Épîtres - Voltaire - E-Book

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Voltaire

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Extrait : "Noble sang du plus grand des rois, Son amour et notre espérance, Vous qui, sans régner sur la France, Régnez sur le cœur des François, Pourrez-vous souffrir que ma veine, Par un effort ambitieux, Ose vous donner une étrenne, Vous qui n'en recevez que de la main des dieux ? La nature en vous faisant naître, Vous étrenna de ses plus doux attraits, Et fit voir dans vos premiers traits, Que le fils de Louis était digne de l'être."À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARANLes éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes. LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants : • Livres rares• Livres libertins• Livres d'Histoire• Poésies• Première guerre mondiale• Jeunesse• Policier

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EAN : 9782335091281

©Ligaran 2015

ÉPÎTRE I À monseigneur, fils unique de Louis XIV

(1706 ou 1707)

Noble sang du plus grand des rois,
Son amour et notre espérance,
Vous qui, sans régner sur la France,
Régnez sur le cœur des François,
Pourrez-vous souffrir que ma veine,
Par un effort ambitieux,
Ose vous donner une étrenne,
Vous qui n’en recevez que de la main des dieux ?
La nature en vous faisant naître
Vous étrenna de ses plus doux attraits,
Et fit voir dans vos premiers traits
Que le fils de Louis était digne de l’être.
Tous les dieux à l’envi vous firent leurs présents :
Mars vous donna la force et le courage ;
Minerve, dès vos jeunes ans,
Ajouta la sagesse au feu bouillant de l’âge ;
L’immortel Apollon vous donna la beauté :
Mais un dieu plus puissant, que j’implore en mes peines,
Voulut aussi me donner mes étrennes,
En vous donnant la libéralité.
ÉPÎTRE II À madame la comtesse de Fontaines, sur son roman de la comtesse de Savoie

(1713)

La Fayette et Segrais, couple sublime et tendre,
Le modèle, avant vous, de nos galants écrits,
Des champs élysiens, sur les ailes des Ris,
Vinrent depuis peu dans Paris :
D’où ne viendrait-on pas, Sapho, pour vous entendre ?
À vos genoux tous deux humiliés,
Tous deux vaincus, et pourtant pleins de joie,
Ils mirent leur Zaïde aux pieds
De la Comtesse de Savoie.
Ils avaient bien raison : quel dieu, charmant auteur,
Quel dieu vous a donné ce langage enchanteur,
La force et la délicatesse,
La simplicité, la noblesse,
Que Fénelon seul avait joint ;
Ce naturel aisé dont l’art n’approche point ?
Sapho, qui ne croirait que l’Amour vous inspire ?
Mais vous vous contentez de vanter son empire ;
De Mendoce amoureux vous peignez le beau feu,
Et la vertueuse faiblesse
D’une maîtresse
Qui lui fait, en fuyant, un si charmant aveu.
Ah ! pouvez-vous donner ces leçons de tendresse,
Vous qui les pratiquez si peu ?
C’est ainsi que Marot, sur sa lyre incrédule,
Du dieu qu’il méconnut prôna la sainteté :
Vous avez pour l’amour aussi peu de scrupule ;
Vous ne le servez point, et vous l’avez chanté.
Adieu ; malgré mes épilogues,
Puissiez-vous pourtant, tous les ans,
Me lire deux ou trois romans,
Et taxer quatre synagogues !
ÉPÎTRE III À monsieur l’abbé Servien , prisonnier au Château de Vincennes

(1714)

Aimable abbé, dans Paris autrefois
La Volupté de toi reçut des lois ;
Les Ris badins, les Grâces enjouées,
À te servir dès longtemps dévouées,
Et dès longtemps fuyant les yeux du roi,
Marchaient souvent entre Philippe et toi,
Te prodiguaient leurs faveurs libérales,
Et de leurs mains marquaient dans leurs annales,
En lettres d’or, mots et contes joyeux,
De ton esprit enfants capricieux.
Ô doux plaisirs, amis de l’innocence,
Plaisirs goûtés au sein de l’indolence,
Et cependant des dévots inconnus !
Ô jours heureux ! qu’êtes-vous devenus ?
Hélas ! j’ai vu les Grâces éplorées,
Le sein meurtri, pâles, désespérées ;
J’ai vu les Ris, tristes et consternés,
Jeter les fleurs dont ils étaient ornés ;
Les yeux en pleurs, et soupirant leurs peines,
Ils suivaient tous le chemin de Vincennes,
Et, regardant ce château malheureux,
Aux beaux esprits, hélas ! si dangereux,
Redemandaient au destin en colère
Le tendre abbé qui leur servait de père.
N’imite point leur sombre désespoir ;
Et, puisque enfin tu ne peux plus revoir
Le prince aimable à qui tu plais, qui t’aime,
Ose aujourd’hui te suffire à toi-même.
On ne vit pas au donjon comme ici :
Le destin change, il faut changer aussi.
Au sel attique, au riant badinage,
Il faut mêler la force et le courage ;
À son état mesurant ses désirs,
Selon les temps se faire des plaisirs,
Et suivre enfin ; conduit par la nature,
Tantôt Socrate, et tantôt Épicure.
Tel dans son art un pilote assuré,
Maître des flots dont il est entouré,
Sous un ciel pur où brillent les étoiles,
Au vent propice abandonne ses voiles,
Et, quand la mer a soulevé ses flots,
Dans la tempête il trouve le repos :
D’une ancre sûre il fend la molle arène,
Trompe des vents l’impétueuse haleine ;
Et, du trident bravant les rudes coups,
Tranquille et fier, rit des dieux en courroux.
Tu peux, abbé, du sort jadis propice
Par ta vertu corriger l’injustice ;
Tu peux changer ce donjon détesté
En un palais par Minerve habité.
Le froid ennui, la sombre inquiétude,
Monstres affreux, nés dans la solitude,
De ta prison vont bientôt s’exiler.
Vois dans tes bras de toutes parts voler
L’oubli des maux, le sommeil désirable ;
L’indifférence, au cœur inaltérable,
Qui, dédaignant les outrages du sort,
Voit d’un même œil et la vie et la mort ;
La paix tranquille, et la constance altière,
Au front d’airain, à la démarche fière,
À qui jamais ni les rois ni les dieux,
La foudre en main, n’ont fait baisser les yeux.
Divinités des sages adorées,
Que chez les grands vous êtes ignorées !
Le fol amour, l’orgueil présomptueux,
Des vains plaisirs l’essaim tumultueux,
Troupe volage à l’erreur consacrée,
De leurs palais vous défendent l’entrée.
Mais la retraite a pour vous des appas :
Dans nos malheurs vous nous tendez les bras ;
Des passions la troupe confondue
À votre aspect disparaît éperdue.
Par vous, heureux au milieu des revers,
Le philosophe est libre dans les fers.
Ainsi Fouquet, dont Thémis fut le guide,
Du vrai mérite appui ferme et solide,
Tant regretté, tant pleuré des neuf Sœurs,
Le grand Fouquet, au comble des malheurs,
Frappé des coups d’une main rigoureuse,
Fut plus content dans sa demeure affreuse,
Environné de sa seule vertu,
Que quand jadis, de splendeur revêtu,
D’adulateurs une cour importune
Venait en foule adorer sa fortune.
Suis donc, abbé, ce héros malheureux ;
Mais ne va pas, tristement vertueux,
Sous le beau nom de la philosophie,
Sacrifier à la mélancolie,
Et par chagrin, plus que par fermeté,
T’accoutumer à la calamité.
Ne passons point les bornes raisonnables.
Dans tes beaux jours, quand les dieux favorables
Prenaient plaisir à combler tes souhaits,
Nous t’avons vu, méritant leurs bienfaits,
Voluptueux avec délicatesse,
Dans tes plaisirs respecter la sagesse.
Par les destins aujourd’hui maltraité,
Dans ta sagesse aime la volupté.
D’un esprit sain, d’un cœur toujours tranquille,
Attends qu’un jour, de ton noir domicile
On te rappelle au séjour bienheureux.
Que les Plaisirs, les Grâces, et les Jeux,
Quand dans Paris ils te verront paraître,
Puissent sans peine encore te reconnaître.
Sois tel alors que tu fus autrefois ;
Et cependant que Sully quelquefois
Dans ton château vienne, par sa présence,
Contre le sort affermir ta constance.
Rien n’est plus doux, après la liberté,
Qu’un tel ami dans la captivité.
Il est connu chez le dieu du Permesse :
Grand sans fierté, simple et doux sans bassesse,
Peu courtisan, partant homme de foi,
Et digne enfin d’un oncle tel que toi.
ÉPÎTRE IV À madame de Montbrun-Villefranche

(1714)

Montbrun, par l’Amour adoptée,
Digne du cœur d’un demi-dieu,
Et, pour dire encore plus, digne d’être chantée
Ou par Ferrand, ou par Chaulieu ;
Minerve et l’enfant de Cythère
Vous ornent à l’envi d’un charme séducteur ;
Je vois briller en vous l’esprit de votre mère
Et la beauté de votre sœur :
C’est beaucoup pour une mortelle.
Je n’en dirai pas plus : songez bien seulement
À vivre, s’il se peut, heureuse autant que belle ;
Libre des préjugés que la raison dément,
Aux plaisirs où le monde en foule vous appelle
Abandonnez-vous prudemment.
Vous aurez des amants, vous aimerez sans doute :
Je vous verrai, soumise à la commune loi,
Des beautés de la cour suivre l’aimable route,
Donner, reprendre votre foi.
Pour moi, je vous louerai ; ce sera mon emploi.
Je sais que c’est souvent un partage stérile,
Et que La Fontaine et Virgile
Recueillaient rarement le fruit de leurs chansons.
D’un inutile dieu malheureux nourrissons,
Nous semons pour autrui. J’ose bien vous le dire,
Mon cœur de la Duclos fut quelque temps charmé ;
L’amour en sa faveur avait monté ma lyre :
Je chantais la Duclos ; d’Uzès en fut aimé :
C’était bien la peine d’écrire !
Je vous louerai pourtant ; il me sera trop doux
De vous chanter, et même sans vous plaire ;
Mes chansons seront mon salaire :
N’est-ce rien de parler de vous ?
ÉPÎTRE V À monsieur l’abbé de ***, qui pleurait la mort de sa maîtresse

(1715)

Toi qui fus des plaisirs le délicat arbitre,
Tu languis, cher abbé ; je vois, malgré tes soins,
Que ton triple menton, l’honneur de ton chapitre,
Aura bientôt deux étages de moins.
Esclave malheureux du chagrin qui te dompte,
Tu fuis un repas qui t’attend !
Tu jeûnes comme un pénitent ;
Pour un chanoine quelle honte !
Quels maux si rigoureux peuvent donc t’accabler ?
Ta maîtresse n’est plus ; et, de ses yeux éprise,
Ton âme avec la sienne est prête à s’envoler !
Que l’amour est constant dans un homme d’église !
Et qu’un mondain saurait bien mieux se consoler !
Je sais que ta fidèle amie
Te laissait prendre en liberté
De ces plaisirs qui font qu’en cette vie
On désire assez peu ceux de l’éternité :
Mais suivre au tombeau ce qu’on aime,
Ami, crois-moi, c’est un abus.
Quoi ! pour quelques plaisirs perdus
Voudrais-tu te perdre toi-même ?
Ce qu’on perd en ce monde-ci,
Le retrouvera-t-on dans une nuit profonde ?
Des mystères de l’autre monde
On n’est que trop tôt éclairci.
Attends qu’à tes amis la mort te réunisse,
Et vis par amitié pour toi :
Mais vivre dans l’ennui, ne chanter qu’à l’office,
Ce n’est pas vivre, selon moi.
Quelques femmes toujours badines,
Quelques amis toujours joyeux,
Peu de vêpres, point de matines,
Une fille, en attendant mieux :
Voilà comme l’on doit sans cesse
Faire tête au sort irrité ;
Et la véritable sagesse
Est de savoir fuir la tristesse
Dans les bras de la volupté.
ÉPÎTRE VI À une dame, un peu mondaine et trop dévote

(1715)

Tu sortais des bras du Sommeil,
Et déjà l’œil du jour voyait briller tes charmes,
Lorsque le tendre Amour parut à ton réveil ;
Il te baisait les mains, qu’il baignait de ses larmes.
« Ingrate, te dit-il, ne te souvient-il plus
Des bienfaits que sur toi l’Amour a répandus ?
J’avais une autre espérance
Lorsque je te donnai ces traits, cette beauté,
Qui, malgré ta sévérité,
Sont l’objet de ta complaisance.
Je t’inspirai toujours du goût pour les plaisirs,
Le soin de plaire au monde, et même des désirs ;
Que dis-je ! ces vertus qu’en toi la cour admire,
Ingrate, tu les tiens de moi.
Hélas ! je voulais par toi
Ramener dans mon empire
La candeur, la bonne foi,
L’inébranlable constance,
Et surtout cette bienséance
Qui met l’honneur en sûreté,
Que suivent le mystère et la délicatesse,
Qui rend la moins fière beauté
Respectable dans sa faiblesse.
Voudrais-tu mépriser tant de dons précieux ?
N’occuperas-tu tes beaux yeux
Qu’à lire Massillon, Bourdaloue, et La Rue ?
Ah ! sur d’autres objets daigne arrêter ta vue :
Qu’une austère dévotion
De tes sens combattus ne soit plus la maîtresse ;
Ton cœur est né pour la tendresse,
C’est ta seule vocation.
La nuit s’avance avec vitesse ;
Profite de l’éclat du jour :
Les plaisirs ont leur temps, la sagesse a son tour.
Dans ta jeunesse fais l’amour,
Et ton salut dans ta vieillesse. »
 
Ainsi parlait ce dieu. Déjà même en secret
Peut-être de ton cœur il s’allait rendre maître ;
Mais au bord de ton lit il vit soudain paraître
Le révérend père Quinquet.
L’Amour, à l’aspect terrible
De son rival théatin,
Te croyant incorrigible,
Las de te prêcher en vain,
Et de verser sur toi des larmes inutiles,
Retourna dans Paris, où tout vit sous sa loi,
Tenter des beautés plus faciles,
Mais bien moins aimables que toi.
ÉPÎTRE VII À monsieur le duc d’Aremberg
D’Aremberg, où vas-tu ? penses-tu m’échapper ?
Quoi ! tandis qu’à Paris on t’attend pour souper,
Tu pars, et je te vois, loin de ce doux rivage,
Voler en un clin d’œil aux lieux de ton bailliage !
C’est ainsi que les dieux qu’Homère a tant prônés
Fendaient les vastes airs de leur course étonnés,
Et les fougueux chevaux du fier dieu de la guerre
Franchissaient en deux sauts la moitié de la terre.
Ces grands dieux toutefois, à ne déguiser rien,
N’avaient point dans la Grèce un château comme Enghien ;
Et leurs divins coursiers, regorgeant d’Ambroise,
Ma foi, ne valaient pas tes chevaux d’Italie.
Que fais-tu cependant dans ces climats amis
Qu’à tes soins vigilants l’empereur a commis ?
Vas-tu, de tes désirs portant partout l’offrande,
Séduire la pudeur d’une jeune Flamande,
Qui, tout en rougissant, acceptera l’honneur
Des amours indiscrets de son cher gouverneur ?
La paix offre un champ libre à tes exploits lubriques :
Va remplir de cocus les campagnes belgiques,
Et fais-moi des bâtards où tes vaillantes mains
Dans nos derniers combats firent tant d’orphelins.
Mais quitte aussi bientôt, si la France te tente,
Des tétons du Brabant la chair flasque et tremblante,
Et, conduit par Momus et porté par les Ris,
Accours, vole, et reviens t’enivrer à Paris.
Ton salon est tout prêt, tes amis te demandent ;
Du défunt Rothelin les pénates t’attendent.
Viens voir le doux La Faye aussi fin que courtois,
Le conteur Lasseré, Matignon le sournois,
Courcillon, qui toujours du théâtre dispose,
Courcillon, dont ma plume a fait l’apothéose,
Courcillon qui se gâte, et qui, si je m’en crois,
Pourrait bien quelque jour être indigne de toi.
Ah ! s’il allait quitter la débauche et la table,
S’il était assez fou pour être raisonnable,
Il se perdrait, grands dieux ! Ah ! cher duc, aujourd’hui
Si tu ne viens pour toi, viens par pitié pour lui !
Viens le sauver : dis-lui qu’il s’égare et s’oublie,
Qu’il ne peut être bon qu’à force de folie,
Et, pour tout dire enfin, remets-le dans tes fers.
Pour toi, près l’Auxerrois, pendant quarante hivers,
Bois, parmi les douceurs d’une agréable vie,
Un peu plus d’hypocras, un peu moins d’eau-de-vie.
ÉPÎTRE VIII À monsieur le prince Eugène

(1716)

Grand prince, qui, dans cette cour
Où la justice était éteinte,
Sûtes inspirer de l’amour,
Même en nous donnant de la crainte ;
Vous que Rousseau si dignement
A, dit-on, chanté sur sa lyre,
Eugène, je ne sais comment
Je m’y prendrai pour vous écrire.
Oh ! que nos Français sont contents
De votre dernière victoire !
Et qu’ils chérissent votre gloire,
Quand ce n’est pas à leurs dépens !
Poursuivez ; des musulmans
Rompez bientôt la barrière ;
Faites mordre la poussière
Aux circoncis insolents ;
Et, plein d’une ardeur guerrière,
Foulant aux pieds les turbans,
Achevez cette carrière
Au sérail des Ottomans :
Des chrétiens et des amants
Arborez-y la bannière,
Vénus et le dieu des combats
Vont vous en ouvrir la porte ;
Les Grâces vous servent d’escorte,
Et l’Amour vous tend les bras.
Voyez-vous déjà paraître
Tout ce peuple de beautés,
Esclaves des voluptés
D’un amant qui parle en maître ?
Faites vite du mouchoir
La faveur impérieuse
À la beauté la plus heureuse,
Qui saura délasser le soir
Votre Altesse victorieuse.
Du séminaire des Amours,
À la France votre patrie,
Daignez envoyer pour secours
Quelques belles de Circassie.
Le saint-père, de son côté,
Attend beaucoup de votre zèle,
Et prétend qu’avec charité
Sous le joug de la vérité
Vous rangiez ce peuple infidèle.
Par vous mis dans le bon chemin,
On verra bientôt ces infâmes,
Ainsi que vous, boire du vin,
Et ne plus renfermer leurs femmes.
Adieu, grand prince, heureux guerrier !
Paré de myrte et de laurier,
Allez asservir le Bosphore :
Déjà le Grand Turc est vaincu ;
Mais vous n’avez rien fait encore
Si vous ne le faites cocu.
ÉPÎTRE IX À madame de Gondrin, sur le péril qu’elle avait couru en traversant la Loire

(1716)

Savez-vous, gentille douairière,
Ce que dans Sully l’on faisait
Lorsqu’Éole vous conduisait
D’une si terrible manière ?
Le malin Périgny riait,
Et pour vous déjà préparait
Une épitaphe familière,
Disant qu’on vous repêcherait
Incessamment dans la rivière,
Et qu’alors il observerait
Ce que votre humeur un peu fière
Sans ce hasard lui cacherait.
Cependant L’Espar, La Vallière,
Guiche, Sully, tout soupirait ;
Roussy parlait peu, mais jurait ;
Et l’abbé Courtin, qui pleurait
En voyant votre heure dernière,
Adressait à Dieu sa prière,
Et pour vous tout bas murmurait
Quelque oraison de son bréviaire,
Qu’alors, contre son ordinaire,
Dévotement il fredonnait,
Dont à peine il se souvenait,
Et que même il n’entendait guère.
Chacun déjà vous regrettait.
Mais quel spectacle j’envisage !
Les Amours qui, de tous côtés,
Ministres de vos volontés,
S’opposent à l’affreuse rage
Des vents contre vous irrités.
Je les vois ; ils sont à la nage,
Et plongés jusqu’au cou dans l’eau ;
Ils conduisent votre bateau,
Et vous voilà sur le rivage.
Gondrin, songez à faire usage
Des jours qu’Amour a conservés ;
C’est pour lui qu’il les a sauvés :
Il a des droits sur son ouvrage.
ÉPÎTRE X À madame de ***

(1716)

De cet agréable rivage
Où ces jours passés on vous vit
Faire, hélas ! un trop court voyage,
Je vous envoie un manuscrit
Qui d’un écrivain bel esprit
N’est point assurément l’ouvrage,
Mais qui vous plaira davantage
Que le livre le mieux écrit :
C’est la recette d’un potage.
Je sais que le dieu que je sers,
Apollon, souvent vous demande
Votre avis sur ses nouveaux airs ;
Vous êtes connaisseuse en vers ;
Mais vous n’êtes pas moins gourmande.
Vous ne pouvez donc trop payer
Cette appétissante recette
Que je viens de vous envoyer.
Ma muse timide et discrète
N’ose encore pour vous s’employer.
Je ne suis pas votre poète ;
Mais je suis votre cuisinier.
Mais quoi ! le destin, dont la haine
M’accable aujourd’hui de ses coups,
Sera-t-il jamais assez doux
Pour me rassembler avec vous
Entre Comus et Melpomène,
Et que cet hiver me ramène
Versifiant à vos genoux ?
Ô des soupers charmante reine,
Fassent les dieux que les Guerbois
Vous donnent perdrix à douzaine,
Poules de Caux, chapons du Maine !
Et pensez à moi quelquefois,
Quand tous mangerez sur la Seine
Des potages à la Brunois.
ÉPÎTRE XI À Samuel Bernard, au nom de madame de Fontaine-Martel
C’est mercredi que je soupai chez vous,
Et que, sortant des plaisirs de la table,
Bientôt couchée, un sommeil prompt et doux
Me fit présent d’un songe délectable.
Je rêvai donc qu’au manoir ténébreux
J’étais tombée, et que Pluton lui-même
Me menait voir les héros bienheureux,
Dans un séjour d’une beauté suprême.
Par escadrons ils étaient séparés :
L’un après l’autre il me les fit connaître.
Je vis d’abord modestement parés
Les opulents qui méritaient de l’être.
Voilà, dit-il, les généreux amis ;
En petit nombre ils viennent me surprendre :
Entre leurs mains les biens ne semblaient mis
Que pour avoir le soin de les répandre.
Ici sont ceux dont les puissants ressorts,
Crédit immense, et sagesse profonde,
Ont soutenu l’État par des efforts
Qui leur livraient tous les trésors du monde.
Un peu plus loin, sur ces riants gazons,
Sont les héros pleins d’un heureux délire,
Qu’Amour lui-même en toutes les saisons
Fit triompher dans son aimable empire.
Ce beau réduit, par préférence est fait
Pour les vieillards dont l’humeur gaie et tendre
Paraît encore avoir ses dents de lait,
Dont l’enjouement ne saurait se comprendre.
D’un seul regard tu peux voir tout d’un coup
Le sort des bons, les vertus couronnées ;
Mais un mortel m’embarrasse beaucoup ;
Ainsi je veux redoubler ses années.
Chaque escadron le revendiquerait.
La jalousie au repos est funeste :
Venant ici, quel trouble il causerait !
Il est là-haut très heureux ; qu’il y reste. »
ÉPÎTRE XII À madame de G***

(1716)

Quel triomphe accablant, quelle indigne victoire
Cherchez-vous tristement à remporter sur vous ?
Votre esprit éclairé pourra-t-il jamais croire
D’un double Testament la chimérique histoire,
Et les songes sacrés de ces mystiques fous,
Qui, dévots fainéants et pieux loups-garous,
Quittent de vrais plaisirs pour une fausse gloire ?
Le plaisir est l’objet, le devoir et le but
De tous les êtres raisonnables ;
L’amour est fait pour vos semblables ;
Les bégueules font leur salut.
 
Que sur la volupté tout votre espoir se fonde ;
N’écoutez désormais que vos vrais sentiments :
Songez qu’il était des amants
Avant qu’il fût des chrétiens dans le monde.
 
Vous m’avez donc quitté pour votre directeur.
Ah ! plus que moi cent fois Couët est séducteur.
Je vous abusai moins ; il est le seul coupable :
Chloé, s’il vous faut une erreur,
Choisissez une erreur aimable.
Non, n’abandonnez point des cœurs où vous régnez.
D’un triste préjugé victime déplorable,
Vous croyez servir Dieu ; mais vous servez le diable,
Et c’est lui seul que vous craignez.
La superstition, fille de la faiblesse,
Mère des vains remords, mère de la tristesse,
En vain veut de son souffle infecter vos beaux jours ;
Allez, s’il est un Dieu, sa tranquille puissance
Ne s’abaissera point à troubler nos amours :
Vos baisers pourraient-ils déplaire à sa clémence ?
La loi de la nature est sa première loi ;
Elle seule autrefois conduisit nos ancêtres ;
Elle parle plus haut que la voix de vos prêtres,
Pour vous, pour vos plaisirs, pour l’amour, et pour moi.
ÉPÎTRE XIII À monsieur le duc d’Orléans, régent

(1716)

Prince chéri des dieux, toi qui sers aujourd’hui
De père à ton monarque, à son peuple d’appui ;
Toi qui, de tout l’État portant le poids immense,
Immoles ton repos à celui de la France ;
Philippe, ne crois point, dans ces jours ténébreux,
Plaire à tous les Français que tu veux rendre heureux :
Aux princes les plus grands, comme aux plus beaux ouvrages,
Dans leur gloire naissante il manque des suffrages.
Eh ! qui de sa vertu reçut toujours le prix ?
Il est chez les Français de ces sombres esprits,
Censeurs extravagants d’un sage ministère,
Incapables de tout, à qui rien ne peut plaire.
Dans leurs caprices vains tristement affermis,
Toujours du nouveau maître ils sont les ennemis ;
Et, n’ayant d’autre emploi que celui de médire,
L’objet le plus auguste irrite leur satire :
Ils voudraient de cet astre éteindre la clarté,
Et se venger sur lui de leur obscurité.
Ne crains point leur poison : quand tes soins politiques
Auront réglé le cours des affaires publiques,
Quand tu verras nos cœurs, justement enchantés,
Au-devant de tes pas volant de tous côtés,
Les cris de ces frondeurs, à leurs chagrins en proie,
Ne seront point ouïs parmi nos cris de joie.
Mais dédaigne ainsi qu’eux les serviles flatteurs,
De la gloire d’un prince infâmes corrupteurs ;
Que ta mâle vertu méprise et désavoue
Le méchant qui te blâme et le fat qui te loue.
Toujours indépendant du reste des humains,
Un prince tient sa gloire ou sa honte en ses mains ;
Et, quoiqu’on veuille enfin le servir ou lui nuire,
Lui seul peut s’élever, lui seul peut se détruire.
En vain contre Henri la France a vu longtemps
La calomnie affreuse exciter ses serpents ;
En vain de ses rivaux les fureurs catholiques
Armèrent contre lui des mains apostoliques ;
Et plus d’un monacal et servile écrivain
Vendit, pour l’outrager, sa haine et son venin ;
La gloire de Henri par eux n’est point flétrie :
Leurs noms sont détestés, sa mémoire est chérie.
Nous admirons encore sa valeur, sa bonté ;
Et longtemps dans la France il sera regretté.
Cromwell, d’un joug terrible accablant sa patrie,
Vit bientôt à ses pieds ramper la flatterie ;
Ce monstre politique, au Parnasse adoré,
Teint du sang de son roi, fut aux dieux comparé :
Mais malgré les succès de sa prudente audace,
L’univers indigné démentait le Parnasse,
Et de Waller enfin les écrits les plus beaux
D’un illustre tyran n’ont pu faire un héros.
Louis fit sur son trône asseoir la flatterie ;
Louis fut encensé jusqu’à l’idolâtrie.
En éloges enfin le Parnasse épuisé
Répète ses vertus sur un ton presque usé ;
Et, l’encens à la main, la docte Académie
L’endormit cinquante ans par sa monotonie.
Rien ne nous a séduits : en vain en plus d’un lien
Cent auteurs indiscrets l’ont traité comme un dieu ;
De quelque nom sacré que l’opéra le nomme,
L’équitable Français ne voit en lui qu’un homme.
Pour élever sa gloire on ne nous verra plus
Dégrader les Césars, abaisser les Titus ;
Et, si d’un crayon vrai quelque main libre et sûre
Nous traçait de Louis la fidèle peinture,
Nos yeux trop dessillés pourraient dans ce héros
Avec bien des vertus trouver quelques défauts.
Prince, ne crois donc point que ces hommes vulgaires
Qui prodiguent aux grands des écrits mercenaires,
Imposant par leurs vers à la postérité,
Soient les dispensateurs de l’immortalité.
Tu peux, sans qu’un auteur te critique ou t’encense,
Jeter les fondements du bonheur de la France ;
Et nous verrons un jour l’équitable univers
Peser tes actions sans consulter nos vers.
Je dis plus : un grand prince, un héros, sans l’histoire,
Peut même à l’avenir transmettre sa mémoire.
Taisez-vous, s’il se peut, illustres écrivains,
Inutiles appuis de ces honneurs certains ;
Tombez, marbres vivants, que d’un ciseau fidèle
Anima sur ses traits la main d’un Praxitèle ;
Que tous ces monuments soient partout renversés.
Il est grand, il est juste, on l’aime : c’est assez.
Mieux que dans nos écrits, et mieux que sur le cuivre,
Ce héros dans nos cœurs à jamais doit revivre.
L’heureux vieillard, en paix dans son lit expirant,
De ce prince à son fils fait l’éloge en pleurant ;
Le fils, encore tout plein de son règne adorable,
Le vante à ses neveux ; et ce nom respectable,
Ce nom dont l’univers aime à s’entretenir,
Passe de bouche en bouche aux siècles à venir.
C’est ainsi qu’on dira chez la race future :
Philippe eut un cœur noble ; ami de la droiture,
Politique et sincère, habile et généreux,
Constant quand il fallait rendre un mortel heureux ;
Irrésolu, changeant, quand le bien de l’empire
Au malheur d’un sujet le forçait à souscrire ;
Affable avec noblesse, et grand avec bonté,
Il sépara l’orgueil d’avec la majesté ;
Et le dieu des combats, et la docte Minerve,
De leurs présents divins le comblaient sans réserve ;
Capable également d’être avec dignité
Et dans l’éclat du trône et dans l’obscurité :
Voilà ce que de toi mon esprit se présage.
Ô toi de qui ma plume a crayonné l’image,
Toi de qui j’attendais ma gloire et mon appui,
Ne chanterai-je donc que le bonheur d’autrui ?
En peignant ta vertu, plaindrai-je ma misère ?
Bienfaisant envers tous, envers moi seul sévère,
D’un exil rigoureux tu m’imposes la loi ;
Mais j’ose de toi-même en appeler à toi.
Devant toi je ne veux d’appui que l’innocence ;
J’implore ta justice, et non point ta clémence.
Lis seulement ces vers, et juge de leur prix ;
Vois ce que l’on m’impute, et vois ce que j’écris.
La libre vérité qui règne en mon ouvrage
D’une âme sans reproche est le noble partage ;
Et de tes grands talents le sage estimateur
N’est point de ces couplets l’infâme et vil auteur.
Philippe, quelquefois sur une toile antique
Si ton œil pénétrant jette un regard critique,
Par l’injure du temps le portrait effacé
Ne cachera jamais la main qui l’a tracé ;
D’un choix judicieux dispensant la louange,
Tu ne confondras point Vignon et Michel-Ange.
Prince, il en est ainsi chez nous autres rimeurs ;
Et si tu connaissais mon esprit et mes mœurs,
D’un peuple de rivaux l’adroite calomnie
Me chargerait en vain de leur ignominie ;
Tu les démentirais, et je ne verrais plus
Dans leurs crayons grossiers mes pinceaux confondus ;
Tu plaindrais par leurs cris ma jeunesse opprimée ;
À verser les bienfaits ta main accoutumée
Peut-être de mes maux voudrait me consoler,
Et me protégerait au lieu de m’accabler.
ÉPÎTRE XIV À monsieur l’abbé de Bussy, depuis évêque de Luçon

(1716)

Ornement de la bergerie