Érotisme - Encyclopaedia Universalis - E-Book

Érotisme E-Book

Encyclopaedia Universalis

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Innombrables sont les avatars d'Érôs dont la définition heuristique pourrait être : le désir ascensionnel. Or, ce désir – il se confond ici avec le regard olympien – anime les philosophies du concept ; il est à l'_x009c_œuvre dans les théologies de l'histoire qui lisent synoptiquement les événements, comme dans les techniques qui, prenant l'homme...

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Universalis, une gamme complète de resssources numériques pour la recherche documentaire et l’enseignement.

ISBN : 9782852297388

© Encyclopædia Universalis France, 2019. Tous droits réservés.

Photo de couverture : © Karavai/Shutterstock

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Érotisme

Introduction

Innombrables sont les avatars d’Érôs dont la définition heuristique pourrait être : le désir ascensionnel. Or, ce désir – il se confond ici avec le regard olympien – anime les philosophies du concept ; il est à l’œuvre dans les théologies de l’histoire qui lisent synoptiquement les événements, comme dans les techniques qui, prenant l’homme pour matériau, prétendent ployer selon leur dessein la machine humaine.

On discerne trop évidemment le désir ascensionnel dans la dérive érotique contemporaine où l’on voit l’animal humain, l’homme de chair et de sang, mettre tout son esprit à se faire à la fois sujet et objet d’extase. Dans l’utopie marcusienne par exemple, « le corps, qui ne serait plus utilisé comme un instrument de travail à plein temps, se resexualiserait. [...] Tout le corps deviendrait un objet de cathexis, une chose pour jouir, un instrument de plaisir » (Érôs et civilisation). Dans un livre qui se lisait à des centaines de milliers d’exemplaires, la poursuite de ce « faux infini », l’Érosphère, univers de l’amour total, est présentée comme l’étape nécessaire de l’évolution vers le point Oméga.

« L’érotisme est dans la conscience de l’homme ce qui met en lui l’être en question », déclare Georges Bataille dans L’Érotisme. L’expérience que l’on en fait demande « une sensibilité non moins grande à l’angoisse fondant l’interdit qu’au désir menant à l’enfreindre », ajoute-t-il. Et André Pieyre de Mandiargues de définir l’érotisme : « une illumination passionnée du sexe de l’homme dans ses jeux voluptueux ou dramatiques, jusque dans les plus extrêmes de ses outrances et de ses anomalies ».

La réclamation érotique contemporaine, toute positive et nihiliste qu’elle soit – elle vient dans une perspective d’un après la mort de Dieu –, est plus complexe et plus riche qu’il n’y paraît. Sans doute faut-il la situer, à l’étonnement de plusieurs, en priorité par rapport à la grande tradition platonicienne et nécessairement en contexte religieux, si du moins on accepte de comprendre la religion comme la quête d’un infini, serait-il un faux infini, comme une polarisation de l’agir humain.

L’Érôs platonicien exprime le désir humain de réduire les limites de sa condition afin d’accéder à une vision totalisante – synoptique – de la réalité. Pris dans la vague du désir, enthousiaste et comme ivre, le possédé d’Érôs prétend refaire en sens inverse l’itinéraire de sa chute : non plus de l’Un au multiple mais, traversant les choses, autrui et ses propres puissances, du multiple à l’Un. Il traverse, c’est-à-dire ne s’arrête pas. Tourné vers le Haut, absent de lui comme des objets qu’il traverse, ce possédé est littéralement aliéné.

On ne s’arrêtera à Aristote que pour y cueillir une formule éclairante : « La cause finale meut comme un objet d’amour » (Métaphysique, Λ, 7, 1072). Dans un univers en mouvement, les êtres tendent à s’identifier à l’Acte pur qui les attire à lui.

Pour annuler sa différence (entendons sa chute, sa « création » si l’on veut, quoique ce terme ait une consonance chrétienne), pour racheter sa singularité, l’homme plotinien est en quête d’un salut par coïncidence avec l’Un. Il fuit seul vers Lui seul, cherchant à retrouver le contact tangentiel avec l’Un qui le constitue (Ennéades, VI, IX, 11). Certes, il ne parviendra pas à la coïncidence qui effacerait son individualité, mais il « saura de science certaine qu’on ne voit le principe que par le principe et que le semblable ne s’unit qu’au semblable » (ibid.). Dans une page qu’il faudrait pouvoir citer entière, Plotin, reprenant Banquet, 180, sur l’inséparabilité d’Érôs et d’Aphrodite, déclare : « Toute âme est une Aphrodite. [...] Par nature l’âme aime Dieu, à qui elle veut s’unir, comme une vierge aime un père honnête d’un amour honnête. »

La description du retour à Dieu dans les termes d’un symbolisme érotique ne devrait pas étonner – du reste Mario Praz, ici même, relève qu’elle caractérise l’art de nombreux peuples. Elle est classique dans l’hindouisme : « De même qu’un homme embrassé par sa bien-aimée ne sait plus rien du « je » et du « tu », ainsi le soi embrassé par le Soi omniscient ne sait plus rien d’un « moi-même » au-dedans ou d’un « toi-même » au-dehors à cause de l’« unité » (Upanishad, Brihad Āranyakā, cité par A. K. Coomaraswamy, Hindouisme et bouddhisme). Le taoïsme ne considère-t-il pas l’ordre du monde (cf. infra, « Paganisme et judéo-christianisme », in chap. 2) comme un va-et-vient sexuel ?

Faut-il affirmer avec Bataille qu’en s’opposant à l’érotisme la tradition judéo-chrétienne « a condamné la plupart des religions » ? Peut-être faudrait-il surtout dire que le christianisme n’a pas eu à créer d’entraves car elles lui préexistaient. En quel sens du reste pourrait-on tenir qu’une religion ou une culture rendent le bonheur et la jouissance inaccessibles ? Abolira-t-on jamais par exemple le premier lien qui soude l’enfant à sa mère ? Soumise au désir d’un autre, elle apparaît par là même comme Objet perdu. Au reste, Freud n’a-t-il pas déclaré : « Le bonheur n’est pas une valeur culturelle » ? En transformant l’idée de sacrifice – le Christ seule victime expiatoire –, en proposant comme idéal à tout homme l’universel de la charité, le christianisme a certes transformé la relation de l’homme au monde, à son corps, à autrui, de telle manière qu’il apparaît bien en effet interdit au chrétien digne du nom de faire de l’érotisme une valeur. Il est clair en tout cas que certaines analyses fondamentales de Bataille sont en parfait contraste tant avec l’idée du sacrificeque se fait le christianisme qu’avec sa conception de la femme et de l’amour humain : « Cette action violente (des sacrifices antiques), privant la victime de son caractère limité et lui donnant l’illimité, l’infini qui appartiennent à la sphère sacrée, est voulue dans sa conséquence profonde. Elle est voulue comme l’action de celui qui dénude sa victime, qu’il désire et veut pénétrer. L’amant ne désagrège pas moins la femme aimée que le sacrificateur sanglant l’homme ou l’animal immolé. La femme dans les mains de celui qui l’assaille est dépossédée de son être. Elle perd, avec sa pudeur, cette ferme barrière qui, la séparant d’autrui, la rendait impénétrable : brusquement elle s’ouvre à la violence du jeu sexuel » (L’Érotisme).

Le mérite de cette comparaison est de donner à la sexualité et à l’amour une dimension religieuse ; son tort est de perpétuer la victime. Et s’il n’y avait plus, après la mort du Christ, de victime sacrificielle ! et si, d’autre part, la femme refusait d’être objet, aussi bien « l’archet qui vibre sous les doigts du musicien » que la victime – du moins plus jamais la seule – de la « violence du jeu sexuel » !

Typiquement humaine, l’intention érotique est un aspect capital de la « ruse », au sens hégélien du mot, ou du détour que prend l’homme pour dépasser l’animalité. « D’une sensation forte mais pauvre, prise comme note fondamentale, l’humanité a fait surgir un nombre sans cesse croissant d’harmoniques ; elle en a tiré une si riche variété de timbres que n’importe quel objet, frappé par quelque côté, donne maintenant le son devenu obsession. C’est un appel constant au sens par l’intermédiaire de l’imagination. Toute notre civilisation est aphrodisiaque » (Les Deux Sources de la morale et de la religion). Et Bergson ajoute prophétiquement, non sans témoigner d’une excessive confiance en la science et en la femme : « Ici encore la science a son mot à dire, et elle le dira un jour si nettement qu’il faudra bien l’écouter : il n’y aura plus de plaisir à tant aimer le plaisir. La femme hâtera la venue de ce moment dans la mesure où elle voudra réellement, sincèrement, devenir l’égale de l’homme, au lieu de rester l’instrument qu’elle est encore, attendant de vibrer sous l’archet du musicien. »

La recherche du plaisir – qui « nargue la mort » – est le signe d’un être désireux de nier sa finitude. Elle est éminemment créatrice de valeurs, mais ambiguë. Si elle se transforme en un culte idolâtrique, ne devient-elle pas la forme d’une « obsession » dont l’homme est à la fois l’artisan et la victime ? La vraie jouissance n’est-elle pas donnée comme de surcroît ? Aristote tenait que tout acte « accompli » s’accompagne de plaisir. Ce dernier est dans l’acte comme son achèvement. Il n’est pas plus à fuir qu’à être pris comme fin.

L’homme, aujourd’hui immergé dans une civilisation de la perfection apparente, est menacé. Le risque est qu’il s’oublie dans ses œuvres, s’y aliène. L’érotisme représente peut-être pour lui une chance de se souvenir, c’est-à-dire d’accéder à son être véritable. Érôs, reconnu principe d’existence et d’intelligibilité, de vie et de compréhension, dénonce la fausseté des biens que les civilisations techniques se donnent pour but d’accumuler. Il incarne la subversion, obligeant les sociétés et les groupes à le réprimer. Dès lors, la question de l’homme même et de son destin se pose de façon plus authentique. À l’âge de la mort de Dieu, Érôs n’a pas à prendre les traits d’un dieu ressuscité. Qu’il lui suffise de détourner l’homme des illusions qui le menacent.

René MILHAU

1. L’érotisme dans l’art

• Religion et érotisme

On peut distinguer deux espèces d’érotisme dans l’art ; d’un côté, les images érotiques qui sont l’expression d’une religion primitive, d’une croyance magique, ou les symboles d’une opération d’alchimie ; de l’autre, les images profanes suggérées par l’idéalisation artistique de la beauté du corps humain, ou bien par le désir d’exciter les appétits sensuels, ou encore par l’âcre plaisir de représenter les aspects grotesques de l’homme. Tandis que dans ce second cas il est facile de glisser vers la pornographie – seul un jugement éclairé peut dire si l’art a vaincu la matière du sujet –, il est évident qu’il serait impropre de parler de pornographie lorsque l’image a une connotation religieuse ou symbolique.

La renaissance du soleil après le solstice d’hiver, la fécondation de la terre, la fertilité étaient des éléments essentiels des cultes primitifs ; on en décèle encore les traces dans certains usages et dans certaines cérémonies de notre époque, par exemple Noël, transformation chrétienne des Saturnalia romains. Le rite le plus important des religions primitives était le mariage du Ciel et de la Terre, qui était généralement célébré chaque année avec l’espoir d’assurer la fertilité et la prospérité : un homme élu représentait le Ciel, et une femme élue la Terre ; leur accouplement avait lieu dans un édifice sacré et on croyait qu’il provoquait la pluie, l’abondance des récoltes et la prospérité générale. L’édifice où cette union se déroulait représentait l’Univers et donc le Ciel et la Terre ; il hébergeait le couple divin, le dieu-roi et la déesse-reine, et devint le prototype du temple et ensuite du palais (lord Raglan). Pourrait-on appeler érotique une image de cet accouplement ? Peut-on appeler érotique la statue de la Vénus stéatopyge de Savignano ou celle de Lespugue, ou les statuettes féminines aux caractères sexuels exagérés qu’on a trouvées à Malte et en d’autres endroits du Bassin méditerranéen ? Peut-on appeler érotique le bas-relief qui représente le dieu Amon-Min des Égyptiens avec le phallus en érection ? L’acte d’amour ou union des sexes (Maïthuna