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"Bienvenue sur l'île de Sane! Les cités où il fait bon vivre et où la liberté de chacun est assurée." Ça, c'était avant. Avant que la dictature ne s'empare de nos pauvres villes et n'en fasse plus que des cités sous l'ombre de Dictatoria, la déesse de la dictature, de l'oppression et de l'injustice. Aujourd'hui, une partie de la population est asservie par le dictateurs, ces hommes pensant que le monde doit leur appartenir et que les autres doivent obéir. Moi je ne vis que pour une chose: les exterminer, avant qu'ils ne fassent trop de mal au sein d'une de nos cités et ne nous dépouillent encore de nos libertés. Mais au cours d'une mission, rien ne se passe comme prévu. Je m'appelle Déçae et je suis désormais prisonnière au coeur de la pire des villes existant sur notre île: Dictat. J'ignore encore comment je vais m'en sortir, mais je sais une chose, je n'aurais pas le droit à l'erreur.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Julianne Viricel réside dans la Loire, près de Montbrison, Jeune auteure d'un quart de siècle elle s'est passionnée pour l'écriture à douze ans, quand, sur un coup de tête, elle a essayé d'écrire sa première nouvelle. Depuis, cette passion ne l'a plus quittée. Si dans sa profession, elle préfère le médical, la qualité et la rigueur, dans la vie, elle est une jeune femme plutôt désorganisée, aimant rire et profiter avec ses proches et ses amis. La lecture représente son autre passion, principalement le genre de l'imaginaire. Elle pourrait dévorer plusieurs romans par semaine.
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Veröffentlichungsjahr: 2024
© 2023, Éditions Imaginary Edge
© 2019,
Image de Couverture : MiblArtCorrection : Sophie EloyMaquette intérieure :Scarlett Ecoffet
« Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction, intégrale ou partielle réservés pour tous pays. Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. »
Loi 49-956 du 16 Juillet 1949
Cette œuvre est une œuvre de fiction. Les noms propres, les personnages, les lieux, les intrigues, sont soit le fruit de l’imagination de l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, des entreprises, des évènements ou des lieux, serait une pour coïncidence.
IMAGINARY EDGE ÉDITIONS, une marque commerciale de Sudarènes Éditions. - 19 rue des Cigalons, 83400, Hyères. France
www.imaginary-edge.com
Dépôt Légal : Mars 2023
ISBN :978-2-493845-40-5
Elin, je te dédie ce roman. Sans toi, Dictatoria n’aurait jamais vu le jour.
Papi, je pense à toi, là-haut, dans le ciel, lorsque les étoiles brillent. Je sais que si tu étais encore là, tu m’aurais encouragée à me surpasser. Ce roman est aussi pour toi. Je t’aime.
-Salopard… sifflé-je entre mes dents, devant la vision d’un homme en costume cravate noir hors de prix, dont j’aperçois avec netteté le visage bouffi par les rides et la graisse.
L’aura d’un noir profond qui flotte autour de son corps et qui se diffuse sur la foule en face de lui me débecte. J’ai hâte de pouvoir l’effacer pour toujours. Je réajuste comme je peux le viseur de mon arme à travers la fenêtre entrouverte, fermant l’œil droit pour une meilleure précision. Je la cale au mieux contre le rebord en béton blanc couvert de poussière noire, pour qu’elle ne glisse pas au moment fatidique. Un genou à terre, mes mains gantées crispées autour du manche et le doigt près de la gâchette, j’attends que mon heure soit venue, que je puisse accomplir ma mission.
Comme à chaque fois, je ressens une petite pique de douleur au fond de mon cœur, de peur de louper ma cible et de me faire repérer. Ça ne m’est encore jamais arrivé, mais une erreur est toujours possible. Se tromper est humain, même pour quelqu’un comme moi, qui ne le suis plus tout à fait.
J’inspire à fond pour calmer les battements frénétiques de mon palpitant, puis me redresse pour trouver une position plus confortable. Le béton abîmé s’imprime sur la peau de mon genou, à travers ma combinaison noire en Seynor. Ce tissu est ultrarésistant à toute forme d’agression extérieure, balle, feu… et il me colle au corps comme un second épiderme. Il me recouvre tous les membres jusqu’au cou, protégeant mon organisme d’une agression extérieure. Seul l’arrière de ma tête surmontée d’une queue-de-cheval châtain est dévoilé, ainsi que mes yeux vert d’eau. Mon visage est dissimulé derrière un masque noir, de la même matière protectrice.
De la sueur coule le long de mon front pour atterrir sur mon menton, aussitôt absorbée par les fibres resserrées de mon vêtement. Je déglutis péniblement, faisant craquer mes doigts pour qu’ils ne me lâchent pas. Oui, je suis une tireuse d’élite, un assassin, mais ça ne m’empêche pas d’avoir la trouille, surtout quand autant de vies sont en jeu et une cité au complet. La troisième ville de Sane, Nora, compte sur moi pour les libérer du fardeau qui va les condamner à l’esclavagisme, à l’oppression et à la terreur permanente.
Le battant métallique de la fenêtre claque contre le mur blanc maculé de taches brunes et noires suspectes près de moi, bien que je l’aie solidement attaché pour qu’il ne me revienne pas dans la figure en cas de violent coup de vent. Celui-ci souffle fort aujourd’hui, mais ça ne me causera aucun problème. J’ai vécu bien pire comme conditions.
En face de moi, à quelques centaines de mètres de ma position en contrebas, sur l’immense place centrale de la cité entourée au nord d’un magnifique parc, un attroupement attend un homme que j’exècre pour ses positions, ses idées et ses ambitions monstrueuses. L’énergie noire qu’il dégage risque de conduire la cité de Nora à sa perte.
L’adrénaline parcourt soudain mes veines comme un flux électrique, me poussant à appuyer sans réfléchir sur cette gâchette et à mettre fin à ses jours. Je la contiens aussitôt, ayant l’habitude de lutter chaque jour contre cette impétuosité qui me caractérise.
Je plisse les yeux à travers le viseur et tourne la molette en métal sur le côté de mon arme, pour ajuster la précision de la caméra intégrée. Je le vois remettre sa cravate blanche en place, plaquer un sourire de façade sur ses lèvres sèches, puis avancer en agitant la main, comme s’il en avait quelque chose à faire des pauvres personnes en face de lui. Elles ne représentent rien de plus qu’un peuple à opprimer, à réduire en esclavage malgré des apparences de démocratie maintenue. Personne n’est dupe quant à ses intentions.
Les habitants de Nora n’ont tout simplement pas eu d’autre choix que celui de se réunir, sous la contrainte des fusils pointés sur leurs tempes et l’aura malveillante qui les pousse malgré eux à acclamer un monstre qui leur ôtera ce qui fait d’eux des êtres humains libres. C’est ainsi que fonctionnent tous ces politiques, et ce, depuis la nuit des temps. Malgré les revers subis par l’espèce humaine il y a maintenant des années, ce fait-là n’a malheureusement pas changé. Ils leur font miroiter une vie meilleure, et en oublient volontairement les libertés fondamentales, en les détruisant de l’intérieur.
Mais je suis là pour empêcher un tel massacre d’arriver. Ce sera toujours le cas, comme une ombre planant au-dessus de leurs têtes.
Je ferme les yeux une seconde seulement, afin de ne pas louper ma fenêtre de tir. Puis, une fois dans ma bulle, le cœur vidé de tout sentiment, je me penche plus en avant pour me concentrer et viser au plus juste. Je n’aurai droit qu’à une possibilité. À moi de ne pas la louper. Je n’ai pas droit à l’erreur, sinon, elle me sera fatale.
L’estrade en bois construite exprès pour l’occasion doit grincer sous les pas de ce corps charnu, de ce ventre proéminent, coincé dans une masse de tissus qui le boudine au point que les boutons semblent sur le point de péter. Je retiens l’éclat de rire qui me chatouille la gorge à cette pensée et me replonge dans cette sérénité, ce vide total qui m’envahit avant chaque assassinat.
Maintenant fermement la crosse de mon arme, je vise la poitrine de ce monstre. De là où je suis, personne ne saura qui a tiré et surtout, on ne pourra pas me retrouver. Je ne laisse jamais de trace de mon passage. Je m’en assure à chaque fois. Beaucoup d’agents gouvernementaux s’en sont tiré les cheveux et sont devenus fous de ne pas comprendre comment quelqu’un s’y prenait pour commettre un assassinat tel un fantôme.
Trente secondes passent, pendant lesquelles l’homme avance lentement, maîtrisant chacun de ses pas, le regard pétillant d’ironie et de cruauté. Il se plante devant un pupitre blanc étincelant, équipé d’un micro dernier cri et orné de l’emblème de Nora, un cercle percé d’une flèche ailée.
Autour de lui, cinq gardes musclés à la carrure athlétique et vêtus de costumes noirs l’entourent, prêts à veiller à sa sécurité. Équipés d’armes de poings et de lunettes de soleil pour couvrir leurs visages, ils sont parés à toute éventualité. Un champ de protection électrostatique à haut potentiel a été déployé autour du petit groupe, afin de les préserver d’une attaque aérienne ou d’un coup de feu tiré depuis une certaine distance. Cette protection représente la défense favorite de ces ordures. Or, je sais parfaitement comment la contrer. Les balles chargées dans mon arme sont spéciales et ont été conçues dans un laboratoire secret, spécifiquement pour percer un trou infime dans cette bulle invisible. Une fois dans le corps de la victime et après avoir causé de nombreux dégâts et entraîné la mort, la balle se désintègre dans une minuscule explosion, pour ne laisser que de la poussière scintillante impossible à analyser, car toxique pour l’être humain.
Lorsque je suis certaine que rien ne viendra entraver le destin déjà scellé de ce salaud, j’appuie sur la gâchette avec une certaine satisfaction. J’aime sentir le levier s’enfoncer sous mon doigt, entendre le cliquetis de mon arme, qui tire le projectile dans un silence absolu.
Je ne subis aucun recul et ma balle fuse à toute vitesse pour se nicher dans le cœur de ce salopard. Tout cela en quelques secondes. Il s’écroule raide mort, des giclées de sang maculant les murs blancs et le bois derrière lui, ainsi que les habitants au premier rang. La panique s’empare d’eux, les forçant à se disperser à travers les rues désertées, une fois libérés de l’emprise du dictateur. Une mare de sang se répand petit à petit sous le corps imposant, pendant que les gardes s’agitent et hurlent, gesticulent pour tenter de trouver d’où vient le tir. Ils ne le devineront jamais.
Personne ne saura jamais qui a tué cet homme, mais ils auront bien conscience du pourquoi. Les hommes du Silence, les nettoyeurs de Démos, se chargeront d’éliminer les derniers soutiens de ce dictateur. Nora sera enfin libérée, jusqu’à ce qu’un autre veuille prendre la place. Mais nous serons là pour veiller et nous assurer que la démocratie s’installe de nouveau au sein de la troisième cité. C’est notre routine, notre mission sacrée.
Je récupère mes affaires en vitesse, prends l’effaceur de trace, aussi appelé Dys, dans mon sac, et m’assure qu’il fait tout disparaître après mon passage. L’empreinte de mes semelles dans la poussière s’efface comme par magie sous la lumière du rayon blanc, me faisant esquisser un sourire ravi. Je dévale les escaliers de l’immeuble en ruine, prenant garde à ne pas me tordre une cheville sur les marches biscornues et tordues, à moitié écroulées pour certaines. Mes pas saccadés ne font aucun bruit quand mes chaussures touchent le sol.
Lorsque je débouche dans l’immense hall, les rayons du soleil traversent les baies vitrées à moitié explosées et se déversent sur le marbre fissuré. Je plisse les paupières, aveuglée quelques secondes, jusqu’à ce que mes lentilles technologiques se teintent en noir pour filtrer la lumière. Des données thermiques et des calculs s’y enclenchent en même temps, m’indiquant qu’il n’y a personne à plusieurs kilomètres à la ronde. Connectées à mon interface, elles me communiquent des données en temps réel.
Quand je suis certaine que rien ne viendra empêcher ma fuite, je rejoins l’entrée, appuie sur le petit écran au creux de mon poignet, m’enveloppant d’un voile blanc lumineux, puis je disparais dans les rues adjacentes.
Je ralentis la cadence quand je suis suffisamment loin de la place centrale, où des hurlements retentissent toujours. J’entends des coups de feu, certainement tirés contre les Hommes du Silence. Les nettoyeurs de Démos sont d’une discrétion phénoménale, ce qui explique leurs noms. Ils ne font pas un bruit quand ils passent derrière nous pour faire oublier à tout le monde la scène qui vient de se dérouler. Ils sont nécessaires pour assurer la protection de Démos. Si les gens savaient qu’une organisation d’assassins vit parmi eux, ce serait la panique.
Lorsque je tourne la tête en direction d’une vitre à moitié cassée, j’aperçois mon visage modifié par la Puce Modificatrice d’Apparence, ou APM, pour faire plus court. Mes yeux émeraude sont désormais de la couleur de l’océan, mes traits fins se sont arrondis, mes cheveux sont passés du châtain clair au noir profond. Ma combinaison en Seynor a disparu pour laisser place à une tenue plus classique, un jean noir, un pull rouge et une veste en cuir. L’APM stimule les molécules responsables de l’apparence pour les changer temporairement, et entoure le porteur d’un nuage de particules qui dématérialise les vêtements pour en faire apparaître de nouveau. C’est un processus de haute technologie très utile, quand la discrétion est de mise et je m’en sers très souvent.
Ce changement me fait toujours bizarre, mais je n’ai pas le choix. Je ne peux pas être Déçae en dehors du complexe. C’est impossible, si je veux protéger mon identité et surtout ma vie. Personne ne connaît mon véritable nom en dehors de Démos.
En cas de trahison, les mémoires de toutes les personnes informées, même d’un minuscule détail, sur Démos, seront immédiatement effacées. Personne n’est coincé au sein de l’Organisation pour le restant de ses jours. Ce n’est pas parce qu’on y entre à un certain moment, qu’on ne peut pas en ressortir. Il suffit de passer par l’Effaceur de mémoire et le tour est joué. Vous pouvez reprendre une existence classique d’être humain, sans être en mesure de divulguer des informations top secrètes sur Démos.
Bien évidemment, rien n’est tout beau, tout rose, et l’Organisation n’est pas parfaite, tant s’en faut. L’Homme ne l’est pas, donc c’est impossible que tout fonctionne sans accrocs. Mais nous sommes là pour que tout roule au mieux pour l’île de Sane. C’est notre but.
Les morceaux de verre brisé craquent sous la semelle de mes baskets noires. Les rues, désertées par les habitants peu nombreux, sont silencieuses. Les immeubles encore debout ne sont pas loin de s’écrouler, ne laissant derrière eux qu’un tas de gravats. Le peuple de Nora a préféré se réfugier plus au centre, dans de petites habitations moins dangereuses que ces immenses tours de verre menaçantes de l’ancienne cité, risquant de s’effondrer à tout moment.
Les mains dans les poches, je me dépêche de rejoindre l’endroit qui me permettra de rentrer chez moi. Le sang pulse dans mes veines, alors que je marche de plus en plus rapidement. J’ai l’impression d’être suivie, qu’un regard est braqué sur ma nuque. Je fais comme si de rien n’était et continue à avancer. Peut-être est-ce juste un habitant perdu, mais j’ai du mal à l’envisager, vu le silence qui règne autour de moi.
J’accélère légèrement l’allure, analysant l’environnement aux alentours. Il me reste encore plusieurs centaines de mètres à parcourir jusqu’à la Trans1, d’où je pourrai enfin rejoindre le complexe. Une fois que je serai dans l’étroit tube, je saurai que je suis en sécurité, car la personne qui marche dans mes pas ne pourra pas m’y suivre grâce aux barrières de protection qui l’entourent.
Les tours de verre renvoient les rayons dorés du soleil sur le bitume couvert de feuilles mortes, de débris de voitures, de toiles froissées, et de morceaux de plastique. Je les enjambe avec facilité et souplesse, prenant un malin plaisir à semer mon poursuivant. Même s’il ne peut pas m’accompagner dans la Trans, je ne veux pas qu’il en découvre la cachette. S’il s’agit d’un des sbires du monstre que j’ai abattu ou de ses complices, encore moins.
Discrètement, je jette un rapide coup d’œil par-dessus mon épaule. J’aperçois une silhouette dissimulée dans l’ombre d’un arbre au tronc et feuillage épais, dont les racines se sont dispersées un peu partout et craquèlent le goudron. De là où je me trouve, je ne vois qu’une crinière noire et des prunelles d’un bleu turquoise perçant.
Je ne m’attarde pas plus longtemps, mais ne me mets pas à courir pour autant. Seules les proies paniquent et s’enfuient à toutes jambes. Je n’en suis pas une, loin de là. J’ai largement de quoi faire regretter à cet idiot de m’avoir suivie, même si le code de déontologie de Démos me l’interdit. En vérité, j’ai le droit de me défendre, mais pas de tuer un innocent.
OK… OK… on pourrait m’affirmer que fliquer les gens, c’est contraire à l’éthique, aux libertés essentielles de notre espèce… Mais il y a dix-sept ans, notre monde était dans un si piteux état par notre faute, que la Nature s’est révoltée et n’a laissé derrière elle qu’un atroce bain de sang et des cadavres à ne plus savoir quoi en faire. Alors, pour ne pas tout perdre et comprenant qu’il fallait agir, Démos a été créé dans le but de protéger l’Humain de lui-même. C’est une certaine forme de dictature, on peut le voir ainsi. Le comble, non, pour une organisation secrète censée lutter contre les dictateurs… Mais il fallait agir avant de vraiment tout perdre. Démos ne prétend pas avoir la science infuse et détenir le pouvoir. Elle a décidé de sacrifier certaines libertés pour pouvoir en chérir d’autres. L’éthique, à ce niveau-là, en fait partie. Pour survivre, nous n’avons pas eu d’autres choix.
J’entends le cliquetis de l’arme bien avant que la balle ne fuse dans ma direction. Je roule en avant pour l’éviter, puis me relève et me tourne en direction du fauteur de trouble. À cause de lui, je vais arriver en retard à mon rendez-vous avec Went et mon coéquipier va me le faire payer.
— Qui est là ? demandé-je en prenant une petite voix et en influençant le ton pour ne pas paraître trop agressive.
Je suis censée être une jeune femme tout ce qu’il y a de plus ordinaire, même si ce n’est qu’une couverture de précaution, normalement. Je ne m’attendais pas à être suivie jusqu’ici, dans cet endroit parfaitement désert. La Nature a repris ses droits partout sur notre île, sauf dans certaines parties, où l’Homme l’a détruite trop profondément pour qu’elle se régénère. Ce quartier de Nora en fait partie, malheureusement.
Je ne sais pas ce qu’il y avait dans cette balle, mais si le but avait été de me tuer, la personne qui me suit aurait sauté sur l’occasion de m’avoir bien en face d’elle pour le faire et de me fixer droit dans les yeux. Donc je suis une cible que l’on doit ramener vivante. La question est, pourquoi ? Puisque jusqu’à présent, personne n’a jamais su qui j’étais réellement, et surtout, n’a jamais réussi à me débusquer. Alors que me veut ce type ? Des faveurs sexuelles ? Autre chose ? Je suis bien consciente que certains doivent être en manque, vu les nouvelles lois mises en application, mais bon, traquer une femme ou un homme dans la rue constitue un délit puni de plusieurs années d’emprisonnement. Surtout que les caméras implantées désormais un peu partout au sein des cités de Sane permettent de prouver les faits et d’éviter de nombreuses injustices.
Encore une liberté de vivre supprimée et une surveillance synonyme digne d’une dictature… Les caméras sont là pour veiller à la sécurité de tous, et surtout, pour fournir des preuves lorsqu’un crime odieux est commis. Veiller à ce que la justice, qui autrefois n’était qu’une histoire d’argent, de politique et de copinage, soit enfin respectée à sa juste valeur. Beaucoup d’affaires ont ainsi pu être instruites sans risquer de commettre une bourde énorme qui pourrait anéantir toute l’existence d’un innocent. On pourrait se dire : et si un viol est commis dans des endroits privés ? Comment ça se passe, puisqu’on ne met pas de surveillance dans un endroit pareil… Vous avez parfaitement raison. Il faut respecter un minimum de décence et de vie intime.
Alors dans ce cas, comment fait-on ? Les capteurs de crime implantés sous la peau de tous les habitants réagiront immédiatement et préviendront les Fervents. Ce sont des robots ultrasophistiqués au visage humain, dont le rôle est de juger ceux qui bravent les libertés et les droits de chacun. Ils sont programmés pour accomplir une justice impartiale en se basant sur de véritables preuves.
Pour une raison qui m’échappe, le jeune homme, d’environ mon âge, je dirais, donc vingt ans, me scrute un instant de ses yeux perçants, caché derrière son arbre, puis tourne les talons, probablement déçu de ne pas, soit avoir atteint sa cible, soit de s’être trompé de personne. Je suis très surprise par ce revirement de situation, mais ça m’arrange bien.
Évidemment, je dois rester méfiante et m’assurer qu’il ne me suit pas pour découvrir la Trans, mais je peux affirmer que je suis sortie d’affaire. Je n’avais encore jamais vécu une situation aussi étrange. Ce face-à-face hors du temps avec un homme que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam était plus qu’étrange. Peut-être m’a-t-il prise pour quelqu’un d’autre ? Ou que ma couverture a fonctionné ?
Je hausse les épaules en reprenant mon chemin, direction le fleuve du mensonge, à environ quelques mètres. L’eau miroite de beaux reflets bleus sous les rayons dorés. L’odeur et l’humidité caractéristiques m’emplissent de joie. J’adore être au bord de ce liquide, essentiel à notre survie.
Je vérifie une nouvelle fois que personne ne m’a suivie grâce à mes lentilles à détection thermique, puis, prenant une grande inspiration, je saute à l’eau. Cela fait aussitôt disparaître l’APM et me rend mon apparence normale. La combinaison en Seynor s’adapte immédiatement à l’environnement marin en se resserrant autour de mon corps pour ne pas pomper trop de liquide et devenir un poids.
Bon, si j’aime être au bord d’un fleuve, je déteste l’apnée ! Mais là, je n’ai pas le choix. J’aperçois rapidement le tube de la Trans, solidement accroché sur les fonds marins. Fait de titane écologique ultrarésistant à la pression de l’eau, il ne risque pas de bouger d’un millimètre. Personne n’irait imaginer qu’il puisse se trouver ici. On pourrait mettre la main dessus en se baignant, mais les habitants ne viennent jamais jusque-là. Et ils ne pourraient de toute façon pas l’activer.
Je nage jusqu’à lui en essayant d’être la plus discrète possible, puis tape un code sur le clavier numérique, lui aussi à l’épreuve de la corrosion grâce à un champ de protection. Un système de pompage du liquide se met en marche autour de moi, me permettant d’accéder facilement à l’intérieur du tube, dans lequel je me glisse avec aisance. Aussitôt, la paroi se verrouille pour m’enfermer dans un étroit couloir hermétique. Les pieds bien posés au sol, je synchronise la puce de mon poignet avec l’ordinateur de bord de la Trans, pour enclencher le processus de transfert. Des rayons de lumière électronique violets flashent dans mon champ de vision, m’indiquant que la liaison est établie et que ça va commencer.
Je ferme les yeux, sachant l’effet que me cause la Trans à chaque voyage. Grâce à un système d’aspiration qui permet une vitesse impressionnante, nos corps ne risquent pas de percuter les parois et d’être blessés pendant le trajet.
Après une petite injection pour que je ne sente pas le transfert, je pense à la tête furax de Went lorsque je réapparaîtrai au complexe, et le savon qu’il va me passer sur mon retard. Malgré moi, je ne peux m’empêcher d’esquisser un sourire.
Je m’écroule comme une masse contre la paroi du tube, lorsque le processus de transfert se termine enfin. Il ne dure que quelques secondes, le temps de traverser les centaines de milliers de kilomètres de galeries souterraines spécialisées. Oui, oui… je sais, c’est impossible. Eh bien si ! Ça l’est devenu. Notre technologie a beaucoup évolué depuis la Grande tempête, celle où la Nature nous a fait comprendre que nous agissions comme des monstres…
— Ouverture dans trois minutes… résonne la voix numérique dans les haut-parleurs intégrés, tout près de mes oreilles.
Je grimace de douleur en essayant de me détacher du tube, grinçant lorsque mes muscles et mes os craquent. Je déteste vraiment ce truc… même si je suis la première à avouer que c’est très pratique. Je n’ai pas d’autre choix que de l’utiliser, alors qu’il me rend malade comme un chien pendant les quelques heures qui suivent mon arrivée.
Un coup frappé contre le titane qui m’entoure résonne dans mes tympans, accentuant encore davantage la souffrance dans mon crâne. Je grimace à nouveau, ayant l’impression qu’un chef d’orchestre joue du tambour contre mes tempes, ou qu’un pivert s’amuse à y planter son bec comme dans un arbre.
— Dépêche-toi de sortir de là ! crie Went en me narguant et tirant la langue comme un enfant quand les parois deviennent translucides.
J’ai envie de la lui faire ravaler, mais je retiens tous les mots qui se forment dans ma bouche. Avec lui, ils ne servent absolument à rien, si ce n’est à user de la salive pour parler à un mur. Went est un grand gamin, incapable de ne pas rire de tout. Il sait être sérieux quand il faut, je ne le nie pas. Mais parfois, il m’agace profondément.
Un déclic s’enclenche au bout des trois minutes de récupération nécessaires. Elles ne me suffisent jamais, mais je n’ai pas vraiment le choix. Je m’oblige donc à tenir sur mes jambes suffisamment de temps pour m’extirper du tube de la Trans et aller m’écrouler sur une chaise que Went approche rapidement. Il me connaît par cœur. Il esquisse d’ailleurs un sourire moqueur, pour lequel je me contente de le fusiller du regard. Je suis trop épuisée pour lui dire ma façon de penser. Mon corps est aussi mou qu’un chewing-gum.
Aussitôt, le médecin du complexe s’approche de moi et m’examine sous toutes les coutures pour s’assurer que je n’ai subi aucune blessure pendant ma mission. Je me laisse faire sans rien dire. Cette mesure est nécessaire pour protéger Démos de toute tentative d’empoisonnement, d’attentat chimique ou épidémiologique. Il me fait d’ailleurs une prise de sang rapide, qu’il insère ensuite dans la machine la plus proche. Chacune est reliée à un appareil qui analyse notre fluide vital en quelques secondes et nous indique notre état physiologique.
— Tout va bien, Déçae. Ton état est normal. Tu vas pouvoir regagner le dortoir, m’affirme-t-il en regardant mes résultats sur sa tablette.
L’écran flottant s’affiche devant moi, me montrant que mon organisme se porte bien. Je n’ai subi aucun dommage invisible à Nora.
— Je te conseille de te reposer et de bien manger pendant quelques jours, m’annonce-t-il en me voyant vaciller sur mes jambes lorsque je tente de me relever. La Trans te travaille toujours beaucoup, malgré le sérum de sommeil injecté lors du départ du processus.
Went passe un bras sous mes épaules, mais je lui tape sur la main au moment où celle-ci effleure le haut de mon dos.
— Je n’ai pas besoin d’aide, sifflé-je entre mes dents, tandis que mon crétin de meilleur ami rit aux éclats devant mon attitude.
Je suis toujours d’une humeur massacrante quand je rentre de mission. Pas parce que j’ai échoué, ça ne m’est jamais arrivé. Mais parce que je déteste être aussi faible à cause de la Trans. Je suis la seule de Démos qui subit de tels effets quand je l’utilise. Mes amis ne manquent jamais une occasion de me le rappeler.
J’avance de quelques pas, les jambes en coton, le cœur au bord des lèvres. Le tube de transfert nous fait arriver directement au centre médical, ou au sein du laboratoire. Cela dépend de notre lieu de départ.
— Reste là, Déçae. Je dois t’injecter le sérum de régénération, m’informe le médecin quand je m’apprête à sortir.
Je m’arrête au milieu de l’immense pièce aux murs tellement blancs que la réflexion de la lumière dessus me brûle la rétine. La salle, de forme carrée, contient plusieurs lits médicalisés recouverts de draps colorés, d’appareils médicaux destinés à soulager les blessés et les malades, et un bureau dans un coin, pour le chef du centre. Celui-ci peut se couper du reste de la pièce en activant l’opacification des parois. En gros, celles-ci prennent une teinte grise qui nous empêche de voir à l’intérieur. Elles servent de mur, mais peuvent être traversées, car elles n’ont pas de consistance physique. Elles ne sont constituées que de minuscules particules, tenues en un seul bloc par un champ d’énergie. Encore une évolution très utile de la technologie à Sane.
— Faites vite, demandé-je au praticien en sortant de mes pensées et en lui tendant mon bras. Je n’ai qu’une envie, me vautrer au fond de mon lit.
L’homme esquisse un sourire, puis attrape dans un tiroir blanc une minuscule seringue contenant un liquide rouge, semblable à du sang. Ce sérum est miraculeux. Il a été inventé par le talentueux scientifique de Démos pour nous permettre de récupérer en un temps record après un transfert avec la Trans. Tout est fait pour que nos compétences physiques soient optimales, bien que notre organisme soit quand même respecté. Démos ne demandera jamais à ce que nous allions au-delà de nos limites physiques.
Une fois l’injection faite, je me frotte la peau au pli du coude, légèrement rouge. Les aiguilles sont si petites qu’elles ne laissent aucune trace sur l’épiderme.
— Allez, Déçae, ce serait bien que tu bouges ton cul. Je n’ai pas toute la journée, grogne Went à mes côtés, impatient probablement d’aller manger.
C’est un vrai estomac sur pattes. Ses cheveux châtains sont en bataille sur son front. Il ne les peigne jamais de toute façon. Ses yeux noisette me fixent en attendant que je daigne me lever. Mon meilleur ami fait une tête de plus que moi. Il est le premier à s’en vanter, et à m’ébouriffer les cheveux comme il le ferait avec une enfant.
Tout en grimaçant, je fais quelques pas en avant et lève la main droite pour lui faire un doigt d’honneur.
— Tu n’es pas obligée de faire le garde-chiourme. Si je ne vais pas assez vite pour toi, tu peux te casser et me laisser me débrouiller. Je suis une grande fille.
Le médecin, amusé, se détourne de notre conversation et retourne dans son bureau, l’air de rien. Je marche en direction de la sortie sans me préoccuper davantage de Went, qui court derrière moi pour me rattraper. Je me sens déjà beaucoup mieux. La porte du centre médical s’efface pour me laisser passer, avant de se reconstituer quand mon ami se place à mes côtés.
— Tu sais très bien que je dois te surveiller après ton retour, au cas où ton état de santé se dégraderait. Nous sommes partenaires, Déçae, affirme-t-il avec sérieux, le visage marqué par une détermination que je lui vois rarement. Ce sont les règles. Quand l’un rentre de mission, l’autre doit le seconder pendant une journée pour vérifier qu’il n’y aura aucun problème. Tu sais à quel point tout cela est éprouvant, je n’ai pas besoin de te le rappeler.
Je grommelle, mais ne rajoute rien. Il a parfaitement raison. C’est ainsi que ça fonctionne ici, même si je me passerais bien de cette règle idiote. L’air frais diffusé par les ventilateurs intégrés au plafond me fait du bien, lorsqu’il effleure mon visage. Je lève la tête en direction du ciel, fermant les yeux quelques minutes pour savourer un instant de silence et de paix. Il règne toujours un calme impressionnant au complexe, probablement parce que le bâtiment est immense et peu occupé.
Je marche dans le couloir, le talon de mes bottes claquant contre le sol de parquet clair. Les murs sont lambrissés d’épais panneaux de bois sur une teinte de peinture orangée, donnant un peu de chaleur aux lieux.
Le complexe de Démos est un bâtiment en forme de U, le haut du U étant orienté à l’ouest, plongé au cœur du Bois de la Vérité. Chaque nom de forêt, de fleuve ou de montagne, a une signification particulière sur l’Île de Sane. Mais je ne vais pas l’expliquer en détail maintenant, j’ai autre chose à faire dans l’immédiat. Comme aller poser mon sac dans ma chambre et m’étaler sur mon matelas de mon long pour piquer un petit sommeil bien mérité.
Les pièces de vie sont placées dans la partie droite, à l’exact opposé du centre médical, dans la partie gauche. Tout dépend après d’où l’on se place, pour les indications géographiques. Went marche à mes côtés sans rien dire, plongé dans ses pensées. Je ne sais pas ce qui le travaille depuis quelques jours, mais il a refusé de m’en parler. Entre nous, nous nous sommes juré de toujours le dire quand ça n’allait pas, même si on ne peut pas forcer quelqu’un à s’exprimer sur ce qui le tourmente. C’est une règle tacite à laquelle nous n’avons jamais dérogé. Si l’un de nous deux a besoin de parler, il sait qu’il peut le faire. J’ai envie de le lui demander encore une fois, mais j’ai peur que ce soit de trop.
Je soupire en observant son visage pensif, plongé dans ses pensées, puis me concentre à nouveau sur le couloir. Les baies vitrées qui le longent jusqu’au réfectoire, dans la partie centrale, me laissent voir la forêt. D’ici, je ne vois pas la cime des arbres et des sapins, tellement ceux-ci sont hauts. Constitués d’épais feuillages et d’épines d’un vert éclatant, ils semblent prendre vie quand une légère brise vient les agiter. En contrebas, un chemin de terre ocre serpente à travers les troncs, disparaissant au milieu des végétaux.
— Tu m’as fait peur, tu sais, murmure Went, le regard fixé devant lui, comme s’il se perdait dans sa mémoire.
Ses prunelles se brouillent un instant, puis redeviennent plus chaleureuses. Je pose une main sur son bras pour le rassurer. Il me regarde, puis esquisse un léger sourire. Nous n’avons pas besoin de mots pour nous comprendre. Parfois, un seul geste suffit. Notre amitié est très forte, souvent trop même. Un peu de retard en rentrant d’une mission, et
nous passons de l’autre côté du U, près des chambres individuelles. Cette partie est composée de deux étages, l’un pour les garçons, l’autre pour les filles. La couleur des murs change en fonction du couloir dans lequel nous nous trouvons. Ici, ils sont d’un orange corail très agréable pour le regard.
Rien ne nous empêche de passer de l’un à l’autre, ce n’est pas interdit. Il n’existe aucune règle qui nous sanctionne si c’est le cas. Mais pour les douches et une question d’intimité, c’était mieux de construire la bâtisse ainsi. Nous ne sommes pas dans un couvent ou un ancien pensionnat, où les coucheries entre camarades sont proscrites. Ici, nous sommes libres d’agir à notre guise, tant que nous ne provoquons pas une bagarre ou un chaos phénoménal. Les Hommes du Silence sont là pour nettoyer derrière nous lors d’une mission, pas après une soirée de beuverie.
— Je vais poser mes affaires. Je te rejoins au réfectoire, Went.
Mon ami hoche la tête sans rien ajouter, avant de tourner les talons et de disparaître au bout du couloir. Enfin seule, je m’adosse au mur orangé quelques instants pour fermer les yeux. Je respire un grand coup pour faire passer la nausée qui me prend aux tripes, puis reprends mon chemin en direction de ma chambre. Je grimpe les marches quatre à quatre, entourée par la cage d’escalier aux parois blanches.
Lorsque j’arrive enfin à mon étage, au deuxième et dernier de la bâtisse, je pénètre à nouveau dans un long couloir, large de plusieurs mètres. Mon antre se situe au bout de celui-ci, près de la baie vitrée qui le termine. Cinq chambres se succèdent, fermées par des battants à la peinture rouge.
Je passe la main près du détecteur d’ADN à côté de la porte, avant de voir celle-ci s’effacer pour que je puisse pénétrer dans la pièce. Elle se recompose immédiatement, une fois que je suis passée. Ravie d’être enfin seule, j’écoute le calme et ferme les yeux quelques secondes à nouveau. Ma chambre n’est pas très grande. Elle est carrée, constituée d’un lit double, recouvert d’une couette mauve, et adossé contre le mur droit au fond, d’une penderie encastrée en métal argenté et d’un petit bureau en bois clair, sur lequel gisent des stylos dont je ne me sers jamais, ma tablette portative ultra-haute définition et un cadre photo numérique où trois personnes posent, le sourire aux lèvres. J’ai choisi de peindre les parois en noir et blanc, pour lui donner un peu plus de profondeur. Mais ce que je préfère ici, c’est celle qui est en face de moi.
J’esquisse un sourire en attrapant la télécommande sur l’étagère près de l’entrée, et appuie sur le bouton vert. Aussitôt, la paroi grésille, avant de disparaître pour devenir invisible. La vue sur les bois me fait un bien fou. Je passe souvent de nombreuses heures devant cette vision, profitant de chaque instant de sérénité que je peux glaner. Les missions nous prennent beaucoup de temps, nous plongeant dans un état physique et émotionnel souvent difficile. Ce que nous avons pu voir ces dernières années dans les cités, les bains de sang au cours des rébellions contre les dictateurs, la violence inouïe, les armées de robots sans conscience… Tout cela forge un caractère et une armure, mais cela reste éreintant. Nous ne savons jamais si nous pourrons rentrer vivants, malgré toutes les armes à notre disposition, et l’APM. Il suffit que nous commettions une seule erreur, pour être démasqués, torturés ou tués.
J’efface ces pensées sinistres de mon esprit pour me concentrer sur ce que j’ai à faire. Went et les autres m’attendent probablement pour manger, donc me vautrer sur mon lit, ce sera pour ce soir. Je jette un coup d’œil rapide et déçu sur le matelas moelleux qui m’appelle, mais je détourne vite le regard avant de céder. Je dépose mon sac dans un coin près de la penderie, puis y récupère de quoi me changer et me laver. Nous n’avons pas la chance d’avoir une douche personnelle dans chaque chambre, mais franchement, je ne pense pas que nous soyons à plaindre. Tout est ultramoderne ici, très bien entretenu et toujours très propre. En même temps, les robots ménagers ne sont jamais fatigués et ne faillent jamais à leur travail. Ce sont eux qui s’occupent du nettoyage du complexe chaque jour. Nous n’avons aucune corvée de nettoyage, de linge à laver ou autre à effectuer ici. Les dirigeants de Démos souhaitent que nous nous concentrions uniquement sur notre entraînement et nos objectifs. Tout a été prévu dans le centre pour que nous n’ayons rien d’autre à penser.
Armée de vêtements ordinaires, d’une serviette et d’un nécessaire de toilette, je me rends dans la salle de bain, au bout du couloir, avant l’accès à la partie centrale. La pièce est grande, toujours maintenue à une température acceptable pour pouvoir se mettre nu, sans risquer d’attraper un rhume ou toute autre maladie. Carrelée de blanc et noir, elle dispose de quatre salles de douche, pour les cinq recrues filles de Démos. Chacune possède une cabine entourée de parois opacifiantes, d’un radiateur intégré et d’un tapis de bain pour poser nos pieds. Une fenêtre large d’un mètre donne sur une autre partie des bois, d’où nous pouvons enfin voir le ciel des Îles de Sane. Il est d’un bleu éclatant aujourd’hui, à peine voilé par quelques nuages d’un blanc cotonneux.
— Salut, Déçae.
Isaline pénètre dans la pièce, le sourire aux lèvres. Cette jeune femme est toujours adorable. Avec ses cheveux couleur miel et ses grands yeux ambrés et pétillants, son visage légèrement ovale et ses traits fins, elle rayonne de douceur et de bienveillance. On a du mal à croire qu’elle puisse assassiner de sang-froid un homme ou une femme. Mais il faut toujours se méfier des apparences. Avec sa stature et sa taille de plus d’un mètre quatre-vingts, elle sait parfaitement se défendre. Moi, à côté avec mon petit mètre soixante-dix, je me sens ridicule.
— Bonjour, Isaline.
— Tu vas bien ? me demande-t-elle, sincèrement inquiète. J’ai appris par Tessa que tu revenais de mission ce matin. Je ne te demande pas si ça s’est bien passé, vu que tu es là… me charrie-t-elle en riant.
— Ça va, Isa, ne t’inquiète pas. J’ai juste encore un peu la nausée à cause de la Trans, mais le sérum m’a fait beaucoup d’effet. Un peu de spaghettis à la bolognaise et ça devrait vite s’atténuer, indiqué-je, amusée, avec un clin d’œil.
Isaline rigole à son tour d’un rire délicat, avant de plaquer un baiser sur ma joue et de tourner les talons pour disparaître dans une cabine de douche. La jeune femme est ma meilleure amie depuis son arrivée au complexe. Nous nous sommes tout de suite bien entendues, malgré nos caractères différents. Si moi je suis plus impulsive et fougueuse, Isaline pèse toujours le pour et le contre avant de prendre une décision. Elle se livre rarement sur ce qu’elle ressent, préférant écouter et conseiller les autres. Elle a un cœur en or, mais elle est loin d’être aussi fragile qu’on pourrait le penser.
Attendrie par l’attention de mon amie, je pénètre à mon tour dans l’une d’elles, envahie par une brume vaporeuse parfumée à la pomme. Je me sens bien. Lorsque j’actionne l’eau chaude et que je la sens dégouliner sur mon corps tendu comme un arc, je pousse un soupir d’aise. Les douches m’offrent toujours un des plus grands plaisirs de la vie. C’est presque mon moment préféré de la journée, si on excepte les repas. Je suis une très grosse mangeuse, mais par miracle, j’arrive à garder la ligne. Mon ventre plat en est la preuve.