Escapade Mortelle - Muetse-Destinée Mboga - E-Book

Escapade Mortelle E-Book

Muetse-Destinée Mboga

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Beschreibung

Lorsqu'Eliwa convainc son frère Bika de les inclure, son amie Ilama et elle, dans l'expédition qu'il a préparée pour découvrir les parcs nationaux de l'Est du pays, elle est loin d'imaginer le bouleversement que va provoquer ce voyage dans sa vie. Alors que l'arrivée dans la ville de Makokou se déroule sous les meilleurs auspices, très vite, des faits étranges vont recouvrir l'aventure de mystère. Aurait-elle dû tenir compte des mises en garde d'un fou lucide et d'une petite fille monstre ? Peut-être. Mais elle ne l'a pas fait. Et quand Alain, un des membres du groupe, disparaît étrangement dans les eaux de l'Ivindo, elle regrette. Hélas, il est déjà trop tard.

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Muetse-Destinée MBOGA

ESCAPADE

MORTELLE

Thriller

© Iwari Editions – 2019

10 rue de Penthièvre75008 Paris

ISBN : 978-2-490-79101-9

Prologue

Il faisait nuit noire et le vent soufflait fort ce soir-là. Un soir comme un autre vraisemblablement, mais un soir sans doute peu banal. L’heure était grave, et tous le sentaient. Même l’atmosphère autour d’eux avait changé, il y avait comme un mauvais présage. Allaient-ils survivre ? La dense forêt équatoriale qui abritait leur rassemblement et qu’ils connaissaient pourtant bien, leur semblait soudain peu sûre. Il faisait sombre et froid, les hauts arbres laissaient le vent faire frissonner leurs branchages tandis que l’herbe sous les pieds, humide de rosée faisaient glisser leur pas.

Ils étaient tous présents, une dizaine au total, représentant le conseil des sages de la forêt.

L’un d’entre eux, le visionnaire prit la parole :

— Ils ne vont plus tarder désormais.

— En es-tu seulement sûr? intervint le chef

Un dialogue commença entre les deux. Le visionnaire était assez pessimiste sur les événements à venir, quand le chef essayait de garder les idées claires.

— Je le sens, nous sommes en danger.

— Cela ne se fera pas sans mal, mais nous aurons le dessus.

Le silence s’abattit, et les deux interlocuteurs se regardèrent un moment. Chacun semblait évaluer la gravité de la situation. L’heure n’était plus à la plaisanterie, il fallait employer les grands moyens.

— Es-tu sûr que la menace est sérieuse?

— Je ne peux me tromper sur la question. En ce moment même, ils mettent tout en œuvre pour nous détruire.

— J’aurais préféré ne pas en arriver là.

— C’est vrai, cela entachera encore plus notre réputation. Tu sais combiences gens aiment jeter l’opprobre sur nous.

Les deux locuteurs se regardèrent encore. Ils savaient que les jours à venir seraient rudes, ils savaient que le combat à livrer serait de taille. C’était ou tout perdre ou gagner. Il n’y aurait pas de deuxième chance, pas d’autres portes de sortie. Face à la fatalité, il n’y avait aucune autre solution. Le sang allait couler, c’était une certitude. Mais celui de qui? Tel demeurait le mystère.

Plus tard, ailleurs…

C’était un matin ordinaire, mais elle avait une grande nouvelle pour le patron. Elle imaginait bien qu’il aurait des doutes, car les fois précédentes rien ne s’était jamais déroulé selon ce qui était prévu. Mais cette fois, elle était sûre de son coup, elle tenait le bon bout. Son plan allait marcher, forcément. Rien qu’en y pensant, elle sourit. Si seulement ils savaient ce qui les attendait. Elle réprima un rire sarcastique. Seul l’esprit d’une femme était capable de concevoir un plan de cette envergure. Elle n’avait aucun doute sur la réussite de son entreprise. Elle avait misé gros, mais surtout misé juste.

Assise face à lui, dans son vaste bureau situé au dernier étage d’un immeuble de sept étages, elle jeta un regard circulaire sur la pièce. Les éléments de décoration s’étirant dans des teintes de noir, blanc et rouge sur lesquels se découpaient des toiles et des fresques d’artistes inconnus — et en passe de le rester au regard de leur absence flagrant de talent —, lui donnèrent des céphalées. Le grand chef était connu pour son mauvais goût et chaque fois qu’elle pénétrait dans cet obscur bureau, elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’il n’était pas à sa place, que quelqu’un d’autre saurait mieux occuper ce lieu et en révéler son total potentiel. Quelqu’un comme elle, par exemple.

Affrontant le regard du grand chef, avec l’assurance qui la caractérisait, elle déclara :

— Nous avons trouvé la personne qu’il faut. Cela se fera sans mal!

— Je suis bien content. Il y a un moment déjà que les choses piétinent et les chefs s’impatientent.

— Cette fois ce sera la bonne, j’en suis sûre.

— Tu as tout intérêt ma belle, nous ne devons pas échouer!

— Et nous n’échouerons pas.

Son vis-à-vis la dévisagea. Elle semblait si sûre d’elle. Quelle était donc cette perle rare qu’elle avait trouvée et en laquelle elle plaçait une telle confiance?

— La mission est périlleuse et tu le sais, même les plus vaillants ont reculé.

— Cette personne ne reculera pas, je peux te le garantir.

Il baissa les yeux puis les reporta à nouveau sur elle. Qu’est-ce qui justifiait une telle assurance?

— A-t-elle à ce point si peu peur de mourir? la questionna-t-il.

— Oh que oui! C’est d’ailleurs parce qu’elle veut vivre qu’elle se sait obligé de réussir, répondit-elle, catégorique.

Il fit une moue sceptique. Elle poursuivit :

— Jusque-là, tous les autres y sont allés en se disant qu’ils étaient prêts à mourir pour réussir cette mission. Je crois qu’il est temps de changer de paradigme.

Le front de l’homme se fronça :

— Que veux-tu dire?

— Je veux dire qu’il est temps de travailler avec une personne qui pense que sa vie dépend de la réussite de cette entreprise.

— Mais cette personne est-elle seulement prête à tout sacrifier? insista-t-il.

— Oui.

— Tout?

— Je te répète : TOUT!

Se lissant la barbe, il parut réfléchir un moment avant de finalement se déraidir :

— Je te crois, j’accepte de vous faire confiance. Mais cela a intérêt à marcher!

— Cela marchera forcément. Nous savons d’ores et déjà que le sang coulera, répondit-elle.

— Mais le sang de qui? répliqua-t-il, ironique.

1. Le Départ

— Allez Bika! S’il te plaît.

— Non Eliwa, je te l’ai déjà dit, t’avoir dans les pattes me suffit amplement, ce sont mes vacances et je ne compte pas jouer les nounous tout ce temps-là.

— Mais tu n’auras pas besoin de te préoccuper de nous! Ilama et moi sommes de grandes filles.

— Ta copine Ilama est immature et sait à peine se prendre en charge, argua-t-il.

— Ça, c’était vrai il y a encore cinq ans, mais nous avons grandi! Allez, relax Ya Bika!

Une moue de dégoût se peignit sur le visage de mon grand frère. Bika n’avait jamais apprécié qu’on l’appelle Ya Bika.

— Eliwa!

— Allez, s’il te plaît. On se fera aussi discrètes que des souris d’église.

Cela faisait des jours que je suppliais mon frère de me laisser venir avec lui. Il avait accepté de m’emmener, mais il avait catégoriquement refusé qu’Ilama fasse partie du voyage.

Bika n’avait jamais apprécié mon amie, ce que je pouvais comprendre, car plus jeune, Ilama était une petite écervelée qui s’était mis en tête de séduire mon grand frère. Peine perdue. Mais depuis ce temps, Bika n’arrivait pas à faire table rase de cette époque alors qu’elle avait bien changé entre temps.

— Moira ne la supporte pas, Ely.

Mon frère m’appelait Ely parce qu’il trouvait qu’Eliwa lui rappelait trop notre grand-mère maternelle, Kak’Eliwa.

— Et alors?

Moira était la fiancée de Bika. Elle était condescendante à souhait et, autant le dire, elle m’insupportait. Elle avait une tendance à penser que le fait d’être métisse la rendait irrésistible, je n’aurais pourtant pas juré qu’elle était si belle que ça.

— Et alors? C’est ma fiancée je te signale!

— Oui, et moi je suis ta sœur, et je ne la supporte pas non plus, mais je fais des concessions.

Bika me regarda, interloqué. J’avais toujours pris sur moi pour ne pas lui montrer combien la compagnie de sa chère et tendre m’était inconfortable. Cinq années s’étaient écoulées depuis que mon frère était rentré de ses études aux Etat-unis, flanqué de sa fiancée Moira. Cette dernière qui était de mère espagnole et de père zaïrois, avait grandi aux USA et n’était arrivée au Gabon que pour suivre l’amour de sa vie. Bika, mon très cher grand frère, était un brillant ingénieur en télécommunications qui occupait d’ailleurs un poste à responsabilités à la TIG1.

— Écoute Bika, si Ilama vient, tu n’auras pas à te soucier de nous, de plus cela m’éviterait de me sentir seule au milieu de tous tes amis.

— Arrête, ils te connaissent tous. Tiens, Ossamy y sera aussi.

À l’énoncé de ce nom, je réprimai une grimace. Ossamy! Ce blanc-bec?!

— Et tu sais ce que je pense de lui.

Il me fixa un moment puis dit :

— Je ne comprends pas ce que tu lui reproches. C’est un garçon courtois et réservé.

— Un peu trop pour ne pas cacher quelque chose de louche, répliquai-je.

Il secoua la tête, visiblement exaspéré :

— Tu es paranoïaque ou alors tu n’apprécies aucune de mes fréquentations?

— Ni l’un, ni l’autre je suis réaliste, cher grand frère.

— Ossamy est mon meilleur ami.

J’eus une moue de dépit puis lâchai :

— Si tu le dis…

Le visage de mon frère se ferma, il n’ajouta plus rien. Je me préparais à revenir à la charge quand il me coupa :

— C’est bon! Tu diras à Ilama de faire ses bagages, elle peut venir avec nous.

— C’est vrai! bondis-je.

— Mais vous avez intérêt à vous tenir tranquilles toutes les deux!

Je lui sautai au cou.

— Oui promis! Oh merci, Ya Bika, merci beaucoup!

— Arrête de m’appeler ainsi.

Je souris en le voyant arborer ce faux air sévère. Mon frère était une perle, un costaud avec la main sur le cœur, si généreux, si tendre. Dommage qu’il ait le don de toujours s’entourer de mauvaises personnes. Il méritait beaucoup mieux que cette garce de Moira et il se porterait mieux s’il arrêtait de traîner avec ce faux jeton d’Ossamy.

Ayant obtenu ce que j’étais venue chercher, je décidai de m’en aller. Mon frère habitait au quartier Louis avec sa fiancée, alors que je vivais encore sous le toit de nos parents à Acae.

— Je vais donc rentrer, Bika, annonçai-je.

— OK, je ne peux te raccompagner, mais soyez prêtes vendredi à 14 heures. On passera vous chercher.

— Sans faute, Capitaine! Et ne t’inquiète pas, je rentrerai à bon port.

Je partis de chez lui sans avoir pris la peine de saluer la «Princesse Moira». De toutes les façons, elle s’était enfermée dans leur chambre dès mon arrivée, c’était le signe évident qu’elle n’avait rien à faire de ma présence. Pour Moira, seul comptait son «Paulo» comme elle l’appelait, elle trouvait si peu élégant le fait qu’on l’appelle Bika, son patronyme en lieu et place de son prénom. Elle n’avait le temps de personne. Moi, les autres membres de la famille ou des amis de Paul n’avions aucune valeur à ses yeux. Beaucoup excusaient cette drôle de femme au motif qu’elle avait reçu une éducation à l’occidentale, moi je trouvais qu’elle en faisait trop.

— Taxi, arrêt quelque part!

Après avoir réglé ma course, je m’enfonçai dans le quartier de mon enfance où j’habitais toujours. Situé dans la partie sud de Libreville, à la frontière avec la commune d’Owendo, Acae était un quartier semi-résidentiel où se côtoyaient villas de haut standing et quelques modestes cités. Des voies goudronnées desservaient les différentes habitations presque toutes abritées derrière de hauts portails. Malgré la relative intimité que chaque famille recherchait en élevant des barrières autour de leur concession, nous nous connaissions presque tous, du moins, les plus anciens habitants de la zone. La famille d’Ilama, ma meilleure amie, faisait partie de cette catégorie. Et, comme si le temps n’avait jamais permis d’améliorer leur condition, c’était la seule bâtisse dépourvue d’une barrière. À tout juste deux cents mètres de chez moi, cette petite maison servait souvent de point de repère. Après le boutiquier et le grand manguier, il fallait bifurquer sur la ruelle qui commençait juste au niveau de chez elle. Heureusement, notre différence de classe sociale n’avait jamais été un frein à la solide amitié qui nous liait, bien au contraire.

En passant par l’arrière, je la trouvai en train de faire la lessive dans la cour. Le seau calé entre ses longues jambes arquées, elle frottait si énergiquement ses vêtements que l’eau avait éclaboussé son tee-shirt, révélant sa belle et ferme poitrine. Ses grands yeux noisette frangés de longs cils se levèrent vers moi :

— Ma co’, à quel niveau? me salua-t-elle.

— Eh ma copine! Devine quoi? m’écriai-je en me postant devant elle.

— Quoi encore?

— On part avec Bika en voyage!

— Non! fit-elle en bondissant de son tabouret.

— Si!

Elle me regarda avec de grands yeux incrédules puis un sourire naquit sur ses lèvres.

— Arrête de blaguer! Je ne peux pas croire que ton frère ait accepté que je vienne?

— Tu en doutais? Je t’ai dit que j’allais manager ça, non?

Incrédule, Ilama secoua la tête plusieurs fois en tapant dans ses mains. Je comprenais sa réaction, il fallait reconnaître que ce n’était pas gagné d’avance. En effet, déjà que Bika était très mal disposé envers elle, avec Moira dans les parages, c’était pire. Cette dernière avait tout de suite pris Ilama en grippe. J’aurais pu comprendre si mon amie était encore amoureuse de Bika, mais il y avait belle lurette qu’elle avait oublié ce béguin d’adolescente. Elle avait d’ailleurs un petit ami avec qui elle vivait une histoire sérieuse.

— Je ne pensais pas que tu réussirais. Toi-même tu sais que depuis que Princesse Moira est dans les parages, j’ai à peine le droit de saluer ton frère.

— Laisse-moi cette folle. Fais tes bagages, on démarre à 14 heures après-demain!

— Eh! Je n’ai même pas prévenu Franck.

— Ah! Il va comprendre. En même temps, on ne s’absentera que dix jours, hein!

— Tu sais comment il est jaloux, non? Au fait, qui sera avec nous?

— Les gens de Bika, qui d’autres? Sa princesse, son faux ami Ossamy, Mamély et son mari ainsi que des collègues de Bika.

— Des hommes? Ah, peut-être que tu trouveras enfin ton prince charmant.

Je lui lançai un regard faussement sévère :

— Arrête déjà ton speech, Ilama.

— Je n’ai rien dit de mal, se défendit-elle en levant les mains en l’air. En même temps Ely, il serait temps que tu oublies.

— Ne prononce même pas son nom! l’interrompis-je sèchement.

Ilama se tut. Elle connaissait la règle d’or, ne jamais me parler de LUI! Elle était la seule avec qui j’avais partagé cette douloureuse histoire et aujourd’hui encore j’en portais les traces dans mon cœur.

Je quittai bien vite Ilama. Après avoir emprunté la ruelle assez calme, j’arrivai devant le portillon permettant aux piétons d’accéder au domaine familial, une concession de près d’un hectare. Une petite allée pavée bordée de palmiers en pots menait à la terrasse qui faisait le tour du bâtiment de deux étages, situé au centre du terrain. Autrefois peinte en blanc avec des fenêtres vertes, la maison avait été repeinte par ma mère l’année dernière pour y mettre du rouge brique et des fenêtres blanches. Dans le quartier, la maison était surnommée «L’Hacienda».

Cela faisait près de deux ans que mes parents, Nestor Nziengui Ngoma et Hermine Arondo épouse Ngoma, n’habitaient plus régulièrement là. Avec Ayilé, la benjamine, ils s’étaient installés à Oyem où Papa avait été affecté pour ses dernières années de service. Maman, qui avait toujours ses activités à Libreville, faisait des allers-retours. De fait, de manière permanente, à la maison il n’y avait que mon petit frère Ngoma, qui était encore au lycée en classe de première, et moi. À vingt-six ans, je venais de terminer mes études à l’Institut de Gestion et j’étais en quête d’un emploi.

Le vendredi arriva bien vite. Ilama vint me retrouver à la maison, son sac de voyage à la main. Nous étions aussi excitées que des puces, car ce serait la première fois qu’on s’aventurerait dans la forêt gabonaise. En réalité, nous n’allions pas séjourner en forêt mais à Makokou, avec comme programme la visite des profondeurs de la faune et la flore locales. On pouvait bien le reconnaître, la «Princesse Moira» était à féliciter pour cette aventure dont elle fut l’instigatrice. En effet, après être tombée sur un épisode de Survivor au Gabon, elle avait harcelé Bika pour qu’il organise cette randonnée. Mon frère, qui était un homme prudent, avait pris son temps pour organiser l’escapade en garantissant les conditions de sécurité maximales. Nous serions conduits dans la forêt par des guides expérimentés, deux villas adjacentes avaient été louées pour notre confort, bref. Tout était fin prêt. Pour rendre le voyage encore plus agréable, il avait décidé d’y emmener des amis, mais aussi ma cousine Mamély et son mari, qui eux aussi étaient férus d’aventures. En temps réel, Ilama et moi n’avions pas notre place dans ce voyage, mais j’avais toujours rêvé de faire des escapades en forêt comme celle-ci et Ilama était mon acolyte de tous les temps, je ne me voyais pas y aller sans elle, d’autant plus qu’elle aussi nourrissait secrètement cette envie. J’avais donc convaincu mon frère de nous y emmener. Bika était censé louer un bus pour le voyage, le train nous revenant beaucoup plus cher, en plus du fait que nous aurions moins le loisir de nous arrêter à notre guise sur le chemin.

14 h 30. Bika arriva à bord d’un minibus que conduisait son ami Ossamy. Cela me parut bizarre. Bika avait parlé de louer un minibus, mais à l’évidence, le bus à bord duquel il venait nous chercher était celui d’une société de travaux publics. Et pourquoi diable était-ce Ossamy qui conduisait?

Je mis de côté ce que Bika appelait ma paranoïa. Trop excitée par l’idée de l’aventure, je décidai de ne pas me formaliser de ce détail. Lorsque nous embarquâmes, éducation «à l’occidentale» oblige, la «Princesse Moira» ne daigna pas nous renvoyer notre salut. Tandis qu’Ossamy nous souriait gentiment, je ne pus m’empêcher de me dire en mon for intérieur «hypocrite». Les autres présents nous accueillirent chaleureusement. On pouvait reconnaître deux collègues de Bika : Kounga et Gervais. Mais aussi Mamély, notre cousine, Tchibinda, son mari ainsi qu’un ami de ce dernier, un Français, prénommé Alain.

Le véhicule s’ébranla en direction de la Nationale 1. Une bonne ambiance régnait dans le minibus, on se chahutait joyeusement. Seuls Princesse Moira, Bika et Ossamy restaient en marge de la rigolade. Nous roulâmes ainsi des heures jusqu’à Ntoum, une petite ville bruyante et animée située à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de la capitale. Nous y fîmes halte pour nous dégourdir les jambes. Prise d’une envie de manger des coupés-coupés2, j’entraînai Ilama de l’autre côté de la route pour en acheter. En revenant, alors que nous dûmes passer derrière notre véhicule, nous surprîmes Tchibinda et son ami Alain dans une mystérieuse conversation :

— Tout semble se passer comme nous l’avions prévu, disait Tchibinda.

— Pas tellement, nous avions tablé sur huit personnes, les deux jeunes filles n’étaient pas prévues, leur présence pourrait tout gâcher, répondit le dénommé Alain.

— Ne t’inquiète pas, elles ne participeront pas aux grandes randonnées, et c’est ce qui nous intéresse le plus, le rassura Tchibinda.

Hum? De quoi parlaient-ils?

Ils se turent aussitôt qu’ils se rendirent compte de notre présence. Cette conversation semblait banale, mais quelque chose me turlupinait. Choisissant de positiver, je m’efforçai de ne plus y penser.

— Ils ne t’ont pas semblé bizarres ces deux-là? me demanda Ilama.

Je fus soulagée de constater que je ne m’étais pas fait une fausse idée de l’étrangeté de leur conversation.

— Si, un peu, mais en même temps il n’y a rien d’extraordinaire à ce qu’ils disaient. C’est vrai que nous n’étions pas prévues, et tu sais combien les Blancs sont à cheval sur le respect des programmes.

Ilama acquiesça d’un mouvement de tête et nous embarquâmes dans le bus. Dix minutes plus tard, il s’ébranla à nouveau.

***

— Ils arrivent, dit le visionnaire.

— À quelle distance sont-ils? demanda le chef, inquiet.

— Plus très loin, mais je ne sais pas le dire avec exactitude.

Le chef se tut et parut réfléchir un instant :

— Combien sont-ils? Et lequel est leur «envoyé»?

Le visionnaire secoua la tête et répondit sur un ton désabusé :

— Je ne le sais pas encore. Je ne pourrais le savoir qu’une fois qu’ils seront là.

11 Télécommunications Internationales Gabonaises..

22 Emincés de viande braisée.

2. L’arrivée à Makokou

Nous arrivâmes aux abords de la ville tard dans la nuit, après plus de huit heures de route et plusieurs arrêts. La route n’étant pas bitumée, le voyage avait été pénible, même si la bonne ambiance et le fait d’être plusieurs avaient atténué la fatigue.

Il était 22 heures passées quand nous entrâmes dans Makokou. Nous passâmes devant les bistrots et buvettes encore animés du Quartier central, mais le plus important pour nous était d’arriver à destination. Moira, sans doute la plus impatiente, ne cessait de piaffer et râler contre le mauvais état de la route. Je pensais à ce moment-là qu’elle aurait mieux fait de rester chez elle, aux USA, pour se dorer la pilule.

Nous étions assez fatigués quand la voiture se gara au milieu d’une grande cour éclairée. Durant le trajet, Bika et Gervais avaient relayé Ossamy au volant, celui-ci avait pu souffler un peu. Bika fut le premier à descendre du véhicule. Un homme trapu, portant des lunettes de vue et arborant un polo blanc à l’effigie du CENAREST3 et un pantalon de toile beige, sortit de la villa en face de laquelle notre véhicule était immobilisé. De son pas lent, sans doute ralenti par son poids, il vint dans notre direction.

— Bonsoir à vous et bonne arrivée à Makokou! nous lança-t-il.

Bika, qui avait déjà mis pied à terre, lui serra la main :

— Monsieur Ngoyo, je suppose?

— Moi-même, et j’imagine que vous êtes l’ingénieur Paul Bika?

Bika approuva d’un hochement de tête puis se tourna vers les autres qu’il présenta comme les membres de son équipe. Il passa en revue tout le monde sauf Ilama et moi.

En réalité, cela nous était égal, nous étions mortes de fatigue. J’avais les jambes engourdies, tandis qu’Ilama s’adossait sur mon épaule, signe qu’elle était, elle aussi, très fatiguée. Bika s’éloigna un peu avec M. Ngoyo et Ossamy. Moira les rejoignit. Nous étions désormais tous hors de la voiture. Mamély et son mari Tchibinda discutaient avec Alain, le Français. Alors que de son côté Kounga se tenait debout silencieux, Gervais, qui avait pris le volant pour les deux cents derniers kilomètres avant d’atteindre Makokou, s’était assis sur la pelouse.

Il se passa quelques minutes avant que Bika ne revienne vers nous :

— OK, nous avons les clés des maisons, nous allons nous diviser en deux groupes de cinq. Mamély, Tchibinda et Alain, vous viendrez avec nous; Ossamy, je te donne la clé de la deuxième maison, tu y seras avec le reste.

Cette répartition semblait arranger tout le monde. En bon diplomate qu’il était, mon frère avait jugé utile de nous éloigner de sa princesse, et vu que celle-ci semblait à peu près s’entendre avec Mamély, c’était mieux ainsi.

— Nous allons donc nous installer et nous reposer. Le voyage a été long, et pour cela, demain nous n’irons pas en forêt, nous irons faire un tour de ville dans l’après-midi.

Chacun semblait apprécier ce programme, il faut dire que Bika avait toujours eu un véritable sens de l’organisation, sans compter qu’il savait parfaitement gérer et guider un groupe. Il était de la trempe des leaders, mon cher grand frère. Ce soir-là, nous nous séparâmes donc dans cette cour. Monsieur Ngoyo nous souhaita une bonne nuit et monta dans sa voiture garée non loin de là, puis disparut derrière un virage. Ossamy, à qui Bika avait remis les clés, se tourna vers nous et nous invita à le suivre. Ilama, Kounga, Gervais et moi, marchâmes dans ses pas vers la deuxième maison.

Cette dernière était sommairement meublée. Le salon, relativement spacieux, avait au moins le mérite d’être propre. Il y avait trois chambres. Ossamy nous attribua la plus grande, l’autre revint à Kounga et Gervais, tandis qu’il prenait lui-même la dernière. Ayant grignoté durant tout le trajet, nous n’avions pas spécialement faim. Tout le monde n’avait qu’une seule idée en tête, prendre une bonne douche et dormir. Les deux salles de bains présentes n’étaient, de fait, pas de trop. Après nous être rafraîchies, Ilama et moi nous retrouvâmes dans notre chambre, prêtes à dormir. Me sentant privilégiée, j’étais très excitée par cette aventure que peu de gens avaient l’opportunité de vivre. Je rêvais déjà de notre visite dans les deux parcs nationaux que comptait la région, celui de l’Ivindo et celui de Minkébé.

— Alors? Contente d’être là? me rassurai-je auprès de mon amie.

— Oui, bien sûr, répondit-elle.

Il me sembla cependant que son enthousiasme était feint.

— Tu n’as pas l’air très ravie dis donc!

Elle parut réfléchir un moment avant de se décider à partager le fond de sa pensée :

— En réalité, ce genre d’aventure, c’est surtout ta tasse de thé, Ely. Moi j’aime bien les petits délires sympas, mais maintenant que nous sommes là, je me demande si je vais vraiment apprécier cette escapade.

— Allez Kelly! Ne sois pas rabat-joie, voyons! Tu te faisais une joie de venir avec nous. Je suis sûre que tu dis ça à cause de la fatigue.

Elle eut un regard vaguement perdu, comme si quelque chose la préoccupait. Je lui donnai un coup d’épaule. Elle me sourit :

— Tu as sans doute raison. Dormons un bon coup, je suis sûre que demain, en visitant Makokou, je retrouverai mon enthousiasme.

— Oui, surtout lorsque tu verras Moira devenir toute rouge à force de se faire piquer pas des insectes…

Cette fois, son visage retrouva des couleurs et se fendit d’un large sourire. Si Moira m’exaspérait, Ilama la détestait carrément.

— Je te jure! Ça va être le pied de voir la «Princesse Moira» avec la peau toute rouge et fripée en train de geindre «Oh Paulo, j’me suis fait piquer par des bestioles euh…», se moqua-t-elle en imitant la voix de Moira.

Nous éclatâmes de rire. Ma belle-sœur était une vraie peste et nous ne rations pas une occasion de nous moquer d’elle Ilama et moi.

— Franchement, elle se la joue trop «white» cette fille, on ne dirait même pas qu’elle est métisse, renchéris-je.

— Vraiment! Heureusement d’ailleurs qu’elle a le teint sauveur, parce qu’elle n’est pas jolie du tout…

Là en revanche, je décelai un peu de mauvaise foi dans les propos de mon amie. Malgré son sale caractère, Moira était une très jolie jeune femme. Me contentant de rire, je me gardai de contrarier Kelly en la contredisant.

Le silence se fit et Ilama réprima un bâillement, je compris qu’elle était vraiment fatiguée, contrairement à moi que l’excitation maintenait éveillée.

— J’ai sommeil, annonça-t-elle à demi-voix.

— Bonne nuit, demain est un grand jour…

Quelques minutes après, elle sombra dans un sommeil lourd. Son souffle régulier se mêlant au tic tac de l’horloge murale et aux bruits paisibles de la nuit m’emporta à mon tour.

***

Je fus surprise de découvrir que la ville de Makokou, que j’avais toujours imaginée comme une zone assez rurale, peuplée de maisons en paille ou en terre battue comme on en trouvait dans le Gabon rural, était en fait un agréable petit coin qui pouvait revendiquer dignement sa modernité élémentaire.

Traversée par la rivière Ivindo, la ville était divisée en deux zones correspondant aux deux rives de ladite rivière. Sur les bords de la première rive, le premier quartier que nous visitâmes, s’appelait Alarmitang. C’était le fief de l’ethnie fang, majoritaire dans la province. On y trouvait principalement l’Église et le Collège évangéliques, ce qui n’avait rien d’étonnant, ce courant religieux était majoritairement fréquenté dans tout le pays par l’ethnie fang, de telle sorte qu’on entendait parfois parler d’«Église ÉFANGélique». On traversa ensuite le quartier Centre, comme son nom l’indiquait, c’était le centre névralgique de la ville. Place de l’Indépendance, hôtel de ville, trésor public, gouvernorat, toutes les principales administrations mais aussi, les grands commerces avec notamment le marché central et le supermarché CECADO ou encore des structures hôtelières telles que le Belinga Palace s’y trouvaient. Si les rues principales étaient sommairement bitumées, les voies secondaires en revanche étaient recouvertes de latérite qui laissait s’élever de douces voulûtes de poussière rougeâtre à chaque passage de véhicule.

Lors de la traversée du pont, nous eûmes la surprise de constater la présence d’herbes sur les eaux de la rivière.

— C’est ce qu’on appelle une eutrophisation : la forte présence de fer dans les eaux entraîne un enrichissement en matière organique, d’où l’abondance de la végétation sur ces eaux, nous expliqua M. Ngoyo.

C’est à ce moment que je découvris que M. Ngoyo était en fait un chercheur à l’IRET4 qui travaillait au bureau provincial de cet organisme à Makokou. Cela m’intrigua et m’émerveilla à la fois. Je ne pus m’empêcher de me demander comment mon frère avait réussi à nous offrir ce genre de traitement. Non seulement nous étions logés dans des maisons réservées aux agents de cet institut, mais en plus un de leurs chercheurs nous servait de guide! Cette aventure s’annonçait encore plus palpitante que je ne l’imaginais.

De nous tous, Alain était sans doute le plus attentif aux explications de M. Ngoyo. Il posait beaucoup de questions et semblait vraiment absorbé, voire émerveillé, par cette visite de la ville.

L’autre rive, bien que tout aussi animée par la présence de nombreux débits de boissons, connaissait toutefois une activité moins intense. Elle était le fief des ethnies Kota et Kouele à qui on attribuait, à tort ou à raison, un penchant pour l’alcool mais qui étaient surtout reconnus pour leur délicieux soukoutè5, le plat local de référence. C’est aussi dans cette partie de la ville qu’on assistait le plus à des pratiques culturelles telles que la circoncision, rite de passage qui revêt chez ce peuple, une importance cardinale.

C’était également là-bas que se trouvait l’aéroport, l’ancien hôpital — appelé ainsi par opposition au nouvel hôpital dit Hôpital canadien qui se trouvait de l’autre côté de la rive — ainsi que le débarcadère, d’où partaient les bateaux pour Minkébé, l’un des treize parcs nationaux protégés par le gouvernement gabonais.

Ce parc qui s’étendait de la moitié de la province du Woleu-Ntem à celle de l’Ogooué-Ivindo, avait la particularité d’être parsemé de petites collines isolées — appelées inselberg — et de clairière marécageuse. Deuxième plus grand bloc forestier subsistant au monde et l’une des dernières étendues sauvages de la planète à avoir une présence humaine quasi nulle, j’avais hâte d’être au lendemain pour voir tout ça! Cette expérience promettait d’être magique, inoubliable!

En somme, Makokou était une agréable petite ville de province où l’on pouvait trouver suffisamment de distractions pour ne pas s’ennuyer, tout en ayant également la possibilité de profiter d’un peu de calme et de sérénité, loin de l’atmosphère étouffante de la ville. Ilama et moi, nous fîmes d’ailleurs la promesse de revenir une autre fois, rien que toutes les deux, pour profiter de cette cité paisible.

En regagnant l’autre rive vers 17 heures, nous décidâmes de nous arrêter dans un bar : Le Mwana mboka6 sis au Quartier central, le lieu le plus animé de la ville. Construit en planches et en contreplaqués, le bar était peint en bleu ciel et arborait une grande pancarte blanche portant son enseigne en bleu marine ainsi que le dessin d’une bouteille de Régab, la bière nationale.

Une dizaine de tables en plastique, chacune entourée de quelques chaises de la même matière, était disposée sur une terrasse cimentée. Autour du bar, on trouvait quelques autres commerces, une vendeuse de gâteaux artisanaux, un cordonnier, un boutiquier puis, un autre bar. Musique assourdissante et odeurs de friture se mêlaient dans une joyeuse cacophonie alors que plus loin, on apercevait la rive du fleuve où des pêcheurs accostaient pour vendre le produit de leur dur labeur du jour.

Nous n’étions assis là que depuis peu, mais un fait pour le moins inhabituel me frappa immédiatement : il y avait un nombre anormalement élevé de personnes mentalement déficientes aux alentours des bistrots qui bordaient cette rue. C’était assez étrange dans une aussi petite ville. Il devait en avoir au moins une demi-douzaine qui se pavanait aux abords du bar où nous étions assis.

La tablée devisait gaiement quand, un homme d’âge mûr, apparemment «fou» lui aussi, s’approcha de nous et commença à débiter des choses incompréhensibles à notre entendement. Les autres ne semblèrent pas prêter attention à ce qu’il disait, mais ses paroles parvinrent tout de même à retenir mon attention.

— Vous aussi vous êtes venus nous regarder? Vous nous voulez quoi? aboyait-il d’une voix pâteuse et rauque.

Vêtu d’une vielle chemise en pagne sale à la trame délavée et d’un pantalon en lambeau qu’on imaginait à l’origine bleu, sous bonne escorte de ses fidèles lieutenants moucherons qui ne lâchaient pas d’une semelle son derrière mal odorant, il titubait, comme sous l’emprise de l’alcool. Un rire d’hyène dévoila ses dents jaunies par un manque d’entretien évident.

— Ce n’est pas aussi facile! Vous êtes des idiots, comme tous ces gens de Makokou. Cette ville n’émergera jamais et vous savez pourquoi ? Je vais vous le dire!

À son élocution impeccable, digne des gens les plus cultivés du pays, on devinait un monsieur jadis respectable.

— Makokou, ce nom est une transformation des Allemands. En fait, cette ville est construite sur un point de chute, un endroit maudit! À l’époque de nos aïeux, ils désignaient cet endroit comme un point d’achoppement et souvent, quand les gens s’y rendaient ils disaient «Je vais au point de chute, je vais où on tombe». Et en langue fang on disait Ma keu kou, ce qui est l’origine de ce nom…

Les autres, excepté Alain, M. Ngoyo et moi, se mirent à rire en se moquant du vieux fou que je trouvais malgré tout intéressant.

Sentant avoir trouvé en ma personne une auditrice attentive, il se tourna vers moi :

— Heureux les pauvres de cœur, ils verront le Royaume de Dieu! C’est la Bible qui le dit.

Puis, en riant, le vieux fou s’en alla.

— Ce monsieur était un grand historien chercheur à la capitale, nous expliqua M. Ngoyo. Il y a quelques années, sa famille est venue le déposer ici, car elle n’arrivait pas à le soigner. Du jour au lendemain, il avait perdu la raison.

— Que s’est-il passé? demanda Ossamy, visiblement intéressé par l’histoire de cet homme.

— Il y a deux versions selon la rumeur. Certains disent que pour devenir encore plus «grand» qu’il ne l’était déjà, il avait voulu sacrifier ses filles jumelles et que, n’ayant pas réussi, il est devenu fou.

— Voilà encore un assoiffé de pouvoir qui finit mal, lança Mamély.

— Vraiment, c’est dommage que les gens pensent toujours que pour réussir il faut s’adonner au fétichisme, renchérit Bika d’un air dépité.

— Que dit la deuxième version? reprit Ossamy qui me sembla tout d’un coup un peu trop s’intéresser.

— La deuxième version raconte qu’il aurait été envoyé en mission par une cellule secrète et qu’il aurait échoué, relata M. Ngoyo. Mais nul ne connaît l’exacte teneur de la mission. En tout cas, c’est la version qu’il donne souvent dans ses délires, mais cela semble tellement rocambolesque que les gens privilégient la première théorie.

— En effet, c’est beaucoup plus réaliste! dit alors Kounga.

La nuit était tombée quand nous décidâmes de nous en aller. Demain commençait notre véritable voyage, aussi une bonne nuit de repos était plus que recommandée. J’eus envie d’aller me soulager. Pendant que les autres regagnaient le minibus, j’allai m’accroupir dans un coin derrière le bar que le gérant m’indiqua. Ayant fini, je m’apprêtais à rejoindre le minibus à mon tour, quand le vieux fou réapparut soudain devant moi. Surprise, je sursautai. Il me regarda droit dans les yeux, comme s’il me sondait intérieurement. Son regard avait perdu cet air hagard qui caractérise la profondeur des yeux des personnes ayant perdu la raison. Tentant de garder mon calme, je voulus passer, mais il m’en empêcha et d’un air moqueur, me lança :

— Personne ne réussit jamais. Vous n’y arriverez pas.

Je lui souris gentiment et répondis :

— Euh, je ne suis pas d’ici.

— Je le sais déjà, mais bon. Allez donc, partez, dit-il en me libérant le passage.

Je m’éloignai déjà quand il lança dans mon dos :

— Sachez que «seuls les rayons du soleil percent les ombres de la dense forêt»!

Un rire de tuberculeux conclut sa déclaration. Les autres, qui avaient suivi la scène de loin, se mirent à me chahuter :

— Eliwa, le fou-là, est amoureux de toi on dirait, fit Mamély, moqueuse.

— Vraiment Ely, tu cherches le mari depuis-là! Voilà, tu es venue le trouver à Makokou! renchérit Ilama.

Nous regagnâmes notre lieu de vie dans la bonne humeur.