En remerciement du passé - J. P. Hublet - E-Book

En remerciement du passé E-Book

J. P. Hublet

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Beschreibung

Arnaud Deleuze, un journaliste d’investigation, est confronté à une énigme déconcertante lorsque son propre père est retrouvé parmi les victimes d’un groupe énigmatique appelé les Démons du passé. Animé par un désir ardent de comprendre les raisons derrière ces meurtres en apparence déconnectés, il se lance dans une quête intrépide pour découvrir la vérité et identifier les responsables de ces massacres. Son enquête le conduit à travers la France, du Vercors à la Champagne, du sud au nord, tandis qu’il démêle les fils de ce mystère complexe. Cependant, une ombre semble le poursuivre, cherchant à entraver sa recherche de vérité. Entre la crainte et la détermination à connaître la vérité, Arnaud doit faire le choix.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Animé par une passion dévorante pour les romans policiers et les films d’action, J. P. Hublet a fait ses débuts dans le monde littéraire en 2006 avec Prise en eaux troubles. Depuis cette date, il a régulièrement relevé le défi des concours littéraires, affinant ainsi sa plume pour nous offrir "En remerciement du passé", un roman riche en suspense et en intrigue.

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J. P. Hublet

En remerciement du passé

Roman

© Lys Bleu Éditions – J. P. Hublet

ISBN : 979-10-422-1554-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

– Prise en eaux troubles, Les 2 Encres, 2006.

Ouvrages présentés à des concours littéraires :

Le Grand prix du Quai des orfèvres

– L'année américaine, 2008 ;

– Closed, 2021.

Prix San-Antonio

– Evidence erase, 2020.

La Ruchère

Assis en tailleur sur l’humus humide, devant ses yeux, le théâtre du rituel.

Dans la lueur vacillante de l’anneau de bougies, les feuillages mordorés des hêtres olympiens se découpaient en ombres étranges. Des fantômes se faufilaient de branche en branche, de rameau en ramille. Les troncs gris clair, encapuchonnés de leurs écorces, léchés par la lumière diffuse, statues de bois imperturbables, surveillaient le sanctuaire.

Point par point, les directives du grand ordonnateur avaient été suivies ; chaque élément à sa place, chaque détail respecté, la caste qui l’avait inspiré n’avait rien à lui envier, tous les symboles étaient respectés.

Son heure à présent venue, il se sentait apaisé, soulagé, une force intérieure prenait place, emplissait son être ; il avait réussi, il avait atteint son but. Posée là, à la lisière de la hêtraie, son œuvre enfin réalisée ; emmitouflé dans sa cape noire, il savourait ce moment tant attendu. Pour la première fois de sa vie, il prenait en main sa destinée ; pour la première fois de sa vie, il possédait la supériorité.

Cela en était fini, plus jamais il n’aura à subir l’outrage des autres. Dans cet état d’esprit, plus solide qu’auparavant, il se préparait à surmonter les prochaines et dernières épreuves, il pouvait maintenant se fondre dans les ténèbres.

La forêt du Selet

Le voyant du téléphone clignotait vert, sans doute un appel alors que la douche coulait à flots. Arnaud, prit le temps de se sécher avant de vérifier la raison de cette notification, le dimanche matin, rien ne pressait.

Un numéro inconnu, un message en attente. Il l’écouta. Son interlocuteur se présenta en tant que gendarmerie de Saint-Laurent-du-Pont, demandant d’être rappelé au plus tôt pour affaire urgente, le concernant.

Arnaud Deleuze ne voyait pas en quoi une affaire pouvait bien le concerner dans cette localité, il n’avait écrit aucun papier en rapport avec cette région ; une affaire urgente, un dimanche matin, les gendarmes devaient faire erreur.

Non, ce n’était pas une erreur, un départ précipité de Paris, cinq heures trente de route, l’inquiétude vissée au crâne ; le Boulevard Périphérique, l’Autoroute du Soleil, le flash du radar à hauteur de Bessey-en-Chaume, la nationale et à nouveau l’Autoroute, l’A 43. Enfin, une demi-heure plus tard, la traversée du village de Pont-de-Beauvoisin, la traversée des Échelles, puis le panneau de Saint-Laurent-du-Pont. Et toujours une seule image en tête, le sourire de son père. Un sourire figé par les paroles du gendarme « Venez au plus tôt, c’est au sujet de votre père, nous avons besoin de vous, à votre arrivée, demandez le commandant Duffaut ». Pas d’autres explications, aucune indication sur les raisons qui poussaient la gendarmerie de cette petite ville de Chartreuse à le demander de toute urgence. Arnaud, par son expérience professionnelle, par son habitude à côtoyer les forces de police, se doutait que la raison qui les poussait à agir ainsi était grave et importante. Dans sa tête les suppositions les plus folles, les plus improbables, même, le pire traversa son esprit, ce pire qu’il ne pouvait accepter, ce pire qu’il ne voulait envisager.

Le fonctionnaire de gendarmerie l’accueillit brièvement, assis face à lui, Arnaud Deleuze laissait filer les minutes en silence. Le commandant Duffaut, installé derrière son bureau, restait absorbé, le nez plongé dans un petit calepin. Arnaud patiemment, rongé par l’inquiétude, attendit que le fonctionnaire termine sa lecture, en lisant à l’envers il en avait déchiffré la première ligne – Affaire : forêt du Selet.

C’était dimanche premier novembre, une coïncidence, un jour de la Toussaint, mais aussi un lendemain d’Halloween, célébration de Samain Dieu de la mort. Il était seize heures quarante-cinq, cela faisait quinze minutes qu’il était en tête à tête avec l’enquêteur. L’annonce du gendarme dépassait tout ce qu’il avait pu imaginer tout au long de son trajet. Un suicide collectif, son père se serait laissé « suicider » avec d’autres personnes. Une secte. Son père victime d’une secte, son père mort d’une dague plantée dans l’abdomen ; comme ses malheureux compagnons. Pourtant, il en avait échafaudé des suppositions, un accident de la circulation, une agression, un malaise, voir même un attentat dans lequel son père aurait été un dommage collatéral. Tout, il avait pensé à tout, sauf à ça.

Comme les proches de deux autres victimes, arrivaient peu de temps avant lui, il avait dû accompagner les gendarmes au CHU de la Tronche sur Grenoble, jusqu’à l’institut médico-légal ; un parcours effectué dans un silence pesant, oppressant.

Sur le visage, une image irréaliste, un masque de l’inimaginable, aucun sourire, le sourire jovial de son père avait disparu, seuls des traits figés dans un rictus de douleur, une expression de peur. Comme son père, Arnaud ressentit un coup de poignard dans ses entrailles, une plaie béante dans son cœur, son père se trouvait bien, parmi les victimes.

Les éclats du gyrophare se reflétant dans les véhicules, qui libéraient le passage au son des deux tons, accompagnaient le retour à la gendarmerie dans une ambiance chimérique ; Arnaud voulait comprendre, quelle histoire horrible s’était déroulée dans la forêt du Selet ?

— Commandant, que s’est-il passé exactement ?
— Ce matin, à sept heures vingt, nous avons reçu un appel de Jérôme ; c’est un randonneur que tout le monde connaît ici, une figure de la région. Il venait de garer son véhicule sur la plateforme de la Ruchère, et s’apprêtait à se lancer dans une marche vers le Petit Som ; lorsqu’il est tombé, juste avant de s’engager sur le sentier, en lisière de la forêt… Duffaut cherchait ses mots. Il est tombé, enfin il a… il a découvert les corps. Il nous a appelés, paniqué, nous sommes arrivés quelques minutes après avec les pompiers, c’était évidemment trop tard, aucune personne n’avait survécu.
— Personne d’autre n’était présent sur les lieux, pas d’autres témoins ?
— Non, Jérôme nous a précisé qu’à part son véhicule, seul un monospace vide était garé sur la plateforme, personne d’autre.
— Et votre randonneur, il n’aurait pas pu, comment dire, on ne peut pas avoir de doute sur lui ?
— Non, absolument pas, c’est un habitué du lieu, sa passion c’est la montagne, il fait partie du décor, il marche au moins quatre fois par semaine. L’affaire est tout autre, d’après les premières constatations, votre père et ses cinq compagnons se sont retrouvés hier soir pour fêter ou plutôt célébrer un anniversaire un peu particulier ; un rite en quelque sorte, ils avaient tous décidé d’en finir avec leur vie. Le choix de la veille de la fête des Morts ne devait pas être anodin. L’une des victimes, Jean-Pierre Molay, semble avoir été l’instigateur ; l’organisateur de cette tragédie et également la main qui a procédé au rituel.
— Avez-vous pu établir les circonstances de…

Arnaud ne trouvait pas les mots pour définir le drame.

— De… de ce simulacre.
— Vous savez, il n’est pas difficile de se faire une conviction, je ne pense pas à un simulacre, les faits parlent d’eux-mêmes.
— Qui était ce Molay ?
— Son nom ne vous dit rien, votre père ne vous en avait jamais parlé ?
— Non, je ne connais pas ! C’était qui ?
— Le doyen du groupe, le local, il habitait la région pas très loin d’ici, à Saint-Pierre-de-Chartreuse. Nous avons vérifié, la carte grise du monospace est à son nom, c’est dans ce véhicule qu’ils sont arrivés sur les lieux. Un Espace de sept places. L’automobile est dans les mains de la brigade scientifique.
— C’est lui qui aurait poussé au suicide, mon père et les autres, avant de se donner la mort ?
— Pour l’instant, c’est l’hypothèse que nous retenons, les premières constations nous font penser à ce scénario, vous avez certainement entendu parler de l’Ordre du Temple Solaire ?
— Bien sûr, comme tout le monde !
— Écoutez, dans cette affaire tout nous rapproche de l’Ordre du Temple Solaire ou du moins s’en inspire, toute cette mise en scène sent la secte. Rappelez-vous des faits, dans la nuit du quinze au seize décembre mille neuf cent quatre-vingt-quinze ; seize personnes, treize adultes et trois enfants de deux, quatre et six ans ont été immolés par le feu ; dans une clairière d’un plateau du Vercors, près de Saint-Pierre-de-Chérennes. Saint-Pierre-de-Chérennes c’est à moins de quatre-vingts kilomètres de la Ruchère, nous ne pouvons pas, ne pas faire de rapprochement.

Arnaud sembla réfléchir…

— Si je me rappelle bien les deux responsables de l’OTS Di Mambro et Journet, étaient plus des escrocs que des gourous et le suicide collectif, plus un meurtre organisé qu’un départ pour une vie meilleure ! Je suis désolé ! Mais je n’adhère pas à votre hypothèse de secte ni à une résurgence de l’OTS, je ne vois pas mon père en adepte d’une secte !
— Et d’une secte sataniste ? Vous savez, ce n’est pas la première fois que je constaterais que les membres d’une famille ne sont pas dans tous les secrets. Il n’est pas rare de voir qu’une personne et capable de cacher à ses proches une double vie.
— C’est quoi ce délire ?
— Des faits relevés sur place. Des indices nous laissent à penser qu’il y a du satanisme dans ce qui s’est passé au Selet.
— Mon père sataniste, c’est ridicule ! je ne peux pas y croire !
— Le procureur de Grenoble a demandé l’autopsie des corps, dans quelques heures nous en saurons plus sur les circonstances du drame.
— L’autopsie… – Arnaud sentit un frisson lui glacer le bas du dos – je présume qu’elle est obligatoire ?
— À la vue des évènements, obligatoire et indispensable. Monsieur Deleuze, est-ce que les noms de : Ballanger, Dienko, Ribaucourt et Bender, vous disent quelque chose ?
— Non, absolument rien… c’est quoi les…
— Oui, les patronymes des corps retrouvés avec celui de votre père, vous ne connaissez ni n’avez entendu parler d’aucune de ces personnes auparavant ?
— Non, vraiment pas ! commandant, je voudrais aller sur les lieux, voir où cela s’est produit, est-ce possible ?
— Maintenant ! il fait nuit noire ! allez-y demain matin, je vous ferai accompagner par un de mes hommes, venez à la gendarmerie à huit heures.
— J’ai une autre question.
— Je vous écoute.
— Avez-vous retrouvé la voiture de mon père ? s’il était venu de lui-même pour cette cérémonie, sa Mercedes aurait dû être sur les lieux.
— Non, nous ne l’avons pas retrouvée, c’est une Mercedes, dites-vous ?
— Oui, une classe C gris métal.
— Connaissez-vous son immatriculation ?
— Non, je ne l’ai pas en tête, je vous l’enverrai dès que je serai arrivé à Cannes.
— Je vais signaler sa disparition aux gendarmeries des alentours, si jamais ils tombent sur un véhicule abandonné avec une plaque 06.

Arnaud quitta la gendarmerie, se retrouvant seul dans l’incompréhension ; chargé de tristesse, une douleur indéfinissable enfouie dans ses entrailles.

Pris au dépourvu, parti si vite de Paris, juste un sac de sport avec le minimum vital en tant que bagage, il devait trouver un lieu pour se poser. L’instinct de se rapprocher du site où son père avait vécu ses dernières heures le fit retourner sur ses pas. À dix minutes se situait le village des Échelles, au pied de la départementale qui menait à la Ruchère ; il décida d’y trouver un point de chute pour la nuit. Un panneau signalait l’auberge du Morges, à cinq minutes plus avant dans les gorges de Chailles, devant le peu de choix dans le cœur de la commune, Arnaud se dirigea vers cet hôtel.

L’accueil lui fut chaleureux, son état d’âme d’une lourdeur incommensurable, ne lui permit pas d’en apprécier la qualité. Il refusa la proposition de réservation d’une table pour le dîner, l’appétit lui faisait défaut, s’isoler dans une chambre était son seul désir.

Le sommeil fut très long à prendre le dessus sur ses pensées. Un sommeil perturbé par une suite de cauchemars et de rêves les plus fous, une nuit hantée. Une nuit en compagnie de démons. Une armée de Satan dansant en lévitation à la lueur de torches. Se jouant des branches et des troncs, entraînant son père dans une farandole macabre ; tour à tour fantômes, squelettes ou monstres, poussant, tirant, emportant son père jusqu’à le faire disparaître dans la nuit noire, loin de la clarté des flammes.

***

Arnaud se réveilla en nage désemparé, dans sa chambre d’hôtel, son téléphone indiquait quatre heures cinquante-sept. Des rais de lumière filtrant au travers des volets éclairaient vaguement la pièce, scrutant murs et plafond, tendant l’oreille à l’écoute d’un bruit ; instinctivement à la recherche d’une présence, de la raison de cette lueur. Arnaud devait se rendre à l’évidence, il était seul. Bien seul, aucun démon, aucun sataniste ne rôdaient dans la chambre. Il ouvrit les volets, pourquoi cette lumière ? C’était juste la lune, pleine et radieuse, qui éclairait la montagne et le village. Il était seul avec à l’esprit la mort incompréhensible de ce père qui l’avait aimé, soutenu et aidé à devenir l’homme qu’il était devenu aujourd’hui. Allongé sur le lit, le regard perdu sans les étoiles, il resta ainsi jusqu’aux premières lueurs du jour, séchant par instant des larmes incontrôlables.

Sous le flux d’eau chaude, ses idées prenaient place, premier objectif de la journée, se rendre à la Ruchère, prendre connaissance des lieux, découvrir la forêt du Selet et en pressentir les secrets. Comprendre, essayer de visualiser ce qui s’était passé. Ensuite, revoir le commandant Duffaut, rapatrier le corps de son père et commencer son enquête ; Arnaud savait qu’uniquement ses investigations à lui, ses intimes convictions, lui permettront de débuter son deuil, sans que subsiste le doute d’une affaire liquidée trop vite.

Il était sept heures trente-quatre, lorsque l’Audi TT s’engagea sur la départementale en direction de Saint-Laurent-du-Pont, laissant derrière elle, l’hôtel et son jardin. Un rapide crochet par la gendarmerie pour avoir l’indication exacte du lieu. Quelques secondes consacrées à s’excuser auprès de l’officier ; devant faire preuve d’insistance, pour rester seul dans cette démarche personnelle et Arnaud retrouva son véhicule. Libéré d’un guide qu’il ne désirait pas, il prit la route vers la forêt du Selet. La ville à cette heure était empreinte d’un calme apaisant, quelques champs et en ligne de mire le relief escarpé du Grand Som. Après un virage à droite, la départementale s’enfonçait sous les végétaux pour déboucher quelques centaines de mètres plus loin, au centre de pâturages ; un plateau à traverser et la véritable forêt du Selet se dressait là, au pied de la côte qui allait mener Arnaud sur le théâtre du drame. En d’autres circonstances, il aurait apprécié la puissance et l’agilité de sa voiture sur cette petite route de montagne caracolant dans une nature encore sauvage. Mais le cœur n’y était pas, au bout du chemin, il le savait, les minutes allaient être longues à porter. Le centre nordique approchait. Duffaut lui avait indiqué l’itinéraire à suivre. « Juste avant le centre, une bâtisse de trois niveaux, faite de poteaux en béton et d’une façade en bois, dotée de grandes ouvertures ; prendre à gauche puis suivre la piste jusqu’à la plate-forme. À cet endroit, la route se divise en deux sentiers dont l’un est difficilement praticable en voiture, surtout un véhicule de sport » ce fut à cet endroit que le commandant lui conseilla de stationner son véhicule.

Le parking de terre était désert, il coupa le contact et attrapa le plan qu’il avait déposé sur le siège passager. C’était par l’itinéraire de droite que le randonneur avait choisi d’accéder au Petit Som ; Arnaud s’engagea dans le raidillon et s’enfonça dans le sous-bois. Trois cents mètres plus loin, la lumière filtrant à travers des feuillages mordorés, éclairait faiblement une étroite clairière. Le lieu ressemblait à celui de son rêve. La trouée au milieu des arbres, les branches qui se croisaient, l’humus au sol, les troncs dressés, gardiens imperturbables du sanctuaire ; mais plus aucune trace ou très peu de la scène satanique qui s’était déroulée ici, il y avait moins de quarante-huit heures. Seules les feuilles piétinaient et les empreintes de pneu de 4x4, semblait-il, de quad, gravées sur le terrain, témoignaient de la présence, il n’y avait pas si longtemps, d’activités humaines. Arnaud prit des photos du lieu, des arbres, du chemin de terre jonché de feuilles mortes. Des clichés pour appréhender la scène, la pantomime. Assis sur un tronc couché à terre, il ferma les yeux et se laissa aller à retrouver son rêve, Arnaud voulait revivre cet instant, voulait participer virtuellement à ce sacrifice, il voulait trouver la voie de la vérité.

La sensation d’une présence le fit sursauter, quelqu’un s’était assis à l’endroit même où il était… Non, ce n’était pas cela, il devait y avoir autre chose, le jeune homme n’avait aucune foi en ses dons de médium et en avait-il ? Mais la perception fut étrange, il lui semblait s’être posé sur une forme indéfinissable… Et toujours cette présence, une présence qui maintenant paraissait être ailleurs, plus loin, mais elle se rapprochait, c’était certain, ce n’était pas son imaginaire, une présence remplissait l’espace. La gorge d’Arnaud se noua, son regard scruta les bois, le ciel, la clairière, ce fut dans l’axe du chemin qu’il vit apparaître une silhouette élancée, féminine. Il se jugea ridicule, se moqua de lui-même, dire qu’il venait d’imaginer ; l’ombre d’un démon, une représentation de Satan, il avait même cru, l’intervalle de quelques secondes, être entouré des fantômes de la nuit. Une jeune femme s’approchait, à la vue d’Arnaud, elle eut un moment d’hésitation, un mouvement de recul ; une attitude de crainte se lisait dans son regard. Il ne savait que faire, l’ignorer, lui parler ou repartir puisque sa reconnaissance des lieux était terminée et sa solitude brisée. Ce fut elle, qui au-delà de ses appréhensions, engagea la conversation en premier.

— Je suis désolé de vous déranger, je cherche l’emplacement où un drame s’est déroulé hier matin. Les gendarmes m’ont dit qu’il y aurait certainement une personne déjà sur place, est-ce vous ?
— Oui, c’est bien moi et c’est bien ici. Là, derrière moi, mais la scène a été fixée puis tout a été nettoyé. La police scientifique a tout emporté, on ne voit plus rien… vous êtes ?
— De la famille d’une des victimes – la réponse de l’inconnue était presque inaudible – et vous ?
— Aussi, je suis le fils de…

Ses mots restaient bloqués dans sa gorge, un nœud, une boule énorme l’étouffait, pour la première fois, il parlait du drame avec une personne qui n’était pas de la gendarmerie.

— Je suis Arnaud Deleuze… mon père…
— Les secondes s’écoulaient, les phrases figeaient, nul n’avait besoin de s’exprimer pour communier dans ce malheur, les regards se croisèrent.
— C’était, mon frère… Dimitri Dienko.
— Une larme glissa sur sa joue, elle devait avoir la trentaine, ils étaient de la même génération. Son apparence paraissait fragilisée, Arnaud eut envie de l’aider, de lui prêter une épaule ; seul un vague sourire de compassion s’afficha sur son visage.
— Savez-vous ce qui s’est passé ?
— Pour l’instant, je n’ai que la version des gendarmes, certainement la même qu’ils vous ont servi. Une secte, un groupe, peut être sataniste, ayant décidé de se suicider collectivement dans le but de leur salut devant dieu. J’ai beau essayer de me convaincre, je n’arrive pas à croire que mon père ait pu faire partie d’une secte et qu’il se soit donné la mort volontairement.
— Le gendarme m’a dit qu’ils étaient certainement sous l’emprise de drogue.
— Cela aussi j’ai du mal à le croire, mon père n’a jamais touché la moindre drogue de sa vie, même pas fumé un joint. Et vous, que pensez-vous de cette hypothèse – le mot accrocha à son palais, l’évocation du drame et des participants soulevaient une douleur intense – votre frère faisait-il partie d’une secte ?
— Pas que je sache, il ne m’en a jamais parlé, je n’ai jamais rien remarqué.
— Se droguait-il ?
— Plus jeune, comme beaucoup à la fac, il fumait, mais je ne crois pas qu’il continuait. Il était devenu raisonnable. Les gendarmes m’ont dit que l’autopsie nous confirmera s’ils étaient drogués, ils nous communiqueront les résultats dans la journée.
— Oui… – Arnaud baissa son regard – L’autopsie… – Arnaud ferma les yeux, sa tête dodelina de gauche à droite – .
— Vous ne croyez pas à ce suicide collectif ?
— Non, je ne peux m’y résoudre, les gendarmes disent que l’instigateur, celui qui a organisé la réunion serait décédé avec nos proches ; mais je pense qu’une autre personne aurait pu être présente, quelqu’un qui les aurait aidés à mourir, ou plutôt qui les aurait tués.
— D’après vous, on les aurait tués, vraiment, mais pour quelle raison ?
— Aucune idée ! Les gendarmes vont mener leur enquête, la police scientifique aussi, il en sortira peut-être des éléments… Mais de mon côté, je vais aussi enquêter !
— Êtes-vous dans la police ?
— Non, journaliste, je suis journaliste d’investigation en free-lance, les enquêtes, même si elles ne sont pas criminelles, c’est mon quotidien. Je vais devoir rencontrer les membres des familles touchées par ce drame… En connaissez-vous ?
— Non, de tous les noms que m’ont indiqués les gendarmes, je n’en connais aucun.
— Je ne vais pas rester, voulez-vous redescendre avec moi ?
— Non merci, je vais me poser un instant, j’ai besoin d’être un peu seule pour…
— Je comprends, je viens de faire de même. Je vous laisse…

Arnaud s’apprêta à faire demi-tour pour retourner à sa voiture, une pensée lui traversa l’esprit.

— Excusez-moi, mais je ne connais pas votre prénom et… – Arnaud hésita, le moment était mal choisi – pourriez-vous me donner un moyen de vous contacter ?

Sous les yeux rougeoyants et encore humides, le coin des lèvres de mademoiselle Dienko se pinça, Arnaud ne sut s’il s’agissait de l’esquisse d’un sourire ou d’un rictus de méfiance.

— Désolée, je n’ai pas toute ma tête à moi, je vais vous laisser mon numéro de portable, si je peux vous aider dans votre démarche, moi aussi, j’aimerais savoir ce qui s’est réellement passé ici.

Arnaud sortit son téléphone de la poche de son jean et tapota sur le clavier.

— Dienko, cela s’écrit comment ?

Elle épela son nom, son prénom et son numéro de téléphone, il mémorisa le tout et verrouilla son appareil ; la salua d’un petit signe de la main, esquissa un sourire de compassion, et reprit le chemin jusqu’à son véhicule. Il s’engouffra sous la capote de son cabriolet, sans un regard en arrière ; puis retourna sur ses pas en direction de la vallée.

Il ne savait pourquoi, ce retour dans cette chambre d’hôtel aux Échelles, un retour machinal, irréfléchi. Face à la nature, sans la voir, sans l’apprécier à sa juste valeur, seulement une source de réflexion. Il réalisa qu’il s’était enfermé dans cette pièce sans en être conscient, ses priorités perdaient de sens. Toutes ses idées se bousculaient et envahissaient sa raison, au point de devenir la marionnette de son inconscient.

Il ne pouvait demeurer ici à ne rien faire, il devait s’occuper de son père, rapatrier son corps, se préoccuper de l’inhumation, comprendre sa mort. Cette épreuve, il la surmontera en allant de l’avant. Le souvenir de son père devait rester intact, sans tâche, sans déviation, parfait, comme l’image qu’il s’en était toujours faite.

Saint Laurent

Duffaut était occupé. Le gendarme présent à l’accueil demanda au jeune homme de bien vouloir patienter, tout en lui proposant la chaise située au-devant de son bureau. Profitant de ces quelques minutes d’attente, Arnaud fit jouer ses talents de journaliste pour tenter d’en apprendre un peu plus. Le fonctionnaire, originaire de Saint-Jean-d’Arvey, un vrai Savoyard ; compatissait au malheur des proches qui défilaient depuis hier dans la petite gendarmerie de sa commune, ce n’était pas habituel par ici. Malgré la réserve qu’il se devait, il se laissa aller à quelques confidences. Le commandant recevait en ce moment, madame Ballanger, la femme d’une des victimes ; cette personne était arrivée ce matin vers huit heures après avoir roulé une bonne partie de la nuit, elle habitait Toulouse. Encore une fois, le nom de Ballanger ne réveilla aucun souvenir chez le journaliste. Jamais il n’avait entendu parler son père de relations, d’amis ou de connaissances habitants Toulouse.

— Savez-vous pourquoi monsieur Ballanger se trouvait dans la région ?
— Non, je l’ignore, mais le commandant doit certainement en connaître les raisons à présent. Et vous, votre père, saviez-vous pourquoi il était venu par chez nous ?
— Non, il vivait seul, il ne nous rendait pas de comptes. Celui qui vit, enfin qui vivait dans votre région, vous le connaissiez ?
— Non, inconnu de nos services, il n’était pas d’ici, il vient de Saint-Pierre-de-Chartreuse, c’est l’autre vallée.
— Ce n’est pas si loin.
— Une montagne nous sépare, barrière naturelle.
— Et lui, vous ne savez pas ce qu’il faisait de ce côté-ci de la montagne ?
— Vous savez, monsieur Deleuze, à part un rassemblement pour un rite satanique, une réunion relevant d’une secte, nous n’avons rien d’autre ; cela est la seule hypothèse envisageable. Ceci aussi nous le confirme.

Le gendarme fit pivoter son écran, l’instant de quelques clics, l’effroyable sauta aux yeux d’Arnaud, les photos de la scène du drame.

— Regardez ; ce pentagramme inversé, ce Baphomet réalisé avec les bougies posées au sol, ce scénario doit bien vouloir indiquer un message, une signature, une explication. Pourquoi avoir réuni les papiers d’identité de chacun à l’intérieur de ce symbole, si ce n’est pour donner son âme, son être, à Satan ?
— Quelque chose ne colle pas avec votre rituel sataniste, les satanistes ne font pas de sacrifice humain ; cette mascarade ne peut pas être un rituel pratiqué par de vrais satanistes.
— Peut-être, mais j’ai fait quelques recherches là-dessus, le sujet est très intéressant, même inquiétant. Les satanistes ont des conventions, des préceptes à respecter, dans les neuf représentations qui définissent leur symbolique, la vengeance est présente ; il est dit dans les onze règles sataniques « que tout être, invité dans son repaire, dans sa vie, doit être traité avec cruauté et sans pitié ; dans l’éventualité d’une conduite de sa part non conforme avec ce que l’on attend de lui » cela n’engage pas à sortir du rang une fois que l’on y est.
— Ça, c’est l’interprétation extrémiste de la religion sataniste, ce n’est pas de cette façon que vous devez interpréter leurs règles ; dans ce cas de figure, il manque la tierce personne qui aurait servi de bourreau, de grand justicier ; cela voudrait dire, aussi, que mon père et les autres victimes auraient été critiquables dans leur pratique du satanisme.
— Nous ne saurons peut-être jamais les raisons qui ont poussé ces personnes à se suicider.
— Sous couvert de satanisme, ce bourreau existe peut-être.
— Rien ne nous prouve qu’un gourou, bourreau ou rédempteur, se soit trouvé sur les lieux.
— Vous n’avez pas trouvé de traces, d’autres personnes, d’autres véhicules, rien qui puisse vous permettre de trouver une explication différente ou un tiers individu ?
— Pourquoi voulez-vous à tout prix qu’il y ait une autre interprétation à ce drame ?
— En admettant que mon père ait été enrôlé dans une telle société secrète, je ne le vois, vraiment pas, sortir du rang ; il était bien trop respectueux des règles, une fois qu’il s’était engagé dans une démarche il s’y tenait.
— Cela est quand même la plus probable des hypothèses, en quelque sorte une autopunition, une absolution de leurs péchés.
— Non, je ne peux pas y croire venant de mon père, vous passez à côté de quelque chose.
— Nous n’avons pas d’élément qui puisse nous faire penser le contraire, les traces foisonnent à la Ruchère, des dizaines de randonneurs passent par ce chemin et par les abords de la forêt du Selet. Tout autant de voitures se garent sur la plate-forme tous les jours. Les seules traces qui montaient à proximité de la clairière étaient celles du monospace et celles de quads un peu partout ; les jeunes du coin viennent souvent tourner, s’amuser sur la Ruchère. Votre père avait-il reçu des menaces que vous cherchez absolument une autre explication ?
— Non, ce n’est pas cela, enfin je ne sais pas s’il a reçu des menaces, il ne s’est jamais confié…

Arnaud demeura silencieux un moment, le gendarme respecta. Il devait impérativement parler à madame Ballanger, en restant là, en présence du fonctionnaire, il ne pourrait pas l’aborder pour la questionner ; sortir, sortir le plus vite possible avant qu’elle ne quitte le bureau de Duffaut et qu’elle s’évanouisse dans la nature.

— En fait, je voulais vous demander, si je pouvais rapatrier le corps de mon père sur la côte, pour préparer l’enterrement ?

Le gendarme le regarda avec étonnement.

— Mais monsieur Deleuze, l’enquête est en cours, l’autopsie doit avoir lieu cet après-midi ; ce n’est qu’après l’accord du procureur, quand les résultats de l’enquête préliminaire seront établis que vous pourrez peut-être obtenir le permis d’inhumer.
— Ah oui… excusez-moi, je suis un peu perturbé en ce moment, c’est vrai l’autopsie… Je n’arrive pas à m’y faire, j’aimerais que cela n’existe pas…

L’évocation de l’examen médico-légal provoqua chez Arnaud un frisson qui glaça son être ; imaginer que le corps de son père allait être fouillé, découpé, les viscères isolés, pesés, lui était insupportable. Effacer cette image, surtout effacer cela.

— Demain, je reviens demain, vous me direz la position du procureur.

Arnaud se leva, serra la main du gendarme dans un élan incontrôlé et s’éclipsa vers l’extérieur. Surpris par l’empressement soudain du jeune homme, cette poignée de main inattendue, le sous-officier eut du mal à comprendre la réaction du fils Deleuze. Ce drame pouvait facilement perturber même les plus solides, les interrogations, la surprise, l’incompréhension, laissèrent au fonctionnaire tant de possibilités d’excuses, qu’il cessa de se questionner sur le départ précipité du jeune Deleuze.

Assis dans son cabriolet, Arnaud patienta sans quitter la porte de la gendarmerie des yeux. Les minutes lui paraissaient bien longues. Les Échelles, Saint-Christophe, cette moyenne montagne étaient bien calmes, trop calmes ; qu’était donc venu faire son père dans ce trou perdu ; lui qui aimait la vie, le mouvement, la foule remplie de jolies femmes, les soirées entre… Ses pensées se stoppèrent, il lui sembla voir la porte bouger, elle s’ouvrit. Madame Ballanger n’était pas seule, un homme l’accompagnait, un homme la suivait. Arnaud eut un mouvement d’hésitation, ne pas sortir de la voiture immédiatement, et si c’était un gendarme en civil. L’homme la prit par le bras…

À hauteur de son épaule, sur la vitre remontée jusqu’à la capote noire, trois petits coups secs le firent sursauter, Arnaud tourna son regard, Sybille Dienko, lui faisait signe. Il jeta un coup d’œil vers la gendarmerie et sortit de sa voiture. Il ne s’attendait pas à cette présence ; presque, elle le dérangeait, que faire, rater la femme Ballanger n’était pas envisageable. Son esprit ne fit qu’un tour, il allait profiter de la situation, cette présence imprévue allait devenir une alliée.

— Cela vous dit de venir boire un verre ?
— Sybille le regarda interloquer. Sans attendre la réponse, il continua à lui parler.
— Ne bougez pas, je reviens !

Arnaud traversa la chaussée puis se dirigea vers le couple, Sybille resta figée sur place, l’observant. Il accéléra son pas pour parvenir à leur hauteur, les dépassa pour se retourner et leur faire face.

— Madame Ballanger, je suis désolé de vous importuner, je suis le fils d’une des personnes qui étaient avec votre mari… lors du drame ; là-bas, tendant son index en direction du cabriolet rouge, c’est mademoiselle Dienko, la sœur d’une des victimes. Nous pensions nous réunir pour chercher à comprendre ensemble ; nous regrouper pour échanger nos sentiments sur le malheur qui nous touche. Pour être franc, nous ne voudrions pas que les gendarmes taisent la vérité.
— Quelle vérité y a-t-il à taire, de quoi parlez-vous ?
— Venez avec nous s’il vous plaît, nous allions boire un verre pour en discuter ?

Nadine Ballanger regarda son compagnon, d’un mouvement d’épaule et d’une moue conciliante, il encouragea son amie à suivre Arnaud. Le jeune homme sentit monter en lui une force supplémentaire, il allait entraîner avec lui, dans sa quête, d’autres personnes… Il fit signe à Sybille de se rapprocher.

Il ne laissa le temps à quiconque de parler, fit les présentations, puis prit la directive de la conversation.

— Sybille, madame Ballanger, est d’accord pour nous accompagner. Se tournant vers le couple, nous pouvons aller vers la Mairie un peu plus haut, dans la rue Pasteur, deux établissements sont à peine à cinq minutes à pied.

Tous acquiescèrent, acceptant la proposition du jeune homme. D’un signe de la main, il invita ses compagnons d’infortune à le suivre.

Le Café du centre était chaleureux, une décoration hétéroclite rappelait les cuisines d’antan ; mélange de formica coloré, de bois vernis et de piètements chromés ou en aluminium, une ambiance de bien vivre, de fraternité se dégageait du lieu. Comme si les longues soirées, passées ici par les gens du cru, avaient laissé leurs empreintes. Ils prirent place autour d’une table de cuisine des années soixante, sur des chaises assorties multicolores, Arnaud prit à nouveau les devants.

— Avant tout, je vous remercie de votre présence. Si j’ai provoqué cette petite réunion, j’ai une raison qui me tient à cœur, j’aimerais que nous nous regroupions pour obliger les gendarmes à nous dire la vérité sur la mort de nos parents.
— Mais de quelle vérité voulez-vous parler ?
— De la véritable raison qui a poussé nos proches à mourir.
— Le gendarme nous a dit qu’il s’agissait d’un suicide collectif, qu’ils faisaient partie d’une secte et qu’ils s’étaient adonnés à un rituel satanique.
— Votre mari, faisait-il partie d’une secte ? Vous l’avait-il confié ? Pour quelle raison était-il venu dans la région ?

Nadine Ballanger eu un moment d’hésitation, le flot de questions la submergeait, la bousculait.

— À vrai dire, je ne comprends pas, mon mari était souvent en déplacement, souvent en rendez-vous ou en réunion, toujours pour des raisons professionnelles. Son travail l’obligeait à beaucoup voyager. Il faisait de la promotion sur la France entière. Cette fois-ci aussi, comme à l’accoutumée, il m’avait dit partir pour rencontrer un particulier qui vendait des terrains, il envisageait la construction de chalets de luxe.
— Dans quelle région ?
— Pas loin d’ici, dans la station de Saint-Pierre de Chartreuse.
— Donc, pour vous, il était parti pour travailler, pas pour se rendre à une réunion au sein d’une secte ?
— Un jour, j’ai pensé, qu’il était franc-maçon, mais ce n’est pas une secte, c’est un groupement de gens influents, m’a-t-il répondu quand je l’ai questionné, c’est bien cela n’est-ce pas ? Une secte, faire partie d’une secte, c’est impensable.
— Oui, à présent c’est à peu près cela et… était-il franc-maçon ?
— Il m’avait affirmé que non. Des francs-maçons il en connaissait, ce n’était pour lui que des relations professionnelles.
— Pourtant ils ont tendance à travailler principalement entre eux, l’entraide n’est pas un vain mot au sein des loges.
— Je crois que son collaborateur, qui fait aussi partie des victimes, l’est.
— Quel est son nom ?
— Eitan Bender, il est architecte et associé avec mon mari sur plusieurs affaires.
— Il était ici pour la même raison, le projet des chalets ?
— Oui.
— Mon père aussi s’intéressait à la Franc-maçonnerie, je sais qu’il possède un ouvrage sur le sujet, mais comme votre époux il disait ne pas en faire partie.
— Si je ne me trompe pas, c’est une appartenance qu’ils doivent garder secrète. Reprit le compagnon de Nadine Ballanger.
— Oh ! excusez-moi, je ne vous ai pas présenté, Cyril est mon beau-frère, le frère de mon mari.
— Je vous en prie, dans les circonstances, nous ne pouvons pas penser à tout. L’appartenance reste cachée pour les personnes qu’ils ne jugent pas dignes de porter ce secret, en général les proches sont informés.
— Et vous, mademoiselle, votre frère était-il franc-maçon ? interrogea Cyril.
— Non, je ne crois pas, il ne m’en a jamais parlé.
— Votre frère vous avait-il dit qu’il venait dans la région ? enchaîna Arnaud.
— Non, il ne me prévenait pas toujours quand il s’absentait pour peu de temps. Nous sommes très proches, mais il est marié, nous avons chacun notre vie.
— Oui, bien sûr, je comprends.
— Pourquoi pensez-vous que les gendarmes nous cachent la vérité ; ils m’ont parlé d’une secte, dans le style de l’ordre du temple solaire, pour vous ce ne serait pas cela ?
— Je ne pense pas qu’ils nous cachent la vérité, mais je trouve le raccourci un peu facile. Il est juste, le massacre de l’OTS a eu lieu pas très loin d’ici et il s’agissait également de morts multiples. Les faits, c’est vrai, font penser en beaucoup de points au drame du Vercors. Mais que je sache, jusqu’à preuve du contraire, mon père ne faisait partie d’aucune secte et il n’avait aucune raison de se donner la mort. Pour moi, on l’a certainement poussé à accomplir ce geste, peut-être même l’a-t-on fait pour lui.
— C’est effrayant ! souffla Sybille Dienko, dans un mouvement de désespoir.
— Peut-être que cette mise en scène a été inspirée par l’histoire du temple solaire, pour brouiller les pistes et cacher des meurtres, c’est ce que je veux savoir.
— Des meurtres ! Pour quelle raison aurait-on voulu tuer mon mari, son associé, votre père, votre frère et les autres ?
— Je suis persuadé qu’une explication existe, pas l’existence d’une secte, autre chose. Je suis journaliste, j’ai par formation professionnelle l’habitude de décortiquer les affaires et d’en chercher les fondements. Je ne pourrai vivre en paix qu’une fois convaincu de détenir la vérité. Est-ce que la famille de monsieur Bender est ici ?
— Pas encore, ils ont été prévenus, ils étaient en Allemagne dans de la famille pour les vacances. Je crois qu’ils arrivent demain.
— Si vous le voulez, nous échangeons nos numéros et je vous tiens au courant de mes recherches.

Arnaud enregistra les coordonnées des Ballanger puis le groupe se sépara. Sybille, éreintée par les dernières heures qui venaient de s’écouler, prit la décision de retourner dans son gîte, un petit chalet situé à un peu plus d’un kilomètre du centre ; qu’elle avait eu la chance de louer pour quelques jours, le temps de régler les formalités pour son frère. Les Ballanger firent de même se dirigeant vers un autre gîte situé avenue Victor Hugo à l’entrée de la ville.

Trop tôt pour avoir les résultats de l’autopsie, Arnaud ne savait que faire. Cette situation d’attente ne lui convenait pas, à l’image de ses compagnons, il décida de rentrer à son hôtel. Il était temps de mettre à profit ces heures d’inoccupation pour contacter ses proches et vérifier ses mails.

À dix-huit heures quinze, la sonnerie de son portable l’extirpa de son courrier. Duffaut venait d’obtenir les résultats de l’autopsie. Le légiste, dans ses dernières constatations, avait indiqué aux gendarmes que chacune des victimes s’était droguée avant de procéder au rituel mortel. Tous révélaient des traces de Zolpidem, à hauteur de trente milligrammes, le triple d’une prise normale. Molécule présente dans le Stilnox, un hypnotique et sédatif. Somnifère puissant, apparenté à un stupéfiant.

Suite à cette prise de médicament, les sujets avaient dû se sentir dans un monde de coton et auront, en semi-conscience, pratiqué leur cérémonial. Leur décès étant causé par la blessure létale, des armes plantées sous le sternum en direction du cœur. Tous, étant décédés sur le coup ou dans les secondes qui suivirent. Arnaud n’en revenait pas, son père drogué par la prise d’un médicament en surdosage, lui qui avait horreur, d’avaler le moindre caché ; il aimait laisser faire la nature et attendre que ses maux passent comme ils étaient venus.

Tout comme cette arme plantée de bas en haut, comment cela était-il possible de s’infliger une telle mort, comment ce geste était-il possible à s’autoadministrer ?

La dernière mauvaise nouvelle fut que le procureur bloquait le permis d’inhumer, sans en donner la raison ; Arnaud se voyait coincé en chartreuse, ne sachant pour combien de jours.

***

La nuit de plus aux Échelles ne fut pas meilleure, les mêmes cauchemars, les mêmes réveils nocturnes. Toutes ces informations impossibles à croire, à digérer. Dans ces décès multiples, quelque chose ne tournait pas rond. Il ne pouvait pas rester dans la région, à attendre le bon vouloir du procureur ; son départ précipité, imprévu, ne lui avait pas permis de réfléchir, de prévoir, retourner à Paris s’avérait indispensable pour organiser les semaines à venir.

À neuf heures cinq, Arnaud reprit la route pour la capitale. Avec une enquête à mener et l’enterrement à gérer, aussi bien en Chartreuse que sur la Côte d’Azur, c’était plusieurs jours loin de chez lui à prévoir.

Paris

Cinq heures et demie plus tard, il passa la porte de son appartement, avenue de Valois, dans le huitième arrondissement à Paris. Il vivait seul, pour des raisons professionnelles il avait investi la capitale ; des aventures de temps à autre, mais aucune ne l’avait poussée à s’engager dans une vie de couple. Arnaud n’était pas pressé, il attendait le bon moment, la bonne personne. Mais ce retour à son domicile, résolument vide, lui donna un coup de cafard, il aurait bien aimé une épaule pour s’épancher, pour partager ces heures de douleur.

La soirée qui s’annonçait ne lui convenait pas, rester isolé dans son « trois pièces » à brouiller du noir n’était pas la meilleure façon de rebondir après le drame qui venait de l’atteindre. Il devait avancer, regarder devant, trouver les raisons de ce carnage ; Arnaud attrapa son téléphone et appela Marc Latil. Marc avant d’être flic à la DGSI était le meilleur ami du journaliste ; ami indéfectible depuis une dizaine d’années. Lui, savait écouter, parler, mais aussi lâcher prise quand il le fallait, profiter de la vie et s’accorder de très bons moments, un épicurien, raisonnable à ses heures.

L’heure tardive et la limite alcoolémique dépassée allègrement, Arnaud resta dormir chez son ami, aidé par une légère ébriété sédative, il eut une nuit paisible dénuée de tout cauchemar.

***

Marc, la veille, au cours de la soirée, promit à Arnaud de l’aider dans sa quête à la vérité ; lui aussi était sceptique aux conclusions des gendarmes. Le père de son ami, qu’il avait eu le plaisir de croiser durant des week-ends ou de courtes vacances sur la Côte, à la villa Le Ponant ; lui était apparu comme un homme avec la tête sur les épaules, loin de croyances ou de pratiques satanistes et sectaires. Le profil de Richard Deleuze ne correspondait pas du tout à la personnalité que les pandores de Saint-Laurent-du-Pont voulaient lui prêter.

Un léger mal de tête accompagna Arnaud toute la matinée, les mélanges d’alcool n’avaient pas fait très bon ménage ; il prépara une valise et un sac de sport largement rempli pour tenir un temps indéterminé. Chaque heure, il vérifia son téléphone, cet appel qu’il attendait ne venait pas ; Duffaut le lui avait pourtant promis, dès que le procureur donnait son accord pour enfin reprendre possession du corps de son père, il lui en informerait, l’attente était longue et pénible. Ce retour à Cannes, à la villa, qu’il craignait d’un côté et qu’il avait en impatience d’un autre, avec l’espoir de trouver une explication. La preuve d’une appartenance à une secte ou des courriers, des menaces, la trace d’une personne qui lui aurait voulu du mal.

Les heures défilèrent, Arnaud géra, son travail, les préparatifs des obsèques, il s’était attaché à remplir cette journée au maximum pour éviter de trop penser. Marc lui avait laissé un message, en milieu d’après-midi, avec l’interdiction de passer la soirée seul ; le fils Deleuze avait accepté, la compagnie de son ami lui était bénéfique, un soutien qu’il appréciait, dont il ne voulait pas se priver.

***

La nuit faite de partitions inachevées, de mauvais rêves, de courts moments d’assoupissements, de réveils en sursaut, la fatigue avait finalement pris le dessus en fin de nuit. La sonnerie du téléphone sortit Arnaud de cette dernière tranche de sommeil.

Avant de répondre, il regarda l’heure, huit heures cinquante-deux. Enfin, l’appel tant attendu. Duffaut venait de recevoir l’accord du procureur ; Richard Deleuze pouvait être inhumé. Autre nouvelle, la Mercedes avait été retrouvée, elle était stationnée sur le parking du musée de la Grande Chartreuse à la Correrie. Les clefs récupérées, dans les poches de Richard Deleuze, se trouvaient à la gendarmerie de Saint-Laurent-du-Pont.

Avant de prendre la route pour la Savoie, il lui restait à finaliser ses dernières démarches. Arnaud appela la compagnie de pompes funèbres, la mise en bière pouvait être effectuée et le transport du corps jusqu’à l’Athanée de Cannes réalisé.

Le directeur confirma, la première possibilité se révélait être en tout début de semaine. L’enterrement fut prévu pour le lundi neuf novembre à neuf heures trente. Dernière formalité, faire rapatrier la voiture de son père. Arnaud prit contact avec un convoyeur, l’entrepreneur s’engagea à s’occuper de tout et lui donna rendez-vous pour le lundi suivant au Ponant pour la livraison de la Mercedes.

Les jours prochains s’annonçaient terriblement difficiles, ce fut sur cette ultime pensée qu’il démarra sa voiture.

À quinze heures cinquante-cinq, Arnaud disposait finalement des documents, déclaration de décès de la part du légiste ; ainsi que les autorisations provenant du procureur, pour la fermeture du cercueil et le transport du corps. Avant de quitter la gendarmerie, il demanda à l’officier un service, utiliser le fax pour faire parvenir les documents au prestataire funéraire ; l’entreprise s’était engagée à faire le nécessaire le lendemain de la réception des papiers. C’était ce que voulait le jeune homme, faire rapatrier le corps au plus tôt. La démarche faite, Arnaud abandonna Duffaut et ses collègues.

Un coup d’œil à sa montre, dormir aux Échelles, comme précédemment, ne l’enchantait pas ; Cannes se trouvait à moins de quatre heures et demie de route, à vingt-heures trente il pouvait être au « Ponant ». Ce n’était pas trop tard, il opta pour cette solution ; même si ce retour dans cette condition s’annonçait difficile, il préféra se retrouver dans son autre chez lui.

 

 

 

 

 

Cannes

 

 

 

Seul dans son véhicule, en direction du col Saint-Antoine, le film des dernières heures défilait dans le silence de l’habitacle de l’Audi. Le coupé filait toujours vers de la villa de Richard Deleuze, pied-à-terre d’Arnaud lorsqu’il descendait sur la côte ; pied-à-terre cossu et retiré de l’effervescence du centre-ville, paradis azuréen avec vue mer où il avait en permanence une chambre, sa chambre qui l’attendait. Cette villa, située dans les quartiers résidentiels de la ville, Richard Deleuze l’avait transpirée, ce n’était qu’après plusieurs années de labeur qu’il avait réussi à l’obtenir ; à une époque où les prix ne s’étaient pas encore envolés. Cette maison c’était son père, le fruit de son travail et le lieu où il avait grandi.

 

L’Audi se présenta devant le portail de bois blanc de la villa « Le Ponant », ses pensées quittèrent la gendarmerie de Saint-Laurent-du-Pont, la Ruchère et les familles rencontrées. À la vue de la propriété, Arnaud sentit son cœur battre plus fort. Son paradis azuréen avait perdu son statut.

 

Les pièces lui semblaient encore plus grandes, encore plus vides, vides de la chaleur, de la présence du propriétaire.

 

Cinq jours s’étaient passés depuis la macabre découverte, cinq jours d’attente, cinq jours à entendre la même litanie, cinq jours à entendre que son père était membre d’une secte satanique. Vérité incroyable, vérité impossible. Son père drogué, sous influence, son père en transe au point d’accepter la mort, au point de demander son salut et envisager sa réincarnation, son père adepte de l’apocatastase1. Arnaud Deleuze, trompé par ce paternel qu’il pensait si bien connaître, ce père si doux, si prévenant, son père qui l’avait toujours soutenu. Ce père, démon à ses heures, cherchant l’amitié de dieu au travers de sa propre mort… Les premières conclusions d’enquête n’étaient que grotesques, Richard n’avait pas pu accepter sa mort, cette mort ; Arnaud en était persuadé, les gendarmes se fourvoyaient ; au cœur de ces murs encore emplis de sa présence, Arnaud le flairait, il existait une autre vérité. Arnaud Deleuze avait besoin de sa vérité, avait la volonté de comprendre.

 

Quelques minutes après s’être installé, le jeune homme ressentait la nécessité de manger un peu, depuis son départ de Paris il n’avait rien avalé. Il se sentait en hypoglycémie, une fatigue inhabituelle l’envahissait. Ouvrant la porte du réfrigérateur, il fut surpris, celui-ci était plein, signe que son père comptait bien revenir peu de temps après son déplacement en Chartreuse. Il trouva, après avoir vérifié les dates limites de consommation, largement de quoi dîner. Se faire ce qu’il appelait avec son père, une « saussissonade », plus génériquement une assiette de charcuterie, qu’il accompagna avec une Côte du Rhône prêt à être ouvert, en attente sur le plan de travail de la cuisine. Arnaud avait une confirmation de plus, Richard Deleuze, n’était pas parti pour mourir, mais pour revenir.

 

***

 

Après avoir passé quelques heures à prévenir autres proches et amis, vérifier dans le quotidien régional les termes de l’avis de décès et régler certaines formalités encore en suspens, Arnaud se laissa aller dans ses pensées.

 

Toujours cette supposition qui le tourmentait, son père adepte d’une secte, d’une secte qui pourrait être satanique. Impossible… Franc-maçon peut-être, pourquoi pas, et encore, cacher cette appartenance à sa famille n’avait aucun sens. Il n’y avait pas de honte à être franc-maçon. Mais sataniste… Non ! Arnaud ne voulait pas y croire, ne pouvait pas y croire.

 

Les yeux rivés sur l’horizon, le regard noyé dans le gris du ciel qui se confondait avec la mer aux couleurs changeantes. Étendue d’eau attirante et envoûtante, poussée par un vent se voulant violent et turbulent, virant du bleu à l’anthracite dans un élan de colère. Assis sur l’accoudoir du canapé, il désirait en avoir le cœur net, fouiller la maison, chercher une preuve de l’appartenance de son père à une secte ou à un groupement.

 

Méthodiquement, calmement, avec application, pas un tiroir, pas un secrétaire, pas un chevet, pas une étagère n’échappa à l’inspection. Toutes les pièces, du garage aux combles, du salon d’été aux chambres d’amis, tout avait reçu la visite d’Arnaud. Il était vingt heures douze, une journée entière de recherche méticuleuse et pas une trace de secte, pas de clan caché, pas de caste secrète ; le seul élément en rapport avec un groupement occulte c’était l’ouvrage de Jean Ferré, « Histoire de la Franc-maçonnerie par les textes », pas de quoi prouver quoi que ce soit. Décidément, la version du drame avancée par les gendarmes ne collait pas à la réalité de Richard Deleuze.

 

***

 

Arnaud décida de consacrer le week-end à continuer ses recherches, puisque la fouille de la villa avait été infructueuse, il opta pour la toile. Il alluma l’ordinateur, fit le code de déverrouillage, son père avait fait simple, comme beaucoup, sa date de naissance 1008, l’appareil s’activa.

 

La vérification de ses mails personnels effectuée, il ouvrit une nouvelle fenêtre et lança Google. Une idée venait de traverser son esprit, encore une, il devait trouver le noyau central de cette déferlante négative, il devait découvrir le lien entre les suicidés de la forêt du Selet. S’ils s’étaient retrouvés dans la mort, cela ne pouvait être sans raison. L’écran bascula d’un fond bleu ciel à un blanc neige sur lequel les lettres du moteur de recherche se détachaient, irisaient des quatre couleurs qui les composaient. Dans la fenêtre numérique, il inscrivit le nom des six victimes, réfléchit un instant et continua par secte, satanisme, réunion, rassemblement, puis fit « Entrée ».

 

Sur l’écran, la déception s’afficha, seul un message pour fin de non-recevoir. Aucune page ne contenait tous ces termes de recherche. Il essaya à nouveau en supprimant l’idée de la secte, toujours rien. Son impatience à trouver un résultat allait contre la réussite. Changeant de méthode, il dactylographia les noms un par un. Pour Deleuze, aucune surprise après plusieurs lignes sur le philosophe Gilles Deleuze ; Arnaud parcourait des rapports d’audience, des jugements ayant fait jurisprudence. Toutes des affaires en rapport avec son père. Président du tribunal de commerce de Cannes, Richard Deleuze y siégeait régulièrement. Mais en dehors de ce contexte qu’il pouvait considérer exclusivement professionnel ; pas un élément ne parlait de secte, de satanisme, ni même de réunion. Dienko fut un échec également, à part Dimitri Dienko qui avait un profil Facebook ; seuls deux résultats en français sans aucun rapport et des pages dans toutes les langues pour la plupart incompréhensibles, l’ombre d’une secte était toujours absente. Avec Molay, pas plus de succès, des listes de Molay qui ne menaient à rien ; bien qu’il ait été l’organisateur supposé, il n’avait jamais fait parler de sa personne.

 

Arnaud commença à désespérer, son idée lumineuse perdait de son éclat à chaque lien qu’il ouvrait. Le patronyme de Ribaucourt fut plus riche en informations, enfin. Des rubriques, de nombreux sites, des pages entières sur Ribaucourt et la Franc-maçonnerie ; il débuta la lecture d’un article.

« En 1910, Camille Savoire et Édouard de Ribaucourt réveillèrent le rite “Écossais rectifié” –autrefois dénommé le “Rite templier”, à l’orient de Lyon – grâce à l’appui du Grand Prieuré d’Helvétie ; puissance maçonnique suisse chargée d’administrer les hauts gradés du rite “Écossais rectifié”. Ils créèrent une loge qu’ils appelèrent “Le Centre des Amis”, en hommage à une loge disparue, qui fonctionna jusqu’en 1838 au rite “Écossais rectifié”. Le 15 mars 1911, le Grand Orient de France et le Grand Directoire de Genève signèrent un accord pour que la loge “Le Centre des Amis” puisse travailler au rite “Écossais rectifié” au sein du Grand Orient de France.

 

En 1913, le Grand Orient de France s’opposa à la référence au Grand Architecte de l’Univers. Les Frères du “Centre de l’Union” quittèrent leur obédience pour ériger leur loge en une “Grande Loge Indépendante et Régulière pour la France et les colonies”. La Grande Maîtrise fut assurée par Édouard de Ribaucourt. Le 3 décembre de la même année, cette nouvelle loge était reconnue par la Grande Loge Unie d’Angleterre. Dès sa reconnaissance, elle fut rejointe par la loge “l’Anglaise 204″. »

 

Un Ribaucourt, piliers d’une Grande Loge, un lien éventuel et lointain avec son père, l’intérêt pour la Franc-maçonnerie. Dominique Ribaucourt était-elle une descendante de ce Grand Maître ? Faisait-elle partie d’une loge mixte dans laquelle son père aurait été membre secrètement ? Et puis même, être franc-maçon ce n’était pas être sataniste… Il prit quelques notes et se promit de prendre contact au plus tôt avec la famille Ribaucourt.

 

Il resta à Arnaud deux noms à rechercher. Ballanger fut le premier qu’il mentionna sur l’écran. Homme politique, artiste peintre, championne du monde de cyclisme, pédophile soupçonné sans preuve ; des docteurs, des industriels, des professeurs défilaient de fenêtre en fenêtre. Des Ballanger et des rapports au satanisme des pages complètes, de quoi se noyer dans une multitude de faits divers, de documentaires, de films, souvent en anglais et rarement sur le sol français. Arnaud ne savait plus quoi en penser. Devait-il faire un rapprochement avec son père, un Ballanger sataniste aurait-il sévi en France ?

 

Ne trouvant aucune réponse à cette question, il écrivit sans grand espoir le dernier nom de la liste, Bender. Ce patronyme ne lui apporta aucune information intéressante, à part Valentine Bender, née à Bruxelles, sculptrice belge, il ne découvrit rien d’autre. Par acquit de conscience, il décida de vérifier s’il y avait une relation entre les francs-maçons et le satanisme. À force d’insistance, il tomba sur un document rapportant l’histoire de la Franc-maçonnerie.