Don Juan de Marana - Alexandre Dumas - E-Book

Don Juan de Marana E-Book

Dumas Alexandre

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Beschreibung

Extrait : "Au lever du rideau, le théâtre est dans l'obscurité : aucun acteur n'est en scène, excepté le bon Ange et le mauvais Ange de la famille de Marana, placés sur le piédestal, à la droite des spectateurs. Le mauvais Ange st renversé sur le dos, dans m'attitude d'un vaincu ; le bon Ange est debout près de lui, le glaive à la mais et un pied sur sa poitrine. Ils doivent avoir l'apparence d'un groupe de bois sculpté et peint."

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Seitenzahl: 126

Veröffentlichungsjahr: 2015

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EAN : 9782335054781

©Ligaran 2015

ACTE PREMIERPremier tableau

Au lever du rideau, le théâtre est dans l’obscurité : aucun acteur n’est en scène, excepté le bon Ange et le mauvais Ange de la famille de Marana, placés sur un piédestal, à la droite des spectateurs. Le mauvais Ange est renversé sur le dos, dans l’attitude d’un vaincu ; le bon Ange est debout près de lui, le glaive à la main et un pied sur sa poitrine. Ils doivent avoir l’apparence d’un groupe de bois sculpté et peint.

Distribution

LE BON ANGE.

SŒUR MARTHE.

DON JUAN.

DON LUIS DE SANDOVAL.

DON JOSÉ.

DON CRISTOVAL.

DON MANUEL.

DON PEDRO.

DON HENRIQUEZ.

DON FABRIQUE.

DOM MORTÈS.

DOM SANCHEZ.

LE MAUVAIS ANGE.

LE COMTE DE MARANA.

LE SÉNÉCHAL.

GOMEZ.

HUSSEIN.

UN VALET.

UN PAGE.

TERESINA.

INÈS.

VITTORIA.

PAQUITA.

CAROLINA.

JUANA.

SŒUR URSULE.

L’ANGE DU JUGEMENT.

UN ANGE.

LA VIERGE.

Scène première

Le mauvais ange, le bon ange.

LE MAUVAIS ANGE
Ô toi que le Seigneur a commis à ma garde,
Baisse un instant les yeux, archange, et me regarde !…
Depuis que mon orgueil, contre Dieu, vainement
Entreprit de lutter, et que, pour châtiment,
Me suivant au plus bas de ma chute profonde,
Tu posas sur mon sein ton pied lourd comme un monde,
Tant de jours ont pour moi renouvelé leur cours,
Tant de nuits ont passé, plus longues que les jours,
Et les heures des nuits et des jours avec elles
Ont mené lentement tant de douleurs mortelles,
Que je crois que du Dieu que j’avais offensé
Le courroux, à la fin, se doit être lassé,
Puisqu’il souffre aujourd’hui que ma bouche de pierre
Se ranime à la plainte et s’ouvre à la prière !…
Donc, je te prie, au nom miséricordieux
Du Seigneur, je te prie, archange radieux,
Je te prie, au doux nom de la vierge Marie,
Au saint nom de Jésus, archange, je te prie,
De soulever ton pied de mon sein condamné ;
Car c’est trop de douleurs, même pour un damné !…
LE BON ANGE
C’est une volonté plus forte que la nôtre
Qui, dans les jours passés, nous lia l’un à l’autre,
Et nous en subirons les ordres absolus,
Jusqu’à ce que pour nous les jours soient révolus.
Or, je ne sais quel temps doit durer ton martyre,
Mais voici ce que Dieu me permet de te dire :
Sur ce marbre, celui dont la main t’enchaîna
Est le comte don Juan, seigneur de Marana,
Tige des Marana, dont l’illustre famille
Fut, depuis trois cents ans, l’honneur de la Castille.
Or, lorsque son esprit eut quitté ce bas lieu,
Saint Pierre le reçut et le mena vers Dieu,
Qui, lui tendant les bras, lui dit : « Comme un archange,
Vous avez, ô don Juan, vaincu le mauvais ange ;
Vous pouvez disposer de son sort aujourd’hui ;
Dites ce qu’il vous plaît qu’il advienne de lui. »
À cette grande voix, le pieux solitaire
Tomba les deux genoux et le visage en terre,
Puis, ayant adoré l’Éternel, répondit :
« Seigneur, Seigneur, Seigneur, faites que le maudit
Ne puisse plus tenter, de sa parole immonde,
Ni mon fils, ni les fils qu’il doit laisser au monde.
Car je sais trop, Seigneur, lorsqu’il vous vient tenter,
Combien le cœur de l’homme est faible à résister ;
Et je voudrais sauver à ma race future
Les éternels combats de l’humaine nature,
Jusqu’à ce que, parmi ces fils d’avance élus,
Il en naisse un, enfin, d’esprits si dissolus,
Que, sans être poussé par Satan vers l’abîme,
De son propre penchant il commette un grand crime.
Or, ajouta don Juan, Seigneur, pour que cela
S’accomplisse, ordonnez que l’ange que voilà
(Et c’est moi qu’il montrait) descende sur la terre,
Avec la mission d’accomplir ce mystère. »
Dieu dit : « Il sera fait comme vous le voulez. »
Et, se tournant vers moi, Dieu dit encore : « Allez ! »
Alors, je descendis de la voûte éternelle,
Et, depuis ce moment, céleste sentinelle,
J’ai sur toi, nuit et jour, veillé silencieux,
Immobile, debout, et sans fermer les yeux.
Ainsi, pour que ma main abandonne son glaive,
Pour que mon pied vengeur de ton sein se soulève,
Il faut qu’obéissant au décret éternel,
Un des fils de don Juan devienne criminel.
Maudit ! sois donc encor patient au supplice,
Jusqu’à ce que l’arrêt prononcé s’accomplisse.
LE MAUVAIS ANGE,riant
Ah ! merci : maintenant, lâche esclave de Dieu,
Fais jaillir les éclairs de ton glaive de feu,
Charge d’un nouveau poids ma poitrine épuisée,
jusqu’à ce que ton pied sente qu’elle est brisée.
Poursuis la mission, bourreau de Jéhova !
Et, tant que le Seigneur te dira d’aller, va !
La vengeance pour lui n’aura plus de longs charmes,
Et mon œil a saigné ses plus sanglantes larmes.
Ah ! ce fut un don Juan, seigneur de Marana,
Dont la main, sur ce marbre, as-tu dit, m’enchaîna :
Eh bien, il a céans un fils qui, je l’espère,
Est né pour délier ce que lia son père ;
Ou je me trompe fort, ou bien, par lui, la loi
S’accomplira.

(Éclats de rire dans le fond.)

LE BON ANGE

Silence !

LE MAUVAIS ANGE

À moi, don Juan !… à moi !…

(Éclats de rire dans le fond.)

Scène II

Les mêmes, Don Juan, Don Cristoval, Don Manuel, Carolina, Juana, Vittoria, pages, valets.

La porte du fond s’ouvre ; on aperçoit une salle à manger toute resplendissante de lumières ; de jeunes cavaliers et de jeunes femmes se lèvent de table ; deux Nègres, vêtus en pages, entrent en portant des flambeaux ; la scène s’éclaire.

DON JUAN,à Cristoval, qui reste en arrière, un verre à la main

Allons, Cristoval, assez de xérès et de porto comme cela ! c’est boire en muletier et non en gentilhomme. Au salon, pour les glaces et les sorbets ! (Tendant les bras.) À moi, Carolina !

CAROLINA,passant son bras autour du coude don Juan

Me voilà, monseigneur !…

DON CRISTOVAL,vidant son verre

Alors décidément, don Juan, tu me l’enlèves ?

CAROLINA

Il ne m’enlève pas, je te quitte.

DON CRISTOVAL

Et pourquoi me quittes-tu, infidèle ?

CAROLINA

Parce que, depuis trois jours que nous nous connaissons, il y en a deux que je ne t’aime plus, et un que je te déteste.

DON MANUEL

Plains-toi encore de la fausseté des femmes, Cristoval !

DON CRISTOVAL

Cela tombe admirablement bien ; car, pendant le dîner, je me suis fiancé à la Juana.

DON MANUEL

M’aurais-tu fait cette infidélité, païenne ?…

JUANA

Au contraire, j’agis par pure charité chrétienne : ce pauvre Cristoval est si triste d’avoir perdu Carolina, qu’il mourrait de chagrin s’il ne trouvait à la minute quelqu’un qui le consolât.

DON MANUEL

Très bien ! alors, à moi la Vittoria !

VITTORIA,adossée au piédestal, et repoussant don Manuel

Non pas, monseigneur ! j’aime don Juan et pas un autre.

DON JUAN,se levant et allant à Vittoria

Oh ! sur mon honneur, voilà un trait merveilleux et qui demande récompense.

(Il porte la main à sa chaîne d’or.)

VITTORIA,l’arrêtant

Si tu as quelque chose à me donner, monseigneur, donne-moi ton poignard.

DON JUAN

Qu’en veux-tu faire ?

VITTORIA

Que t’importe ?

DON JUAN

Prends, ma jalouse.

(Vittoria prend le poignard à la ceinture de don Juan et le passa à la sienne.)

CAROLINA

Si tu fais de tels cadeaux à la femme que tu n’aimes plus, que donneras-tu à celle que tu commences à aimer ?

DON JUAN,se couchant sur un divan

Je lui donnerai une fois ce qu’elle me montrera du doigt, deux fois ce qu’elle me demandera des yeux, et trois fois ce qu’elle exigera des lèvres.

CAROLINA

Tu es magnifique, seigneur don Juan ; mais je serai encore plus généreuse que toi… (L’embrassant au front.) Je ne veux pas que tu me donnes, je veux que tu me rendes.

DON JUAN

Si j’étais roi, voilà un baiser qui me coûterait une province.

CAROLINA

Mais, comme tu n’es que comte, je me contenterai d’un de tes châteaux. Combien en as-tu ?

DON MANUEL

Il n’en sait pas le nombre.

DON JUAN

Non ; seulement, ils sont à moi comme les Espagnes sont à l’infant.

CAROLINA

C’est égal, je te prête dessus. (Lui effeuillant son bouquet de roses sur la tête.) L’infant deviendra roi.

DON JUAN,l’embrassant

C’est chose dite, j’emprunte.

DON CRISTOVAL

Tu oublies que la moitié des biens que tu engages appartient à don José.

DON JUAN,négligemment

Qu’est-ce que don José ?

DON MANUEL

Mais ton frère aîné, ce me semble.

DON JUAN

Ah ! oui. Eh bien, si j’ai un conseil d’ami à lui donner, à ce frère, c’est de trouver un juif qui lui achète son droit d’aînesse pour un plat de lentilles ; le juif sera volé.

JUANA

Mais il est donc décidé à vivre toujours, le vieux comte ?

DON JUAN

Tiens, ne m’en parle pas ; Juana ; tu as peut-être entendu dire qu’il y a un Père éternel au ciel, n’est-ce pas ? Eh bien, je crois, Dieu me pardonne ! qu’il est descendu sur la terre.

UN DOMESTIQUE,levant la portière de la chambre à gauche du spectateur

Monseigneur don Juan, votre père se meurt.

(Silence d’un instant.)

DON JUAN,se soulevant

Et il m’envoie chercher ?

LE DOMESTIQUE,traversant la scène

Non ; il a entendu vos éclats de rire, et il ne veut pas vous attrister ; il envoie chercher son confesseur dom Mortès.

(Le Domestique sort.)

DON CRISTOVAL,se levant

Adieu, don Juan ; nous ignorions la maladie du vieux comte, et nous demandons pardon à Dieu d’avoir blasphémé dans une maison qui appartenait à la mort.

JUANA

Adieu, don Juan ; tu es un impie, et tu perdrais l’âme d’une sainte en soufflant dessus.

CAROLINA

Adieu, don Juan ; j’espère que Dieu me pardonnera dans l’autre monde de t’avoir aimé un instant dans celui-ci.

DON JUAN

Surtout si nous faisons pénitence ensemble. Prenons jour.

CAROLINA

Jamais !

DON JUAN

Alors, je t’attendrai de huit à neuf heures du matin, à la petite maison du parc.

CAROLINA,souriant

J’y serai.

DON JUAN

Et toi, Vittoria, tu ne me dis rien ?

VITTORIA

Si fait ; je te dis que, tel que tu es, don Juan, maudit et damné d’avance, je t’aime ; et je te dis encore que, si Carolina vient au rendez-vous que tu lui donnes, foi d’Espagnole, je la tuerai.

DON JUAN

Adieu, ma charmante, (À ses Pages.) Éclairez.

Scène III

Le bon ange, le mauvais ange, Don Juan.

DON JUAN

Adieu, jeunes fous et belles courtisanes, qui jouez comme des enfants avec des baisers et des poignards, sans savoir ce qu’on en peut faire ; partez avec vos flambeaux, vos rires et votre bruit, et laissez-moi seul et dans l’obscurité : mes pensées ont besoin de silence et de ténèbres. Puissent, cette nuit, mes richesses, mes châteaux et mes titres, ne pas s’évanouir comme vous !… Mon père ne me demande pas, je m’en doutais ; il demande dom Mortes, je m’en doutais encore. Il faut que ce prêtre passe par ici pour entrer dans la chambre de mon père, je lui parlerai le premier. Allons, don Juan, il ne s’agit plus de séduire une jolie femme ou de combattre un brave cavalier ; plus de paroles dorées, plus de bottes secrètes : tu as affaire à un prêtre, parle-lui la sainte langue de l’Église.

Scène IV

Les mêmes, Dom Mortès.

DON JUAN

Vous êtes un digne serviteur de Dieu, mon père, toujours prompt à la prière et à la consolation.

DOM MORTÈS

C’est mon devoir, monseigneur.

DON JUAN

Aussi, n’avons-nous pas douté quand nous vous avons fait mander…

DOM MORTÈS

Pardon, mais je croyais que le comte seul avait besoin…

DON JUAN

Tous deux, mon père, tous deux : la parole divine est peut-être plus nécessaire encore à ceux qui doivent vivre qu’à ceux qui vont mourir. N’avez-vous pas quelques minutes à me consacrer, mon père ?

DOM MORTÈS

Parlez, monseigneur.

DON JUAN

Vous avez connu mon noble père dans sa jeunesse ?

DOM MORTÈS

J’ai eu l’honneur d’étudier avec lui à l’université de Salamanque.

DON JUAN

Vous savez qu’il était d’un caractère…

DOM MORTÈS

Plein de grandeur et de seigneurie.

DON JUAN

Mais en même temps fougueux et passionné.

DOM MORTÈS

Cela lui a fait faire de grandes armes en Italie, monseigneur.

DON JUAN

Et de grands péchés en Espagne, mon père.

DOM MORTÈS

Il a toujours obéi aux ordres de son roi, comme doit le faire un bon Castillan.

DON JUAN

Certes ; mais il n’a pas toujours suivi les commandements de Dieu, comme aurait dû le faire un bon catholique.

DOM MORTÈS

Je ferai tout pour ramener là.

DON JUAN

Il y a un péché qui doit lourdement charger sa conscience.

DOM MORTÈS

Lequel ?

DON JUAN

Vous savez qu’avant d’épouser ma mère, il avait eu de… je ne sais quelle esclave mauresque, gitane ou bohémienne, qu’il avait ramenée d’Afrique, un fils qu’il a traité comme mon frère, et à qui il a permis de s’appeler don José, comme je m’appelle don Juan ?

DOM MORTÈS

Je le sais.

DON JUAN

Eh bien, mon père, voilà ce dont il est urgent qu’il se repente pour le salut de son âme ; et il se repentira certainement, si un saint homme comme vous lui reproche sa faiblesse pour cet enfant, s’il lui défend de le revoir avant sa mort, et s’il lui présente ce sacrifice comme une expiation de sa faute.

DOM MORTÈS

Et pourquoi ?

DON JUAN

Parce que, comme un païen et un hérétique qu’il est, il dissiperait les richesses des Marana en des jeux de cartes et de dés, au lieu d’en doter de saints couvents, comme je le ferais, moi ;… en orgies avec de jeunes étudiants, au lieu de donner une chasse d’argent à Saint-Jacques de Compostelle, et une chape d’or à Notre-Dame del Pilar, comme je le ferais, moi ;… enfin, en débauches avec de belles courtisanes du démon, au lieu de récompenser largement les saints hommes qui se dévouent au salut et à la consolation des mourants, comme je ferais encore, moi… Comprenez-vous, mon père ?…

DOM MORTÈS

Oui, oui, monseigneur… Cependant, je crois que, si don José était à votre place…

DON JUAN