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Il est probable que Howard Phillips Lovecraft restera d'abord dans l'histoire littéraire non pas seulement comme le créateur de fictions horrifiques, et qui forment, avec l'oeuvre d'Edgar Allan Poe, le corpus "classique" du genre, mais comme un epistolier formidable, d'une dimension inconnue en son temps. Cet ouvrage contient ses dernières lettres, il revient dedans sur la maladie dont il souffre et dont il ignore qu'elle le tuera bientôt. Etrangement et tristement, pour qui a lu des centaines de lettres des années 1910, 1920, 1930 il semblerait que plus Lovecraft avançait en âge, plus il s'éloignait de cette pulsion auto-destructrice qui s'était emparée de lui à la fin de son adolescence ; pour dire les choses rapidement, plus il vieillissait, plus il aimait la vie et les rares et précieux moments qu'elle offre aux êtres sensibles, aux artistes.
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Seitenzahl: 272
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Du même traducteur :
Correspondance de Howard Phillips Lovecraft
Lettres choisies d’un gentleman anachronique (2023)
Lettres choisies du gentleman de Providence (2023)
Excursions en ancienne Amérique (2022)
De vagues fragments d’un rêve
dans lequel je n’ai rien à faire (2021)
Lovecraft par lui-même (2024)
Autres traductions :
Mary Chesnut, Un journal du Sud (2020)
James Fenimore Cooper, Un Américain à Paris :
Lettres choisies (2022)
Charles Dickens/William M. Thackeray, Un chant de Noël,
Le Bal chez Mme Perkins (2021)
John Forster, Charles Dickens par lui-même (2017)
George Gissing, Les papiers secrets d’Henry Ryecroft (2024)
Edwin de Leon, La vie de héros d’Edwin de Leon,
gentleman juif, diplomate et Confédéré (2022)
Lewis Melville, Thackeray (2019)
Julia Pardoe, Croquis parisiens (2021)
Edgar Allan Poe, Je suis malheureux
et je ne sais pas pourquoi: lettres choisies (2025)
William M. Thackeray, Denis Duval (2021)
William M. Thackeray, Les Croquis de Paris (2019)
William M. Thackeray, Mémoires
de M. James Fitzroy Yellowplush (2021)
William M. Thackeray, Thackeray contre Napoléon (2021)
William M. Thackeray, Voyage en Orient: Notes sur un voyage de Cornhill au Grand Caire (2020)
Anthony Trollope, Voyage en Amérique (2020)
Ármin Vámbéry, Ma vie (2019)
Fiction :
La peste qui anéantit presque le monde
I. Son journal intime — II. Boulevard de l’Océan
III. L’île de la Liberté — IV. Lily’s Diary
Le Diable dans le sous-bois, nouvelles
Avant-propos
Les dernières lettres — année 1937
I. À Robert H. Barlow
II. À Miss Elizabeth Toldridge
III. À Willis Conover
IV. À Edgar Hoffmann Price
V. À Frank Utpatel
VI. À Arthur Harris
VII. À Wilson Shepherd
VIII. À Robert Bloch
IX. À Robert H. Barlow
X. À Willis Conover
XI. À Henry George Weiss
XII. À Margaret Sylvester
XIII. À Catherine Lucile Moore
XIV. À Nils H. Frome
XV. À Helm C. Spink
XVI. À Edward Lloyd Sechrist
XVII. À Frank A. Utpatel
XVIII. À Adolphe Danziger De Castro
XIX. À August Derleth
XX. À Frederic Jay Pabody
XXI. À Wilson Shepherd
XXIII. À Duane Weldon Rimel
XXIV. À Arthur Widner
XXV. À Harry O. Fischer
XXVI. À Wilfred Blanch Talman
XXVII. À William Lumley
XXVIII. À James F. Morton
Avant tout, il faut expliquer le titre de cet ouvrage. C’est dans une lettre de Lovecraft (à Vernon Shea, 1934) qu’on trouvera le fin mot : « molecular dispersal » est la périphrase euphémistique que Lovecraft a lui-même choisie pour désigner la mort — et la sienne en particulier, bien qu’il ignorât jusqu’à la fin qu’elle le prendrait si jeune — et bien qu’il eût l’habitude, dans sa quarantaine, de se prétendre déjà un « vieil homme »…
Il est probable que Howard Phillips Lovecraft restera d’abord dans l’histoire littéraire, non pas comme le créateur des récits horrifiques bien connus et qui forment, avec l’œuvre d’Edgar Allan Poe, le corpus « classique » du genre, mais comme un épistolier formidable, d’une dimension inconnue en son temps.1 Lovecraft était possédé par cette remarquable frénésie de correspondre régulièrement avec une multitude de gens. Parmi ces gens, on trouve une vieille dame ex-fonctionnaire poète, une autre vieille dame auteur de weird literature, un apiculteur poète, des poètes fermiers, un futur musicien, un conservateur de musée libertarien, et surtout, beaucoup des jeunes auteurs de fantasy. Et si Lovecraft, dans ses lettres, ne ménageait ni les conseils, ni ne se montrait avare d’anecdotes personnelles, elles étaient surtout, finalement, un dialogue qu’il entretenait avec lui-même. Car il y abordait tous les sujets : son amour pour les chats, les événements politique de son temps, l’histoire des États-Unis, le cinéma, les livres publiés, la décadence de l’Occident, Rome, Providence, sa ville bien-aimée, etc. De telle sorte que ces lettres, dont on évalue le nombre à plusieurs dizaines de milliers, tracent de l’écrivain un portrait en creux — où il apparaît comme une sorte de Pic de la Mirandole moderne et un peu largué. Car aussi bien, les sciences, dans le début du XXe siècle progressaient trop vite pour qu’un seul individu en pût acquérir les principes multiples, aussi bien, confiné dans sa ville de Providence, Lovecraft était trop contraint, trop aveuglé par ses lubies et sa folie pour toujours porter sur les événements et les hommes un regard lucide. Mais qu’importe ! Qu’importe qu’il se soit parfois trompé, qu’il ait émis des idées pas tout à fait à la mode — hier comme aujourd’hui —, qu’il ait manifesté à la fin de sa vie un optimisme irraisonnable, quand il ne tombait pas dans de véritables divagations socialisantes (la lettre IX — à Henry George Weiss — est ahurissante de ce point de vue) tellement typiques de l’époque. Lovecraft est un personnage de roman — le fantôme énigmatique d’un roman proustien à la sauce américaine (il eut d’ailleurs en commun avec Marcel Proust une enfance heureuse et trop protégée, une mère adorée, un grand-père vénéré, peut-être des goûts particuliers, une mémoire formidable et très sûrement une grande intelligence).
Cet ouvrage contient les dernières lettres de Lovecraft. Il revient, à plusieurs reprises, sur la maladie dont il souffre — mais il ignore ce qu’elle est, et il semble que jusqu’au bout, il ait ignoré sa gravité et qu’elle sonnerait bientôt le glas de son existence. Lovecraft a écrit à ses correspondants jusqu’à la fin — jusqu’au moment où il partit pour l’hôpital où il mourut quelques jours plus tard. Étrangement et tristement, pour qui a lu des centaines de lettres qui couvrent les années 1910, 1920 et 1930, il semblerait que plus Lovecraft avançait en âge, plus il s’éloignait de cette pulsion auto-destructrice qui s’était emparée de lui à la fin de son adolescence et que seules l’étude et la curiosité pour certaines questions géographiques, astronomiques, historiques, l’avaient dissuadé de mettre à exécution. Pour dire les choses bêtement, plus Lovecraft vieillissait, plus il aimait la vie et les rares mais précieux moments qu’elle offre aux êtres sensibles, aux artistes.
* * *
A été conservée la répartition proprement lovecraftienne des « & » pour certaines lettres et des « et » pour les autres. Les tirets longs, dont Lovecraft abuse, ont été conservés dans la mesure où ils ne pénalisent pas trop la lecture. Dans les cas où le texte écrit manuellement de Lovecraft s’est révélé illisible, malgré les efforts répétés du traducteur, ce dernier a remplacé le mot inconnu par trois points entre crochets ([…]). Ce signe indique aussi les rares coupures ou les disparitions du texte original. Les correspondants de Lovecraft étaient si nombreux qu’il ne se privait pas de la facilité d’envoyer à des individus différents des paragraphes identiques. Lorsque que ces derniers présentaient quelques variations, ils ont été traduits ; lorsqu’ils se répètent presque mot pour mot, ils ont été supprimés et remplacés par le double crochet.
Les destinataires peu ou point connus bénéficient de courtes notes biographiques contrairement aux auteurs connus.
Enfin, il y a dans ces lettres traduites quelques interprétations très originales de la part du traducteur, afin de décourager (ou de trahir…) d’éventuels copieurs plagiaires subventionnés par de grosses (ou moins grosses) maisons d’édition. Ces interprétations très personnelles, si elles s’éloignent par deux ou trois mots du texte original, se caractérisent cependant par une fidélité sans faille à l’égard de la pensée de Lovecraft.
V.-P. A.
1 Ainsi que le dit son biographe Joshi.
Citadelle de Leng
3 janvier 1937
Noble Garoth,
Eh bien, que Dieu bénisse toutes les âmes, mais combien Grandpa vous est profondément redevable ! Merci un million de fois pour le manuscrit de The Wound2, que je suis certainement heureux d’avoir à la maison, compte tenu du travail que j’y ai consacré jadis, en cette chère vieille année 1929. Mais je me sens vraiment coupable de l’avoir accepté quand je considère le prix, en livres, que vous avez payé pour cela, selon les termes de notre marché tortueux de 1934 ! Quoi qu’il en soit, il est en sécurité & entièrement à votre disposition chaque fois que vous en aurez envie. Et la bénédiction du vieil homme vous accompagne pour votre générosité spontanée ! Quant aux manuscrits sans valeur, le Doorstep3, comme je pensais l’avoir mentionné, a été promis à Rimel, il y a des années… & il lui est donc allé dès la publication du texte. Innsmouth est bien à vous — la livraison n’a été retardée qu’à cause de la carte d’Innsmouth, au dos d’une des pages, que je dois copier avant de laisser partir l’original. La mise en page est si complexe que je redoute plutôt le travail — en effet, si vous le voulez bien, je vous copierai une simple page de texte (dans une écriture aussi proche que possible de celle que me permettent des annotations vieilles de cinq ans) & je vous enverrai la feuille originale avec la carte. Mais à la fin, vous obtiendrez le fichu truc — à moins que vous ne renonciez soudainement à collecter ces morceaux de papier au rebut. Je suis heureux que l’édition péquenaude d’Innsmouth soit arrivée à bon port — & j’espère que vous avez reçu une lettre ultérieure avec les errata supplémentaires repérés par Little Stickway. Si j’étais vous, j’incorporerais ces corrections dans le texte avec un canif & un crayon, comme je l’ai fait pour celles que j’ai repérées. Quant à The Nameless City — une copie se trouve à cet endroit, avec les 59 erreurs (il y en a probablement plus, mais je n’ai pas eu le cœur de regarder de plus près) corrigées. J’espère en obtenir davantage de votre cher ami d’Oakman, Alabama. Dans le même numéro, vous trouverez de très bons articles de Rimel & du comte d’Erlette4, ainsi qu’un splendide poème de Two-Gun5 qui me rappelle de vous remercier pour l’exemplaire d’Always comes Evening — un morceau vraiment puissant.
En ce moment, vous avez mon épître de Noël qui raconte les événements marquants des fêtes & les cadeaux dans le voisinage & vous remercie très sincèrement pour la figurine endormie de mon défunt ami & voisin John Perkins6. Plus je regarde cette statuette, plus sa grâce & son naturel m’attirent. Vous avez certainement saisi les lignes exquisément distinctives de la relaxation féline — ce n’est pas pour rien que vous fûtes l’ami & le camarade de nobles bêtes comme Doodle Bug, High, Low, Jack, Henry Clay, Cyrus, Darius & Little M. Knopf ! Il est intéressant de savoir que c’est votre premier effort dans le médium donné — un succès certain, si vous me le demandez ! Le Johnny Perkins endormi fait certainement bonne figure parmi les autres cadeaux — qui comprennent un groupe de deux figurines de chats très distinguées, une carte avec tout un personnel de Kappa Alpha Tau7 se déversant par-dessus une clôture & un calendrier quotidien avec trois charmants chatons noirs dessus ! Le Père Noël connaissait évidemment les goûts du vieux gentleman ! Au fait, vous semblez vous en être bien sorti pendant Yule8, avec deux chefs-d’œuvre de qualité (je vous envie cette « science de la vie »… Il faudra que je finisse ou rende la copie de Shea bientôt… elle est arrivée pendant que j’étais à Cassia9, il y a des années !), un temps convenable & des embellissements gastronomiques appropriées. Toute ma sympathie à l’endroit de votre mère pour les suites de la fête — ma digestion est déglinguée, bien que les troubles précédèrent ma goinfrerie des fêtes. Parmi les cadeaux extérieurs reçus trop tard pour un bulletin de vacances, je puis citer un exemplaire de Fascism & Social Revolution de R. P. Duelt, offert par le p’tit m’sieur Stoiling10 (pensez-vous, les enfants, que vous pouvez faire de votre grand-père un communiste ?), & un ensemble de dessins curieux & puissamment macabres du (& par le) jeune Leiber, illustrant des épisodes de mes Mnts of Madness11 & Whisperer in Darkness. Ces images — de fines formes noires animées, des lignes maléfiques de lumière colorée sur un fond noir étoilé — sont le fruit de ce que Leiber appelle un procédé « à éclaboussures » & leur vague, symbolique suggestion d’entités maléfiques & de géométrie malfaisante est vraiment formidable, même si leur créateur dit qu’elles n’impliquent « aucune technique de doigté habile, mais seulement de la patience & de la persévérance ». Je n’ai pas fini de reconstituer le crâne du grand chef Tonnerre-sous-la-Terre — en effet, je pense que je ferais mieux d’attendre votre prochain séjour providencin & de vous laisser tenter votre chance. En attendant, l’aimable donateur m’offre en plus une des jambes du grand chef — l’autre étant promise à un ami local. Apparemment, un sacré morceau du vieux bonhomme est réapparu après tous ces siècles de repos !12 Hélas, pauvre Yorick !13 Eh bien, la calotte du noble sachem sera toujours regardée avec vénération par ici !
[…] Je suis heureux que votre environnement actuel montre quelques signes de stabilité & de confiance ; vous pourrez au fil du temps transporter & rétablir la Dragon Fly Press & Bindery & autres institutions typiquement cassiennes sur le sauvage sol de l’Ouest. Au fait, comment se passe l’aventure cinématographique ? Cook a un bon emploi dans une imprimerie au 1305 Missouri Ave. East-St Louis, Illinois, mais il est tout à fait certain qu’il ne pourra jamais terminer le Miniter Memorial14. Il suzère que lé toujours dizpozé Hyman zoit un soubstitoute15 — c’est-à-dire que tous les hommages ainsi que quelques Miniteriana sélectionnés soient incorporés dans un grand numéro commémoratif du Californian. Connaissant la prédilection de Hyman pour les activités historiques mémorielles & amateurs, il pense que le prospère mécène de la belle laitue mordrait avidement dans ce projet. Cela me semble bien, mais je dois maintenant vérifier le statut précis des XXV biffetons de Ernie Edkins. Si le mémorial tombe à l’eau, ils devaient vous demander de financer certains projets d’édition (comme par exemple un numéro de Leaves16) bénéfiques à l’amateurisme… Mais cela veut-il dire l’échec du Culinary memorial, ou de tout autre mémorial ? En d’autres termes, est-ce que c’est vous ou Hyman qui prenez le truc ? Cela ne dépend bien sûr que de vous. Puisque le plan était de […] Mme Miniter, peut-être que tout mémorial devrait avoir des précédents ; pourtant il ne devrait pas considérer tout ce qui est autre chose qu’un livre comme un mémorial adéquat. Rien d’autre à faire que lui demander. La question se pose quant au support logique de Dead Horses. Leaves, ou un mémorial Californian ? Ce qui, bien sûr, dépend de savoir si Hyman veut vraiment entreprendre le projet. Pour l’instant, ce n’est qu’une suggestion crossmanienne17.
Merci pour ces portraits imprimés que j’ai obtenu pour satisfaire les tonitruantes demandes de mon public. Maintenant qu’ils sont là, j’ai oublié certaines des sources de ces demandes — ce qui n’est pas plus mal, car il n’est pas mauvais de réveiller mes fans, afin qu’ils réclament une troisième fois avant que de distribuer ma vilaine bobine. Donnez-leur encore un peu de temps pour imaginer que le vieil homme ressemble à peu près à un humain ! Eh bien, lorsqu’il s’agira de révéler l’affreuse vérité, espérons que le visage cauchemardesque de Grandpa n’effraiera que quelques correspondants moins importants. Je vois que ma liste s’est allongée jusqu’à 97 maintenant — ce qui implique sûrement quelque élagage. Il va sans dire que j’apprécie vos remarques sur ma liste, où il y a trop de monde — mais comment diable peut-on se soustraire à ses obligations épistolaires sans devenir grossier & discourtois ? Mais quelles plaies que certains de ces gosses que les « fan mags » ramènent ! L’autre jour, un drôle d’oiseau a vu cette ancienne lettre d’Eyrie18 (me confondant avec Loveman) me décrivant comme une « autorité shakespearienne » & me demande de lui procurer de brèves esquisses de personnages d’Hamlet, Claudius, Ophélie, Macbeth & Lady Macbeth ! Il a lu Ham & Mac au lycée, & a pensé que quelques mots bien choisis de la part d’une véritable « autorité » lui seraient d’une grande aide. Un peu plus fort, si tu m’demandes ! Je lui ai dit que je n’étais qu’un profane, mais je lui ai transmis quelques remarques sur les personnages pour atténuer sa déception. Cela lui servira de leçon si certaines interprétations étaient complètement fausses & s’il a été recalé à l’examen ! Oui, j’aimerais avoir du temps pour plus d’écriture personnelle & j’espère pouvoir écrire au moins une autre longue histoire avant que de m’effondrer dans les poussières de l’ascendance collatérale avec les premiers Rathbone & autres petites croix sur la carte. Je suis heureux que vous ayez eu des nouvelles de Sonny ces derniers temps. Le jeune coquin semble se réjouir (en théorie, pendant qu’il accumule les capitaux) de votre dérive vers le marxisme orthodoxe. Les gars, les gars !
Et maintenant, permettez-moi d’exprimer mon approbation enthousiaste au sujet de vos derniers poèmes. Que Dieu bénisse toute âme ! Et vous êtes le jeune homme qui ne pense pas que la littérature soit sa principale activité ! Tous les quatre sont splendides & j’aimerais posséder un tel matériel à mon actif ! Mes seules corrections sont purement techniques & concernent la longueur des vers. Dans l’un d’eux, vous avez un mot — cruel — là où seul un mot monosyllabique devrait figurer. […]
Eh bien, en tout cas, félicitations pour ces splendides vers & merci encore pour The Wound.
Vôtre, par le Grand Abysse
HP
__________
2 Publié dans Weird Tales en février 1924. Lovecraft a plus tard récusé ce texte, le qualifiant de piece of junk (détritus).
3The Thing on the Doorstep.
4 August William Derleth (1909-1971), écrivain prolifique et correspondant de Lovecraft.
5 Two-Gun Bob, surnom de Robert E. Howard.
6 Nom d’un chat.
7 Confrérie fictive de chats, inventée par Lovecraft sur le modèle des confréries universitaires américaines.
8 Yuletide, les fêtes de Noël version païenne. On traduira parfois dans la suite simplement par fêtes.
9 Lieu (en Floride) où habitait Barlow et que Lovecraft visita en 1934 et 1935.
10 Kenneth Sterling, jeune correspondant de Lovecraft.
11At the Mountains of Madness.
12 Willis Conover Jr. Avait, comme de nombreux visiteurs, ramassé un crâne sur le site archéologique d’un ancien cimetière indien à Cambridge, Maryland, et il l’avait ensuite envoyé par la poste à Lovecraft.
13Alas, poor Yorick ! (Hamlet)
14 Edith Miniter (1868-1934), auteur, figure du journalisme amateur.
15The allways villinck Hymie ess ah substitout.
16 Magazine amateur édité par Barlow, avec des textes de Lovecraft, Smith, Long, Derleth, etc.
17 D’après Willis T. Crossman, pseudonyme de William Paul Cook, ami et correspondant de Lovecraft.
18 Nom de l’éditorial et du courrier des lecteurs de Weird Tales.
L’Ancienne Colline
7 janvier 1937
Chère Miss Toldridge,
J’ai été heureux d’apprendre que l’exemplaire d’Innsmouth vous est parvenu sans encombre & qu’il vous a semblé acceptable, malgré ses nombreuses incorrections. J’ai essayé de corriger toutes les erreurs, mais un jeune ami aux yeux d’aigle en a récemment trouvé huit autres. C’est pourquoi je joins à la présente une liste que vous pouvez soit conserver dans le livre, soit utiliser pour corriger le texte (comme je l’ai fait) avec un canif & un crayon bien aiguisé. J’oserais dire qu’il y en a d’autres encore, mais si celles-ci sont rectifiées, la version sera au moins modérément correcte. Il est regrettable que l’histoire ait dû être publiée de manière aussi négligée.
Entre-temps, je vous suis redevable encore des autres cartes, qui ont toutes été appréciées par ma tante & moi-même. Celles qui n’ont pas été marquées ont été utilisées avec gratitude — par l’une ou l’autre — & les autres ont été classées avec la même gratitude. J’ai particulièrement apprécié les cartes du portail, du chaton noir, la couronne & les cartes félines ultérieures. Merci aussi pour le timbre rouge King Edward avec une très légère oblitération. Le meilleur que j’ai reçu jusqu’à présent. Les ½ d. verts & les ½ d. bruns sont arrivés dans mon courrier, mais je n’ai pas encore vu le bleu de plus grande valeur. Je pense que ces timbres seront émis pendant un certain temps — jusqu’à ce qu’une nouvelle émission de George VI soit dessinée. L’Australie, en revanche, vient de supprimer une série de timbres du roi Edward à moitié imprimés mais non émis & passera donc directement du 5e au 6e George, sans inscription intermédiaire — comme le feront d’ailleurs tous les autres Dominions, où aucun remplacement de timbres George V n’a encore eu lieu.
La bague suscite toujours une admiration élogieuse. Ma tante la trouve particulièrement exquise & elle l’a portée au dîner du soir après Noël. Vraiment, ce soleil central & ses huit petites planètes forment un système ravissant d’orbes étincelantes ! Vous avez vraiment été beaucoup trop généreuse en l’envoyant — & chaque fois que vous penserez que vous aimeriez la revoir, sachez qu’elle est toujours disponible !
Notre Yule fut remarquablement festif — y compris un dîner de dinde à la pension de l’autre côté du jardin, avec Mme Spotty Perkins (mère de mes défunts amis Samuel & John Perkins & le comte de Minto) se promenant en ronronnant parmi les tables & sautant finalement sur le siège de la fenêtre pour faire une sieste. Nous avions un arbre devant l’âtre du salon de ma tante ; ses branches verdoyantes étaient recouvertes d’une épaisse couche d’imitation de la meilleure mousse espagnole de Charleston & de Floride, & son contour était mis en valeur par un système d’éclairage qui n’était point disgracieux. Autour de sa base étaient disposés les cadeaux — qui comprenaient (de mon côté) un pouf suffisamment haut pour me permettre d’atteindre les étagères supérieures de mes bibliothèques, & (du côté de ma tante) un cabinet vide-poches pour les papiers & la monnaie, qui n’était pas sans rappeler mes propres classeurs, mais d’une disposition & d’un aspect plus dignes d’une dame. Parmi les cadeaux extérieurs, on put remarquer une miniature de chat endormi, peinte & émaillée de noir par le petit Bobby Barlow. Plus original, cependant, fut peut-être le cadeau qui m’a été offert de manière tout à fait inattendue par le jeune Willis Conover (l’un des auteurs fantastiques des « fans magazines ») de Cambridge, Maryland, sur la côte est. Car, tenez-vous bien ! Lorsque j’eus retiré les innombrables couches de papier ondulé & de bourre de bois, que trouvai-je devant moi ? Les fragments jaunis & dispersés d’un crâne humain enterré depuis longtemps ! Il appartenait à un Indien des environs, non loin de la maison de l’expéditeur — un endroit distingué par de nombreux exploits archéologiques de Conover & de ses jeunes amis. Son état est tel que son remontage constituera une tâche très délicate — de sorte que je devrai déléguer toute tentative de reconstruction à quelque expert — par exemple un certain jeune moustachu à l’occasion d’une visite future. L’imagination rétrospective s’efforce d’évoquer l’image de celui à qui il appartenait autrefois. Était-ce un emplumé chef de clan qui, à son époque, se vantait trop souvent en triomphant, tandis qu’il comptait les chevelures touffues arrachées à des ennemis cuivrés ou coloniaux ? Ou un rusé sorcier qui, avec un bec & un tambour, invoquait dans le Grand Abîme ces êtres ténébreux qu’il vaut mieux ne pas appeler ? Cela, nous ne le saurons peut-être jamais, à moins que, par hasard, une incantation tirée des pages du sombre & redoutable Necronomicon n’ait le pouvoir d’extraire d’étranges émanations de l’argile inanimée & séculaire & ainsi de soulever au milieu des toiles d’araignées de mon ancien bureau une chatoyante brume non dépourvue d’un certain pouvoir de parole !
Je suis heureux d’apprendre que vous avez eu un arbre entouré de cadeaux. Je suis désolé, cependant, que votre « dame propriétaire » ait dû déménager, vous privant ainsi de ces excellents repas. Avezvous, en guise d’alternative, pensé aux possibilités de produits en conserve ou aux produits variés de l’épicerie fine ? Ceux-ci, j’en suis sûr, sont à la fois raisonnables en termes de prix & livrables à votre appartement. Ils constituent désormais la base de mon alimentation, car je déteste de plus en plus la corvée de descendre la colline pour aller dans les restaurants.
Un grand merci, comme d’habitude, pour les coupures — celles concernant Troie étant particulièrement intéressantes. L’identification récente du 7e niveau au lieu du 6e comme étant celui d’Homère est certainement une prouesse archéologique spectaculaire. Les Basques sont assurément un mystère — & aucune lumière ne semble tomber sur la création & les affiliations de leur langue au fil des ans. Les spéculations récentes sur la source & la date des migrations indiennes sont particulièrement intéressantes & devraient être rappelées, en rapport avec les estimations de l’ancienneté de certains artefacts d’Amérique centrale. Les historiens & archéologues mexicains semblent enclins à attribuer à l’homme une ancienneté trop grande dans l’hémisphère occidental. Les remarques sur l’architecture londonienne me remplissent de consternation. Non pas que les bâtiments modernes soient pires que les monstruosités victoriennes les plus grotesques, mais parce que toute nouvelle laideur est à déplorer.
À propos du type de sphère représentée sur les bras de l’astronome John Field, il s’agit de ce qu’on appelle une sphère armillaire ; un ensemble d’anneaux métalliques disposés pour figurer les cercles imaginaires (comme la latitude & la longitude, etc.) du ciel. Le mot vient du latin armilla, bracelet, car les divers anneaux ou cerceaux métalliques composant l’appareil suggèrent vaguement une collection de bracelets à une échelle agrandie, mais plus fine. Quelque chose de ce genre, d’après la coupe que vous avez envoyée, est sur le point d’être installé dans le Meridian Park à Washington.
J’ai lu cet article sur la mort du plus vieux descendant connu de Roger William19 — ou plutôt, j’ai vu l’article correspondant dans le journal local. L’honneur revient maintenant à un certain M. Peck, de cette même ville (89 ans), ex-principal de notre lycée & toujours actif dans de nombreux domaines. Ma tante le connaît ainsi que sa famille — sa sœur était la célèbre alpiniste Miss Annie Peck, en l’honneur de qui un sommet du Pérou fut baptisé.
Une alliance des nations de l’hémisphère occidental serait très utile si elle parvenait à rester unie. Elle ne pourrait peut-être pas empêcher une guerre européenne, mais elle permettrait aux Amériques de préserver leur neutralité jusqu’au moment où une intervention s’avérerait nécessaire. Elle constituerait également un rempart contre la pénétration européenne en Amérique du Sud — par exemple, les efforts persistants & prolongés de l’Allemagne pour coloniser & dominer le Brésil.
J’espère que les poissons continueront à prospérer, même si vous devez vous procurer un aquarium plus grand. On trouve souvent de bonnes affaires dans les aquaria, du moins à New York. Je me souviens de l’acquisition par Long d’un spécimen rectangulaire étonnamment spacieux pour environ un dollar, il y a un an ou deux.
Je suis heureux que les lignes adressées à Finlay aient semblé adéquates. Voici un hommage similaire que j’ai récemment dédié au bon vieux Clark Ashton Smith — dont les histoires fantastiques, les poésies, les images & sculptures miniatures n’ont pas besoin d’être présentées. Le nom « Averoigne » qui apparaît dans le texte est celui d’une région imaginaire de la France médiévale où se déroulent nombre des contes les plus étranges de Smith :
To Klarkash-Ton, Lord of Averoigne
A time-black tower against dim banks of cloud;
Around its base the pathless, pressing wood.
Shadow and silence, moss and mould, enshroud
Grey, age-fell’d slabs that once as cromlechs stood.
No fall of foot, no song of bird awakes
The lethal aisles of sempiternal night,
Tho’ oft with stir of wings the dense air shakes,
As in the tower there glows a pallid light.
For here, apart, dwells one whose hands have wrought
Strange eidola that chill the world with fear;
Whose graven runes in tones of dread have taught
What things beyond the star-gulfs lurk and leer. Dark Lord of Averoigne—whose windows stare On pits of dream no other gaze could bear!20
J’espère que votre santé continuera de s’améliorer. J’étais un peu malade la semaine dernière avec une légère touche de grippe prédominante, mais qui s’est maintenant atténuée. L’hiver a été jusqu’à présent étonnamment doux, & j’espère seulement qu’il continuera à l’être. J’ai entendu une conférence intéressante dimanche sur les antiquités péruviennes & j’ai été étonné d’apprendre la quantité d’architecture pré-inca qui a été découverte dans la région côtière. Des diapositives de lampes & des spécimens de poterie récemment mis au jour ont complété le discours.
Tous mes vœux, sincèrement vôtre,
HPLovecraft
__________
19 Roger Williams (1603-1683), puritain anglais, fondateur de la colonie de Rhode Island et Providence Plantations.
20 À Klarkash-Ton, magicien d’Averoigne / Une vieille tour noire dressée contre des bandes de sombres nuages ; / Autour de sa base, le bois perdu, oppressant. / Ombre & silence, mousse & moisissures enveloppent / Les dalles grises, abattues, autrefois cromlechs debout. / Aucun pas, aucun chant d’oiseau ne réveille / Les allées mortelles de la nuit éternelle, / Souvent l’air dense tremble de battements d’ailes, / Tandis que dans la tour brille une pâle lumière. / Car ici, à l’écart, habite celui dont les mains forgèrent / D’étranges eidola qui glacent de peur le monde ; / Dont les runes gravées aux tons de terreur enseignèrent Ce que les choses au-delà des gouffres stellaires guettent & lorgnent, / Sombre Lord d’Averoigne — dont les fenêtres donnent / Sur les fosses du rêve qu’aucun regard ne pourrait supporter !
Infernal Plateau de Leng
10 janvier 1937
Cher Khono-Vhah,
Heureux que vous ayez aimé The Thing on the Doorstep — bien qu’en tant que critique, je doive protester (logiquement plutôt que modestement) contre votre flatteuse haute évaluation de ce texte. En réalité, je pense qu’il mérite une note moyenne. Il est meilleur que mon Haunter of the Dark, mais pas aussi bon que mon Colour out of Space. Il n’est même pas dans la course avec des chefs-d’œuvre du fantastique normalisés tels The White People de Machen, Willows de Blackwood, House of Usher de Poe, House of Sounds de M. P. Shiel ainsi que des dizaines d’autres que je pourrais citer. Ne mélangez pas vos normes. Certaines de mes œuvres — et celles d’autres pirates de WT21 — peuvent être aussi bonnes que les œuvres moins bonnes de Blackwood et des autres grands noms, car tous les auteurs de livres fantastiques semblent singulièrement inégaux. Mais personne dans le groupe de WT n’a jamais approché le meilleur travail des œuvres fantastiques standards. Comparer mes ouvrages à Hill of Dreams de Machen, aux Incredible Adventures de Blackwood, à Bethmoora de Dunsany, au Count Magnus de M. R. James ou à Ligeia de Poe, ce serait tout simplement saper les principes les plus sains de la critique. On peut dire sans se tromper que Blackwood est le plus grand auteur de romans fantastiques vivants, malgré de vastes inégalités et un style de prose plutôt médiocre. Machen, avec un style incomparablement supérieur, vient ensuite. Dunsany — avec le meilleur style de tous — pourrait peut-être les tous surpasser s’il s’en tenait à la veine relativement sérieuse qui est manifeste dans A Dreamer’s Tales, Time and the Gods et The Sword of Welleran. Quant au nom Pickman — non, je ne connais personne qui le porte, mais il est particulièrement courant à Salem, qui, comme vous le savez, est le vague prototype de mon Arkham. Dans tous mes récits, j’essaie d’être très réaliste, en utilisant des noms de famille typiques des régions concernées. Ainsi, dans un conte à Charleston, j’aurai les Izard, les Pinckney, Rhett, Manigault, Ravenel, Mazyck, etc. — dans un conte à Saint-Augustin, les Seguis, Pappy, Masterse, Sanchez, Genovar, etc. — et ainsi de suite. Si vous avez déjà lu mon Shunned House, vous aurez remarqué les noms locaux de Providence.
[…] Vous êtes sûrement un grand rêveur, et il est curieux (pour moi) de voir à quelle vitesse vos nouvelles expériences et vos correspondants se transforment en visions. J’espère avoir réussi à vous sauver, vous et Monsieur Ludwig, sur cette falaise… Il serait dommage que deux célébrités aussi prometteuses fussent perdues dans « l’obscurité sans réverbération des abîmes » ! Mes propres rêves remontent généralement très loin dans le temps, et il faut beaucoup de temps pour qu’une nouvelle expérience, une nouvelle scène ou une nouvelle connaissance s’inscrivent dedans. Au moins les ¾ d’entre eux se déroulent dans la maison où je suis né — et où je ne vis plus depuis 1904 — et impliquent ceux qui vivaient à cette époque. Mais les scènes réelles se fondent souvent dans des