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Isabelle et Derek, liés par des vies antérieures, se lancent dans un voyage mystique avec l’aide de Cécilia, une jeune femme aux pouvoirs occultes, pour retrouver les fragments perdus de leurs âmes. À travers des rituels anciens et des forces obscures qui les traquent, ils découvrent qu’un portail oublié pourrait être la clé pour briser leur cycle sans fin. Mais ce rituel exige de lourds sacrifices, et chaque décision pourrait changer leur destin à tout jamais. Dans cette quête où le passé et l’avenir se croisent, un seul choix pourrait déterminer si leur âme sera enfin libérée… ou condamnée à errer pour l’éternité.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Lauriane Borges, fascinée par le mystère des âmes, a commencé à écrire pour laisser une trace de sa vie. Très vite, cela s’est transformé en une exploration des histoires de personnages qui se sont imposés à elle. Chaque récit devient une quête des liens invisibles entre le passé et le présent, le réel et l’inexplicable, plongeant les lecteurs dans des mondes où tout devient possible.
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Seitenzahl: 306
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Lauriane Borges
Éclats d’éternité
Roman
© Lys Bleu Éditions – Lauriane Borges
ISBN : 979-10-422-6787-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Il est des vies qui ne se contentent pas de se vivre. Elles se répètent, se tissent et se défont dans des boucles infinies, portées par des âmes anciennes, des promesses oubliées et des choix non faits. Derek et Isabelle ne le savaient pas encore, mais leur destinée ne les appartenait plus. Elle appartenait à des fragments d’eux-mêmes, des échos d’une existence antérieure, où l’histoire s’était arrêtée avant d’être réécrite.
Des vies révolues. Des erreurs commises. Des amours et des trahisons gravées dans le marbre du temps. Dans un autre âge, Derek avait été celui qui savait, celui qui portait les clés d’un savoir ancien. Isabelle, quant à elle, avait été la protectrice, l’épaule solide, l’ancre dans un monde de chaos. Mais quelque chose s’était brisé. Un choix, un sacrifice malvenu, et tout s’était effondré. La guerre des âmes, les mystères du portail, la séparation des mondes… Ils avaient échoué. Et ils étaient revenus. Mais le prix de ce retour n’était pas celui qu’ils avaient espéré. Ils étaient revenus sans souvenir, sans compréhension, piégés dans un présent où le poids du passé se faisait de plus en plus oppressant.
Cécilia, l’étrangère, l’inconnue, la clé. Elle n’avait pas été là, dans ces vies antérieures, mais elle incarnait le fragment qui manquait. Celle qui, dans ce cycle qui semblait ne jamais finir, allait peut-être les conduire là où eux-mêmes avaient échoué. Car il y avait dans ses yeux, dans son âme, une lumière qu’ils avaient perdue depuis trop longtemps. Une lumière qui brillait encore dans les ombres, prête à illuminer la vérité.
Mais les mystères qui l’entouraient, les forces qui l’avaient choisie, et la vérité qu’elle portait étaient autant d’obstacles. Derek et Isabelle savaient que, sans elle, ils ne pouvaient pas avancer. Elle était celle qui pourrait ouvrir les portes d’un autre monde, mais également celle qui risquait de les enfermer dans une autre répétition, dans un autre échec. Ils n’étaient pas prêts. Pas encore. Et pourtant, le fil du destin était tissé, et ils n’avaient plus le choix.
Cette fois, peut-être qu’ils s’en sortiraient. Ou bien, ils échoueraient encore. Comme avant. Comme à chaque fois.
Ils se souvenaient des vies passées – mais cela suffirait-il ? Ou allaient-ils se perdre une fois de plus dans les méandres du temps et de la réincarnation, à devoir tout recommencer ? Le miroir du destin était à présent entre leurs mains, mais était-ce la clé de leur rédemption ou celle de leur chute finale ?
La lumière pâle du crépuscule baignait la ville de Niort alors qu’Isabelle traversait la rue des Dragons. Les pavés irréguliers de cette rue ancienne résonnaient sous ses talons, un bruit sec qui contrastait avec l’atmosphère endormie des ruelles. La légende locale racontait que cette rue avait été nommée ainsi en hommage à un dragon terrassé au Moyen Âge par un chevalier. Isabelle sourit faiblement à cette pensée : une histoire héroïque qui semblait si lointaine, si déconnectée de son propre quotidien. Les dragons n’étaient plus qu’un mythe, tout comme les contes de fées qu’elle avait abandonnés en grandissant.
Elle marcha plus vite, resserrant son manteau autour d’elle. Niort, avec ses façades de pierre blanchies par le temps et ses boutiques aux enseignes usées, semblait figée dans une autre époque. Mais à cette heure, la ville était aussi immobile qu’un tableau. Les rares passants se hâtaient, et le silence pesant des rues vides lui donna une étrange sensation de solitude. Elle inspira profondément, tentant de se concentrer sur le bruit régulier de ses pas. La soirée était fraîche, une promesse d’automne qui s’insinuait doucement dans l’air.
En passant devant une vitrine, elle aperçut brièvement son reflet. Ses cheveux châtain clair, noués en une queue-de-cheval basse, étaient ébouriffés par le vent. La robe noire qu’elle portait, ajustée, mais simple, mettait en valeur ses épaules délicates une fois son manteau retiré, mais elle se trouvait ordinaire. « Insipide » était le mot qu’elle aurait utilisé. Ses traits fins, souvent complimentés, lui paraissaient sans éclat, surtout lorsque ses yeux gris-vert captaient la lumière blafarde des lampadaires.
Le fast-food où elle travaillait apparut bientôt à l’angle de la rue. Il détonnait avec l’élégance historique des bâtiments alentour, sa façade moderne et lumineuse criant sa présence comme une invitation bruyante. Isabelle jeta un dernier regard à sa montre : 17 h 45. Elle avait juste le temps de se changer avant de prendre son poste. Ce soir, elle commençait à 18 heures, une routine qu’elle connaissait par cœur.
Elle poussa la porte du restaurant, la clochette suspendue émettant un tintement métallique familier. Ses talons claquèrent brièvement sur le carrelage avant qu’elle ne se dirige vers les vestiaires. Une fois à l’abri des regards, elle troqua sa robe pour l’uniforme informe de son travail : un tee-shirt vert trop grand avec son tablier au même couleur et un pantalon noir mal taillé. Isabelle plia soigneusement sa robe avant de la ranger dans son casier, prenant soin de poser ses talons à côté. En enfilant ses chaussures de travail, elle sentit un poids familier revenir, celui de son rôle de serveuse, un rôle qu’elle avait appris à jouer sans trop y réfléchir.
Elle soupira en sortant du vestiaire. Le rush du soir ne tarda pas à commencer.
Le restaurant se remplit rapidement, comme chaque soir à cette heure. Des familles bruyantes, des adolescents surexcités, et des travailleurs fatigués s’entassaient dans la salle, transformant l’espace en un brouhaha constant. Isabelle, postée derrière la caisse, enchaînait les commandes avec une précision presque automatique.
« Menu Melt, sans tomate, avec une grande boisson et un cookie », marmonna un homme en chemise froissée, les yeux rivés à son téléphone.
« Ça fera 12,50 €, monsieur. Vous voulez un café avec ? » demanda Isabelle, son sourire mécanique collé aux lèvres.
Le client hocha la tête sans lever les yeux, tendant un billet avant de s’éloigner brusquement. Isabelle observa brièvement l’homme partir, puis reprit son service, encaissant commande après commande. À mesure que les minutes passaient, les odeurs de pain et de viande toastés semblaient s’intensifier, collant à ses vêtements et à sa peau.
Parmi les clients, certains étaient des habitués qu’elle voyait presque chaque jour. Il y avait une femme âgée qui venait toujours commander un café à emporter et restait à lire son journal dans un coin de la salle, et un groupe de lycéens bruyants qui semblaient passer leur soirée ici à partager un seul paquet de cookies. Isabelle les observait parfois avec une curiosité détachée. Ces visages anonymes composaient son paysage quotidien, un puzzle de vie auquel elle ne participait qu’en surface.
Vers 20 h 30, lorsque le flux de clients se calma, Isabelle s’autorisa une pause. Elle récupéra un paquet de cigarettes dans son sac et sortit à l’avant du restaurant, où l’air frais lui arracha un frisson. Elle alluma une cigarette, savourant la sensation de la fumée qui remplissait ses poumons. Pendant quelques instants, elle se permit de ne penser à rien. Ni au travail, ni à Julien, ni même à ces étranges reflets qui hantaient ses pensées.
Mais la tranquillité fut brève. Le froid mordant finit par l’inciter à écraser sa cigarette et à retourner à l’intérieur. Il restait encore quelques heures avant la fermeture, et Isabelle savait que cette soirée ne lui offrirait aucun répit.
Peu après son retour à son poste, il entra.
Derek.
Elle le remarqua tout de suite. Comment aurait-elle pu l’ignorer ? Sa haute silhouette se détachait nettement dans la lumière artificielle du fast-food. Il portait un jean sombre et une veste en cuir, et ses cheveux noirs légèrement en bataille lui donnaient un air nonchalant. Mais ce qui captivait Isabelle à chaque fois, c’étaient ses yeux : d’un bleu glacial, presque surnaturel. Ils semblaient tout voir, tout comprendre, comme s’ils renfermaient un secret qu’il ne révélait qu’à demi-mot.
Derek était un habitué, mais, ce soir-là, il était seul, pas de collègues ou de clients potentiels avec lui. Isabelle sentit une légère tension parcourir son corps. Elle s’efforça de garder un sourire professionnel alors qu’il s’approchait du comptoir.
« Bonsoir, Derek. Un menu complet à emporter, comme d’habitude ? » demanda-t-elle avec un ton léger.
Il leva un sourcil, un sourire énigmatique jouant sur ses lèvres.
« Toujours aussi perspicace. Oui, merci. »
Isabelle hocha la tête tout en tapant la commande sur la caisse. Mais avant qu’elle ne puisse lui tendre son ticket, il ajouta avec un sourire amusé :
« Vous êtes toujours aussi polie, Isabelle. »
Elle le fixa, surprise.
« Vous avez retenu mon prénom ? »
Derek haussa légèrement les épaules, son sourire s’élargissant.
« C’est écrit sur votre badge. Mais je vais faire comme si j’avais une mémoire exceptionnelle. Ça vous flatte, non ? »
Isabelle se sentit rougir malgré elle, un rire nerveux lui échappant. Elle lui tendit son ticket en évitant son regard, gênée, mais intriguée. Derek ne dit rien de plus. Il récupéra sa commande avec une lenteur calculée, comme s’il voulait prolonger l’échange, avant de se diriger vers la sortie. Isabelle le suivit des yeux jusqu’à ce que la porte se referme derrière lui.
Elle resta immobile quelques instants, les pensées confuses. Derek n’était pas comme les autres clients. Il y avait quelque chose en lui, une présence, une intensité qui éveillait en elle une curiosité qu’elle ne pouvait pas ignorer.
Le service touchait à sa fin lorsque les derniers clients quittèrent le petit restaurant où travaillait Isabelle. La clochette suspendue à la porte tinta une dernière fois, signalant leur départ, avant que le silence ne reprenne possession des lieux. D’un geste fatigué, elle rangea les quelques livres qu’un client avait laissés éparpiller sur une table. Les étagères en bois anciennes, chargées de volumes poussiéreux et de bibelots étranges, l’observaient comme des témoins silencieux de ses journées.
Elle jeta un coup d’œil à l’horloge murale : 22 h 08. Trop tard pour espérer autre chose qu’une soirée tranquille en solitaire. Isabelle tira les lourds rideaux rouges qui couvraient la vitrine, puis tourna la clé dans la serrure, un bruit métallique résonnant dans l’espace vide. Une part d’elle aimait ce moment-là, cette tranquillité qui s’installait lorsque le monde extérieur semblait enfin ralentir.
Elle éteignit les lumières une par une, plongeant la boutique dans une semi-obscurité où seules quelques étincelles de lumière filtraient à travers les vitraux colorés. Le craquement du vieux plancher accompagna ses derniers pas vers la sortie. Elle inspira profondément, imprégnant ses poumons de l’odeur familière du papier vieilli et de la cire.
C’était une routine. Chaque soir, le même chemin jusqu’à son appartement, le même calme oppressant dans cette petite ville endormie. Mais ce soir-là, sans savoir pourquoi, Isabelle sentit un frisson lui parcourir l’échine. Comme si quelqu’un, quelque part dans l’ombre, la regardait.
La nuit, après la fermeture, Isabelle rentra chez elle. Les rues étaient silencieuses, les lampadaires projetant des halos jaunâtres sur le trottoir. Lorsqu’elle poussa la porte de son appartement, Julien était assis sur le canapé, une bière à la main, absorbé par un match de football. Il ne tourna même pas la tête pour la saluer.
Julien était son compagnon depuis trois ans. Au début, leur relation avait été douce, presque évidente, comme si la vie leur offrait enfin une trêve. Ils avaient partagé des rires, des projets, et cette impression de complicité qui semblait indestructible. Mais avec le temps, quelque chose s’était fissuré. Les silences s’étaient allongés, les disputes s’étaient insinuées, et la tendresse d’autrefois s’était effacée peu à peu. Isabelle ne savait plus quand exactement les choses avaient changé. Peut-être lorsque Julien avait commencé à rentrer plus tard, ses réponses devenant évasives, ou lorsque ses remarques avaient pris une teinte acerbe, comme des petites épines invisibles.
Elle avait essayé de s’accrocher, de raviver cette flamme qui s’était éteinte sans qu’elle le voie venir. Mais parfois, elle se demandait s’ils étaient devenus deux étrangers, partageant un espace sans plus rien partager d’autre. Elle avait cessé de croire que l’amour pouvait tout réparer.
Isabelle déposa son sac près de la porte et se dirigea immédiatement vers la salle de bain. Comme chaque soir, son premier réflexe fut de se regarder dans le miroir. Pas pour vérifier son apparence, mais pour chercher, encore et toujours, quelque chose qu’elle ne pouvait nommer. Mais le miroir ne lui renvoya que son propre visage, fatigué et délavé par la lumière crue.
Quand elle alla se coucher, Julien dormait déjà, une bouteille vide abandonnée sur la table basse. Isabelle, elle, avait le sommeil agité. Les rêves bizarres qui la hantaient depuis des semaines revinrent cette nuit-là, plus vifs et plus troublants.
Elle se tenait dans un désert rougeoyant, un ciel noir et oppressant pesant sur elle. Devant elle, un immense miroir brisé était planté dans le sable, ses éclats reflétant une femme qui n’était pas elle : une beauté sombre et sauvage, avec des yeux rouge flamboyant.
« Réveille-toi, Isabelle », murmura une voix rauque.
Elle tendit la main vers un éclat du miroir, fascinée malgré elle par le regard perçant de la femme qui la fixait. Cette dernière semblait vivante, comme si elle cherchait à franchir la barrière entre les deux mondes. Isabelle sentit une étrange chaleur irradier de l’éclat de verre qu’elle effleurait du bout des doigts.
« Réveille-toi, Isabelle », répéta la voix, plus pressante cette fois.
L’instant suivant, le sol sous ses pieds se déroba. Elle sentit une force irrésistible l’aspirer vers le miroir, une lumière blanche éclatante l’engloutissant tout entière. Le hurlement du vent résonna dans ses oreilles alors qu’elle tombait, interminablement, au cœur de ce néant lumineux.
Elle se réveilla en sursaut, le souffle coupé. Sa poitrine se soulevait frénétiquement, son cœur battant à tout rompre. La lumière tamisée du réverbère, filtrée par les rideaux de la chambre, était la seule source de clarté dans l’obscurité de la pièce. Isabelle passa une main tremblante sur son front, trempé de sueur froide. À ses côtés, Julien dormait profondément, ignorant tout de son agitation.
Elle se redressa lentement, les jambes engourdies. Ce rêve… Non, ce n’était pas un simple rêve. Il avait été trop réel, trop palpable. La voix résonnait encore dans sa tête, et les yeux rouge flamboyant de cette femme hantaient ses pensées. Qui était-elle ? Et pourquoi Isabelle avait-elle l’impression qu’elle essayait de lui transmettre un message ?
Elle se leva, incapable de rester allongée plus longtemps. La lune était haute dans le ciel, projetant une lumière froide à travers la fenêtre. Isabelle fixa son reflet dans le miroir de la salle de bain, espérant y trouver une réponse. Mais tout ce qu’elle vit, c’était son propre visage, fatigué et inquiet.
Pourtant, elle ne pouvait se débarrasser de cette sensation : quelque chose avait changé. Et ce changement, quel qu’il soit, n’allait pas tarder à bouleverser sa vie.
Après de longues minutes passées à tenter de reprendre son souffle, Isabelle parvint enfin à retrouver un semblant de calme, ses jambes encore tremblantes, elle se dirigea lentement vers sa chambre. La pièce était froide et silencieuse, comme si le monde entier s’était figé dans l’obscurité.
Elle s’allongea sur son lit, les yeux rivés sur le plafond, tentant d’ignorer la boule d’angoisse qui serrait encore sa poitrine. En tournant légèrement la tête, son regard tomba sur le réveil posé sur sa table de chevet. Les chiffres rouges lumineux semblaient presque vibrer dans l’ombre : 3 h 33.
Isabelle détourna rapidement les yeux et se couvrit jusqu’aux épaules, espérant que le sommeil la rattraperait enfin.
Le lendemain matin, Isabelle se réveilla avec un mal de tête lancinant, comme si le rêve de la nuit précédente avait laissé des traces bien réelles. Elle se redressa difficilement sur son lit, les yeux encore fermés, cherchant à se libérer de la lourdeur qui pesait sur ses membres. Le désert rouge, le miroir brisé, cette voix… tout semblait si vivant, trop réel pour n’être qu’un simple songe. Elle ferma les yeux une seconde, espérant que tout cela ne soit qu’une illusion, mais la sensation persistante de malaise s’accrochait à elle comme une ombre indélogeable.
Un rayon de lumière filtrait à travers le rideau mal tiré, éclairant un coin de la pièce d’une lumière blafarde. Isabelle se leva en traînant les pieds, les pensées embrouillées, et jeta un coup d’œil furtif au miroir accroché juste au-dessus de sa commode bancale. Ce miroir était souvent un témoin silencieux de ses moments de doute, mais, ce matin-là, il ne renvoyait rien d’autre que son propre visage fatigué, avec des cernes qui semblaient s’ancrer dans ses traits. Aucun éclat surnaturel, aucun mouvement étrange. Juste elle, Isabelle, fatiguée et perdue dans une routine dont elle ne savait plus comment se défaire.
Elle s’habilla mécaniquement, enfilant un jean délavé et un tee-shirt avant de descendren vers la cuisine. Un bruit dans la pièce voisine attira son attention. Julien était déjà debout, assis à la table, les yeux rivés sur son téléphone. Son visage était fermé, marqué par une irritation qu’il portait constamment avec lui, comme une seconde peau. Il semblait exister dans un état de contrariété permanente, ce qui transformait l’atmosphère autour de lui en quelque chose de lourd, comme si la moindre parole risquait de provoquer une explosion.
Isabelle se servit un café sans un mot, tentant de se préparer mentalement à la journée. La cuisine, elle la connaissait bien, un petit espace exigu avec des murs jaunis par le temps. L’odeur du café envahit la pièce, mais elle se heurta aussitôt au silence pesant de Julien. Une assiette sale traînait encore sur l’évier, témoignant d’un repas qu’elle n’avait pas partagé avec lui. Le regard qu’il lui lança, à peine un clin d’œil furtif, était déjà une accusation, comme si tout, depuis sa présence dans cette pièce jusqu’à la dernière seconde de la journée, le dérangeait.
« Tu rentres tard ces jours-ci », lança-t-il, toujours sans lever les yeux de son téléphone.
Isabelle s’immobilisa, la cafetière à la main, ses muscles tendus, un frisson désagréable courant le long de sa colonne.
« Tard ? J’ai fini à 22 h, comme d’habitude. »
Elle posa la cafetière d’un coup sec sur le comptoir, observant les gouttes de café se répandre autour du bord. Julien haussait toujours les épaules comme s’il était au-dessus de tout, un sourire sarcastique aux lèvres.
« Ouais, mais tu traînes. »
La phrase, glaciale, déchira l’air entre eux. Isabelle sentit une colère sourde monter en elle. Elle avait l’impression de ne jamais pouvoir répondre sans que ses paroles ne soient minimisées ou ignorées. Pourtant, cette fois-ci, elle ne voulait pas se taire.
« Je ne traîne pas, Julien. Je travaille. Et puis, c’est quoi ce ton ? Tu vérifies mes horaires maintenant ? »
Il leva les yeux sur elle, un air de mépris à peine dissimulé.
« Tu devrais peut-être me remercier de m’inquiéter. »
Elle serra les dents, évitant son regard. Ce ton n’était plus un signe d’inquiétude, mais de contrôle. Julien avait toujours su faire en sorte qu’elle se sente coupable, même lorsqu’elle avait raison. Mais aujourd’hui, elle n’avait aucune intention de céder.
Julien se leva de sa chaise, se dirigeant vers le réfrigérateur d’un pas nonchalant, comme si de rien n’était. Isabelle se força à prendre une gorgée de son café, son esprit s’égarant malgré elle vers Derek. Cette pensée la perturba. Pourquoi cet homme l’obsédait-il ainsi ?
Elle se souvenait parfaitement de la première fois qu’elle l’avait vu. Il était entré dans le café un après-midi d’automne, accompagné de quelques clients. La clochette de la porte avait retenti, et elle s’était automatiquement tournée pour accueillir les nouveaux venus.
Derek avait franchi le seuil avec une démarche calme et assurée, vêtu d’un manteau sombre qui tranchait avec la lumière douce de la pièce. Ses traits étaient marqués, son regard perçant, presque troublant. Le genre de regard qui semblait voir au-delà des apparences. Quand leurs yeux s’étaient croisés, Isabelle avait senti son cœur rater un battement. Ce n’était pas tant sa beauté qui l’avait frappée, mais plutôt l’intensité qui émanait de lui, comme si une tempête silencieuse grondait derrière son calme apparent.
Il avait offert un léger sourire en passant près du comptoir, un geste presque imperceptible, mais suffisant pour la marquer. Ce jour-là, elle avait senti que Derek n’était pas un homme comme les autres. Elle n’aurait pas su expliquer pourquoi, mais déjà, quelque chose en lui l’attirait et l’intriguait profondément.
Elle secoua la tête avec un rictus en repensant à ce moment et alla enfiler son uniforme avant de quitter l’appartement sans un mot de plus. Elle n’avait pas envie de discuter davantage avec Julien ni de se justifier. Le bruit de la porte qui se refermait derrière elle semblait marquer la fin d’une conversation qu’elle n’avait pas souhaité commencer.
Le fast-food était une ruche d’activités ce matin-là, l’air était saturé de l’odeur des sandwiches et du bruit des clients affamés. Isabelle se laissa emporter par le flot des commandes, le rythme effréné devenant une sorte de refuge pour son esprit troublé. Chaque commande, chaque mouvement répétitif lui permettait de noyer ses pensées, de garder son esprit concentré sur des gestes simples, presque mécaniques. Les clients défilaient : des étudiants bruyants, des parents fatigués, des habitués silencieux.
Mais, au milieu de cette frénésie, son regard revenait sans cesse vers la porte, comme si elle attendait, sans pouvoir s’en empêcher. Derek. Pourquoi pensait-elle à lui ? Pourquoi cet homme, parmi tous les autres, parvenait-il à troubler son calme intérieur ?
Ce ne fut qu’en fin d’après-midi qu’il arriva enfin. La porte du fast-food s’ouvrit avec un léger grincement, et, comme à chaque fois, sa présence semblait ralentir le temps. Derek était là, grand et droit, vêtu d’une chemise sombre qui soulignait sa carrure, ses cheveux noirs tombant légèrement sur son front dans une désinvolture maîtrisée. Mais ce qui la frappait toujours, c’étaient ses yeux. D’un bleu presque glacial, ils semblaient tout voir, tout comprendre, tout sonder. Il s’approcha du comptoir, les mains dans les poches, et lui adressa un sourire énigmatique.
« Vous avez une mine épuisée aujourd’hui », dit-il, sa voix douce, mais marquée d’une forme de complicité silencieuse.
Isabelle le fixa un instant, déconcertée par l’intimité de sa remarque. Un frisson parcourut sa nuque.
« Merci, ça fait toujours plaisir », répondit-elle, un peu sur la défensive, tentant de cacher son trouble derrière un ton faussement amical.
Derek posa ses coudes sur le comptoir et la regarda avec cette intensité qui, chaque fois, la mettait mal à l’aise. Il semblait lire en elle, comme si ses pensées étaient ouvertes à la lumière.
« Ce n’était pas une critique. Juste une observation. Peut-être que vous portez trop de choses sur vos épaules. »
Elle sentit une étrange contraction dans sa poitrine. Comment pouvait-il deviner cela ? Comment pouvait-il savoir qu’elle se sentait étouffée, usée par tout ce qu’elle portait en silence ?
« Je vais bien », répondit-elle, mais sa voix trahit sa propre incertitude. Elle détourna les yeux, fuyant la douceur de son regard.
Derek se redressa légèrement, son sourire s’étirant en une forme plus énigmatique.
« Les miroirs disent-ils la même chose ? »
Isabelle se figea. Quoi ? Elle releva brusquement la tête, son cœur s’emballant.
« Quoi ? »
Il haussait légèrement les sourcils, un regard presque amusé traversant ses yeux bleus.
« Rien. Vous m’avez juste l’air… curieuse. Du genre à chercher des réponses, peut-être là où d’autres ne regarderaient pas. »
Isabelle resta figée, incapable de répondre. Ses lèvres étaient sèches, ses pensées en désordre. Derek lui lança un dernier regard, un regard lourd de secrets et de non-dits, puis tourna les talons pour quitter le fast-food, sans autre mot. Elle le suivit du regard, observant son dos disparaître dans la rue.
Le rythme des commandes sembla redoubler après son départ, mais Isabelle n’arrivait plus à se concentrer. Ses pensées étaient ailleurs, tourbillonnant autour de cette conversation étrange, de ses propres sentiments qu’elle ne comprenait pas encore.
Le café avait commencé à se vider peu après 21 heures. La dernière table était partie en laissant quelques pièces pour le pourboire, et Isabelle s’était retrouvée seule dans la salle silencieuse. Elle avait pris l’habitude de terminer le service sans aide, même si cela signifiait essuyer les tables, passer le balai, et compter la caisse sans personne à qui parler. Les bruits familiers des verres qui s’entrechoquent, des chaises qu’on remet en place, et de la machine à café qu’elle nettoyait résonnaient dans l’espace désert. À 22 h 30 précises, elle avait enfin éteint les lumières du café, fermé la porte à clé, et jeté un dernier regard sur la rue presque vide avant de rentrer chez elle.
Le retour à l’appartement fut une nouvelle confrontation. Dès qu’Isabelle franchit la porte, Julien se leva brusquement du canapé, les bras croisés, son regard acéré planté sur elle.
« T’es encore en retard ce soir ! » lança-t-il d’un ton sévère.
« Comme d’habitude », répondit-elle en haussant les épaules. Y avait du monde, et j’ai fermé seule.
Julien haussa un sourcil, clairement agacé.
« Tu bosses trop, Isa. À force, tu vas finir par t’écrouler. »
Isabelle se tourna vers lui, posant les mains sur le bord de l’évier.
« C’est facile à dire. Si je ne le fais pas, qui s’en chargera ? »
Julien ne répondit pas tout de suite. Il passa une main dans ses cheveux ébouriffés, soupirant légèrement.
« Ouais… mais bon, t’en fais toujours trop pour ce café. C’est pas comme si c’était ta vie. »
Un silence tomba entre eux, lourd de sous-entendus. Isabelle serra les dents, agacée par sa remarque. Depuis quelque temps, Julien trouvait toujours le moyen de minimiser ce qu’elle faisait, comme si ses efforts ne comptaient pas. Elle préféra ne pas répondre, mais il continua :
« T’as un nouveau mec ou quoi ? » lança-t-il sans préambule, son ton déjà menaçant.
Isabelle s’arrêta net, surprise par la brutalité de la question.
« Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ? »
« Je te connais, Isa. T’es distante. Tu rigoles moins. Et ce client, là… cheveux bruns et yeux bleus, toujours habillé en sombre, celui qui te fixe comme si t’étais un trésor caché… quand je viens te voir et qu’il est là c’est comme si plus personne n’existait pour toi. »
Le ton de Julien était glacé, et Isabelle sentit une boule de colère monter dans sa gorge. La situation, à nouveau, semblait se cristalliser autour de lui et de ses accusations sans fondement. Pourquoi était-il si sûr de lui, si en quête de la moindre faille chez elle ? Son regard se fit plus acerbe.
« Derek ? Sérieusement ? C’est un client, Julien. Arrête d’être parano ! »
Julien éclata d’un rire sans joie, un rire dénué de toute chaleur, comme si ses pensées étaient déjà loin de tout cela. Comme s’il avait déjà décidé que quelque chose se cachait derrière chaque sourire, chaque mot prononcé, chaque interaction.
« T’es sûre que c’est moi le problème ? Parce que t’as l’air de bien aimer son attention. »
La remarque, acide et sans appel, l’atteignit en plein cœur. Isabelle secoua la tête, exaspérée, une rage silencieuse grimpant en elle. Pourquoi lui fallait-il toujours créer un monstre dans tout ce qu’elle faisait, tout ce qu’elle était ?
« Je suis fatiguée de ça. Fatiguée de toi, de ta jalousie et de tes accusations ! » s’écria-t-elle, la voix brisée par l’énervement.
Julien, déjà sur le point de répliquer, se leva brusquement, renversant sa chaise avec violence. Un geste brusque, une parole hâtive qui fracassa l’air entre eux, une des facettes de Julien qu’Isabelle ne supportait pas, préférant toujours partir dans une autre pièce.
« C’est ça, Isa. Barre-toi, comme tu fais toujours ! » lança-t-il, un ton de défi dans sa voix.
Isabelle, sur le point de lui répondre, s’arrêta net. Elle n’en avait plus la force. Elle n’avait plus envie de se battre ni de jouer ce rôle de celle qui doit se justifier sans cesse. Elle tourna les talons et se dirigea vers la chambre sans un mot, fermant la porte derrière elle. Le silence, lourd, tomba dans l’appartement comme un voile opaque.
Isabelle s’assit sur son lit, les yeux fixés sur le miroir suspendu au-dessus de sa commode. Ses mains tremblaient. Le poids de la situation la foudroyait, l’enfermant dans un tourbillon de pensées contradictoires. Elle porta lentement la main à son visage, se frotta les yeux, cherchant à calmer la vague de stress qui la submergeait et à essuyer ses larmes. Elle se sentait à bout, prise au piège dans une relation qui l’étouffait peu à peu.
Elle s’approcha du miroir et observa son reflet. Ses yeux étaient rouges, marqués par la fatigue, et ses traits tiraillés par une tristesse qu’elle n’arrivait plus à masquer. Elle porta ses doigts au cadre du miroir, cherchant à s’ancrer dans la réalité, mais à cet instant précis, une sensation étrange l’envahit. Une lueur, fugace, jaillit du fond du miroir. Isabelle plissa les yeux, surprise, comme si quelque chose avait traversé la surface du verre. Puis, un murmure se fit entendre, doux et rauque, presque musical.
« Pourquoi moi ? » murmura-t-elle à son propre reflet, ses mains tremblantes se posant sur le miroir.
Et alors, comme une vague qui submerge tout sur son passage, la lueur se transforma. Ce n’était plus son propre visage qu’elle voyait, mais une autre femme, une femme aux cheveux noirs, aux yeux rouge profond, comme ceux qu’elle avait vus dans ses rêves. La vision était si nette, si vivante, qu’Isabelle recula d’un pas, son cœur battant la chamade. Elle tenta de saisir un mot, mais aucun son ne sortit de ses lèvres. La femme dans le miroir lui souriait, un sourire à la fois sombre et plein de mystère.
« Bientôt, tu comprendras. » La voix était lointaine, familière et étrangère à la fois, mais ce qui fit frissonner Isabelle, ce n’était pas le timbre de la voix, c’était la certitude dans les paroles. Un avertissement, mais aussi une promesse.
Isabelle vacilla, une chaleur soudaine l’envahissant. Le miroir sembla se brouiller devant elle, comme si quelque chose voulait émerger à travers la brume, quelque chose qu’elle n’était pas prête à voir. Elle recula encore, la gorge nouée, jusqu’à ce que la vision disparaisse aussi soudainement qu’elle était apparue. Son reflet, celui qu’elle connaissait, se rétablit lentement, mais une partie d’elle savait que tout n’était pas revenu à la normale.
Elle s’effondra sur son lit, son souffle court, le cœur battant la chamade. Le murmure de la voix résonnait encore dans sa tête, et une certitude naissait en elle. Ce qu’elle avait vu, ce qu’elle avait entendu, ce n’était pas un simple rêve. Ce n’était pas une illusion. C’était réel. D’une manière ou d’une autre, elle allait devoir comprendre.
Ses yeux se fermèrent lentement, et tout ce qu’elle espérait alors, c’était que l’obscurité de la nuit lui accorde un peu de répit, un peu de temps pour réfléchir, pour comprendre ce qui venait de se produire. Mais même dans l’obscurité, les questions persistaient. Et une peur, diffuse, grandissait en elle : celle d’avoir réveillé quelque chose qu’elle n’était pas prête à affronter.
Isabelle se glissa dans sa couverture avec un soupir de soulagement. Cette journée l’avait épuisée, et le poids des émotions récentes pesait encore lourd sur ses épaules. Elle tendit la main vers son réveil, un petit modèle numérique posé sur sa table de chevet, et l’éteignit d’une pression rapide. Demain, elle était enfin de repos, une journée qu’elle pourrait consacrer à elle-même pour tenter d’y voir plus clair. Alors qu’elle s’allongeait, les yeux fixés sur le plafond, une étrange sérénité l’envahit. Peut-être que le calme du lendemain lui apporterait des réponses.
Isabelle se réveilla tard le lendemain, encore étourdie par les événements de la veille. Le silence pesait dans l’appartement, mais, pour une fois, il était presque apaisant. Julien était parti au travail sans un mot. La veille, leur dispute avait atteint un point de non-retour, et Isabelle sentait en elle une lassitude grandissante face à cette relation. Elle se dirigea vers la cuisine, prit une tasse et se servit un café, contemplant distraitement les reflets dans le liquide noirâtre. Toujours ce besoin étrange de chercher quelque chose… ou quelqu’un. Mais, comme toujours, elle ne trouva rien.
Le souvenir du miroir et de cette femme – son double, ou autre chose – ne voulait pas la quitter. Était-ce un rêve ou une hallucination due à la fatigue ? Elle en doutait. C’était trop réel. Elle frissonna, ses doigts crispés autour de sa tasse. Le mystère de ce reflet la hantait, et elle savait qu’elle avait besoin de parler à quelqu’un, de partager ce poids qui grandissait en elle. Machinalement, elle attrapa son téléphone et composa un numéro familier.
Après deux sonneries, la voix de sa sœur aînée, Cécilia, retentit à l’autre bout.
« Isa ? Tout va bien ? »
« Salut, Cécilia. Tu as un peu de temps ? J’ai besoin de parler… Et, vu que je suis en repos aujourd’hui, je pensais passer te voir. »
« Tu sais que j’ai toujours du temps pour toi. Viens. J’ai des crêpes au sucre qui t’attendent ! »
Cécilia avait cette manière réconfortante de lui faire sentir qu’elle n’était jamais seule. Isabelle sourit légèrement, rassurée par cette perspective.
L’appartement de Cécilia, situé à quelques kilomètres de Niort, ressemblait toujours à une caverne mystique. Dès qu’Isabelle franchit le seuil, elle fut enveloppée par une atmosphère de calme étrange. Les murs étaient couverts d’étagères débordant de livres anciens, leurs titres mystérieux gravés en lettres dorées ou argentées : Mythes oubliés, Les portes du subconscient, Hécate et ses secrets. Des bougies allumées projetaient des ombres vacillantes, et une odeur d’encens flottait dans l’air.
Cécilia l’attendait dans le salon, déjà installée dans un fauteuil avec une tasse de thé fumant entre les mains. Elle se leva pour embrasser sa sœur, puis lui désigna le vieux canapé. Isabelle s’y laissa tomber, acceptant avec gratitude une tasse de thé au jasmin – son préféré.
« Alors, Isa », dit Cécilia en s’asseyant en face d’elle. « Qu’est-ce qui t’amène ici, à part les crêpes ? »
La chaleur réconfortante de la tasse entre ses mains semblait délier les pensées d’Isabelle. Elle hésita un instant, jouant nerveusement avec la cuillère, avant de se lancer.
« J’ai vu… quelque chose, dans un miroir. »
Cécilia posa sa tasse, ses yeux perçants scrutant ceux de sa sœur. Elle resta silencieuse, l’encourageant à continuer.
Isabelle prit une profonde inspiration et raconta tout : les rêves étranges, la lueur dans son reflet, cette femme qui lui ressemblait, mais avec des cheveux noirs et des yeux rouges. Elle parla de cette sensation inexpliquée d’être observée, et de ce qu’elle avait vu – ou cru voir – dans le miroir la nuit précédente.
Lorsque Isabelle termina, elle remarqua que l’expression de sa sœur avait changé. Cécilia semblait tendue, comme si ses mots avaient réveillé une vieille peur ou une vérité qu’elle préférait éviter.
« Tu sais que ça peut être un signe, Isa », dit-elle doucement.
Isabelle fronça les sourcils.
« Un signe ? De quoi ? »
Cécilia se redressa légèrement, croisant les mains sur ses genoux.
« Les miroirs… Ce ne sont pas que des objets banals. Depuis toujours, on leur attribue un rôle particulier. Ils sont des portails. Pas toujours littéralement, bien sûr, mais ils reflètent des vérités que nos yeux ne peuvent pas toujours voir. »
Isabelle sentit un frisson lui parcourir l’échine.
« Des vérités ? Quelles vérités ? »
Cécilia pinça les lèvres, cherchant ses mots.
« Ce que tu vois dans un miroir n’est pas seulement toi. C’est aussi ce que tu as été… ou ce que tu deviens. Parfois, les miroirs capturent des fragments d’âmes : la tienne, ou celle de quelqu’un d’autre. Si cette femme dans ton reflet te ressemble, ce n’est peut-être pas un hasard. C’est peut-être une partie de toi. Une incarnation passée, ou une ombre d’une vie que tu as oubliée, enfin c’est ce que les livres décrivent. »