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En 150 articles empruntés à l’Encyclopaedia Universalis, ce Dictionnaire du Consulat et de l’Empire propose un fonds documentaire solide pour revisiter, sous la conduite des meilleurs guides, cette période illustre de notre histoire. D’Alexandre Ier à Wellington, en passant par Napoléon Bonaparte, sa famille et son entourage civil et militaire, les personnages occupent le devant de la scène, mais les événements et leur enchaînement ne sont pas négligés par un sommaire où brillent les noms d’auteurs comme Jean Tulard, Jean Massin, Guillaume Berthier de Sauvigny, Jacques Godechot. Dense, pratique, riche d’aperçus stimulants, ce dictionnaire est le compagnon idéal de tous ceux que passionnent la geste napoléonienne et ses effets.
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Seitenzahl: 727
Veröffentlichungsjahr: 2015
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Mouches et cigales font partie du mobilier funéraire mérovingien ; dans la civilisation de la steppe, la cigale est symbole de résurrection du fait de ses métamorphoses et, selon Édouard Salin : « La cigale mérovingienne évoque l’idée d’immortalité et elle est, plus ou moins indirectement, un héritage de traditions venues d’Extrême-Orient et apportées par le monde des steppes. » Lors de la découverte de la tombe du roi Childéric Ier (mort en 481) à Tournai, en 1653, on trouva de nombreux bijoux d’or, ornés de grenats, que l’on baptisa « abeilles ». Ce trésor fut donné à l’archiduc gouverneur des Pays-Bas qui l’emporta à Vienne. En 1665, sur la demande de l’électeur-archevêque de Mayence, l’empereur Léopold Ier en fit cadeau à Louis XIV, successeur de Clovis et de son père Childéric Ier ; les épaves de ces objets précieux (beaucoup furent volés et fondus) figurent encore au cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale (Paris). Un érudit du nom de Jean-Jacques Chifflet pensa que l’abeille de Childéric était à l’origine de la fleur de lis, qui en serait dérivée graphiquement, thèse insoutenable mais qui s’imposa en partie (Anastasis Childerici I..., Anvers, 1655 ; Lilium francicum veritate historica..., Anvers, 1658). Louis XII avait utilisé une ruche bourdonnante comme corps de sa devise, mais la Convention nationale repoussa cet emblème pour la République, les abeilles ayant une reine. Dans son désir de remonter aux sources carolingiennes et même mérovingiennes et de « sauter » ainsi par-dessus les Capétiens, Napoléon Ier cherche de nouveaux symboles en 1804. Le Conseil d’État entend Cambacérès et Lacuée proposer les abeilles, « une république qui a un chef », ayant un aiguillon mais produisant du miel, emblème de travail pour Ségur. L’équipe qui crée les armoiries impériales autour de Vivant Denon sème des abeilles d’or de style mérovingien sur le manteau impérial de pourpre ; mais, le dessin ayant un aspect trop archaïque, on préfère l’abandonner au bout de quelques semaines ; une abeille aux ailes bien détachées est adoptée et c’est elle que l’on voit sur les vêtements de l’empereur, de l’impératrice ainsi que sur les tentures de Notre-Dame pour le sacre, remplaçant l’antique semé de fleurs de lis. L’abeille figure dans la symbolique d’État française de 1804 à 1814, durant les Cent-Jours et enfin sous Napoléon III (1852-1870).
Hervé PINOTEAU
Oiseau de Zeus puis de Jupiter, patron de Rome, l’aigle fut employé par les Barbares qui le considéraient comme le symbole de l’Être suprême (Édouard Salin). Des indices prouvent que Charlemagne l’employa au sommet du mât de ses navires (denier de Quentovic, après 804) et en mit une image en bronze au-dessus de son palais d’Aix (Richer, Thietmar). Ce symbole romain parvint aux Stauffen qui le placèrent sur leur écu (vers 1175, sous Frédéric Ier Barberousse, un pfennig frappé à Maestricht montre un écu orné d’un aigle et entouré d’une légende signifiant que c’est l’écu de l’empereur) ; c’est ainsi que les empereurs et rois des Romains, plus tard rois de Germanie, eurent les armes à l’aigle qui devinrent celles de l’Allemagne. Byzance prit aussi l’aigle, qui est du genre féminin en héraldique. Depuis la fin du XIIIe siècle, Charlemagne fut souvent représenté symboliquement par un écu aux armes parti de l’Empire (l’aigle) et de France (les fleurs de lis), ce qui apparaît en particulier sur le sceptre « de Charlemagne » fait pour le sacre de Charles V de France (1364). Des auteurs français du XVIIe siècle en vinrent à dire que Charlemagne avait l’aigle d’or sur champ d’azur, alors que les armes traditionnelles du Saint-Empire étaient en réalité une aigle de sable (noir) en champ d’or. Ces textes d’André Favyn (Le Théâtre d’honneur de chevalerie, Paris, 1620) et de Marc-Gilbert de Varennes (Le Roy d’armes..., Paris, 1635) furent lus par Vivant Denon et Napoléon Ier quand on créa les armoiries impériales autour de l’idée de Charlemagne (1804). Pour distinguer la nouvelle aigle française des aigles de l’empereur des Romains et d’Autriche, de l’empereur de Russie, du roi de Prusse et même des États-Unis d’Amérique, on dessina une aigle romaine, empiétant un foudre, les ailes baissées, en un style naturaliste fort peu héraldique, mais déjà assez visible sur des symboles prussiens (maillons de l’ordre de l’Aigle noir, aigle des drapeaux, etc.). Les armoiries de la France impériale (1804-1814, 1815 et 1852-1870) portaient ainsi en leur milieu un écu d’azur à l’aigle antique d’or empiétant un foudre du même. Il est probable que c’est un architecte lyonnais du nom de Joseph Gay qui dessina aigle et armoiries, ces dernières étant fort mal décrites dans le décret du 10 juillet 1804. Antoine-Denis Chaudet, s’inspirant visiblement d’un monument romain, créa l’aigle similaire placée au sommet des drapeaux, étendards et guidons distribués le 5 décembre 1804, trois jours après le sacre. Cet oiseau impérial a donc donné son nom aux drapeaux napoléoniens, et l’on sait que cet objet métallique était aux yeux de l’Empereur beaucoup plus important que l’étoffe tricolore. Il reste peu d’« aigles » napoléoniennes dans les musées et collections particulières. Le terme de « grand aigle » servira, sous Napoléon Ier à désigner les plus importants légionnaires (1805), mais sera remplacé à partir de 1815 par celui de grand-croix de la Légion d’honneur.
Hervé PINOTEAU
Petit-fils de la Grande Catherine, le jeune Alexandre est, dès son enfance, séparé de son père, qu’il aime en dépit de ses extravagances. L’impératrice se charge de son instruction et le confie, sur la recommandation de Grimm, au Suisse La Harpe, disciple de Diderot et de Voltaire. Elle remet au précepteur des instructions où tout est prévu. Le jeune prince reçoit donc une éducation républicaine. Placé entre son père et sa grand-mère, il doit continuellement cacher ses opinions et, toute sa vie, il restera une énigme pour son entourage. Il n’a pris aucune part effective au meurtre de son père, mais il a cependant trempé dans la conspiration où celui-ci trouva la mort ; il en gardera toute sa vie un sentiment de profond repentir et un désir ardent de réparer sa faute.
Entouré d’anglomanes dans la première partie de son règne, il rêve de réformes, puis il se rapproche de Napoléon à Tilsitt ; mais, quand celui-ci envahit la Russie, Alexandre Ier devient l’animateur de la résistance nationale. En 1814, placé à la tête des affaires européennes et au zénith de sa gloire, il tombe sous l’influence de la baronne de Krüdener et du visionnaire lyonnais Bergasse et désire fonder le bonheur des peuples sur la mystique chrétienne et absolutiste de la Sainte Alliance. Pendant les dernières années de son règne, il accumule les contradictions. Il a pleine confiance dans le général Araktcheïev, auteur du système des villages militaires, parce que celui-ci est le seul collaborateur de son père assassiné qui ne l’ait pas trahi. Le sentiment de contrition l’envahit de plus en plus, et il est très probable que son abandon du trône, son départ pour la Terre sainte et son retour sous le nom du starets Fedor Kouzmitch ne sont pas une légende, mais une vérité historique.
Pierre KOVALEWSKY
Revenu de bien des choses, de l’Orient où il s’est aventuré, des voyages en montgolfières et surtout des idées républicaines qu’il avait naguère adoptées, le comte d’Antraigues, dès 1789, abandonne les principes qu’il a exposés l’année précédente dans son Mémoire sur les états généraux, grâce auquel il est devenu célèbre en quelques semaines.
Cet ennemi de la Cour se transforme en champion d’une cause monarchique qu’il est prêt à soutenir contre le monarque lui-même et il la défend avec un zèle partisan qui lui fait dire : « Je serai le Marat de la contre-révolution. » Il émigre en 1790, se réfugie en Suisse et de là, pendant trois ans, adresse régulièrement au comte de Las Cases, ambassadeur d’Espagne à Venise, les renseignements que lui font parvenir ses correspondants restés en France. Ceux-ci, groupés en plusieurs agences dont la plus importante est celle de Paris, constituent le « réseau d’Antraigues » qui, bien que resté longtemps méconnu, n’en a pas moins joué un rôle important dans l’histoire de la contre-révolution. Tout en ayant acquis la nationalité espagnole, il se fait attacher à la légation russe à Venise et, à l’abri de cette double couverture, il mène un virulent combat, la plume à la main, contre la Révolution française et contre les souverains coupables de la laisser s’étendre. Arrêté en 1797, lors de l’entrée des troupes françaises à Venise, il est livré, avec une partie de ses papiers, au général Bonaparte qui l’interroge lui-même et lui extorque sinon une confession écrite, du moins l’aveu d’authenticité d’une pièce importante : il s’agit d’un document qui, bien que non signé, apporte la preuve d’une collusion de Pichegru avec des émissaires de Louis XVIII et du prince de Condé. Bonaparte, qui a encore partie liée avec Barras et la gauche contre Carnot et les Clichyens dont Pichegru est le dirigeant parlementaire, envoie ce document au Directoire et, en échange du service ainsi rendu, laisse d’Antraigues s’échapper de sa prison. Devenu suspect aux milieux de l’émigration, mais disposant encore de puissants appuis, notamment auprès du tsar Alexandre Ier, d’Antraigues se réfugie à Vienne, puis à Dresde où, grâce aux relations qu’il a conservées en France, il continue sa besogne d’informateur auprès de la Russie.
Dans ses moments perdus, il trace le plan d’une réorganisation de l’Université russe et participe utilement à la réforme de l’enseignement commencée par le tsar. Sur les instances de Napoléon, le comte d’Antraigues est évincé de la légation russe de Dresde et doit se replier à Londres où, fâcheusement pour lui, il prend parti dans la querelle qui oppose un illustre émigré, le comte de Puisaye, au prétendant, le futur Louis XVIII, avec lequel il se brouille définitivement. Il est assassiné dans des circonstances mystérieuses ainsi que sa femme, une ancienne artiste de l’Opéra, qui était plus connue sous le nom de la Saint-Huberty.
Ghislain de DIESBACH
L’un des seuls Parisiens d’origine parmi les généraux de la Révolution et de l’Empire. Fils d’un domestique et d’une fruitière, Augereau s’engage à dix-sept ans, puis passe dans l’armée napolitaine. En 1790, il rentre de Naples où il avait fini par devenir maître d’armes, et s’engage comme volontaire. Général de division en 1793, envoyé à l’armée d’Italie en fin 1795, il entre alors dans la légende épique comme l’un des meilleurs lieutenants de Bonaparte. Celui-ci l’envoie à Paris pour juguler les menées royalistes des clichyens en août 1797 ; grâce aux troupes envoyées de Sambre-et-Meuse par Hoche, Augereau mène à bien le coup d’État du 18-Fructidor ; il nourrit dès lors une ambition politique très supérieure à ses moyens intellectuels. Député en 1799 aux Cinq-Cents, il siège à gauche et s’oppose au 18-Brumaire, puis fronde pendant le Consulat ; Napoléon le comprend néanmoins dans la première liste des maréchaux et lui confie en 1805 le 7e corps de la Grande Armée. Excellent divisionnaire, Augereau va se trouver moins à l’aise, malgré sa valeur, à la tête de masses plus considérables ; à Eylau, il verra son corps d’armée presque anéanti à la suite de ses fausses manœuvres. En 1814, Napoléon lui confie l’armée de l’Est ; Augereau, usé, défaitiste, se laisse manœuvrer et battre, malgré les objurgations de Napoléon qui l’appelle à « reprendre ses bottes et sa résolution de 93 » ; dès le début d’avril, il lance une proclamation où il injurie vilement le Corse, auquel il dénie jusqu’à la nationalité française, et fait passionnément l’éloge de la cocarde blanche : aux Cent-Jours, malgré de nouveaux efforts pour rentrer en grâce auprès de Napoléon, il sera rayé de la liste des maréchaux. La seconde Restauration se passera de ses services.
Jean MASSIN
En septembre 1804, renonçant à envahir l’Angleterre, Napoléon lance la Grande Armée depuis les côtes de la mer du Nord au cœur de l’Europe pour frapper séparément les coalisés russes et autrichiens. Après avoir obtenu la reddition du général Mack à Ulm le 20 octobre et fait son entrée dans Vienne abandonnée le 14 novembre, il recherche une victoire décisive sur les armées alliées de l’empereur d’Autriche François Ier et du tsar Alexandre Ier, déjà nettement supérieures et qui attendent des renforts : 90 000 Austro-Russes, dont 25 000 cavaliers et 278 canons, contre 75 000 Français dont 21 800 cavaliers et 160 canons. Le choc a lieu à 100 kilomètres au nord de Vienne, en Moravie, entre la ville de Brünn (Brno) et le village d’Austerlitz (Slovko). Feignant l’hésitation, Napoléon demande un armistice puis abandonne à l’ennemi une position centrale sur les hauteurs de Pratzen. Le 2 décembre, dès l’aube, les Austro-Russes se ruent sur son aile droite dégarnie, pour lui couper la route de Vienne au sud. Vers 9 heures, le corps d’armée de Soult, dissimulé en contrebas par la brume, attaque au centre, s’empare de Pratzen et prend bientôt à revers l’aile gauche des coalisés, qui cède à la panique. L’armée alliée est coupée en deux. Son aile droite est retenue au nord par Lannes et la cavalerie de Murat. Les contre-attaques désespérées de Koutouzov au centre sont vaines. Après midi, les coalisés reculent partout en désordre. Les Français, qui eurent moins de 2 000 tués et 3 500 blessés, s’emparent de 45 étendards et de 185 canons. Les coalisés dénombrent pour leur part 16 000 tués et blessés, et plus de 10 000 prisonniers.
Pascal LE PAUTREMAT
L’« Anacréon de la guillotine », tel fut l’un des nombreux surnoms de Barère. Il résume bien les contradictions de ce « petit-maître » du XVIIIe siècle, qui appartint au grand Comité de salut public de l’an II et dont Napoléon, après l’avoir utilisé, devait parler avec mépris dans Le Mémorial de Sainte-Hélène de Las Cases. Avocat au parlement de Toulouse à la veille de la Révolution, Barère partage son temps entre le droit et les belles-lettres, toujours attentif aux courants nouveaux. Le Bigorre l’envoie siéger aux États généraux. « C’était le seul homme que j’aie vu arriver du fond de sa province avec un ton et des manières qui n’auraient jamais été déplacés dans le grand monde et à la Cour », notera Mme de Genlis. Barère comprend, dès le début de la Révolution, la puissance de la presse et fonde Le Point du jour qui rend compte des débats de l’Assemblée. Débats où, à l’inverse d’un Robespierre, il brille beaucoup, réussissant par exemple à conserver sa province du Bigorre sous le nom de département des Hautes-Pyrénées. Après la dissolution de la Constituante, il occupe pendant un an les fonctions de juge du Tribunal de cassation, puis il est élu à la Convention où il s’impose rapidement. Bien qu’il ait pris place sur les bancs de la Plaine, il est considéré comme un Montagnard, et pendant longtemps le doute planera sur ses véritables options. S’il se prononce, en effet, contre les Girondins dans la séance du 4 novembre 1792, lorsque les sections viennent demander l’éloignement de Paris des fédérés des départements, il condamne dans le même temps « le monstre de l’anarchie dont la tête s’élève du sein de la Commune de Paris ». Il vote la mort du roi, mais se fait le défenseur du droit de propriété. Membre du premier Comité de salut public, on le retrouve aussi dans le second, où il s’occupe des affaires étrangères et présente à la Convention les rapports sur la situation militaire. De nombreux témoignages (Mémoires de Durand de Maillane, de Choudieu, Souvenirs assez suspects de Sénac) montrent que son activité était très variée. Dans les luttes qui déchirent la Montagne, il s’oppose aux hébertistes et aux dantonistes. Son attitude lors du 9-Thermidor demeure encore mal connue. Ce n’est que le soir du 9 qu’il prend parti en présentant le projet de mise hors la loi des robespierristes réunis à l’Hôtel de Ville. La réaction thermidorienne ne lui pardonne pas son rôle au sein du Comité de salut public. Il échappe toutefois à la déportation. Caché, sous le Directoire, il écrit De la pensée du gouvernement républicain (1797), dont le caractère utopique n’est pas sans rappeler les Institutions républicaines de Saint-Just. Devenu informateur de Bonaparte, il lui adresse de 1803 à 1807 des rapports hebdomadaires sur l’opinion publique, aujourd’hui, semble-t-il, perdus. Il publie également Le Mémorial antibritannique, dirigé contre le cabinet de Londres. Élu à la Chambre des Cent-Jours, il doit fuir, comme régicide, en Belgique. Il revient en France après la révolution de 1830 et rédige des Mémoires publiés après sa mort par Hippolyte Carnot et David d’Angers, Mémoires décevants qui ne contribuent guère à lever les ambiguïtés entourant un personnage qui avait l’étoffe d’un Saint-Just mais non le caractère.
Jean TULARD
Son père, Alexandre de Beauharnais, commandant en chef de l’armée du Rhin, ayant été guillotiné, et sa mère, Joséphine, étant en prison, le jeune Eugène entre en apprentissage chez un menuisier avant que le 9-Thermidor, ouvrant un nouveau crédit à sa mère, lui permette d’embrasser la carrière des armes. Après le remariage de Joséphine, il suit Bonaparte en Italie puis en Égypte et se comporte avec bravoure ; chef d’escadrons après Marengo, la proclamation de l’Empire ouvre à ce jeune homme les hautes dignités et les grandes responsabilités : il n’en sera pas indigne. Vice-roi d’Italie par la grâce et sous la surveillance de son beau-père, il s’emploie à créer une armée qui fera bientôt ses preuves, et à réorganiser l’administration ; à défaut du génie qui lui manque absolument, il est honnête, consciencieux jusqu’au scrupule, travailleur acharné, ferme et affable ; meilleur homme de gouvernement, à beaucoup près, que tous les frères de Napoléon, comme homme de guerre, il est plus effacé ; toutefois, en 1809, il contribue au succès de Wagram après avoir réparé une défaite à Sacile (16 avr.) par une victoire à Raab (14 juin) — grâce aux conseils de Macdonald qu’il a la sagesse d’écouter. En 1812, il participe à la campagne de Russie, et c’est à lui qu’échoit la lourde tâche de ramener et de réorganiser en Allemagne les débris de la Grande Armée au début de 1813. Il avait épousé en 1806 la fille du roi de Bavière, Augusta ; c’est en Bavière qu’il se retire pour y finir sa vie après avoir perdu sa vice-royauté en 1814 ; la dignité qu’il montrera dans sa retraite lui vaudra l’admiration de Goethe qui en parlera avec éloge (Entretiens de Goethe avec Eckermann). De tous les hommes de la famille impériale, il est le seul qu’une confiance mutuelle vraiment affectueuse et jamais démentie ait lié à Napoléon.
Jean MASSIN
Fils d’un magistrat de Pau, engagé à dix-sept ans, sergent-major en 1788 et connu alors sous le sobriquet de « Belle Jambe », Bernadotte prend ses grades dans les armées de la Révolution, devient le lieutenant de Jourdan à l’armée de Sambre-et-Meuse puis de Bonaparte à l’armée d’Italie. Ambassadeur à Vienne pendant deux mois en 1798, il y rencontre Beethoven et lui conseille de consacrer une symphonie à Bonaparte. Ministre de la Guerre en 1799, il refuse de participer au 18-Brumaire. Bonaparte le ménage, car Bernadotte a épousé Désirée Clary, ancienne fiancée du Premier consul, et se trouve ainsi le beau-frère de Joseph Bonaparte ; il est presque membre de la « famille » — ce qui ne l’empêche pas de multiplier les intrigues, quitte à désavouer ses affidés dès que les choses tournent mal.
Les principaux exploits militaires de Bernadotte dans les années glorieuses sont les suivants : en 1805, il ne sert que peu à Austerlitz ; en 1806, il reste inactif à quelques kilomètres d’Auerstaedt où Davout (qui l’avait en vain appelé à l’aide) remporte seul la victoire ; en 1807, il ne rejoint le gros de l’armée que quarante-huit heures après Eylau, malgré les ordres exprès de Napoléon ; en 1809, il commande à Wagram le corps des Saxons qui se débandent, puis leur attribue tout le mérite de la victoire dans un ordre du jour ronflant. Cette fois Napoléon le casse de son commandement.
Il noue encore quelques intrigues, qui tournent mal, avec Fouché pendant l’été de 1809. Et puis l’inlassable activité du prince de Ponte-Corvo (prince à titre civil, car Napoléon n’a pu ni voulu lui donner aucun duché à titre militaire pour célébrer ses faits d’armes) va trouver enfin un champ à sa mesure : il avait pris soin de ménager ses adversaires suédois dans la campagne de 1806-1807 en Poméranie ; en 1810, il réussit à se faire élire prince héréditaire de Suède avec promesse de succession au trône, et extorque non sans mal le consentement de Napoléon méfiant, en lui jurant une loyauté indéfectible. Dès 1812, il s’allie avec le tsar ; en 1813, il commande avec succès une des armées alliées en Allemagne ; en 1814, il commande l’armée d’invasion contre la Belgique. À l’annonce de la chute de Paris, il y accourt dans l’espoir de succéder à Napoléon sur le trône de France, grâce à l’appui du tsar ; mais la trahison est trop fraîche pour que la candidature soit viable.
Bernadotte va se consoler en arrachant la Norvège au Danemark, malgré l’opposition unanime de la population norvégienne. En 1818, de prince héréditaire il devient roi sous le nom de Charles XIV et se montre à tout le moins un aussi bon roi que tous les monarques nés sur le trône, à la satisfaction et à l’estime de ses sujets. Quand il mourra, chargé d’ans et de respectabilité, on découvrira sur sa poitrine un tatouage : « Mort aux rois ! » — et on comprendra enfin pourquoi le roi de Suède refusait toujours démocratiquement, avec autant de simplicité que de modestie, de se laisser déshabiller par ses valets de chambre.
Jean MASSIN
Né à Versailles, ingénieur-géographe et officier de carrière, combattant valeureux de la guerre d’Amérique, Berthier, déjà connu comme officier d’état-major modèle, est lieutenant-colonel en 1789 ; avant de devenir le major-général (c’est-à-dire chef d’état-major) de Napoléon, il est celui de La Fayette à la tête de la garde nationale parisienne dès l’automne de 1789. Patriote à tout le moins fort tiède, instrument docile de La Fayette, il devient vite l’une des cibles favorites de Marat ; puis il s’éloigne de la scène politique et sert dans divers états-majors, destitué de temps à autre et toujours remis en poste sans trop tarder. On lui reproche son « modérantisme ». En fait, Berthier n’est ni un homme politique ni un homme de guerre, ce n’est qu’un technicien, mais un technicien hors pair.
Le 27 mars 1796, il devient chef d’état-major de Bonaparte à l’armée d’Italie, et de ce jour son destin est fixé : Leporello a rencontré Don Giovanni. Par deux fois, en Italie (1798) et en Allemagne (printemps 1809), il commande en chef une armée, de façon minable ; mais comme chef d’état-major de l’armée d’Italie, de l’armée d’Égypte, de la Grande Armée (longtemps aussi comme ministre de la Guerre), il est d’une incomparable efficacité ; sans lui, le verbe stratégique napoléonien ne saurait s’incarner, et l’Empereur n’éprouvera que trop à Waterloo ce que coûte l’absence de son maréchal. Les deux hommes ne peuvent se passer l’un de l’autre et se comprennent presque à demi-mot. Pourtant Berthier demeure un homme d’Ancien Régime, toujours effrayé par les audaces de son maître, même quand il s’emploie à le seconder avec un dévouement absolu. Et il a de plus en plus peur.
D’où le drame final de sa vie : quand Don Giovanni est vaincu, Leporello le quitte, furieux, soulagé, déchiré tout ensemble ; parmi les premiers, il se rallie au roi. Louis XVIII le comble de faveurs : enfin, parmi tant de soldats de la Révolution, un homme avec qui on peut trouver une langue commune ! Mais Don Giovanni revient de l’île d’Elbe ; dans un réflexe presque irraisonné de peur, Berthier suit son roi à Gand. Napoléon le raye de la liste des maréchaux mais lui fait savoir qu’il est prêt à tout lui pardonner s’il accepte pour toute pénitence de se présenter devant son Empereur en uniforme de garde du corps de son roi. C’en est trop pour Berthier ; il est trop pusillanime et trop modéré pour se replonger dans une aventure qu’il sent désespérée, mais il ne supporte pas de rester parmi les ennemis de son ancien dieu. Il quitte Gand, se rend en Bavière avec sa femme (fille du prince Guillaume de Bavière) ; il tombe d’une fenêtre du palais de Bamberg, dix-sept jours avant Waterloo. Quand Napoléon apprendra cette mort, sans aucun doute un suicide, il s’évanouira d’émotion.
Sur le drame intime de Berthier, sur son amour pour Mme Visconti, amour presque sadiquement contrarié par Napoléon, on ne peut que renvoyer aux admirables pages de La Semaine sainte d’Aragon.
Jean MASSIN
Berthollet est, après Lavoisier, le chimiste français le plus important de la fin du XVIIIe siècle. Il a été à la fois un théoricien et un praticien. On lui doit notamment des ouvrages sur le blanchiment (découverte de l’eau de Javel) et sur la teinture. Dans son essai de statique chimique (1803), il fut le premier à définir les notions d’équilibre chimique et d’action de masse. Les règles dites de Berthollet sont la première contribution sérieuse au problème de la prévision des réactions chimiques.
Claude Louis Berthollet, né à Talloires, près d’Annecy, situé alors en territoire piémontais, fit ses études à Chambéry, puis surtout à Turin, où il fut reçu licencié et docteur en médecine, en janvier et mai 1770. En 1772, il vint à Paris, où il s’intéressa à la chimie en suivant principalement les cours de Macquer et Bucquet. Reçu médecin de la faculté de Paris en 1779, naturalisé Français l’année précédente, il était devenu, grâce à la protection du médecin genevois Tronchin, « médecin ordinaire » de Mme de Montesson, épouse du duc d’Orléans. Grâce à ce poste, il disposait d’un laboratoire pour ses recherches personnelles.
Ses premiers mémoires furent présentés à l’Académie royale des sciences dès 1778. Le jeune chimiste y fut admis comme adjoint le 15 avril 1780, associé le 23 avril 1785, et pensionnaire le 7 janvier 1792. Avec Fourcroy, Guyton de Morveau et Monge, il faisait partie du petit cercle de jeunes savants qui se réunissaient à l’Arsenal, autour de Lavoisier, dont il subit ainsi directement l’influence. En 1784, il succéda à Macquer à la « direction des teintures de la Manufacture des Gobelins ». Son ouvrage Éléments de l’art de la teinture (1791) était un traité sur cet « art » qui devint, grâce à lui, une technique dérivée de la chimie. Objet d’une seconde édition en 1804, l’ouvrage de Berthollet resta longtemps le manuel des ouvriers en teinture. Il découvrit aussi le procédé du blanchiment des toiles par le chlore. La chimie industrielle lui doit enfin des études importantes sur la fabrication et la nature des aciers, qu’il réalisa en 1786 avec Vandermonde et Monge.
Comme théoricien, Berthollet fit progresser la chimie par ses découvertes de la composition des acides prussique (HCN) et sulfhydrique (H2S), ainsi que de celle de l’ammoniaque. Il étudia également les propriétés du chlore (acide marin déphlogistiqué), ce qui le conduisit à la découverte de l’eau de Javel appelée à l’époque « lessive de Berthollet », ainsi qu’à celle du chlorate de potassium.
C’est à l’occasion de l’étude des propriétés du chlore que Berthollet se rallia officiellement à la nouvelle théorie de Lavoisier, dans son mémoire Sur les propriétés de l’acide marin déphlogistiqué, lu à l’Académie le 6 avril 1785. Cette adhésion entraîna celle des chimistes de la jeune génération, parmi lesquels Fourcroy, qui l’enseigna immédiatement dans ses cours. Après l’expédition d’Égypte, où il participa à la fondation et aux travaux de l’Institut d’Égypte, les travaux de Berthollet prirent une orientation nouvelle.
Revenu à Paris, Berthollet entreprit, en effet, de rédiger ses cours de l’École normale et de Polytechnique. Retiré à Arcueil, il mit au point les deux volumes de son ouvrage le plus important : l’Essai de statique chimique. C’est une œuvre originale : l’auteur n’a pas voulu faire un traité de chimie, mais un exposé des plus récentes théories de l’époque, pour les soumettre à la réflexion critique de ses lecteurs, par les questions qu’il pose à leur sujet. De plus, Berthollet y expose des idées personnelles sur le problème des affinités chimiques et donne son explication des réactions de précipitation des sels, connue sous le nom de « lois de Berthollet ». On y trouve également la notion d’équilibre chimique, qui justifie le titre de l’ouvrage, et qui ne devait être développée et précisée que cinquante ans plus tard par Rose, Guldberg et Waage, et Sainte-Claire Deville.
Malheureusement, à côté de ces idées originales et fécondes, Berthollet dans son œuvre se montrait adversaire de la loi des proportions définies établie par Proust, dont il n’acceptait pas la généralité. Une controverse entre les deux savants dura plusieurs années. Berthollet n’était pas un adversaire absolu de l’hypothèse de Proust, mais entendait la soumettre à toutes les critiques et à toutes les expérimentations possibles ; dans ses derniers écrits, il ne considère toujours pas cette hypothèse comme une loi absolument générale.
Cette attitude, qui montre la position philosophique de Berthollet vis-à-vis de la valeur d’une hypothèse scientifique, se manifesta de la même manière à propos des nouvelles théories atomique de Dalton et électrochimique de Davy.
Après son retour d’Égypte, vers 1801-1802, Berthollet devint un directeur de laboratoire de recherche, au sens moderne du mot. Grâce à la protection de Napoléon, qui le combla d’honneurs et de dons, il se trouvait libéré de tout souci financier et disposait de revenus importants pour se consacrer entièrement à cette activité.
Berthollet réunit alors autour de lui, avec l’aide de Laplace, un petit nombre de jeunes gens, presque tous issus de l’École polytechnique, auxquels il offrait l’usage de son laboratoire, équipé spécialement des appareils nécessaires à leurs recherches ; ils étaient fabriqués par le célèbre Fortin.
En 1807, le groupe prit le nom de Société d’Arcueil et commença à publier des mémoires. Le premier recueil parut en 1807, le deuxième en 1809, le troisième en 1817. Parmi ses membres au nombre restreint, nous trouvons Gay-Lussac, Biot, Thénard, Malus et de Humboldt, pour ne citer que les plus célèbres, ainsi que le fils de Berthollet, Amédée. La place de cette société dans la vie scientifique française du début du XIXe siècle est importante par la qualité exceptionnelle des hommes qui la formaient et le haut niveau des recherches qui s’y poursuivirent. Berthollet abandonnait peu à peu ses recherches pour étudier les grands problèmes chimiques et les nouvelles théories, atomique et électrochimique, et diffuser les travaux des autres savants, français et étrangers.
En 1809, il écrivit encore un texte important, la préface de la traduction française de la quatrième édition du Système de chimie de Thomas Thomson. C’est un exposé des connaissances chimiques acquises de 1803 à 1809 et de la position personnelle de Berthollet à leur égard. Il rédigea une Revue de son Essai de statique chimique, projetée depuis quelques années. Il mourut à Arcueil, entouré de ses fidèles amis Gay-Lussac et Biot.
Michelle GOUPIL-SADOUN
Instrument principal de la lutte conduite par Napoléon Ier contre l’Angleterre, le Blocus continental amena dans toute l’Europe des perturbations profondes. Bien que son étanchéité n’ait jamais été absolue, il faillit ruiner l’économie britannique et provoqua en Angleterre de très graves désordres sociaux. Mais, son extension à l’ensemble des pays d’Europe continentale étant la condition de son efficacité, il fut aussi une des raisons qui entraînèrent l’Empereur à poursuivre sans fin sa politique d’intervention, et contribua ainsi à l’effondrement militaire de la France.
E.U.
Leur histoire enseignait aux Français à voir dans le crédit une base instable et fragile dont l’écroulement entraînait la chute du gouvernement qui s’était appuyé sur lui. De Thomas Paine à Lasalle (Des finances de l’Angleterre, 1803), de nombreux auteurs avaient mis en lumière l’accroissement démesuré de la dette nationale anglaise : celle-ci, en un siècle, s’était multipliée par vingt-huit, tandis que les exportations avaient à peu près triplé et le revenu des terres pas tout à fait doublé, la monnaie de papier commençait à se discréditer et des milliers d’hommes étaient réduits au chômage. Si imposante en apparence, la prospérité anglaise n’était-elle pas artificielle ? Fermer à la Grande-Bretagne le continent, c’était l’amener par la banqueroute à implorer la paix. La Convention en lutte avec l’orgueilleuse Albion y avait déjà songé et amorcé une tentative en ce sens.
Après la rupture de la paix d’Amiens, Napoléon reprend l’idée à son compte. L’initiative vient d’ailleurs des Anglais qui, sans tenir compte des réactions des neutres, obligent tous les navires étrangers à subir la visite de leurs cargaisons et saisissent les marchandises françaises ; le 16 mai 1806, ils déclarent les côtes de France en état de blocus. Après Iéna, Napoléon se juge assez fort pour riposter.
Le 21 novembre 1806, par le décret de Berlin, il proclame : « Considérant qu’il est de droit naturel d’opposer à l’ennemi les armes dont il se sert, nous avons résolu d’appliquer à l’Angleterre les usages qu’elle a consacrés dans sa législation maritime et décrété en conséquence : Art. 1er, les îles Britanniques sont en état de blocus. » Ainsi, initialement il ne s’agit aucunement de bloquer le continent. L’exclusion de leurs navires, de leurs produits et des denrées de leurs colonies, des ports européens et des États en guerre avec eux, n’est pour les Anglais qu’une conséquence de la mise en état de blocus de leur pays : ils se sont arrogé la domination des mers, on fera du domaine conquis par eux une sorte de désert. « Je veux, dit Napoléon, conquérir la mer par la puissance de la terre. Tout commerce et toute correspondance avec les îles Britanniques sont interdits. »
Londres riposte en déclarant n’accorder la libre circulation sur mer qu’aux navires qui seraient venus dans un port britannique payer des droits de douane (11 nov. 1807). Rendant coup pour coup, Napoléon ordonne, par le premier décret de Milan du 23 novembre 1807, la saisie des navires ayant touché un port d’Angleterre, par le second la saisie de tout bâtiment qui se serait conformé aux ordres anglais du 11 novembre.
Le continent se ferma donc à l’Angleterre, dont les exportations tombèrent à 21 p. 100 du niveau de 1805. La tension amenée avec les États-Unis par les prétentions britanniques vint encore aggraver la crise manufacturière et alimentaire (pénurie de coton et de blé) de l’année 1808.
Si cette crise put être surmontée, c’est grâce à la contrebande qui s’organisa avec la complicité fréquente des douaniers et des consuls français. Par Salonique, Héligoland, Göteborg, Hambourg, les marchandises anglaises s’introduisaient sur le continent et se négociaient à Francfort et à Bâle. Cette évolution de la lutte allait provoquer le grand revirement de 1810.
Depuis Tilsitt, l’alliance russe assure à Napoléon la maîtrise du continent ; la seule puissance qui lui résiste est brisée à Wagram. Mais, depuis Trafalgar, l’Empereur ne peut plus espérer la maîtrise de la mer. Les flottes britanniques ont pris sans difficulté Le Cap aux Hollandais, la Guadeloupe à la France. En Amérique, le Mexique, le Pérou, la Colombie se soulèvent contre l’Espagne du roi Joseph et s’ouvrent au commerce anglais. La contrebande fleurit sur toutes les côtes du continent « avec l’approbation tacite des gouvernements incapables de concourir loyalement à la politique dont, en dernier ressort, ils doivent souffrir ».
Pour des raisons diverses, considérations fiscales (le revenu des douanes baisse de près de 50 millions en 1809), revendications des industriels français, privés des matières premières indispensables, de coton surtout, mécontentement de l’opinion devant la cherté des denrées coloniales, sucre et café principalement, Napoléon consent à excepter les Américains de ses propres prescriptions et organise même un système occulte de licences spéciales. Mais, s’il était facile à nos douaniers de distinguer les produits de l’Angleterre de ceux de l’industrie américaine, comment auraient-ils pu reconnaître un grain de café du Brésil d’un autre de la Jamaïque, un flocon de coton de La Nouvelle-Orléans d’un autre des Barbades ? Napoléon, voulant à la fois maintenir le continent fermé aux produits des colonies anglaises et rouvrir ses ports aux Américains, déclara toutes les denrées coloniales « réputées de provenance anglaise » et les soumit au célèbre tarif de Trianon du 5 août 1810, complété le 27 septembre par celui de Saint-Cloud. Un droit de 400 F frappait le quintal de café, de 800 F le quintal de coton d’Amérique, de 900 F le thé hyswin, de 1 000 F le cacao, de 2 000 F la cannelle fine et la muscade.
L’Angleterre a été fortement ébranlée par le Blocus. En 1811, l’inflation fit baisser la livre et monter les prix de 76 p. 100 par rapport à 1796. L’effondrement du cours des denrées coloniales (le prix du café baisse des deux tiers), la réduction des salaires, la disette, les émeutes ouvrières accompagnées de bris de machines montrent que le Blocus continental n’était pas une chimère. Cependant, il se révéla pour la France une arme à double tranchant. Si l’industrie française tira de la suppression de la concurrence quelque bénéfice, elle fut de plus en plus gênée pour se ravitailler en matières premières. Le manque de débouchés pour certains produits agricoles (blé, eaux-de-vie) irrita certains secteurs de la paysannerie. Enfin, les grands ports furent passagèrement ruinés.
Pour être efficace, il eût fallu que le Blocus fût strictement appliqué dans toute l’Europe. Il entraîna, hélas, une politique d’interventions militaires et d’annexions indéfinies, d’où devaient sortir notamment les deux conflits fatals à l’Empereur, la guerre d’Espagne et la guerre de Russie.
Marcel DUNAN
La carrière de Blücher, général prussien qui attacha son nom à la défaite de Napoléon à Waterloo, se déroule en deux temps. Jusqu’à la soixantaine, il mène la vie assez obscure d’un officier de cavalerie. À partir de 1805 il est l’un des chefs du parti anti-français en Prusse.
Né au Mecklembourg, il s’engage à quatorze ans au service de la Suède, comme simple hussard, car il n’a aucun goût pour les études. Il passe en 1758 au service de la Prusse. Sous-lieutenant à seize ans, il est toujours capitaine à trente ans et quitte l’armée en 1773 pour mener la vie d’un hobereau. Il épouse la fille d’un général saxon et gère assez mal son domaine, qu’il doit vendre en 1789 pour payer ses dettes. En 1787 il parvient à se faire réintégrer dans l’armée prussienne et les guerres de la Révolution lui offrent des possibilités d’avancement : en 1794, il est colonel de hussards et son Journal de campagne de 1793-1794 abonde en renseignements sur l’utilisation de la cavalerie légère. En 1801, nommé général, il est gouverneur militaire de Münster en Westphalie. De sa carrière de cavalier il garde le goût de l’action offensive. On l’appellera d’ailleurs le général Vorwärts (« en avant »).
Dès cette époque il voue une véritable haine aux Français en général et à Napoléon en particulier, et pousse à la rupture avec la France. Pourtant, le 7 novembre 1806, il doit capituler près de Lübeck. Nommé gouverneur de Poméranie, il se lie avec Scharnhorst ; il voit dans la Prusse le sauveur de l’Allemagne. En 1809 il incite son pays à entrer en guerre aux côtés de l’Autriche. Personnage encombrant, Blücher doit quitter Berlin pour un exil en Silésie. En 1813 il reprend du service : Scharnhorst lui confie, en février, une armée qui combat à Lützen et à Bautzen. À l’automne 1813 il est placé à la tête de l’armée de Silésie, qui compte 90 000 hommes, avec laquelle il fera la campagne de France. Nommé maréchal, il entre à Paris le 31 mars 1814, mais doit démissionner le 2 avril car, ignorant le français, il est incapable de mener la moindre négociation.
Pendant les Cent-Jours, le gouvernement prussien lui confie l’armée du Rhin. Battu à Ligny le 16 juin 1815, Blücher manque de peu d’être pris par Napoléon, mais il échappe à Grouchy et se porte au secours de Wellington. Le soir du 18 juin 1815, toujours intrépide, il tombe sur l’aile droite de Napoléon et permet aux Anglais de gagner la bataille de Waterloo. Il se lance alors à la poursuite des Français et contraint Paris à capituler le 3 juillet.
Malade, fêté comme un héros, couvert d’honneurs, il vivra désormais retiré jusqu’à sa mort.
Jean BÉRENGER
La plus jeune des « trois Grâces » de la famille Bonaparte fait assez ingrate figure, dans l’imagerie impériale, à côté de ses sœurs, d’Élisa, la femme bas-bleu et l’énergique administratrice, et de l’enchanteresse Pauline. Pourtant Caroline ne manque ni de charme (un très beau portrait d’Ingres en témoigne), ni d’amants (une de ses liaisons faillit provoquer un duel scandaleux entre Junot et Murat), ni même d’une certaine intelligence. Mais elle n’a ni la lucidité mesurée de l’aînée ni l’heureux caractère de la deuxième ; elle est affligée d’une ambition politique redoutable et elle s’estime sans cesse frustrée. Dès qu’elle a épousé Murat en 1800, elle ne cesse de le pousser en avant, pour des mobiles où l’amour conjugal a peu de part. Elle exerce un ascendant croissant sur le faible caractère de son mari, prend une part active et adroite au gouvernement du royaume de Naples et convoite la domination de l’Italie entière. À partir de 1812, c’est elle qui pousse Murat à prendre ses distances d’avec Napoléon ; en 1813, c’est elle qui négocie en secret avec les Autrichiens ; en 1814, c’est elle encore qui entraîne Murat à consommer sa défection. Elle avait cru sottement (malgré son intelligence) que son trône pourrait survivre à celui du frère auquel elle devait tout ; elle n’en sera que plus amèrement déçue quand elle verra son royaume menacé au Congrès de Vienne par les intrigues de Talleyrand ; elle laissera son mari jouer le tout pour le tout en 1815 ; il y perdra d’abord leur couronne et enfin sa vie. La veuve Murat finira ses jours à Trieste sous le nom de comtesse Lipona (anagramme de Napoli).
Jean MASSIN
Grâce à une bourse, Élisa fait son éducation à la maison royale de Saint-Cyr, de 1784 à 1792. En 1797, elle épouse un capitaine corse, Félix Bacciochi, homme d’une parfaite nullité (bien que membre de la famille impériale, il n’atteindra le grade de général de division que péniblement en 1809), mais qui aura la bonne grâce de n’encombrer jamais ni la vie privée ni l’activité gouvernementale de son épouse. À Paris, sous le Consulat, Élisa fait de son salon le rendez-vous des beaux esprits de toute tendance ; Fontanes est alors un de ses amants et elle encourage la restauration du catholicisme, mais elle se garde de rompre avec les libéraux et les idéologues. Ce n’est pas un esprit de grande envergure, mais c’est une bonne tête, lucide, ferme et active ; de toute la famille, elle est celle qui ressemble le plus par certains côtés intellectuels à Napoléon (elle s’en flatte et aime à se l’entendre dire), mais en modèle réduit ; elle gouverne avec dextérité les principautés et départements qui lui sont confiés, mais plus en préfet qu’en souveraine ; elle n’aura jamais aucun conflit d’autorité avec l’empereur.
Jean MASSIN
Orphelin de père à un an, Jérôme entre dans la marine après le 18-Brumaire et prend part à l’expédition de Saint-Domingue ; pour échapper aux croisières anglaises, il se réfugie en Amérique et y épouse la fille d’un négociant de Baltimore sans demander le consentement des siens ; il n’est donc pas compris dans les princes de l’Empire en 1804 ; mais Jérôme ne ressemble guère à Lucien ; il consent assez vite à répudier sa femme pour rentrer en grâce et se retrouver gendre du roi de Wurtemberg, et roi lui-même. Il ne se prend pas pour un monarque de droit divin comme Joseph ; il ne se croit pas appelé à rendre ses sujets heureux comme Louis ; cette tête folle et frivole marque un grand bon sens en ne prenant jamais trop au sérieux sa sinécure royale ; il se contente de jouir des femmes et du luxe, en laissant les généraux et les ministres que lui octroie son impérial frère combattre fort bien et gouverner assez bien en son nom. En 1812, il aura une bouffée d’orgueil malencontreuse et préférera quitter son commandement en Russie plutôt que de se voir placer sous les ordres de Davout qui n’est que prince. Mais en 1815, à la tête d’une simple division, il se battra fort bravement à Waterloo, où il sera blessé. Après avoir vécu en divers pays sous le nom de prince de Montfort, il est autorisé, à l’issue d’un débat parlementaire, à revenir en France en 1847, puis assiste assez flegmatiquement à l’ascension de son neveu — et en profite ; gouverneur des Invalides et bientôt président du Sénat, il est le seul des huit Bonaparte de la grande génération à rendre le dernier soupir sur le sol français, au soir d’une vieillesse paisible et comblée.
Jean MASSIN
Boursier au collège d’Autun, avocat en Corse, candidat malheureux à la Constituante puis à la Législative, antipaoliste réfugié à Marseille (où il fait un mariage avantageux avec une fille du riche négociant Clary), Joseph apparaît déjà, avant l’irrésistible ascension de son frère, comme un garçon charmant, bien qu’un peu infatué, sur lequel on ne peut guère compter. « Aussi suffisant qu’insuffisant », dira plus tard de lui Talleyrand. Ensuite, à chaque étape de sa carrière, Napoléon hisse gentiment — trop gentiment ? — Joseph sur les marches de son propre piédestal. Joseph en est-il ravi ou humilié ? il faudrait dire plutôt qu’il trouve sa subordination choquante ; cet Ésaü n’avait aucun droit d’aînesse à vendre sur aucun héritage ; pourtant Joseph se comportera toujours comme si Napoléon le frustrait. Au temps du Consulat, il se pique de libéralisme, peut-être avec sincérité d’ailleurs, et encourage prudemment certains courants de fronde ; mais, élevé sur un trône puis sur un autre, il se prend pour un roi de droit divin avec une comique spontanéité, allant même jusqu’à menacer Napoléon, sur le ton d’une gravité impayable, de lui déclarer la guerre s’il n’obtempère pas à ses avis. Quand Napoléon le revoit en Espagne, à l’automne de 1808, et après plus de deux ans d’éloignement, il soupire : « Joseph est fou ! il est devenu tout à fait roi... » Du moins, aimable, bon vivant, friand de jolies femmes et fort peu altéré de sang, Joseph ferait un bon roi s’il ne se mêlait de vouloir enseigner la guerre aux maréchaux de son frère ; ses interventions sont aussi frivoles que sanglantes et désastreuses dans leurs résultats. En 1814, lieutenant général de l’Empire après avoir dû cesser de jouer au descendant des Rois Catholiques, il tente de galvaniser l’intérieur à sa bonne manière molle, brouillonne et catastrophique. Après Waterloo, il achève sa vie aux États-Unis sous le nom de comte de Survilliers ; il écrit alors beaucoup (aspiration velléitaire à être un homme de lettres qui se retrouve chez la plupart des Bonaparte), et notamment de belles lettres à Victor Hugo (qui les prendra fort au sérieux), où il explique que Napoléon était le démocrate le plus convaincu et le plus conséquent du monde.
Jean MASSIN
Aspirant d’artillerie en 1790, Louis Bonaparte prend part à la campagne d’Italie en 1796 comme aide de camp de son frère et se retrouve colonel de dragons au retour de l’Égypte. Dès ce moment, atteint peut-être d’une maladie sur la nature de laquelle on s’interroge, il donne des signes de fragilité psychique ; son hypocondrie et sa défiance maladive ne feront que s’accentuer. À la proclamation de l’Empire, il reçoit la dignité de connétable par un choix où l’on pourrait hésiter à reconnaître une marque de tendresse fraternelle ou un jeu humoristique s’il n’était pas plus vraisemblable de supposer que Napoléon a préféré par calcul conférer le plus haut titre militaire à l’homme le plus inoffensif de son entourage. Louis, promu roi de Hollande, ne peut se résigner à n’y exercer que des fonctions de préfet ; sans se croire, comme son aîné Joseph, devenu monarque de droit divin, il a la très estimable naïveté d’imaginer qu’un roi doit chercher d’abord le bonheur de son peuple ; pendant la courte durée de son règne, il entre sans cesse en conflit avec Napoléon, sur l’occupation française qu’il veut voir cesser, sur le Blocus continental qu’il répugne à appliquer ; en juillet 1810, sentant sa position devenir intenable, il prend l’initiative d’abdiquer et se retire en Autriche (puis à Rome en 1814 et pour finir à Florence) ; il semble assister à peine à la suite de l’histoire, tant il y demeure indifférent. Comme tous ses frères, il occupe ses loisirs à beaucoup écrire. Marié contre son gré en 1802 à Hortense de Beauharnais, il n’avait jamais beaucoup vécu avec elle jusqu’à son abdication et, dès 1810, il tient à se séparer entièrement d’elle ; en public comme en privé, il devait toujours refuser la paternité de plusieurs enfants de sa femme, en particulier celle du futur Napoléon III. Il se pourrait bien que ce dernier, créole par sa mère et peut-être néerlandais par son père, n’ait pas eu une goutte de sang corse malgré la célèbre imprécation hugolienne. Louis Bonaparte n’aurait eu que soixante-treize ans au 2-Décembre. Il y aurait peut-être assisté en y portant aussi peu d’intérêt qu’il n’en a montré pour les autres événements survenus après 1810.
Jean MASSIN
Quand il s’enflamme pour les idées révolutionnaires et signe Brutus Buonaparte ses missives, Lucien n’est encore qu’un adolescent ; au début de 1793, il inspire à la Société populaire de Toulon une lettre à la Convention qui entraînera le décret contre Paoli, décret à la suite duquel Paoli fera appel à l’Angleterre. En 1799, président du Conseil des Cinq-Cents, Lucien, par sa présence d’esprit, permettra à Napoléon de réussir son coup d’État ; bientôt ministre de l’Intérieur, il met en place la plupart des préfets du Consulat ; mais il doit abandonner son portefeuille pour avoir prématurément lancé l’idée de transformer le Consulat en monarchie héréditaire. Après la mort de sa première femme, la charmante Christine Boyer, il épouse en 1803 Alexandrine de Bleschamp, veuve d’un spéculateur ruiné, et lui restera attaché avec une fidélité assez étonnante chez un Bonaparte ; Napoléon, furieux de cette mésalliance, l’exclut de la succession au trône ; Lucien s’en va vivre familialement à Rome où Pie VII lui confère le titre pontifical de prince de Canino. Napoléon sait très bien que Lucien est le plus intelligent et le plus énergique de ses frères ; en 1807, il le fait venir à Mantoue pour chercher une réconciliation, mais l’entrevue est un échec : Lucien refuse de sacrifier sa femme à une carrière, et même à un trône, et Napoléon ne parvient pas à comprendre qu’une femme puisse avoir tant d’importance dans une vie. En 1810, Rome annexée à l’Empire, Lucien veut s’embarquer pour l’Amérique ; capturé en mer par les Anglais, interné, il ne revient qu’en 1814 à Rome où il écrit ses Mémoires. Aux Cent-Jours, il vient rejoindre Napoléon et tente en vain de sauver la couronne impériale après Waterloo. Il achève ses jours en Italie, laissant une œuvre littéraire encore plus importante que celles de ses frères.
Jean MASSIN
Célèbre par sa beauté que Canova immortalisera dans le marbre, Paoletta Bonaparte encore adolescente fait déjà des « ravages ». Parmi ses prétendants, Napoléon fait écarter le conventionnel Fréron, dont il se méfie, agrée le général Duphot, malencontreusement assassiné à Rome en 1797, préconise le général Leclerc, officier de valeur, que Pauline épouse en 1801 et qui aurait fait un maréchal d’Empire fort passable s’il n’avait été emporté par les fièvres à Saint-Domingue en 1802 ; à sa mort, Bonaparte prend et fait prendre par son entourage le deuil pour dix jours ; cette résurrection de l’ancien deuil de Cour laisse présager le rétablissement d’une monarchie. D’abord inconsolable, la veuve Leclerc convole dès 1803 avec Camille Borghèse, prince romain, possesseur d’une immense fortune, galant homme et peu jaloux ; dès lors, elle vit à sa guise, tantôt à Paris et tantôt à Rome. Elle n’a aucune ambition politique et se contente d’une petite principauté (qu’elle ne gouverne guère) « juste pour ne pas sembler oubliée ». Elle est la seule de la famille à marquer une vraie affection à Napoléon (qui l’aimait très tendrement et disait : « Pauline est la seule qui ne me demande jamais rien ») ; elle vient lui tenir compagnie à l’île d’Elbe et, à son départ, lui donne tous ses bijoux comme trésor de guerre.
Jean MASSIN
Cet homme, dont le nom est célèbre, n’est en fait connu que pour une œuvre publiée à la fin de sa vie, La Physiologie du goût, dont il vaut la peine de connaître le second titre dans tout son développement : Méditations de gastronomie transcendante, ouvrage théorique, historique et à l’ordre du jour, dédié aux gastronomes parisiens... C’est dire que l’auteur s’est donné pour tâche de célébrer l’art culinaire en lui accordant la plus haute dignité. Il écrit dans la préface de son ouvrage : « En considérant le plaisir de la table sous tous ses rapports, j’ai vu [...] qu’il y avait beaucoup à dire sur des fonctions si essentielles, si continues et qui influent d’une manière si décisive sur la santé, sur le bonheur et même sur les affaires. » Cette œuvre conçue comme une occupation amusante, réservée pour la vieillesse, fut élaborée à petits coups, lentement, et à des heures choisies, au cours d’une brillante carrière de magistrat qui ne fut guère interrompue que par un exil de trois ans (1793-1796) sous la Révolution. L’auteur était né à Belley, d’une famille vouée aux professions judiciaires, et fit carrière dans la justice, à la Cour de cassation, pendant vingt-six années de sa vie.
Les événements politiques d’une époque si tourmentée semblent l’avoir assez peu marqué. Envoyé aux États généraux en 1789, il fait assez peu état de principes politiques ou législatifs, mais plaide pour le maintien de la peine de mort. « Si vos comités ont cru faire preuve de philosophie en vous proposant d’abolir la peine de mort, ce n’est qu’en rejetant leur projet que vous prouverez combien la vie de l’homme vous est chère. » Lorsque ses propriétés sont saisies pendant son exil, il accepte cette perte avec philosophie. Dès son retour à Paris, il reprend sa carrière et ses occupations sans encombre et supporte parfaitement, pour autant qu’on puisse en juger, la métamorphose du Consulat en Empire, puis la Restauration. Il aurait sans doute pu dire de tels événements ce qu’il a dit de la découverte d’une étoile, qu’elle « ajoute moins au bonheur du genre humain que celle d’un mets nouveau ».
En revanche, il se déclare résolument novateur dans le domaine de la littérature et du style : « Je suis, dit-il, du parti des néologues et même des romantiques... » Il puise des mots partout où il peut en trouver, d’autant plus facilement qu’il connaît bien plusieurs langues étrangères, et le résultat est généralement jugé séduisant. On s’accorde à lui reconnaître des qualités littéraires peu communes. Il est vrai que le personnage même qu’il compose est plaisant, d’une stature presque colossale, mais aussi grand homme d’esprit. Son œuvre est riche en maximes bien frappées dont certaines sont finement comiques sous la bonhomie, d’autres empreintes d’un généreux humanisme : « Convier quelqu’un, c’est se charger de son bonheur pendant tout le temps qu’il est sous notre toit. »
Denise BRAHIMI
Architecte français. Passé à la postérité grâce au palais de la Bourse, Brongniart est une figure particulièrement représentative de son temps, dans la mesure où sa carrière épouse les orientations complexes de l’histoire entre la fin de l’Ancien Régime et l’apogée de l’Empire. Élève de Blondel et de Boullée, il acquiert, chez l’un, la maîtrise de cette science très « française » de l’ordonnance et, chez l’autre, une réelle virtuosité du dessin. Échouant trois fois au Prix d’architecture, il se lance, dès 1765, dans l’achat à la Chaussée-d’Antin, alors en pleine expansion, d’importants terrains qu’il revend avec l’obligation faite au nouveau propriétaire de s’adresser à lui pour la construction projetée. Ses relations avec la marquise de Montesson — épouse morganatique du duc d’Orléans pour laquelle il édifie son premier hôtel (1770-1771) — lui assurent la protection de la haute aristocratie et du milieu de la finance. Il reçoit alors de nombreuses commandes : les hôtels Taillepied de Bondy (boulevard Montmartre, 1771), de Mlle Dervieux (rue Chantereine, 1778), de même que les hôtels Bouret de Vézelay (rue Taitbout, 1777) et de La Massais (rue de Choiseul, 1778), puis un groupe de maisons (rue Neuve-des-Mathurins, 1776).