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Un enfant exceptionnel voit le jour au sein d’une famille qui semble n’avoir rien d’extraordinaire, bouleversant à jamais leur quotidien. Très vite, des phénomènes inexplicables dévoilent une vérité inquiétante : une puissance obscure, prête à tout pour asseoir sa domination, menace l’équilibre du monde et les libertés des peuples. Clara, Dusha-Zlata, Bogdan et Lyubov, dotés de capacités quasi divines, se lancent dans une lutte acharnée contre des adversaires implacables. Leur combat, qui les entraîne à travers les méandres de l’espace et du temps, est une course contre la montre. Parviendront-ils à conjurer le chaos avant que l’irréversible ne s’accomplisse ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
J. Isaac est un homme dont l’imagination a marqué un parcours de vie riche et varié. Passionné par l’histoire, la nature et la diversité humaine, il a exercé des métiers aussi divers que l’ébénisterie et la librairie. Ses expériences, tant douloureuses qu’euphorisantes, l’ont conduit à l’écriture, une vocation qui s’est imposée naturellement après une vie pleine d’aventures.
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Seitenzahl: 441
Veröffentlichungsjahr: 2025
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J. Isaac
Dusha-Zlata
Roman
© Lys Bleu Éditions – J. Isaac
ISBN : 979-10-422-5861-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
La fatalité est une question qui ne nous échappe pas forcément dans tous les cas.
Elle est perçue comme intangible si nous ne prenons garde d’agir en adéquation avec les lois naturelles qui régissent notre monde. Pour la faire varier, il est nécessaire d’avoir un but précis que nous devons nous fixer individuellement ou collectivement afin d’obtenir un résultat fidèle à nos espérances.
L’humanité subit les conséquences de ses non-choix par défaut, depuis la nuit des temps, malgré les nombreux enseignements dont elle dispose et les retours de flamme récurrents qu’elle essuie, sans quasiment jamais en tirer les leçons, pourtant souvent évidentes, qui en découlent.
Il existe sur Terre de nombreux êtres éclairés, qui tentent de limiter les dégâts et portent la conscientisation de la masse vers le haut. Leur tâche est rude, car ils se heurtent à de nombreux obstacles, et non des moindres.
En parallèle, d’autres tristes personnages poussent leurs congénères ignorants de ces choses, la masse, aux bassesses les plus abjectes de manière à tirer profit financier et pouvoir de ces manipulations. Ce sont ceux que j’appellerai les entités grises. Leur objectif est de conditionner cette population pour en faire de bons petits esclaves indifférenciés et dévoués naturellement à leur service.
Pour ce faire, ils ne sont jamais à court d’idées et connaissent parfaitement les techniques d’ingénierie sociale qui ont été développées à cet effet.
Ils ne sont pas forcément plus intelligents que d’autres au sens propre du terme. Disons que si un certain nombre d’entre eux peuvent croire à cette chimère, je penserais plutôt qu’ils sont plus malins dans le sens sombre du terme. Ils poursuivent un but purement matériel et émotionnel qui leur donnera satisfaction dans ce monde tout aussi matériel, et sans se soucier plus avant de leur avenir spirituel. Et encore moins de celui des milliards d’individus qui ne demandent qu’à vivre en paix et à se rapprocher de la flamme qu’ils perçoivent dans les ténèbres, à se libérer du carcan d’asservissement politique, religieux, idéologique ou autre que leur imposent ces représentants d’une petite « élite » mal intentionnée, et ce depuis toujours, à de rares exceptions près.
Des forces opposées sont présentes dans l’univers de façon naturelle. Elles font partie d’un tout. Il appartient à l’homme conscient de pouvoir s’en servir dans un sens ou dans l’autre. Comme il appartient à l’ignorant de ne pas vouloir ouvrir les yeux et de subir les conséquences de la direction choisie par pure volonté ou non, ou par omission tout simplement. Qu’ils suivent donc du regard de l’âme, le vol des oiseaux…
Certains peuples ont pourtant des soubresauts de conscience, de volonté, et se montrent capables d’atteindre un but commun. C’est vrai parfois pour de petites choses, ce qui démontre que de grandes choses sont donc possibles. Comme le fut par exemple la marche pour la libération de l’Inde proposée avec succès par Gandhi, lorsque les Indiens se sont fédérés pour se débarrasser du joug anglais.
Au dix-huitième siècle, dans le sud de l’Italie, les tarentelles, ces danses folkloriques festives, prirent naissance afin de contourner, dit-on, l’interdiction de l’Église de s’adonner à des danses païennes. Les gens du cru affirmèrent donc que si quelqu’un se faisait mordre par une tarentule, afin de dissiper le poison et éviter la mort, il fallait que la victime danse, accompagnée par tout le village, sur un rythme effréné. Ils firent alors de la tarentelle un besoin thérapeutique indispensable à la survie.
C’est donc en hommage à cette volonté d’affranchissement des dogmes asservissants que je fais référence dans cet ouvrage, à cette petite araignée, Lycosa tarantula, l’instigatrice (bien malgré elle) de ce mouvement populaire célébrant la vie dans ce qu’elle a de plus euphorisant et naturel.
La lumière, par essence, dissipe l’obscurité. Mais elle a sans nul doute besoin d’un petit coup de main pour en accélérer le délai. L’univers a tout son temps et l’humain, lui dont la vie est éphémère, est tributaire de cette notion de temps.
Cet ouvrage est une pure fiction.
Les personnages sont fictifs et toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite. Je cite cependant le nom de personnalités très connues du grand public uniquement dans le but de situer l’époque relatée et sans aucune volonté d’orientation quelconque. Que ce soit dit.
J’en appelle cependant, avec un grand enthousiasme, à une prise de conscience collective élevée, à la fraternité raisonnée, à la paix raisonnable sans oublier de rester pragmatique, et surtout, oui, surtout au respect des lois naturelles de l’univers. Le respect de celles-ci est en effet primordial, faute de quoi les conséquences sont toujours désastreuses. Bien que ces lois puissent paraître très dures parfois, dans une réalité de haute fréquence, celle qui nettoie. Celle qui pousse à la vie et aide à évoluer plutôt qu’à involuer. De mes aspirations, j’en suis sûr, rares sont ceux qui pourraient me tenir rigueur. À moins qu’ils aient eux-mêmes choisi le côté sombre… Qui sait… Bonne lecture.
On veut te rattraper dans ta chute, Loïse, on veut t’agripper au collet, Loïse. Prends garde aux cochons du veau d’or, ce sont les plus vicieux ! S’ils accrochent ta croupe, tu auras le vent en poupe.
C’est ce que disait ma grande sœur tout en tricotant des jambes, lorsqu’elle m’apercevait.
À ces moments-là, son sexe sécrétait un fil soyeux de couleur argentée avec lequel elle confectionnait une toile. Elle utilisait ses jambes exactement comme on peut utiliser des aiguilles à tricoter.
Dans son activité, elle avait une fâcheuse tendance à s’oublier, laissant pendre sa longue langue hors de sa bouche, ses gros yeux globuleux d’un rose pâle sans iris ni pupille roulant dans leurs orbites comme des boules de billard. Tant et si bien qu’il était impossible de dire où se portait son regard.
— Je te vois, Loïse. Je te vois et te regarde, Loïse !
S’ensuit alors un ricanement semblable au grincement des gonds usés d’une porte ancestrale.
Tarantula est son nom. C’est une idée de papa et maman.
Lorsqu’elle était encore dans le ventre de maman, ils voulaient l’appeler Angélique. Mais ô malheur, ils ont changé d’avis dès qu’ils l’ont vue à la naissance. Ils se sont ravisés sans se concerter, pensant avec beaucoup de justesse qu’un tel prénom ne serait pas en phase avec l’apparence de leur enfant.
Moi, ils m’ont appelée Loïse. Ne me demandez pas pourquoi. Je ne l’ai jamais su et ne le saurai probablement jamais… Quoi qu’il en soit, j’estime avoir eu plus de chance que ma sœur, sur ce plan du moins.
Je suis née cinq ans jour pour jour après « la chose ».
C’est son surnom, ou plutôt, c’est ainsi que papa se plaît à l’appeler. C’est qu’il ne l’aime pas beaucoup, ma grande sœur. Et je sais que surtout, il en a peur.
Évidemment, vous me direz qu’il n’y a pas besoin d’être doctorant en psychologie pour s’en douter. Mais tout de même, j’ai une intuition très pointue. Je ressens vite ce genre de choses. Une perception extra-sensorielle que quasiment personne n’utilise jamais parce que les gens n’y croient pas, ou ne veulent pas en entendre parler.
Tenez ! Je pressens que dans quelques secondes, papa Léon va dégringoler les escaliers qui mènent à la cave, en trébuchant sur une bouteille de mezcal vide abandonnée sur la première marche.
Le mezcal est un alcool mexicain dans lequel macère une chenille morte. Beurk !
Un de ses jeux favoris, stupide ceci dit en passant, consiste à poursuivre maman en brandissant l’insecte imbibé entre le pouce et l’index, pour le croquer goulûment devant celle-ci, qui ouvre alors des yeux effarés en hurlant d’horreur. Elle déteste ça, et elle entre dans une colère noire tandis que lui ricane bêtement de sa mauvaise blague.
(À ce moment, un grand bruit de chute, un vacarme de verre brisé et des cris rauques se firent entendre, interrompant net Loïse dans son monologue.)
Et voilà, qu’est-ce que je vous disais… Papa n’a pas tardé à me donner raison.
Un râle inhumain, poignant et tonitruant monta instantanément de la cave, appelant à l’aide.
— Maman ! S’il te plaît, peux-tu fermer la porte ? On ne s’entend plus, ici.
Clac !
— Merci m’man.
— Léon, petit Léon, tu as taché ton plastron.
Tu es un vilain cochon, petit Léon. L’esprit du mezcal a encore eu raison de toi, petit cochon.
Léon cochon, le groin cassé, gisait sur le sol moite de la cave au milieu d’un amas de bouteilles entières ou brisées. Encore sous le choc et tenaillé par la douleur, il avait un certain mal à recouvrer ses esprits.
La première chose qui accrocha son regard lorsqu’il ouvrit ses yeux de porcelet fut les taches de sang qui imprégnaient le coton blanc de sa chemise, au niveau de sa poitrine.
Lorsqu’il entendit la voix de « la chose », une montée d’adrénaline fusa dans ses veines meurtries et lui fit perdre tout contrôle de lui-même.
Ses pupilles se dilatèrent, un frisson glacé lui parcourut l’échine de haut en bas puis de bas en haut. Ses dents s’entrechoquèrent si fort que l’émail faillit en éclater.
Et le goût âpre du sang faisant des bulles dans sa bouche…
Incapable du moindre mouvement, il resta prostré ainsi durant deux bonnes minutes, réceptif au moindre bruit, au moindre frôlement.
Il percevait la respiration de sa fille aussi sûrement que s’il s’agissait de celle de la mort elle-même. Il ne la connaissait que trop bien, cette respiration, pour l’avoir entendue les nuits où « la chose » venait se glisser silencieusement jusqu’au pied de son lit, droite et immobile comme la grande faucheuse, les yeux roses grands ouverts et presque phosphorescents dans l’obscurité.
Ce souffle sinistre, régulier, obsédant même, était gravé pour l’éternité dans sa mémoire.
La clarté diffuse qui émanait du soupirail ne suffisait pas à détailler les objets environnants dans leur totalité, ce qui rendait l’atmosphère encore moins engageante.
Du revers de la manche, Léon essuya la sueur poisseuse perlant sur son front.
Son regard cherchait à localiser l’endroit où pouvait bien se tapir sa fille aînée.
Mais quoi, qu’attendait-il donc de la sorte ? La situation devenait ridicule.
« Ramasse-toi, Léon, tu ne vas tout de même pas passer l’éternité couché sur le sol crasseux de la cave à attendre que quelque chose se passe… Il s’agit de ta fille, après tout. Allons, montre-lui qui est le chef dans cette famille ! Que tu n’as pas peur d’elle ! »
Il s’appuya sur un coude. La douleur due à la chute lui vrilla l’articulation.
« Tes craintes sont injustifiées, se dit-il, puisque jusque-là, elle n’a jamais fait de mal à personne. Enfin, je crois » …
« Mais en es-tu sûr, Léon ? En es-tu vraiment certain ? Et Diablo, le chien de la voisine, qu’on a retrouvé le 19 novembre d’il y a deux ans, empalé sauvagement sur les pointes d’acier garnissant le sommet de la grille d’entrée du jardin ?
C’est le facteur qui l’a découvert dans cet état, et en a immédiatement averti la propriétaire. »
« Pauvre madame de Vivaret, sa maîtresse, qui en a eu l’appétit coupé pendant plus d’une semaine. Es-tu sûr, Léon, que Tarantula n’y est pour rien ? »
— Ça suffit !
Ce cri, Léon le laissa s’échapper du fond de sa gorge. Il se répercuta un bref instant sur les murs environnants… Contraste du silence qui s’ensuivit.
Surpris par l’intensité de sa propre peur, Léon était maintenant debout. Hagard, hébété, la bouche encore ouverte sur un vide abyssal. Les bras crispés et les poings serrés.
— Foutaises, tout ça, ce ne sont que des foutaises !
« La sortie, vite ! C’est ça, je vais aller m’en jeter un à la cuisine et tout rentrera dans l’ordre », se dit-il.
À grand renfort de coups de pied, comme un beau diable, il tenta de se frayer un chemin dans le monceau impressionnant de bouteilles vides et de tessons de verre qui jonchaient le sol et les marches d’escalier, lorsque…
— Papa ?
— …
— N’essaye pas de fuir.
Léon se liquéfia littéralement.
— Hein ? Que… Que dis-tu, ma fille ?
— Ça ne servirait à rien, la porte est fermée. Il est trop tard, maintenant. Trop tard ! Hihihihihi !
— Mais… Que veux-tu dire ? Tarantula, je… Je ne comprends pas.
Sa bouche pâteuse balbutia ces quelques mots dans un gargouillis de sang et de salive épaisse.
— Rien ne va plus, petit papa chéri, c’est fini maintenant. Viens, viens t’asseoir sur mes genoux. Tu seras bien.
Je vais te raconter une belle histoire et tu t’endormiras.
Quelle voix suave et envoûtante… D’un coup, Léon sentit un état léthargique l’envahir. Une fréquence vibratoire étrange et délicieuse.
La peur panique, palpable et presque matérielle qu’il y a quelques instants, lui collait à la peau comme une sangsue fit place de façon tout à fait inattendue à la paix de l’esprit, induisant un sentiment d’expansion, d’amour enveloppant.
Une sensation que Léon n’avait encore jamais expérimentée, ne fut-ce qu’une seule seconde dans sa courte vie.
Une toute petite voix aigrelette, dans son tout petit esprit, lui murmurait :
« C’est l’heure, Léon. Tu le sais. Alors, vas-y, car l’heure c’est l’heure, n’est-ce pas ? Et quand c’est l’heure, il faut y aller. »
Sans plus réfléchir, comme un pantin désarticulé, il se dirigea brinqueballant et à pas comptés, le regard vide, en direction d’une petite niche située dans le coin le plus sombre de la cave. En vis-à-vis de l’escalier.
Les gros yeux roses de Tarantula lui apparurent en premier, car ils luisaient dans la pénombre et exerçaient sur Léon une attirance lunaire, semblable à celle qu’exerce un aimant sur un bout de fer.
Il reconnut en ces deux sphères luminescentes les astres jumeaux d’un monde intemporel.
Il se souvint de l’époque où il aimait, lors des longues nuits glacées d’hiver, interroger la pleine lune du regard.
L’air limpide était figé. Rien ne bougeait.
Cette lumière blanche, si blanche, diffusée par cet astre rond, si rond, comme le ventre d’une femme, si femme, énorme dans le ciel noir étoilé est obsédante. Hypnotisante.
Elle projette jusqu’au plus profond de l’être sa clarté prégnante.
L’envie de s’y noyer, le sentiment que les molécules se disloquent… S’éparpillent, vous quittent. Oublier ce corps de chair et ne plus exister sur cette lourde dimension.
Alors la peur se liquéfie et se métamorphose en une fontaine d’amour d’une beauté et d’un éclat sans nul autre pareil qui vous baigne l’âme de paix cotonneuse.
Léon, à ces moments, touchait du bout des doigts la grâce divine au travers du pâle reflet de la lumière purificatrice. Ses larmes coulaient de bonheur.
Ce monde grandiose s’offrant à lui, pur et vivifiant, est la mort d’un état d’être.
Et la mort est suave.
Attirante comme une catin.
Elle est une naissance à l’envers. Un passage si lisse d’un plan d’existence à un autre.
Mais ce que Léon ressentit à cet instant même alors qu’il se préparait à s’abandonner à la volonté de sa fille n’avait aucune comparaison d’intensité avec ses expériences passées.
Il pourrait maintenant toucher Tarantula en tendant simplement le bras, tant il en est proche.
Il la distingua enfin dans son entièreté, complètement nue, comme à son habitude.
Lovée au centre d’une toile d’argent aux mailles serrées, tendue entre les murs sales, laquelle étant parsemée d’innombrables gouttelettes d’eau scintillantes.
Une toile confectionnée ainsi que l’aurait fait une araignée géante.
Mis à part ses yeux, son sexe à soie et sa langue longue, Tarantula n’a pourtant rien d’une araignée.
Le spectacle offert au regard de Léon laisse apparaître une très belle jeune femme de grande taille, aux jambes interminables, à la silhouette élancée et aux courbes harmonieuses.
Il se dégage de cet être étrangement atypique, une aura de sensualité presque bestiale.
Elle était parfaitement immobile et ses très longs cheveux d’un noir corbeau aux reflets bleutés, lourds comme la soie de la meilleure qualité, retombaient mollement sur son épaule gauche avant de souligner le buste, la taille et les hanches, pour enfin s’arrêter au niveau du pli fessier.
Sa peau mate était si blanche et filigrane que l’on pouvait aisément en voir les méandres du réseau bleuté de ses veines palpitantes.
C’était la toute première fois que Léon pouvait la contempler de cette façon, dans son antre, sur sa toile.
Très troublé et ne sachant que faire, il attendit.
Il se sentit piteux.
Pendant ce temps, dans la cuisine, affalée sur la table et les yeux mi-clos, Loïse se prit à rêver d’un autre lieu et d’un autre temps, où les vidanges de mezcal n’encombrent pas les marches d’escalier.
C’est le temps de Loïse, il lui appartient entièrement. Propriété privée.
Et ce temps d’évasion, elle le garde si précieusement, si jalousement, comme une reine, son joyau ou une enfant, sa poupée… Un moment, un lieu secret de ressourcement.
Il faut qu’elle en profite, car de tels moments s’envolent si vite, dès que se lève le vent.
Pfffuuiiiiittt !
Cette idée l’attriste. Pauvre, pauvre Loïse, avec ses grands yeux couleur de jaspe, pleure sur la table de la cuisine.
De longues larmes se fraient un chemin sur la peau d’abricot mûr et lisse de son beau visage juvénile. Contournant l’aile du nez, le rebondi de la joue, elles tentent de s’infiltrer sournoisement par la commissure de ses lèvres pulpeuses teintées de carmin. Peau de pêche, pêche d’amour.
Ces mêmes larmes s’éclatent au contact du mica de la table lorsqu’elles se désolidarisent du bout du petit menton de Loïse.
Mica se ronge, se ronge et se perce pour laisser s’écouler le malheur acide qui emplit les larmes de l’ange qui sait.
La pauvre enfant pleure sur son instant bientôt perdu et sur sa résignation face à l’inéluctable qui est encore à venir.
Elle a tellement envie d’être protégée dans les bras d’une personne aimée et aimante, d’être serrée, très fort !
La table craque, les pieds s’effondrent sur eux-mêmes, comme quatre tours jumelles, complètement rongés qu’ils sont par l’acide lacrymal corrosif.
Comme pour l’humilier davantage, Loïse fut entraînée dans l’écroulement de la table et se meurtrit la joue et les genoux sur les pavés en granito de la cuisine, se retrouvant dans une position peu avouable.
Très lentement, encore dans sa peine, elle se ramassa, releva son visage, se mit à croupi, les talons bien à plat et les bras enserrant ses genoux comme pour se protéger.
De qui ? De quoi ? À défaut de bras consolateurs extérieurs, elle utilise les siens pour se donner de l’amour à elle-même.
Dans la jointure du pavé, le ciment y a disparu. Laissant place, au fond, à un agglomérat de saleté noirâtre, déchets de toutes sortes accumulés depuis bien des années de nettoyage aléatoire.
Cet interstice est fin et long comme un canal de Suez en miniature.
Les parois abruptes forment un précipice où peut se perdre la pensée de Loïse, où peut se nicher l’agonie de ses sens, d’où lui parvient l’écho de son passé.
Un filet de salive filtra d’entre ses lèvres et noya le canal tel un raz de marée, brouillant du même coup ses songes et la ramena au temps présent.
Sa maman, assise sur la poubelle à pédale d’où dépassait lamentablement une spirale de pelure de pomme, l’observait depuis déjà un bon moment en silence.
Le vent aussi était présent, provenant d’une fenêtre entrouverte, mais ne soufflait guère que pour soulever quelques légères mèches de cheveux.
En bonnes spectatrices, les blattes de dessous du frigo se mirent à applaudir si fort qu’on aurait pu se croire à la Scala de Milan un soir de gala, lorsque le public acclame avec force la clôture d’un opéra grandiose.
Loïse, flattée par tant de succès, se redressa et salua son public de vermines avec vive émotion, découvrant chez elle un talent qu’elle ne se connaissait pas pour les rôles tragico-comiques.
Maman éclata d’un rire nerveux.
— Maman, déploie tes ailes et emmène-moi chez toi… S’il te plaît…
— Hihihihihihihi…
— Réponds-moi, maman, s’il te plaît…
— Hohohoooohohohaha !
— Maman ! Maman ! Maman !
Les cancrelats, oscillant de la tête, observant tour à tour comme sur un court de tennis, l’une puis l’autre des deux protagonistes, éclatèrent de rire tout en continuant à applaudir, se moquant à tout va de maman et de Loïse qu’ils jugèrent toutes deux hautement grotesques.
Les yeux embués et maintenant excédée par ces railleries, Loïse fendit l’air de sa main, qui s’écrasa en plein milieu du petit public, envoyant ad patres sept ou huit cancrelats d’un seul coup.
Les autres cessèrent de rire immédiatement, médusés par la violence de l’attaque, et surtout par l’aspect peu engageant qu’ont pris leurs congénères maintenant silencieux, après coup.
Les survivants filèrent toutes pattes dehors se réfugier en lieu sûr, dans le sterput le plus proche, en hurlant : « Pearl Harbour ! C’est Pearl Harbour ! »
Ils y copulèrent tant allègrement qu’instantanément, afin de pallier le manque cruel d’individus qui venait de survenir au sein de leur communauté.
Pendant ce temps, maman manifesta sa désapprobation en s’arrachant vivement quelques poignées de cheveux, en signe de solidarité envers son défunt public.
— Maman, laisse tes cheveux flotter au vent et emmène-moi chez toi, je t’en prie !
Comprends-moi, maman, mon corps ondule au rythme de ta respiration et j’aspire à humer les effluves embaumés de tes chairs, à caresser du bout de mes doigts ton sens du frisson, à laper de ma langue le miel de ton amour pour moi.
Maman, laisse-moi rentrer en toi, retourner d’où je viens, d’où j’aurais dû ne jamais sortir.
Laisse-moi toucher ton âme, maman, pour une fois…
— …
— Tu ne dis rien ? Tu n’as donc vraiment rien à me dire ?
Mais où donc se niche ta conscience ? Sors-la au grand jour, qu’on puisse à l’aise la contempler, les yeux effarés !
Ta conscience est un repaire de brigands, l’antre de Satan !
Épinglons-la au tableau d’honneur des plus fangeuses, car elle a donné plus qu’à son tour dans le désamour.
Comment peux-tu encore tolérer ta propre existence, toi qui es la hideuse enveloppe d’une âme aussi visqueuse alors que moi, je me traîne à tes pieds à te quémander en vain, toujours en vain, quelque manifestation d’amour, de tendresse ou de compréhension ?
Que ton corps se purge et tu sueras tout au long de ta triste vie le pus de tes crimes.
Tes lèvres crispées et grimaçantes forment, d’une commissure à l’autre, trois méandres de dégoût.
Un pour papa, un autre pour moi et le dernier pour cette pauvre Tarantula.
Cesse de sourire ! L’indécence de ton comportement ne fera qu’alourdir le poids de ton karma.
Ta vilaine carcasse renferme pourtant de si jolies ailes. Montre-les-moi, maman…
Dussé-je te déchirer le dos à coups de dents, je les trouverai, tes ailes, et te les déploierai de force si besoin est !
— La haine de tes paroles envers ma délicieuse personne chatouille à peine mon ego, ma petite fille.
Ne t’ai-je donc jamais inculqué le respect par le passé ?
Mon âme n’a de comptes à rendre à personne !
Sache également que si l’impertinence devait être personnifiée, en toi, elle trouverait sa place de prédilection.
Cela lui suffit. Loïse sortit.
La porte d’entrée donne sur une terrasse bordée d’une rambarde aux boiseries finement chantournées.
Les murs de briques de couleur rouge sombre sont envahis de vignes vierges qui semblent déterminées à engloutir la demeure tout entière de son feuillage pourpre d’automne.
Le jardin à l’anglaise est vaste et entoure notre cottage victorien de toutes parts. Il est planté de centaines de rosiers de variétés anciennes, rivalisant en couleurs et en parfums.
À l’abri d’un saule pleureur dont les branches souples oscillent sous l’emprise d’une brise légère, attend un petit banc peint en blanc.
Loïse y posa son séant et s’y recueillit. Seule cette fois, et en paix. Elle porta son regard sur la maison et se mit à penser :
« Elle a beaucoup de charme cette bicoque, et est faite en partie de bois. C’est ça qui me plaît, hihi, en bois… C’est que ça brûle beaucoup mieux ainsi… »
Nous n’avons qu’une voisine, car tout autour, c’est rase campagne. Collines, bosquets et vallons à perte de vue.
La première bourgade se situe à trente-trois kilomètres exactement. Comme l’âge du Christ à sa crucifixion… La route qui y mène comporte tant de virages que cela en fait un véritable calvaire. Est-ce par hasard ?
Petite, je pensais que papa était à l’origine du tracé de cette route, car il était toujours saoul et un matin, alors qu’il me conduisait à l’école, je lui ai posé la question.
— Papa, c’est toi qui as fait la route ? Parce qu’elle tourne tout le temps. Tu avais encore bu !
Il me répondit que j’étais une vilaine petite fille malpolie, qu’il n’a jamais travaillé aux ponts et chaussées et que je ne dois pas l’accuser de boire trop, car ce n’est pas vrai. Enfin, que de toute manière, il n’est jamais ivre.
Satisfait de ses paroles, il prit un air suffisant tandis que je me renfrognais sur le velours du siège arrière et sombrais une fois de plus dans une profonde tristesse.
J’avais des nausées de tristesse tout le temps, ou presque.
Je frottais fort et vite le velours de la paume de ma main gauche jusqu’à ce que cela chauffe, ça me calmait.
Je savais évidemment pour quelle raison il buvait. J’étais bien plus maligne et rusée qu’il ne le croyait.
D’ailleurs, ma grande sœur n’était jamais assise à côté de moi sur la banquette de la voiture. Elle ne pouvait pas aller à l’école.
C’était pourtant son droit le plus élémentaire, mais mes parents refusaient obstinément de l’y inscrire en raison de ses différences. Ils en avaient honte.
Ils ne l’emmenaient nulle part. Ni au supermarché, ni en balade, et jamais nous ne partions en vacances. Ils ne l’amenaient qu’au cimetière à la Toussaint, sur la tombe de nos grands-parents. Mais uniquement la nuit, lorsqu’ils étaient assurés que tout visiteur avait déserté le lieu.
Cela sentait fort le parfum des bouquets de chrysanthèmes qui étaient posés sur chaque pierre tombale.
Je ne parvenais pas à détester cet endroit où tout le monde ou presque finit par se coucher un jour ou l’autre, pour toujours.
Tarantula, elle, ne se pose pas de questions à ce sujet. Elle s’y rend seule, régulièrement, chaque nuit de pleine lune. Elle s’y ressource, y puise l’énergie dont elle a besoin.
Je ne l’ai jamais accompagnée, car elle veut y aller seule. Elle dit qu’elle profite de la glace et du vent du royaume des morts… Brrr ! Cela me fiche des frissons dans le dos. Mais c’est toujours ce qu’elle me répète inlassablement lorsqu’elle vient m’embrasser dans mon lit, juste avant d’y aller.
C’est chaque fois pareil. Elle apparaît du côté gauche, comme par enchantement et sans faire de bruit. Me récite cette phrase comme d’habitude, puis m’embrasse sur les lèvres.
Je sens alors son souffle étonnamment froid, puis elle s’en va comme elle est venue.
J’adore ce moment, ça me rend toute « chose ».
Je ressens, au contact de ses lèvres, tout l’amour du monde. Je suis en attente de ce moment tous les mois. Avec grande excitation.
Elle m’aime beaucoup, ma grande sœur. Et moi aussi, c’est réciproque. Je suis sûre que si vous étiez à ma place, vous me comprendriez.
Elle est si belle, si douce… Si mystérieuse. Alors quand elle sort de ma chambre, je reste là à rêver de longues heures durant, les yeux largement ouverts, à scruter la nuit par-delà les fenêtres à croisillons.
Je l’imagine parcourir campagnes et bosquets, baignée de rayons de lune, si belle dans sa nudité qu’il est impensable d’imaginer le moindre vêtement sur elle. Cela équivaudrait à voiler de pudeur opaque nos émotions face à l’essence même de l’amour inconditionnel. Elle est pure.
C’est également de cette fenêtre que je prends un malin plaisir à observer chez elle ma chère voisine, madame de Vivaret qui avait un chien, mais qui n’en a plus.
De ma fenêtre, le soir, si je dirige mon regard vers la gauche, j’aperçois au travers de la baie vitrée de son séjour, ses pieds. Juste ses pieds enfilés dans de grosses chaussettes de laine, posés sur un passet, face au feu ouvert. Parfois ils remuent, elle les frotte l’un sur l’autre. À d’autres moments, elle se positionne devant sa fenêtre et se gratte le nez puis les oreilles.
Je passe mon temps comme je peux. Je m’ennuie tellement… Surtout les jours d’été, lorsque le soleil est haut dans le ciel. Il est si lumineux, il me nargue, moi qui me sens si terne… J’aimerais qu’il meure, qu’il crève comme le chien de la voisine. Qu’il explose et nous pulvérise tous, qu’il nous grille comme des pommes de terre pétées ou je ne sais quoi d’autre, mais qu’il disparaisse de ma vue.
Oh ! Je ne le pense pas vraiment, je suis juste aigrie par ma piètre vie.
Le soleil de ma vie, c’est ma sœur. Elle est mon soleil d’argent. La raison même de mon existence. Je ne vivrais plus sans elle.
Elle est parfaite, sereine, forte et courageuse. Je voudrais être semblable. Avoir toutes ses qualités. Quoi qu’en disent les gens qui se permettent de la juger et s’effraient de son apparence. Ils pensent l’avoir vue, mais en fait ils n’ont fait que de l’effleurer du regard, en surface, et n’y ont vu que leurs propres peurs.
Ils n’ont jamais vu ce qu’ils auraient dû voir.
Ils n’ont aucune idée de quel être suprême il s’agit.
J’ai dix-sept ans, mais je suis devenue adulte prématurément, car lorsque l’on grandit dans les conditions qui ont été les miennes, soit on se détruit, soit on mûrit plus rapidement que si la vie avait été plus facile.
Et au bout du compte, malgré le regret de n’avoir pas eu une enfance insouciante, malgré le permanent et encombrant sentiment de frustration que cela engendre, on sait qu’on a une longueur d’avance. Bien qu’il soit vrai que l’évolution d’un être ne soit pas uniquement relative aux degrés de difficultés qu’il rencontre dans sa vie. Une embûche ne reste qu’une embûche et rien d’autre, si dure soit-elle.
Elle se présente afin qu’on la franchisse, et qu’on passe par-delà. Il faut éviter de bloquer dessus et au contraire, comprendre pourquoi elle existe. Accepter qu’elle soit là et se remettre en question.
C’est du moins mon point de vue, il n’engage que moi et m’a toujours permis de m’en sortir.
Ma famille est atypique. C’est ce qu’a dit le canard régional qui a relaté l’affaire de « l’incendie ». Il y a de cela quelques semaines à peine.
Je ne suis pas tout à fait étrangère à cet évènement qui a mis du piment dans mon existence trop monotone.
Bien sûr, personne n’en a jamais rien su, sauf ma sœur. Elle sait tout.
C’était magnifique ! Je comprends mieux maintenant la jubilation de l’empereur romain « Néron » quand il a ordonné d’incendier le cœur de Rome afin d’obtenir l’inspiration ultime qu’il attendait pour composer ses poèmes. C’est excitant.
J’ai pu écrire moi-même environ dix-huit feuilles entières de proses sur le temps qu’a duré ce sinistre.
La maison de ces gens s’est consumée jusqu’au bout, et même la cheminée de pierres s’est écroulée. Exactement comme je l’avais imaginé.
Située à quelques kilomètres de chez nous en direction du bourg, je m’y suis rendue à vélo un peu avant le crépuscule, ce moment entre chien et loup où le soleil va mourir derrière la colline Sainte-Jeanne. À cet instant précisément, où la pénombre bienveillante étend son suaire sur le monde créé.
Un bidon d’essence sur le porte-bagages et une boîte d’allumettes à la main.
Lorsque les flammes ont commencé à lécher les murs de bois, mon excitation était à son comble et au plus fort de l’incendie, alors que le brasier était infernal, je ne pus m’empêcher de sauter des deux pieds et de battre des deux mains en un applaudissement frénétique, bouche ouverte sur un cri de joie couvert par le fracas du désastre.
L’inspiration était à son comble. Je m’assis dans l’herbe fraîche et à la lueur dansante des flammes, je notais dans mon carnet tout ce qui me passait par la tête.
La chaleur libératrice atteignait mon visage et me réchauffait le cœur.
Quel beau cadeau d’anniversaire ! Je venais juste de fêter mes dix-sept ans.
Maman et papa ne m’ont jamais fêté mes anniversaires, alors j’ai pris depuis longtemps l’habitude de me les fêter toute seule.
Pour ce cas précis, les gens qui habitaient cette maison, cet antre puant m’ont donné eux-mêmes l’idée et l’occasion de m’offrir un tel cadeau.
Ils ont un jour, par hasard, croisé le chemin de Tarantula. J’ai bien perçu dans leur regard une moquerie insolente et insultante lorsqu’ils l’ont interpellée méchamment, la traitant de « grande mygale dégueulasse ».
AAAHH ! Les chiens !
Ils ont eu ce qu’ils méritaient. Je suis bien contente. Leurs pensées odieuses suintaient d’eux comme le pus d’un abcès crevé. Ça se voyait comme s’ils s’en étaient tartinés le corps.
Une aura de pus. Beurk !
Alors il ne faut pas s’étonner, quand on sème des petits pois, on récolte des petits pois.
Ils ne doivent surtout pas venir se plaindre, maintenant… Mais non, ils ne se plaindront plus jamais…
Je ne les aimais pas et ils n’auraient pas dû s’en prendre à ma sœur chérie. C’est tout !
Les policiers ont mené leur enquête et sont venus nous interroger, mais n’ont jamais rien pu prouver. Les journalistes parlaient du « Diable incendiaire ».
Ce soir-là, j’étais effectivement un espiègle et bien joli petit Diable. Hihi ! Je n’ai presque pas honte.
Loïse, toute à ses pensées, s’aperçut soudain qu’elle déambulait dans le jardin sous la pluie, trempée jusqu’aux os, depuis plusieurs heures maintenant.
Oh ! Il faut que je rentre me sécher, que je m’asseye. Je suis fatiguée. Je dois me reposer pour être en forme cette nuit. C’est le grand passage. Chouette ! Je me réjouis.
Mon esprit est constamment en état de veille. Il s’agit certainement de la seule chose vraiment vivante en moi, mon esprit. Le reste, le corps, est de l’ordre de l’illusoire, d’une importance limitée. Accessoire, support ou outil… Mon esprit, lui, englobe l’infini. Il peut tout. Il est tout.
Ce fauteuil est le plus confortable de la maison.
Une imposante bergère Louis seize d’époque, magnifiquement restaurée. Boiseries cérusées et finement travaillées, tissu velours bleu pétrole… Je m’y sens bien. Il trône dans le coin le plus sombre de ma chambre, sous mansarde.
Un rayon de soleil crépusculaire perce les nuages et filtre par la fenêtre.
On y voit, dansant et tourbillonnant allègrement, de petits grains de poussière qui se sont soulevés de l’assise de mon fauteuil lorsque je m’y suis lovée.
Ils cherchent maintenant comme moi un endroit où se poser, là où le hasard les conduira. La pénombre est maintenant la maîtresse des lieux et tolère encore dans sa grande bonté, ce dernier rayon de lumière déclinant qui, malgré tous ses efforts, parvient à peine à dessiner le contour des objets d’un subtil liseré fin et fragile comme un fil d’or pur.
J’aime cette atmosphère à la fois paisible et mystérieuse, loin de papa, maman, des cancrelats et toute cette folie… Ce grand théâtre d’improvisation dans lequel nous sommes parachutés sans texte ni metteur en scène.
Le monde.
Mes paupières sont aussi lourdes que des écoutilles de navire et je glisse inexorablement vers le sommeil. Je prends conscience que le monde est en moi et non le contraire.
Suis-je sur le point de sortir d’un vieux schéma comme l’œuf sort du cul d’une poule ? Qu’importe, je me sens bien. Je sais que je vais bientôt mourir.
Quand je meurs, je nais à la vie nouvelle et quand je nais, je meurs d’une vie passée.
À mon ego, cette petite chose soluble, oserais-je lui expliquer qu’il se présente sous forme de spirale ? Oserais-je lui dire qu’il tourne en rond dans son monde construit de toutes pièces, comme une toupie affolée qu’un gamin trop nerveux aurait lancée rageusement dans le but de se moquer de son désarroi ?
S’il met la main sur ce gamin, ça risque de chauffer ! Mais qui est-il, ce gamin, sinon lui-même ? Pensez-vous, ce n’est pas Dieu le responsable, non, juste ce gamin. Celui-là même qui m’a poussée à allumer cet incendie.
Qu’il gare ses fesses, sinon le martinet va sévir et semer le désordre dans ses molécules fessières jusqu’à en faire un tartare de fesses de sale gamin !
Mon sommeil est profond, maintenant. Je me dirige en rêve vers ces sublimes montagnes bleues là-bas, que j’aperçois à l’horizon, sur la virgule du monde.
J’y rends visite à Tarantula. Elle vit en solitude apparente. Le monde dans lequel elle évolue nous est bien étranger en réalité. Tout au plus ai-je pu en voir quelques bribes de-ci, de-là, mais sans pour autant avoir eu la chance d’imprégner mon être de cette perfection qu’est l’univers de ma sœur bien-aimée. Mon âme se meurt et se languit d’y parvenir, mais nul n’est tenu d’être son propre maître et nos aspirations ne peuvent que trahir nos faiblesses. À trop vouloir brûler les étapes d’une lente progression, par notre maladresse et trop souvent, nous créons les circonstances de notre propre perte.
Alors, le chemin qui nous mène vers ce but tant désiré est semé de plus grandes embûches encore et d’autant plus cruelles qu’elles ne sont, à notre insu, que nos propres et sombres desseins tapis au plus obscur de notre subconscient.
Le désir escamotant l’envie, le plaisir succédant au désir, la montée de la jouissance supplantant le plaisir et en guise de cerise sur ce gâteau tout flasque, la déception du sentiment de « l’obtenu », anéantissant le coït final.
Ne s’agit-il pas là de notre lot quotidien ?
Qui peut se targuer d’une plénitude totale, presque insolente ? Si ce n’est le vantard ou le fanfaron ?
Pour ce faire, j’ai décidé de faire confiance à Tarantula, elle me guide dans cette quête et je m’en remets à elle, car son amour pour moi et d’ailleurs la création tout entière est si puissant qu’il peut, tel un glaive de vérité tenu par un bras de fer, percer les cuirasses d’ignorance aussi facilement que s’il s’agissait de simples ventres mous.
Le temps lui appartient, mais elle sait que le genre humain est au bord du gouffre et est tributaire de conditions temporelles.
Ma sœur adorée, au contraire de moi, n’est pas humaine.
Telle est ma frustration, mon lot. Épargnez-moi moqueries et quolibets, car nous sommes tous par notre sottise, nous les humains, au menu de la risée de l’univers. Fous que vous êtes du haut de votre orgueil. Vous avez, vous comme moi, encore besoin d’être tenus par la main comme de petits enfants maladroits. Apprenons l’humilité.
Nous sommes encore loin de l’accomplissement dont ma sœur bien-aimée jouit naturellement, bien que le chemin soit, pour elle aussi et à son niveau, encore long à parcourir.
Mais sans doute faites-vous toujours la sourde oreille, c’est dans votre nature.
Tarantula est venue pour vous venir en aide, mais sa beauté vous effraie, car vous ne percevez pas les choses subtiles, vous qui n’êtes que de pâles projets à l’essai.
Représentants d’une humanité défaillante.
Piètres esquisses grossièrement gribouillées.
Prototypes de pacotille.
Ou alors feignez-vous de ne rien voir ? Sans aucun doute ! les hommes sont assez fourbes pour cela. Dans ce cas, je suis donc en train de prêcher des convertis aux pieds fourchus ?
Bien le bonjour Méphisto, contemplez donc le monde, voici votre œuvre sublime !
Le résultat vous plaît-il ? Nul doute que vous y preniez tant de plaisir que votre langue gluante, d’entre vos lèvres froides et humides, darde comme celle d’un crotale.
Vous jouissez de jouer aux dés l’avenir de ce bas monde, aux dépens de l’humanité ignare de laquelle vous tournez la tête. Votre manège à vous, c’est nous.
Cependant, prenez bien garde que le pouvoir ne bascule un jour en notre faveur.
Ce moment venu, je vous le promets, Satanas, que vous danserez à l’égal de ce que vous chantiez.
Il est vrai que pour l’instant, et pour l’instant seulement, nous vous appartenons. Mais le maître devient vite l’esclave de son esclave.
Prenez conscience que vous êtes tributaire de notre bon vouloir à nous laisser posséder par votre essence perfide.
Vous danserez à votre tour de vos jambes de chèvre aux muscles saillants et aux poils exubérants.
Soulevez-les donc en cadence et faites claquer vos sabots fourchus sur le pavé de votre propre ruine, pauvre cornu pédant en sursis d’anéantissement !
Mes yeux s’ouvrent, le soleil a disparu depuis belle lurette. L’obscurité est envahissante et la poussière au repos.
Chaque grain a trouvé sa place.
Méphisto semble toujours danser là, devant moi, une gigue effrénée, silencieuse. Un rictus déformant encore sa face hideuse de bouc malfaisant.
Je souris.
Un songe plus vrai que nature… Laissant ce beau Diable à ses affaires, mes yeux glissent lentement vers le cadran de la vieille horloge sur pied. Elle indique une heure et vingt-trois minutes du matin.
Mon sommeil fut de courte durée, mais je me sens fraîche et dispose. Tant mieux, car je ressens l’appel de la nuit.
Je quitte mon fauteuil et attrape entre le pouce et l’index mon petit Diable qui continue à s’agiter.
Je le plie en deux puis en quatre et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il puisse prendre place dans une petite boîte d’allumettes qui sent encore le soufre.
J’irai l’enterrer au pied de l’amandier fleuri du bord de la rivière qui coule derrière le jardin. Comme ça, il dansera pour les vers de terre. Ça les fera rire.
Chacun à sa place. Et pour le Diable, c’est sous terre. Ma chambre, elle est à moi.
Je fis glisser la boîte dans une pochette lorsque je vis, par la fenêtre, passer subrepticement Tarantula dans le jardin. Blanche et entièrement nue. Vision surréaliste.
Oh ! Mais… Oui, elle est suivie de près par papa… Ça alors ! La démarche mal assurée, maladroite, titubant à chaque pas. Il est dans un drôle d’état. Sa chemise est tachée de sang…
Son visage affiche un air abruti, mais cette fois, ce n’est pas à cause du mezcal, non, mais la douleur qui l’étreint est celle du cœur. La douleur d’un père qui intègre ses erreurs, qui découvre sa fille sur le tard. L’effet n’est que passager. Grâce à l’amour de Tarantula qui agit comme une pommade, il sera bientôt soulagé.
Cette bouteille de mezcal si judicieusement oubliée sur la première marche de l’escalier lui a ouvert le crâne et l’esprit.
Contemplez donc cette scène improbable, cette jeune femme si belle, si bestiale, si pure, procréée par cette épave chancelante, cet agglomérat désordonné de matière organique dont on est en droit de se demander ce qu’il fabrique sur terre…
Bon, je sais qu’il ne faut pas juger, mais je m’étonne tout de même. C’est mon papa. Cela dit, tout cela est de très bon augure.
Ma sœur, ma douce, marque un temps d’arrêt, se tourne vers moi et me regarde un long moment. Je comprends. Elle n’a pas besoin de parler.
Oui, ma sœur, le moment est proche, maintenant… Oui, je serai prête. Je te le promets ! Je suis si heureuse qu’enfin cette nuit…
Je t’aime aussi… Mon Dieu, qu’elle est belle !
Mon cœur se consume et doit présenter des similitudes avec une braise incandescente.
Elle m’instruit du regard. Je suis fascinée. Son message me parvient aussi clairement que si nous conversions par téléphone.
Léon, stoïque, patiente sagement tout à côté d’elle, les bras ballants, les yeux rivés au sol. Une bulle de bave saignante au coin des lèvres.
Je sais qu’elle s’applique à l’instruire, lui aussi. Il apprend…
Sous la brise fraîche, les cheveux « noir de jais » de Tarantula flottent au vent. De concert avec le feuillage du grand saule pleureur, ce qui ajoute à l’étrangeté de la scène. Quelques longues mèches, bleutées et si soyeuses, effleurent son visage et le bout rosé de ses seins, son ventre et ses hanches parfaites à damner le plus saint des papes, à embraser le Saint-Sépulcre. Puis le bruissement doux et léger de ces feuilles sous le vent froid…
Son regard posé sur moi, semblable au repos d’un papillon sur un bouton de rose, me convie à m’abandonner en elle jusqu’à l’avènement de cette nuit qui sera éternelle.
Une petite voix ramena mon attention dans ma chambre.
— Loïse, ma petite, que fait papa depuis tout ce temps dans la cave ?
Je me sens bien seule. Même les blattes ne se montrent plus…
— Maman ?
Oh ! Les blattes, tu sais, pour ce qu’elles sont occupées à faire… Hihi ! Elles n’ont pas besoin de toi. Elles se repeuplent, maman. Hihihi !
— Mais viens, approche, viens voir maman comme c’est beau, il est dans le jardin avec sa fille.
Je t’en prie, rentre dans ma chambre, mais doucement.
Quitte le sol. Ôte tes pieds du plancher, surtout. Il ne faut pas faire de bruit.
Viens jusqu’à moi ainsi, glisse dans l’air du temps, d’un rayon de lune à l’autre. Danse avec grâce et émotion sur ce chemin céleste, à pâmoison, et rends hommage à ce moment d’éternité.
Sois heureuse, maman, Tarantula présente papa devant l’autel de Dieu.
Avec le langage de l’amour, maman.
L’amour pénétrant les ténèbres, c’est toujours beau.
Plonge avec délectation tes yeux dans les miens, approche encore un peu… Oui, c’est bien.
Stop ! Laisse-toi porter par ce rayon de lune, il te sied merveilleusement bien.
Ne bouge plus et observe mon iris, halo de pupille, cercle magique.
N’y vois-tu pas l’œil du cyclone ? Le vent violent de ta conscience te tourneboule et t’emporte dans ce tourbillon ahurissant, t’engouffrant inexorablement au centre de ma pupille, trou noir au fond duquel toute chose perd corps, antimatière.
Tu comprends maintenant, maman, que je t’aime ?
Maman resta figée à égale distance du sol et du plafond, le temps de faire le tour de sa conscience. Cela lui fera du bien. Il faut la préparer pour le « grand moment ».
Elle ira dormir d’elle-même quand le formatage sera terminé. Elle en a pour un moment.
Je passai par jeu sous maman en prenant un malin plaisir à soulever la poussière du sol à grands coups de semelles.
La poussière étincelante, telle une nuée d’étoiles dans un espace galactique miniature, tournoya autour de maman et ajouta à la scène un avant-goût de grâce éternelle.
Mon enfance ressemble en tous points à une omelette, mais mon esprit a évolué de manière inversement proportionnelle. Je sais des choses. J’ai ma place dans ce monde et un rôle à y jouer, comme tout un chacun. Comme chaque planète a également sa place et son rôle, comme chaque grain de poussière aussi, dans l’espace environnant maman en lévitation, dans ma chambre. Aussi curieuses que les choses puissent paraître, maman est à sa place, flottant au centre d’une galaxie de poussières aux reflets d’argent, dans un rayon lunaire.
Je sortis de ma chambre en claquant effrontément la porte. Il faut que j’aille enterrer le petit Diable qui danse encore dans sa boîte d’allumettes. Ce que je fis.
Alors que je creusais la terre, je me pris à repenser à l’un de mes souvenirs d’enfance.
Je devais avoir environ cinq ans quand un jour, papa Léon se dressait devant moi, affublé d’un long tablier blanc. Il avait, à l’époque, une certaine prestance. De haute taille, il me dominait de toute sa superbe. Une montagne pour moi qui faisais à peine la hauteur de trois pommes. Je croyais voir le Fuji Yama en personne. Il se montrait peu sympathique et arrogant avec moi. Je ne sais plus pour quelle raison. Il n’avait pas besoin de raison pour l’être.
Je voulais l’abattre et le poussai de toutes mes forces avec mes petits bras. Mon visage devenait cramoisi sous l’effort intense. Et…
Stupéfaction, il s’écroula de tout son long.
Sous ma seule poussée, dites donc !
Depuis ce jour, je sais que par ma foi je peux abattre des montagnes.
C’est Jésus qui l’a dit. Il avait vachement raison, Jésus. On devrait l’écouter plus attentivement.
Depuis cet événement extraordinaire, je suis importante. Je m’étonnais d’ailleurs, à l’époque, que les journaux nationaux n’en aient jamais parlé… Pas même un article. Alors que pour Superman, on crée même des films qui passent au cinéma. Il est pourtant bien moins doué que moi…
J’ai de la chance d’être forte comme ça. À part Tarantula, papa et maman n’ont pas cette force. Surtout cette pauvre maman, ne nage-t-elle pas frénétiquement dans un océan de larmes, de chagrin, de peurs et d’incompréhensions ?
Elle se débat, la pauvre, pour garder le nez hors de l’eau. Juste le nez. Ses petits trous de nez. Cela lui suffit pour se maintenir en vie pour l’instant.
Mais que cherche-t-elle donc à respirer ? Quelle substance cherche-t-elle à capter avec tant de force et de rage par ses tout petits trous de nez ? Battant de ses petites mains et de ses petits pieds pour ne pas couler… Dans cette fange immonde ?
Elle ? Elle ne s’en doute même pas. Ni pourquoi.
L’amour. Elle veut capter l’amour pour s’épanouir. Pour fleurir.
Une fois mon petit démon dansant confié aux bons soins des esprits de la terre, je regagnai l’étage du cottage.
Maman sort à présent de ma chambre comme un automate et va se coucher. Elle est fatiguée.
Il faut attendre encore un peu, le grand moment arrive. Je dois faire preuve de patience.
Je tourne en rond, désœuvrée.
Je décide alors de regagner mon fauteuil et de me replonger dans mes pensées en attendant que le temps passe.
Autant me reposer.
Tarantula m’a enseigné mon rôle futur, en relation avec les cochons gris du veau d’or. Elle appelle comme ça la caste en lien avec l’asservissement des peuples. Pourquoi du veau d’or ? Je préfère ne pas le savoir. Peut-être s’agit-il d’une fantaisie de sa part. Cette vie présente n’était qu’un temps nécessaire d’enseignement et de préparation à ma future mission.
Dehors, le temps évolue. Un orage fait gémir et gronder le ciel.
Les flashs successifs des éclairs illuminent par intermittence les millions de gouttes qui s’écrasent sur les fenêtres, propulsées à pleine vitesse par le vent du sud.
Chaque éclatement produit une petite détonation dans une dispersion de molécules d’eau.
Les restes éparpillés aussitôt se rassemblent en de petits fleuves verticaux se tortillant joyeusement sur la surface vitrée, dans une danse pleine d’allégresse.
Cela me force à penser que la mort de toutes ces gouttes-kamikazes est aussitôt récupérée par la vie afin de célébrer sans aucune perte de temps la puissance de création, d’évolution qui pousse naturellement toute chose à se transformer sans cesse.
Voilà pourquoi la mort n’est donc que la perception que l’on a du phénomène d’évolution et de transformation. Le passage d’un état à un autre.
D’une forme d’existence à une autre. La nature et tout dans notre environnement nous le démontre. Il suffit d’être un tantinet observateur.
Il s’agit d’une loi naturelle intangible qui s’applique indifféremment à tout ce qui y est naturellement soumis. Au Diable, le côté dramatique de la chose. Tout n’est que vie.
Et pourquoi échapperions-nous à cette règle, nous, les humains ? Serions-nous orgueilleux à ce point ?
Enfin, le moment tant attendu arriva.
Loïse s’arracha à ses pensées et se leva. Elle prit la direction de la cave. Franchissant le pas de la porte de sa chambre. Grincement des gonds… Gémissement des marches de l’escalier.
À l’étage du dessous, elle risqua un regard par l’entrebâillement de la porte de la chambre de maman.
Elle dort dans son lit comme une bienheureuse.
Loïse est rassurée. Elle la contemple longuement. Ce corps affalé sur le matelas, enroulé dans la couette, les jambes nues mal épilées pendant en-dehors du lit, cheveux ébouriffés, bouche ouverte bavant sur l’oreiller. Loïse sourit.
Une bouffée d’amour la submergea.
« À très bientôt, maman. »
Refermant avec précaution la porte, Loïse descendit les volées d’escaliers suivantes, calmement, tout en ôtant un à un ses vêtements qu’elle éparpilla de-ci, de-là, au gré de son inspiration.
Le dernier rempart de son intimité, elle le laissa choir juste devant l’entrée de la cave. À même le carrelage.
À présent nue et belle comme la muse Clio, fille de Zeus et Mnémosyne, elle hésita un court instant, immobile, magnifique et grave.
Elle respira un grand coup, retint ses larmes, larmes de joie cette fois.
« Vas-y Loïse », se dit-elle. C’est maintenant !
La porte s’ouvrit soudain, violemment, claquant avec fracas contre le mur.
Une lumière jaillit de l’orifice, éblouissante de paillettes virevoltantes d’or et d’argent, et inonda le corps de Loïse, le faisant apparaître en ombre chinoise devant cet éblouissement merveilleux, l’invitant à descendre au sous-sol comme au fond de son âme.
Littéralement métamorphosé, le lieu a perdu son aspect sombre et sordide.
La cave d’avant a fait place à un somptueux sanctuaire éclatant, un palais de pierres précieuses lumineuses, toutes couleurs confondues.
Sans parois ni plafond, la lumière étant l’unique matériau composant cet endroit.
À la source de ce jaillissement apparurent deux êtres.
Tarantula, majestueuse, trônant sur sa toile d’argent, tient dans ses bras un petit cocon tissé du même fil, au centre duquel, emmitouflé comme un nouveau-né, le visage halluciné de papa Léon. Il se laissait bercer, un sourire d’ange se dessinait sur ses lèvres meurtries.
Tarantula lui parlait doucement. Lui chuchotait une douce mélopée dans une langue inconnue. Ou universelle.
Une suite de notes toutes plus belles les unes que les autres. Une musique si douce à l’oreille que Loïse, sous le charme, transportée, semble s’envoler, remplie de bonheur.
— Viens Loïse, viens à moi. Plus près, approche… paraissait dire cette jolie mélodie magnétique.
Ce qu’elle fit.