Derniers murmures avant la fin - Sarah Fouilloux - E-Book

Derniers murmures avant la fin E-Book

Sarah Fouilloux

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Beschreibung

Survivre, ou tout simplement, vivre. Quel que soit le temps qu’il reste.

Le monde est en train de mourir. Lentement, inexorablement, toute vie ralentit, s’éteint, disparaît. La fin ne tardera plus, maintenant…Et pourtant, dans ce monde à l’agonie, alors que la plupart attendent la mort, quelques survivants se battent encore. Parmi eux, Nima, si frêle, si menue, et pourtant, vivante et vibrante jusqu’au fond de son âme. Mais comment une jeune femme seule, même emplie d’un espoir magnifique, pourrait-elle faire une différence ? Isolée, elle ne peut rien, mais si quelqu’un acceptait de l’aider… Alors, peut-être, pourrait-elle changer les choses…C’est un mince espoir, si faible qu’il semble presque ridicule, face à l’écrasante inertie de la fin programmée de toute vie sur terre. Une lueur d’espoir bien fragile pour tenter d’illuminer à nouveau le monde. Mais Nima n’est pas prête d’abandonner la lutte, elle ne renoncera pas à son combat pour empêcher l’inévitable, à son espoir de survivre encore un peu.

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EXTRAIT :

Le monde est en train de mourir.
Le monde est en train de mourir, et il n’y a rien que nous puissions faire. Nous avons craint les guerres, les maladies, les ouragans et les tremblements de terre, mais nous avons survécu à tout cela.
Aujourd’hui, les guerres se sont achevées faute de combattants, les grandes épidémies d’antan se sont éteintes, les ouragans ont disparu, la terre ne tremble plus. Cela n’empêche pas le monde de mourir.
Le monde se meurt de vieillesse.

Il reposa son crayon, pensif. Qu’ajouter d’autre ? Tout était dans ces quelques mots tracés d’une main hésitante sur le papier jauni. Quelques lignes, quelques pensées, un souvenir fugace, témoignage inutile. Puisque le monde mourait, que pouvait-on dire de plus ?
Pourtant, il reprit son crayon, continuant à noircir la feuille.
Le monde se meurt, mais le monde ne s’achèvera ni dans les cris ni dans le sang : le monde finira dans un murmure à peine audible, dans un souffle minuscule et dérisoire. Qui aurait cru cela possible ? Qui aurait cru que l’homme, espèce toute-puissante, dominant le monde, puisse être si inexorablement broyé par la lente dégénérescence du monde lui-même ?
Personne, bien sûr. Personne n’a compris, lorsque la terre a commencé à dépérir, ce que cela signifiait, ni où cela mènerait les humains à peine quelques générations plus tard : au bord de l’extinction.
Aujourd’hui, c’est différent. Nous savons bien que nous ne pouvons survivre. Alors, nous attendons la fin, sans passion, sans nous battre contre le destin qui nous attend et contre lequel nous ne pouvons rien.

A PROPOS DE L’AUTEUR 
Docteur en chimie, Sarah Fouilloux a toujours eu la tête tourné vers l’Ailleurs. Lectrice insatiable, elle dévore les livres depuis son plus jeune âge. Science-fiction, fantasy ou romans d’aventure n’ont cessé de l’accompagner, et enrichissent aujourd’hui ses propres écrits. Derniers murmures avant la fin est son premier roman.

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Le monde est en train de mourir.

Le monde est en train de mourir, et il n’y a rien que nous puissions faire. Nous avons craint les guerres, les maladies, les ouragans et les tremblements de terre, mais nous avons survécu à tout cela. Aujourd’hui, les guerres se sont achevées faute de combattants, les grandes épidémies d’antan se sont éteintes, les ouragans ont disparu, la terre ne tremble plus. Cela n’empêche pas le monde de mourir.

Le monde se meurt de vieillesse.

Il reposa son crayon, pensif. Qu’ajouter d’autre ? Tout était dans ces quelques mots tracés d’une main hésitante sur le papier jauni. Quelques lignes, quelques pensées, un souvenir fugace, témoignage inutile. Puisque le monde mourait, que pouvait-on dire de plus ?

Pourtant, il reprit son crayon, continuant à noircir la feuille.

Le monde se meurt, mais le monde ne s’achèvera ni dans les cris ni dans le sang : le monde finira dans un murmure à peine audible, dans un souffle minuscule et dérisoire. Qui aurait cru cela possible ? Qui aurait cru que l’homme, espèce toute-puissante, dominant le monde, puisse être si inexorablement broyé par la lente dégénérescence du monde lui-même ?

Personne, bien sûr. Personne n’a compris, lorsque la terre a commencé à dépérir, ce que cela signifiait, ni où cela mènerait les humains à peine quelques générations plus tard : au bord de l’extinction.

Aujourd’hui, c’est différent. Nous savons bien que nous ne pouvons survivre. Alors, nous attendons la fin, sans passion, sans nous battre contre le destin qui nous attend et contre lequel nous ne pouvons rien.

Attendre. Telle était sa vie, telle était la vie qu’il avait toujours connue. Attendre la fin, car il n’y avait rien d’autre à faire. Attendre que tout s’arrête, que la dernière étincelle de vie qui animait encore ces quelques hommes accrochés au bord de la falaise s’éteigne elle aussi, comme le monde s’éteignait doucement.

Il haussa les épaules. Puisqu’il n’y avait rien à faire, autant continuer.

Il reste quelques enfants avec nous. Je les plains : eux resteront vraiment seuls. À moins qu’ils ne survivent pas à l’hiver qui approche, ce qui serait probablement encore le mieux pour eux. Dans ce monde stérile, vidé, désolé, mieux vaut sans doute ne pas trop s’accrocher à la vie.

– Bonjour ! Il y a quelqu’un ?

De saisissement, il laissa tomber son crayon. Qui venait le déranger dans la cachette qu’il s’était trouvée, à mi-hauteur de la falaise, dans cette anfractuosité rocheuse qui le protégeait à la fois du vent et de ses semblables ?

Il se retourna vivement vers le petit sentier menant à son abri, en direction de la voix claire qui s’était élevée dans l’air immobile.

Un bruit de pas sur les cailloux, un ou deux appels supplémentaires, et bientôt une jeune femme déboucha sur le petit promontoire qui surplombait la mer, dominant les vagues qui s’écrasaient dans une gerbe d’écume contre la paroi. Elle s’arrêta, face à l’océan, sans se tourner vers lui.

– C’est magnifique, murmura-t-elle d’une voix douce.

Elle resta un moment à regarder la mer, les vagues, l’écume sur les rochers, cette danse incessante, toujours nouvelle et toujours la même, ce ballet qu’il ne remarquait plus. Il s’asseyait là par habitude, et pour ne plus voir les autres villageois, et pour ne plus entendre leurs cris. Mais cela faisait longtemps qu’il n’avait plus regardé la mer comme le faisait cette jeune femme.

Son regard glissa vers le bleu de l’eau, si clair qu’on le distinguait à peine de la couleur du ciel, et que la ligne d’horizon disparaissait dans un dégradé subtil de teintes pastel. Les vagues dessinaient de fines lignes blanches striant cette immensité bleue, des ondulations fluides qui accrochaient un instant la lumière du soleil. Toute la surface scintillait de mille étincelles fugitives.

Il haussa les épaules et ramassa le crayon tombé au sol.

La mer était belle, avant. Aujourd’hui, elle est comme tout le reste : mourante.

Les gens avaient l’habitude de regarder la mer et de rêver à l’avenir, à une vie meilleure, à leurs désirs, à leurs espoirs. Aujourd’hui, plus personne ne regarde la mer. La mer n’apporte rien d’autre que la promesse de la fin, qui se rapproche chaque jour davantage. Et sa couleur n’y change rien.

La jeune femme se retourna tout à coup, un léger sourire sur le visage.

– C’est magnifique, n’est-ce pas ? Je comprends pourquoi vous vous installez ici.

Non, elle ne comprenait pas, mais il ne répondit pas. Il n’avait aucune envie de parler à cette jeune femme au visage presque poupin, aux joues rondes et roses, dont les longs cheveux flottaient dans la brise qui s’était levée. Elle n’avait rien à faire là.

Il reprit le cours de ses pensées.

Comme tout le monde, j’attends la fin, car il n’y a rien d’autre à faire. Certains se sont jetés de la falaise il y a longtemps, d’autres se sont sacrifiés pour que leurs enfants puissent manger, quelques-uns sont partis sur les routes à la recherche d’un endroit meilleur. Ceux qui restent attendent la fin, sans passion, sans colère, sans impatience. Elle viendra bientôt.

– Je m’appelle Nima, annonça la jeune femme en lui tendant la main.

Il ne la saisit pas. Il ne lui dit pas son nom. Quel bien cela pourrait-il faire ?

– Bonjour, je m’appelle Nima, et j’ai marché pendant plus de deux mois pour vous trouver.

Sa voix était soudain plus forte, insistante, et presque malgré lui, il leva les yeux. Marcher deux mois pour le trouver, lui ? Lui qui n’était personne, pas plus que les quelques dizaines de morts en sursis qui se traînaient encore à la surface de la terre ? C’était parfaitement ridicule.

Était-elle dérangée ? La fin du monde faisait dire de drôles de choses à certaines personnes. Il se souvenait d’un ancien qui s’était brusquement dévêtu pour danser nu dans le village en hurlant des insanités. Cela avait duré longtemps, chacun tentant d’éviter le bonhomme, les mères cachant leurs enfants et détournant le regard, jusqu’à ce que finalement un homme compatissant l’arrête d’un coup de poing en plein visage. Le vieux ne s’était jamais relevé.

– Je m’appelle Nima, et je vous cherche depuis des semaines.

– Qu’est-ce que tu veux ? grommela-t-il, la curiosité l’emportant finalement sur le vague dégoût que lui inspirait l’apparition, avec ses cheveux blonds et ses joues roses, avec ses yeux liquides et sa voix suppliante.

Le grognement qui était sorti de sa gorge n’avait rien d’encourageant, bien au contraire. D’ailleurs, sa voix enrouée par le manque d’exercice aurait eu du mal, quand bien même il l’aurait voulu, à être douce ou gentille. Pourtant, cette réaction sembla enchanter la jeune femme, qui s’exclama :

– Oui, tu as raison, tutoyons-nous, c’est beaucoup mieux !

Il haussa les épaules. Il n’avait aucune envie qu’elle le tutoie. Il n’avait aucune envie qu’elle lui parle. Ne pouvait-elle pas le laisser en paix ?

Mais non, elle enchaîna sans hésitation :

– Je cherche quelqu’un qui sait lire.

– Qui t’a dit que je savais lire ?

– Tu es en train d’écrire !

Ce n’était pas la réponse à sa question, mais il ne releva pas. Il n’avait aucune envie de discuter avec elle, il voulait juste qu’elle parte et qu’elle le laisse tranquille. Il n’avait besoin ni d’elle ni de son sourire.

Il réprima un frisson, serrant un peu plus son manteau contre lui, agrippant son crayon entre ses doigts crispés. Le soleil qui brillait dans le ciel ne le réchauffait guère, et le rocher contre lequel il s’appuyait restait désespérément froid.

Oui, c’est la fin du monde. C’est inéluctable, c’est déjà en train de se produire. Lorsque la dernière vie sur terre s’éteindra, ce ne sera que la confirmation inutile de ce que nous savons déjà, tous.

Tous, ou presque. Il releva les yeux vers la jeune femme qui le fixait d’un regard intense, dérangeant. Parce qu’il savait lire ? Quel bien cela pouvait-il faire, dans ce monde à l’agonie ?

– J’ai des livres, mais je ne sais pas lire. Est-ce que tu peux m’aider ?

Il haussa à nouveau les épaules, détourna le regard de ces grands yeux qui le dévoraient. Puis il laissa tomber :

– Non.

Lui aussi avait des livres. Dans la maison abandonnée où il avait trouvé ce crayon et quelques feuilles de papier jaunies par le temps, il avait également trouvé des livres. Il ne les avait pas lus. À quoi pouvaient-ils servir, ces vestiges d’un passé oublié ?

– S’il te plaît ?

Elle souriait toujours, mais ce n’était plus le sourire franc et joyeux qu’elle avait eu d’abord. Un tremblement presque imperceptible agitait sa lèvre inférieure. Elle semblait au bord des larmes. Parce qu’il ne voulait pas lire ses livres ?

– C’est important. Vraiment important. J’ai réellement marché pendant deux mois pour te trouver, tu sais. Deux mois seule sur la route, c’est long. Aide-moi, s’il te plaît.

Il baissa la tête. Il ne pouvait rien pour elle. Elle ne pouvait rien pour lui. Personne ne pouvait rien pour qui que ce soit.

C’était trop tard, tout simplement. Et c’était trop tard depuis cent ans.

Je ne sais pas depuis combien de temps je n’ai pas mangé. Quelques fruits… était-ce hier, ou le jour d’avant ? Mon dernier poisson doit bien dater d’une semaine. Une petite chose pathétique, rachitique, que j’ai pourtant fait durer deux jours, mâchant les écailles avec obstination.

Et de l’herbe. Comme tout le monde, je mâchonne des brins d’herbe pour tromper ma faim. Il n’y a plus rien d’autre à manger, et même l’herbe devient rare. Les quelques buissons qui ont réussi à survivre jusqu’à maintenant n’ont presque plus de feuilles, et lorsqu’ils arrivent à produire quelques baies, elles sont cueillies et dévorées bien avant d’avoir pu mûrir.

Je me fais l’effet d’un charognard, dépeçant la carcasse de la terre alors que son agonie n’est pas encore terminée. Comme un corbeau qui picore une bête déjà trop faible pour se défendre, pourtant encore consciente.

Des charognards, voilà ce que nous sommes devenus. Mais comme les corbeaux qui se font de plus en plus rares à mesure que le nombre de charognes diminue, nous disparaîtrons bientôt de la surface du globe.

Ce sera un soulagement pour tout le monde.

– Qu’est-ce que tu écris ?

Il tourna les yeux vers la jeune femme. Elle s’était assise près de lui, les yeux fixés sur la mer qui continuait sa danse régulière, absurde, sans début ni fin.

– Rien.

– Pourquoi l’écrire, si ce n’est rien ?

Il haussa les épaules. Pourquoi ? Il n’avait pas de réponse à cette question. Pourquoi pas ?

Il le faisait, voilà tout. Peut-être simplement pour passer le temps.

– Tu veux bien me lire un passage ?

– Va-t’en.

Elle ne réagit pas, les yeux toujours perdus dans l’étendue bleue. Elle ne répondit pas, et il observa son profil juvénile, sa peau douce. Quel âge pouvait-elle avoir ? Vingt ans, vingt-deux ? Guère plus, sans doute. Cela expliquait peut-être pourquoi elle était si différente de lui, si… énergique. Joviale. Optimiste.

Des mots qui ne s’appliquaient pas au monde qu’il connaissait.

Il se rendit compte soudain qu’il attendait sa réponse, cette réponse qui ne venait pas. Rageur, il reprit son crayon. Il ne voulait rien attendre d’elle, pas plus qu’elle ne devrait attendre quoi que ce soit de lui. Qu’elle s’en aille, c’était tout ce qu’il voulait.

C’est étonnant, comme l’on peut survivre longtemps sans rien manger. Qui aurait cru que quelques feuilles d’arbres, un ou deux fruits verts de temps en temps, un poisson minuscule à l’occasion, puisse suffire à ne pas mourir ?

À ne pas mourir.

Mais pas à vivre.

– Je peux te raconter une histoire ?

Il ferma un instant les yeux, soupirant sans bruit. Il avait passé l’âge des histoires. Il était trop vieux pour cela, mais pas encore assez vieux pour retomber en enfance. Il était adulte, tout simplement. Qu’avait-elle à s’accrocher à lui de la sorte ?

– C’est une belle histoire, tu vas voir. C’est l’histoire d’une petite fille dans un monde glacé.

Elle se trompait, le monde n’était pas glacé. Les gens parlaient des températures glaciales, mais en réalité l’eau ne gelait pas, sauf en hiver. Pourtant, même en plein soleil, on ne pouvait s’empêcher de frissonner, comme si une brise froide s’était levée, comme si une main glacée vous caressait un instant le dos. Mais ce n’était pas le vent, ce n’était pas un courant d’air. Ce n’était peut-être que le soleil qui ne chauffait pas autant qu’avant.

– C’est l’histoire d’une petite fille dans un village de pêcheurs.

Sa voix était différente maintenant, plus douce, un peu lointaine, comme elle se plongeait dans ses souvenirs. Malgré lui, il avait envie de l’écouter. Il ne bougea pas, ne dit rien. La laissa continuer.

– C’est l’histoire d’une petite fille qui était née dans un village de pêcheurs. Sa mère avait un petit potager dont elle arrivait à sortir quelques légumes de temps en temps, et son père partait en mer, avec les autres hommes du village, pour pêcher. Ils partaient plusieurs jours d’affilée, mais quand ils rentraient, ils avaient plusieurs poissons, et tout le village pouvait manger pendant quelques jours. Puis ils repartaient sur leur bateau, par-delà l’horizon, de plus en plus loin et de plus en plus longtemps, pour trouver les poissons qui se cachaient encore dans les profondeurs de la mer.

« Leur vie n’était pas facile, dans ce monde dur auquel il fallait arracher sa pitance. Mais ils vivaient. Les deux dizaines d’habitants du village se serraient les coudes, travaillaient ensemble, mettaient leurs forces et leurs ressources en commun, et survivaient ensemble.

« Jusqu’à ce que le bateau disparaisse. Un jour, comme d’habitude, le bateau partit en mer, par-delà l’horizon. Il ne revint pas.

« Il y avait six hommes à bord. On ne les revit jamais.

Elle se tut un moment. À quoi pensait-elle ? À son père ? À ses parents et amis, perdus en mer ? Ou à la faim qui avait dû s’installer à demeure, à ce vide dévorant qui vous tord les entrailles après les premiers jours de jeûne ?

Elle fixait l’horizon, le visage calme, les yeux tranquilles. Comme si elle attendait encore ce bateau parti en mer des années auparavant, et depuis longtemps enseveli sous les flots.

– Que devient un village de pêcheurs quand les pêcheurs ont disparu ? Lorsqu’il n’y a plus de bateau, plus de pêche, plus de poisson ?

« Rien. Il ne devient rien. Le village avait perdu le tiers de sa population, tous les hommes dans la force de l’âge. Il ne restait que les femmes, les enfants, les anciens. Il ne restait plus que les petits potagers des femmes, que la cueillette que les enfants pouvaient faire, que les pièges à lapins ou à oiseaux dispersés à travers la lande, pour nourrir le village.

« La vie ralentit. Tous travaillaient du matin au soir, d’arrache-pied, sans trêve ; tous dormaient d’un sommeil de plomb dès la nuit tombée, et tous sentaient la faim dans leur ventre.

« Certains partirent. Quelques anciens disparurent sur la route, expliquant qu’ils partaient chercher une vie meilleure à l’intérieur des terres. La petite fille ne comprit que plus tard la vraie raison de leur départ, elle ne réalisa que bien après le sacrifice qu’ils faisaient ainsi. Pour le village, pour les enfants, pour elle. Pour leur laisser le peu de nourriture qui restait encore.

« Elle les vit partir avec de l’envie dans les yeux. Elle aussi rêvait d’une vie meilleure, d’une vie moins dure, d’une vie avec son père. Mais elle ne partit pas, et elle resta avec sa mère et sa jeune sœur, parcourant la lande toute la journée, relevant les pièges trop souvent vides, cherchant quelques baies ou quelques fruits qui calmeraient pour un temps les crampes de son estomac.

« Pourtant, la vie continuait, lente et âpre, pénible mais constante. Et la petite fille grandit peu à peu. Pas beaucoup, bien sûr, à cause du manque de nourriture. À mesure qu’elle grandissait, une envie grandissait en elle. L’envie de voir le monde, l’envie de comprendre, l’envie de tout tenter pour sauver son village, sa mère, sa sœur. Elle voyait des gens mourir, trop affaiblis pour supporter le froid de l’hiver, emportés par les maladies, ou simplement trop découragés pour continuer la lutte. Elle voyait les survivants souffrir. Elle voyait les enfants trop affaiblis même pour pleurer, leurs mères qui pleuraient pour eux. Elle voyait sa mère qui renonçait peu à peu.

La jeune femme s’arrêta à nouveau. Pourquoi lui raconter cela ? Il n’y avait rien de neuf là-dedans. Ça aurait pu être sa propre histoire, songea-t-il. Le monde se meurt, et il emporte les hommes avec lui dans sa tombe.

Lui aussi avait vu des hommes mourir, des vieux se sacrifier, des enfants squelettiques s’endormir à jamais. Lui aussi aurait voulu changer les choses.

Mais il n’y avait rien à faire, bien sûr. Le monde se meurt, paix à son âme. Bientôt viendra le repos pour les pauvres êtres qui errent encore à la surface de la terre.

– Elle décida de changer les choses. Mais que pouvait-elle faire, quand toute sa vie consistait à trouver le moyen de survivre jusqu’au lendemain ?

Que pouvait faire qui que ce soit contre ce qui était en train de se passer ? Cela faisait des générations que les hommes survivaient tout juste. Ils s’étaient battus au début, mais cela n’avait rien changé. Aujourd’hui, tout mourait. Tout, et tous.

– Alors elle décida de partir, de quitter sa mère et sa sœur, son petit village sans pêcheurs. Elle partit sur la même route qu’avaient empruntée les anciens des années auparavant, en direction du village suivant, à la recherche d’elle ne savait quoi, à la poursuite d’un espoir fou.

« Elle marcha, des semaines durant, elle traversa tant de villages similaires, elle discuta avec tant de personnes identiques, découragées, abruties de travail, désespérées. Lasse de marcher, la faim lui nouant le ventre, fatiguée de ce monde gris, terne, fade, peut-être aurait-elle renoncé alors. Sa résolution faiblissait, son espoir s’amenuisait, ses jambes douloureuses lui criaient de s’arrêter, de s’assoir dans un coin, et, comme les autres, d’attendre la fin. Oui, peut-être aurait-elle renoncé, si elle n’avait pas rencontré Lorté.

Un homme, bien sûr. Il ne put retenir un ricanement. Une jeune fille idéaliste, un homme, c’était inévitable. Ils rêveront ensemble de changer le monde, mais tout ce qu’ils feront, c’est un ou deux enfants de plus, petites âmes perdues jetées de force sur une terre condamnée. Ce n’était pas un cadeau à leur faire. Mieux valait laisser les choses se faire simplement, en douceur, tranquillement.

– Cet homme aussi avait de l’espoir. Et non seulement il avait de l’espoir, mais il se battait déjà contre le mal qui engourdit le monde.

Il se battait ? Comment se battre contre le froid, contre la terre stérile sur laquelle les plantes ne poussent plus, contre les animaux qui disparaissent ? Quel pouvoir magique pourrait faire revenir la vie là où tout se meurt ?

– C’était un érudit. Il savait lire, il savait écrire, et il étudiait les textes d’antan. Il cherchait dans ces livres, dans tout le savoir accumulé au cours des siècles, le remède aux événements d’aujourd’hui.

Il ricana à nouveau, plus fort cette fois-ci. Tout le savoir contenu dans ces livres n’avait pas empêché les générations précédentes de mourir de froid, de faim, de crever comme des chiens sur la terre morte. Quel idiot pouvait croire qu’il trouverait son salut dans ces livres inutiles ?

D’un mouvement brusque, la jeune femme se retourna vers lui. Ses yeux étaient à nouveau intenses, inquisiteurs, presque froids. Son sourire avait disparu, remplacé par un pli dur.

– Cela te fait rire ? Que quelqu’un puisse garder l’espoir ? Que tous ne soient pas comme toi, assis à attendre la mort ?

Il haussa les épaules. Il se fichait pas mal de l’avoir heurtée, blessée peut-être. Puisqu’elle avait trouvé un homme qui partageait, semblait-il, sa vision de la vie, pourquoi ne restait-elle pas près de lui ? Qu’ils sauvent le monde ensemble, s’ils le voulaient, et qu’ils le laissent tranquille.

Un nouveau frisson le parcourut, et il cacha ses mains sous son manteau, contre son corps. Cela, bien sûr, ne suffit pas à le réchauffer. Comme la terre elle-même, il était gelé de l’intérieur, froid et immobile.

– C’était un homme bien. Un homme qui se battait, qui faisait tout ce qu’il pouvait pour aider. Et il en est mort.

Apparemment, certains espèrent encore. Certains croient que la fin peut être évitée. Ils se trompent, bien sûr. Tout le prouve.

Comment peuvent-ils garder un espoir, quand il suffit de regarder autour de soi pour constater, pour voir la mort déjà à l’œuvre ? Pour voir que ce n’est plus qu’une question de temps… Pour voir que ce sera bientôt terminé.

Malgré tout, certains gardent un espoir. Comment ?

La jeune femme s’était tue. Depuis combien de temps ? Il n’en avait aucune idée. Il attendait, comme toujours.

Elle avait reporté son regard sur la mer, sur l’eau toujours aussi calme, étale, infinie et immuable. On n’entendait plus que le bruit régulier des vagues s’écrasant contre les rochers, quelques mètres sous leurs pieds, les unes après les autres, régulières.

Pourtant, pour la première fois, le silence lui parut pesant. C’était le même silence qui l’avait accompagné toute sa vie durant, le silence de l’attente, la promesse de la fin prochaine. C’était le même silence, mais il prenait soudain une dimension différente, plus lourde, accablante.

Pour la première fois, au lieu de rechercher le silence, il le rompit.

– Comment est-il mort ?

Le silence continua, enveloppant toute chose, pesant sur les êtres qui cassaient encore la monotonie de la lande désertique. La jeune femme ne répondait pas, perdue dans ses pensées, absente.

– Comment est-il mort ? répéta-t-il, plus fort cette fois.

Puisqu’elle avait marché des jours pour le trouver, puisqu’elle voulait lui raconter son histoire, qu’elle le fasse. Mais qu’elle aille jusqu’au bout, alors.

– Dévoré par les cannibales, laissa-t-elle tomber d’une voix brève, sans le regarder.

– Quels cannibales ?

– Tu n’es vraiment jamais sorti de ton village, n’est-ce pas ?

Il ne répondit pas. C’était vrai, bien sûr : quel intérêt aurait-il eu à voyager ? Pour trouver, partout ailleurs, la même désolation que chez lui ?

Non, il n’avait jamais quitté son village. Cela faisait même bien longtemps qu’il ne s’aventurait plus sur la lande. On n’y trouvait plus de nourriture, de toute façon.

Il restait sur sa falaise, une ligne plongeant dans l’eau, et il ramassait de temps en temps un petit poisson. Rarement. Cela n’avait rien d’étonnant, puisque l’extrémité de la ligne ne portait comme seul appât qu’un petit morceau de papier argenté. Les poissons n’étaient déjà pas nombreux, les poissons assez stupides pour s’y laisser prendre l’étaient encore moins.

Rarement, il mangeait du poisson. Le reste du temps, il patientait en mâchant les herbes et les feuilles des quelques buissons tordus qui s’accrochaient encore à la vie sur la falaise.

– Il y a des bandes de bandits qui vivent à l’intérieur des terres. Ils attaquent les voyageurs, les tuent et les mangent. C’est ainsi qu’ils survivent.

Il aurait dû être choqué, sans doute. Pourtant, il avait du mal à se révolter contre cette pratique. Après tout, chacun survivait comme il le pouvait : quelle surprise que quelques-uns aient décidé de chasser les rares animaux qui n’avaient pas encore complètement disparu ? Les hommes faisaient de la viande comme une autre, certainement.

Non, il n’était pas étonné que certains aient choisi de vivre ainsi. Par contre, ce qu’il ne comprenait pas, c’était pourquoi d’autres choisissaient de parcourir le monde. Que cherchaient-ils que leur village ne pouvait leur offrir ? Ou plutôt, qu’espéraient-ils que le monde puisse encore leur offrir ?

– Pourquoi voyager ? demanda-t-il finalement, quand il devint évident que la jeune femme n’allait pas continuer.

– C’était un érudit, je te l’ai dit. Il parcourait les villes à la recherche de bibliothèques, cherchant dans les livres les solutions pour sauver le monde.

– Une seule bibliothèque ne suffisait pas ?

– Non. Toutes les bibliothèques ne contiennent pas tous les livres, et nous voyagions de ville en ville, de livre en livre, poussés par nos découvertes. Étape par étape, nous découvrions les savoirs anciens, les sciences oubliées, les connaissances du passé.

– Et il ne t’a pas appris à lire ?

– Il avait commencé, bien sûr. Mais il est parti trop tôt. J’ai essayé de lire les livres qu’il m’a laissés, mais je n’y arrive pas. Je déchiffre, j’ânonne, et je ne parviens pas à comprendre ce que je lis.

– Que s’est-il passé ?

Elle sembla hésiter. Ne voulait-elle plus lui raconter son histoire ? Ou cherchait-elle simplement les mots pour relater des événements douloureux ?

Il respecta son silence, attendant qu’elle se décide.

– Nous avions trouvé des éléments intéressants lors de notre dernière étape dans une bibliothèque. Dans un livre, il y avait une référence à un homme qui savait parler aux dieux. Un homme qui disait avoir trouvé le moyen de faire revenir les morts à la vie.

Les dieux ? Qui croyait encore à ces êtres soi-disant supérieurs, aujourd’hui ? Visiblement, aucun dieu ne cherchait à sauver le monde. Aucun dieu n’avait aidé ses fidèles lorsque les hommes avaient commencé à dépérir, à mourir, lorsqu’ils avaient prié et supplié. Les dieux. Belle solution, vraiment, à tous leurs problèmes.

– Nous avons voyagé jusqu’à une autre ville pour trouver, dans sa bibliothèque, le journal de cet homme. Lorté a trouvé trois livres intéressants, nous les avons pris, puis nous avons quitté la ville. C’est sur le chemin du retour que nous avons été attaqués.

– Pourquoi ne pas rester dans la ville ?

– Il n’y a rien à manger en ville. Ce ne sont que des constructions, à perte de vue, sans nourriture, sans plantes, sans animaux. Nous ne pouvions pas rester dans les villes où nous trouvions les livres. C’est aussi pour cela que notre quête était si lente, si laborieuse. Il nous fallait trouver les livres, les emporter au village, les lire. Puis recommencer, encore et encore, jusqu’à trouver une information utile. Jusqu’à trouver le moyen de sauver le monde.

Elle s’arrêta à nouveau, contemplant la mer. Puis elle se décida tout à coup, se tourna vers lui, et termina rapidement :

– Sur le trajet, nous avons été attaqués. Ils étaient trois, nous étions deux ; ils avaient des armes, pas nous. Nous n’avions même pas de nourriture que nous aurions pu leur offrir pour tenter d’acheter notre passage. Nous n’avions aucune chance.

« Lorté a essayé de me défendre. C’était moi qu’ils visaient, bien sûr : plus petite, plus faible, plus facile à tuer et à emporter. Mais c’est Lorté qui a pris en pleine tête la pierre qu’ils avaient lancée en ma direction à l’aide d’une fronde. Il s’est interposé pour me sauver, et il est tombé à mes pieds, le visage fracassé. Mort.

« J’ai attrapé le sac et j’ai couru. Ils ne m’ont même pas pourchassée. Ils m’ont laissé partir, ils ont emporté Lorté et l’ont mangé.

« Je suis rentrée seule au village, seule avec ces livres que je ne peux pas lire. Personne, au village, ne sait lire. Alors, dès que je l’ai pu, je suis repartie, à la recherche de quelqu’un qui saurait lire. De quelqu’un qui pourrait m’aider.

Elle finit dans un souffle presque inaudible, et il ne se rendit qu’ensuite qu’il retenait sa respiration, suspendu à son récit. Il entendait dans sa voix les larmes qui ne coulaient pas sur son visage, il comprenait dans tout ce qu’elle ne disait pas les épreuves qu’elle avait traversées. La perte. La culpabilité. La douleur. Et malgré tout, l’espoir.

Oui, il savait lire. Mais qu’espérait-elle ?

– Cela ne le fera pas revenir, Nima, prononça-t-il d’une voix aussi douce que possible.

– Je sais. Mais je dois le faire. C’est ce qu’il aurait voulu. C’est ce qu’il voulait. Trouver la solution, le remède, sauver le monde. C’était tout ce qu’il voulait.

Sauver le monde. Certains croient encore que ce serait possible. C’est faux, naturellement.

Il s’étonnait lui-même : il envisageait réellement d’aider la jeune femme. Pourquoi ? À cause de cette histoire pathétique de cannibales ? À cause de cette détresse qu’il avait lue dans ses yeux ? Ou simplement pour occuper un peu ses journées ?

Il ne le savait pas. Couché dans son lit, il se tournait et se retournait, frissonnant malgré les couvertures, sans trouver le sommeil. Alors que d’habitude, il attendait patiemment que le sommeil descende finalement sur lui, ce soir les pensées tourbillonnaient dans sa tête, voletant comme des feuilles mortes prises dans une bourrasque, sans ordre ni raison. Les cannibales, les livres, deux yeux trop grands dans un visage poupin…

Où était-elle ? Sans doute dans une autre des maisons du village. Peut-être celle du bout de la rue dans laquelle s’entassaient trois familles, tous dormant dans la même pièce pour se tenir chaud ? Ou avait-elle préféré une maison vide, un endroit plus froid certainement, mais calme et tranquille ?

Il l’ignorait. Il l’avait quittée à la tombée du soir, sans l’inviter à le rejoindre dans la maison qu’il s’était choisie, sans lui proposer de nourriture. Il n’en avait pas, de toute façon. Peut-être les autres villageois avaient-ils pu lui donner quelque chose. Peut-être dormait-elle le ventre vide. Quelle importance ?

Sauver le monde. C’est impossible. Rien ne peut changer ce qui est.

Mais peut-être est-il plus facile de faire semblant ?

Quelle ait mangé ou non… aucune importance, bien sûr. Qu’elle trouve quelqu’un pour l’aider, ou qu’elle ne trouve personne… cela ne changerait rien. Rien à rien.

Ce n’était pas dans les livres que se trouvait la solution. La solution n’était nulle part, car elle n’existait pas, tout simplement.

Alors, à quoi bon ?

A quoi bon. Et pourtant, voilà qu’il luttait pour trouver le sommeil, s’agaçant dans ses draps froids, rageant contre les pensées qui tournaient en rond dans sa tête.

L’espoir a disparu il y a longtemps. Bien avant que je vienne au monde. Il n’y a plus rien à espérer, maintenant.

Mais… même quand tout est perdu, peut-être est-il plus facile de vivre avec le souvenir de l’espoir ?

Il rejeta ses couvertures d’un mouvement brusque. Pestant contre lui-même, il se leva, s’enroula dans son manteau, sortit de sa maison. Il marcha jusqu’à la maison commune où vivait la plupart des villageois et entra sans frapper.

Debout, dominant les corps allongés sur les matelas posés à même le sol, cachés sous les couvertures qui formaient un patchwork morne de bruns et de gris, il chercha du regard la jeune femme. Nima. Nima et ses cheveux blonds, ses joues roses, son regard tour à tour plein d’espoir et si triste, sa voix douce et profonde.

Quel idiot. Il savait qu’il s’apprêtait à faire une bêtise. Il savait qu’il allait s’attirer des ennuis. Et il savait qu’il ne lui rendait pas non plus service en entretenant ses espoirs vains. Mais il savait aussi qu’il ne parviendrait pas à retrouver le sommeil tant qu’il n’aurait pas fait ce à quoi il s’était finalement résolu.

Elle était là. Il marcha jusqu’à elle, enjambant les corps entrecroisés, et la réveilla d’une main posée sur son épaule.