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Edgar Allan Poe

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Moins connus que les Histoires extraordinaires ou les Histoires grotesques, ces textes intéresseront tous les amateurs de Poe.



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Derniers contes

Edgar Allan Poe

Booklassic 2015 ISBN 978-963-526-041-6

INTRODUCTION

 

La vie d'Edgar Allan Poe n'est plus à raconter : ses derniers traducteurs français, s'inspirant des travaux définitifs de son nouvel éditeur J.H. Ingram, l'ont éloquemment vengé des calomnies trop facilement acceptées sur la foi de son ami et exécuteur testamentaire, Rufus Griswold. En dépit de ses mensonges, Edgar Poe reste pour nous et restera pour la postérité, de plus en plus admiratrice de son génie, ce que l'a si bien défini notre Baudelaire :

« Ce n'est pas par ses miracles matériels, qui pourtant ont fait sa renommée, qu'il lui sera donné de conquérir l'admiration des gens qui pensent, c'est par son amour du Beau, par sa connaissance des conditions harmoniques de la beauté, par sa poésie profonde et plaintive, ouvragée néanmoins, transparente et correcte comme un bijou de cristal, – par son admirable style, pur et bizarre, – serré comme les mailles d'une armure, – complaisant et minutieux, – et dont la plus légère intention sert à pousser doucement le lecteur vers un but voulu, – et enfin surtout par ce génie tout spécial, par ce tempérament unique, qui lui a permis de peindre et d'expliquer d'une manière impeccable, saisissante, terrible, l'exception dans l'ordre moral. – Diderot, pour prendre un exemple entre cent, est un auteur sanguin ; Poe est l'écrivain des nerfs, et même de quelque chose de plus – et le meilleur que je connaisse. »

Ajoutons que ce fut une bonne fortune exceptionnelle pour Edgar Poe de rencontrer un traducteur tel que Baudelaire, si bien fait par les tendances de son propre esprit pour comprendre son génie, et le rendre dans un style qui a toutes les qualités de son modèle. Pour notre part, nous ne parcourons jamais son admirable traduction sans regretter vivement qu'il n'ait pas assez vécu pour achever toute sa tâche.

La voie ouverte avec tant d'éclat par l'auteur des Fleurs du Mal ne pouvait manquer de tenter après lui bien des amateurs du génie si original et si singulier que la France avait adopté avec tant de curiosité et d'enthousiasme. À mesure que de nouveaux Contes de Poe paraissaient, ils étaient avidement lus et traduits. Quelques-uns même osaient, sous prétexte d'une littéralité trop scrupuleuse, refaire certaines parties de l'œuvre de Baudelaire. C'est ainsi que parurent tour à tour les Contes inédits, traduits par William Hughes (1862), les Contes grotesques, traduits par Émile Hennequin (1882), et les Oeuvres choisies, retraduites après Baudelaire par Ernest Guillemot (1884).

Les Contes et Essais de Poe, dont nous publions aujourd'hui la traduction, sont à peu près inédits pour le lecteur français. Si nous nous sommes permis d'en reproduire deux : L'inhumation prématurée et Bon-Bon, déjà excellemment traduits par M. Hennequin, c'est que, de son propre aveu du reste, il y a dans sa traduction des lacunes qui nous ont paru assez importantes pour qu'on pût regretter cette mutilation, et la réparer au profit du lecteur.

Les morceaux critiques, tels que La Cryptographie, le Principe poétique, que nous traduisons pour la première fois, complèteront la série des Essais, si heureusement commencée par Baudelaire.

Cet Essai de Poétique, sous forme de Lecture, en nous révélant le Poe improvisateur et conférencier, nous initie à l'originale et contestable théorie qui lui tenait tant au cœur, et qu'il a essayé de mettre en pratique dans un grand nombre de petites pièces dont quelques-unes, sans compter Le Corbeau si connu, peuvent rivaliser avec ce qu'il y a de plus parfait en ce genre. L'exposition de cette théorie nous a valu l'Anthologie la plus exquise, la plus rare, qu'un dilettante aussi délicat que Poe pouvait recueillir parmi les petits chefs-d'œuvre de la poésie Anglaise ou Américaine.

Pour que l'Oeuvre de Poe fût parfaitement connue, il resterait à traduire ses Essais et Critiques littéraires proprement dits, qui renferment, avec des vues originales et profondes, tant de pages étincelantes de bon sens, de verve malicieuse, de sagacité critique – et forment à coup sûr la meilleure histoire qui ait été écrite de la Littérature Américaine. Puis il faudrait y ajouter en entier les Marginalia, ou pensées détachées de Poe, dont l'excellente traduction partielle qu'en a tentée M. Hennequin nous a donné un précieux avant-goût. – Nous espérons, avec le temps, remplir cette tâche intéressante.

Il serait superflu de faire ici l'éloge des Contes et Essais qui composent ce volume. S'ils n'ont pas au même degré les caractères d'intérêt et de pathétique poignant, les hautes qualités pittoresques ou dramatiques de certains récits plus connus que l'on est convenu d'appeler les chefs-d'œuvre de Poe, ils se recommandent singulièrement pour la plupart, à notre avis, par une veine d'humour et de malice incomparable, et par une originalité de composition et de forme d'autant plus frappante que les sujets semblaient moins prêter à l'inattendu et à la fantaisie. Le fantastique et le grotesque y revêtent un air de gravité et de sang-froid qui est du plus haut comique, et donne à la satire ou à la leçon morale un relief des plus saisissants.

À côté de ces qualités vraiment caractéristiques du procédé littéraire de Poe, on retrouvera dans quelques-uns de ces morceaux – le Mellonta tauta, le Mille et deuxième Conte de Schéhérazade, par exemple, – les profondes vues philosophiques, l'érudition étendue et surtout l'enthousiasme éclairé pour les merveilleuses découvertes de la science moderne qui ont inspiré l'admirable Eurêka. En allant d'un essai à l'autre, le lecteur sera émerveillé de l'étonnante souplesse avec laquelle l'auteur sait passer de l'examen des problèmes les plus ardus des sciences physiques ou morales à la critique légère des filous et des Reviewers, ou à la charge épique d'un dandy français ou d'un bas-bleu américain.

À y regarder de près, il y a plus de philosophie dans un conte de Poe que dans les gros livres de nos métaphysiciens.

F. RABBE.

LE DUC DE L'OMELETTE

 

« Il arriva enfin dans un climat plus frais. »

COWPER.

Keats est mort d'une critique. Qui donc mourut de l'Andromaque[1] ? Âmes pusillanimes ! De l'Omelette mourut d'un ortolan. L'histoire en est brève[2]. Assiste-moi, Esprit d'Apicius !

Une cage d'or apporta le petit vagabond ailé, indolent, languissant, énamouré, du lointain Pérou, sa demeure, à la Chaussée d'Antin. De la part de sa royale maîtresse la Bellissima, six Pairs de l'Empire apportèrent au duc de l'Omelette l'heureux oiseau.

Ce soir-là, le duc va souper seul. Dans le secret de son cabinet, il repose languissamment sur cette ottomane pour laquelle il a sacrifié sa loyauté en enchérissant sur son roi, – la fameuse ottomane de Cadet.

Il ensevelit sa tête dans le coussin. L'horloge sonne ! Incapable de réprimer ses sentiments, Sa Grâce avale une olive. Au même moment, la porte s'ouvre doucement au son d'une suave musique, et !… le plus délicat des oiseaux se trouve en face du plus énamouré des hommes ! Mais quel malaise inexprimable jette soudain son ombre sur le visage du Duc ? – « Horreur ! – Chien ! Baptiste ! – l'oiseau ! ah, bon Dieu ! cet oiseau modeste que tu as déshabillé de ses plumes, et que tu as servi sans papier ! »

Inutile d'en dire davantage – Le Duc expire dans le paroxysme du dégoût….

* * * *

« Ha ! ha ! ha ! » dit sa Grâce le troisième jour après son décès.

« Hé ! hé ! hé ! » répliqua tout doucement le Diable en se renversant avec un air de hauteur.

« Non, vraiment, vous n'êtes pas sérieux ! » riposta De l'Omelette. « J'ai péché – c'est vrai – mais, mon bon monsieur, considérez la chose ! – Vous n'avez pas sans doute l'intention de mettre actuellement à exécution de si…. de si barbares menaces. »

« Pourquoi pas ? » dit sa Majesté – « Allons, monsieur, déshabillez-vous. »

« Me déshabiller ? – Ce serait vraiment du joli, ma foi ! – Non, monsieur, je ne me déshabillerai pas. Qui êtes-vous, je vous prie, pour que moi, Duc de l'Omelette, Prince de Foie-gras, qui viens d'atteindre ma majorité, moi, l'auteur de la Mazurkiade, et Membre de l'Académie, je doive me dévêtir à votre ordre des plus suaves pantalons qu'ait jamais confectionnés Bourdon, de la plus délicieuse robe de chambre qu'ait jamais composée Rombert – pour ne rien dire de ma chevelure qu'il faudrait dépouiller de ses papillotes, ni de la peine que j'aurais à ôter mes gants ? »

« Qui je suis ? » dit sa Majesté. – « Ah ! vraiment ! Je suis Baal-Zebub, prince de la Mouche. Je viens à l'instant de te tirer d'un cercueil en bois de rose incrusté d'ivoire. Tu étais bien curieusement embaumé, et étiqueté comme un effet de commerce. C'est Bélial qui t'a envoyé – Bélial, mon Inspecteur des Cimetières. Les pantalons, que tu prétends confectionnés par Bourdon, sont une excellente paire de caleçons de toile, et ta robe de chambre est un linceul d'assez belle dimension. »

« Monsieur ! » répliqua le Duc, « je ne me laisserai pas insulter impunément ! – Monsieur ! à la première occasion je me vengerai de cet outrage ! – Monsieur ! vous entendrez parler de moi ! En attendant au revoir ! » – et le Duc en s'inclinant allait prendre congé de sa Satanique Majesté, quand il fut arrêté au passage par un valet de chambre qui le fit rétrograder. Là-dessus, sa Grâce se frotta les yeux, bâilla, haussa les épaules, et réfléchit. Après avoir constaté avec satisfaction son identité, elle jeta un coup d'œil sur son entourage.

L'appartement était superbe. De l'Omelette ne put s'empêcher de déclarer qu'il était bien comme il faut. Ce n'était ni sa longueur, ni sa largeur – mais sa hauteur ! – ah ! c'était quelque chose d'effrayant ! – Il n'y avait pas de plafond – pas l'ombre d'un plafond – mais une masse épaisse de nuages couleur de feu qui tournoyaient. Pendant que sa Grâce regardait en l'air, la tête lui tourna. D'en haut pendait une chaîne d'un métal inconnu, rouge-sang, dont l'extrémité supérieure se perdait, comme la ville de Boston, parmi les nues. À son extrémité inférieure, se balançait un large fanal. Le Duc le prit pour un rubis ; mais ce rubis versait une lumière si intense, si immobile, si terrible ! une lumière telle que la Perse n'en avait jamais adoré – que le Guèbre n'en avait jamais imaginé – que le Musulman n'en avait jamais rêvé – quand, saturé d'opium, il se dirigeait en chancelant vers son lit de pavots, s'étendait le dos sur les fleurs, et la face tournée vers le Dieu Apollon. Le Duc murmura un léger juron, décidément approbateur.

Les coins de la chambre s'arrondissaient en niches. Trois de ces niches étaient remplies par des statues de proportions gigantesques. Grecques par leur beauté, Égyptiennes par leur difformité, elles formaient un ensemble bien français. Dans la quatrième niche, la statue était voilée ; elle n'était pas colossale. Elle avait une cheville effilée, des sandales aux pieds. De l'Omelette mit sa main sur son cœur, ferma les yeux, les leva, et poussa du coude sa Majesté Satanique – en rougissant.

Mais les peintures ! – Cypris ! Astarté ! Astoreth ! elles étaient mille et toujours la même ! Et Raphaël les avait vues ! Oui, Raphaël avait passé par là ; car n'avait-il pas peint la… ? et par conséquent n'était-il pas damné ? – Les peintures ! Les peintures ! O luxure ! O amour ! – Qui donc, à la vue de ces beautés défendues, pourrait avoir des yeux pour les délicates devises des cadres d'or qui étoilaient les murs d'hyacinthe et de porphyre ?

Mais le Duc sent défaillir son cœur. Ce n'est pas, comme on pourrait le supposer, la magnificence qui lui donne le vertige ; il n'est point ivre des exhalaisons extatiques de ces innombrables encensoirs. Il est vrai que tout cela lui a donné à penser – mais ! Le Duc de l'Omelette est frappé de terreur ; car, à travers la lugubre perspective que lui ouvre une seule fenêtre sans rideaux, là ! flamboie la lueur du plus spectral de tous les feux !

Le pauvre Duc ! Il ne put s'empêcher de reconnaître que les glorieuses, voluptueuses et éternelles mélodies qui envahissaient la salle, transformées en passant à travers l'alchimie de la fenêtre enchantée, n'étaient que les plaintes et les hurlements des désespérés et des damnés ! Et là ! oui, là ! sur cette ottomane ! – qui donc pouvait-ce être ? – lui, le petit-maître – non, la Divinité ! – assise et comme sculptée dans le marbre, et qui sourit avec sa figure pâle si amèrement !

Mais il faut agir – c'est-à-dire, un Français ne perd jamais complètement la tête. Et puis, sa Grâce avait horreur des scènes. De l'Omelette redevient lui-même. Il y avait sur une table plusieurs fleurets et quelques épées. Le Duc a étudié l'escrime sous B….. – Il avait tué ses six hommes. Le voilà sauvé. Il mesure deux épées, et avec une grâce inimitable, il offre le choix à sa Majesté. – Horreur ! sa Majesté ne fait pas d'armes !

Mais elle joue ? Quelle heureuse idée ! Sa Grâce a toujours une excellente mémoire. Il a étudié à fond le « Diable » de l'abbé Gaultier. Or il y est dit « que le Diable n'ose pas refuser une partie d'écarté. »

Oui, mais les chances ! les chances ! – Désespérées, sans doute ; mais à peine plus désespérées que le Duc. Et puis, n'était-il pas dans le secret ? N'avait-il pas écrémé le père Le Brun ? N'était-il pas membre du Club Vingt-un ? « Si je perds, se dit-il, je serai deux fois perdu – je serai deux fois damné – voilà tout ! (Ici sa Grâce haussa les épaules). Si je gagne, je retournerai à mes ortolans – que les cartes soient préparées ! »

Sa Grâce était tout soin, tout attention – sa Majesté tout abandon. À les voir, on les eût pris pour François et Charles. Sa Grâce ne pensait qu'à son jeu ; sa Majesté ne pensait pas du tout. Elle battit ; le Duc coupa.

Les cartes sont données. L'atout est tourné ; – c'est – c'est – le Roi ! Non – c'était la Reine. Sa Majesté maudit son costume masculin. De l'Omelette mit sa main sur son cœur.

Ils jouent. Le Duc compte. Il n'est pas à son aise. Sa Majesté compte lourdement, sourit et prend un coup de vin. Le Duc escamote une carte.

« C'est à vous à faire », dit sa Majesté, coupant. Sa Grâce s'incline, donne les cartes et se lève de table en présentant le Roi.

Sa Majesté parut chagrinée.

Si Alexandre n'avait pas été Alexandre, il eût voulu être Diogène. Le Duc, en prenant congé de son adversaire, lui assura « que s'il n'avait pas été De l'Omelette, il eût volontiers consenti à être le Diable. »

LE MILLE ET DEUXIÈME CONTE DE SCHÉHÉRAZADE

 

« La vérité est plus étrange que la fiction. » (Vieux dicton.)

J'eus dernièrement l'occasion dans le cours de mes recherches Orientales, de consulter le Tellmenow Isitsoornot, ouvrage à peu près aussi inconnu, même en Europe, que le Zohar de Siméon Jochaïdes, et qui, à ma connaissance, n'a jamais été cité par aucun auteur américain, excepté peut-être par l'auteur des Curiosités de la Littérature américaine. En parcourant quelques pages de ce très remarquable ouvrage, je ne fus pas peu étonné d'y découvrir que jusqu'ici le monde littéraire avait été dans la plus étrange erreur touchant la destinée de la fille du vizir, Schéhérazade, telle qu'elle est exposée dans les Nuits Arabes, et que le dénouement, s'il ne manque pas totalement d'exactitude dans ce qu'il raconte, a au moins le grand tort de ne pas aller beaucoup plus loin.

Le lecteur, curieux d'être pleinement informé sur cet intéressant sujet, devra recourir à l'Isitsoornot lui-même ; mais on me pardonnera de donner un sommaire de ce que j'y ai découvert.

On se rappellera que, d'après la version ordinaire des Nuits Arabes, un certain monarque, ayant d'excellentes raisons d'être jaloux de la reine son épouse, non seulement la met à mort, mais jure par sa barbe et par le prophète d'épouser chaque nuit la plus belle vierge de son royaume, et de la livrer le lendemain matin à l'exécuteur.

Après avoir pendant plusieurs années accompli ce vœu à la lettre, avec une religieuse ponctualité et une régularité méthodique, qui lui valurent une grande réputation d'homme pieux et d'excellent sens, une après-midi il fut interrompu (sans doute dans ses prières) par la visite de son grand vizir, dont la fille, paraît-il, avait eu une idée.

Elle s'appelait Schéhérazade, et il lui était venu en idée de délivrer le pays de cette taxe sur la beauté qui le dépeuplait, ou, à l'instar de toutes les héroïnes, de périr elle-même à la tâche.

En conséquence, et quoique ce ne fût pas une année bissextile (ce qui rend le sacrifice plus méritoire), elle députa son père, grand vizir, au roi, pour lui faire l'offre de sa main. Le roi l'accepta avec empressement : (il se proposait bien d'y venir tôt ou tard, et il ne remettait de jour en jour que par crainte du vizir) mais tout en l'acceptant, il eut soin de faire bien comprendre aux intéressés, que, pour grand vizir ou non, il n'avait pas la moindre intention de renoncer à un iota de son vœu ou de ses privilèges. Lors donc que la belle Schéhérazade insista pour épouser le roi, et l'épousa réellement en dépit des excellents avis de son père, quand, dis-je, elle l'épousa bon gré mal gré, ce fut avec ses beaux yeux noirs aussi ouverts que le permettait la nature des circonstances.

Mais, paraît-il, cette astucieuse demoiselle (sans aucun doute elle avait lu Machiavel) avait conçu un petit plan fort ingénieux.

La nuit du mariage, je ne sais plus sous quel spécieux prétexte, elle obtint que sa sœur occuperait une couche assez rapprochée de celle du couple royal pour permettre de converser facilement de lit à lit ; et quelque temps avant le chant du coq elle eut soin de réveiller le bon monarque, son mari (qui du reste n'était pas mal disposé à son endroit, quoiqu'il songeât à lui tordre le cou au matin) – elle parvint, dis-je, à le réveiller (bien que, grâce à une parfaite conscience et à une digestion facile, il fût profondément endormi) par le vif intérêt d'une histoire (sur un rat et un chat noir, je crois), qu'elle racontait à voix basse, bien entendu à sa sœur. Quand le jour parut, il arriva que cette histoire n'était pas tout à fait terminée, et que Schéhérazade naturellement ne pouvait pas l'achever, puisque, le moment était venu de se lever pour être étranglée – ce qui n'est guère plus plaisant que d'être pendu, quoique un tantinet plus galant.

Cependant la curiosité du roi, plus forte (je regrette de le dire) que ses excellents principes religieux mêmes, lui fit pour cette fois remettre l'exécution de son serment jusqu'au lendemain matin, dans l'espérance d'entendre la nuit suivante comment finirait l'histoire du chat noir (oui, je crois que c'était un chat noir) et du rat.

La nuit venue, madame Schéhérazade non seulement termina l'histoire du chat noir et du rat (le rat était bleu), mais sans savoir au juste où elle en était, se trouva profondément engagée dans un récit fort compliqué où il était question (si je ne me trompe) d'un cheval rose (avec des ailes vertes), qui donnant tête baissée dans un mouvement d'horlogerie, fut blessé par une clef indigo. Cette histoire intéressa le roi plus vivement encore que la précédente ; et le jour ayant paru avant qu'elle fût terminée (malgré tous les efforts de la reine pour la finir à temps) il fallut encore remettre la cérémonie à vingt-quatre heures. La nuit suivante, même accident et même résultat, puis l'autre nuit, et l'autre encore ; – si bien que le bon monarque, se voyant dans l'impossibilité de remplir son serment pendant une période d'au moins mille et une nuits, ou bien finit par l'oublier tout à fait, ou se fit relever régulièrement de son vœu, ou (ce qui est plus probable) l'enfreignit brusquement, en cassant la tête à son confesseur. Quoi qu'il en soit, Schéhérazade, qui, descendant d'Ève en droite ligne, avait hérité peut-être des sept paniers de bavardage que cette dernière, comme personne ne l'ignore, ramassa sous les arbres du jardin d'Eden, Schéhérazade, dis-je, finit par triompher, et l'impôt sur la beauté fut aboli.

Or cette conclusion (celle de l'histoire traditionnelle) est, sans doute, fort convenable et fort plaisante : mais, hélas ! comme la plupart des choses plaisantes, plus plaisante que vraie ; et c'est à l'Isitsoornot que je dois de pouvoir corriger cette erreur. « Le mieux », dit un Proverbe français, « est l'ennemi du bien » ; et en rappelant que Schéhérazade avait hérité des sept paniers de bavardage, j'aurais dû ajouter qu'elle sut si bien les faire valoir, qu'ils montèrent bientôt à soixante-dix-sept.

« Ma chère sœur, » dit-elle à la mille et deuxième nuit, (je cite ici littéralement le texte de l'Isitsoornot) « ma chère sœur, maintenant qu'il n'est plus question de ce petit inconvénient de la strangulation, et que cet odieux impôt est si heureusement aboli, j'ai à me reprocher d'avoir commis une grave indiscrétion, en vous frustrant vous et le roi (je suis fâchée de le dire, mais le voilà qui ronfle – ce que ne devrait pas se permettre un gentilhomme) de la fin de l'histoire de Sinbad le marin. Ce personnage eut encore beaucoup d'autres aventures intéressantes ; mais la vérité est que je tombais de sommeil la nuit où je vous les racontais, et qu'ainsi je dus interrompre brusquement ma narration – grave faute qu'Allah, j'espère, voudra bien me pardonner. Cependant il est encore temps de réparer ma coupable négligence, et aussitôt que j'aurai pincé une ou deux fois le roi de manière à le réveiller assez pour l'empêcher de faire cet horrible bruit, je vous régalerai vous et lui (s'il le veut bien) de la suite de cette très remarquable histoire. »

Ici la sœur de Schéhérazade, ainsi que le remarque l'Isitsoornot, ne témoigna pas une bien vive satisfaction ; mais quand le roi, suffisamment pincé, eut fini de ronfler, et eut poussé un « Hum ! » puis un « Hoo ! » – mots arabes sans doute, qui donnèrent à entendre à la reine qu'il était tout oreilles, et allait faire de son mieux pour ne plus ronfler, – la reine, dis-je, voyant les choses s'arranger à sa grande satisfaction, reprit la suite de l'histoire de Sinbad le marin :

« Sur mes vieux ans, » (ce sont les paroles de Sinbad lui-même, telles qu'elles sont rapportées par Schéhérazade) « après plusieurs années de repos dans mon pays, je me sentis de nouveau possédé du désir de visiter des contrées étrangères ; et un jour, sans m'ouvrir de mon dessein à personne de ma famille, je fis quelques ballots des marchandises les plus précieuses et les moins embarrassantes, je louai un crocheteur pour les porter, et j'allai avec lui sur le bord de la mer attendre l'arrivée d'un vaisseau de hasard qui pût me transporter dans quelque région que je n'aurais pas encore explorée.

» Après avoir déposé les ballots sur le sable, nous nous assîmes sous un bouquet d'arbres et regardâmes au loin sur l'océan, dans l'espoir de découvrir un vaisseau ; mais nous passâmes plusieurs heures sans rien apercevoir. À la fin, il me sembla entendre comme un bourdonnement ou un grondement lointain, et le crocheteur, après avoir longtemps prêté l'oreille, déclara qu'il l'entendait aussi. Peu à peu le bruit devint de plus en plus fort, et ne nous permit plus de douter que l'objet qui le causait s'approchât de nous. Nous finîmes par apercevoir sur le bord de l'horizon un point noir, qui grandit rapidement ; nous découvrîmes bientôt que c'était un monstre gigantesque, nageant, la plus grande partie de son corps flottant au-dessus de la surface de la mer. Il venait de notre côté avec une inconcevable rapidité, soulevant autour de sa poitrine d'énormes vagues d'écume et illuminant toute la partie de la mer qu'il traversait d'une longue traînée de feu.

» Quand il fut près de nous, nous pûmes le voir fort distinctement. Sa longueur égalait celle des plus hauts arbres, et il était aussi large que la grande salle d'audience de votre palais, ô le plus sublime et le plus magnifique des califes ! Son corps, tout à fait différent de celui des poissons ordinaires, était aussi dur qu'un roc, et toute la partie qui flottait au-dessus de l'eau était d'un noir de jais, à l'exception d'une étroite bande de couleur rouge-sang qui lui formait une ceinture. Le ventre qui flottait sous l'eau, et que nous ne pouvions qu'entrevoir de temps en temps, quand le monstre s'élevait ou descendait avec les vagues, était entièrement couvert d'écailles métalliques, d'une couleur semblable à celle de la lune par un ciel brumeux. Le dos était plat et presque blanc, et donnait naissance à plus de six vertèbres formant à peu près la moitié de la longueur totale du corps.

» Cette horrible créature n'avait pas de bouche visible ; mais, comme pour compenser cette défectuosité, elle était pourvue d'au moins quatre-vingts yeux, sortant de leurs orbites comme ceux de la demoiselle verte, alignés tout autour de la bête en deux rangées l'une au-dessus de l'autre, et parallèles à la bande rouge-sang, qui semblait jouer le rôle d'un sourcil. Deux ou trois de ces terribles yeux étaient plus larges que les autres, et avaient l'aspect de l'or massif.

» Le mouvement extrêmement rapide avec lequel cette bête s'approchait de nous devait être entièrement l'effet de la sorcellerie – car elle n'avait ni nageoires comme les poissons, ni palmures comme les canards, ni ailes comme la coquille de mer, qui flotte à la manière d'un vaisseau : elle ne se tordait pas non plus comme font les anguilles. Sa tête et sa queue étaient de forme parfaitement semblable, sinon que près de la dernière se trouvaient deux petits trous qui servaient de narines, et par lesquels le monstre soufflait son épaisse haleine avec une force prodigieuse et un vacarme fort désagréable.

» La vue de cette hideuse bête nous causa une grande terreur ; mais notre étonnement fut encore plus grand que notre peur, quand, la considérant de plus près, nous aperçûmes sur son dos une multitude d'animaux à peu près de la taille et de la forme humaines, et ressemblant parfaitement à des hommes, sinon qu'ils ne portaient pas (comme les hommes) des vêtements, la nature, sans doute, les ayant pourvus d'une espèce d'accoutrement laid et incommode, qui s'ajustait si étroitement à la peau qu'il rendait ces pauvres malheureux ridiculement gauches, et semblait les mettre à la torture. Le sommet de leurs têtes était surmonté d'une espèce de boîtes carrées ; à première vue je les pris pour des turbans, mais je découvris bientôt qu'elles étaient extrêmement lourdes et massives, d'où je conclus qu'elles étaient destinées, par leur grand poids, à maintenir les têtes de ces animaux fermes et solides sur leurs épaules. Autour de leurs cous étaient attachés des colliers noirs (signes de servitude sans doute) semblables à ceux de nos chiens, seulement beaucoup plus larges et infiniment plus raides – de telle sorte qu'il était tout à fait impossible à ces pauvres victimes de mouvoir leurs têtes dans une direction quelconque sans mouvoir le corps en même temps ; ils étaient ainsi condamnés à la contemplation perpétuelle de leurs nez, – contemplation prodigieusement, sinon désespérément bornée et abrutissante.

» Quand le monstre eut presque atteint le rivage où nous étions, il projeta tout à coup un de ses yeux à une grande distance, et en fit sortir un terrible jet de feu, accompagné d'un épais nuage de fumée, et d'un fracas que je ne puis comparer qu'au tonnerre. Lorsque la fumée se fut dissipée, nous vîmes un de ces singuliers animaux-hommes debout près de la tête de l'énorme bête, une trompette à la main ; il la porta à sa bouche et en émit à notre adresse des accents retentissants, durs et désagréables que nous aurions pu prendre pour un langage articulé, s'ils n'étaient pas entièrement sortis du nez.

» Comme c'était évidemment à moi qu'il s'adressait, je fus fort embarrassé pour répondre, n'ayant pu comprendre un traître mot de ce qui avait été dit. Dans cet embarras, je me tournai du côté du crocheteur, qui s'évanouissait de peur près de moi, et je lui demandai son opinion sur l'espèce de monstre à qui nous avions affaire, sur ce qu'il voulait, et sur ces créatures qui fourmillaient sur son dos. À quoi le crocheteur répondit, aussi bien que le lui permettait sa frayeur, qu'il avait en effet entendu parler de ce monstre marin ; que c'était un cruel démon, aux entrailles de soufre, et au sang de feu, créé par de mauvais génies pour faire du mal à l'humanité ; que ces créatures qui fourmillaient sur son dos étaient une vermine, semblable à celle qui quelquefois tourmente les chats et les chiens, mais un peu plus grosse et plus sauvage ; que cette vermine avait son utilité, toute pernicieuse, il est vrai : la torture que causaient à la bête ses piqûres et ses morsures l'excitait à ce degré de fureur qui lui était nécessaire pour rugir et commettre le mal, et accomplir ainsi les desseins vindicatifs et cruels des mauvais génies.

» Ces explications me déterminèrent à prendre mes jambes à mon cou, et sans même regarder une fois derrière moi, je me mis à courir de toutes mes forces à travers les collines, tandis que le crocheteur se sauvait aussi vite dans une direction opposée, emportant avec lui mes ballots, dont il eut, sans doute, le plus grand soin : cependant je ne saurais rien assurer à ce sujet, car je ne me souviens pas de l'avoir jamais revu depuis.

» Quant à moi, je fus si chaudement poursuivi par un essaim des hommes-vermine (ils avaient gagné le rivage sur des barques) que je fus bientôt pris, et conduit pieds et poings liés, sur la bête, qui se remit immédiatement à nager au large.

» Je me repentis alors amèrement d'avoir fait la folie de quitter mon confortable logis pour exposer ma vie dans de pareilles aventures ; mais le regret étant inutile, je m'arrangeai de mon mieux de la situation, et travaillai à m'assurer les bonnes grâces de l'animal à la trompette, qui semblait exercer une certaine autorité sur ses compagnons. J'y réussis si bien, qu'au bout de quelques jours il me donna plusieurs témoignages de sa faveur, et en vint à prendre la peine de m'enseigner les éléments de ce qu'il y avait une certaine outrecuidance à appeler son langage. Je finis par pouvoir converser facilement avec lui et lui faire comprendre l'ardent désir que j'avais de voir le monde.

»  Washish squashish squeak, Sinbad, hey-diddle diddle, grunt unt grumble, hiss, fiss, whiss, me dit-il un jour après dîner – mais je vous demande mille pardons, j'oubliais que Votre Majesté n'est pas familiarisée avec le dialecte des Coqs-hennissants (ainsi s'appelaient les animaux-hommes ; leur langage, comme je le présume, formant le lien entre la langue des chevaux et celle des coqs.) Avec votre permission, je traduirai : Washish squashish et le reste. Cela veut dire : « Je suis heureux, mon cher Sinbad, de voir que vous êtes un excellent garçon ; nous sommes en ce moment en train de faire ce qu'on appelle le tour du globe ; et puisque vous êtes si désireux de voir le monde, je veux faire un effort, et vous transporter gratis sur le dos de la bête. »

Quand Lady Schéhérazade en fut à ce point de son récit, dit l'Isitsoornot, le roi se retourna de son côté gauche sur son côté droit, et dit :

« Il est en effet fort étonnant, ma chère reine, que vous ayez omis jusqu'ici ces dernières aventures de Sinbad. Savez-vous que je les trouve excessivement curieuses et intéressantes ? »

Sur quoi, la belle Schéhérazade continua son histoire en ces termes :

« Sinbad poursuit ainsi son récit : – Je remerciai l'homme-animal de sa bonté, et bientôt je me trouvai tout à fait chez moi sur la bête. Elle nageait avec une prodigieuse rapidité à travers l'Océan, dont la surface cependant, dans cette partie du monde, n'est pas du tout plate, mais ronde comme une grenade, de sorte que nous ne cessions, pour ainsi dire, de monter et de descendre. »

« Cela devait être fort singulier, » interrompit le roi.

« Et cependant rien n'est plus vrai, » répondit Schéhérazade.

« Il me reste quelques doutes, » répliqua le roi, « mais, je vous en prie, veuillez continuer votre histoire. »

« Volontiers » dit la reine. « La bête, poursuivit Sinbad, nageait donc, comme je l'ai dit, toujours montant et toujours descendant ; nous arrivâmes enfin à une île de plusieurs centaines de milles de circonférence, qui cependant avait été bâtie au milieu de la mer par une colonie de petits animaux semblables à des chenilles[3]. »

« Hum ! » fit le roi.

« En quittant cette île, » continua Schéhérazade (sans faire attention bien entendu à cette éjaculation inconvenante de son mari) nous arrivâmes bientôt à une autre où les forêts étaient de pierre massive, et si dure qu'elles mirent en pièces les haches les mieux trempées avec lesquelles nous essayâmes de les abattre[4].

« Hum ! » fit de nouveau le roi ; mais Schéhérazade passa outre, et continua à faire parler Sinbad.

« Au delà de cette île, nous atteignîmes une contrée où il y avait une caverne qui s'étendait à la distance de trente ou quarante milles dans les entrailles de la terre, et qui contenait des palais plus nombreux, plus spacieux et plus magnifiques que tous ceux de Damas ou de Bagdad. À la voûte de ces palais étaient suspendues des myriades de gemmes, semblables à des diamants, mais plus grosses que des hommes, et au milieu des rues formées de tours, de pyramides et de temples, coulaient d'immenses rivières aussi noires que l'ébène, et où pullulaient des poissons sans yeux.[5] »

« Hum ! » fit le roi.

« Nous parvînmes ensuite à une région où nous trouvâmes une autre montagne ; au bas de ses flancs coulaient des torrents de métal fondu, dont quelques-uns avaient douze milles de large et soixante milles de long[6] ; d'un abîme creusé au sommet sortait une si énorme quantité de cendres que le soleil en était entièrement éclipsé et qu'il régnait une obscurité plus profonde que la nuit la plus épaisse, si bien que même à une distance de cent cinquante milles de la montagne, il nous était impossible de distinguer l'objet le plus blanc, quelque rapproché qu'il fût de nos yeux[7].

« Hum ! » fit le roi.

« Après avoir quitté cette côte, nous rencontrâmes un pays où la nature des choses semblait renversée – nous y vîmes un grand lac, au fond duquel, à plus de cent pieds au-dessous de la surface de l'eau, poussait en plein feuillage une forêt de grands arbres florissants[8]. »

« Hoo ! » dit le roi.

« À quelque cent milles plus loin, nous entrâmes dans un climat où l'atmosphère était si dense que le fer ou l'acier pouvaient s'y soutenir absolument comme des plumes dans la nôtre[9]. »

« Balivernes ! » dit le roi.

« Suivant toujours la même direction, nous arrivâmes à la plus magnifique région du monde. Elle était arrosée des méandres d'une glorieuse rivière sur une étendue de plusieurs milliers de milles. Cette rivière était d'une profondeur indescriptible, et d'une transparence plus merveilleuse que celle de l'ambre. Elle avait de trois à six milles de large, et ses berges qui s'élevaient de chaque côté à une hauteur perpendiculaire de douze cents pieds étaient couronnées d'arbres toujours verdoyants et de fleurs perpétuelles au suave parfum qui faisaient de ces lieux un somptueux jardin ; mais cette terre plantureuse s'appelait le royaume de l'Horreur, et on ne pouvait y entrer sans y trouver la mort[10]. »

« Ouf ! » dit le roi.

« Nous quittâmes ce royaume en toute hâte, et quelques jours après, nous arrivâmes à d'autres bords, où nous fûmes fort étonnés de voir des myriades d'animaux monstrueux portant sur leurs têtes des cornes qui ressemblaient à des faux. Ces hideuses bêtes se creusent de vastes cavernes dans le sol en forme d'entonnoir, et en entourent l'entrée d'une ligne de rocs entassés l'un sur l'autre de telle sorte qu'ils ne peuvent manquer de tomber instantanément, quand d'autres animaux s'y aventurent ; ceux-ci se trouvent ainsi précipités dans le repaire du monstre, où leur sang est immédiatement sucé, après quoi leur carcasse est dédaigneusement lancée à une immense distance de la « caverne de la mort[11]. »