Ecee-Abha - Armand Giordani - E-Book

Ecee-Abha E-Book

Armand Giordani

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Beschreibung

Quelques semaines après les évènements dramatiques qui ont marqué la ville, la police se trouve à nouveau confrontée à une série de meurtres étonnants. Nos héros, rejoints par d'autres protagonistes, devront faire face à de nombreux enjeux dont les ramifications trouvent leur source au plus haut niveau du pouvoir. Une enquête menée tambour battant, entre sous-sols alvéolés et méandres labyrinthiques.

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Voyageur, voyageuse, tu t’achemines au gré d’anecdotes sur cette voie cahoteuse.

Mais sont-elles vraies ou inventées ?

Chercher et découvrir ou ne pas le faire, c’est ton choix.

Cependant, retiens bien les petits morceaux de pains égrenés ici et là.

Ils t’amènent inéluctablement à la Vérité.

Sommaire

Partie III

Chapitre 1 : Cartes sur table

Chapitre 2 : Mémoires vives

Chapitre 3 : Deux petites plumes

Chapitre 4 : 1902

Chapitre 5 : Les anges de la mort

Chapitre 6 : Le triangle

Chapitre 7 : La mort aux trousses

Chapitre 8 : Le réveil de la bête

Chapitre 9 : L’héritage maudit

Chapitre 10 : Jack is Hyde !

Chapitre 11 : Quadruple mystère

Chapitre 12 : Franck Alberty Djorak

Chapitre 13 : Manipulations

Chapitre 14 : Les rouages de l’esprit

Chapitre 15 : Une prison dorée

Chapitre 16 : À quoi rêvent les anges mécaniques ?

Partie IV

Chapitre 1 : En route pour Ecee-Abha

Chapitre 2 : Retour au manoir nain

Chapitre 3 : Mascarade

Chapitre 4 : Errements et illusions

Chapitre 5 : l’incontournable vérité

Chapitre 6 : Jeux de miroirs

Chapitre 7 : Démonstration

Chapitre 8 : Double Jack

Chapitre 9 : Le choc des Titans

Chapitre 10 : Localisation

Chapitre 11 : Un cri dans le noir

Chapitre 12 : Le nerf de la guerre

Chapitre 13 : La tempête approche

Chapitre 14 : La Tempête !

Partie III

Chapitre 1 : Cartes sur table.

Des jours de lumière suivirent ceux beaucoup plus sombres qui ont marqué la ville. Les attentats et surtout le risque insensé d’être engloutis sous les eaux ont à jamais laissé dans le cœur de la cité un gout amer, un sentiment de dangerosité immédiate.

L’orage éclata tôt dans la matinée. Sous une pluie diluvienne, une voiture s’arrêta devant le centre de détention et d’exécution.

Franck en sortit, regarda le ciel et se dit que tout était ligué contre le condamné qui allait passer de vie à trépas.

« Décidément… »

Il ne poussa pas plus loin l’ironie du sort. Lors de sa première injection létale, les mêmes conditions atmosphériques guidaient le cellulaire.

L’inspecteur entra dans la salle de mise à la question. Farius était déjà assis. À attendre. Le gardien referma la porte, laissant les deux hommes dans une dernière joute verbale.

« Bonjour Franck !

— Ce jour est beau, incontestablement, puisque le rideau tombe sur ta misérable existence.

— Je ne peux te contredire sur ce fait. Tu assisteras à mon ultime soupir ?

— Je serai là.

— Merci !

— Ne me remercie pas. Ce n’est pas pour toi ! Mais pour m’assurer que cette fois-ci tu n’y échapperas pas. »

Les yeux clairs de Farius étaient étonnamment bleus. Une étincelle fit presque vibrer sa pupille.

« J’ai quémandé ta présence et tu es venu ! Pourquoi ?

— Pour te dire que…

— Quoi ? »

Franck passa sa langue sur sa lèvre supérieure.

« En fait, j’ai un problème qui me taraude !

— Expose-le… non, attends ! Amusons-nous, tu veux bien ? Tu me questionnes et je te questionne à mon tour.

Une réponse amène naturellement une autre réponse. Je n’ai rien demandé comme dernier repas ; ce sera la supplique d’un mort en devenir.

— OK ! Jouons cartes sur table.

— Tu sais que je suis un joueur d’échecs.

— Dévoilons nos stratégies alors. Pourquoi es-tu resté sur le barrage, sachant qu’en déclenchant les explosifs, tu allais y passer aussi ?

— Non, Franck ! La structure supérieure n’aurait pas cédé.

Les décharges n’auraient produit que des dommages ciblés. L’eau se serait infiltrée en emportant la partie inférieure, mais le pont ne se serait pas écroulé.

— Comment en es-tu si sûr ?

— Tu tu tu !!! C’est à moi de te questionner, n’oublie pas !

— Vas-y !

— Qu’est-ce que ça t’a fait d’abattre ta sœur et ton neveu ? »

Franck n’avait jamais pris le temps de considérer Anthony Zinger comme un membre de sa famille. C’était un psychopathe qu’il avait rayé du monde des vivants. Ni plus ni moins. Quant à Katerina, elle était une parfaite inconnue, tueuse de surcroît doublée d’une effroyable manipulatrice.

— Sincèrement. Rien du tout. J’étais triste pour Élise.

Mais pour Katerina et Anthony… Que dalle !

— Alors, tu es comme moi.

— C’est-à-dire ?

— Un meurtrier au sang-froid. »

Franck le regarda dans les yeux. Il sourit bien malgré lui.

« Comment savais-tu que l’endroit où tu te trouvais n’allait pas s’affaisser ?

— Franck ! Tu ne t’es jamais posé la question… ce que je suis devenu après la guerre ? J’ai travaillé sur des chantiers. Dont la construction dudit barrage. J’étais le collaborateur d’Afanen Lynfa, l’architecte.

— Celui qui a bâti Baradwys, la ville sous-marine ?

— Lui-même. Donc, je ne craignais rien. Je connaissais les lieux par cœur… Je pouvais m’y balader les yeux fermés… Et j’aurais dû aussi assister, en toute-puissance, à la déferlante de l’eau engloutissant tout sur son passage… Tant pis… À moi ! As-tu découvert les quatre pages manquantes ? »

Franck prit un temps avant de répondre.

« Pas encore. Mais je les trouverai… même si j’ai conscience que ça n’aura aucune répercussion sur la suite des événements.

— Tu as tort ! Tu ne sais pas tout.

— Peut-être… Question : le jour où vous avez investi le manoir et assassiné ma mère, il y avait une quatrième personne avec vous. Qui était-ce ? »

Farius le fixa du regard. Il était troublé. Mais Franck n’aurait pu dire si cette déstabilisation était due à la connaissance de ce quatrième homme ou s’il ignorait, tout simplement, qui il était.

« Tu veux comprendre ? Il n’y a qu’une seule méthode.

— Le voyage mental ? » Franck explosa de rire.

« Sérieusement, Farius, tu penses que tu vas pouvoir repousser ton exécution par ce biais-là ? Non. Désolé… mais… à mon avis… tu ne sais pas de qui il s’agit. Ton attitude t’a trahi.

— N’en sois pas si sûr, Franck.

— Pas grave ! Je ne prendrai pas ce risque. Je trouverai par moi-même.

— Comme tu veux. C’est mon tour ! »

Il plaça ses coudes sur la table et posa son visage sur ses poings.

« As-tu découvert les couloirs secrets de ton père ?

— Je les ai dénichés. Et… Farius… J’ai mis en exergue une vérité qui… qui va te faire du mal. Tu n’étais pas le descendant du docteur Moreau. Ce dernier étant juste un personnage de littérature dont le caractère a été librement adapté sur celui de ton aïeul, un chirurgien apparemment raté et taré. Ça doit être génétique. »

Farius sourit.

« Fiston, rien ne m’était inconnu. Et j’ai toujours su aussi qu’on n’était ni les quatre cavaliers de l’Apocalypse ni les cinq éléments. Cela faisait plaisir à Fergusson et aux deux Zinger de croire en ces choses-là. Non, moi… Ma seule et unique pensée était tournée vers le livre du grand premier.

Le carnet rouge.

— Le recueil secret de Hyde !

— Fraaaanck ! Hyde est un symbole d’intériorité. Une psychopathie schizophrénique révélée par la combinaison heureuse d’une formule chimique et d’un terrain génétique propice. Hyde est l’alchimie parfaite du sacré et de la science. C’est ton héritage. »

Franck eut l’air surpris.

« Tu savais pour mon ancêtre ?

— Hyde was Jack and Jack was inside the man! Et l’homme était Keith Albert Jœ Rakinson.

— Mais alors… Pourquoi depuis le début me parles-tu de Hyde et de Jekyll ?

— Parce que… si Stevenson n’avait pas écrit cette nouvelle, nous n’en serions pas là ! Rendons à César ce qui appartient à César. »

— Sur le barrage, tu t’es, cependant, présenté comme le maître de l’eau.

— Bah ! À ce moment-là, je l’étais un peu. Non ? Et puis, j’ai voulu donner à tes chiens la pâtée qu’ils désiraient. Au fond, mieux vaut arrêter un empereur qu’un fou du roi.

— Ça a du sens. Ainsi, tu n’es pas l’abruti que Katerina et mon père m’avaient décrit.

— Ils t’ont dit ça ? C’est normal. Cependant, Katerina était incroyablement futée… Et c’était elle le cerveau de l’histoire. Elle avait pensé à tout ! Jusqu’au moindre détail.

Mais… Elle me prenait pour une marionnette.

— Pas moi ! Car je te connais Farius. Je t’ai disséqué ! J’ai sondé en toi ! Tu es un esprit retors. Intelligent, cultivé et sans limite.

— C’est vrai. La marionnettiste était devenue au fil du temps un pantin que j’articulais au gré de mon humeur, de mes désirs, de ma volonté. »

Pour la première fois, Farius posait un regard presque humain sur son interlocuteur.

« Je te donne un exemple. Katerina t’a certainement dit que l’assassinat du juge Klébert était pour raison personnelle ? »

Franck ne répondit rien, il attendait la suite.

« Ton silence est éloquent. Sache que ce n’est pas pour une question d’autorité… Mais parce que… Klébert est le magistrat qui a interné sa mère dans un asile… et qui l’a placée, elle, chez Zinger quand elle n’était qu’une enfant.

Je l’ai mise face à son passé, maintes et maintes fois. Ce lavage de cerveau a fonctionné. Elle l’a rayé de la carte.

— Pourquoi a-t-il fait de lui son père adoptif ? Pourquoi précisément Zinger ?

— Ça Franck, c’est quelque chose que tu devras découvrir… Mais c’était juste pour parvenir à ma dernière confession. C’est moi qui ai donné l’ordre à Fergusson d’assassiner la Gouverneuse. Katerina n’était pas d’accord avec ce plan. Mais…

— Pour quelle raison ?

— Parce que… J’aime le chaos, l’anarchie. Et ce qui va arriver, dans les prochains jours, les prochaines semaines, les prochains mois… crée en moi un sentiment d’extase totale. »

Les deux hommes se jaugeaient.

« Allez ! À ton tour Franck ! La dernière question, si tu veux bien. Je souhaiterais me reposer avant de mourir.

— Quand j’ai découvert les passages secrets, j’ai vu mon géniteur… un procédé holographique. Et il a utilisé le mot de “voyageur”, mais toujours au singulier, sais-tu de qui il parlait ? »

À ce moment précis, Franck put lire la surprise sur le visage ridé de Farius.

« Il a fait mention du Voyageur ?

— Oui ! Qui est-il ? »

Farius respira fort. Puis se mit à rire sous cape.

— Ça t’amuse ?

— Un peu… Il me semble que c’était toi le « voyageur »

dans ma cervelle.

— Et alors ?

— Alors… Rien ! »

Il se tut quelques instants puis arbora un air des plus sérieux.

« Franck… Je n’ai connu qu’un homme se faisant appeler ainsi, mais il est vraiment impossible que ton père ait croisé sa route. Et… je n’en dirai pas plus. »

Le détective fronça les sourcils. Il aurait bien voulu en apprendre davantage, l’interroger en profondeur, mais il savait que lorsque ce prisonnier se refermait comme une coquille, il était temps de clore le débat.

Il avait de quoi réfléchir. Cependant, avant d’actionner le bouton afin qu’on lui permette de se retirer, il se ravisa et se retourna vers Farius.

« Le carnet… le livre de mon aïeul que tu as dérobé dans ma bibliothèque… Où est-il ? »

Farius leva son regard froid et le plongea dans celui de Frank.

« Là où tout a commencé, Franck ! Là où tout a commencé ! Nous nous retrouverons un jour, fiston ».

conclut-il sur un clin d’œil.

Se contentant de cela, frustré par le nombre de questions sans réponses, Franck sonna et sortit, refermant la porte sur le visage sans expression du condamné.

Maintenant, il était temps de clore ce terrible chapitre et de mettre un terme à la vie d’Origan Farius.

11 : 50 : Quatre gardes vinrent chercher Farius dans sa geôle. Il s’était préparé à ce moment comme une jouvencelle attendant son prince charmant. Lorsqu’ils ouvrirent la lourde poterne d’acier à la serrure numérique, il était debout, rasé, coiffé, parfumé. On le coucha sur une civière, sanglé et ceinturé. Dans le même temps, à travers des vitres légèrement opaques, deux silhouettes se profilèrent, s’arrêtant près de la salle d’exécution. On ne voyait pas leur tête, mais suite aux mésaventures des deux derniers bourreaux assassinés par Fergusson et le fils Zinger, l’administration avait instauré un protocole plus rigoureux. Les deux auxiliaires de la haute justice ôtèrent leur cagoule, passèrent par une reconnaissance faciale, rétinienne et auriculaire. Une empreinte digitale pouvait se contrefaire, mais le lobe de l’oreille, véritablement unique pour chaque individu, constituait une mesure de précaution supplémentaire. Puis se voilèrent à nouveau le visage. La porte s’ouvrit devant eux.

11 : 55 : Adila, Franck, un juge et une représentante de la presse entrèrent dans la chambre de discrétion. Cette pièce jouxtait celle de l’exécution. Elle n’était plus munie d’un miroir sans tain, mais d’une série d’écrans incurvés, fixés au mur. Ils s’assirent comme s’ils allaient assister à un spectacle.

11 : 58 : Origan Farius franchit le seuil de la salle d’exécution. Il ne tremblait pas. On aurait pu imaginer que cet instant fut pour lui le moyen de faire passer un dernier message. Il regarda, arborant un immense sourire dévoilant ses dents de devant, les caméras et fit un ultime clin d’œil que Franck prit pour lui.

12 : 00 : Le détenu s’assit sur un fauteuil basculant. On lui ceintura la tête, le ventre, les mains et les pieds. Il était radicalement impossible à qui que ce soit de se sortir de ces entraves de cuir alliées à un métal à la fois flexible et incassable. On avait découvert ce métal lors de travaux de soutènement dans une mine, non loin de la ville, un millénaire plus tôt. Il fut considéré comme une véritable révolution, mais très vite, le site s’appauvrissant, on mit fin à sa prospection, espérant qu’un jour on puisse le reproduire et le commercialiser. Ce qui n’avait pas été le cas, jusqu’à présent. Le nom de « Kupfergold » lui fut attribué.

12 : 05 : Les exécuteurs des basses œuvres insérèrent une aiguille directement dans le cœur. Un peu de sang coula sur la chemise blanche entrouverte du condamné. Mais cette pénétration était totalement sans danger immédiat. Il ne pourrait pas mourir avant l’intracardiaque fatale.

12 : 07 : Le plus vieux des bourreaux se retourna, posa la main sur le bouton injecteur en observant l’horloge numérique placée juste au-dessus du fauteuil. Cela permettait au prisonnier de voir les chiffres allant croissant jusqu’à l’heure décisive, c’est-à-dire 12 : 15.

12 : 08 : Une étrange fumée blanche envahit à la fois la salle d’exécution et la chambre de discrétion. Les deux bourreaux tombèrent les premiers. Franck se leva, se bouchant instinctivement les voies respiratoires. Adila courut vers la porte, mais ne put l’ouvrir. Elle s’écroula. Le juge et la journaliste s’endormirent aussi vite dans leur fauteuil. Franck crut voir sur les écrans, une silhouette pénétrant le lieu et… plus rien ! Il s’affaissa de tout son poids.

12 : 30 : Franck et Adila, se réveillant, foncèrent vers la salle d’exécution. La fumée s’était dissipée. La porte étant toujours fermée, les deux policiers durent la forcer pour l’ouvrir. Une minute après, ils étaient sur le seuil, de l’autre côté du chambranle.

12 : 31 : Là, ils découvrirent le corps de Farius baignant dans son sang, égorgé. Le juge et la journaliste restèrent derrière les deux détectives inspecteurs qui faisaient les premières constatations. Apparemment, l’incision était nette, sans bavure. L’assassin était sans nul doute un professionnel.

12 : 35 : Adila trouva sur le sol, non loin du fauteuil, une plume blanche. Franck, s’approchant, la ramassa avec un mouchoir et la mit dans un sac en plastique qu’il avait toujours dans son blouson.

13 : 00 : Les lieux furent investis par les experts. Des hommes et des femmes en combinaison de teintes différentes, dissociant les légistes des scientifiques, ceux-ci étant responsables de tout ce qui pouvait être analysé en laboratoire. Même si les deux organismes collaboraient étroitement, les légistes avaient demandé, par fatuité ou orgueil, une couleur distincte. Jaune pour eux, verte pour les autres. Franck donna le sachet contenant la plume blanche à cette dernière.

14 : 00 : La Police Fédérale, prenant l’affaire en main, interrogea Franck et Adila ainsi que le Juge et la journaliste. Ayant terminé de déposer, les deux coéquipiers sortirent enfin. Mais avant de franchir les portes, la cheffe de la police leur donna ordre de ne pas enquêter sur ce cas étant eux-mêmes des témoins.

Laissant un remue-ménage infernal à l’intérieur et trouvant une quiétude apaisante à l’extérieur, Franck huma l’air frais d’un automne jaunissant. La pluie avait cessé et un arc-en-ciel naquit entre la terre et les nues, créant sans le vouloir une dimension onirique au drame vécu quelques minutes plus tôt.

« Franck, c’était quoi ça ?

— Certainement quelqu’un qui souhaitait s’assurer que Farius disparaisse à jamais et… définitivement — OK ! Mais… On était en train de l’exécuter. Ça n’a pas de sens.

— Après ce qui s’est passé la fois dernière…

— Mais comment ont-ils réussi à nous gazer ?

— Adila, je te signale que nous ne sommes pas sur l’enquête.

— Oui, mais tout de même… »

Elle s’arrêta et, le prenant par le bras, le fit pivoter afin de l’avoir bien en face.

« Égorgé ?

— Je penche pour une vengeance personnelle.

— Et la plume blanche ? »

À ce moment-là, la journaliste sortit. Voyant les deux policiers discuter, elle fonça sur eux.

« Amber Seidel, journaliste à l’Européagerchtigkeit.

Quelques mots pour nous faire partager votre sentiment sur ce qui vient de se passer ?

— Madame Seidel, vous étiez là, avec nous, dans la chambre de discrétion. Comme nous, vous vous êtes endormie. Comme nous, vous avez découvert ce qui est arrivé à Farius. Comme nous, vous êtes dans l’attente de connaître la vérité. C’est tout ce que je peux vous dire.

N’étant pas sur l’affaire, posez les questions à qui de droit.

Qui sait ? Vous aurez peut-être une réponse. »

Sur ces mots, Franck jeta un regard à Adila qui voulait dire « Allons-nous-en d’ici. »

Ils s’éloignèrent.

Parvenus à leur voiture :

« T’es au courant, Franck, que je dois rejoindre mon secteur. Je n’ai plus de raison de rester dans le tien ; tu diras au revoir à Sacht et aux autres.

— Dommage, on forme une très belle équipe ; tu ne veux pas demander ta mutation ?

— Écoute, je ne sais pas… Quand on te côtoie, tout peut arriver !

— C’est vrai, mais on ne s’ennuie jamais ! »

Il répondit, arborant un tel sourire qu’Adila ne put lui répliquer qu’en faisant résonner un petit rire moqueur.

« Allez, salut, Franck ! Et tu me diras où en sont les investigations pour retrouver les parents d’Élise. »

Franck hocha simplement la tête.

Témoin éloigné de cette conversation, Amber Seidel les observait. Quand ils démarrèrent de concert, elle se frotta l’oreille.

« Romain, c’est Amber. Tu ne devineras jamais ce qui vient de se passer. Je veux la première page… Avec en titre « Le détective inspecteur Franck Alberty Djorak dans l’expectative ! »

Chapitre 2 : Mémoires vives.

Franck arriva au laboratoire. Héléna était absorbée par son travail sur le nouvel appareil permettant de sonder le cerveau humain.

Elle tentait d’y approfondir ses recherches.

Il s’assit près d’elle.

Il la trouvait si belle et si incroyablement intelligente qu’il en était à chaque fois troublé et désarmé.

Pivotant sur son siège pour mettre la main sur un instrument de mesure, elle sursauta en voyant son amoureux près d’elle.

« Franck, tu pourrais au moins me faire signe quand tu arrives.

— Pardon, ma chérie, mais je ne voulais pas rompre le charme. »

Elle éclata d’un rire franc et ravissant. De son côté, il sourit en la contemplant.

Elle approcha son fauteuil à roulettes et l’embrassa tendrement.

Ils se regardèrent quelques secondes, les yeux dans les yeux. Puis, Héléna prit son visage entre les mains.

« Tu souhaites en parler ?

— Du baiser ?

— Arrête de faire la bête. »

Franck lui fit une grimace, qui se voulait être drôle, mais se rendit compte qu’elle avait mis dans le mille.

« Comment ça marche, Héléna ? Ce que j’ai vu… la projection de mes rêves, de mes pensées… de mes souvenirs. Comment ça fonctionne ?

— Disons que notre cerveau est une espèce d’enregistreur muni de plusieurs disques dont la capacité est relative.

— Relative ?

— Oui, chaque disque dispose d’une mémoire plus ou moins importante. Une fois que ce dernier est plein, il fait en sorte de se vider du superflu, mais rarement de ce qui est essentiel ou… marquant.

— Mais pourquoi dans le cas d’Élise, tu n’as pu remonter au-delà de son deuxième enlèvement ? … Pourquoi le premier perpétré par Katerina n’apparait jamais ? Ni même ce qui suit ? De sa vie d’après ? Et pourquoi, moi, j’ai pu aller aussi loin dans ma mémoire, mais de manière aussi fragmentée ?

— J’imagine que dans le cas d’Élise, c’est plus évident.

Elle a été kidnappée lorsqu’elle avait deux ans et cela, nous sommes en droit de le supposer, sans violence… Sa vie, plus tard, a été baignée d’un certain bonheur… un certain équilibre… totalement artificiel… Quand j’y pense… Elle n’a été qu’un compte à rebours… Rien de vrai ni de sincère… Et là est la clef. Peut-être qu’intuitivement, elle sentait que tout cela sonnait faux.

Qu’elle grandissait dans le monde de Peter Pan ! Un monde imaginaire. Son deuxième enlèvement fut improbable, rapide, violent et surtout très angoissant…

Elle ne l’oubliera jamais. »

Franck écoutait avec une attention particulière. Élise était une jeune fille si attachante et si courageuse qu’il en éprouvait un sentiment paternel très fort. S’il était plus libre et surtout s’il ne vivait pas aussi dangereusement, il aurait demandé à Héléna l’autorisation de l’adopter lui-même le temps de trouver sa fratrie. Ce qui le rassurait c’est qu’elle était chez ses propres parents adoptifs. Si prévenants.

« Quant à toi Franck, c’est le contraire. Tu as passé toute ton enfance avec un sentiment de mystère et de danger imminent. Tu as plongé très vite dans une sorte de spirale infernale où règnent, encore et toujours, le doute et la suspicion ; malgré l’amour évident qu’éprouve ta famille adoptive à ton égard, ton père, ton géniteur, t’a immergé très tôt dans un océan de références et de questionnements.

Tous tes marqueurs portent le sceau d’un cheminement sans fin. Comme si une corrélation unissait les différents disques, les différentes partitions cérébrales. Comme si tes rêves, tes souvenirs, tes espérances et tes angoisses étaient intimement liés. Comme si chaque cloisonnement était un morceau de pain du petit Poucet.

— Pourquoi ?

— Pour te mener à une vérité à laquelle tu ne t’attends pas… peut-être. Les couloirs secrets de ton manoir sont certainement une des clefs. »

Franck s’affaissa dans son fauteuil et fronça les sourcils.

« Héléna, est-ce que je peux revoir mes souvenirs, mais…

juste la nuit de la mort de mes parents ?

— Bien sûr. J’ai tout segmenté en petits disques. »

Elle chercha quelques secondes dans son tiroir. En prit un et fit entrer Franck dans une salle obscure. Elle l’installa dans un fauteuil et brancha l’appareil, puis referma la porte délicatement et repartit vers son travail qu’elle avait mis en suspens.

Son père entend frapper.

Il regarde par une fenêtre.

« Ils sont là ! »

Il l’attrape par la main.

Dans le sillage de sa course, il voit sa mère.

Elle lui sourit.

Son père prend quelque chose sur le bureau.

Un livre rouge.

Saisit un objet sur un tableau.

Ouvre une cache derrière les chenets.

Place l’ouvrage qu’il avait récupéré.

« Il ne faut pas qu’ils le trouvent ! Jamais ! »

Et remet l’objet dans le tableau.

Son père le regarde.

Il descend les marches le trainant vivement par la main.

Il se retourne.

Sa mère le suit.

Elle referme derrière elle la trappe.

Il se tourne à nouveau vers son père.

Il voit défiler les murs.

Il a l’impression d’être happé par une lumière.

Il se retourne.

« Maman ! »

La trappe est ouverte.

Trois hommes sont en bas ; il entend « Tue-la ! »

« MAMAN !!! »

Puis un coup de feu.

Il se retourne vers son père.

Il a du mal à le voir, un voile humide envahit ses yeux.

Son père est terrifié.

Puis, tout à coup, disparaît.

Il regarde ses pieds.

Un trou béant.

Il s’entend crier « Papa ! »

Puis, soudainement, se sent soulevé.

Il est dans les bras d’un des trois hommes.

« Tu vas nous aider à le trouver ! »

Il ne sait pas de quoi il s’agit.

Ils remontent au salon.

La lumière est vive.

Le voile d’eau est encore plus intense.

Il a peur.

Non ! Il est terrifié.

Il balaie son regard et là…

Franck appuya sur pause. C’était flou… Les larmes du passé étaient trop présentes ; il n’arrivait pas à distinguer le visage du quatrième individu caché derrière le cadre de l’huis. Il était le seul à le voir. Pourquoi ? Il relança l’enregistrement.

Il aperçoit une main tirant un peu plus la porte, effaçant dans son intégralité ce quatrième quidam du champ de vision des assaillants.

Il imposa à nouveau un arrêt temporaire à la machine.

« Donc, cet homme n’était pas avec eux, il n’était pas leur complice. » Il réactiva la projection.

Les trois soldats mettent tout à sac.

Ils cherchent… jettent les livres à terre, cassent les vases, déchirent les coussins…

Il se sent s’élever vers le ciel et se retrouve face à face avec Farius.

« On va être très patients. Mais un jour, tu nous diras toi même où il se trouve ! »

Franck arrêta l’enregistrement à ce moment-là. Il était abasourdi. Comment avait-il pu passer à côté de ça ! Il se leva, ouvrit la porte.

« Héléna ! Tout était saccagé !

— Heu… Oui…

— Mais quand on a investi le manoir la première fois ensemble, tout était impeccable ! Et recouvert de draps.

Comme si les propriétaires étaient partis pour un long voyage.

— Tu as raison. Peut-être que Farius et ses sbires ont fait le ménage derrière eux.

— On était en pleine guerre. Cela n’avait pas de sens.

Non… Il y a deux possibilités : ou cela faisait partie du plan de Katerina… Ce qui ne m’étonnerait pas avec le soin qu’elle a apporté à celui-ci. Que tout soit en ordre, tel que Farius me l’a présenté lors du voyage mental. Ou bien, c’est l’œuvre d’une tierce personne. Comme le quatrième homme caché derrière la porte.

— Mais qui te dit qu’il n’était pas leur complice ?

— Non… Quand j’ai questionné Farius, j’ai bien senti qu’il ignorait de qui il s’agissait. Et ce que je viens de voir confirme cette théorie. Je me demande…

— Quoi ?

— Est-ce que “le voyageur” et cet inconnu… ne seraient pas une seule et même personne !? »

Il haussa ses épaules et regarda sa montre. Il était tard et devait aller au travail. Il donna amoureusement un baiser à sa fiancée puis sortit du laboratoire.

Il abordait son véhicule quand il sentit une vive douleur au niveau de la nuque, ses jambes fléchir tout à coup et ses pieds se dérober sous son poids.

Le sol devint de plus en plus proche…

De plus en plus ondulé…

Puis… Le noir.

Ses yeux avaient du mal à percevoir la clarté. Elle lui faisait cependant face. Avec une peine incroyable, il tenta de lever ses paupières lourdes d’un sommeil drogué. Il en ressentait les effets jusqu’au bout de ses doigts. L’effort était considérable, mais il arriva tout de même à faire une mise au point.

Une grande table et six formes.

Six silhouettes immobiles le contemplaient… ou tout au moins, l’observaient.

Elles étaient à contre-jour. Leur visage baigné de ténèbres créait l’illusion de masques larvaires.

Un silence étourdissant emplissait la salle d’une froideur saisissante.

Il éprouva une gêne au niveau de ses membres. Et pour cause. Des menottes entravaient ses pieds à une chaise scellée et ses mains l’une contre l’autre dans son dos. Il effectua un mouvement lent de sa tête, de gauche à droite, et de droite à gauche, tentant de voir si quelqu’un était derrière lui. Seul un mur le jaugeait de son immuable raideur.

Enfin, il put ouvrir totalement ses yeux.

Il respira par petites secousses.

Sa première impression fut : « Et ça continue ! ».

« Bonjour Détective inspecteur Djorak ! »

Une voix féminine se fit entendre. Elle était rauque comme si cette personne avait passé sa vie à fumer. Mais ce ne pouvait être la conséquence du tabac puisque l’usage de celui-ci était interdit sous toutes ses formes. Et ce, depuis près de vingt ans.

« Bonjour…

— Veuillez excuser notre cérémonial et nos précautions, mais nous ne pouvions nous permettre que vous vous défendiez. »

Cette fois, ce fut une intonation masculine, dont la tessiture trahissait une autorité naturelle. Un accent singulier vint chatouiller son oreille… Et ce n’était pas le vibreur d’un appel.

« Je vous en prie… C’est avec plaisir.

— Votre humour ne surpasse pas vos capacités analytiques, mais il n’en est pas loin.

— Ravi qu’il vous plaise, Madame.

— Nous vous suivons depuis longtemps, Franck… Je peux vous appeler Franck ?

— Mais faites donc Monsieur… ?

— Appelez-moi Rap.

— D’accord Rap et… Madame et les autres ?

— Vous ne nous nommerez pas !

— Bien, Madame. Alors ? … Vous avez toute mon attention ! Rap et compagnie. »

Les silhouettes restaient de marbre. Elles semblaient des statues ! Mais de petits mouvements, de-ci de-là, les humanisaient.

« Nous représentons une société secrète qui lutte contre la criminalité. Elle touche les plus hautes autorités. Nous sommes les commanditaires d’enquêtes internationales liant les trois continents, America, Européa et Asiatica.

Nous sommes un peu les gardiens de la loi mondiale.

Vous connaissiez le juge Klébert, n’est-ce pas Franck ?

— Oui, Rap.

— Il a été tué par Katerina Frances Derantour. Autrement dit, votre demi-sœur ?

— Oui, madame.

— Savez-vous pourquoi elle l’a assassiné ? »

C’était une autre voix qui résonna dans la salle. Une voix masculine plus jeune.

« Farius m’a expliqué les raisons principales sans pour autant m’en dévoiler le fond. »

Rap prit la parole.

« Klébert faisait partie d’une organisation criminelle dont la traite des enfants. Il les fournissait à des personnalités…

déviantes. C’est pour cette raison que Katerina avait été donnée à Zinger père. Tous deux se connaissaient très bien. Et c’est pour cela aussi qu’il avait demandé à être chargé de vous superviser en tant que juge fédéral. Pour contrôler les investigations. Mais il n’avait pas prévu votre opiniâtreté et votre intelligence. Katerina l’a tué véritablement pour des motifs personnels : la vengeance. »

Un lourd silence s’ensuivit. Sans même le vouloir, Franck se remémora ce qu’il pensait être la première rencontre entre le juge et Katerina. Il avait remarqué comment elle avait retiré ses mains alors que Klébert essayait de la rassurer, au cimetière, le jour où l’on avait retrouvé Elise vivante. Elle éprouvait une sorte de dégoût. Il n’en avait pas tenu cas à ce moment-là, mais les révélations de Rap prirent tous leurs sens.

« Très bien… Merci pour le renseignement… Et ?

— Origan Farius a été égorgé, n’est-ce pas ?

— Oui, Madame.

— Vous pensez à quoi ?

— Je me refuse à penser, ce n’est pas mon enquête !

— Officiellement, non. Mais officieusement, vous allez travailler pour nous. »

Franck eut un petit rire nerveux. Il resta bouche bée un instant.

« Heu… Pourquoi je ferais ça, Rap ?

— Parce que vous savez que la raison de l’assassinat de Farius est personnelle.

— Origan est mort, le monde ne s’en porte pas plus mal.

Je ne vois pas pourquoi…

— Vous enquêteriez ? Parce que nous savons parfaitement que vous le ferez, avec ou sans nous ; autant que vous soyez protégé.

— OK ! Peut-être… mais quel rapport avec Klébert ?

— Farius était membre des déviants. Nous pouvons imaginer qu’une de ses anciennes victimes, ou un proche, a voulu lui faire payer. Et nous pensons savoir qui !

— Et qui donc, Madame ?

— Quand la Gouverneuse a été exécutée, elle a été remplacée par Jorgen Pedersen. Ce dernier avait une fille qui avait été enlevée, séquestrée et violée pendant près de trois ans avant d’être assassinée. Par Origan Farius. C’était juste à la fin de la guerre. »

Franck resta un moment muet. Il réfléchissait à tout ça. Il y avait beaucoup de choses qui ne collaient pas, dont une qu’il préféra taire.

« Et d’abord, comment savez-vous que c’était Farius l’agresseur de sa fille ?

— Nous avons trouvé dans un coffre les confessions de Klébert, à son domicile. Quand un juge fédéral est abattu, l’enquête fédérale le place autant en victime qu’en suspect. Et tout est raconté dans cet enregistrement.

— Vous prétendez que le nouveau gouverneur a assassiné Farius par vengeance ?

— Qui avait le pouvoir de vous faire inhaler un gaz ? Qui avait le bras assez long pour approcher Farius en prison…

dans la salle d’exécution ? »

Déconcerté, Franck se releva un peu sur sa chaise.

« Attendez, vous dites que Klébert était au courant de tout depuis le début ? Des projets d’attentats et des tueries de masse ?

— Non, il ne savait, apparemment, rien concernant le plan de votre demi-sœur ! Juste tout ce qui touchait à leur organisation de déviants.

— Il faut remettre cet enregistrement entre les mains de la justice…

— Mais c’est NOUS la Justice ! »

La voix de Rap était encore plus imposante.

« OK ! Vous voulez donc que… que j’enquête sur le Gouverneur ?

— Nous voulons que vous enquêtiez sur la personne qui a assassiné Origan Farius. Quel que soit son rang.

Officieusement !

— J’ai le droit de dire non ?

— Non ! »

Ce dernier mot rendit l’atmosphère bien plus froide qu’elle ne l’était.

« Juste une chose ! C’est Fergusson qui a tiré sur la Gouverneuse ce soir-là. Quel rapport avec Pedersen ? Je veux dire… Pour pouvoir accéder à l’ultime pouvoir, il fallait bien savoir que la Gouverneuse allait mourir au même moment… Et que…

— Que quoi ? »

Franck ne les lâcha pas du regard. Quelque chose le troubla d’un coup. Une phrase qui avait été dite. Une phrase venue d’outre-tombe.

« D’accord. Je vais mener l’enquête pour vous.

— Nous comptons naturellement sur votre silence ! Et surtout, pas un mot à votre coéquipière Adila M’Koumbé ! »

Il sentit ses membres devenir lourds.

La salle basculer.

Le sol blanc se rapprocher sans l’atteindre…

Puis…

Le noir.

Lorsqu’il se réveilla, il était allongé à l’intérieur de sa voiture.

Chapitre 3 : Deux petites plumes

Il s’assit derrière le volant, démarra et prit la direction de la prison.

Il était près de trois heures de l’après-midi et il n’avait toujours pas mangé.

Mais il n’avait pas faim.

Au contraire !

Une sensation de poids sur son estomac.

L’impression d’avoir été manipulé.

Depuis les quatre cavaliers de l’Apocalypse, il s’était juré de ne plus jamais se faire avoir. Et tout ce qu’il venait de vivre était justement une composante qu’il détestait, car il ne pouvait ni la contrôler ni même s’y opposer.

Il n’avait rien ! Aucune preuve de l’existence de ces six ombres, aucun lien probant, aucune idée du lieu de sa réclusion.

Mais un détail l’avait percuté de plein fouet. Et malgré l’interdiction d’en parler à qui que ce soit, il effleura son oreille.

« Adila ? C’est Franck ! T’es où ? Toujours en ville ? Bien, rejoins-moi à la prison. J’ai un mauvais pressentiment. »

Il se gara non loin de la grille principale et sortit de son véhicule.

Cinq minutes plus tard, Adila arriva.

Il lui fit rapidement un topo de la situation, ne lui cachant rien.

« Et tu crois que ces personnes sont vraiment ce qu’elles prétendent être.

— Je ne sais pas ! Et je m’en fiche. Je ne vais pas enquêter pour eux. Mais pour moi ! Il y a deux aspects qui me chiffonnent dans cette affaire !

— Que deux ?

— Oui, enfin, c’est une façon de parler. Tout d’abord une phrase que Farius m’a dite : “J’aime le chaos, l’anarchie.

Et ce qui va arriver, dans les prochains jours, les prochaines semaines, les prochains mois… crée en moi un sentiment d’extase totale.” Elle m’est revenue soudainement et je me suis posé la question à savoir si cette prophétie n’avait pas un rapport direct avec le fait de jeter le trouble dans l’esprit des gens. Ça et…

— Et ?

— La présence de cette plume. »

Ils entrèrent sans difficulté, tout le monde connaissant les sauveurs de la cité.

Ils demandèrent à parler à Fergusson, toujours à l’infirmerie à la suite de la balle qu’il avait reçue.

Ils arpentèrent les couloirs jusqu’à une double porte coulissante. Un gardien présenta une carte magnétique et l’ouvrit.

Lorsqu’ils pénétrèrent le lieu, ils virent Fergusson allongé en train de lire. Il les regarda avec un flegme déconcertant et surtout un sourire narquois qu’Adila avait envie de lui faire avaler.

« Tiens, tiens, tiens ! Djorak et M’Koumbé ! Quelle bonne surprise !

— On va vite arrêter les civilités d’usage, Fergusson.

Demain, tu seras exécuté. On vient pour te poser deux questions.

— Juste deux ? Comme c’est dommage. J’ai tout mon temps. On peut tailler la bavette quelques secondes, surtout… au sujet de ton père, Adila !

— Ne t’avise surtout pas de parler de lui, salopard !

— D’accoooord ! On ne parlera pas de lui, alors ! »

Franck, par un court regard oblique, lui demanda si tout allait bien. Elle ferma les yeux en signe d’approbation.

« Bien. Fergusson. On vient te causer un moment rapport à l’assassinat de la Gouverneuse. Farius m’a avoué que c’était lui qui t’avait ordonné de l’éliminer. Mais de nouveaux éléments me poussent à croire que c’est un complot d’une ampleur plus importante.

— Tu crois Franck ? »

Fergusson le regardait avec un petit sourire presque tendre.

« Oui, j’estime que tu as été manipulé !

— Manipulé ? Par qui ?

— Par Origan Farius !

— Et pourquoi ?

— Je pense que Farius et Pedersen étaient complices afin de mettre ce dernier à la tête d’Européa et en faire son Gouverneur. N’oublions pas que les élections approchaient et que le Juge Klébert avait toutes ses chances. Ce double assassinat arrangeait bien le nouveau dirigeant. »

Fergusson fixait les policiers d’un air dubitatif.

« Vous savez ce que Farius a fait à la fille de Pedersen ?

Comment auraient-ils pu être complices ? »

Franck et Adila se turent un instant. C’est elle qui relança l’interrogatoire.

« Donc, vous ne pensez pas avoir été le pantin entre les mains de comploteurs ?

— Je dis que si Farius m’a demandé de tirer sur la Gouverneuse, ce n’est pas pour donner les rênes au mec dont il a abusé et assassiné la fille. Ça n’a aucun sens ! »

Franck se pencha vers lui.

« On a égorgé Farius et il semble que cela soit la marque d’une vengeance. »

Fergusson éclata de rire. Un rire soutenu et presque sans limite. Il eut du mal à retomber et à sécher les larmes qui coulaient sur ses joues. Les deux policiers se regardèrent.

« Bon ! STOP ! Il suffit maintenant, je te demande de t’arrêter immédiatement. » Adila serrait son poing, au point de créer des lignes de sang sur l’arête de celui-ci.

Fergusson renifla un peu et prit sur lui. Mais, des à-coups convulsifs lui donnèrent une sorte de hoquet.

« Restons sérieux ! Un gouverneur viendrait lui-même…

Ah ! Ah ! Ah ! non, vraiment, je suis désolé, mais c’est trop drôle ! … »

À ce moment précis, un gaz blanc envahit l’infirmerie.

Tout le monde s’affaissa au sol, comme des poupées de chiffon.

Fergusson s’endormit dans son lit.

Franck et Adila tombèrent de leur hauteur.

Si quelqu’un était resté éveillé, il aurait pu distinguer un étrange manège.

Une ombre surgit de nulle part.

Elle sortit un couteau de son fourreau et s’approcha de Fergusson.

Le sang, rapidement, changea la couleur du drap blanc en un rouge vif.

L’ombre tira quelque chose d’une poche et la jeta au sol.

Puis disparut dans cette brume claire où des hommes et des femmes naviguaient dans les bras de Morphée.

Quelques minutes plus tard, chacun se réveilla à son rythme. Le directeur de la prison appela la police.

Franck, un des premiers à recouvrer ses esprits, se pencha et découvrit, au pied du lit, une plume, qu’il prit délicatement dans un mouchoir. Adila et un garde s’approchèrent.

« Vous allez bien, inspecteur ? » Le gardien était un homme qui devait mesurer dans les deux mètres. Franck, pivotant vers lui, ne put s’empêcher de le comparer à son frère imaginaire qu’il avait créé lors du premier voyage mental dans les méandres cérébraux de Farius.

« Oui, je vais bien, je vous remercie. Vous devriez aller voir les enregistrements de la caméra de contrôle. Je ne veux pas trop m’avancer, mais je pense qu’elle a dû être déconnectée comme à la prison centrale. »

Le gardien fit un petit mouvement du doigt sur le front, comme s’il disait « Compris ! » et tourna les talons. Adila observa la plume dans le mouchoir de Franck.

« Encore une ! … Ce n’est pas une coïncidence ! »

Franck fit non de la tête.

Les experts arrivèrent en force et demandèrent à tous les occupants de la pièce de sortir.

Au passage, Franck mit la plume dans un sac plastique dont on chassa l’air et la confia à un des hommes en combinaison de couleur verte.

Le surveillant géant revint sur ses entrefaites. « Vous aviez raison, inspecteur, la caméra ne fonctionnait plus au moment de l’attaque. Et mes collègues, le temps de comprendre ce qu’il se passait, ont tardé à lancer l’alerte !

— J’entends, merci Gardien.

— Le Haut-Commissaire s’impatiente à l’entrée. » Franck et Adila croisèrent un regard qui en disait long.

Le Haut-Commissaire arpentait le hall, créant cette dynamique nommée « les cent pas. » À peine étaient-ils arrivés à sa hauteur, qu’il les toisa et les agressa, usant de son habituel langage fleuri.

« Putain… mais c’est pas vrai… Vous les aimantez les merdes, tous les deux ! Chaque fois que vous êtes ensemble, il y a un con qu’on égorge ! »

C’était vrai. Les deux meurtres avaient ceci en commun ; Franck et Adila étaient sur place.

Comme si l’on attendait qu’ils en soient les témoins.

« Faites chier, Djorak ! Réveillez-vous, bordel !

— Ne vous inquiétez pas, Haut-Commissaire, aujourd’hui, j’en suis à mon quatrième réveil.

— Pardon ? »

Franck se rendit compte que son humour n’était pas de mise, étant donnés les faits.

« Laissez tomber.

— Non, je ne laisse pas tomber ! Et d’abord, on vous avait ordonné de ne pas vous mêler de cette enquête ! Alors, bougez vos fesses d’ici. Et avant, allez faire votre putain de témoignage ! »

Ce qu’ils firent. Ils ne donnèrent aucun détail.

La raison de leur présence ? Interroger Fergusson sur l’affaire des « cinq éléments ». Voilà tout.

Une heure plus tard, Franck et Adila, hors des grilles de la prison, faisaient le point.

« Deux plumes ? Tu as une idée ? Une signature pour chaque meurtre ? »

Franck tourna la tête vers l’horizon.

Le soleil était encore haut dans le ciel.

Des oiseaux créaient des ombres mouvantes sur le sol.

Il les observait avec une attention toute particulière.

Le vol était régulier et silencieux.

On aurait dit un carrousel brillant dans les yeux d’un bambin.

« J’ai ma petite idée.

— Où vas-tu ?

— À Ecee-Abha !

— Je viens ?

— Bien sûr, partenaire ! »

Dans le salon-bibliothèque du manoir, Franck était excité comme un enfant face à un magasin de jouets. Il ne tenait pas en place ! Adila ne comprenait pas le besoin qu’il éprouvait de toujours bouger nerveusement quand il avait une idée en tête.

« Tu peux éclairer ma lanterne, s’il te plaît ?

— Alfred Edward Woodley Mason !

— Qui ?

— Un auteur britannique. En 1902, il publia “Les quatre plumes blanches.” C’est l’histoire d’un soldat démissionnaire qui reçoit des plumes blanches, symbole de couardise. Le nombre de quatre étant celui des trois soldats lâchés en pleine guerre et de sa propre fiancée.

— Mais quel rapport avec les assassinats du juge et de la gouverneuse ?

— Pour le moment, peut-être aucun.

— Tu crois vraiment que c’est lié à notre affaire ?

— Je ne suis sûr de rien. Mais si ce lien existe, c’est que d’une part, notre meurtrier maîtrise cette histoire et mes connaissances en littérature britannique et d’autre part, à un moment donné ou à un autre, Fergusson et Farius ont fait acte de couardise en abandonnant le… justicier ou un proche dans une situation, disons… dramatique. Des lâches ou des déserteurs.

— D’accord… Mais pourquoi ? Si c’est pour te mettre sur la voie, c’est… c’est un appel à l’aide ? Il veut que tu l’arrêtes ? »

Il leva son index en l’air.

« Un élément, puis le suivant, si tu permets. »

Il chercha dans la bibliothèque et trouva le roman en question.

Il le feuilleta.

Et ne vit rien de probant, ni dans les pages ni dans la couverture.

« Franck, si dans le bouquin, il y en a quatre, penses-tu qu’il va continuer ? Deux objectifs de plus ? Une plume par cadavre ?

— Probablement. On peut éliminer de l’équation mon père, mort depuis longtemps, et Zinger, trépassé par tes soins, Adila. Car s’il était une cible potentielle, il n’en est plus une à présent. Et si deux autres plumes existent, c’est qu’il y a au moins une nouvelle future victime dans le collimateur de ce ou ces “vengeurs”.

— Et si je te suis dans cette même logique, c’est sans doute lié aux années de guerre étant donnée la corrélation entre cet événement et le roman se situant dans le milieu militaire. »

Franck était d’accord.

« Découvrons à quelle unité appartenaient Zinger, Fergusson et Farius. Et trouvons leurs actes de guerre. On se sépare. Adila, va au ministère de l’Armée et demande le compte rendu des missions données aux trois tarés. Et puis… on verra.

— Et toi ? Qu’est-ce que tu vas faire ?

— Je vais… fouiner… ! »

Adila, connaissant parfaitement l’animal et ne cherchant plus à savoir ce qu’il pouvait avoir en tête, prit son véhicule et s’éloigna du manoir.

Chapitre 4 : 1902

Dans le dédale des couloirs secrets, Franck avançait avec plus d’assurance.

Il commençait à bien connaître la mécanique, l’ADN du lieu.

Il passa les premières étapes qu’il maîtrisait bien.

Sa quête était double.

Tenter de comprendre ce qui pourrait motiver un tueur de psychopathes et, dans le même temps, retrouver les quatre feuillets manquants du carnet de Hyde.

Hyde !