Rencontre improbable - Alain Chartier - E-Book

Rencontre improbable E-Book

Alain Chartier

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Beschreibung

Lucas, journaliste, est embarqué dans une histoire d'enlèvement.

À la suite d’un échange particulièrement violent entre un clan mafieux et les forces de l’ordre, Lucas, journaliste et spécialiste du continent africain, se trouve embarqué dans une histoire de kidnapping et de conflits d’intérêts plutôt gênants. Le ton semble donné mais, dans le cadre de son enquête, Lucas va être confronté à des rites et des possessions voduns qui feront ressurgir certains éléments enfouis de son passé. Ponctué d’anecdotes drôles et authentiques, ce polar sombre, écrit sous forme d’allers-retours entre le Togo et la France est une invitation au voyage et à la découverte du continent africain.

Plongez-vous sans plus attendre ce polar haletant et découvrez les dessous d'une affaire qui vous emmènera à la découverte du continent africain.

EXTRAIT

Cela faisait quelques heures que nous étions en planque et j’avais relâché mon attention.
Milan se lança tout à coup sur moi et me plaqua au sol. Je ne compris pas ce qui se passait puis j’entendis une salve de balles arriver dans notre direction. Des hommes couraient dans tous les sens, l’arme au poing. Les passants paniquaient, certains eurent le bon réflexe de se jeter à plat ventre. Je n’arrivais plus à compter combien ils étaient en face, sept ou huit, peut-être davantage. La moiteur devint si insupportable que je dégoulinais à grandes eaux.
Les policiers qui nous accompagnaient nous demandèrent de nous abriter derrière un mur à trois ou quatre mètres de là. Milan et moi acquiesçâmes. Pendant que les forces de l’ordre tentaient de riposter, j’eus l’impression de me retrouver dans un capharnaüm sans nom. À quelques mètres de moi, je vis un flic trébucher et s’étaler, la bouche tordue par la souffrance et une tache rouge au niveau de l’abdomen. Il ferma les yeux. Un collègue qui se trouvait près de lui tenta de le réanimer, en vain. Il reprit son arme et courut droit devant lui. Les balles continuaient de fuser, les types en face commencèrent à s’organiser, ils avaient des mitraillettes, ce qui faisait une énorme différence avec les forces de l’ordre qui ne possédaient que des revolvers

À PROPOS DE L'AUTEUR

Alain Chartier est titulaire d’une maîtrise d’histoire ancienne. Enseignant de formation, il a effectué une grande partie de sa carrière de coopérant dans des établissements français au Togo puis au Maroc. À son retour en France, il devient directeur d’école à Montreuil, puis à Rosny-sous-Bois en proche banlieue parisienne. Engagé en parallèle au sein d’une grande mutuelle d’assurance, il milite pour une économie plus humaine et plus juste. Alain Chartier signe ici son premier roman, un polar haletant aux consonances ésotériques, écrit à partir de ses nombreuses expériences sur le continent africain.

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Présentation de l'auteur

Alain Chartier est titulaire d’une maîtrise d’histoire ancienne. Enseignant de formation, il a effectué une grande partie de sa carrière de coopérant dans des établissements français au Togo puis au Maroc. À son retour en France, il devient directeur d’école à Montreuil, puis à Rosny-sous-Bois en proche banlieue parisienne. Engagé en parallèle au sein d’une grande mutuelle d’assurance, il milite pour une économie plus humaine et plus juste. Alain Chartier signe ici son premier roman, un polar haletant aux consonances ésotériques, écrit à partir de ses nombreuses expériences sur le continent africain.

À Clotilde et Corentin, mes enfants.

Je remercie Marie-Thérèse Leclercq

pour avoir relu mon manuscrit,

et Denis Joubert qui a su me donner

de précieux conseils.

Baguida, 12 février

Cela faisait quelques heures que nous étions en planque et j’avais relâché mon attention.

Milan se lança tout à coup sur moi et me plaqua au sol. Je ne compris pas ce qui se passait puis j’entendis une salve de balles arriver dans notre direction. Des hommes couraient dans tous les sens, l’arme au poing. Les passants paniquaient, certains eurent le bon réflexe de se jeter à plat ventre. Je n’arrivais plus à compter combien ils étaient en face, sept ou huit, peut-être davantage. La moiteur devint si insupportable que je dégoulinais à grandes eaux.

Les policiers qui nous accompagnaient nous demandèrent de nous abriter derrière un mur à trois ou quatre mètres de là. Milan et moi acquiesçâmes. Pendant que les forces de l’ordre tentaient de riposter, j’eus l’impression de me retrouver dans un capharnaüm sans nom. À quelques mètres de moi, je vis un flic trébucher et s’étaler, la bouche tordue par la souffrance et une tache rouge au niveau de l’abdomen. Il ferma les yeux. Un collègue qui se trouvait près de lui tenta de le réanimer, en vain. Il reprit son arme et courut droit devant lui. Les balles continuaient de fuser, les types en face commencèrent à s’organiser, ils avaient des mitraillettes, ce qui faisait une énorme différence avec les forces de l’ordre qui ne possédaient que des revolvers.

Couvert par l’un des siens, un malfrat se mit en position, arma un lance-roquettes et visa un camion de police qui se trouvait au bout de la rue. Lorsque l’explosion se fit entendre, une épaisse fumée noire vint obscurcir l’horizon, on se serait cru dans un mauvais film de guerre.

La fusillade dura le temps de vider deux ou trois chargeurs, la retraite s’imposait si nous ne voulions pas finir en charpie. Je rampai sur une dizaine de mètres en direction de la rue voisine. Dans une grande confusion, les forces de l’ordre quittèrent le champ de bataille. Je levai légèrement la tête et vis les malfrats s’engouffrer comme des mouches dans d’imposantes berlines qui démarrèrent en trombe.

Le calme était revenu, presque inquiétant, les badauds se relevèrent un à un. Je me redressai péniblement, la peur au ventre et je m’assis. L’épaisse fumée se dissipa et je commençai à voir le bleu limpide du ciel, le seul élément paisible dans le paysage.

Milan se dirigea vers les policiers et discuta avec l’un deux. Bientôt, les sirènes des ambulances se firent entendre.

Tout autour de nous, la foule grandissait, je reconnus que beaucoup parlaient en mina, langue que l’on utilise dans le sud du Togo. Les policiers eurent du mal à contenir les badauds, chacun tentant d’expliquer à l’autre ce qui s’était passé.

Je peinais à reprendre mes esprits et je n’avais qu’une seule envie, me barrer d’ici. Milan revint vers moi :

— Côté flics, quatre hommes sont morts dont deux dans le camion de police et un cinquième est dans un état critique. Dans les rangs de la pègre, un mort et un autre grièvement blessé, son pronostic vital est fortement engagé.

— Je ne pige pas ce qui s’est passé, jamais de toute ma carrière, je n’ai vu un tel carnage !

— Je n’ai pas compris pourquoi les flics sont intervenus si rapidement. Mais quel est le con qui a donné l’ordre de lancer l’opération ?

— D’un autre côté, il ne pouvait pas savoir que les autres répliqueraient avec du matos de guerre, on se serait cru dans Apocalypse Now avec les hélicoptères en moins.

— Je dois passer à l’ambassade faire mon rapport au chef. Tu viens avec moi ou je te dépose à l’hôtel ?

— Plutôt à l’hôtel. Là, j’ai vraiment besoin de me changer les idées et je suis sur les rotules.

Milan tourna la clé du contact et démarra. Il paraissait crispé, surtout agacé par ce qui venait de se passer, je le vis à la façon dont il se cramponnait au volant.

De taille moyenne, Milan avait la carrure d’un rugbyman. Plutôt beau gosse, ses cheveux bouclés, châtain foncé et épais lui tombaient largement sur la nuque et de grands yeux bleu vif illuminaient son teint hâlé. Son nez était droit et fin, en opposition avec son visage plutôt massif, comme taillé dans du granit.

Nous roulions depuis quelques minutes et je me sentis soulagé de m’éloigner de cette boucherie à ciel ouvert. Les quelques kilomètres qui nous séparaient du centre-ville me parurent interminables d’autant plus que nous tombâmes comme d’habitude dans les bouchons. Il n’y a que le soir où la circulation est fluide, le reste du temps, on galère, au cul à cul dans de longues files de bagnoles. Ces poubelles roulantes dégagent une telle quantité de monoxyde de carbone qu’on a l’impression d’avoir fumé un paquet de cigarettes à la fin de chaque trajet en ville.

Milan me laissa au 2-Février1. Je m’allongeai sur le lit de la chambre d’hôtel et je repensai à tout ce qui venait de se passer. Cela faisait moins d’une semaine que j’étais en Afrique. J’arrivais tout droit d’Abidjan. Milan m’avait téléphoné pour me dire qu’il avait du nouveau dans l’affaire Warri2. À peine avais-je eu le temps de rencontrer quelques relations professionnelles en Côte d’Ivoire que je reprenais l’avion, direction l’aéroport de Tokoin à Lomé. J’étais là seulement depuis deux jours et tout s’était accéléré.

Milan, responsable de la sécurité à l’ambassade de France au Togo, avait eu vent d’une opération contre la mafia et il avait fait remonter l’information à son chef. Paris gardait un œil sur tous les agissements mafieux qui se déroulaient dans son ancien pré carré3 et les services secrets avaient dépêché sur place quelques-uns de leurs meilleurs agents.

J’avais dû m’assoupir quelques minutes quand mon téléphone sonna, c’était Alex, il bossait à la DGSE :

— Milan vient de m’appeler, merde, tout ce sang versé.

— Un truc de dingue. Quand j’ai quitté les lieux, j’en avais la nausée.

— Les types en face étaient équipés avec de l’artillerie lourde, quand même, utiliser un lance-roquettes…

— Bientôt, ils utiliseront des missiles ou des drones !

— De source gouvernementale, j’ai appris que le commissaire en charge de l’affaire a été limogé sur le champ.

— C’est une décision de salubrité publique, il a été particulièrement nul sur cette opération.

— Je suis encore à Lagos, je rentre ce soir avec le vol de vingt-trois heures. On se retrouve à mon hôtel, j’ai des infos sur le gang de Warri.

Milan, Alex et moi étions tous trois d’anciens collègues de promo au concours de commissaire de police. J’avais quitté, il y a quelques années, le ministère de l’Intérieur pour celui de l’Enseignement supérieur. Mes diverses activités universitaires me laissaient pas mal de temps, ce qui me permettait de rédiger quelques articles sur des sujets sensibles que je publiais dans des revues spécialisées mais aussi dans Le Monde diplomatique. Mener mes enquêtes directement sur le terrain me procurait souvent des montées d’adrénaline, comme aujourd’hui !

J’appelai Paolo, je l’avais rencontré lorsque j’habitais à Lomé, il était enseignant au lycée français. Je tombai sur sa messagerie et je lui demandai de me rejoindre à l’Okavango. Comme ce n’était vraiment pas loin d’ici, je décidai d’y aller à pied.

Lomé est une capitale agréable située à l’extrême sud-ouest du Togo, au bord de la mer. La frontière ghanéenne se trouve à quelques centaines de mètres du centre-ville, c’est une situation tout à fait originale qu’on ne retrouve nulle part ailleurs.

Je passai devant un resto populaire et réputé sur le boulevard circulaire, le Fifty-Fifty, spécialiste du poulet bicyclette.

Le poulet bicyclette est vif, rapide, véloce, agile. Perché sur ses grandes cannes, il défie tous les engins roulants. On peut dire qu’il est maigrichon, squelettique, il n’a que la peau sur les os, mais il a de l’allure ou plutôt, il file à vive allure ! Dénichant ses mets dans les poubelles, sur les trottoirs, parfois dans des endroits insolites, à chaque fois, il se trouve en fin de chaîne alimentaire. Il mange ce que l’homme rejette et, lui, finit toujours dans son assiette. Pour reprendre la fin du sketch de Raymond Devos : Où courent-ils ? On peut dire que le poulet bicyclette court finalement à sa perte.

Paolo m’envoya un SMS pour me dire qu’il était en route, j’arrivai à l’Okavango qui se trouvait dans le quartier Nyékonakpoé4.

Je m’installai en terrasse, le jardin était très agréable surtout en début de soirée car il venait d’être arrosé. Je bavardai à bâtons rompus avec la patronne des lieux. Fatigué de lui parler, je pris un roman commencé la veille, Le Poète de Michael Connelly et me plongeai dans une lecture si assidue que je ne vis pas Paolo arriver. Cela faisait un bail que je ne l’avais pas revu, au moins une année. Il n’avait pas changé. Je pris des nouvelles de sa famille. Il me dit que sa fille était partie étudier en France et visiblement, à part quelques rares coups de mou, son adaptation se passait plutôt bien.

Paolo était marié à Hannah, d’origine ghanéenne. Quand je l’avais rencontré, elle vendait des glaçons au marché central puis elle monta son propre salon de coiffure que Paolo baptisa malicieusement Fantastifs Coiffure, nom bien pompeux pour cette minuscule boutique située non loin de la lagune et faite de planches peintes en bleu clair. Une pancarte indiquait en grosses lettres : défrisage, tissage, tressage, manucure et pédicure. À l’entrée, il y avait une balustrade sur laquelle étaient peints des portraits de femmes mi-africaines, mi-européennes, les fameuses séductrices à la peau décolorée communément appelées les « teints clairs ».

J’expliquai à Paolo la passe difficile que je traversais et lui racontai ce qui venait de m’arriver l’après-midi même. Paolo ne parut pas du tout surpris, il habitait à Lomé depuis une quinzaine d’années et cela faisait presque trente ans qu’il vivait en Afrique. Il avait commencé sa carrière d’enseignant à Libreville au Gabon et l’avait poursuivie à Bangui en Centrafrique. Lorsqu’il me racontait ses premières années en Afrique, à chaque fois je l’écoutais presque religieusement. Il travaillait beaucoup. J’en avais parlé avec mon copain conseiller culturel qui faisait office d’inspecteur d’académie. Il avait suggéré : « Il mérite vraiment les palmes académiques ton ami ! » Paolo les reçut quelques mois plus tard et ce fut avec émotion qu’il m’en avait parlé lors d’une fin de soirée un peu arrosée que nous avions faite chez moi.

Il était aux alentours de vingt-deux heures quand nous quittâmes l’Okavango, nous fîmes à pied les quelques centaines de mètres qui nous séparaient de la terrasse du Fifty-Fifty. Pendant que Paolo répondait à un appel sur son téléphone portable, je me souvins alors d’un drôle d’accident qui m’était arrivé il y a quelques années, juste à côté de ce restaurant.

Accompagné de mon frère, nous roulions sur le boulevard circulaire. J’avais mis le clignotant pour indiquer mon intention de tourner. Les voitures d’en face s’étaient arrêtées au feu rouge, j’amorçai le tournant quand je vis déboîter une mobylette qui vint se renverser devant nous. Le motard resta à terre, je coupai le moteur puis descendis. L’homme ne portait pas de casque et faisait des grimaces de douleur, je m’agenouillai pour lui demander où il avait mal. Il me montra sa jambe qu’il tenait avec ses deux mains.

Des passants vinrent rejoindre le groupe de badauds qui s’était constitué et la scène prit des allures de souk.

L’un d’eux s’approcha de moi :

— Il souffre, il faut faire quelque chose !

Je pris le téléphone portable que j’avais laissé dans la voiture et m’apprêtai à composer le numéro des secours. À ce moment-là, j’entendis un brouhaha s’élever de la foule, un homme d’une quarantaine d’années me prit le bras et me chuchota :

— Vous voyez bien que le type à terre fait du cinéma !

— Oui, je l’ai remarqué aussi, il n’y a pas eu de choc et la mobylette est tombée avant…

Un autre individu s’approcha de nous et s’adressa à moi :

— À mon avis, ce ne sera pas nécessaire d’appeler les urgences, arrangez-vous avec lui.

J’avais l’impression d’assister à une scène de théâtre car je savais depuis le début que le motard avait simulé une chute en espérant que je lui file quelques billets. Il me demanderait ensuite mon adresse puis, régulièrement, il viendrait à mon domicile pour me soutirer de l’argent en prétextant que sa blessure avait empiré, qu’il fallait faire une radio, la semaine suivante, payer des médicaments, le mois d’après, débourser pour d’autres soins encore. Je savais que cela ne finirait jamais si j’entrais dans ce jeu dangereux.

J’allai voir le faux accidenté pour lui annoncer que je ne lui donnerais pas de fric et que s’il était vraiment blessé, là, je pouvais appeler les secours. Je perçus des signes de mécontentement provenant de la foule. La même personne qui m’avait expliqué que le motard faisait du cinéma s’adressa à eux en mina d’un ton ferme, puis les promeneurs commencèrent à se disperser.

Je remerciai le tribun, l’homme à la mobylette se releva en me lançant un regard noir. Je lui décochai un sourire narquois puis je tournai les talons.

Je m’approchai de mon frère qui était resté simple spectateur et lui soufflai :

— L’affaire est close, on se tire de là, nous avons perdu assez de temps !

Il me fit un sourire crispé :

— Ouah, quelle histoire !

— Bonne arrivée en Afrique, lui répondis-je.

La serveuse venait de poser sur la table le fameux poulet bicyclette quand Paolo raccrocha.

Chaque soir, à Lomé, une brise marine vient nous rafraîchir, le terme n’est sans doute pas vraiment approprié mais, en tout cas, elle nous fait du bien.

Au moment où nous allions quitter le restaurant, Alex m’avertit par texto qu’il venait d’atterrir. Je laissai Paolo et j’arrivai en taxi au Sarakawa, un bel hôtel qui se trouve à quelques kilomètres du centre-ville sur la route inter­nationale qui relie Lomé à Cotonou. J’allai directement dans le jardin où quelques clients sirotaient un verre au bord de la piscine.

Alex me rejoignit accompagné d’un homme. Nous nous saluâmes et il me présenta Delaunay :

— Loïc est ici coopérant français, il travaille pour le ministère de l’Agriculture togolais en tant qu’ingénieur agronome.

Le type me fixa avec attention, il devait approcher la soixantaine. Je l’avais déjà aperçu quelque part, ça, j’en étais sûr. Il fut plus rapide que moi :

— Nous nous sommes déjà rencontrés… ?

Perplexe, je hochai la tête sans répondre, il poursuivit :

— Dapaong5, il y a six ans, ça ne vous dit rien ?

J’eus beau me creuser la tête, je ne me souvenais pas. J’avais fait plusieurs séjours dans le nord du pays. Il reprit :

— Vous étiez venu avec le consul de France et nous nous étions croisés lors d’une réception donnée par le maire de la ville.

Tout en l’observant attentivement, j’essayai de me replonger quelques années en arrière. Soudain, l’image du consul me revint. En me parlant de Delaunay après me l’avoir présenté, il m’avait prévenu : « Méfiez-vous de ce type à géométrie variable, il est prêt à tout pour servir ses propres intérêts. J’ai pu l’observer dans quelques situations… »

Regardant de nouveau Delaunay, je lui répondis :

— Oui, maintenant, ça me revient. C’est vous qui transformiez les agriculteurs togolais en véritables farmers américains… Avez-vous finalement réussi ?

Il prit un air pincé :

— Cela n’a pas été possible, j’essayais seulement d’améliorer quelques-unes de leurs pratiques ancestrales.

Alex, resté en retrait prit la parole et nous raconta son séjour au Nigeria sans toutefois rentrer dans les détails. Il précisa seulement que les rencontres faites dans le cadre de son enquête avaient été fructueuses. Cela faisait maintenant des mois qu’il travaillait sur un vaste réseau de vente d’armes et de drogue. Son enquête l’avait emmené tour à tour au Togo, au Bénin et au Nigeria et il s’était vite rendu compte qu’on avait affaire à un gros réseau qui se ramifiait jusqu’en Europe. Je l’écoutai attentivement. Alex ne m’apprit rien de neuf, je compris qu’il voulait mettre notre interlocuteur en confiance tout en donnant un minimum d’informations.

J’avais l’habitude de rédiger mes articles à partir de ses informations. Alex poursuivit :

— Loïc, dites à Lucas quelle découverte vous avait faite, à Baguida…

L’autre me toisa puis il commença son récit en postillonnant dans tous les sens. Il raconta qu’un jour un agriculteur était venu le voir pour lui dire qu’il avait gagné beaucoup d’argent. Loïc lui avait demandé comment et le type lui avait expliqué que deux individus, quelques semaines plus tôt, recherchaient un entrepôt. Ils comptaient y mettre de la marchandise, soi-disant des conteneurs de produits pharma­ceutiques.

Le paysan accepta de leur en louer un, tout près de chez lui. Il reçut un million de Francs CFA, ce qui représentait tout de même la coquette somme de mille cinq cents euros, soit plus d’un an de salaire pour cet agriculteur.

Les allées et venues incessantes des voitures déchargeant leurs produits dans cet entrepôt éveillèrent la curiosité du Togolais. Un jour, à une heure avancée de la nuit, il décida d’aller y jeter un coup d’œil et ce qu’il y découvrit le laissa stupéfait. Il en parla à Loïc qui l’accompagna la nuit suivante.

Ils trouvèrent des conteneurs remplis d’armes mais aussi des malles métalliques pleines de cocaïne, héroïne et haschisch. Loïc l’évalua à plusieurs dizaines de kilos pour les drogues dures et une centaine de kilos de haschisch.

Il continua :

— J’ai appris que cet après-midi les forces de l’ordre sont intervenues à Baguida. Malheureusement pour elles, les trafiquants ont réagi avec de l’artillerie lourde ! Un bain de sang, m’a-t-on dit…

Je sourcillai et feignis la surprise, Alex enchaîna :

— Mais dis donc, les nouvelles vont vite.

Le téléphone de Delaunay interrompit la conversation et Alex se pencha vers moi pour me dire à voix basse :

— Tu as compris que je ne lui balance pas tout ce que je sais…

Pendant que nous discutions, j’observai Alex. Il était eurasien, d’assez petite taille, ses larges épaules et son imposante corpulence donnaient l’impression qu’il jouait dans la prestigieuse équipe de football américain des Buffalo Bills. Son visage était rond, son nez proéminent. Il avait des cheveux bruns et le teint légèrement hâlé. Il portait toujours une chemise blanche et un jean quelle que soit la période. On aurait dit qu’il était monté sur ressorts, il bougeait tout le temps et son débit de parole ne tarissait jamais. Tout le temps allumé, il fumait des joints à longueur de journée. Très cultivé, il connaissait à peu près tout sur pratiquement tous les sujets, j’avais beaucoup de plaisir à l’écouter, c’était lui qui m’apportait les résultats des dernières expériences scientifiques du moment. Féru d’informatique, il m’indiquait aussi les nouveaux logiciels performants à télécharger. Il passait son temps à formater ses ordinateurs car, branchées vingt-quatre sur vingt-quatre, ses machines étaient souvent la cible d’attaques virales via Internet. Sa solide formation d’ingénierie en biologie appliquée l’avait amené à travailler dans les laboratoires de l’institut de la police scientifique.

Dernier détail, il adorait Frank Zappa et était incollable sur toute sa discographie !

1. [Retour au texte] – Le 2-Février est l’immeuble le plus haut de la capitale et de tout le pays d’ailleurs. L’hôtel a été construit au début des années quatre-vingt. Souvent sous-occupé, il fut surtout utilisé par les délégations africaines qui venaient signer tous les cinq ans des accords économiques.

2. [Retour au texte] – Warri se trouve entre Lagos et Port Harcourt au sud du Nigeria, le gang a pris le nom de la ville dont il est issu.

3. [Retour au texte] – Le pré carré représentait la zone d’influence de la France sur ses anciennes colonies.

4. [Retour au texte] – Si l’on traduit littéralement du mina en français : « Tourne la tête vers là-bas ». C’est le quartier où se trouve le lycée français.

5. [Retour au texte] – Ville togolaise située au nord, non loin de la frontière avec le Burkina Faso.