un modèle récent ?

– Je ne pense pas.

– Finalement, des Land Cruiser, on en trouve à la pelle, tu n’aurais pas remarqué quelque chose, un détail ?

– Attends, je crois que c’était une voiture de coopérant, car la plaque d’immatriculation était jaune. Il y avait écrit 272 CI… Mais je ne me souviens pas de la fin.

– Ce n’est pas grave, tu viens de me donner une information capitale, un Land blanc appartenant à un coopérant dont la plaque commence par 272 CI, c’est beaucoup plus rare, je te remercie Rachid.

Je savais qu’après le CI qui signifiait « coopération internationale », il restait à découvrir un nombre à deux chiffres et ce nombre représentait l’année d’arrivée du coopérant, par exemple 00 pour 2000 ou 05 pour 2005. J’étais plus que satisfait. Je fouillai dans mes poches et sortis un billet de cent dirhams que je tendis à Rachid. Il me remercia vivement.

En me retournant, je vis Ismaïl arriver vers moi :

– Je n’ai rien appris, mais toi, à ta mine réjouie, j’ai l’impression que tu as découvert quelque chose d’intéressant ?

Je lui expliquai en détail les éléments que je venais d’apprendre.

– Excellent, je lance dès que je peux un avis de recherche pour retrouver le nom du propriétaire du véhicule. Dis-moi, ce soir je reste à Meknès, je mange chez mon frère, si ça te dit, tu es cordialement invité.

– Cela aurait été avec plaisir, une autre fois peut-être, car j’ai promis à Markus de passer le voir, je rentre à Fès en train, ça ne te dérange pas de me déposer à la gare ?

– Pas du tout, c’est sur mon chemin.

« L’esthétique est dissidenteun train finit par disparaîtreet rend son âme au secret. »

Jamila Abitar,Le bleu infini

Chapitre 3

Je saluai mon ami et m’engouffrai dans la gare, la chaleur me prit par surprise.

Au bout du quai, je remarquai qu’un groupe d’étudiants riait fort.

Un peu plus loin, les rails étincelants allaient se perdre jusqu’à la ligne d’horizon, on aurait cru apercevoir un mirage.

Ébloui, je revins au groupe de jeunes.

Un homme qui se tenait près d’eux attira mon attention. Il paraissait nerveux.

Je l’observai, il roula deux ou trois fois des épaules, sans doute un tic, ça me rappelait quelqu’un.

Il regarda dans ma direction. Le groupe de jeunes se décala.

La seule fille du groupe riait encore plus fort et s’approcha dangereusement des rails en voulant échapper à l’un des garçons qui la poursuivait.

Mon regard revint sur l’homme en costume qui se tenait tout près.

Je vis quelque chose briller dans l’une des poches intérieures de sa veste et je plissai des yeux pour y focaliser mon attention.

Les choses s’accélérèrent quand il porta sa main au niveau de sa poitrine.

Je craignais pour le groupe de jeunes et je m’apprêtai à leur crier de se mettre à plat ventre ou quelque chose dans le genre.

Je transpirai à grosses gouttes et mon regard croisa celui de l’homme au costume clair.

Il me sourit, l’expression figée s’attarda sur sa main qui n’était pas ressortie de sa poche.

L’attente fut longue.

Puis la main s’ouvrit sur un objet brillant et rectangulaire.

Son pouce fit un mouvement du haut vers le bas et une flamme surgit.

Sa main libre plongea frénétiquement dans une autre poche et remonta un paquet de cigarettes que l’homme s’empressa d’ouvrir. Il prit une cigarette, l’alluma et tira une première bouffée, interminable.

Je respirai.

J’attendis paisiblement l’arrivée du train quand le micro grésilla. Je surgis de mes pensées, et une voix langoureuse et féminine se propagea dans toute la gare. Simultanément, un train Corail arriva, son freinage dura tellement longtemps que je commençai presque à douter de son efficacité.

J’en pris plein les oreilles et je m’éloignai du quai comme pour atténuer le crissement du freinage désagréable.

Enfin le train s’immobilisa.

Je laissai descendre les passagers puis me hissai dans un wagon, j’entrai dans le couloir et ouvris la porte du premier compartiment.

Il était plein. J’allai voir le suivant, il restait deux places.

Le train redémarra et, au moment où je mis mon sac sur le porte-bagages au-dessus de mon siège, j’eus tout juste le temps de me rasseoir en vacillant.

Dans ma chute et pour retrouver mon équilibre, je m’agrippai à la poitrine opulente de ma voisine.

Elle me regarda d’un air gêné et dubitatif.

Je lui décochai un sourire pincé qui en disait long sur mon désarroi. Je me confondis en excuses banales. Tout le monde avait vu ce qu’il s’était passé, du coup je m’installai tout penaud et fis mine de me plonger illico dans la lecture d’une revue que j’attrapai prestement sur le siège d’en face.

Je pris mon courage à deux mains et observai les autres voyageurs.

Il y en avait un qui utilisait son téléphone de façon quasi compulsive. Un autre n’arrêtait pas de lancer des regards furtifs à ma voisine qui, de son côté, s’en contrebalançait et continuait à regarder par la fenêtre. Enfin, celui qui se trouvait à ma gauche m’apostropha :

– C’est la première fois que vous voyagez au Maroc ?

– Non.

– Bienvenue chez nous.

– Merci.

– Je me présente, Driss Amrani, je suis professeur d’espagnol à l’Académie royale de Meknès et à l’école française de Fès.

Je lui serrai la pince puis fis mine de me replonger dans ma lecture, il insista :

– Mais vous allez à Fès ?

Je répondis affirmativement en hochant de la tête, il poursuivit :

– Vous connaissez quelqu’un ou vous allez à l’hôtel ?

– Je vais rendre visite à un ami.

Je répondis par politesse et restai évasif quant à mes occupations au Maroc.

– Dites-moi si mercredi de la semaine prochaine vous pourriez être des nôtres, j’organise une petite fête à la maison.

– Je ne sais pas encore.

– Ça me ferait vraiment plaisir.

– C’est très aimable de votre part.

– En effet, nous faisons une surprise à la directrice de l’école primaire qui nous quitte définitivement, elle a obtenu la direction de l’école française de Pondichéry en Inde.

– Ah ! C’est bien ! répondis-je en gardant mon sérieux, je n’avais qu’une hâte, que mon voisin me lâche, mais il persistait.

– Beaucoup de vos compatriotes seront là, la fête se déroulera dans notre riad familial qui se trouve à Dar Batha.

– Je vous tiendrai au courant.

Il me tendit sa carte que je pris davantage par convenance.

Le train commençait à ralentir, nous arrivions dans les faubourgs de Fès. À chacune de mes visites précédentes, je constatai que la ville s’étendait toujours un peu plus, et le béton avait largement remplacé les vastes oliveraies que j’avais connues il y a encore peu de temps.

Le soleil avait disparu quand je posai le pied sur le quai.

Des intrépides passèrent directement sur les voies pour gagner la sortie plus rapidement, sous le regard aguerri du chef de gare qui fit mine de n’avoir rien vu, comme d’habitude. Docilement, je pris le passage souterrain et me retrouvai rapidement sur une vaste place, où attendaient de petits taxis en face. Ils étaient de couleur différente selon la ville, à Fès ils étaient rouges.

Quand arriva mon tour, je me glissai dans l’un d’eux et j’indiquai au chauffeur la route d’Ain Chkef comme destination. Il démarra en slalomant de façon inquiétante, pour ne pas dire dangereuse, et évita de peu un gamin d’une douzaine d’années. Comme mon regard désapprobateur en disait long, il leva le pied.

Par la fenêtre, je regardai la ville qui s’animait à la tombée de la nuit. Les gens sur le trottoir profitaient de la fraîcheur pour faire des emplettes ou se promener, tout simplement.

Nous venions de dépasser la mosquée Tajmouati puis la salle de spectacle Al Qods, la circulation était fluide, nous laissions sur notre droite l’imposant bâtiment de la Sûreté nationale pour nous diriger vers le quartier Saada.

La route Ain Chkef était longue et je donnai des informations supplémentaires au chauffeur, car il fallait dépasser l’école Excel et s’arrêter juste devant la pharmacie Sefrioui. Le chauffeur s’exécuta.

Arrivé à destination, je laissai la monnaie. Après avoir fermé la porte, mon taxi fit demi-tour en plein milieu de la route. Comme ici tout le monde s’adonnait à cette manœuvre périlleuse, cela ne surprit personne, pas même la voiture qui suivait de près et qui pila au dernier moment.

J’entrai dans le lotissement surveillé par un gardien qui m’ouvrit la barrière. Je le remerciai, laissai sur ma droite les premières villas et arrivé devant le numéro 37, je sonnai. Markus vint m’ouvrir, torse nu, et me fit traverser le salon pour aller directement sur la terrasse côté jardin. Je pris place autour de la table ronde en teck et mon ami revint avec deux bières fraîches. Il m’en tendit une.

J’avais rencontré Markus deux ans plus tôt lors d’une réception à l’ambassade d’Allemagne à Rabat.

Il vivait à Fès depuis une dizaine d’années, travaillant au départ en tant qu’expatrié dans une multinationale qui fabriquait de la lingerie fine. Il avait fini par démissionner pour créer sa propre entreprise de textile. Les premières années avaient été difficiles, puis la conjoncture économique lui avait souri et, maintenant, sa boîte se portait bien. Il employait presque cent cinquante couturières et il exportait essentiellement sa production vers le Luxembourg.

Comme à l’accoutumée, notre discussion vagabondait de façon fort sympathique. Dans la soirée, pour éponger nos bières, sous les attaques malveillantes des moustiques qui nous tournaient autour, Markus me proposa de faire chauffer une pizza.

J’acceptai avec empressement.

À la fin du repas, comme je sentais mon ami préoccupé, je l’interrogeai. Il m’expliqua que la veille, lors d’une livraison de vêtements de chantier vers l’Europe, son chargement qui se faisait par camion avait été intercepté à Tanger par la douane. Markus était préoccupé, car plusieurs dizaines de milliers d’euros se trouvaient bloqués et c’était un manque à gagner considérable pour son entreprise. Son chargement avait quitté Fès en fin de matinée et c’était son associé Badr qui l’avait prévenu sur les coups de seize heures. Sans aucune nouvelle, son bras droit l’avait appelé pour lui dire que le camion était encore entre les mains des douaniers et n’avait toujours pas traversé le détroit de Gibraltar, malgré un second chauffeur dépêché au port de Tanger, car le premier était toujours entendu par les autorités marocaines et placé en garde à vue.

J’observais Markus, il restait calme en dépit de cette situation. Il n’était pas du genre à s’exciter inutilement.

Des cheveux courts, un visage agréable, il avait gardé une tête d’adolescent et une corpulence sportive. Il ressemblait plus à un rugbyman qu’à un chef d’entreprise et quand il souriait, des rides d’expression apparaissaient au coin des yeux.

J’appréciais vraiment ce type.

L’associé de Markus l’avait rassuré, car il connaissait personnellement le secrétaire général de la mairie de Fès qui jouait au golf avec le frère du wali6de Tanger. Je me dis que cette coïncidence pouvait immanquablement débloquer la situation. Je le rassurai en lui disant que j’essaierais de voir de mon côté ce que je pouvais faire, sans rien lui promettre. Ce genre de situation étant plutôt délicate, il fallait éviter de tomber dans l’ingérence. Je comprenais que les autorités marocaines puissent mal le prendre.

« Quel homme serait assez foupour penser qu’il est éphémèrede vivre sans brin de chaleur. »

Jamila Abitar,Le bleu infini

Chapitre 4

Il était tard et j’acceptai la proposition de Markus de rester dormir chez lui. Ma chambre était située à l’autre bout de la maison, au rez-de-chaussée. Après cette journée épuisante, je plongeai aussitôt dans un profond sommeil. La chambre possédait deux fenêtres dont l’une était sans volets et c’est tôt le matin, quand les premiers rayons du soleil inondèrent la pièce, que je fus réveillé. Comme je me tournais et me retournais dans le lit, je décidai de me lever aux aurores, une fois n’était pas coutume. Markus me rejoignit sur la terrasse quand j’ingurgitai mon troisième café. À la fin de son petit déjeuner, il me proposa :

– Si tu veux, tu peux passer des jours de vacances ici, tu le sais, c’est avec un grand plaisir que je t’accueille chez moi.

– Je le sais et je te remercie pour ton hospitalité, j’ai déjà réservé une chambre d’hôtel, en plus j’ai l’impression que les jours de vacances initialement prévus ne seront pas de tout repos. En effet, hier je suis allé assister à un concert du festival des musiques sacrées, tu sais, à Volubilis, tout près de Meknès, je t’en avais parlé il y a quelques jours. Figure-toi qu’avant même que le concert ne se termine, il a fallu que je parte précipitamment, car à côté, un type venait de se faire sauvagement assassiner.

– Sheiße7.

– Tu peux le dire et du coup, mon ami Ismaïl Tazi, responsable de la Sûreté nationale à Fès, m’a rejoint sur place.

– Ce n’est pas celui que j’avais rencontré chez toi à Rabat ?

– Si, c’est lui !

– Il y a quelque chose que je ne comprends pas : pourquoi c’est le responsable de la Sûreté nationale de Fès qui s’occupe d’une affaire qui dépend, il me semble, de la ville de Meknès ?

– Je me suis posé la même question et je l’ai posée à Ismaïl, eh bien figure-toi que celui de Meknès vient de se faire limoger et en attendant que quelqu’un d’autre ne soit nommé à sa place, c’est Ismaïl qui gère l’intérim.

Mon téléphone se mit à vibrer, je regardai le nom qui s’affichait, c’était mon boss, l’ambassadeur de France.

– Bonjour M. l’Ambassadeur. […] Oui, je me trouve actuellement à Fès. […] Comment ça ? […] Vous en êtes sûr ? […] J’appellerai M. Tazi. […] Ah, il est déjà au courant. […] Très bien, je vous rappellerai quand j’aurai des éléments nouveaux. […] Au revoir, M. l’Ambassadeur, je vous souhaite également une bonne journée.

Je me tournai vers Markus, l’air interrogateur :

– Il vient de m’annoncer que le type qui s’est fait buter hier, à Volubilis, était français.

– Et ?

– Et je suis chargé d’assister Ismaïl dans l’enquête.

– C’est une bonne nouvelle, non ? Toi qui te plaignais de ne plus faire de terrain !

– Effectivement, on peut le voir comme ça.

Je terminai mon café quand je vis au loin une silhouette passer, elle était massive et me rappela celle de mon collègue. Surpris, je me levai et me dirigeai tout au bout du jardin. J’ouvris le portail et interpellai l’homme qui se retourna :

– Mais qu’est-ce que tu fais là, tu es déjà au courant ?

– Au courant de quoi ?

– Que le macchabée retrouvé hier habitait dans ce lotissement, il s’agissait d’un enseignant de la mission française à Fès, Manuel Lecomte, et je dois annoncer la triste nouvelle à sa femme.

– Oh, Manuel est mort, fit Markus, derrière moi.

– Vous le connaissiez ? renchérit Ismaïl.

– Bien sûr, il habitait tout près.

– Je peux entrer quelques instants ?

– Oui, et je peux même vous proposer un café.

Je pris Ismaïl à part :

– Je suis impressionné que la police marocaine ait déjà retrouvé l’identité du type assassiné.

– Cette nuit, une patrouille de police a repéré à Fès, en ville nouvelle, le 4x4 du coopérant et dans la boîte à gants, les policiers ont retrouvé une photocopie du permis de conduire et la carte grise du propriétaire.

– Chapeau bas !

– Merci, et toi, qu’est-ce que tu fais là ?

– Eh bien, Markus habite ici, nous avons passé la soirée ensemble, je t’en avais parlé, mais comme il était un peu tard, je n’ai pas eu le courage de rentrer à l’hôtel.

– Ah OK. Dis donc, ce matin, j’ai reçu un coup de téléphone du directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur, il m’a dit qu’il avait vu l’ambassadeur de France et ils se sont mis d’accord pour que nous menions cette enquête ensemble.

– Je suis déjà au courant, l’ambassadeur vient de m’appeler.

– Donc, tu viens avec moi annoncer la mort de Lecomte à sa veuve, je n’aime pas trop faire ça et puis c’est ta compatriote, tu sauras forcément trouver les mots justes.

– Ne te donne pas tout ce mal, je t’accompagnerai.

Pendant ce temps, Markus, qui était parti préparer le café, revint et Ismaïl lui demanda :

– Vous disiez connaître la famille Lecomte ?

– Oui, un peu, ce sont mes voisins, il m’arrivait de croiser Manuel Lecomte quelques fois. L’année dernière, il était l’enseignant de notre fils, scolarisé en CE2 et comme je savais qu’il aimait bien le football, je lui avais proposé de venir jouer avec nous. Chaque samedi, avec quelques employés de ma société, on se retrouve dans un stade pour taper dans la balle. Manu est venu régulièrement aux entraînements, mais ça fait deux ou trois mois qu’il ne venait plus du tout.

– Il ne vous a pas dit pourquoi ?

– Non, comme je ne suis pas quelqu’un de curieux, je ne lui ai pas demandé.

– Vous fréquentiez son épouse ?

– Un peu moins. Ma femme, Anna, l’a invitée une ou deux fois pour l’accompagner au souk, mais le courant n’est pas vraiment passé, et il n’y a pas eu d’autres tentatives.

– Savez-vous si madame Lecomte travaille ?

– Oui, il me semble qu’elle occupe un emploi au Consulat de France.

– Et le couple Lecomte s’entendait bien ?

– Je ne pense pas. Il y a quelques mois, j’ai entendu dire que la femme de Manuel Lecomte avait un amant. Ici, tout se sait très vite, mais moi, je n’en sais pas plus. Je ne rentre pas dans toutes ces histoires, je suis quelqu’un de discret.

– Sinon, auriez-vous d’autres informations à nous fournir sur Manuel Lecomte ?

– Je ne sais pas, si… peut-être, quelqu’un sans histoires, il était sympa. Il aimait le sport, il partait régulièrement avec un autre de ses collègues, Fred, qui est prof d’EPS au collège. Ils allaient faire du parapente, du ski hors-piste au Djebel Bouiblane, de l’escalade au mont Zalagh, bref, un touche-à-tout.

– Vous dites qu’il côtoyait son collègue Fred ?

– Oui, d’ailleurs il habite aussi dans notre lotissement, quand vous sortez de chez moi par le parc, vous prenez tout de suite à gauche puis c’est la dernière maison qui fait l’angle.

– À l’occasion, nous irons lui poser quelques questions, dit-il en se tournant vers moi. Bon, qu’en penses-tu, cher collègue : il est temps d’aller rendre une petite visite à madame Lecomte. Je vous remercie, Markus, et vous souhaite une bonne journée, lui dit-il en lui serrant vigoureusement la main.

Je saluai également mon ami et emboîtai le pas à Ismaïl vers la sortie. Nous suivîmes un petit chemin qui serpentait, entre des balançoires, un toboggan et un petit terrain de football où quelques gamins, en week-end, s’entraînaient aux tirs au but en lâchant de temps en temps des cris de joie.

« Caresser les pleurs invisibles,des heures passées à se dire vivant. »

Jamila Abitar,À Marrakech, derrière la Koutoubia

Chapitre 5

Nous arrivâmes à la maison des Lecomte.

Devant la porte, l’imposant commissaire frappa de façon énergique avant que ne vienne ouvrir une jeune femme, probablement l’employée de maison. Après avoir fait rapidement les présentations et donné les raisons de notre visite, elle nous fit entrer.

Devant moi se trouvait une table en pin, flanquée de quatre chaises, et rien d’autre, la pièce était ouverte. En descendant deux marches se trouvaient trois banquettes surmontées d’une mousse usée, sans doute achetées à bas prix à des coopérants déjà partis.

Sur la table basse trônait, dans un gros cendrier, une cigarette roulée. Je vérifiai que personne ne me voyait et pris le mégot entre mes doigts. En le pressant légèrement, je sentis une odeur de cannabis. Ma première impression fut la bonne, la mère Lecomte carburait aux pétards.

J’entendis un bruit de claquettes qui se rapprochait, je reposai le joint et la maîtresse de maison s’arrêta en bas de l’escalier en nous jaugeant d’un regard peu amical.

Vêtue d’une djellaba faite dans un tissu bon marché, madame Lecomte sortait visiblement de son lit, les cheveux encore ébouriffés qui lui donnaient un air hagard.

De l’étage, des cris de gamins parvinrent jusqu’à nous. Excédée, notre hôte se mit à hurler et le silence revint. L’autorité maternelle avait vaincu, même s’il y avait beaucoup à redire sur la méthode. Je regardai mon collègue qui me lança un sourire entendu, puis la veuve se tourna vers nous :

– Je n’ai pas bien compris qui vous étiez.

Je répondis du tac au tac :

– Normal, nous ne nous sommes pas encore présentés, Gauthier Chapuis, je suis responsable de la Sécurité à l’ambassade de France à Rabat, et voici Ismaïl Tazi, chef de la Sûreté nationale à Fès.

– Je ne comprends pas.

– On peut s’asseoir ?

– Oui, elle nous fit signe avec sa tête que le canapé en mousse était là pour accueillir nos fessiers.

La veuve alla chercher un paquet de cigarettes, en prit une et s’assit face à nous, l’air perplexe. Je commençai :

– Madame Lecomte, nous avons une bien triste nouvelle à vous annoncer, votre mari a été retrouvé mort à Volubilis, tout près de Meknès. Nous vous présentons toutes nos condoléances, madame.

Elle tira longuement sur sa cigarette, avala sa salive et, en essayant d’articuler, elle dit :

– Comment ça ?

– Il semblerait qu’il ait été assassiné.

– Ce n’est pas possible !

Je lui donnai les premiers éléments de l’enquête en évitant de préciser les détails les plus macabres.