Du rififi chez les blouses blanches - Jean-Jacques Glotin - E-Book

Du rififi chez les blouses blanches E-Book

Jean-Jacques Glotin

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Beschreibung

Dimanche 18 avril, région d’Angers. Une simple balade dominicale va provoquer un tumulte dans le quotidien de Gilles, un éminent professeur de chirurgie, et de Carole, une infirmière travaillant dans une clinique privée. Tout commence par la troublante découverte d’un homme empalé sur un échafaudage, déclenchant une série d’événements mystérieux et inquiétants qui mêleront leurs vies professionnelles et personnelles au sein du milieu médical. Alors que les indices s’accumulent et que les enjeux se font de plus en plus sombres, ils se retrouvent pris au piège d’un suspense implacable qui mettra en péril tout ce en quoi ils croyaient.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Ancien formateur à la Poste Internationale de Lyon, puis directeur de centre de tri postal dans diverses régions de France, Jean-Jacques Glotin puise son inspiration de ses expériences professionnelles. "Du rififi chez les blouses blanches" est son premier ouvrage publié.

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Seitenzahl: 201

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Jean-Jacques Glotin

Du rififi chez les blouses blanches

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jean-Jacques Glotin

ISBN : 979-10-422-1228-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

L’armoire, Éditions Persée, 2014 ;

Ainsi ne va pas la vie, Éditions Persée, 2015 ;

Science peau, Éditions Persée, 2017 ;

Si c’était chat l’amour, Éditions Persée, 2018 ;

Elle court, elle court, Joséphine, Éditions Persée, 2020.

J’ai écrit ce roman pour que Cléa,

ma petite-fille, se souvienne

que son papy était écrivain.

Je ne perds jamais.

Soit je gagne, soit j’apprends

Nelson Mandela

Dimanche 18 avril, jour de la Saint-Parfait, jour de Pâques

Il est huit heures du matin, Gilles promène son chien, toujours à cette heure-ci, car il ne croise que peu de monde, et la ville est encore calme.

Cependant, comme il fait doux, il a décidé d’aller plus loin et ce n’est pas pour déplaire à Irish, son fidèle Labrador, toujours en quête de nouvelles odeurs et d’espaces inconnus et inexplorés.

Pourquoi aujourd’hui précisément, et pas un autre jour ? Gilles ne le saura jamais. Toujours est-il que ce qui allait suivre bouleverserait sa vie à jamais. En effet, alors qu’il longe la palissade du chantier d’un immeuble en construction, il aperçoit quelque chose qui ressemble à un épouvantail, accroché à l’échafaudage, en façade du futur bâtiment.

Le bardage de bois a été fracturé sur plus d’un mètre.

La curiosité pousse Gilles à entrer sur le chantier et à s’approcher au plus près de ce qu’il pensait être un épouvantail ; mais là, stupeur et effroi : il s’agit en aucune façon d’une poupée de chiffon, mais bel et bien d’un homme, en chair et en os, tête en bas, le corps traversé entièrement de bas en haut par un tuyau d’acier, sur lequel s’est empalé le pauvre malheureux.

Gilles avance. Le chien lève la tête et ouvre grand les narines, surpris lui aussi par cette odeur inhabituelle. La première chose que Gilles remarque, c’est que le corps saigne encore.

L’homme porte un costume foncé, une chemise blanche et une cravate. Le maître d’Irish ose s’approcher un peu plus près, lève le bras de l’inconnu, touche la carotide : il est encore vivant, mais pour combien de temps ?

Quand Gilles sort de chez lui, il emporte systématiquement son téléphone portable. Il le sort donc de sa poche, et compose le 18, le numéro des pompiers. Il leur explique sa funeste découverte. Moins de cinq minutes plus tard, un véhicule de police arrive sur les lieux, toutes sirènes hurlantes.

Trois agents descendent de la voiture, examinent les lieux et demandent à Gilles :

Quand avez-vous découvert la victime ?

Désolé, mais il me semble que le gars là-bas est encore vivant ! répond-il.

Comment ça ? Vous avez touché le corps ? s’empresse un des agents.

Oui, répond Gilles, comme j’ai vu du sang coulé, j’en ai conclu qu’il pouvait être vivant.

Mais de quel droit ? Vous êtes fou ou quoi ?

Je ne suis pas fou. Je suis ancien professeur de médecine, et je vous dis que si rien n’est fait, le gars va y passer !

Ce n’est pas à nous d’intervenir, mais aux pompiers.

OK, vous avez raison, mais je vous aurais prévenu, réplique Gilles.

Monsieur, vous allez changer de ton !

C’est vrai, je vous parle de la vie d’un homme que vous pourriez sauver, et vous tergiversez en bottant en touche.

Sur ces propos, Gilles reprend son chemin, en se disant : « où va le monde ? Heureusement que j’ai souvent pris des risques dans l’exercice de mon métier, et sauvé des vies en intubant ou en ouvrant des trachées, sinon j’aurais eu quelques morts sur la conscience ».

Il s’arrête et regarde son chien :

Qu’est-ce que tu en penses toi, Irish ?

Le gentil compagnon le toise, remue la queue en signe d’acquiescement et d’amitié.

À la réflexion, Gilles se dit : « c’est curieux : un type bien sur lui, un dimanche matin, en costard/cravate, qui se retrouve empalé sur les tubes d’un échafaudage. Quand même ».

Alors au lieu de poursuivre sa route et de faire le tour du pâté de maisons, il décide de rebrousser chemin et de retourner là où il a trouvé cet homme à l’agonie.

Quelque chose l’intrigue. Entre le moment où il a découvert la scène, l’arrivée des policiers, puis celle des pompiers, il lui semble que la grue perchée au-dessus de l’immeuble a bougé. Il n’a pas détecté le moindre courant d’air ni le moindre coup de vent, et pourtant il en est certain, ce n’est pas une vue de son esprit, la flèche de la grue s’est déplacée.

Il regarde, il écoute, son chien tourne la tête vers son maître, l’air interrogatif, il semble lui demander :

Qu’est-ce qui ne va pas ?

Ils se connaissent bien ces deux-là. Un pas ? Une hésitation ? Et cela se transforme en une sorte de dialogue, uniquement compréhensible par les deux complices depuis bientôt deux ans.

Le chien flaire quelque chose ; il a entendu un bruit que son maître n’a pas décelé, mais à l’attitude de son ami à quatre pattes, Gilles sait que quelqu’un se cache sur le chantier. Il décide d’attendre.

Sa patience est vite récompensée. Un homme aussi en costume, lui aussi cravaté, mais aux chaussures pleines de poussière, au pantalon froissé et taché, se met à courir en direction de Gilles, le bouscule et disparaît au bout de la rue.

Cependant, en le heurtant, le type a laissé tomber quelque chose au sol. Ce n’est rien d’autre que son portefeuille. Gilles se penche pour le ramasser. Il entend des pas derrière lui. Il cache le fameux objet dans la poche de sa gabardine et presse le pas.

Le bruit s’est rapproché. Irish, curieux comme à son habitude, se retourne et saute sur l’inconnu qu’il prend pour un ami, mais l’individu lui décoche un coup de pied qui envoie le pauvre animal à plusieurs mètres. Gilles, ancien judoka, pare un coup qui lui était destiné, et plaque le type au sol :

Tu cherches quelque chose ou quelqu’un ? Si c’est ça, tu l’as trouvé !

Le gars au sol, la quarantaine, sent l’alcool. Il a dû pas mal picoler au cours des dernières heures. Il répond, avec un fort accent du Sud :

Lâchez-moi, vous me faites mal. J’ai perdu mon portefeuille, vous ne l’auriez pas trouvé ?

Pourquoi aurais-je trouvé ce genre d’objet ? Je promène mon chien. Je n’ai rien vu, rien entendu. Cependant mon gars, j’aimerais bien savoir pourquoi tu as asséné un tel coup de pied à mon chien et pourquoi tu voulais m’envoyer au tapis ?

Je pensais que vous vouliez me voler mon portefeuille !

Puisque je te dis que je n’ai rien trouvé ! Ne serait-ce pas plutôt que tu as quelque chose à te reprocher pour courir pareillement à travers ce chantier et vouloir me coller une droite pour récupérer je ne sais quel portefeuille ? Alors maintenant tu dégages, sinon j’appelle les flics, et je pense que tu n’as pas envie de les rencontrer tout de suite. Pas vrai ?

Gilles lâche le type, qui ressemble plus à un clochard qu’à un homme du monde : la veste à la manche déchirée, la chemise blanche tire plutôt sur le gris, la cravate de travers, le pantalon noir taché de graisse, de sang et troué au genou.

Quant au gars, pas trop à son avantage, mal rasé, décoiffé, il n’a pas fière allure et ne cherche qu’à disparaître du quartier.

Le vieux professeur de médecine, encore très alerte pour ses soixante-quinze printemps, se dit : « Il n’est pas clair ce lascar. Quelque chose ne tourne pas rond. »

Il rentre tranquillement chez lui. Il est seul depuis que Carole a succombé l’an dernier à cette sale maladie d’Alzheimer. Heureusement, il a son fidèle compagnon. Sa famille : une fille, Victoria, belle comme le jour, mais elle habite à cent cinquante kilomètres. Après de brillantes études en droit de l’environnement et en architecture, elle est débordée par son travail, et depuis quelques années, elle vit avec Arnaud, lui aussi bourré de talent, mais absorbé par une activité professionnelle prenante et chronophage. Ce qui fait qu’aujourd’hui, ils n’ont pas le temps de venir le voir sur une journée, même le jour de Pâques. Il s’est fait une raison.

Tout à coup, il se dit : « Si je regardais ce que contient ce portefeuille ? J’en saurais un peu plus sur ce gaillard si pressé de traverser ce chantier ».

Alors Gilles ouvre le portefeuille en cuir de qualité, signature d’une grande marque de maroquinerie. Il examine son contenu et s’assied, sidéré qu’il est de ce que le contenu révèle : un permis de conduire et surtout un passeport muni de la photo d’un homme. Gilles reconnaît la victime empalée sur la barre de l’échafaudage qu’il a découvert en ce début de matinée, sur le chantier, lors de sa promenade. Il n’en croit pas ses yeux. Mais ce n’est pas tout : il a entre les mains une liasse de billets de cinq cents euros. Il n’en avait jamais vu auparavant, et surtout, plus étrange encore : un papier sur lequel figure un lieu de rendez-vous pour la veille au soir, « après vingt-deux heures, à l’Hôtel de la Boule d’Or, comme d’habitude » signé Sabrina.

Animé de curiosité, plus qu’à son habitude, il regarde de plus près, et trouve une carte d’électeur : l’adresse indiquée lui rappelle un endroit, une situation, dont il a du mal à se souvenir. Il sait qu’il s’agit du quartier chic du centre-ville, rue du Quinconce, mais il ne sait pas en dire plus. Le nom aussi lui parle : Christian Dupré. Une telle somme (dix mille euros) en coupure de cinq cents, c’est assez étrange. Gilles reste songeur.

Toujours est-il qu’avec tout cela, il en a oublié d’acheter du pain et son gâteau favori : un moka au café. Il range donc le fameux portefeuille trouvé, dans le tiroir de la table de la cuisine, là où il planque son chéquier et son argent liquide.

Il mène à son panier son fidèle compagnon, qui le regarde toujours avec son air triste de chien battu, alors que Gilles lui prodigue quantité de caresses et lui parle souvent, et pour cause ? Avec qui d’autre pourrait-il converser ?

Le temps s’obscurcit… : « Il ne manquait plus que ça comme ombre au tableau », se dit Gilles.

À plus de soixante-quinze ans, il en a vu d’autres Gilles !

Mais il faut bien avouer que ce matin, tout cela chamboule un peu sa vie tranquille de retraité. Il n’en a que pour quelques minutes. Il laisse son ami à quatre pattes se reposer de sa longue marche matinale. En partant, il lui dit :

Je reviens, je vais chercher le pain.

Le chien ouvre un œil et se rendort, habitué qu’il est aux courtes escapades de son maître.

Il ferme sa porte à clé, traverse son jardinet, tire le portail qu’il ne ferme jamais. Autrefois, il donnait deux tours de clé quand il partait en vacances avec sa fille et sa douce et tendre Carole.

— Quel idiot, je vais devoir faire la queue à cette heure-ci – se dit Gilles, et il se hâte vers la boulangerie. Comme il s’y attendait, une file interminable encombre le trottoir. Il prend son mal en patience. Déjà, la rumeur s’est répandue à travers la ville : des vérités et des contre-vérités vont bon train.

Il entend de telles absurdités, dont il rit intérieurement ; tour à tour, l’homme retrouvé s’était jeté du haut de l’immeuble et avait été retrouvé sur le sol, complètement disloqué. Une femme avait été vue alors qu’elle s’enfuyait. Le pauvre homme était mort sur le coup ou alors il était resté plusieurs heures à terre. Bref, chacun y allait de son couplet !

Arrive enfin le tour de Gilles, mais hélas plus de mokas, ni de baguettes. Il se résout à prendre un demi-pain et une religieuse au café. Il rentre contrarié de ne pas avoir pensé plus tôt à cet arrêt à la boulangerie.

Il franchit l’allée de son jardinet, et la clé à la main, il s’apprête à ouvrir la porte d’entrée, et là ! Surprise.

La porte a été fracturée, le chambranle est explosé, la serrure béante. Il entre dans le couloir. Tout semble intact, mais la cuisine à droite affiche un capharnaüm monstre : les chaises, la table sont renversées. La vaisselle est brisée sur le sol. Gilles appelle son chien, qui ne sort pas, lui qui d’habitude se précipite lorsque son maître arrive.

À gauche, dans le salon, les fauteuils sont éventrés, les tableaux fracassés sur les dossiers de chaises, dans le séjour, l’enfilade est massacrée, et Gilles appelle toujours son copain le chien. Au fond du couloir se trouve le bureau à droite ; sa salle de bains à gauche, ainsi que la chambre et les toilettes.

Gilles ouvre chacune des pièces et il finit par trouver Irish, égorgé, baignant dans une mare de sang, sur le sol du bureau, là où il aimait tant accompagner son maître. Gilles est anéanti. Il se dit qu’il faut être sacrément lâche pour s’en prendre d’une telle façon, à un animal sans défense, si tendre, si fidèle.

Gilles se réveille brusquement, trempé de sueur, fiévreux. Il regarde l’heure : il est sept heures.

Quel jour sommes-nous ? Il a du mal à reprendre ses esprits. Il vient de faire un cauchemar. Il en tremble tellement il est ému. Il sort doucement de son lit, car avec le temps, il sait que se lever trop rapidement risque de lui bloquer le dos. Il enfile sa robe de chambre accrochée à la porte de la chambre.

Irish jappe dans la cuisine. Il a entendu son maître. Gilles ouvre et c’est la fête ! Comme chaque matin, les retrouvailles sont l’occasion d’épanchements réciproques entre l’homme et son animal. Ce matin, plus particulièrement. En effet, le cauchemar où il voyait son chien égorgé est bien loin ! ouf ! ce n’est plus qu’un mauvais souvenir !

C’est dimanche, et c’est le jour de Pâques. Il sait déjà que ce sera un jour comme les autres, qu’il le passera seul et que c’est le cas depuis déjà quatre longues années, depuis qu’il a perdu Carole l’amour de sa vie. Chaque jour, chaque nuit, il lui parle. Il lui demande : « pourquoi m’as-tu abandonné ? » Après cinquante années de vie commune, elle est partie, mais depuis de longs mois, elle ne le reconnaissait plus. Elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. Il se souvient des promenades dans le parc des Délices, main dans la main. Les habitués de cet espace naturel, magnifiquement arboré, aux arbres à essence rare, les rencontraient chaque jour. Une voisine lui avait d’ailleurs dit :

Comme c’est beau à votre âge de se tenir encore par la main, mais votre épouse a l’air absente, que lui arrive-t-il ?

C’est juste Alzheimer. Carole ne me parle plus, ne me reconnaît plus. L’essentiel, c’est que moi, je la guide puisque moi, je la connais. Voyez-vous, Carole, c’est l’amour de ma vie.

La passante s’était tue, à la fois bouleversée et admirative.

Aujourd’hui, comme chaque jour, Gilles fait sa visite à la boulangerie, et comme tous les dimanches, comme il le faisait du temps où la vie était gaie, riche et joyeuse, il perpétue la tradition, et en plus de la baguette, il achète son moka : c’est rituel.

Pourquoi a-t-il fait ce cauchemar ? Pourquoi a-t-il rêvé que sa femme s’appelait Louise, décédée d’une crise cardiaque ? Gilles est complètement chamboulé. Il sait bien que sa femme s’appelait Carole, et qu’elle est décédée quatre années plus tôt de cette maladie affreuse. Il refait le tour de sa maison, et se rend compte que tout est en place. Il se dit : « mon pauvre gars, tu perds la boule ! »

Il se décide à sortir, après avoir donné à manger à Irish, puis s’être restauré à son tour, et enfin, se dirige vers la salle de bains. Car bien entendu, il est hors de question de sortir sans être impeccable et tiré à quatre épingles. Ce n’est pas parce qu’il approche de soixante-quinze ans qu’il faut se laisser aller. D’ailleurs, Carole ne l’aurait pas supporté.

Carole, elle aussi, fut un exemple de bon goût, toujours élégante, bien coiffée, un maquillage discret, une peau douce et éclatante, des yeux verts à tomber à genou, une vraie madone, aux cheveux roux presque écarlate. Dans une foule, on ne voyait qu’elle !

Aujourd’hui, Gilles, bien seul, croit la voir partout : dans la cuisine prête à lui mijoter des petits plats, dans le salon, lisant et relisant des classiques de littérature, quelle culture et quelle intelligence. Toujours parler à bon escient, ne jamais pérorer pour ne rien dire.

La journée se passe dans la solitude, comme à son habitude, rythmée par les repas pris en tête-à-tête avec lui-même.

Malgré tout, le cauchemar de la nuit dernière l’intrigue et le perturbe. Il tente d’oublier cet épisode, mais il sait au plus profond de son être que tout ceci n’est pas anodin.

Par le passé, ce genre d’épisode lui a causé bien des soucis et des tourments qu’il ne voudrait pas revivre. Le jour de Pâques s’achève donc tranquillement, en compagnie d’Irish, ni plus ni moins soucieux que les autres jours.

La journée a été douce, et les rayons du soleil sont venus réchauffer le charmant jardin où Gilles se plaît à désherber, à planter fleurs et légumes qui viendront garnir les plats qu’il se préparera à la belle saison.

Gilles redoute les soirées qui lui paraissent bien longues maintenant : entre des émissions de télévision d’une banalité sans nom, le journal qui annonce chaque jour son lot de mauvaises nouvelles, et les livres qui au bout de deux pages le plongent dans un profond sommeil.

Aujourd’hui, Gilles se souvient et essaie d’expliquer cette descente aux enfers. Alors, oui, Carole, à la fin de son activité professionnelle, ne pouvait se résoudre à arrêter, malgré quelques vicissitudes de tant d’années de labeur. Mais que de galères tout au long de cette vie trépidante ! Gilles l’a vue décliner, comme entrant dans une lente dépression.

Pourtant, au début de sa vie professionnelle, Carole était brillante infirmière. Elle aurait pu être médecin, mais elle avait préféré mettre sa carrière en sourdine, au profit de celle de son mari : médecin puis professeur de médecine émérite, spécialiste en gériatrie, réputé.

Dans cette situation, Gilles prend une nouvelle fois conscience qu’il est doué d’une sorte de pouvoir divinatoire. Quelques dizaines d’années auparavant, déjà, il avait fait des cauchemars de cette nature, au cours desquels il avait vu dans son sommeil, des scènes qui s’étaient déroulées quelque temps après : une semaine, un mois ou même une année plus tard. Bien entendu, très peu de personnes connaissaient son secret, et pour cause, on l’aurait pris pour un fou, et cela aurait pu nuire à sa réputation de professeur de médecine.

Cependant les songes de ces dernières heures l’intriguaient.

Comme il avait raison. Ce ne sont pas des mois, des années qui allaient passer, mais une semaine seulement.

C’est dimanche, et comme le jour de Pâques, il sort dès huit heures du matin, et comme d’habitude, il observe le même rituel : il va chercher le pain, son moka au café, accompagné d’Irish. Là encore, il longe la palissade et il constate qu’une immense trouée a été percée dans ce rempart de bois. Il sait, il a tout compris. Il ne lui faut que quelques secondes pour deviner ce qu’il va voir et trouver sur le chantier de cet immeuble en construction.

Malgré tout, contrairement à sa vision cauchemardesque, ce n’est plus seulement un homme qui est empalé sur un échafaudage, mais aussi une femme, gisant sur le sol.

Gilles s’approche, touche cette femme au niveau de la carotide. Hélas, elle a rendu l’âme, et le pauvre bougre empalé lui aussi sur la structure métallique, son compte a l’air d’être bon. Gilles opère le même geste… hé non, l’homme est encore vivant.

Gilles s’apprête à quitter le chantier, et déjà un fourgon de police se pointe au coin de la rue. Bien entendu, les forces de l’ordre s’inquiètent de voir le vieux monsieur sortir du chantier. Un des agents l’interpelle :

Que faites-vous là, Monsieur ?

Gilles répond aussitôt :

J’allais chercher mon pain, j’ai vu la clôture endommagée et j’ai découvert les deux corps.

Vous y avez touché ?

Et pour sûr que j’y ai touché. Je suis professeur de médecine. La femme est morte, mais le type vit encore.

Le flic furieux :

Vous n’auriez pas dû intervenir !

Gilles, très calme, réplique aussitôt :

Appelez plutôt les pompiers, car le pauvre bougre accroché là-bas risque de ne plus avoir une seule goutte de sang dans les minutes qui viennent.

Le pauvre flic tout penaud s’exécuta en appelant les services de secours et d’incendie, en précisant que deux personnes étaient victimes, dont une encore vivante.

Il se souvient quelques années plus tôt, alors que Carole se trouvait en concurrence avec une autre infirmière au bloc opératoire d’une certaine Delphine, au comportement plus qu’étrange.

Un jour, elle faisait copine-copine avec Carole, puis soudain, le lendemain, ne lui disait pas même bonjour, restait en conciliabule avec des collègues, la plupart du temps des hommes, jusqu’au jour où Carole avait surpris une conversation dans laquelle elle avait été tenue à l’index : cette chère Delphine prétendait que Carole était hautaine, qu’elle ne saluait personne, que le chirurgien en chef n’était pas satisfait des services de la plus ancienne des infirmières du bloc, et qu’il allait la virer.

Carole, fine mouche, passa, surprit ses interlocuteurs avec un grand sourire ponctué d’un bonjour franc et massif.

Delphine, toute surprise, resta bouche bée, et ne put rétorquer quoi que ce soit ; les deux autres collègues restèrent aussi cois.

Carole, quelque peu contrariée, ne constata pas de changement dans l’attitude de son chef de service. Elle en parla à Gilles, son mari. La nuit suivante, il fit un cauchemar et vit des choses troublantes.

Toujours très professionnelle, Carole prépare les champs opératoires, met en place les ustensiles nécessaires à l’intervention chirurgicale. Elle quitte le bloc, se change, prend une pose de quelques minutes. Dans son songe, Gilles distingue une femme habillée de rouge sang, une femme qui passe systématiquement derrière Carole, avec des yeux de feu, qui mélange volontairement tout ce qui a été mis en place, touche à des tuyaux, puis… plus rien. Il se réveille trempé de sueur. Il attend un instant pour reprendre ses esprits, et laisser Carole qui dort encore.

Gilles se lève sans faire de bruit, va prendre une douche, et prépare le petit-déjeuner. Carole arrive, plus belle que jamais, dans son déshabillé de satin rose. Son mari l’embrasse tendrement et lui demande :

As-tu bien dormi, mon trésor ?

Comme un bébé, et toi ? lui répond Gilles avec un grand sourire.

As-tu une intervention aujourd’hui ? questionne-t-il

Non, pourquoi ?

Et en as-tu une programmée cette semaine, et avec qui ?

Tu sais bien que ton ami Franck opère de moins en moins et qu’il passe la main à son fils Thierry, mais pourquoi me poses-tu toutes ces questions ?