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Prisonnière d'une amulette de souffrance! Voilà à quoi je suis condamnée désormais, alors que ma vie était toute tracée. Je m'imaginais déjà parcourant l'Egypte, pays que j'affectionne tant, et vivant de ma passion. Mais un jour, une expédition au coeur d'un tombeau récemment découvert dans la vallée des rois a tout chamboulé et m'a privée de ma liberté. Je suis désormais en sursis. Pour m'en sortir, je vais devoir plonger au coeur de l'époque des pharaons et manipuler la magie des dieux. Si j'échoue, ce sera la mort assurée.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Julianne Viricel réside dans la Loire, près de Montbrison. Jeune auteure d'un quart de siècle elle s'est passionnée pour l'écriture à douze ans, quand, sur un coup de tête, elle a essayé d'écrire sa première nouvelle. Depuis, cette passion ne l'a plus quittée. Si dans sa profession, elle préfère le médical, la qualité et la rigueur, dans la vie, elle est une jeune femme plutôt désorganisée, aimant rire et profiter avec ses proches et ses amis. La lecture représente son autre passion, principalement le genre de l'imaginaire. Elle pourrait dévorer plusieurs romans par semaine.
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Veröffentlichungsjahr: 2024
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Couverture et maquette intérieure par Ecoffet Scarlett
Correction par Sophie Eloy
© 2023 Imaginary Edge Éditions
© 2023 Julianne Viricel.
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.
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ISBN 9782385720049
Je pose mon portable sur le bureau dans un geste énervé, manquant de peu de le jeter par terre. Sa coque verte ressort en surbrillance sur la table en teck verni. Je me rassois contre le dos de mon fauteuil en poussant un soupir excédé, faisant tourner le dossier sur son axe pour me calmer les nerfs. Je ne comprendrai jamais Elsa, ma meilleure amie. Je la connais depuis que j’ai dix ans, mais elle parvient toujours à me taper sur les nerfs. Je me repasse les phrases de son message impersonnel en boucle dans la tête, m’énervant un peu plus à chaque fois.
Je ne serai pas là ce soir. Désolée, soirée avec mon mec. À plus !
Je pousse un cri de rage en le relisant une énième fois, avant d’éteindre mon téléphone une bonne fois pour toutes et de le balancer au fond de mon sac à main. Nous devions nous voir pour fêter mes vingt-sept ans au restaurant, mais elle préfère passer la soirée avec son petit ami, comme tous les jours depuis qu’elle l’a rencontré il y a deux mois. Les hommes qui se sont succédé dans sa vie, même pour quelques semaines, ont toujours plus compté que tout le reste. J’espérais qu’avec sa mauvaise expérience de l’an dernier, son compagnon qui la plante devant la mairie alors qu’ils devaient se marier, elle finirait par comprendre… Malheureusement, elle ne fait que s’engluer dans ses convictions, que je ne partage pas. J’ai déjà été amoureuse, je sais ce que c’est, mais je n’ai pas oublié mes amis pour autant.
J’ouvre l’écran de mon ordinateur portable dernier cri pour faire passer ma colère et clique sur l’icône de la messagerie réservée aux professionnels du musée. Je travaille pour le Louvre depuis un an et demi seulement et j’adore ce que je fais au quotidien. Ça ne remplace pas les expéditions dont j’ai si souvent rêvé ou entendu parler quand je faisais mes études, mais je peux au moins exercer mon métier d’archéologue, et plus particulièrement l’égyptologie, ma spécialité.
Je dispose d’un bureau dans l’aile attribuée à ce secteur. Il est plutôt spacieux, pourvu de grandes baies vitrées dans mon dos, donnant sur la cour et sa célèbre pyramide de verre. Il est composé d’une table rectangulaire, de murs aux couleurs chaudes comme du rouge et du beige, et de plusieurs armoires en bois ancien, contenant tous les dossiers que j’ai traités depuis que j’ai eu mon diplôme.
Je relève la tête de l’écran à cette pensée et la tourne en direction des fenêtres. Mon visage s’y reflète. Mes cheveux blonds sont relevés en une queue-de-cheval haute. Mes yeux noisette sont teintés d’amertume et mes traits fins tirés de fatigue. Le temps où je n’étais qu’une étudiante, insouciante de la réalité de la vie, me paraît lointain, alors que ça ne représente pas grand-chose à l’échelle d’une existence. Le ciel est à demi dégagé aujourd’hui à Paris, laissant parfois le soleil apparaître entre les nuages gorgés de pluie et darder ses rayons sur les vitres. Je retiens la nostalgie qui m’envahit au fond de mon cœur, puis fais de nouveau face à mon ordinateur, déterminée à avancer sur ce dossier sans ruminer mon exaspération. Elsa se rendra vite compte qu’elle ne réagit pas correctement, le jour où elle se retrouvera complètement seule, sans amis pour la soutenir. Me concentrer sur mon travail ne me fera pas complètement oublier que ma vie est un désert, à la fois sentimentalement et amicalement, mais je pourrais au moins me vider complètement la tête et exercer ma passion. C’est la seule chose qui me reste à présent.
—Alixia !
La voix de mon assistante qui hurle derrière la porte malgré son épaisseur de plusieurs dizaines de centimètres, qu’elle ouvre en grand dans un geste brusque, me fait sursauter. Les battants vont claquer contre les murs dans un fracas assourdissant, avant de manquer de se refermer sur elle, tellement elle y est allée fort. Mon cœur se met à battre la chamade à cause de la frayeur qu’elle m’a causée. Je tente de le calmer par une main posée sur ma poitrine et de respirer doucement.
— Bon sang, Lola, c’est une manie chez toi de ne pas frapper avant d’entrer ? lancé-je de but en blanc, sans savoir pourquoi elle réagit ainsi.
Les yeux fixés sur elle, je lui jette un regard noir tandis que je me calme un peu. Ses cheveux châtains bouclés sont tout emmêlés sur le haut de son crâne et autour de son visage. Sa tresse ne ressemble plus à rien, des mèches s’en échappent de tous les côtés, comme si elle avait couru sur toute la longueur des galeries du Louvre. Ses joues rebondies sont rouges à cause de l’effort. Elle doit s’arrêter quelques secondes en s’appuyant sur ses cuisses, près du chambranle. On dirait qu’elle a parcouru des kilomètres avant de venir ici.
Je hausse un sourcil, surprise par sa façon de se comporter. Lola est plutôt quelqu’un de calme, de patient et de posé. Elle n’élève jamais la voix, sauf pour s’énerver contre ceux qui dénigrent l’archéologie et notre identité, mais dans notre secteur, ils sont assez rares. Elle possède de nombreux idéaux, qui la rendent très pacifiste. Je l’ai déjà entendue en parler à plusieurs reprises pendant nos pauses. Mais je ne l’ai encore jamais vue dans un tel état d’excitation depuis que je la connais.
— Oui ? l’interrogé-je en me levant, les mains à plat sur le bureau. Que se passe-t-il, Lola ?
Elle reprend son souffle encore une fois, avant de débiter ses paroles à toute vitesse.
— Alixia, ils sont arrivés.
Je comprends aussitôt ce qu’elle entend par là. Je lui montre le couloir d’un signe de tête, avant de la suivre, moi aussi en courant. Cette expédition venue d’Égypte est un cadeau du ciel que je n’espérais plus.
Les corridors réservés aux archéologues, conservateurs et techniciens du Louvre, sont assez larges, donnant sur des dizaines de portes en bois toutes identiques. Elles sont ornées de plaques dorées, comportant les noms des différents spécialistes par domaine. Je suis ravie que les architectes aient laissé leur chaleur aux lieux, ainsi que leur authenticité, plutôt que de tout moderniser comme aux sous-sols. Les murs blancs se succèdent, alors que Lola dévale les escaliers de marbre menant au rez-de-chaussée, en se tenant à la rambarde pour ne pas tomber tête la première. Tous les bureaux sont au premier étage, à la fois pour conserver la confidentialité des données traitées, mais également pour des questions de sécurité. Des échauffourées ont déjà eu lieu à plusieurs reprises au sein des bâtiments du musée.
Nous passons nos badges respectifs devant le détecteur d’ouverture de la porte blindée, donnant sur les parties réservées au public.
— Ils nous attendent sur le perron de la cour arrière, m’informe-t-elle d’un ton haché par sa course et sa respiration saccadée.
Je me contente de hocher la tête, trop perdue dans mes pensées pour réfléchir correctement. Ça fait trois semaines que j’attends que le musée du Caire nous envoie ces découvertes, trouvées par hasard, il y a un mois au temple d’Abou Simbel, en plein cœur du désert, près du lac Nasser.
Nous passons en courant près des touristes aux tenues colorées, qui nous jettent des regards interloqués auxquels je ne fais même pas attention. Les tableaux accrochés aux murs défilent dans un maelström de couleurs et de formes toutes plus étranges les unes que les autres, laissant ensuite place aux sculptures et statues. Je connais toutes les galeries par cœur. Si le Louvre ressemble à un labyrinthe pour les gens, pour moi, il n’a plus aucun secret. Je parcourais déjà ces couloirs alors que je portais encore des couches-culottes. Mes parents étaient connus ici, autrefois.
— Alixia, fais attention !
La voix de Lola me ramène dans le présent. J’étais tellement en mode automatique que mes jambes fonctionnaient toutes seules, sans en avoir conscience. Je freine des pieds en basculant mon corps en arrière, manquant de finir sur les fesses. La colonne de marbre à mes côtés me permet de me retenir à la dernière minute avant de m’étaler littéralement au sol. Lola pouffe de rire en se tenant les côtes. Lorsqu’elle avise mon second regard noir en moins de dix minutes, elle finit par se calmer, tout en essuyant les quelques larmes qui coulent sur ses joues.
— Un jour ou l’autre, ton côté tête en l’air te jouera des tours, me souffle-t-elle en m’aidant à reprendre un semblant d’équilibre.
Je lève les yeux au ciel, mais un sourire s’esquisse quand même sur mes lèvres. Je sais qu’elle a raison, même si j’ai un peu de mal à l’admettre. Lorsque je me redresse enfin et que ma tête cesse de tourner à cause de l’effort, je peux admirer l’entrée arrière du Louvre. Elle est composée d’un immense hall au plafond haut de plusieurs mètres, orné de peintures antiques et de dorures. Les lourdes portes sont ouvertes, donnant sur la cour. Ce n’est pas par là que passent les touristes. Cette section est réservée au déchargement des expéditions venant du monde entier, et protégée par une enceinte sécurisée. Des colonnes au style grec ancien marquent le pas de la porte.
Je le franchis, fière d’avoir été désignée pour accueillir ces antiquités. Je descends les marches en grès blanc, en priant les Dieux égyptiens pour que mes pieds ne s’emmêlent pas entre eux. La fatigue et l’agacement de ces derniers jours ont fait que mes nuits ont été plutôt courtes. Malgré les doses de thé noir que j’avale au quotidien, je ne parviens pas à récupérer un semblant de coordination. Quant à boire du café, c’est hors de question. J’adore l’odeur de ce breuvage, mais son goût me donne envie de vomir.
— Bonjour, messieurs, me présenté-je aux livreurs en joignant les mains devant moi. Je suis Alixia Durand, archéologue et présidente du secteur d’Égyptologie du Musée du Louvre. Et voici mon assistante, Lola Valentin. Nous sommes ici pour réceptionner la mission Louxor 1.1.
Nous attribuons des chiffres aux différentes expéditions, un peu comme un nom de code. Cela permet d’éviter que les journalistes, ces rapaces avides d’histoires à scandales et de faits croustillants, ne comprennent d’où provient chacune des marchandises réceptionnées.
L’un des six, probablement le chef, me tend la main et la serre avec vigueur. Il n’est pas très âgé, la quarantaine environ.
— Baptiste Sandert, le dirigeant des opérations et le directeur d’International Expedition, m’indique-t-il en me montrant sa carte officielle. J’ai été mandaté spécialement pour mener à bien cette livraison très particulière. Le Caire nous a demandé une logistique de sécurité, que nous nous devons de vérifier également dans vos services. Ce afin d’assurer la protection des chargements.
Je hoche la tête, consciente que chaque antiquité présente dans ce camion vaut une petite fortune, autant sur le plan financier avec les différents bijoux et ornements, que sur le plan historique et archéologique. Le Musée du Louvre est réputé pour ses compétences et son expérience. Beaucoup de pays envient ses professionnels et seraient prêts à tout pour nous voler ne serait-ce qu’un brin d’informations.
Une petite brise glaciale me fait frissonner. La chair de poule apparaît sur ma peau. Dans cette agitation, je n’ai même pas pensé à prendre une veste, malgré la température fraîche de ce début de printemps. Je frotte mes bras pour me réchauffer, tout en regardant les livreurs sortir une énorme boîte en bois de plusieurs mètres de long et de largeur. Je trépigne d’impatience en pensant à ce qu’elle contient, mais je modère mon excitation. Je dois me comporter de manière professionnelle, si je veux me voir attribuer une mission plus importante un jour. Je me démène depuis des années, de mes études jusqu’à l’obtention de mon diplôme avec mention, pour ça. J’en connais deux qui seraient fiers de me voir là, aujourd’hui, sur ce perron.
— Mademoiselle Durand ? Pourriez-vous nous amener jusqu’à votre laboratoire ?
Je hoche la tête, ravie de quitter le froid de Paris pour la chaleur des radiateurs du Louvre. Lola me suit à distance, parlant avec l’un des livreurs qui portent plusieurs cartons renforcés. Par précaution, je vérifie qu’il n’y a personne dans les alentours une deuxième fois. Je l’avais déjà fait lorsque nous sommes sorties.
— Venez avec moi.
Nous pénétrons dans le musée, où je les guide à travers les couloirs jusqu’à la salle d’examen et le lieu de stockage. Ils se situent au sous-sol du premier bâtiment afin de préserver les antiquités de l’air extérieur et de l’humidité ambiante. Je leur indique un monte-charge afin qu’ils puissent y déposer leurs chargements, puis le verrouille, pour plus de sécurité. D’un geste, je leur montre l’ascenseur. La cabine aux plaques argentées diffuse une petite musique d’opéra. Je crispe les dents. Les notes émises par l’enceinte de l’appareil ne ravissent pas mes oreilles. Je ne suis pas du tout fan des mélodies lyriques. J’ai toujours trouvé que c’était exagéré, bien trop criard, même si je ne dénigre absolument pas leurs talents.
Lorsque les portes s’ouvrent à nouveau, un lieu totalement différent nous accueille. Nous avons complètement changé d’époque. La modernité est de mise, pour conserver chaque pièce qui nous est confiée par un autre pays, dans l’attente d’être examinée et authentifiée par des mains expertes. Les murs de béton gris nous entourent, ôtant aux couloirs leur chaleur. Je me dirige sur la droite, marchant sur une dizaine de mètres avant d’enclencher la descente du monte-charge à l’aide de mon badge. Sandert attend à mes côtés avec ses hommes, tandis que Lola se place à ma gauche, pianotant sur la tablette qu’elle vient de récupérer dans son casier.
Les six livreurs récupèrent leur chargement assez rapidement. Je les guide à travers les corridors jusqu’au laboratoire que je partage avec mon assistante. Des lampes LED nous éclairent le chemin. Il n’existe pas de sorties ou fenêtres sur l’extérieur ici, afin de sécuriser les lieux. L’ambiance est bien différente, par rapport aux étages du dessus. La technologie est présente partout, de même que le métal et l’acier.
— Notre laboratoire est ici, les informé-je en passant mon badge devant le détecteur.
Les portes vitrées coulissent dans les murs pour laisser apparaître une pièce assez grande. Le plafond n’est pas très haut, mais est pourvu de projecteurs spécifiques, permettant d’obtenir une luminosité suffisante pour examiner correctement chaque objet ou antiquité. En face de nous, sur environ trois mètres, de multiples écrans détaillent les dernières recherches que nous avons faites et permettent d’accéder à chaque dossier sécurisé du musée. Sur notre droite, une table d’examen en métal argenté attend un chargement bien particulier. On pourrait presque se croire dans un bloc opératoire, tant la salle est aseptisée. Des placards nous permettent d’entreposer le matériel dont nous avons besoin.
— Vous pouvez le déposer là, ordonne Baptiste Sandert.
Pendant qu’ils se libèrent de la lourde caisse, je finis de remplir informatiquement les papiers nécessaires au transfert entre le musée du Caire et celui du Louvre. La traçabilité est primordiale dans ce genre de situation, si nous souhaitons éviter de fâcheux quiproquos.
— Tenez, mademoiselle Durand. J’ai besoin d’une signature ici, et là, m’indique-t-il en me tendant sa tablette et un stylet numérique.
Je prends le temps de bien relire le contrat d’expédition, de faire le tour des caisses pour examiner leur contenu, puis retourne vers l’homme qui m’attend avec un sourire. Il a dû faire ça toute sa vie, si j’en crois son visage marqué par le soleil et sa peau mate. Le soleil égyptien doit lui manquer par ce froid parisien et cette pluie printanière. J’appose ma signature sur le bas de l’écran, avant de lui rendre son appareil.
— Je vous remercie, monsieur Sandert. Nous prenons en charge le reste. Lola, peux-tu les accompagner jusqu’à la sortie, s’il te plaît?
Sandert me salue d’un signe de tête, puis ils disparaissent tous les quatre dans le couloir. J’entends le petit ding des portes de l’ascenseur de loin. Je me tourne en direction du chargement, un sourire aux lèvres. Les pas de Lola résonnent sur le sol d’acier, tandis qu’elle pénètre de nouveau dans la pièce. Elle referme les portes derrière elle.
— On se met au travail ? demandé-je, ravie.
J’enfile ma blouse si rapidement que je manque de déchirer les manches au passage. J’étais tellement pressée de commencer que les règles en vigueur pour éviter de contaminer les antiquités auraient presque pu m’échapper. Je suis plutôt quelqu’un de rigoureux, en temps normal. Je laisse rarement passer les erreurs, même si j’estime qu’elles peuvent être humaines et parfois facilement corrigibles. J’observe Lola s’habiller elle aussi, passer les bras dans le tissu blanc qui recouvrira son épiderme légèrement mat. Pendant ce temps, je tresse mes boucles blondes sur le haut de ma tête, afin qu’elles ne me gênent pas.
Un travail colossal nous attend. Les découvertes sont rares depuis quelques années en Égypte. Voilà pourquoi elles sont aussi importantes et ont été confiées à la présidente de la section égyptologie. Si, d’ordinaire, je suis plus en charge de réceptionner des œuvres et des antiquités déjà expertisées afin de les exposer à la vue des touristes, aujourd’hui, mon objectif est tout autre.
Après avoir enfilé deux paires de gants en latex pour empêcher les micro-organismes de ma peau de souiller et d’abîmer quoi que ce soit, je me dirige vers les papiers que nous a laissés la société International Expedition. Ceux que j’ai signés et pour lesquels ils nous ont fourni une copie. Pendant que Lola ouvre précautionneusement les premières caisses, je m’empresse de scanner les documents pour les joindre au dossier tout juste créé : Mission Louxor 1.1.
— Alixia, c’est tout bonnement incroyable, souffle-t-elle en se penchant au-dessus de la boîte ouverte.
— Attention, tu sais ce qui arrive quand on s’approche trop d’une momie, ris-je en mimant le geste avec mes doigts serrés autour de mon cou.
Elle secoue la tête en souriant, effleurant ce qu’il reste de cet homme ou de cette femme d’autrefois. Je me positionne à ses côtés pour observer à mon tour, la feuille concernant la boîte Une dans la main.
— Elle a été découverte près du temple célèbre d’Abou Simbel il y a un mois, après un effondrement d’une partie des murs, récité-je en lisant le texte. La momie était juste derrière, dans un recoin.
J’imagine aussitôt l’un des plus célèbres monuments égyptiens détruits de cette manière et ça me rend triste. Je l’avais visité, lors de mon premier voyage en Égypte, il y a une quinzaine d’années. Le soleil levant d’un rouge vif illuminant d’abord l’eau d’un bleu éclatant du lac Nasser, puis les statues de Ramsès II, était un spectacle de toute beauté qui avait émerveillé mon cœur d’enfant.
J’esquisse un petit sourire triste.
— C’est malheureux de voir un chef-d’œuvre pareil être anéanti de cette manière. Même lors du déplacement du temple, il y a presque cinquante ans, ils sont parvenus à le préserver. Est-ce qu’ils savent à quoi c’est dû ? me demande Lola, perplexe.
Je secoue la tête.
— Apparemment, un tremblement de terre plus violent que les autres et des bâtisses fragilisées par le temps et les centaines de milliers de touristes chaque année, qui ne font pas forcément bien attention à leur environnement. Je pense que la construction du lac Nasser n’a pas aidé non plus à renforcer les dunes sur lesquelles il a été reconstruit.
Mon assistante ne rajoute rien, songeuse.
— Allez, on se met au travail maintenant, m’exclamé-je en tapant dans mes mains. Je vais examiner la momie pendant que tu travailles sur les différents hiéroglyphes du troisième sarcophage.
Elle ne répond rien et se contente de tourner autour de celui-ci pour observer les sigles. La momie a été retrouvée dans trois sarcophages différents, le premier orné d’or et de pierres précieuses, le deuxième de granit rose et le dernier en bois, pour protéger la dépouille des affres extérieures. Nous examinerons les deux derniers plus tard. Pour l’instant, nous devons nous concentrer sur les données les plus importantes.
Je vais récupérer ma tablette et la mets en mode enregistrement, afin que toutes mes déductions soient enregistrées immédiatement, et placées au dossier sous format de texte.
— Je constate, en premier lieu, que la momie n’est pas du tout abîmée par les années écoulées. Le visage et les cheveux sont encore intacts grâce à la momification. Elle a donc dû être préservée du temps et de la météo, probablement enfouie dans une salle secrète du temple. La question qui demeure : pourquoi un enterrement au temple plutôt que dans un tombeau habituel ? Les réponses à cette interrogation nous seront certainement apportées par l’étude des hiéroglyphes et de la vie de cette personne.
Je fais une pause dans mon discours pour observer plus en détail.
— Elle présente un embaumement digne d’un pharaon, avec une couleur de lin plus blanche que celle observée chez de simples paysans, voire des gens plus haut placés dans la noblesse égyptienne. Une fois les analyses réalisées, nous pourrons déterminer la qualité des bandelettes utilisées pour l’entourer et celle de l’huile. Différents scanners plus poussés nous permettront de déterminer l’âge de la momie, son sexe, ainsi que la nature de sa mort, naturelle ou non.
Mes paroles font relever la tête à Lola, accroupie au niveau du sarcophage.
— A priori, je pencherai pour un décès non naturel, si j’en crois les peintures et les premiers écrits. Viens voir.
Je me rapproche et me mets à genoux près d’elle pour examiner les dessins qui ornent le bois, a priori de bonne qualité. Le froid de l’acier du sol traverse la fine couche de jean de mon pantalon.
— Ils sont très détaillés et l’encre a bien imprégné la matière, indiqué-je en passant un doigt dessus.
Les écritures caractéristiques de l’Égypte antique ornent la partie gauche et sont en relief, gravées dans l’écorce travaillée. Le reste semble raconter une scène de vie.
— Je ne peux pas encore l’affirmer avec précision, explique Lola. J’ai besoin de temps pour avoir des certitudes, mais je dirais que ceux-ci détaillent sa place au sein de la famille royale. Les sigles ici et là montrent qu’il y tenait une place particulière. Sa présence aux côtés du pharaon de l’époque en est une. Je vais commencer par l’étude de la cartouche pour déterminer son nom. Ça nous en apprendra peut-être plus sur lui.
Je me relève d’un bond.
— OK, mais avant, aide-moi à déplacer la momie sur la table d’examen. Je vais voir pour lui faire passer les premiers scanners.
Je nettoie l’acier rapidement pour le désinfecter, puis passe mes bras délicatement sous la dépouille très fragile, un en dessous de ses épaules et l’autre sur ses jambes. J’ai l’impression qu’elle va se briser au moindre geste brusque. Nous la déposons avec précaution. Lola secoue les manches de sa blouse, ornée de saletés que la momie a dû transporter avec elle pendant le voyage malgré les protections.
— J’ai hâte d’en savoir plus sur lui, lance-t-elle avec un sourire radieux.
— Moi aussi, affirmé-je, prête à travailler des heures s’il le faut.
J’étais plus que ravie quand j’ai appris que le Louvre allait mener cette expertise, et d’autant plus quand le directeur du Louvre, monsieur Alexander Béritz, m’a confié cette mission d’une importance extrême. Le Caire et Paris travaillent depuis des années en partenariat, mais les découvertes se font rares. Qu’il me donne ma chance, à moi, jeune archéologue de tout juste vingt-sept ans, me rend extrêmement fière. Je n’aurais pas pu rêver mieux pour un début de carrière.
— Merci, Lola.
Elle retourne à son travail avec un petit sourire. Elle prend sa propre tablette pour photographier les dessins et hiéroglyphes. Je me détourne d’elle pour me concentrer sur ma propre tâche. Si je veux en découvrir davantage sur ce mystérieux personnage venu d’un temps avant Jésus Christ, je me dois d’être parfaite dans la réalisation de mes travaux de recherche.
Je décide de commencer par un scan du corps entier. Je déplace la table à roulettes jusqu’à la pièce d’à côté, contenant un scanner spécifique aux antiquités. Grâce à des rayons spéciaux, il n’abîme pas les objets retrouvés, parfois très précieux. Je déplace la momie sur l’allonge de l’appareil, puis me dirige jusque devant les tableaux de bord après avoir verrouillé la porte. J’enclenche le départ de la machine, dont le cercle se met à tourner autour du cadavre emmailloté. Petit à petit, les images en noir et blanc apparaissent sur les différents écrans de la salle de contrôle. J’aperçois plusieurs amulettes et bijoux que je devrais récupérer entre les bandelettes une fois le scan fini.
Je paramètre des données en particulier, pour que l’appareil cible des parties du corps, comme le crâne, l’abdomen et la poitrine. Ces trois endroits étaient très importants dans l’Égypte antique. On retirait le cerveau des morts et on plaçait leurs organes, excepté le cœur, dans des vases canopes. Je pianote sur le clavier pour arrêter le scanner une fois les images récupérées, puis replace la momie sur la table d’acier que je ramène dans la salle. Lola est assise au bureau, devant les écrans, à tenter de traduire les dessins du sarcophage. Je m’occuperai de l’étude des scans plus tard. En attendant, je dois lancer des analyses bactériologiques et récupérer les bijoux ornant la dépouille.
Je place des tubes en verre, des boîtes de pétri, des pipettes, différents liquides et produits, ainsi que des stylets sur une petite table roulante, que j’apporte à côté de moi pour m’aider dans mes prélèvements. J’enfile ensuite un masque de protection et des lunettes en plastique. Je ne sais pas de quand date cette momie exactement, ni les bactéries et autres micro-organismes qui la composent. Je me dois d’être prudente, si je ne veux pas attraper une saloperie. L’affaire Toutankhamon est une preuve, que dans ce genre de cas, il faut être extrêmement minutieux et prévenant. Les archéologues sont morts à cause d’une bactérie qui aurait proliféré dans le tombeau et contaminé l’air. Rien n’était dû à une malédiction, même si à l’époque, il était difficile de prouver les faits, au vu du peu d’avancées de la science.
J’écarte une ou deux bandelettes avec précaution pour ne pas les briser. Avec le temps, elles sont devenues aussi fragiles que du verre. La peau brune, séchée par le natron apparaît un peu plus. Je gratte un peu avec un stylet pour récupérer quelques prélèvements, que je place dans trois tubes différents. Ensuite, je le passe sur deux boîtes de pétri, que j’identifie immédiatement avant de me lever pour les ranger dans les enceintes de conservation, maintenues à une température constante de trente-sept degrés. Je retourne m’asseoir sur mon tabouret roulant pour me déplacer autour de la momie, cherchant entre les bandes les différents bijoux. J’y découvre une croix d’Ankh placée autour de son cou, deux scarabées ornés de pierres précieuses, une petite statuette d’Isis à côté de son cœur et un Oudjat. Ces dernières représentent l’œil d’Horus, le dieu à tête de faucon. Elles sont destinées à protéger le corps des affres du temps et des perfidies extérieures, ainsi que l’âme dans le monde des défunts.
Je les range précieusement dans des boîtes en métal pour les examiner plus tard et les place ensuite dans le coffre dissimulé dans l’un des placards. Je retire mes gants après avoir nettoyé mon matériel de prélèvement, avant de jeter un coup d’œil rapide sur l’horloge murale. Il est bientôt dix-neuf heures, mon estomac crie famine depuis quelques minutes et je suis toute fourbue. Je me masse le cou, tendue d’être restée penchée plusieurs heures dans une position pas très confortable.
D’une impulsion sur mes cuisses, je me relève, replace le tabouret à roulettes sous la tablette, avant de rejoindre Lola qui n’a pas quitté les écrans depuis plus d’une heure. La lueur en émanant lui donne une allure fantomatique assez étrange, formant une auréole autour de son visage.
— J’ai lancé les analyses bactériologiques, indiqué-je en poussant un soupir fatigué. Où en es-tu ?
Elle ne quitte pas l’ordinateur des yeux pendant plusieurs secondes, avant de finalement se tourner vers moi. Son teint est pâle d’être restée assise des heures devant un appareil électronique, mais elle a le sourire. C’est bon signe. Elle essuie ses mains moites sur sa blouse, qu’elle retire à la hâte.
— De mon côté, l’analyse graphologique des dessins et hiéroglyphes est enclenchée. J’ai aussi créé un algorithme pour que le logiciel de visage nous donne celui de la momie, à partir des scans que tu as réalisés. Nous devrions avoir la réponse d’ici une journée, peut-être deux. Ça nous permettra, en plus des prélèvements, de bien déterminer son âge et peut-être la période à laquelle il ou elle vivait.
Je retiens le bâillement qui me chatouille la gorge, estimant que ce n’est pas poli. Lola pourrait croire que je ne m’intéresse pas à son travail, alors que c’est entièrement faux. Je rêve de pouvoir rentrer chez moi me prélasser dans un bon bain chaud, avant de rejoindre mes draps pour une bonne nuit de sommeil.
— Tu te joins à moi pour le dîner ? me propose Lola en se frottant les yeux. Restaurant ?
Je me mords la langue pour ne pas esquisser de grimace. La jeune femme semble y tenir, vu son sourire et ses yeux pétillants. Je sais qu’elle admire les études que j’ai réalisées il y a quelques années sur l’Égyptologie. Elle me l’a affirmé à plusieurs reprises, même si je n’aime pas particulièrement que l’on vante mes recherches. Je suis plutôt réservée, bien qu’aventureuse sur les bords quand même. Sinon, je ne me lancerais pas dans ce genre de métier. Je suis fière quand on me parle de mon travail.
— Avec plaisir, Lola. Juste le temps de récupérer mes affaires et de déposer nos blouses au sale. Je te rejoins à l’entrée du Louvre.
Elle hoche la tête en me tendant son outil de travail, attrape son badge et sort de la pièce.
La nuit est tombée lorsque nous sortons du bâtiment, emmitouflées dans nos manteaux. La pluie a considérablement rafraîchi l’atmosphère, malgré les quelques rayons de soleil que nous avons pu apercevoir aujourd’hui. La lumière naturelle de ce début de soirée, avec le ciel constellé d’étoiles, nous change des plafonniers blancs du laboratoire, dans lequel nous sommes restées enfermées toute la journée. J’inspire longuement l’air, malgré la pollution ambiante. Sortir m’aérer et me dégourdir les jambes me fait plus de bien que je ne l’aurais imaginé.
Je mets les mains dans mes poches en observant la rue que nous avons empruntée. Située derrière le Louvre, elle n’observe pas beaucoup de passage à cette heure tardive. Il faut dire que les vacances scolaires, couplées à un temps maussade, n’incitent pas vraiment les gens à sortir de chez eux. Je préfère moi aussi le soleil aux nuages, même si la pluie a un petit côté apaisant. Les pavés du trottoir sont tout mouillés. Des flaques se sont formées sur le côté de la route. Nous devons nous écarter sur le bord interne du trottoir pour ne pas être aspergées lorsqu’une voiture passe près de nous. Les lampadaires éclairent tout d’une lumière artificielle jaune. Les habitations nous entourent, laissant apparaître quelques lueurs par les fenêtres, signe que certaines personnes ont pu rentrer chez elles.
Un petit vent vient nous pousser dans le dos, m’envoyant les cheveux dans le visage. J’éclate de rire en écartant une mèche rebelle qui s’est collée à ma bouche, sous l’œil amusé de Lola. Vêtue d’un manteau noir et d’une paire de bottines de la même teinte, on pourrait presque ne pas la voir s’il faisait entièrement nuit, comme dans la campagne forézienne que je connais bien.
— On va à la brasserie italienne à deux rues d’ici ? me propose-t-elle après quelques minutes de silence.
Je repense à notre dernier dîner de travail là-bas et l’eau me monte instantanément à la bouche. Ce restaurant, qui propose des spécialités venues d’Italie, est un vrai régal. Les pâtes au saumon, les pizzas cuites au feu de bois… Rien que d’y repenser, mon ventre se remet à gargouiller. J’adore m’y rendre quand mon portefeuille me le permet, ou quand j’ai tout simplement le temps, pendant mes week-ends. Je ne peux pas mentir, je suis très bien payée par le musée. Ce poste de présidente de la section d’Égyptologie est une aubaine que je n’imaginais pas il y a encore quelques années, quand j’étais juste une étudiante forézienne, passionnée, mais encore incompétente en la matière. Je rêvais simplement du Louvre, comme tout un chacun. Aujourd’hui, mon parcours, même s’il a été jalonné de difficultés, me permet d’être fière de ce que j’ai accompli.
Nous arrivons près de la devanture alors que la pluie se remet à tomber. Bariolée de vert et rouge, les couleurs caractéristiques de l’Italie, elle donne vraiment envie de s’aventurer dans le restaurant. Nous franchissons le seuil en poussant la petite porte blanche aux carreaux vitrés. Une clochette tinte à notre passage. Une odeur de pâte à pizza et de sauce tomate nous accueille et envahit nos narines. J’esquisse un sourire ravi en ôtant mon manteau, tandis que Lola, qui avait réservé, se présente au serveur. Il nous guide jusqu’à notre table, dans un angle de la pièce déjà bien remplie. De nombreuses personnes espèrent profiter un peu de la chaleur des Italiens pour une soirée.
Alors que je m’assois sur la chaise en osier, positionnée devant un plateau recouvert d’une nappe à carreaux rouge et blanc, Lola s’empare du menu avec ferveur.
— J’ai vraiment trop faim. Toute cette agitation aujourd’hui m’a ouvert l’appétit.
Je lui souris en ouvrant la carte noir et blanc, qui affiche les plats. Les noms de pizzas défilent devant mes yeux affamés.
— Je vais avoir du mal à choisir, plaisanté-je en relevant les yeux pour observer le restaurant, ses clients et les serveurs qui déambulent entre les tables, les mains garnies d’assiettes toutes plus appétissantes les unes que les autres.
Mon assistante hoche la tête, l’air un peu désespéré. Comment pourrait-on faire un choix quand on sait que tout ce qu’ils proposent est un délice ? Je porte le regard sur le fond de la salle aux murs lambrissés. Une flamme jaillit du four à pizza lorsque le cuisinier y place une forme ronde et bombée, ressemblant à une calzone. Ça me donne immédiatement envie d’en manger, mais j’hésite encore. Une banque avec un comptoir en zinc dissimule les différents ingrédients qu’ils doivent utiliser pour leurs recettes. Nous voyons les cuisiniers s’agiter derrière pour proposer des mets savoureux aux clients.
— Alors ? Tu comptes faire quoi quand notre expertise sera terminée ?
Je me tourne vers Lola, les mains toujours serrées autour de la carte. Ses yeux brillent dans la lueur des petites lanternes, accrochées un peu partout au plafond. La jeune femme en face de moi est d’une beauté surprenante, qui ne laisse pas les hommes indifférents. Il suffit de voir leurs regards quand elle passe dans les couloirs et les petites attentions que certains lui portent.
— Je ne sais pas encore, avoué-je, à demi déçue de ne pas avoir de réel plan pour l’avenir, excepté mon poste au Louvre. Je suis déjà très contente de ce que j’ai, même s’il est vrai qu’en m’engageant dans ce métier, j’espérais pouvoir voyager dans le pays de ma passion.
Elle joint les mains devant elle, affichant une moue de réflexion. Je l’ai engagée au début de mon mandat de présidente du secteur d’Égyptologie. Je savais que j’aurais besoin d’aide, autant pour assurer la logistique que pour le reste. Je n’aurais jamais pu tout gérer seule, même avec toutes les compétences du monde. J’ai mené plusieurs entretiens, avec des personnes de profil et d’âge différents. Je ne souhaitais pas, en revanche, embaucher quelqu’un qui soit beaucoup plus âgé que moi pour ne pas me retrouver en porte-à-faux. C’est celui de Lola qui m’a le plus marqué, quand la jeune femme m’a présenté sa passion pour l’Égypte et l’archéologie, ainsi que les formations effectuées pour parvenir à son but. Pour elle aussi, ce poste au musée était une chance en or qu’elle ne voulait pas voir passer. Je me souviendrai toujours de son cri de joie et du rire qui s’en est suivi, le jour où je l’ai appelée pour lui annoncer que sa candidature était retenue. Elle s’était aussitôt excusée pour son comportement, qu’elle avait jugé non professionnel, mais je m’en moquais. Son bonheur était plaisant et j’étais ravie qu’elle soit aussi contente d’intégrer mon équipe. Depuis, nous faisons un excellent travail ensemble.
— Je commence à te connaître un peu, Alixia, depuis un an. Même si tu restes assez secrète, je sais à quel point ce voyage en Égypte pour une expédition et des fouilles, tu l’attends depuis longtemps.
Je ne peux que hocher la tête, la gorge nouée d’émotions. Nous parlons rarement de nos vies privées ensemble. Le plus souvent, le boulot est notre sujet de discussion favori lorsque nous sortons manger à l’extérieur.
La serveuse interrompt le fil de mes pensées en se plaçant devant nous, une tablette dans la main. Un ravissant sourire marque son visage de poupée, dont les traits sont un peu tirés par sa queue-de-cheval noire ramenée en arrière.
— Souhaitez-vous boire quelque chose pour l’apéritif ?
Je consulte Lola du regard.
— Je prendrai un cocktail sans alcool, commencé-je.
— Et moi avec alcool, précise aussitôt mon assistante avec un clin d’œil. Je peux boire, je ne suis pas au travail, n’est-ce pas ?
— Non, bien sûr, dis-je en riant.
J’attends que la serveuse s’en aille pour poser une question un peu plus personnelle. Je n’ai jamais vraiment pris le temps de connaître la jeune femme qui travaille avec moi et je le déplore un peu. Mon caractère réservé et un peu bourru a souvent causé du tort à mes relations avec les autres, une en particulier. Et ma passion m’a tellement accaparée que je ne me suis pas rendu compte que je ne faisais plus que travailler. Quelqu’un m’a dit un jour que je ne vivais que pour mon travail. Repenser à lui me serre le cœur, mais je repousse tous ces sentiments au fond de ma poitrine. C’est du passé, pas la peine de me faire du mal avec ça. J’en ai déjà bien assez souffert.
— Et toi, tu as des projets en dehors du boulot ?
— Je t’avoue que j’aimerais beaucoup, moi aussi, voyager à travers le monde. Pas qu’en Égypte, bien que j’adore ce pays, mais tout découvrir. Je suis une grande rêveuse, soupire-t-elle en regardant la rue faiblement éclairée à travers la fenêtre. Je voudrais pouvoir tout découvrir, des anciennes civilisations aux nouvelles. Voir l’évolution entre les deux.
— Pourquoi avoir choisi l’Égyptologie en spécialité, alors ? demandé-je, réellement surprise.
Elle laisse le temps à la serveuse de poser nos boissons sur la table, puis me répond en s’emparant de son cocktail.
— Parce que mes parents étaient égyptologues tous les deux et qu’ils rêvaient de me voir continuer dans leur domaine. J’aime l’Égypte, ce n’est pas le problème. Mais me cantonner à une spécialisation, j’ai l’impression d’étouffer, de ne plus ressentir cette liberté… Pour le moment, je me contente de ce que j’ai et je verrai par la suite. Je suis déjà très chanceuse.
Je vois parfaitement ce qu’elle veut dire, même si je ne le ressens pas personnellement. Ma spécialité à moi me convient très bien et je n’en changerais pour rien au monde.
— Avez-vous choisi ? nous interrompt un autre serveur.
— Ce sera une pizza saumon pour moi, indiqué-je en lui rendant la carte.
— Pour moi, une calzone carbonara, avec un supplément œuf et lardons. Et oui, je suis une grande gourmande, rit-elle devant mon regard amusé.
— Qu’en est-il pour toi, Alixia ? me questionne-t-elle en avalant une gorgée de son cocktail aussi orange qu’un coucher de soleil, une fois le jeune homme parti.
Je lui souris, mais détourne le regard, envahie par la tristesse. Je ne me sens pas encore de parler de mes parents. Je n’en ai pas le courage. Les évènements sont encore trop frais dans ma tête, malgré les années écoulées.
— J’ai toujours été passionnée par l’Égypte antique, tout simplement, conclus-je en reportant de nouveau les yeux sur elle.
À mon ton un peu froid, elle comprend rapidement que c’est un sujet à éviter. Elle se contente de hocher la tête sans rien ajouter, avec néanmoins un sourire bienveillant à mon attention. J’apprécie son silence et le fait qu’elle ne me prenne pas en pitié, comme le feraient d’autres. J’ai toujours détesté le regard condescendant que les gens peuvent faire quand ils apprennent ce qui t’est arrivé. À la mort d’Aléna, ça a été terrible, en plus des remords et de la culpabilité.
Nous discutons un bon moment de tout et de rien, de nos passions en dehors du travail, de nos loisirs, de nos envies… Cela faisait si longtemps que je n’avais pas pensé à autre chose que le boulot. Ça me fait un bien fou de rire, de décompresser et de me vider réellement la tête. Les deux pizzas sont un vrai régal pour les papilles, mais nous n’hésitons pas à compléter avec une part de gâteau au chocolat. Mon estomac menace d’exploser, mais je m’en fiche. Je me sens bien pour la première fois depuis des mois. J’ai vraiment envie de profiter.
J’apprends finalement beaucoup de choses sur Lola. Nous avons décidé de laisser le travail de côté. Elle a pratiqué le tennis pendant des années, avant d’être obligée d’arrêter à cause d’une blessure au genou. Ses parents l’ont poussée dans cette voie professionnelle, tout en sachant que ses rêves n’étaient pas réellement compatibles avec leurs envies. Elle m’a indiqué qu’elle avait obéi, simplement parce qu’elle les aimait et qu’elle voulait leur faire plaisir. Bien sûr, le sujet famille est resté sur la table, elle m’a posé des questions, auxquelles je n’ai pas répondu. C’est en général une discussion que j’évite avec tous ceux qui ne connaissent pas mon passé. Seules trois personnes sont au courant : ma grand-mère, Alexander Béritz et Noah.
Nous ressortons du restaurant aux alentours de vingt-trois heures trente. Je consulte ma montre avec béatitude, réellement surprise de ne pas avoir vu le temps passer, et surtout, de ne pas avoir pensé au travail.
— Merci pour cette belle soirée, Lola. Nous devrions faire ça plus souvent.
— Avec plaisir, Alixia.
Nous marchons quelques minutes ensemble, avant qu’elle ne tourne après le pont pour rejoindre son appartement. Elle me fait un signe de la main de loin, disparaissant à l’angle de la prochaine rue. Je reste quelques instants au-dessus de la Seine, admirant l’eau scintiller sous les rayons de la lune. Celle-ci s’y reflète, ronde et pleine, d’un argenté que je trouve magnifique. Ces deux ou trois minutes me permettent de m’apaiser définitivement, avant que je ne regagne mon logement, à seulement quelques ruelles du Louvre.
Je pénètre dans le couloir sombre, essuyant mes chaussures mouillées sur le paillasson de l’entrée. Après avoir consulté ma boîte aux lettres, y retrouvant un courrier de ma grand-mère, je monte les escaliers et me sers de la balustrade en bois pour ne pas me casser la figure dans le noir. Je vis au premier étage d’un immeuble ancien, très bien entretenu par notre adorable concierge, Mary. Elle vivait en Angleterre, avant de rejoindre le pays de Molière pour les beaux yeux de Luc, son défunt mari militaire.
Je referme la porte de mon appartement avec précaution pour ne pas faire claquer les battants et enlève mes chaussures en poussant un soupir d’extase. Une fois mon manteau accroché, je vais m’écrouler sur mon lit. Il ne me faut pas longtemps pour trouver le sommeil.
Le réveil ne cesse de sonner depuis déjà dix bonnes minutes. Je me maudis aussitôt de ne pas avoir fermé les rideaux de ma chambre quand je me suis couchée hier soir. Les rayons dorés du soleil s’immiscent à travers la large fenêtre qui fait office de baie vitrée. Je ronchonne en m’enfonçant la tête dans l’oreiller, avant d’abattre ma main sur ce foutu réveille-matin.
Je pousse un soupir en me redressant, me frottant les yeux avec vigueur. Je suis encore tout habillée de la veille, mais j’ai passé une très bonne nuit. Je me sens particulièrement en forme ce matin. Mes bras s’étirent au-dessus de ma tête, avant que je ne saute du lit pour aller prendre une douche. Ma chambre est située au bout de l’appartement. Le plancher de bois clair, en zigzag, se prolonge sur le salon et la cuisine, de l’autre côté. La pièce à coucher est meublée par un bureau, sur lequel s’entassent des dizaines de dossiers aux pochettes vertes et rouges, un ordinateur portable, un écran pour agrandir celui du petit PC et la tablette du musée réservée aux archéologues. Un lit deux places vient compléter l’ensemble, une commode et une télévision, placées contre les deux murs opposés, afin que je puisse la regarder quand je suis couchée.
Ma salle de bain n’est pas très grande, mais elle a le mérite d’être fonctionnelle. Je passe rapidement sous la douche pour dénouer toutes les tensions de la veille, sachant pertinemment que la journée risque de m’apporter son lot d’excitation elle aussi.
Je ressors tout juste de la cabine quand j’entends mon téléphone sonner dans le salon. Je m’y précipite pour décrocher, curieuse de voir un numéro masqué.
— Alixia, il faut que je te parle, m’annonce la voix de Noah dans le combiné.
Je reste coite d’entendre son timbre rauque et grave, après tout ce temps. Les mots se forment dans ma tête, mais ne franchissent pas la barrière de ma bouche, jusqu’à ce que je me morde la lèvre.
— On n’a rien à se dire, Noah, et tu le sais très bien !
J’espère que mon ton est plus sec que ce que j’entends moi, une petite voix tremblante, signe qu’il me trouble encore bien trop.
— Écoute, Alix…
— Ne m’appelle pas comme ça, sifflé-je en lui raccrochant au nez, puis en m’écroulant sur le canapé.
Cette journée avait si bien commencé… Je me prends la tête dans les mains, avant de basculer en arrière sur les assises en poussant un cri de frustration.
***
Nous travaillons sur cette mission Louxor 1.1 d’arrachepied depuis trois jours avec Lola, passant tout notre temps entre le laboratoire et nos bureaux respectifs à l’étage. Mes premiers prélèvements bactériologiques n’ont étrangement rien donné, alors j’ai été obligée de les refaire. Nous devrions avoir les résultats aujourd’hui dans la matinée. J’espère que cette fois, ce sera bon. Les analyses lancées par mon assistante doivent également nous fournir leurs résultats, ainsi que le visage de notre sujet d’étude.
Je me dépêche de passer le porche du musée, refermant mon parapluie en l’agitant devant moi sur le perron pour qu’il ne dégouline pas de partout. La pluie, qui n’a pas cessé depuis des heures, n’a pas arrangé mon humeur maussade de ces derniers jours. Je n’ai pas arrêté de repenser au coup de fil étrange de Noah, qui ne m’avait plus adressé la parole depuis des mois.
Je pénètre dans le couloir du rez-de-chaussée en chassant une énième fois cette pensée de ma tête, puis rejoins le laboratoire, où Lola attend déjà les premiers résultats, en tenue. Je m’empresse d’enfiler une blouse propre, de nouer mes cheveux, avant de m’asseoir sur mon tabouret à côté d’elle.
— Alors ? demandé-je sans même un bonjour.
Elle est tellement concentrée sur le visage qui se forme petit à petit à l’écran qu’elle ne le remarque même pas. Nous allons probablement avoir besoin de parler de l’avancée de nos recherches d’ici quelques jours aux responsables égyptiens du musée du Caire. Nous avons plutôt intérêt à leur fournir des données intéressantes, si nous ne voulons pas que cette mission nous soit retirée et que nous fassions honte à nos supérieurs et à la réputation française en la matière.
— C’est en train de charger, m’informe-t-elle en pianotant sur le clavier. Nous ne devrions pas tarder à voir son visage.
Tandis qu’elle patiente devant l’écran en tapant le bureau du bout des doigts pour maîtriser son impatience, je consulte ma messagerie rapidement, y découvrant un mail du laboratoire de génétique. Les résultats ADN demandés il y a deux jours sont arrivés. J’ouvre le fichier et souris devant les analyses.
— Je peux déjà te dire qu’il s’agit d’un jeune homme, mais nous le savions déjà, d’environ dix-huit ans, indiqué-je en lui montrant le mail. Les résultats ne peuvent pas être plus précis. C’est déjà un bon début.
Toute son attention se détourne pour se concentrer sur les analyses, prouvant le sexe et l’âge de notre momie.