Essai sur les moeurs et l'esprit des nations - * Voltaire - E-Book

Essai sur les moeurs et l'esprit des nations E-Book

Voltaire

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Essai sur les moeurs et l'esprit des nations est une oeuvre de* Voltaire, publiée pour la première fois dans son intégralité en 1756. Cette oeuvre monumentale, qui comporte 197 chapitres, publiée à Genève par Cramer en 1756, est le résultat d'une quinzaine d'années de recherche effectuées par* Voltaire à Cirey, à Bruxelles, à Paris, à Lunéville, en Prusse, en Alsace et à Genève. En 1769, La Philosophie de l'histoire (1765) devient le « Discours préliminaire » de l'Essai.* Voltaire révisera le texte jusqu'à sa mort en 1778. Dans cette oeuvre,* Voltaire aborde l'histoire de l'Europe avant Charlemagne jusqu'à l'aube du siècle de Louis XIV, en évoquant également celle des colonies et de l'Orient.

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Sommaire

PREMIÈRE PARTIE MÉTHODE ET CIVILISATION

INTRODUCTION

LES PREMIERS HOMMES; LEURS CROYANCES

LES SAUVAGES

PEUPLES ANCIENS

DES FOUS ET DES SAGES

ORIGINES HÉBRAÏQUES

L'INDE ET LA CHINE

LES EGYPTIENS

LES GRECS

MÉTAMORPHOSES, PROPHÉTIES, MIRACLES

HISTOIRE DES JUIFS

LES ROMAINS

II - CHARLEMAGNE ET SON TEMPS

MOEURS, GOUVERNEMENT ET USAGES VERS LE TEMPS DE CHARLEMAGNE

SUITE DES USAGES DU TEMPS DE CHARLEMAGNE...

SUITE DES USAGES DU TEMPS DE CHARLEMAGNE, COMMERCE, FINANCES, SCIENCES

DE LA RELIGION DU TEMPS DE CHARLEMAGNE

SUITE DES RITES RELIGIEUX DU TEMPS DE CHARLEMAGNE

SUITE DES USAGES DU TEMPS DE CHARLEMAGNE. DE LA JUSTICE, DES LOIS. COUTUMES SINGULIÈRES ÉPREUVES

III - LA VIE ET LES MOEURS DU XI AU XVIe SIÈCLE

DE LA RELIGION ET DE LA SUPERSTISUPERSTION AUX Xe ET XIe SIÈCLES

ÉTAT DE L'EUROPE AU XIIIe SIÈCLE

MOEURS, USAGES, COMMERCES, RICHESSES VERS LES XIIIe ET XIVe SIÈCLES

SCIENCES ET BEAUX-ARTS AUX XIIIe ET XIVe SIÈCLES

AFFRANCHISSEMENTS, PRIVILÈGES DES VILLES ÉTATS GÉNÉRAUX

TAILLES ET MONNAIES

USAGES DES XVe ET XVIe SIÈCLES ET DE L'ÉTAT DES BEAUX-ARTS

DEUXIÈME PARTIE - HISTOIRE DES CROISADES

DE L'ORIENT AU TEMPS DES CROISADES ET DE L’ÉTAT DE LA PALESTINE

DE LA PREMIÈRE CROISADE JUSQU'À LA PRISE DE JÉRUSALEM CHARLEMAGNE

CROISADES DEPUIS LA PRISE DE JÉRUSALEM

DE SALADIN

LES CROISÉS ENVAHISSENT CONSTANTINOPLE

DE SAINT LOUIS

SUITE DE LA PRISE DE CONSTANTINOPLE PAR LES CROISÉS

DE LA CROISADE CONTRE LES LAN-GUEDOCIENS

TROISIÈME PARTIE - LES CONQUÊTES COLONIALES (XVe - XVIe s.)

DES DÉCOUVERTES DES PORTUGAIS

DE L’INDE EN-DEÇA ET DELÀ LE GANGE

DE L’ASIE

DE L’ÉTHIOPIE

DE COLOMBO ET DE L’AMÉRIQUE

DE FERNAND CORTÈS

DE LA CONQUÊTE DU PÉROU

DU PREMIER VOYAGE AUTOUR DU MONDE

DU BRÉSIL

DES POSSESSIONS DES FRANÇAIS EN AMÉRIQUE

DES ÎLES FRANÇAISES ET DES FLIBUSTIERS

DES POSSESSIONS DES ANGLAIS ET DES HOLLANDAIS EN AMÉRIQUE

DU PARAGUAY

DERNIER CHAPITRE - RÉSUMÉ DE TOUTE CETTE HISTOIRE

PREMIÈRE PARTIE MÉTHODE ET CIVILISATION

I - PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE

I l n'est guère possible de trouver un plan dans cette longue dissertation, écrite en 1765 et placée à partir de 1769 en tête de l'Essai sur les mOEurs. Voltaire y passe allègrement des Chinois aux Américains, des Grecs aux Hébreux, mais aussi de la géologie aux miracles et de l'immortalité de l'âme aux histoires de loups-garous, Le texte semble écrit d'inspiration; il comporte pourtant des retouches. Mais on peut, à défaut de plan, dégager quelques grandes idées que Voltaire a jugé nécessaire de rappeler, avant de commencer son récit au temps de Charlemagne. Il reprend une thèse qui lui est chère : les hommes sont partout les mêmes, leurs premières idées générales les ont tous portés à adorer un dieu, ou plutôt à révérer comme dieu ce qu'ils ne comprenaient pas. Cela nous vaut des remarques pleines d'intérêt sur les superstitions primitives, les songes, les miracles, mais aussi cela oriente le lecteur vers la « religion naturelle ». D'autre part, avec les précautions oratoires indispensables pour éviter les risques, Voltaire ne perd pas une occasion de rabaisser l'antiquité du peuple juif et de présenter les légendes bibliques sur le même plan que les légendes phéniciennes, égyptiennes ou grecques.

INTRODUCTION

Vous voudriez que des philosophes eussent écrit l'histoire ancienne, parce que vous voulez la lire en philosophe. Vous ne cherchez que des vérités utiles, et vous n'avez guère trouvé, dites-vous, que d'inutiles erreurs. Tâchons de nous éclairer ensemble ; essayons de déterrer quelques monuments précieux sous les ruines des siècles.

LES PREMIERS HOMMES; LEURS CROYANCES

[...] I l se forma, dans la suite des temps, des sociétés un peu policées, dans lesquelles un petit nombre d'hommes put avoir le loisir de réfléchir. Il doit être arrivé qu'un homme sensiblement frappé de la mort de son père, ou de son frère, ou de sa femme, ait vu dans un songe la personne qu'il regrettait. Deux ou trois songes de cette nature auront inquiété toute une peuplade. Voilà un mort qui apparaît à des vivants ; et cependant ce mort, rongé de vers, est toujours à la même place. C'est donc quelque chose qui était en lui, qui se promène dans l'air ; c'est son âme, son ombre, ses mânes, c'est une légère figure de lui-même. Tel est le raisonnement naturel de l'ignorance qui commence à raisonner. Cette opinion est celle de tous les premiers temps connus, et doit avoir été par conséquent celle des temps ignorés. L'idée d'un être purement immatériel n'a pu se présenter à des esprits qui ne connaissaient que la matière. Il a fallu des forgerons, des charpentiers, des maçons, des laboureurs, avant qu'il se trouvât un homme qui eût assez de loisir pour méditer. Tous les arts de la main ont sans doute précédé la métaphysique de plusieurs siècles.

[...] Lorsqu'après un grand nombre de siècles quelques sociétés se furent établies, il est à croire qu'il y eut quelque religion, quelque espèce de culte grossier... Pour savoir comment tous ces cultes ou ces superstitions s'établirent, il me semble qu'il faut suivre la marche de l'esprit humain abandonné à lui-même. Une bourgade d'hommes presque sauvages voit périr les fruits qui la nourrissent ; une inondation détruit quelques ca-banes ; le tonnerre leur en brûle quelques autres. Qui leur a fait ce mal ? ce ne peut être un de leurs concitoyens ; car tous ont également souffert. C'est donc quelque puissance secrète : elle les a maltraités ; il faut donc l'apaiser. Comment en venir à bout ? -en la servant comme on sert ceux à qui l'on veut plaire, en lui faisant de petits présents. Il y a un serpent dans le voisinage, ce pourrait bien être ce serpent : on lui offrira du lait près de la caverne où il se retire ; il devient sacré dès lors ; on l'invoque quand on a la guerre contre la bourgade voisine, qui, de son côté, a choisi un autre protecteur.

[...] Chaque État eut donc, avec le temps, sa divinité tutélaire, sans savoir seulement ce que c'est qu'un Dieu : et sans pouvoir imaginer que l'Etat voisin n'eût pas comme lui un protecteur véritable. Car comment penser, lorsqu'on avait un Seigneur, que les autres n'en eussent pas aussi ? Il s'agissait seulement de savoir lequel de tant de Maîtres, de Seigneurs, de Dieux, l'emporterait, quand les nations combattraient les unes contre les autres.

Ce fut là, sans doute, l'origine de cette opinion si généralement et si longtemps répandue, que chaque peuple était réellement protégé par la divinité qu'il avait choisie. Cette idée fut tellement enracinée chez les hommes, que, dans des temps très postérieurs, vous voyez Homère faire combattre les dieux de Troie contre les dieux des Grecs, sans laisser soupçonner en aucun endroit que ce soit une chose extraordinaire et nouvelle. Vous voyez Jephté, chez les juifs, qui dit aux Ammonites : « Ne possédez-vous pas de droit ce que votre seigneur Chamos vous a donné ? Souffrez donc que nous possédions la terre que notre seigneur Adonaï nous a promise. »

Il y a un autre passage non moins fort ; c'est celui de Jérémie, chap. XLIX, verset I, où il est dit : « Quelle raison a eue le seigneur Melkom pour s'emparer du pays de Gad ? » Il est clair, par ces expressions, que les juifs, quoique serviteurs d’Adonaï, reconnaissaient pourtant le seigneur Melkom et le seigneur Chamos.

Dans le premier chapitre des juges, vous trouverez que le dieu de Juda se rendit maître des montagnes, mais qu'il ne put vaincre dans les vallées. Et an troisième livre des Rois, vous trouverez chez les Syriens l'opinion établie, que le dieu des juifs n'était que le dieu des montagnes.

Il y a bien plus. Rien ne fut plus commun que d'adopter les dieux étrangers. Les Grecs reconnurent ceux des Egyptiens : je ne dis pas le bOEuf Apis, et le chien Anubis ; mais Ammon, et les douze grands dieux. Les Romains adorèrent tous les dieux Grecs. Jérémie, Amos, et saint Etienne, nous assurent que dans le désert, pendant quarante années, les juifs ne reconnurent que Moloch, Remphan, ou Kium * ; qu'ils ne firent aucun sacrifice, ne présentèrent aucune offrande au dieu Ado-naï, qu'ils adorèrent depuis. Il est vrai que le Pentateuque ne parle que du veau d'or, dont aucun prophète ne fait mention ; mais ce n'est pas ici le lieu d’éclaircir cette grande difficulté : il suffit de révérer également Moïse, Jérémie, Amos et saint Etienne, qui semblent se contredire, et que des théologiens concilient.

Ce que j'observe seulement, c'est qu'excepté ces temps de guerre et de fanatisme sanguinaire qui éteignent toute l'humanité, et qui rendent les mOEurs, les lois, la religion d'un peuple, l'objet de l'horreur d'un autre peuple, toutes les nations trouvèrent très bon que leurs voisins eussent leurs dieux particuliers, et qu'elles imitèrent souvent le culte et les céré-monies des étrangers.

[...] La nature étant partout la même, les hommes ont dû nécessairement adopter les mêmes vérités et les mêmes erreurs dans les choses qui tombent le plus sous les sens et qui frappent le plus l'imagination. Ils ont dû tous attribuer le fracas et les effets du tonnerre au pouvoir d'un être supérieur habitant dans les airs. Les peuples voisins de l'Océan, voyant les grandes marées inonder leurs rivages à la pleine lune, ont dû croire que la lune était cause de tout ce qui arrivait au monde dans le temps de ses différentes phases.

[...] Parmi les animaux, le serpent dut leur paraître doué d'une intelligence supérieure, parce que, voyant muer quelquefois sa peau, ils durent croire qu'il rajeunissait. Il pouvait donc, en changeant de peau, se maintenir toujours dans sa jeunesse ; il était donc immortel. Aussi fut-il en Égypte, en Grèce, le symbole de l'immortalité. Les gros serpents qui se trouvaient auprès des fontaines, empêchaient les hommes timides d'en approcher : on pensa bientôt qu'ils gardaient des trésors. Ainsi un serpent gardait les pommes d'or hespérides ; un autre veillait autour de la toison d'or ; et dans les mystères de Bacchus, on portait l'image d'un serpent qui semblait garder une grappe d'or.

[...] Nous avons déjà vu que les songes, les rêves, durent introduire la même superstition dans toute la terre. je suis inquiet, pendant la veille, de la santé de ma femme, de mon fils ; je les vois mourants pendant mon sommeil ; ils meurent quelques jours après : il n'est pas douteux que les dieux ne m'aient envoyé ce songe véritable. Mon rêve n'a-t-il pas été accompli ? C'est un rêve trompeur que les dieux m'ont député. Ainsi, dans Homère, Jupiter envoie un songe trompeur à Agamemnon, chef des Grecs. Ainsi (au troisième livre des Rois, chap. XXII), le dieu qui conduit les Juifs envoie un esprit malin pour mentir dans la bouche des prophètes, et pour tromper le roi Achab.

Tous les songes vrais ou faux viennent du ciel : les oracles s'établissent de même par toute la terre.

Une femme vient demander à des Mages si son mari mourra dans l'année. L'un lui répond oui, l'autre non : il est bien certain que l'un d'eux aura raison. Si le mari vit, la femme garde le silence ; s'il meurt, elle crie par toute la ville que le Mage qui a prédit cette mort est un prophète divin. 11 se trouve bientôt dans tous les pays des hommes qui prédisent l'avenir, et qui découvrent les choses les plus cachées.

Il y avait des voyants en Chaldée, en Syrie. Chaque temple eut ses oracles. Ceux d'Apollon obtinrent un si grand crédit, que Rollin, dans son Histoire ancienne, répète les oracles rendus par Apollon à Crésus. Le dieu devine que le roi fait cuire une tortue dans une tourtière de cuivre, et lui répond que son règne finira quand un mulet sera sur le trône des Perses. Rollin n'examine point si ces prédictions, dignes de Nostradamus, ont été faites après coup ; il ne doute pas de la science des prêtres d’Apollon, et il croit que Dieu permettait qu'Apollon dît vrai : c'était apparemment pour confirmer les païens dans leur religion.

LES SAUVAGES

[...] E ntendez-vous par sauvages des rustres vivant dans des cabanes avec leurs femelles et quelques animaux, exposes sans cesse à toute l'intempérie des saisons ; ne connaissant que la terre qui les nourrit, et le marché où ils vont quelquefois vendre leurs denrées pour y acheter quelques habillements grossiers ; parlant un jargon qu'on n'entend pas dans les villes ; ayant peu d'idées, et par conséquent peu d'expressions ; soumis, sans qu'ils sachent pourquoi, à un homme de plume, auquel ils portent tous les ans la moitié de ce qu'ils ont gagné à la sueur de leur front ; se rassemblant, certains jours, dans un espèce de grange pour célébrer des cérémonies où ils ne comprennent rien, écoutant un homme vêtu autrement qu'eux, et qu'ils n'entendent point ; quittant quelquefois leur chaumière lorsqu'on bat le tambour, et s'engageant à s'aller faire tuer dans une terre étrangère, à tuer leurs semblables pour le quart de ce qu'ils peuvent gagner chez eux en travaillant ? Il y a de ces sauvages-là dans toute l'Europe. Il faut convenir, surtout, que les peuples du Canada et les Cafres, qu'il nous a plu d'appeler sauvages, sont infiniment supérieurs aux nôtres. Le Huron, l'Algonquin, l'Illinois, le Cafre, le Hottentot ont l'art de fabriquer eux-mêmes tout ce dont ils ont besoin ; et cet art manque à nos rustres. Les peuplades d'Amérique et d'Afrique sont libres, et nos sauvages n'ont pas même l'idée de la liberté.

[...] Entendez-vous par sauvages des animaux à deux pieds, marchant sur les mains dans le besoin, isolés, errant dans les forêts, Salvatici, Sel-vaggi ; s'accouplant à l'aventure, oubliant les femmes auxquelles ils se sont joints, ne connaissant ni leurs fils ni leurs pères ; vivant en brutes, sans avoir ni l'instinct ni les ressources des brutes ? On a écrit que cet état est le véritable état de l'homme, et que nous n'avons fait que dégénérer misérablement depuis que nous l'avons quitté, je ne crois pas que cette vie solitaire, attribuée à nos pères, soit dans la nature humaine.

Nous sommes, si je ne me trompe, au premier rang (s'il est permis de le dire) des animaux qui vivent en troupe, comme les abeilles, les fourmis, les castors, les oies, les poules, les moutons, etc. Si l'on rencontre une abeille errante, devra-t-on conclure que cette abeille est dans l'état de pure nature, et que celles qui travaillent en société dans la ruche ont dégénéré ?

[...] Tous les hommes vivent en société ; peut-on en inférer qu'ils n'y ont pas vécu autrefois ? n'est-ce pas comme si l'on concluait que si les taureaux ont aujourd'hui des cornes, c'est parce qu'ils n'en ont pas toujours eu ?

L'homme, en général, a toujours été ce qu'il est : cela ne veut pas dire qu'il ait toujours eu de belles villes, du canon de vingt-quatre livres de balle, des opéra-comiques et des couvents de religieuses. Mais il a tou-jours eu le même instinct, qui le porte à s'aimer dans soi-même, dans la compagne de son plaisir, dans ses enfants, dans ses petits-fils, dans les OEuvres de ses mains.

Voilà ce qui jamais ne change d'un bout de l'univers à l'autre. Le fonde-ment de la société existant toujours, il y a donc toujours eu quelque société ; nous n'étions donc point faits pour vivre à la manière des ours [...]

Se peut-il qu'on demande encore d'où sont venus les hommes qui ont peuplé l'Amérique ? On doit assurément faire la même question sur les nations des terres australes. Elles sont beaucoup plus éloignées du port dont partit Christophe Colomb, que ne le sont les îles Antilles. On a trouvé des hommes et des animaux partout où la terre est habitable ; qui les y a mis ? On l'a déjà dit ; c’est celui qui fait croître l'herbe des champs : et on ne devait pas être plus surpris de trouver en Amérique des hommes que des mouches.

Il est assez plaisant que le jésuite Lafitau prétende, dans sa préface de l'Histoire des Sauvages américains, qu'il n'y a que des athées qui puissent dire que Dieu a créé les Américains.

[...] Laissons le père Lafitau faire venir les Caraïbes des peuples de Carie, à cause de la conformité du nom, et surtout parce que les femmes ca-raïbes faisaient la cuisine de leurs maris ainsi que les femmes cariennes ; laissons-le supposer que les Caraïbes ne naissent rouges, et les Négresses noires, qu'à cause de l'habitude de leurs premiers pères de se peindre en noir ou en rouge.

Il arriva, dit-il, que les Négresses, voyant leurs maris teints en noir, en eurent l'imagination si frappée, que leur race s'en ressentit pour jamais. La même chose arriva aux femmes caraïbes, qui, par la même force d'imagination, accouchèrent d'enfants rouges. Il rapporte l'exemple des brebis de Jacob, qui naquirent bigarrées par l'adresse qu'avait eue ce patriarche de mettre devant leurs yeux des branches dont la moitié était écorcée ; ces branches paraissant à peu près de deux couleurs, donnèrent aussi deux couleurs aux agneaux du patriarche. Mais le jésuite devait sa-voir que tout ce qui arrivait du temps de Jacob n'arrive plus aujourd'hui.

Si l'on avait demandé au gendre de Laban pourquoi ses brebis, voyant toujours de l'herbe, ne faisaient pas des agneaux verts, il aurait été bien embarrassé.

Enfin, Lafitau fait venir les Américains des anciens Grecs ; et voici ses raisons. Les Grecs avaient des fables, quelques Américains en ont aussi. Les premiers Grecs allaient à la chasse, les Américains y vont. Les premiers Grecs avaient des oracles, les Américains ont des sorciers. On dansait dans les fêtes de la Grèce, on danse en Amérique. Il faut avouer que ces raisons sont convaincantes.

PEUPLES ANCIENS

L es Chinois.

[...] Presque tous les peuples ont sacrifié des enfants à leurs dieux ; donc ils croyaient recevoir cet ordre dénaturé de la bouche des dieux qu’ils adoraient.

Parmi les peuples qu'on appelle si improprement civilisés, je ne vois guère que les Chinois qui n'aient pas pratiqué ces horreurs absurdes. La Chine est le seul des anciens États connus qui n'ait pas été soumis au sacerdoce ; car les japonais étaient sous les lois d'un prêtre six cents ans avant notre ère. Presque partout ailleurs la théocratie est si établie, si enracinée, que les premières histoires sont celles des dieux mêmes qui se sont incarnés pour venir gouverner les hommes. Les dieux, disaient les peuples de Thèbes et de Memphis, ont régné douze mille ans en Egypte. Brama s'incarna pour régner dans l'Inde ; Sammonocodom, à Siam ; le dieu Adad gouverna la Syrie; la déesse Cybèle avait été souveraine de Phrygie ; Jupiter, de Crète; Saturne, de Grèce et d'Italie. Le même esprit préside à toutes ces fables ; c'est partout une confuse idée chez les hommes que les dieux sont autrefois descendus sur la terre.

Les Chaldéens

Les Chaldéens, les Indiens, les Chinois, me paraissent les nations le plus anciennement policées. Nous avons une époque certaine de la science des Chaldéens ; elle se trouve dans les dix-neuf cent trois ans d'observations célestes envoyées de Babylone par Callisthène au précepteur d'Alexandre. Ces tables astronomiques remontent précisément à l'année 2234 avant notre ère vulgaire. Il est vrai que cette époque touche au temps où la Vulgate place le déluge; mais n'entrons point ici dans les profondeurs des différentes chronologies de la Vulgate, des Samaritains et des Septante que nous révérons également... Il est clair que si les Chaldéens n'avaient existé sur la terre que depuis dix-neuf cents années avant notre ère, ce court espace ne leur eût pas suffi pour trouver une partie du véritable système de notre univers ; notion étonnante, à laquelle les Chaldéens étaient enfin parvenus. Aristarque de Samos nous apprend que les sages de Chaldée avaient connu combien il est impossible que la terre occupe le centre du monde planétaire ; qu'ils avaient assigné au soleil cette place qui lui appartient ; qu'ils faisaient rouler la terre et les autres planètes autour de lui, chacune dans un orbe différent.

Les progrès de l'esprit sont si lents, l'illusion des yeux est si puissante, l'asservissement aux idées reçues si tyrannique, qu'il n'est pas possible qu'un peuple qui n'aurait eu que dix-neuf cents ans, eût pu parvenir à ce haut degré de philosophie qui contredit les yeux, et qui demande la théorie la plus approfondie. Aussi les Chaldéens comptaient quatre cent soixante et dix mille ans ; encore cette connaissance du système du monde ne fût en Chaldée que le partage du petit nombre des philosophes. C'est le sort de toutes les grandes vérités ; et les Grecs qui vinrent ensuite, n'adoptèrent que le système commun, qui est le système des enfants.

Quatre cent soixante et dix mille ans *, c'est beaucoup pour nous autres qui sommes d'hier, mais c'est bien peu de chose pour l'univers entier. je sais bien que nous ne pouvons adopter ce calcul ; que Cicéron s'en est moqué, qu'il est exorbitant, et que surtout nous devons croire au Pentateuque plutôt qu'à Sanchoniathon et à Bérose ; mais, encore une fois, il est impossible (humainement parlant) que les hommes soient parvenus en dix-neuf cents ans à deviner de si étonnantes vérités. Le premier art est celui de pourvoir à sa subsistance, ce qui était autrefois beaucoup plus difficile aux hommes qu'aux brutes ; le second, de former un langage, ce qui certainement demande un espace de temps très considérable ; le troisième, de se bâtir quelques huttes ; le quatrième, de se vêtir. Ensuite, pour forger le fer, ou pour y suppléer, il faut tant de hasards heureux, tant d'industrie, tant de siècles, qu'on n'imagine pas même comment les hommes en sont venus à bout. Quel saut de cet état à l'astronomie !

DES FOUS ET DES SAGES

T out ce qu'on peut assurer de Cyrus, c'est qu'il fut un grand conquérant, par conséquent un fléau de la terre. Le fond de son histoire est très vrai ; les épisodes sont fabuleux : il en est ainsi de toute histoire.

Rome existait du temps de Cyrus : elle avait un territoire de quatre à cinq lieues, et pillait tant qu'elle pouvait ses voisins ; mais je ne voudrais pas garantir le combat des trois Horace, et l'aventure de Lucrèce, et le boucher descendu du ciel, et la pierre coupée avec un rasoir. Il y avait quelques juifs esclaves dans la Babylonie et ailleurs ; mais, humainement parlant, on pourrait douter que l'ange Raphaël fût descendu du ciel pour conduire à pied le jeune Tobie vers l'Hyrcanie, afin de le faire payer de quelque argent, et de chasser le diable Asmodée avec la fumée du foie d'un brochet...

[...] Je m'en rapporte au Sadder, à cet extrait du Zend, qui est le catéchisme des Parsis. J'y vois que ces Parsis croyaient depuis longtemps en un Dieu, un diable, une résurrection, un paradis, un enfer. Ils sont les premiers, sans contredit, qui ont établi ces idées ; c'est le système le plus antique, et qui ne fut adopté par les autres nations qu'après bien des siècles, puisque les pharisiens, chez les juifs, ne soutinrent hautement l'immortalité de l'âme, et le dogme des peines et des récompenses après la mort, que vers le temps des Asmonéens.

Voilà peut-être ce qu'il y a de plus important dans l'ancienne histoire du monde : voilà une religion utile, établie sur le dogme de l'immortalité de l'âme et sur la connaissance de l'Être créateur. Ne cessons point de remarquer par combien de degrés il fallut que l'esprit humain passât pour concevoir un tel système.

[...] Nous ne pouvons avoir rien de certain sur la formation du monde, que ce que le Créateur du monde aurait daigné nous apprendre lui-même. Nous marchons avec sûreté jusqu'à certaines bornes : nous savons que Babylone existait avant Rome ; que les villes de Syrie étaient puissantes avant qu'on connût Jérusalem ; qu'il y avait des rois d'Egypte avant Jacob, avant Abraham : nous savons quelles sociétés se sont établies les dernières ; mais pour savoir précisément quel fut le premier peuple, il faut une révélation [...] .

[...] Laissons Gomer, presque au sortir de l'arche, aller subjuguer les Gaules, et les peupler en quelques années ; laissons aller Tubal en Espagne, et Magog dans le nord de l'Allemagne, vers le temps où les fils de Cham faisaient une prodigieuse quantité d'enfants tout noirs vers la Guinée et le Congo. Ces impertinences dégoûtantes sont débitées dans tant de livres, que ce n'est pas la peine d'en parler : les enfants commencent à en rire ...

Les Scythes sont ces mêmes barbares que nous avons depuis appelés Tartares ; ce sont ceux-là mêmes qui, longtemps avant Alexandre, avaient ravagé plusieurs fois l'Asie, et qui ont été les déprédateurs d'une grande partie du continent. Tantôt, sous le nom de Mongols ou de Huns, ils ont asservi la Chine et les Indes ; tantôt, sous le nom de Turcs, ils ont chassé les Arabes qui avaient conquis une partie de l'Asie. C'est de ces vastes campagnes que partirent les Huns pour aller jusqu'à Rome. Voilà ces hommes désintéressés et justes dont nos compilateurs vantent encore aujourd'hui l'équité quand ils copient Quinte-Curce. C'est ainsi qu'on nous accable d'histoires anciennes, sans choix et sans jugement ; on les lit à peu près avec le même esprit qu'elles ont été faites, et on ne se met dans la tête que des erreurs.

Les Russes habitent aujourd'hui l'ancienne Scythie européenne ; ce sont eux qui ont fourni à l'histoire des vérités bien étonnantes. Il y a eu sur la terre des révolutions qui ont plus frappé l'imagination ; il n'y en a pas une qui satisfasse autant l'esprit humain, et qui lui fasse autant d'honneur. On a vu des conquérants et des dévastations ; mais qu'un seul homme ait, en vingt années, changé les mOEurs, les lois, l'esprit du plus vaste empire de la terre ; que tous les arts soient venus en foule embellir des déserts ; c'est là ce qui est admirable. Une femme qui ne savait ni lire ni écrire perfectionna ce que Pierre le Grand avait commencé. Une autre femme (Elisabeth) étendit encore ces nobles commencements. Une autre impératrice encore est allée plus loin que les deux autres ; son génie s'est communiqué à ses sujets ; les révolutions du palais n'ont pas retardé d'un moment les progrès de la félicité de l'empire: on a vu, en un demi-siècle, la cour de Scythie plus éclairée que ne l'ont été jamais la Grèce et Rome.

ORIGINES HÉBRAÏQUES

S'il est permis d'examiner la partie historique des livres judaïques, par les mêmes règles qui nous conduisent dans la critique des autres histoires, il faut convenir, avec tous les commentateurs, que le récit des aventures d'Abraham, tel qu'il se trouve dans le Pentateuque, serait sujet à quelques difficultés s'il se trouvait dans une autre histoire.

La Genèse, après avoir raconté la mort de Tharé, dit qu'Abraham, son fils, sortit d'Aran, âgé de soixante et quinze ans ; et il est naturel d'en conclure qu'il ne quitta son pays qu'après la mort de son père.

Mais la même Genèse dit que Tharé, l'ayant engendré à soixante et dix ans, vécut jusqu'à deux cent cinq ; ainsi Abraham aurait eu cent trente-cinq ans quand il quitta la Chaldée. Il paraît étrange qu'à cet âge il ait abandonné le fertile pays de la Mésopotamie, pour aller, à trois cents milles de là, dans la contrée stérile et pierreuse de Sichem, qui n'était point un lieu de commerce. De Sichem on le fait aller acheter du blé à Memphis, qui est environ à six cents milles ; et dès qu'il arrive, le roi devient amoureux de sa femme, âgée de soixante et quinze ans.

Je ne touche point à ce qu'il y a de divin dans cette histoire, je m'en tiens toujours aux recherches de l'antiquité.

[...] Qu'il soit permis d'observer un trait de l'histoire d'Abraham. Il est représenté, au sortir de l'Egypte, comme un pasteur nomade, errant entre le mont Carmel et le lac Asphaltide ; c'est le désert le plus aride de l'Arabie Pétrée ; tout le territoire y est bitumineux ; l'eau y est très rare : le peu qu'on y trouve est moins potable que celle de la mer. Il y voiture ses tentes avec trois cent dix-huit serviteurs ; et son neveu Loth est établi dans la ville ou bourg de Sodome. Un roi de Babylone, un roi de Perse, un roi de Pont, et un roi de plusieurs autres nations, se liguent ensemble pour faire la guerre à Sodome et à quatre bourgades voisines. Ils prennent ces bourgs et Sodome ; Loth est leur prisonnier. Il n'est pas ai-sé de comprendre comment quatre grands rois si puissants se liguèrent pour venir ainsi attaquer une horde d'Arabes dans un coin de terre si sauvage, ni comment Abraham défit de si puissants monarques avec trois cents valets de campagne, ni comment il les poursuivit jusque pardelà Damas. Quelques traducteurs ont mis Dan pour Damas ; mais Dan n'existait pas du temps de Moïse, encore moins du temps d'Abraham. Il y a, de l'extrémité du lac Asphaltide, où Sodome était située, jusqu'à Damas, plus de trois cents milles de route. Tout cela est au-dessus de nos conceptions. Tout est miraculeux dans l'histoire des Hébreux.

L'INDE ET LA CHINE

Ce qui me frappe le plus dans l'Inde, c'est cette ancienne opinion de la transmigration des âmes, qui s'étendit avec le temps jusqu'à la Chine et dans l'Europe. Ce n'est pas que les Indiens sussent ce que c'est qu'une âme : mais ils imaginaient que ce principe, soit aérien, soit igné, allait successivement animer d'autres corps. Remarquons attentivement ce système de philosophie qui tient aux mOEurs. C'était un grand frein pour les pervers, que la crainte d'être condamnés par Visnou et par Brama à devenir les plus vils et les plus malheureux animaux. Nous verrons bientôt que tous les grands peuples avaient une idée d'une autre vie, quoique avec des notions différentes. Je ne vois guère, parmi les anciens empires, que les Chinois qui n'établirent pas la doctrine de l'immortalité de l'âme. Leurs premiers législateurs ne promulguèrent que des lois morales ; ils crurent qu'il suffisait d'exhorter les hommes à la vertu, et de les y forcer par une police sévère.

[...] La religion chrétienne, que ces seuls primitifs suivent à la lettre, est aussi ennemi du sang que la pythagoricienne. Mais les peuples chrétiens n'ont jamais observé leur religion, et les anciennes castes indiennes ont toujours pratiqué la leur : c'est que le pythagorisme est la seule religion au monde qui ait su faire de l'horreur du meurtre une piété filiale et un sentiment religieux.

[...] En un mot, l'ancienne religion de l'Inde, et celle des lettrés à la Chine, sont les seules dans lesquelles les hommes n'aient point été barbares. Comment put-il arriver qu'ensuite ces mêmes hommes, qui se faisaient un crime d'égorger un animal, permissent que les femmes se brûlassent sur le corps de leurs maris, dans la vaine espérance de renaître dans des corps plus beaux et plus heureux ? c'est que le fanatisme et les contradictions sont l'apanage de la nature humaine.

[...] Nulle fonction de la nature, nulle action chez les Brames, sans prières. La première fois qu'on rase la tête de l'enfant, le père dit au rasoir dévotement : Rasoir, rase mon fils comme tu as rasé le soleil et le dieu Indro. Il se pourrait après tout que le dieu Indro eût été autrefois rasé ; mais pour le soleil, cela n'est pas aisé à comprendre, à moins que les Brames n'aient eu notre Apollon, que nous représentons encore sans barbe.

[...] Si quelques annales portent un caractère de certitude, ce sont celles des Chinois, qui ont joint, comme on l'a déjà dit ailleurs, l'histoire du ciel à celle de la terre. Seuls de tous les peuples, ils ont constamment marqué leurs époques par des éclipses, par les conjonctions des planètes ; et nos astronomes, qui ont examiné leurs calculs, ont été étonnés de les trouver presque tous véritables. Les autres nations inventèrent des fables allégoriques ; et les Chinois écrivirent leur histoire, la plume et l'astrolabe à la main, avec une simplicité dont on ne trouve point d'exemple dans le reste de l'Asie [...] .

Je n'examinerai point ici pourquoi les Chinois, parvenus à connaître et à pratiquer tout ce qui est utile à la société, n'ont pas été aussi loin que nous allons aujourd'hui dans les sciences. Ils sont aussi mauvais physiciens, je l'avoue, que nous l'étions il y a deux cents ans, et que les Grecs et les Romains l'ont été ; mais ils ont perfectionné la morale, qui est la première des sciences [...] .

Leur Confutzée, que nous appelons Confucius, n'imagina ni nouvelles opinions, ni nouveaux rites; il ne fit ni l'inspiré ni le prophète : c'était un sage magistrat qui enseignait les anciennes lois. Nous disons quelquefois, et bien mal à propos, la religion de Confucius ; il n'en avait point d'autre que celle de tous les empereurs et de tous les tribunaux, point d'autre que celle des premiers sages. Il ne recommande que la vertu ; il ne prêche aucun mystère. Il dit dans son premier livre, que pour apprendre à gouverner, il faut passer tous ses jours à se corriger. Dans le second, il prouve que Dieu a gravé lui-même la vertu dans le cOEur de l'homme ; il dit que l'homme n'est point né méchant, et qu'il le devient par sa faute. Le troisième est un recueil de maximes pures, où vous ne trouvez rien de bas, et rien d'une allégorie ridicule. Il eut cinq mille disciples ; il pouvait se mettre à la tête d'un parti puissant, et il aima mieux instruire les hommes que de les gouverner...

Il est vrai que les lois de la Chine ne parlent point de peines et de récompenses après la mort: ils n'ont point voulu affirmer ce qu'ils ne savaient pas. Cette différence entre eux et tous les grands peuples policés est très étonnante. La doctrine de l'enfer était utile, et le gouvernement des Chinois ne l'a jamais admise. Ils se contentèrent d'exhorter les hommes à révérer le ciel et à être justes [...] .

Résumons ici seulement que l'Empire chinois subsistait avec splendeur, quand les Chaldéens commençaient le cours de ces dix-neuf cents années d'observations astronomiques envoyées en Grèce par Callisthène. Les Brames régnaient alors dans une partie de l'Inde ; les Perses avaient leurs lois ; les Arabes, au midi, les Scythes, au septentrion, habitaient sous des tentes ; l'Egypte, dont nous allons parler, était un puissant royaume.

LES ÉGYPTIENS

Hérodote racontait ingénument aux Grecs ce que les Égyptiens lui avaient dit ; mais comment, en ne lui parlant que de prodiges, ne lui dirent-ils rien des fameuses plaies d'Egypte, de ce combat magique entre les sorciers de Pharaon et le ministre du Dieu des Juifs ; et d'une armée entière engloutie au fond de la mer Rouge sous les eaux, élevées comme des montagnes à droite et à gauche pour laisser passer les Hébreux, les-quelles, en retombant, submergèrent les Egyptiens ? C'était assurément le plus grand événement dans l'histoire du monde : comment donc ni Hérodote, ni Manéthon, ni Eratosthène, ni aucun des Grecs si grands amateurs du merveilleux, et toujours en correspondance avec l'Egypte, n'ont-ils point parlé de ces miracles qui devaient occuper la mémoire de toutes les générations ? je ne fais pas assurément cette réflexion pour infirmer le témoignage des livres hébreux, que je révère comme je le dois : je me borne à m'étonner seulement du silence de tous les Egyptiens et de tous les Grecs. Dieu ne voulut pas sans doute qu'une histoire si divine nous fût transmise par aucune main profane.

[...] Ce qu'on doit surtout remarquer de l'Egypte et de toutes les nations, c'est qu'elles n'ont jamais eu d'opinions constantes, comme elles n'ont ja-mais eu de lois toujours uniformes, malgré l'attachement que les hommes ont à leurs anciens usages. Il n'y a d'immuable que la géométrie; tout le reste est une variation continuelle.

[...] Juvénal a dit que les Egyptiens adoraient des oignons ; mais aucun historien ne l'avait dit. Il y a bien de la différence entre un oignon sacré et un oignon dieu; on n'adore pas tout ce qu'on place, tout ce que l'on consacre sur un autel. Nous lisons dans Cicéron, que les hommes qui ont épuisé toutes les superstitions ne sont point parvenus encore à celle de manger leurs dieux, et que c'est la seule absurdité qui leur manque.

LES GRECS

[...] Je laisse à de plus savants que moi le soin de prouver que les trois enfants de Noé, qui étaient les seuls habitants du globe, le partagèrent tout entier ; qu'ils allèrent chacun à deux ou trois mille lieues d'un de l'autre fonder partout de puissants empires ; et que Javan, son petit-fils, peupla la Grèce en passant en Italie : que c'est de là que les Grecs s'appelèrent Ioniens, parce qu'Ion envoya des colonies sur les côtes de l'Asie Mineure; que cet Ion est visiblement Javan, en changeant I en Ja et on en van. On fait de ces contes aux enfants ; et les enfants n'en croient rien :

Nec pueri credunt, nisi qui nondùm aere lavantur. JUVÉN., sat. II, v. 153.

Si l'on en croit des hommes très judicieux, comme Pétau le jésuite, un seul fils de Noé produisit une race qui, au bout de deux cent quatrevingt-cinq ans, se montait à six cent vingt-trois milliards six cent douze millions d'hommes : le calcul est un peu fort. Nous sommes aujourd'hui assez malheureux pour que de vingt-six mariages il n'y en ait d'ordinaire que quatre dont il reste des enfants qui deviennent pères : c'est ce qu'on a calculé sur les relevés des registres de nos plus grandes villes. De mille enfants nés dans une même année, il en reste à peine six cents au bout de vingt ans. Défions-nous de Pétau et de ses semblables, qui font des enfants à coups de plume, aussi bien que de ceux qui ont écrit que Deucalion et Pyrrha peuplèrent la Grèce à coups de pierres.