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Je croyais que j'étais promise à un avenir brillant. Je croyais que mon étoile brillerait si fort que son éclat éblouirait le monde. Ma mère me disait quand j'étais petite: "Tu es une personne exceptionnelle. Je vois en toi un avenir radieux, meilleur. Tu bouleverseras ta génération". Je l'ai cru, mais je réalise aujourd'hui qu'elle n'avait rien vu en moi mais, comme toute mère normale, elle souhaitait que je sois quelqu'un d'exceptionnel. Elle a nourri un tel espoir en moi, je m'en veux de la décevoir. Je crois que cela m'a mis la pression de bien faire et j'ai tout gâché... Etre sans être est une saga captivante qui dévoile les nuances de la réalité derrière l'eldorado.
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Seitenzahl: 397
Veröffentlichungsjahr: 2024
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À ma fille, mon inspiration, ma muse.
Quel a été le déclic ?
Préface
Chapitre I – Arrivée
Chapitre II – Les misérables
Chapitre III – le Crous
Chapitre IV – Oh racisme que veux-tu ?
Chapitre V — Mes copines
Chapitre VI — Raphael
Chapitre VII — Une histoire d'animosité
Chapitre VIII — Tarah et compagnie
Chapitre IX — Le géniteur
Chapitre X — Décadence
Chapitre XI — Nouvelle vie
Chapitre XII — La Vendeuse de Boulogne-sur-Mer
Chapitre XIII — La souffrance
Chapitre XIV — Respirer pour travailler
Chapitre XV – Le Coronavirus
Chapitre XV — L’Ascension
Épilogue
Le racisme ne me fait pas badiner, mais la lutte contre le racisme m’esclaffe, moi une noire et vraiment noire à 100 %. Je n’ai pas besoin d’être fière d’être noire, tous ceux qui se disent fiers d’être noirs sont juste complexés. J’en suis venue à cette conclusion quand j’ai demandé à un ami français de souche : es-tu fier d’être blanc ?
Il me regarda durement et dit :
– Pourquoi cette question ? Tu es raciste ?
– Il n’y a rien de raciste. Je veux juste savoir si tu es fier d’être blanc.
– Poser cette question c’est comme si être blanc peut-être une tare et j’ai besoin de me rassurer et de rassurer le monde en me disant être fier d’être blanc. Je n’ai pas besoin d’être fier d’être blanc. Je suis blanc c’est tout !
Là, j’ai réalisé que je n’ai jamais vu d’affiche disant « Fier d’être blanc », car les blancs n’ont rien à démontrer, ils sont blancs et c’est tout. Fière d’être noire, je n’ai pas besoin de le dire et que je sois fière ou pas qu’est-ce que cela changerait ? Je suis noire, noire et noire, je peux me blanchir la peau, mais jamais ne peux me blanchir le sang, jamais blanchir mes origines. Je peux porter un masque blanc, comme les noirs que décrivait Frantz Fanon, je resterai noire aux yeux du monde. Je reste noire et noire, noire de souche, noire d’ébène. Ce n’est pas le soleil qui m’a brûlé, mais la mer qui m’a lavé. Je ne suis pas fière d’être noire, car je n’ai pas besoin de proclamer que je suis noire. Dire que je suis fière d’être noire c’est comme s’il existait des noires qui n’en soient pas fières. Du coup je suis noire et n’ai aucune envie non plus d’être blanche. Pourquoi ? Parce que je suis raciste, dira-t-on. Oui, c’est hilarant une noire raciste n’est-ce pas ? Les noires ont trop de problèmes pour être racistes. Les blancs ont une vie tellement calme que pour la pimenter on y ajoute un peu de racisme : haïr une personne sans raison, parce qu’elle est née d’un épiderme différent. S’il m’était donné la possibilité de me réincarner et de choisir ma couleur, je préférerais être multicolore c’est ça qui fait la beauté de ce monde.
Quand je vois des publicités de lutte contre le racisme, je vois qu’elles s’évertuent à démontrer de A à Z que les origines sont pareilles. Ces publicités veulent démontrer que le noir est comme le blanc. Le seul fait de vouloir le démontrer montre déjà que le noir n’est pas identique au blanc. S’ils étaient semblables alors on n’a pas besoin de démonstration. Le plus hilarant, c’est que ceux qui veulent démontrer ces théories sont des blancs. C’est risible. Un blanc qui veut démontrer que les noirs sont ses semblables... Tout d’abord, on ne lui a rien demandé et d’autre part, rien… Je ne me mettrais en aucun cas à faire cette réflexion si je n’avais pas fait la bêtise de quitter le continent noir pour le continent blanc ! Pourquoi ai-je quitté l’Afrique ? Pourquoi les Africains quittent-ils l’Afrique au péril de leurs vies pour venir dans un autre enfer qui s’appelle l’Europe ? C’est ce que tous mes amis européens voudraient comprendre.
À chaque fois que je fais la connaissance d’un nouvel ami, j’ai la question fatidique : « Angy pourquoi tu as voulu venir en France ? » J’aimerais bien répondre ceci : « C’est parce qu’il fait trop bon vivre en Afrique, que la paix est à l’excès, le progrès, le développement économique et social, la démocratie, les formations sont de très bonne qualité que j’ai décidé de me compliquer un peu la vie en voulant goûter un peu à la misère de l’Europe. Que j’ai décidé de quitter un beau matin toute ma famille, tous mes amis, tous ceux avec qui j’ai passé ma vie, quitter mon amoureux, pour venir m’isoler toute seule en France dans un monde où je ne connais personne. » Ohlala, comme je rêverais de dire ça un jour, comme tout Africain aimerait dire ça... Mais je crois que même dans mes rêves les plus fous, je ne pourrais jamais rêver dire ça. Bien que les rêves soient irréels, on ne peut jamais rêver cela, juste parce que l’Afrique est irré... (cupérable)
Tout d’abord, retenez que j’écris parce que j’ai envie d’écrire ce que je pense et ce que je vis. Je doute fort qu’une maison d’édition veuille m’éditer, mais si par miracle cela arrivait, j’aimerais, chers lecteurs, vous prévenir que jusqu’à ce que vous finissiez de lire cet ouvrage, que vous soyez noir ou blanc, vous allez me détester. Excusez-moi d’employer les termes « noir et blanc » qui sont supposés être racistes, mais je trouve que ce sont les seuls termes qui sont courts et rapides à écrire. Je ne vais pas me mettre à chaque instant à dire les Africains, les Occidentaux... ce sont trop de lettres pour moi. On va être écologique et faire l’économie des mots, qui entraînera l’économie des pages et l’économie des feuilles. Alors, tolérez que je dise « blanc et noir ». Merci pour votre largeur d’esprit.
Que disais-je ? Que les noirs et les blancs vont me détester à la fin de tout ce que j’aurais débité, car effectivement ces deux races m’en ont fait voir de toutes les couleurs.
Cependant, j’aimerais vous dire pourquoi j’ai quitté mon pays, l’Africadou, de 100 700 km2 situé au centre de l’Afrique, à côté de l’Afrique de l’Ouest, de l’Est, du Sud et du Nord où le Président actuel est le fils de l’ex-président qui est resté 50 ans au pouvoir. Mon pays où les mêmes personnes bradent de triples fonctions. Mon pays où les prisonniers n’ont pas de droit, où la polygamie est le principe, où la femme n’a pas droit à la parole, où le taux de chômage est à l’extrême, où l’espérance de vie est de 52 ans, où les 3 000 étudiants occupent un amphi de 600 places, où les soldats escroquent les pauvres, où le taux de criminalité ne fait que s’accroître, où... la liste est trop longue, je n’ai plus d’inspiration. J’ai quitté ce beau pays, pour un pays comme la France qui fait partie des cinq puissances du monde et qui est censée être le pays des droits de l’homme. Je crois que la raison est simple « on ne change pas une équipe qui gagne ». Donc si on en change cela veut dire que l’équipe est perdante. Avec cela, mes motivations sont simples, j’ai quitté mon pays pour avoir une meilleure formation. Dans mon pays on considère ceux qui ont des diplômes français comme supérieurs aux nationaux. Alors voulant mettre toutes les chances de mon côté, pour ne pas me retrouver dans la liste des futurs cas sociaux, chômeurs, j’ai décidé de venir m’isoler dans un monde parallèle à celui dans lequel j’ai toujours vécu. Juste dans le but de retourner dans mon pays avec un diplôme en droit français qui selon les statistiques est meilleur que le diplôme d’Africadou. Je ne sais sur quelle base, mais c’est ce que l’on m’a dit pour m’encourager à venir étudier ici. J’ai quitté mon pays, car mon pays tue l’ambition de la jeunesse, étouffe l’espoir de la population, soumet ses enfants à la misère. Et l’Occident n’y est pour rien… je badine, ils en sont responsables pour le quart, non pour la moitié, non pour le tiers. Bref, je vais essayer de mesurer sa responsabilité après. D’autre part, ce sont les propres fils de la nation qui ont pris en captivité le peuple, quel pléonasme ! L’Africadou est lui-même responsable en partie de sa situation pour s’en sortir, il faudra qu’il assume sa responsabilité. L’Africadou évoluera quand il assumera sa responsabilité. Je parle juste de mon pays. Je ne peux pas parler de l’Afrique, l’Afrique est un continent qui compte 54 états et chacun a son degré de développement et ses problèmes. Du coup, je vais parler particulièrement de mon pays et en général de l’Afrique.
Laissez-moi vous rappeler l’histoire de mon départ. Je m’en souviens comme si c’était hier. En effet, je n’avais jamais projeté aller en France faire mes études. Mon projet était tout fait : faire mon Master à l’université d’Africadou, aller à l’école des avocats, passer le concours et me retrouver au barreau et faire le métier de mon rêve, plaider, représenter, défendre les démunis. Quand je dis que je veux devenir avocate pour représenter les pauvres, ceux qui n’ont pas assez de moyens, on dirait que je fais un spectacle d’humour étant donné que tous mes amis éclatent de rire. Oui ça fait cliché, tous les avocats ont toujours de bonnes intentions au début avant de devenir des loups ravisseurs. Tout le monde dit qu’il n’existe pas d’avocat qui ait d’égards pour la veuve et l’orphelin, que tous les avocats sont cupides, avides de gloire, hypocrites, arrogants, imbus de leur personne, etc. On n’en parle jamais en bien dans mon pays et c’est justifié. J’en ai eu la preuve grâce à mes multiples stages en cabinets d’avocat où il m’est arrivé de larmoyer avec des clients. Ces stages m’ont permis de voir à quel point les avocats peuvent être sans cœur, n’ayant aucun égard pour leurs clients, leurs propres clients, c’est hallucinant ! J’ai connu des avocats qui ne daignaient même pas dire bonjour ou recevoir leurs clients. D’autres même, se mettre à vociférer sur leurs clients comme s’ils étaient leurs enfants. C’est invraisemblable qu’un avocat puisse avoir tant de mépris et de manque de respect envers son propre client, mais ce mauvais traitement n’est réservé qu’aux pauvres. En revanche, quand un client nanti arrive au cabinet, c’est là que j’ai connu la définition de lèche-bottes. Du clerc, en passant par les stagiaires, la secrétaire, jusqu’à l’avocat des louanges et des sourires jusqu’aux oreilles sont affichés. Cela se remarque aussi dans le traitement des dossiers. Pour les affaires qui rapportent peu on ne s’y attarde pas, peut-être à la veille du procès on essaie de rédiger les conclusions. Pour les affaires juteuses, on y investit tout le temps possible. En ce moment le pauvre client, dont les droits sont brimés, qui croupit en prison, par exemple, espérant que son avocat l’en sortira, passera des années à charger son fardeau. Tout cela m’indignait. Quand j’y réfléchis, je me dis que sûrement tous ces avocats qui se sont transformés en monstres avaient sûrement cette passion, comme moi, de défendre « la veuve et l’orphelin » lorsqu’ils étaient étudiants, avant de finir par se laisser corrompre par les vices de la profession. De ce fait, j’ai peur. J’angoisse de devenir un jour ce genre d’avocat sans cœur, vénal, rapace. J’espère que je ne mangerai pas de ce fruit empoisonné qui plonge les avocats de mon pays dans la noirceur, mais dans tous les cas, cela ne change pas mon ambition de devenir avocate.
C’est ainsi que, dans le but d’avoir une bonne formation pour épouser cette profession, j’ai dû réserver mon billet pour la France. Ma mère, mes deux sœurs, mon frère m’accompagnèrent à l’aéroport (dire que je ne les reverrais qu’après des années). À ce moment précis, je ne savais pas si je devais être heureuse de partir ou malheureuse de laisser ceux que j’aime derrière moi. Les larmes n’arrêtaient pas de perler sur mon visage. Ma sœur, Magui, que j’avais l’habitude d’appeler « mère pleureuse », avait ce jour mérité ce nom. La tristesse sur mon visage était indescriptible. Quand on est avec sa famille, on a l’impression de les détester, jusqu’au jour où on se sépare d’eux et que l’on réalise à quel point on les aime. On ressent un amour si fort en ce moment précis que l’on donnerait tout pour rester près d’eux. Au moment où j’enregistrais mes bagages, j’avais envie de tout arrêter et rester dans mon pays. Je me disais : quel était l’intérêt d’aller faire mes études en France ? Pourquoi ne pas rester faire mes études dans mon pays ? Ceux qui l’ont fait n’en sont pas morts, même s’ils sont au chômage, je peux avoir plus de chance qu’eux. Pourquoi débourser tant d’argent ? Pourquoi ruiner ma mère pour qu’elle paye mes études en France ? Cet argent pourrait fructifier si on l’investissait. Des pensées traversaient mon esprit, je n’avais plus envie de partir. Les personnes avec qui je devais embarquer avançaient, moi je traînais. J’étais là, regardant ma mère à travers la vitre, cette femme extraordinaire, mes sœurs et mon frère. J’étais comme hypnotisée, je réalisais que je ne les reverrais pas pendant au moins cinq ans. Les larmes continuaient à couler sur mon visage, la séparation était difficile. J’ai eu le cœur brisé par le passé dans une histoire d’amour, mais je n’ai pas eu si mal que ce jour. Dans ma famille on est pudique, on n’ose pas exprimer nos sentiments. On s’aimait fort, mais on n’osait jamais le dire. J’avais envie de crier fort « Je vous aime », mais je n’y arrivais pas. Je me suis arrêtée et les ai regardés. Il a fallu que ma mère hurle : « Pars, tu attends quoi ? Pars saisir un futur meilleur ma chérie ». C’était comme si elle parlait à une colombe, elle me laissait prendre mon envol, ma maman chérie. Je devais voler de mes propres ailes maintenant, apprendre à survivre seule, seule, seule… Je les regardais tous les quatre fixement, comme pour mémoriser à jamais leurs visages et suis rentrée par cette porte, pour ne plus jamais les revoir, ni les toucher, jusqu’à ce moment T, où j’écris…
Je marchais comme une somnambule pour rentrer dans l’avion. Je ne voyais rien, mes yeux étaient obscurs. Dans l’avion, je n’arrivais pas à penser, ma tête était vide.
Heureusement que mon siège était près des fenêtres. Je regardais l’avion survolé l’Africadou, mon beau pays. Ce pays qui m’a bercé, élevé, nourri. Ce pays dans lequel j’ai connu pour la première fois l’amour, la haine, la joie, la déception... Je le quittais.
Malgré tous ses défauts, je l’aime ce pays et je serai à jamais Africadoue, je n’ai aucun regret d’être citoyenne de ce pays.
À mon arrivée à l’aéroport Charles de Gaulle, je me suis dit « me voilà arrivé en France, ce fameux pays dont j’ai toujours entendu parler depuis ma tendre jeunesse ». La France, le paradis, la France, la belle, La France, l’espoir, la France, le mythe, l’eldorado… j’espérais être impressionnée dès que je mettrai pied sur le sol français, que la terre tremblerait, que le ciel serait plus bleu que jamais, le soleil si luisant.
Soudain toutes mes peines disparaîtront, je verrai des choses extraordinaires, des choses que je n’avais jamais vues. Mais dès que j’ai mis mes pieds sur le sol français tout était fade, triste, le temps était gris, il n’y avait rien à admirer à part des blancs partout, c’était l’hiver en l’automne. Dans mon pays, il y a des blancs, partout, mais on n’en voit pas des milliers d’un coup. Pour une fois ça changeait et c’était impressionnant. Des bruns aux yeux verts, des blonds aux yeux bleus, des roux, il en avait partout. Cela semblait logique, j’étais dans leur monde. Il faisait froid, tellement froid que je claquais des dents, seule ma solitude me réchauffait. J’étais émerveillée par l’aéroport, je n’en avais jamais vu de si grand et aussi dynamique, on s’y perdait. Ça a été un parcours du combattant pour récupérer mes valises. J’étais vraiment désorientée. Je voulais juste que ça finisse, trouver un lit pour me coucher, appeler ma mère pour lui dire que je suis bien arrivée, dormir et croire que tout cela n’était qu’un mauvais rêve.
Je finis par sortir de cet aéroport et trouver le beau-frère de Mélanie, M. Jean, et Koli, mon fidèle ami, qui étaient là pour m’accueillir.
Quelle fut ma joie de voir un visage familier, Koli!
Koli a connu la même misère que moi à l’université d’Africadou, cette université qui étouffe l’intelligence des étudiants. À un moment donné on avait l’impression d’être devenus débiles, demeurés. Moi, qui avais obtenu mon baccalauréat avec une mention très bien, au point d’être la première de tout l’Africadou, arrivée à l’université d’Africadou j’ai cru que mon intelligence avait disparu, que mon cerveau avait perdu toute sa capacité. Je révisais mes cours comme une dingue et n’avais jamais la moyenne. Si j’avais été la seule à être dans cette situation, je me serais effondrée depuis belle lurette. Tous les étudiants, et particulièrement ceux en droit, vivaient le même calvaire et je me suis rendu compte que j’étais partiellement responsable de mon échec. Je me sentais obligée de le dire, mais j’avais l’impression que mes professeurs venaient enseigner par obligation et étaient indifférents au sort des étudiants. Ils accomplissaient leur travail avec légèreté. Je n’arrivais pas à concevoir qu’un professeur, à l’issue de son examen, ne se rende compte que sur ses milliers d’étudiants aucun n’avait la moyenne dans sa matière, qu’il ne s’en inquiète pas et vienne traiter ses étudiants d’indolents et de fainéants sans une seule minute se remettre en cause. Il faut reconnaître qu’il y a des partisans du moindre effort partout. Au moins dans le village des aveugles il y a au moins un borgne... Pour mon géniteur si j’échouais c’était parce que j’avais heurté Dieu et que je menais une pseudo vie de débauche. Je ne sais pas où il était allé quérir cela, mais apparemment c’était dans son rêve qu’il a eu cette révélation. Il avait beaucoup de révélations mon cher géniteur… Je priais juste qu’il ne rêve pas que je sois une criminelle pour qu’il me condamne à la peine capitale sans preuve matérielle en ne se basant que sur ses rêves.
Vu qu’on était dans un système LMD, c’est-à-dire Licence Master Doctorat, système insensé où l’on devait valider toutes les matières, aucune matière ne pouvait en compenser une autre. En conséquence, si l’on n’avait pas la moyenne dans une matière, l’on n’avait jamais la licence et revenait chaque année pour cette matière. Cela ne posait aucun problème à l’administration qu’un étudiant, ayant validé toutes ses matières, soit obligé de revenir chaque année pour une seule et unique matière non validée. Ainsi au lieu de passer trois ans pour avoir sa licence, il fallait passer au minimum six ans. L’échec des étudiants amusait les professeurs qui prenaient un réel plaisir à traiter les étudiants de tous les noms. Je ne dis pas que les étudiants n’étaient pas responsables de leurs échecs, ils sont responsables, mais les professeurs et l’administration s’activaient pour les maintenir le plus longtemps possible dans l’échec. Tant qu’il y avait moins de diplômés, il y avait moins de chômeurs et de demandeurs d’emploi. Ainsi, ils éradiquaient toutes révoltes concernant l’absence d’emplois. Le gouvernement se réjouissait de l’absence de diplômés pour venir perturber sa tranquillité. De ce fait, dans ma faculté, on faisait la promotion de l’échec et le jour où l’on réussissait, après avoir perdu des années de sa vie pendant lesquelles on aurait pu réaliser plein de choses, on a l’impression d’être délivré de l’enfer. C’est le sentiment que j’ai eu quand j’ai eu ma licence, j’étais comme délivrée et j’ai décidé que je ne remettrai plus jamais mes pieds à l’université d’Africadou pour étudier quoi que ce soit. J’étais prête à aller dans n’importe quelle université du monde sauf dans une université de mon pays. J’aurais préféré mettre fin à mes études, me trouver un mari pour m’entretenir s’il fallait que je retourne encore étudier à l’université d’Africadou, c’était la pire des choses qui pouvait m’arriver. Actuellement, j’ai des nouvelles de l’université, on me dit que les choses changent et j’espère que ça changera vraiment.
Koli et moi on se remémora ses années de misère à la faculté de droit, autour d’un verre que nous avait offert Mr Jean en attendant mon train qui m’amènerait à Dijon. Koli était à Paris l’année avant mon arrivée et m’avait encouragé dans mon projet de venir en France. C’était un jeune homme clair de teint, svelte, grand de taille, le visage fin et lumineux. À peine assis autour du verre, première question de Mr Jean : « Pourquoi avions-nous décidé de venir étudier en France ? » La question fatidique.
Très cocasse comme question. J’avais bien envie de dire que c’était pour tester une autre forme de souffrance que l’on a décidé de venir en France, mais ça semblait quand même évident. Avec ce système de classement de diplômes, tout le monde aspire à avoir le meilleur diplôme possible. Nous on vient en France et les Français vont ailleurs chercher leur Saint Graal. C’est la vie ! On est tous d’éternels immigrés, mais en ce moment précis, je ne savais pas pourquoi j’étais venue en France ? J’étais troublée dans mes pensées. C’est Koli qui a su répondre, en employant mes mots, mais pas d’un ton sarcastique. J’ai demandé à Mr Jean si je pouvais utiliser son téléphone pour appeler ma mère avant qu’elle ne pique une crise, ce qu’il accepta. Il me donna son téléphone et j’appelai ma mère, quelle ne fut sa joie.
– Dada, je suis bien arrivée
– Gloire à Dieu, cria-t-elle. Que Dieu soit loué. Prend soin de toi, tes ennemis sont sous tes pieds au nom de Jésus.
Ma mère est une fervente chrétienne.
– Merci, maman, je te rappellerai quand je serai arrivé à Dijon.
On avait juste une demi-heure pour prendre un café avant de prendre mon train. Mr Jean m’offrit le billet. Dans le train, j’étais épuisée, j’avais sommeil. Je me retrouvais toute seule et ne savais pas quoi penser. Je n’arrivais toujours pas à cogiter, je ne savais pas ce que je ressentais. La joie, la tristesse, la mélancolie, la peur, la haine, l’amour... je ne saurais dire ce que je ressentais, à quoi je songeais pendant ces 2 heures de train. Mon esprit était vide, ma tête vide, si vide. J’étais au fond du gouffre. « Qu’est-ce que je fais ici ? » était la seule question qui me taraudait. Les secousses du train me ramenaient à quelques minutes de lucidité. Je finis par arriver. Mes valises étaient dans un sale état. Je n’avais droit qu’à deux valises, que j’avais bien pris soin de remplir. Je voulais venir avec toutes mes chaussures qui m’avaient coûté si cher. Je suis fanatique des chaussures. J’avais perdu les roues de mes valises depuis l’aéroport. Il fallait que je les sorte du train, avec mes petits bras, j’ai dû les tirer de toutes mes forces. J’ai fini par réussir à sortir. Il pleuvait. Mélanie était là.
C’était une jeune femme d’une quarantaine d’années, blonde, cheveux courts, de très grande de taille, environ 1m75 avec de fortes formes. Elle avait des yeux magnifiques et bien maquillés. Elle était mère célibataire, divorcée. Elle me reconnut et m’aida à prendre mes affaires. J’étais très calme, le voyage a été très éprouvant. J’étais enfin en France, mais je ne manifestais aucune béatitude. Moi qui imaginais sauter d’allégresse à mon arrivée, criant au monde « j’y suis, j’y suis ». J’y suis, mais mélancolique, très attristée, morose. Dans la voiture, je n’arrivais pas à parler. J’avais un de ces maux de tête qui vous donnent envie de vous supprimer pour ne plus souffrir. Mélanie ne disait mot, mais m’observait discrètement. On arriva finalement à Longvic, une commune calme, en périphérie de Dijon. C’était une petite maison, toute blanche, avec un petit jardin. Une maison belle et chaleureuse. On entra dans le séjour. C’était un beau salon, avec des meubles modernes, une grande télévision avec un écran plasma. Les filles descendirent pour me souhaiter la bienvenue. Léa, 17 ans, qui allait passer son bac, était une belle jeune fille aux longs cheveux, brune aux yeux verts, petite de taille par rapport à sa mère. Lucie qui avait 12 ans était en 4e. Elle était toute menue, châtain et la peau très blanche, on dirait une fleur et l’adorable Mila, la plus belle petite fille que je n’avais jamais vue. Elle avait des cheveux bouclés, des yeux bleus et blond platine. On aurait dit une poupée, boule d’or. C’est pour cette petite fille que j’ai signé cette convention de logement contre service. Je devais m’occuper d’elle. J’adorais les enfants et cette petite était vraiment angélique. L’accueil était froid, normal, j’étais arrivée au milieu de la nuit, il était environ minuit, elles étaient fatiguées et devaient être couchées à cette heure, car elles avaient classe le lendemain. On fit les présentations et elles allèrent se coucher. J’avais si sommeil, ma migraine persistait, j’avais juste envie de m’étendre sur un lit. Mélanie voulait me faire visiter la maison, me dire en quoi consisterait le service que j’aurais à rendre, les règles de la maison et tout. Je n’arrivais pas à l’écouter. Je la regardais, mais ne la voyait pas, sa voix résonnait comme des tambours dans ma tête. J’avais envie de lui dire : « laisse-moi me reposer, tu me parleras de tout ça demain, je viens de parcourir des milliers de kilomètres, environ 10 000 ».
Elle devait comprendre que je devais être fatiguée, en plus du décalage, mais vraiment, je crois que ce n’était pas son problème. Elle s’est dit, dès son arrivée on doit fixer les règles. Là au moins c’était clair pour tout le monde. Je ne faisais qu’acquiescer à tout ce qu’elle disait, mais je n’entendais que des broutilles. Je devais amener Mila à la crèche à 7 h, après avoir fait le petit-déjeuner des filles, puis aller la chercher à 17 h, faire le dîner, le ménage… Après avoir tout dit, elle finit par me laisser aller dans cette chambre qui devenait ma nouvelle chambre. Elle avait un lit une place, avec un papier peint violet. Cette chambre devrait faire 9 m2 maximum, je crois, mais confortable, le lit était douillet. Moi qui étais si fatiguée je devrais normalement me jeter sur le lit, mais non, j’ai commencé à déballer ma valise, à ranger mes affaires dans le tiroir comme un robot. Je ne sais pas à quelle heure j’ai fini, mais j’ai réalisé qu’il y avait le wifi et j’ai écrit à ma copine Gloria, qui était à Paris, pour lui dire que j’étais bien arrivée. J’appelle, sur WhatsApp, Lauthier. Il décroche :
– Allo !
– Oui, allo. Dis-je.
– Comment tu vas ?
– Bien, juste te dire que j’ai quitté Africadou et que je suis en France.
Il y eut un silence éternel.
Lauthié était mon amoureux. On s’était croisé un jour à la bibliothèque de l’université. J’étais allé chercher un document que je lisais en marchant, quand je l’ai bousculé. Je me suis excusée, il m’a aidé à ramasser mes documents. J’ai vu qu’il était beau et l’ai invité à prendre un verre pour m’excuser. J’étais audacieuse.
Il préparait sa thèse et moi ma licence. Il était grand de taille, le visage fin, un sourire timide et un regard intriguant. Il était brillant, son intelligence m’a séduit, je suis sapiosexuelle. On ne se quitta plus jamais. Il était adorable, prévenant, doux, délicat, ce qui était rare, par rapport aux hommes de mon pays qui étaient si fiers et se croyaient tellement virils pour laisser paraître un brin de délicatesse, de vrais misogynes. Il me dévorait toujours du regard et souriait. J’étais sa muse pour sa thèse, disait-il. Avec lui je prenais de l’avance, intellectuellement, sur les filles de mon âge. Je me nourrissais de ses connaissances et de son amour. C’était une bouffée d’air frais pour moi. Il me donnait la force de persévérer dans mes études universitaires, de braver ses barrières à l’accès aux diplômes. La majorité des filles de mon pays s’arrêtait au maximum au BAC. Après le BAC, elles se mariaient et avaient des enfants. Le mariage est une finalité pour elle et c’était défendable. Vu la misère qui sévissait, et les femmes qui n’avaient pas droit à la parole, elles ne pouvaient rien espérer de la vie, à part avoir un foyer. Toute notre vie on était éduquée à être des femmes au foyer et non des femmes indépendantes qui s’épanouissent professionnellement. Culturellement la femme devait vivre aux dépens de son mari, être inférieure à son mari sur tous les niveaux. C’est grâce à cela que les hommes pouvaient s’assurer d’en faire des femmes soumises qui les vénèrent. Elle ne devait pas être plus diplômée que son mari ni avoir un poste ou un salaire plus élevé que son mari. Tout simplement en faire des petits chiots dociles. Moi cela me révoltait et mon géniteur ne l’appréciait point.
Cependant, grâce à l’aide de Lauthié, son courage, son soutien, j’eus ma licence. Il voulait que je fasse une thèse, comme lui, que je brille plus que lui, il m’élevait ce qui était rare, venant d’un homme qu’importe sa couleur de peau. Je l’aimais et il m’aimait. Il a créé en moi l’ambition. L’ambition, ce mot maléfique auxquelles les femmes devaient renoncer. Moi j’étais devenue ambitieuse, je voulais moi aussi avoir la possibilité de faire de grandes études, mais hors du pays. J’ai fait les démarches pour la France sans lui en avoir parlé. Je savais qu’il voulait que je réussisse dans la vie, mais pas loin de lui. Je ne croyais même pas que ma candidature serait acceptée et que je trouverais des moyens pour me rendre en France. Quand tout cela fut concrétisé, je ne savais comment lui dire. J’avais peur des adieux. Je ne croyais pas aux relations à distance. Je savais que mon départ mettrait fin à notre amour, mais je devais partir, pour avoir une chance, pour réussir dans la vie. À Africadou, même si on finissait ensemble, je serai dans son ombre, je ne pourrai évoluer en tant que femme. J’étais ambitieuse, je devais saisir ma chance.
Je suis partie sans dire mot, sans laisser rien présager. Quand je l’ai appelé, mon cœur battait la chamade.
Quand je lui ai dit que j’étais en France, il eut un long silence et il raccrocha, pour toujours. Je sentis dans ce silence le poids de ses larmes, de notre amour fusionnel, de son chagrin… je sanglotais, lui ne disait mot. Il raccrocha. Je l’avais trahi, abandonné, brisé…
« Je n’ai su le poids d’être noire jusqu’à ce que je me retrouve dans un monde de blancs et que je me rende compte que le noir est misérable et persécuté… »
***
Pensée sur l’amour
Les philosophes glorifient l’amour. Au point qu’on finira par croire qu’il aime plus le mot amour que l’amour. Il y a même une ambiguïté entre l’amour et faire l’amour.
Platon et l’amour :
« Ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà les objets de l’amour ».
Par cette citation de Platon. L’amour est un insaisissable. L’amour est ce que l’on n’a pas. Est-ce que ce qu’on n’a pas est l’amour ? Ne pas avoir de voiture, de maison, de robe, un iPhone… je ne vois en quoi c’est un objet de l’amour. C’est vrai que cette citation transposée dans notre monde actuel n’est pas si évidente. Ce que je sais est que l’amour, quand on l’a trouvé, devient ennuyeux et on veut bien s’en débarrasser pour en rechercher un autre.
Platon continue en disant : « Chacun cherche sa moitié ». À l’époque oui, mais dans cette époque chacun cherche plusieurs moitiés. Au temps de nos grands-parents, l’amour était pur. L’amour était d’une pureté délicate, raffinée, prestigieuse, incommensurable, démesurée. Saint-Augustin disait : « Personne ne vit sans aimer », « Je n’aimais pas, j’étais amoureux de l’amour », « à mesure de l’amour, c’est d’aimer sans mesure ». Aujourd’hui l’amour s’achète dans les fast-foods, l’amour est un drive. Il y a même le « Polyamour ». Selon Victor Stock « le polyamour est la possibilité d’avoir plusieurs relations amoureuses de façon simultanée avec le consentement de son partenaire, sans rivalité ni colère ». Je ne crois pas que Platon, Saint-Augustin ou Shakespeare aient envisagé cette possibilité. Ces amours au pluriel sont très mystérieux. C’est une relation hors-norme qui confronte la liberté à la jalousie. L’amour c’est la jalousie saine. Aimer quelqu’un et aimer que cette personne aime d’autres personnes sans broncher est très déroutant. J’ai vu des documentaires, des articles, des témoignages de ces personnes disant se sentir bien et que leurs partenaires sont en symbiose. Le but est d’organiser une orgie ou une partouze avec tous ses partenaires. Ce qui paraît évident, dans cette recherche de liberté, est qu’il y a un dominant et des dominés ou tout simplement des travestis à la recherche de plaisirs sexuels, je m’explique. Le dominant dans cette relation est celui ou celle qui a plusieurs partenaires. L’un de ses multiples partenaires est le dominé qui aime sincèrement le dominant et est prêt à tout pour ne pas le perdre, car l’amour rend aveugle et l’amour se sacrifie. Shakespeare disait : « L’amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l’âme ». Cette personne qui se résigne quant aux goûts et plaisirs de son partenaire est la personne qui souffre silencieusement de ce système, mais personne ne parlera de lui, car oui on est dans un monde de liberté et personne ne l’a obligé à s’infliger cela.
Platon continue en disant : « Existe-t-il plaisir plus grand ou plus vif que l’amour physique ? Non, pas plus qu’il n’existe plaisir plus déraisonnable ».
On pourrait ainsi confondre l’amour à l’amour physique. L’amour physique peut être polyamoureux à la différence de l’amour sentimental. Je parais vieux jeu en disant cela, vous allez certainement vous dire que je suis une conservatrice, coincée, fermée d’esprit qui n’essaye pas d’envisager plusieurs possibilités, comme le Marquis de Sade. Je sais que dans notre monde actuel la fidélité est un cliché. Elle n’existe plus, ni le romantisme d’ailleurs, mais penser vivre une histoire d’amour à plusieurs sans faire de mal à autrui est très utopique.
Un proverbe polonais dit « L’amour sans jalousie est comme un Polonais sans moustache. ». Ainsi la jalousie est le sel de l’amour, en revanche la jalousie démesurée est le poison de l’amour. On dit souvent que la véritable jalousie fait toujours croître l’amour. Alors, ne pas avoir un pincement au cœur, une petite jalousie lorsque la femme qu’on aime, aime d’autres, ou que l’homme qu’on aime enlace d’autres femmes n’est pas de l’amour sentimental, mais de l’amour agapé.
On peut avoir l’avis contraire en pensant comme Carl Gustav Jung : « Le noyau de toute jalousie est un manque d’amour. » Et Haruki Murakami dans « L’Incolore Tsukuru Tazaki » et ses années de pèlerinage ajoutait « La jalousie, est la prison la plus désespérée du monde. Parce que c’est une geôle dans laquelle le prisonnier s’enferme lui-même. Personne ne le force à y entrer. Il y pénètre de son plein gré, verrouille la porte de l’intérieur puis jette la clé de l’autre côté de la grille. » Peut-être que c’est la citation préférée des polyamoureux, ne pas s’enfermer dans la prison de la jalousie, mais, moi, je trouve qu’ils devraient être sincères envers eux-mêmes et assumer qu’ils ont un besoin d’affection ou sexuel démesuré et d’avoir plusieurs partenaires pour l’assouvir. Cela serait plus honnête envers eux et envers la société.
« Touché par l’amour, tout homme devient poète ».
Je ne suis restée qu’un trimestre chez Mélanie, finalement. J’étais devenue la boniche. J’étais censée être logée et en échange garder Mila au besoin, sans que ça ne porte atteinte à mes études, et aider pour les travaux ménagers. Depuis mon arrivée, j’étais devenue la bonne à tout faire. Mélanie et ses filles ne faisaient plus rien. Le matin je me levais à 4 h, pour faire le ménage, préparer le petit-déjeuner, amener Mila à la crèche pour 7 h et arriver à la faculté le ventre vide. Je n’avais pas le droit de toucher aux mets. Selon elle, ma convention était seulement un logement contre services, le repas n’était pas compris. Je me débrouillais avec les 50 euros par mois que ma mère arrivait à m’envoyer. Le soir, je devrais courir de la faculté, qui se trouvait à 1 h de la maison, pour aller chercher Mila à la crèche, rentrer pour faire le dîner, la vaisselle, la lessive, le repassage, le bain de Mila et la coucher… Je ne dormais pas avant minuit. J’étais devenue Cendrillon au paradis.
Elle me menaçait de me mettre à la rue si je n’obéissais pas à ses ordres. Je cachais mon passeport de peur qu’elle ne me le confisque. Pour la Toussaint, elle partait dans les Landes avec ses enfants et devait me laisser seule. Avant de partir, elle me fit un sermon : « J’espère retrouver ma maison avec tous les objets qui y sont à mon retour. Je sais que vous les noirs, ne savez que voler, tricher et danser. Si tu détournes un seul objet ici je te ferai enfermer, j’ai déjà demandé à la police de faire la ronde vers chez moi, car j’y laisse une négresse. J’ai aussi informé mes voisins d’appeler la police s’ils voient un comportement bizarre de ta part. Tu es surveillée ma jolie. » Quand elle parlait, je ne répondais pas, la regardais, sans mot dire. J’étais en état de faiblesse et me croyais toujours dans le monde des Bisounours. Pour toute réponse à ce sermon, je versai une larme comme à mon habitude. Je venais d’arriver en France, j’étais fragile et n’avais pas encore forgé mon caractère, mais à force de rencontrer des personnes abjectes, j’ai fini par me métamorphoser…
Je continuais dans ce calvaire, jusqu’au jour où mes plannings à l’université changèrent. J’avais des travaux dirigés obligatoires le matin à 7 h et certains le soir à 18 h. Le fait de manquer aux travaux dirigés pouvait être un motif d’échec ou d’exclusion. Je suis venue en France pour étudier avec un visa étudiant. Me faire exclure était un motif de rapatriement à Africadou. Le sacrifice de ma mère serait vain. J’en discutais avec Mélanie.
Elle me dit :
– Je t’héberge pour que tu gardes Mila. Elle doit être à la
crèche à 7 h et tu dois aller la chercher à 17 h.
– Mais à 7 h, j’ai un TD et nous sommes à 1 h de la Fac. Si je rate mes TD, je vais être exclue de la fac.
– Ça ne me regarde pas. Sois-tu vas chercher Mila, soit tu quittes la maison.
Je partis sangloter dans ma chambre. Je n’avais pas le choix.
Je devais partir, mais partir où ? Je ne connaissais personne en France ni à Dijon, je venais d’arriver. Il faisait – 5 ° degrés dehors. Pour moi qui venais d’un pays tropical où il fait très froid quand la température tombe à 25 °, imaginez. Je n’avais pas le choix, je commençais à faire mes valises. J’appelais ma mère. Je ne lui avais pas parlé de tout ce que je subissais, sinon ma mère n’aurait plus fermé l’œil de la nuit. Je lui dis simplement que j’étais obligée de partir sinon j’allais rater mon année, car le planning de Mélanie ne me permettait pas d’aller à l’université.
– Tu vas dormir où ?
– Je ne sais pas, maman. Je vais faire une demande à la résidence universitaire, mais il faut payer une caution et je n’ai pas un rond. C’est évident qu’aucun bailleur ne me louera sans caution, donc seule la résidence universitaire peut m’être salutaire.
– Je vais vendre du charbon, faire des prêts, faire le nécessaire pour payer la caution. Fais la demande. Ma mère était en larmes.
– Ne pleure pas, maman, ça va aller. J’ai un ami qui va m’héberger le temps de trouver quelque chose. Ça va bien se passer. Promets-moi que tu ne pleureras plus.
– Je vais essayer.
Je mentais. Je ne connaissais personne. J’allais dormir dans la rue.
Le lendemain j’informai Mélanie que je n’avais d’autre choix que de partir.
– Sale ingrate, on m’avait dit que vous, les noirs, vous étiez des escrocs. Tu voulais juste un logement pour avoir le visa ! Maintenant que tu es là, tu veux partir, faire ta vie, te prostituer… c’est culturel chez vous.
– Je ne t’ai jamais escroquée. J’ai toujours travaillé depuis ma venue. Je dors à peine 4 h par jour, à courir de la fac à la crèche, faire les courses, la cuisine et le ménage, nettoyer tes murs crades avec une brosse à dents ! Juste pour être hébergée dans une chambre de 5 min 2 s sans être nourrie. Si tu devais avoir une employée pour tous ses services, tu sais combien cela te coûterait. Je pourrais porter plainte contre toi pour abus de faiblesse, esclavage, maltraitance. Je ne le fais pas, car je ne suis pas ingrate. Grâce à toi j’ai eu un toit à mon arrivée en France, sinon je serai dans la rue. Tu ne m’as pas laissé le choix. Je t’ai dit les jours des TD, ce n’est que 2 jours par semaine. Ces jours-là, tu peux demander à une amie de te dépanner ou une baby-sitter.
– Payer une baby-sitter quand tu es là ! Dégage de ma maison sale vilaine noire ! Et tu pars ce soir !
Je pris toutes mes affaires. J’ai dû jeter mes chaussures dans une poubelle pour voyager léger. J’ai dormi dans la rue.
***
Cette nuit j’ai pu admirer la beauté de cette ville d’aristocrate, cette architecture unique haussmannienne. Ces immeubles sont d’une beauté hors-norme. Cette ville était paisible, même pas un chat dehors. Que ferait un chat dehors avec ce temps ? J’étais seule avec mes valises. La neige avait gelé mes larmes. Je devais trouver un lieu à proximité de l’université. Quel lieu était près de l’université si ce n’est l’université elle-même ? L’université de Dijon n’avait pas de clôture, pour mon plus grand bonheur, alors je mis ma couverture dans un angle entre deux bâtiments. Je mourais quand même de froid. Je ne sentais plus mes mains ni mes pieds. Il fallait que j’envoie un message à ma mère au cas où je ne me réveillerais pas le lendemain.
« Ma maman chérie. Tu es une femme formidable. Tu es la meilleure mère au monde. Je te remercie d’avoir tout fait pour me donner la chance de réussir ma vie, même si je ne reviens pas un jour diplômé. N’aie aucun regret, tu as fait de ton mieux. Je t’en serais toute ma vie reconnaissante. Je t’aime très fort. N’oublie jamais cela. »
Je réussissais à m’endormir, quand tout à coup j’entendis des voix. Je me levais en sursaut, cherchais un objet pour me défendre. Il était 3 h du matin, j’étais une femme seule dans la nature en pleine neige. Je trouvais un morceau de bois que je serrais de toutes mes forces. J’avais peur. Mon cœur battait à se rompre. Qui était-ce ? Un délinquant ? Un voleur ou pire un violeur ? Je larmoyais déjà. J’entendis une autre voix qui répondait. Ça s’esclaffait. Je fus rassurée, mais j’étais sur mes gardes. J’allumai mon téléphone et composa le 17, prête à lancer l’appel au cas où.
D’un coup je vis une forme. Un jeune homme qui marchait en titubant. Je devinais que c’étaient des étudiants qui sortaient d’une boîte de nuit ou d’un bar. J’essayais de me cacher, mais cette silhouette me remarqua et s’approcha.
– Ohlala, une bougnoule ! cria-t-il en riant. Tu veux me sucer ?
Il était en état d’ébriété et titubait.
Je ne répondais pas, serrais très fort le bâton, prête à lui donner un coup. Je le voyais commencer à enlever sa ceinture.
– Tu es une pute non ? J’ai 10 euros pour toi si tu me suces.
- Dégage d’ici sale pervers ! criais-je.
– Sinon quoi ?
– J’appelle la police !
– Pour dire quoi ? C’est toi qu’ils vont embarquer. Tu es une SDF. En plus avant qu’ils n’arrivent je serai parti. Tu me suces ou je te force à me sucer.
Il avait raison pour la police alors je m’apprêtais à lui donner un coup avec mon bâton. Quand j’entendis une autre voix qui s’approchait.
– Qu’est-ce que tu fais Lucien ?
– Il y a une bamboula ici. Elle ne veut pas me sucer.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
Son ami avança et m’aperçut,
– Mais tu es taré ? C’est raciste et c’est du viol. Dégage de là !
– Mais on peut la pécho. On n’a rien pécho aujourd’hui.
Son ami me fixait.
– Excusez mon ami. Il est bourré.
– Amenez-le loin d’ici sinon j’appelle la police. Dis-je nerveusement.
– D’accord.
Il poussa son ami qui se débattait. Il dut le gifler pour le ramener à la raison. En partant, il me fixa, avec ce regard de pitié. Il avait de la compassion pour moi. Je n’en voulais pas, mais il venait de me sauver la vie ou même ma dignité.
Je restai des semaines dans la rue en attendant la réponse du Crous. J’avais fait rentrer mes valises dans l’amphi dédié à mon master. Je m’étais mise au fond. Je me nettoyais dans les toilettes de la faculté, me brossais les dents, me nettoyais les aisselles. Le parfum m’a beaucoup aidé. Je ne bougeais plus de l’amphi. Je n’avais que 20 euros en poche et ne pouvais me permettre de payer un sandwich à 4 euros, je ne savais pas quand j’aurai la réponse du Crous. Du coup j’allais au supermarché avec mes valises, pour acheter du pain de mie, fromage à tartiner et des bouteilles d’eau. C’était tout ce que je mangeais, matin, midi et soir.
Dans l’amphi les gens me regardaient de travers. Il n’y avait que des blancs. On était que trois noirs dans mon Master, la seule Africaine, les deux autres étaient des DOM-TOM, mais on ne se parlait pas. Certains noirs des DOM-TOM s’assimilent aux blancs et ont tendance à dénigrer les noirs d’Afrique. Entre noirs on se discrimine. Apparemment les noirs des DOM-TOM étaient supérieurs aux noirs d’Afrique, c’est ce que l’on m’a dit et cela m’a fait bidonner. Chacun était dans son coin. Je voulais m’approcher d’eux et leur dire qu’on était frères et sœurs, demander de l’aide, mais je n’en eus pas le courage. Je craignais d’être snobé par des noirs. Je supportais que des blancs me snobent, mais pas des noirs, car en face du racisme on est tous égaux.