Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
En Enfer, Ezéchiel est un démon différent, en quête de sa première agrégation dans le but d’obtenir son grade de démon. Il n’en est pas à sa première tentative en tant que dionau, mais cette fois, c’est aidé de sa tante Abrahel qu’il compte bien faire taire ses émotions qui n’ont pas lieu d’être. Il deviendra aussi digne que tous les autres soldats de Lucifer…
Enfin ça, c’est ce qu’il pense, mais c’est sans compter une âme aux nombreux pêchés qui ne tardera pas à lui faire tourner la tête, engendrant des révélations qui iront jusqu’à briser les fondements et les lois mêmes de Dieu en personne.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 506
Veröffentlichungsjahr: 2024
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
DAMICO CHRISTINA & MENDEZ MÉLANIE
Ezéchiel et l’âme égarée
TOME 1 : LEPACTE
À nos familles, nos amis, et particulièrement à petit Amadéo.
Vos anges gardiens vous protègent.
En ce mois de mai printanier, un coup de tonnerre plus virulent que les précédents fendit l’air, et le sol de la ville éternelle trembla avec intensité.
Le paysage était sombre et menaçant. Une pluie tonitruante n’allait pas tarder à tomber du ciel chargé de nuages noirs. Les éclairs provoquaient des jeux de lumière et se reflétaient sur les façades des maisonnées, donnant un sentiment d’insécurité aux quelques mortels qui arpentaient déjà les rues. Les passants jetaient des regards inquiets aux alentours. La ville était encore endormie à cette heure de la matinée, mais les citoyens entendaient le vacarme assourdissant. Les météorologues n’avaient pas annoncé un temps aux allures apocalyptiques, mais plus tard dans la journée, l’Italie entière apprendrait ne pas avoir été le seul pays à subir l’imprévisibilité de la nature.
En dessous de la capitale, dans les profondeurs de la Terre et au sein d’un autre plan tellurique, le responsable de ces instabilités climatiques, insouciant de provoquer un tel déluge à cause d’une angoisse devenue trop intense, essayait de se détendre.
Ezéchiel était un très jeune immortel, de la catégorie des dionaux, plus communément connu sous le nom de démon pour les terriens. L’être céleste se trouvait sur une lande qui s’étendait à l’infini. C’était un désert aride où toute vie était bannie. Ce matin-là, le ciel – ou ce qui pouvait s’apparenter à cela – se colorait doucement d’une lueur orangée éclairant les alentours désolés des Enfers. On disait que Lucifer en personne avait modelé cet endroit, ne créant qu’un immense vide funeste agrémenté d’un sol sec jonché de cratères noirs. La mort était omniprésente à travers les objets hétéroclites qui tapissaient le sol : des branches d’arbres mortes, des feuilles carbonisées, des objets venant de la Terre qui se décomposaient là depuis des milliers d’années. Il n’y avait rien qui put symboliser la vie, la beauté du monde, ou du Paradis. Toute la noirceur existante sur Terre se concentrait dans les tréfonds de ses strates terrestres, là où personne ne pouvait la voir. Hormis ceux qui y étaient bannis.
C’était un décor qui annonçait aux nouveaux arrivants le calvaire qu’ils allaient subir.
Le plus souvent pour l’éternité.
Perché sur un rocher plat, Ezéchiel observait ce paysage. Il avait le don de l’apaiser. Il sortait d’une longue nuit de cauchemars qui l’avait laissé dans un état émotionnel instable. Or les démons n’étaient pas censés se laisser aller à de tels états d’âme, mais le dionau n’y pouvait rien, car un examen important dans sa carrière approchait à grands pas. L’épreuve devait marquer la fin de sa formation de dionau et le début de son apprentissage en tant que démon. Ses échecs précédents pesaient sur sa poitrine, réveillant ces angoisses qu’il ne parvenait pas à contrôler et qui lui faisaient perdre tous ses moyens. Le rituel était suivi par beaucoup de démons, dont son père et sa tante.
Les jambes pendant dans le vide, Ezéchiel tentait d’oublier ses craintes, de retrouver la maîtrise de ses émotions pour pouvoir rejoindre sa tante sans qu’elle perçoive son trouble indésirable. Pour cela, il essayait d’appliquer les préceptes qu’elle lui avait enseignés avec plus de vigueur encore que ceux inculqués en classe à la suite de ces deux précédents échecs à l’examen.
Faire le vide dans son cœur. Se rappeler son but.
–Quel est ton but Ezéchiel ?
La voix froide et autoritaire s’éleva dans son esprit et il n’eut qu’à fermer les yeux pour voir le visage sévère, presque austère, de sa tutrice. Un frisson le paralysa, irisant les plumes de ses ailes, mais il se força à se détendre.
–Mon but est de devenir un bon démon. Servir Lucifer. Servir les Enfers.
Ces mots qu’il prononça à voix haute furent emportés par le vent et il se sentit mieux. La pression redescendit momentanément d’un cran et il réussit à retrouver un rythme de respiration normal, contrôlé. Tout était une question de maîtrise. Ezéchiel essayait d’accepter sa différence. Ses difficultés, il les contrôlait au mieux. Mais elles étaient toujours là. Il devait redoubler d’efforts par rapport aux dionaux de son âge qui semblaient si à l’aise avec leur destinée toute tracée depuis leur venue au monde. Celle de servir Lucifer.
Une nouvelle bourrasque vint faire danser ses plumes dans son dos, le sortant de ses pensées. Les ailes à demi repliées, Ezéchiel savoura cette caresse en tentant de tout oublier. Pourtant, lorsqu’il ferma les yeux, les complications de ces derniers jours se rappelèrent à lui comme une lame s’enfonçant dans sa chair. Pourquoi n’était-il pas comme les autres ? Cette question, il se l’était posée à plusieurs reprises, mais il n’avait jamais pu trouver la réponse.
L’immortel ressentait les événements différemment. S’insinuer dans l’esprit complexe des hommes en vue de les torturer avait réveillé une étrange fascination chez lui. Les démons étaient beaucoup plus terre à terre à l’inverse de la race terrestre et pourtant Ezéchiel ne cessait de s’interroger sur leur mode de fonctionnement. Durant tous ses entraînements, le jeune démon s’était plus d’une fois questionné sur les sentiments que les humains pouvaient ressentir les uns pour les autres. Ils étaient parfois si forts qu’ils les poussaient à commettre l’irréparable, condamnant leurs âmes aux Enfers.
Contrairement aux autres démons, Ezéchiel avait du mal à faire souffrir ces êtres si imparfaits. Cette pitié qu’il ressentait pour eux le poussait alors à un échec systématique. Malgré tous ses efforts, ses émotions prenaient trop largement le dessus et il n’arrivait jamais jusqu’au bout de son épreuve. Ses deux revers cuisants avaient contribué au dur entraînement que sa tante lui avait fait suivre.
Ses pensées le prirent à la gorge et le jeune dionau se releva d’un bond. Il ne voulait plus penser à tout cela. Réfléchir n’était pas une bonne option. Il devait agir. Bouger pour oublier et réussir à se concentrer. Relevant la tête vers le ciel, Ezéchiel constata que l’orbe rouge au-dessus de lui était presque à son zénith. Il estima donc avoir encore un peu de temps devant lui avant de retrouver sa tante. Il devrait agir à bon escient, non seulement pour se détendre complètement, mais également pour retrouver sa concentration optimale. Quand l’orbe serait complètement à l’ouest, il serait alors temps de réaliser son ultime épreuve.
Ezéchiel ouvrit ses grandes ailes et décolla dans un bond gracieux. Le vent vint automatiquement jouer dans ses plumes et ses cheveux, le portant avec puissance vers le ciel. Sans grand effort, il s’éloigna de son point de vue pour retourner vers les grandes montagnes centrales, là où vivaient les démons et où l’attendait sa future épreuve.
Les Enfers n’étaient pas un lieu hospitalier. Ses habitants avaient néanmoins tout le confort qu’ils désiraient dans ces montagnes. Les falaises à pic offraient des niches parfaites où les démons avaient aménagé des lieux de vie agréables. Survolant les deux premiers cols, Ezéchiel se laissa porter par des courants d’air tantôt chauds, tantôt glaciaux, avant de repérer le bord d’un ruisseau incandescent. Il piqua abruptement, repliant légèrement ses ailes dans son dos pour épouser plus facilement le courant d’air ascendant, et alla se poser au bord de la rive.
Aux pieds des montagnes, le vent était presque absent, laissant les tranchées de magma qui s’écoulaient du grand volcan central réchauffer les environs. Sans sa condition de démon, Ezéchiel n’aurait pu rester plus de quelques minutes dans cet environnement hostile. Mais contrairement aux humains, le dionau aimait se ressourcer dans ces cratères de lave chaude qui se formaient un peu partout. Cette source de chaleur contribuait grandement à faire vivre ces montagnes, dont les pierres et la terre se nourrissaient pour rester debout.
Le jeune démon se laissa tomber sur le sol, les jambes repliées sous son corps, et se pencha en avant, admirant ces petites explosions. Contrairement aux grandes plaines désertiques, les cratères de lave et les petites rivières étaient instables. Le feu bouillonnait, éclatait en gerbes d’étincelles comme s’il tentait de s’échapper de son étau. Observer ce spectacle laissait s’insinuer un vrai soulagement dans le cœur d’Ezéchiel. Le dionau se disait alors que le feu, si incontrôlable, était très puissant. Sans lui, leur havre de paix serait menacé. Peut-être qu’il pourrait réussir à trouver sa place également ?
–Faire de mes faiblesses une force.
Les mots chuchotés lui procurèrent une nouvelle forme de réconfort et Ezéchiel s’autorisa son premier sourire de la journée. Prononcées par son père, ces paroles étaient sans doute le meilleur conseil qu’il ne lui avait jamais donné – pour le peu qu’il lui en avait donné. Ezéchiel n’avait pas encore trouvé le moyen de l’utiliser, mais observer le caractère indomptable de la lave le rassurait. Il finirait bien par le mettre en pratique.
Rassuré, le dionau se mit de nouveau à réfléchir à sa future épreuve. Il repensa à toutes les séances d’entraînement qu’il avait effectuées avec sa tante et à tous les conseils qu’elle lui avait donnés – entre deux punitions face à ses échecs à répétition. Après avoir raté ses précédents examens, Ezéchiel connaissait ses failles. Il devait à présent les combler, ou les contourner. Il n’y avait alors pas de raison pour qu’il échoue cette fois-ci.
Par-dessus le ronronnement de la lave, Ezéchiel perçut un hurlement lointain. Il sentit un frisson lui remonter l’échine, mais se força au calme. Quelque part dans les profondeurs des montagnes, les démons s’étaient mis au travail et retrouvaient leurs victimes. Ils pénétraient leurs esprits pour en sortir leurs pires cauchemars et utilisaient les plus brillantes idées pour leur faire regretter leurs erreurs terrestres.
C’était leur job. Punir les âmes humaines.
Le cri se perdit au loin avant qu’un autre ne lui réponde. La journée venait à peine de commencer que les recoins des montagnes se renvoyaient déjà l’écho de la détresse humaine. Ezéchiel n’avait jamais compris pourquoi les êtres humains se comportaient si mal sur Terre. Ils étaient pourtant parfaitement au courant du sort qui leur serait réservé dans l’autre monde, d’après ce qu’il avait pu découvrir dans certains ouvrages. Peut-être ne croyaient-ils pas en toutes ces documentations ? Il ne le savait pas. Mais les conséquences de leurs actes valaient-elles vraiment une éternité de damnation ? Ezéchiel n’aurait sans doute jamais la réponse à cette question – ni son père ni sa tante n’avaient pu la lui donner. Cependant, sans leurs méfaits, leur race n’aurait certainement pas été créée.
Reportant son attention sur la lave qui lui faisait face, Ezéchiel se sentit détendu. Il ne fallait pas qu’il perde de vue son but.
Devenir un bon démon. Servir Lucifer. Servir les Enfers.
C’était aussi simple que cela.
***
Il fut l’heure pour Ezéchiel de rejoindre sa tante. Il quitta donc son havre de paix et arriva sans encombre à l’entrée de la niche de son aînée. Il replia ses ailes dans son dos et fit rapidement face à Abrahel qui l’attendait, droite, le regard neutre. Lorsqu’il s’approcha d’elle pour la saluer, il remarqua néanmoins qu’une lueur rougeâtre et enflammée s’était éveillée au fond de ses yeux noirs et il sut qu’il avait perdu la notion du temps tant il avait pensé et rêvassé.
–Ezéchiel.
–Ma tante.
Elle était une deamonium très âgée et considérée comme un être immortel des Enfers de la plus haute catégorie possible dans le bas astral. Il s’attarda momentanément sur les deux cornes pointues qui dépassaient largement de ses cheveux noirs et bouclés, lui montrant encore une fois à quel point elle était ancienne. Elle était agacée. Le jeune garçon le voyait à sa longue queue noire qui se crispait en deux dans des nœuds complexes, ainsi qu’à la peau écarlate et brillante de son visage qui se contractait, faisant apparaître des rides d’expression qui montraient à quel point elle était contrariée.
–Tu es en retard.
Comme une sentence, son ton réprobateur lui arracha un frisson et lui fit baisser les yeux.
–Je m’excuse. Je me suis accordé un détour en passant par les plaines arides. Je n’ai pas fait attention et je me suis égaré dans mes pensées.
–Ezéchiel…
Elle soupira et ses yeux se détendirent légèrement, s’ouvrant un peu plus alors qu’une esquisse de sourire étirait le coin gauche de ses lèvres – imperceptible pour une personne qui ne connaissait pas très bien sa tante. Ezéchiel en fut quelque peu rassuré. Il avait besoin avant tout d’encouragements et non de réprimandes.
–Je ne sais d’où te vient cette fascination pour cet endroit, et tout ce qui peut l’entourer en général, mais soit. Cependant, je veux que tu restes concentré. Je ressens de l’agitation et de l’angoisse sur toi à l’instant. Elles me prennent à la gorge et je suis presque certaine que tu es en train d’impacter le monde des mortels avec de telles… émotions, tu vas attirer le regard des autres immortels.
–Oui, ma tante, je ne vous décevrai pas cette fois. J’essaye de museler ces émotions de mon mieux.
–Bien. Je ressens ta sincérité et par conséquent ta motivation aussi élevée que ce sentiment que tu ressens à l’instant. Je pense que tu es préparé, nous avons de toute manière anticipé tes réactions au cas par cas et avec minutie.
Chaque démon naissait avec un pouvoir particulier, celui de sa tante était de ressentir et de manipuler les émotions des âmes humaines, des démons ou des anges. Elle pouvait même, si elle le désirait, retourner les humains les uns contre les autres sur Terre. Quant à lui, il n’avait pas eu l’opportunité de découvrir le sien. Il était trop jeune et son pouvoir encore endormi.
Abrahel l’invita d’un mouvement du menton à la suivre. Ils rentrèrent alors un peu plus profondément dans la niche. Sa démarche souple était élégante, elle faisait ondoyer sa longue robe noire qui lui descendait jusqu’aux pieds. Ezéchiel la suivit sans bruit, repliant complètement ses ailes dans son dos pour ne pas renverser le mobilier raffiné qu’il rencontra. Bien qu’il le connût par cœur, Ezéchiel se surprit à admirer le canapé noir en cuir et parsemé d’ossements – sur lequel il avait joué si souvent petit – retardant le moment où il devrait reprendre la parole. Il remarqua un nouveau coussin rouge sang reposant contre l’accoudoir droit, une touche de couleur qui ressortait avec force dans cet univers sombre et lugubre.
–Je voulais justement me rendre là-bas afin de me rappeler tous mes objectifs et m’éloigner un peu des hurlements des nouveaux arrivés. Pour faire le vide, crut-il bon de rajouter, tante Abrahel.
Les fournées de nouvelles âmes arrivaient régulièrement, et Ezéchiel avait remarqué que certaines d’entre elles ne supportaient pas leur condition d’hôtedans les Enfers. Ils avaient tendance à hurler même lorsqu’elles n’étaient pas torturées par un démon. Entendre leurs vociférations ne l’aidait pas à se concentrer.
–Ces cris deviendront ton quotidien, lui rappela Abrahel sur un ton sec. Tu dois y trouver ta satisfaction. Ils prouvent que tes collègues font très bien leur travail. Continue ainsi et ton existence sera réduite à rien ! N’oublie pas quelles seront les conséquences. Je ne tiens pas à ce que mon tout jeune neveu soit relégué à des postes sans importance ni distinction.
Il se mordit le bout de la langue, se morigénant intérieurement de ne pas avoir retenu sa réflexion.
–Me suis-je bien fait comprendre, Ezéchiel ?
–Oui, répondit-il en se fendant d’un sourire un peu forcé. J’ai longuement réfléchi à mon examen. J’ai revu, seul, toutes les étapes que je dois bien terminer, les réflexes que je dois avoir. Je travaille sur mon sang-froid et mon professionnalisme.
Il avait parlé comme s’il récitait une leçon devant son professeur, mais sa tante en fut satisfaite. Elle l’invita à s’asseoir devant un grand comptoir en pierre obsidienne et lui servit un grand verre de lave fraîche. Le liquide rouge tirant vers le noir moussait légèrement et il le porta avec plaisir à ses lèvres. Il sentit son œsophage brûler au fond de sa gorge et une agréable chaleur se répandre sur sa langue. La lave fraîche n’avait de fraîche que son nom qui servait simplement à la différencier de la lave brûlante qui sortait du cœur même du château de Lucifer.
–Tu as toutes tes chances pour réussir Ezéchiel. Ton père compte sur toi pour que tu te sortes de la spirale infernale dans laquelle tu t’es mis. Tu en es largement capable. Il n’y aura pas d’échec possible cette fois, et je ne dis pas cela pour mettre un poids supplémentaire sur tes épaules, mais pour que tu comprennes les conséquences.
Attrapant son propre verre, elle avala une longue gorgée qui fit briller un peu plus ses yeux sombres. Ezéchiel resta de marbre tout en essayant d’ignorer la douleur qu’il ressentit au souvenir de ses deux échecs précédents. Il était l’un des rares à avoir tenté l’épreuve ultime autant de fois. Lorsqu’un jeune dionau ratait son examen, il trouvait rarement la force de se présenter de nouveau. Retourner en classe en compagnie de plus jeunes dionaux pour être la risée de tous n’était pas facile à porter. Et puis, il n’y aurait pas de quatrième fois, c’était déjà bien trop. Cette fois, ils verraient qu’il était effectivement inutile.
Ezéchiel tenta alors de réprimer les expressions faciales de son visage à la peau rosée. Il essaya de ne pas déglutir sous son angoisse. À trente-sept ans célestins, nombre d’années immortelles, il était l’un des plus jeunes et donc l’un des plus inexpérimentés. Les immortels grandissaient et mûrissaient plus lentement, mais à son âge, il était encore possible de le vaincre facilement et de le faire disparaître sans difficulté. Cette idée le terrifiait au plus haut point, car en plus d’être un reclus, il risquait d’en subir les conséquences. Il se devait donc de réussir, autant qu’il se devait d’écouter les conseils de sa tante.
Sa dernière chance se présentait donc à lui aujourd’hui.
–Je vais réussir ma tante, assura-t-il brusquement avec aplomb. Je sais aussi que j’en suis capable, si j’applique bien tous les conseils que vous m’avez prodigués pendant ces longs mois.
–Bien. Je vais te faire confiance.
Elle le regarda à travers ses longs cils noirs et sourit. Sa peau tirant vers le vermeil semblait s’être détendue alors qu’elle l’analysait et se satisfaisait de son état d’esprit positif. Elle avait confiance en lui et il ne devait la trahir sous aucun prétexte. Un poids supplémentaire s’abattit cependant sur ses épaules, mais Ezéchiel resta de marbre en apparence. Il ne pouvait décevoir la seule personne qui prenait bien trop de son temps malgré ses nombreuses responsabilités pour le faire réussir au-delà de ce qu’était devenu son père au sein des Enfers. Cela quitte à subir les commérages de ses comparses qui n’oseraient certainement pas la critiquer en face, sous peine de subir sa colère.
–J’ai entendu des rumeurs… il se pourrait que la favorite du grand Maître en personne soit présente lors de cet examen. Chose qui, je tiens à le souligner, serait extrêmement rare. Ils tiennent donc vraiment à ce que tu réussisses et ils pensent que tu disposes d’un grand potentiel inexploité, Ezéchiel ! Souviens-toi de rester de marbre, comme je te l’ai appris. Surtout si Lilith est présente, car c’est celle à qui tu dois, en plus du Maître, la possibilité de tenter à nouveau cet examen. Ne me fais pas honte, d’accord ?
Son regard se fit insistant et il se sentit partir dans ses songes. Si la toute première démone en personne y assistait, cela devait avoir toute son importance. Cette simple pensée lui mit la pression. Pourquoi aurait-il droit à des traitements de faveur de leur part ?
Un long silence s’ensuivit.
–Ezéchiel ?
Les flammes qu’il pouvait voir danser dans les prunelles noires de sa tante se mirent étrangement à chatoyer, laissant deviner une contrariété qu’il ferait mieux de ne pas faire accroître, à ses risques et périls. Il passa pourtant une main dans ses cheveux ténébreux après avoir murmuré un « oui » qu’il espérait avoir énoncé avec fermeté, le tout en touchant nerveusement les petites bosses qui sortaient à peine de son crâne.
–Bien. Il va être temps.
Il songea à quel point sa vie était en train de se jouer à l’instant, alors qu’il s’apprêtait à quitter la niche de son aînée afin de rejoindre cettesalle où les juges devaient l’attendre patiemment.
Ezéchiel n’avait pas conscience du destin qui était en train de se mettre en place.
Son aventure en tant qu’être divin ne faisait que commencer.
La porte dans son dos claqua avec force, propageant l’écho du bruit dans tout l’amphithéâtre. La salle immense lui donna le tournis tandis qu’il s’avançait vers l’estrade bordée de lave. Le feu du volcan bouillonnait à ses pieds, l’entourant d’une douce chaleur et éclairant le rocher central sur lequel il se positionna. Seul dans ce puits de lumière, Ezéchiel aurait pu se croire seul, comme lors d’un banal entraînement. Mais la boule d’angoisse qui pesait dans son ventre ne lui rappelait que trop bien que dans l’obscurité qui l’entourait se trouvaient des juges prêts à l’évaluer sous tous les angles. Au milieu de ces immortels expérimentés, bon nombre de spectateurs avaient certainement hâte d’assister à sa potentielle déchéance, avides de divertissement. Et quel divertissement, songea-t-il. Il était bien rare qu’un dionauose se présenter une troisième fois à cet examen, clôturant l’apprentissage de son premier cycle.
Il attirait les commérages.
Ezéchiel leva ses yeux sur sa droite et essaya de percer les ténèbres pour apercevoir sa tante et son père. Ils devaient se cacher sur les hauts gradins. Son essai fut un échec et bien qu’il les sache présents quelque part non loin de lui, il se sentit seul. Un nœud se forma dans sa gorge, mais il se força à se vider l’esprit.
Rester factuel et ne penser qu’à son objectif.
Cela n’allait pas être une partie de plaisir pour lui. Il le pressentait.
–Apprenti Ezéchiel, vous vous présentez devant nous pour tenter de faire vos preuves.
Le cœur d’Ezéchiel se mit à battre plus fort dans sa poitrine alors qu’un puissant frisson secouait son corps. La voix sèche et grave s’était exprimée au-dessus de sa tête. À lui seul, ce timbre suffit à lui donner le vertige. Le jeune démon l’avait déjà entendu à plusieurs reprises, notamment lors de grands événements, mais il n’avait jamais vu le visage de sa propriétaire. Il la savait élevée au sein de la hiérarchie du bas astrale.
La nervosité le traversa de plus belle et se fit ressentir jusque dans ses membres, tel un étau qui se resserrait jusqu’à sa gorge. Le dionau commençait à comprendre pourquoi sa tante l’avait averti de la potentielle présence de cette démone qui venait de parler – l’air préoccupé affiché sur son visage lors de leur conversation prenait désormais tout son sens. Avait-elle été au courant de la présence exceptionnelle de Lilith, la plus puissante des deamonium et plus proche conseillère de Lucifer, étant elle-même le bras droit de cette dernière ? Le lui avait-elle caché délibérément, ne lui faisant croire qu’à des rumeurs pour ne pas l’angoisser davantage ? Ezéchiel ne parvenait pas à s’expliquer pourquoi elle se trouvait là, à présider son examen qui n’était après tout qu’une banale épreuve de routine pour une personne aussi importante que Lilith. Pourquoi avait-elle donc fait le déplacement ? Lucifer avait-il besoin de garder un œil sur lui ? Le dionau ne pouvait s’empêcher de s’interroger, imaginant ses pires défauts mis à nu et punis sur-le-champ. Il était fort probable que tante Abrahel, privilégiée comme elle était, ait été mise au courant de sa présence et il était certain qu’elle avait eu en quelque sorte envie de le protéger afin qu’il puisse rester concentré sur sa tâche. Son aînée, par ailleurs, détenait des secrets de la plus haute importance, des deux côtés du monde astral, par le biais de sa supérieure.
Le jeune démon déglutit péniblement et se força à penser à tous ses entraînements. Il avait travaillé si dur pour faire face à ce moment. Il ne pouvait se laisser déstabiliser maintenant à cause de cet imprévu qui, s’il ne se concentrait pas, lui ferait perdre ses moyens.
–Que Lucifer vous donne l’inspiration nécessaire pour faire votre devoir.
–Que Lucifer vous donne l’inspiration nécessaire pour faire votre devoir.
Brisant le mutisme général, cette phrase psalmodiée par la deamonium fut reprise en chœur par toute l’assemblée, un ensemble de démons de toutes catégories hiérarchiques confondues dont les voix s’élevèrent pour lui souhaiter bonne chance – ou pour assister au moindre faux pas avec avidité.
Un silence pesant s’abattit une nouvelle fois sur la pièce, mais fut très vite coupé par un bruit sourd, alors que le sol sous les pieds du dionau se mettait à vibrer. C’était à présent à son tour d’agir. Son visage resta de marbre et Ezéchiel hocha doucement la tête. Il imagina croiser le regard de ses juges avant de se retourner avec assurance. La peur faisait battre son cœur anormalement vite alors que son corps et son esprit essayaient de se concentrer sur la grosse pierre qui venait d’apparaître face à lui. Il devait rendre fière sa tante.
Allongée sur le réceptacle, une première âme humaine reposait là. Elle était constituée d’une sorte de vapeur et avait pris la forme d’un corps humain, celle de l’ancienne apparence du défunt. Ses bras, constitués de petites molécules pétillantes, étaient positionnés le long de son corps. Elle semblait encore paisible, comme plongée dans un sommeil sans rêves.
L’examen commençait.
Le silence autour de lui sembla s’épaissir, mais Ezéchiel oublia bien vite la pression qui ne demandait qu’à lui faire perdre ses moyens et se concentra sur sa future victime. L’immortel inspira profondément, se forgea un masque de pierre et s’approcha. La tâche n’était pas difficile. Ezéchiel l’avait fait à maintes reprises, que ce soit en classe ou aux côtés d’Abrahel. Sur les conseils de sa tante, il avait à sa disposition un arsenal d’idées ingénieuses pour faire souffrir les âmes déchues. Il en choisit une assez classique pour tester l’esprit et se lança.
L’immortel tendit la main droite au-dessus de l’âme en perdition. L’esprit frétilla et crépita dans un bouquet d’étincelles jaunes qui virèrent rapidement vers les tons rougeoyants. L’âme devint instable et Ezéchiel n’eut qu’un minuscule effort à faire pour la maîtriser. L’image corporelle adoptée par le défunt se renforça et le dionau put apercevoir les anciens traits de sa victime. Il s’agissait d’un homme qui avait été grand et fort avec un visage aux expressions dures. Ezéchiel sentait sa main chauffer au contact de l’esprit qui se tortillait de douleur. Cette souffrance était due aux petits éclairs qui s’échappaient de la paume de l’immortel et s’enroulaient autour de l’âme, telle une chaîne de feu.
Ne pouvant en supporter plus, le visage de l’âme se déchira en un crac sonore alors qu’elle laissait échapper un puissant cri de douleur. La forme de son ancien corps humain disparut pour ne laisser place qu’aux atomes électriques et instables de l’être damné. L’âme souffrait le martyre. Elle tenta de s’échapper en se disloquant entre ses doigts, mais il lui était impossible de fuir la poigne du dionau.
L’homme continua donc de souffrir.
Ezéchiel accentua sa torture et se décida à utiliser l’une des spécialités de sa tante – qu’il avait tenté d’apprendre ces derniers mois afin de se distinguer. La méthode était difficile à maîtriser pour les très jeunes dionaux, mais Ezéchiel avait travaillé dur pour montrer ses capacités et mettre toutes les chances de son côté. Il n’avait pas le droit à l’erreur cette fois-ci. Mieux encore, il avait envie de montrer son potentiel pour effacer ses échecs. Abrahel lui avait donc suggéré que la manipulation de la matière terrestre au sein même du bas astral impressionnerait les juges et lui ferait marquer des points. Et il valait indéniablement mieux subjuguer Lilith.
Abrahel croyait en ses talents qu’elle valorisait constamment – à sa manière. Il ne put cependant s’empêcher de penser que, même s’il maîtrisait cette torture à l’entraînement, il prenait tout de même le risque de se ridiculiser devant les juges s’il ratait sa manœuvre.
Il fit fi de ses questionnements et se concentra. Le dionau lâcha l’âme un instant et mit ses mains devant lui. Il vida entièrement son esprit et prit conscience de tout ce qui l’entourait. La vie qui faisait battre son cœur et ceux des dizaines de démons dans les gradins, la matière qui composait les corps, les bancs, les murs, le sol, le feu. Ezéchiel retint sa respiration et se mit alors à manipuler avec dextérité cette matière pour la rassembler dans une composition aux particules complexes. De la vraie chair humaine se reforma momentanément sur l’esprit et une enveloppe charnelle emprisonna l’âme. Celle de son vivant. Il reposa ses mains sur ce corps créé de toutes pièces et lui mis le feu en un battement decils.
Des exclamations de surprise s’élevèrent dans l’amphithéâtre. Ezéchiel, malgré son intense concentration, s’autorisa un sourire vainqueur.
L’âme se mit à nouveau à hurler, souffrant le martyre. Sa nouvelle enveloppe charnelle se couvrit de cloques puis se mit littéralement à brûler, disparaissant aussi vite qu’elle s’était reformée. La chair brûlée redevint alors rapidement cette matière instable composée de milliers de petites particules rougeoyantes, et seul l’esprit lui fitface.
Soudain vidé de toutes ses forces, Ezéchiel ne put s’empêcher de lâcher un soupir tout en reculant d’un pas, les jambes légèrement pantelantes. Il avait tenu suffisamment longtemps le contrôle de l’antimatière pour assurer le spectacle avec sa première victime, et il sut qu’une nouvelle proie allait maintenant remplacer cette dernière. La première partie de son examen était réussie – avec un immense succès.
La voix de Lilith fendit alors l’air dans l’obscurité, faisant taire les chuchotements qui s’étaient élevés dans l’amphithéâtre.
–Apprenti Ezéchiel, la deuxième phase de votre examen va commencer.
Le ton était neutre. Il ne sut dire à son intonation ce qu’elle en pensait, mais le dionau supposait qu’il le saurait bien assez tôt. Il devait se concentrer pour le deuxième round de l’examen. Il n’allait pas être une partie de plaisir. Il refoula donc le sentiment de joie qui venait de l’envahir face à sa réussite.
***
Ezéchiel avait probablement fait une grande impression avec sa première victime. Il ressentait tous les regards épiant ses faits et gestes malgré la pénombre qui cachait les visages des spectateurs et des juges. Il ne perdit pourtant pas de temps quand la deuxième âme apparut, couchée sur le réceptacle de pierre. Il devait rester concentré sur son objectif. Cette fois, la manipulation des réminiscences pourrait s’avérer intéressante à exploiter. Mais pour cela, il avait besoin de connaître l’identité de cet esprit. Il jaugea alors les particules frétillantes de l’être, puis posa sa main là où elles s’agitaient plus inhabituellement que d’ordinaire, signe que la mémoire de l’âme se trouvait à cet endroit précis. Encore une fois, ce fut à son contact que l’antimatière devint rougeoyante sous sa manipulation. Cependant, le jeune immortel ne s’attarda pas sur la forme humaine et se concentra rigoureusement. Il perçut alors des flashs, la vie passée de sa proie.
Ses souvenirs le percutèrent de plein fouet et, durant un instant, il en perdit même le contrôle de ses propres pensées. Une femme qui avait énormément souffert lui faisait face. Elle avait visiblement fini par devenir tout aussi cruelle que ses bourreaux. Ezéchiel se sentit perturbé. La confiance et la sérénité qu’il affichait jusqu’alors pour cet examen s’ébranlèrent. Est-ce qu’une âme qui avait elle-même tant souffert de son vivant méritait une damnation en Enfer ? Il venait de percevoir la vie d’une enfant battue, puis ballottée de famille en famille, moquée et dénigrée. La fréquentation de mauvaises personnes, lors de son adolescence, l’avait amenée à faire des choses immorales. Un sentiment inopportun le prit alors et il ouvrit ses paupières pour faire face aux traits fantomatiques de la défunte qui s’étaient renforcés durant son petit tour au sein de sa mémoire. Ce qui était autrefois ses globes oculaires démontrait à quel point elle était terrifiée et désolée.
–Je ne voulais pas, je voulais juste m’intégrer, avoir un peu d’importance, vivre mieux, pardonnez-moi. Pardonnez mes erreurs.
Un grésillement résonna tout autour de lui et certainement pour l’ensemble deson auditoire, dont les ouïes étaient surdéveloppées. L’esprit affichait des traits creusés et le suppliait du regard. Comment pouvait-il punir une femme qui avait simplement commis des vols au sein d’établissements appelés banques ou effectué des cambriolages de maisons ? Elle avait déjà été condamnée pour ces faits de son vivant. Et puis, elle s’était pendue en prison à cause de son intense souffrance.
Comment ses semblables ne pouvaient-ils pas demander aux instances du purgatoire un entretien afin de revoir minutieusement son cas ? Cela le dépassait ! Pourtant, perdu dans ses pensées, il perçut un picotement à l’arrière de son crâne et il entendit une voix froide s’insinuer dans son esprit : Concentre-toi, immédiatement, Ezéchiel. Ce cas est bien plus difficile, mais elle doit être châtiée. Elle aurait pu faire d’autres choix malgré ses souffrances, et je l’ai ressenti de ma place.
Instantanément, il sut que sa tante était intervenue, le ramenant à la réalité. Il remettait souvent beaucoup d’éléments du fonctionnement des plans astraux en question. Ezéchiel savait pertinemment que ce genre de cas faisait partie de ses grands dilemmes intérieurs qui pouvaient le rendre bien plus faible que tous les autres dionaux. Il se souvint alors de ses entraînements. Ezéchiel devait se représenter une femme terriblement cruelle. Juste cruelle. Il l’imagina réaliser d’horribles actes, sans aucun remords. Durant ce laps de temps, il n’écouta plus ses supplications ni ses excuses. Au contraire, il se la représenta en train de lui répondre des atrocités. Il agit alors sous une intense concentration, sans réfléchir à la situation qui se présentait à lui. Il modifia mentalement la réalité des choses afin d’être efficace.
Il retourna ses pires souvenirs contre elle et il entendit alors ce qui se rapprochait à des pleurs résonner dans la salle. Le dionau pouvait presque voir les larmes, composées de minuscules cristaux, glisser le long du visage formé par ces particules dorées. Elle lui hurla d’arrêter ses souffrances et, encore une fois, il l’imagina plutôt proférer des menaces monstrueuses. Cela lui permit de raviver avec plus d’intensité son passé, comme si elle revivait ces moments dans l’instant présent. La souffrance intérieure de l’âme atteignit son apogée quand il perçut les particules de l’esprit devenir instables et s’agiter entre elles, se rétractant et se gonflant comme si elles étaient oppressées par la douleur. La douleur mentale pouvait s’avérer plus terrible encore que la douleur physique.
Ezéchiel se concentra durant ce qui lui parut durer une éternité alors qu’un dernier cri aigu plus tonitruant que les autres éclatait, confirmant à quel point lui faire revivre ce jour où elle avait été battue à sang à orphelinat était difficile.
La voix sèche et puissante de Lilith résonna finalement dans l’air.
–L’examen est terminé, apprenti Ezéchiel, vous pouvez disposer, les juges vont délibérer jusqu’à ce qu’on revienne vous chercher.
Encore une fois, il ne sut dire ce que la deamonium en pensait. Le socle de pierre disparu avec sa victime par le sol, mais Ezéchiel songea que sans l’intervention discrète de tante Abrahel, il aurait probablement échoué à nouveau. Cette fois, cependant, un simple rappel à l’ordre lui avait permis de se concentrer et de trouver une solution à ses faiblesses. Comme il était un être rêveur, utiliser son imagination pour réussir ce qu’on lui demandait avait été utile. Sa tante avait raison, utiliser ses faiblesses comme des forces était une excellenteidée.
Ezéchiel devrait donc être fier de son travail. Alors pourquoi, par tous les diables, une étrange sensation nouait-elle son estomac ? Pourquoi ressentait-il des sueurs froides, faisant frémir sa queue et ses petites cornes, encore à moitié cachées en dessous de ses cheveux noirs ? Le jeune dionau approuva d’un hochement de tête dans le vide, ignorant son flot de pensées, et garda un air neutre jusqu’à sa sortie de l’amphithéâtre.
En vérité, il éprouvait du remords vis-à-vis de cette femme en perdition.
Et il était désolé de l’avoir fait souffrir.
Flash-back
Ezéchiel avait vraiment du mal à retenir les dix commandements du Royaume des Enfers. Le lendemain matin, il aurait une interrogation sur le sujet, mais il ne comprenait pas vraiment le bien-fondé de ces règles établies. Qui les avait créées, le grand Maître ? Un groupe de deamonium haut placé ? Il ne devrait même pas se poser ce genre de question, mais simplement obéir aux ordres qui lui étaient donnés, car un jour il deviendrait un démon exemplaire. Tante Abrahel venait de tirer une chaise afin de s’installer en face de lui à table pour le faire étudier. La démone plus âgée était une deamonium de haut rang. Elle ne devrait donc même pas s’attarder à s’occuper de son éducation. Mais elle trouvait toujours le temps de le faire. De manière générale, les démons ne s’occupaient jamais aussi longtemps de l’apprentissage des petits et les laissaient se débrouiller dès qu’ils étaient capables de le faire.
–Je t’écoute, Ezéchiel. Cite-moi les lois du Royaume dans l’ordre, et décris-les-moi ensuite.
Dernièrement, grâce aux cours, il avait appris avoir dix années en âge mortel. Il se pensait déjà grand, mais se trompait grandement. Loin était la sagesse des siècles, voire des millénaires de ses aînés, alors il se contentait d’appliquer à la lettre ce qu’on lui inculquait, même s’il se posait toujours de nombreuses interrogations sur toutes sortes de choses. Ezéchiel fronça ses sourcils, cherchant à rétablir l’ordre des dix commandements, car cela avait toute son importance.
–La première c’est… c’est… celle avec l’accès à la Ter… non, c’est…
Il avait un trou. Sa voix fluette chancela sous le lourd regard de sa tante.
–Concentre-toi, Ezéchiel, mon neveu n’est pas bègue. Et inspire, je suis sûre que tu as étudié cela sur le bout des ailes. Sois ferme dans tes propos. La confiance doit suinter de ta voix. Et fais le vide dans ta tête, cela te permettra de contrôler tes émotions. Tu vas y arriver.
Le ton employé était dur, mais pas méchant. Elle faisait toujours cela pour qu’il se surpasse et donne le meilleur de lui-même. Il gigota nerveusement sur son siège, mais du plus haut que sa petite taille le lui permettait, le dionau releva bravement le menton afin de la rendre fière delui.
–Oui, ma tante. Pardonnez-moi.
–Ne t’excuse pas pour des sottises et pour rien. Combien de fois devrais-je encore me répéter ?
Ses joues chauffèrent et il réprima l’envie de baisser le regard sur ses genoux. Il faillit s’excuser à nouveau pour son étourderie, et se concentra sur lui-même pour lui donner une réponse appropriée, mais rien ne lui vint à l’esprit.
–Tu fais de ton mieux, certes, je le sais, enchaîna Abrahel.
Le dionau eut alors l’impression qu’elle venait de se retenir de soupirer. Sa tante se laissait bien trop rarement aller et attendrir. Il ne comptait plus le nombre de fois où il s’était fait réprimander pour avoir osé réclamer un câlin. Cela avait marché à de rares occasions, tante Abrahel avait laissé tomber sa rigidité et son masque de deamonium. Elle l’avait même soigné avec ses pouvoirs, parce qu’elle attendait de lui qu’il évolue pour le mieux après avoir eu ces moments de faiblesse.
–… mais tu dois t’appliquer. Et apprendre à faire le vide dans ton esprit. Je ne cesserai de te le répéter. Mais soit, tu connais ta leçon par cœur, tu es doué pour retenir la théorie, alors je t’écoute.
Son compliment fit inexplicablement gonfler sa petite cage thoracique de chaleur. Il contrôla le frémissement de ses ailes bourgeonnantes afin de ne pas lui montrer qu’il était ému par ses paroles. Pourtant, il sentit ses plumes grandissantes le chatouiller, et si tante Abrahel discerna les mouvements inopportuns, elle ne lui fit aucune remarque.
–La première loi dit que toute relation entre les démons et les anges est proscrite, entonna-t-il avec une assurance nouvelle dans savoix.
–Effectivement.
Un sourire à peine perceptible étira la commissure de ses lèvres.
–Et pourquoi ?
–Parce que… parce que les anges ont une vision différente de nous. Il ne pratique pas la torture et ils sont dénu…dénu…
–Dénués, l’aida Abrahel, cela veut dire qu’ils n’en ont pas, si tu ne comprends pas le terme théorique présent sur tes parchemins.
–Dénués de bon sens. Ils ne nous traiteraient pas bien, parce que nous ne sommes pas des anges. Et… ils ne nous respectent pas. Chacun doit aussi rester à sa place et à son poste pour l’équilibre des Royaumes et des plans astraux.
–Continue de réciter, je ferai le point à la fin de tes explications.
Ezéchiel ressentit un sentiment de confiance l’envahir et il se lança finalement sans crainte de représailles.
–La deuxième loi dit que chaque démon est affilié à son poste et ne doit pas sortir de son rang parce que chacun a sa tâche pour le bon fonctionnement du Royaume des Enfers. Et si chacun a sa tâche, cela permet d’être plus efficace dans la réalisation de notre devoir.
Sa tante ne disait rien. Elle avait récupéré les parchemins qu’il étudiait encore il y a peu auprès d’elle et les avait retournés en sens inverse, ne lui permettant donc pas d’y jeter un œil pour se rassurer.
–Continue. Concentre-toi. Tu connais ton sujet.
–La troisième loi dit que tous les désirs du grand Maître doivent être réalisés, peu importe ce qu’il nous demande. Parce qu’il est l’un de nos deux créateurs. Et qu’on… qu’on lui doit obéissance. Ensuite, euh, la quatrième dit que l’accès à la Terre est hautement contrôlé. On ne peut pas y aller si on n’est pas un adulte et si on n’est pas un haut gradé, parce que c’est un accès privilégié pour réaliser des missions de haute importance. Et il faut aussi avoir les compétences par par… rapport au… au poste exercé.
Il fit une pause dans son monologue et jaugea sa tante qui se contentait de le regarder sans ciller un seul instant.
–Continue, répéta-t-elle, cesse d’hésiter. Tu connais ta leçon.
–La cinquième loi dit que les comportements inopportuns doivent être réprimés et dénoncés à un supérieur hiérarchique. Les deamoniums se chargent notamment des sujets défa… défaillants en plus d’autres missions très importantes.
Sa voix fluette venait de baisser d’une octave en terminant son explication après avoir récité les mots provenant de sa théorie. Cette règle le faisait frissonner de la tête aux ailes. Il lança un regard incertain et douloureux à sa tante.
–Je n’ai pas l’intention de m’occuper moi-même de ton cas si telle est ta question silencieuse, Ezéchiel. De plus, tu n’es encore qu’un petit dionau. Mais je suis sûre que tu deviendras un grand démon, alors continue. Ne me fais pas perdre patience. Tu n’es pas défaillant, il te faut juste bien plus de rigueur.
Cette fois, un soupir s’échappa distinctement de sa bouche aux dents acérées. Il continua donc rapidement, de peur qu’elle ne change d’avis à son égard.
–La sixième dit que les âmes ne sont pas nos amis, ce sont nos patients. Elles doivent apprendre de leurs erreurs. La punition est égale à la souffrance qu’elles ont causée sur Terre. Elles doivent payer leurs dettes pour rétablir l’équilibre entre le Bien et le Mal et nous devons accomplir la peine infligée sans hésiter. La pesée de l’âme lors du Jugement permet aux hautes instances de déterminer la peine.
–Bien. Ensuite ?
La voix de tante Abrahel devint étrange et moins assurée. Il eut l’impression qu’elle était mal à l’aise. Ezéchiel la regarda timidement l’observer alors qu’il réfléchissait à la prochaine loi qui avait été mise en place pour la bonne gestion des Enfers.
–La septième dit que… euh… les sentiments sont à proscrire. Un démon qui ressent des sentiments et des émotions est défaillant. Ce n’est pas dans l’ordre des choses. Nous sommes nés pour obéir et ne pas remettre en question ce que l’onfait.
Ezéchiel gesticula à nouveau nerveusement sur sa chaise. Est-ce que sa tante pensait qu’il ressentait beaucoup trop de sentiments et d’émotions ?
–Quelle est ta question ?
Il cligna ses yeux alors qu’elle le sortait de ses trop nombreuses pensées.
–Pardon ? Ma tante ?
–Je lis une question dans ton regard. Quelle est-elle ? Car tu ne cesses de gigoter comme si l’on t’avait piqué avec les cornes d’un démon éleveur de créatures des Enfers, alors ?
Le dionau hésita, mais il était tellement curieux qu’il se lança.
–Pourquoi ne peut-on pas réfléchir par nous-mêmes et ressentir des choses ? Ça n’empêche pas le bon travail, non ?
–Les émotions sont une arme redoutable comme elles peuvent devenir ton pire ennemi. Elles peuvent justement aussi t’empêcher de faire un travail exemplaire. Si tu agis avec ce que ces anges appellent le cœur et non ta tête, tu peux être sûr que tes décisions ne seront jamais réfléchies et que tu remettras les ordres donnés en question. Or, ici, on agit, on ne réfléchitpas.
Encore une fois, le jeune immortel ne sut pas identifier l’étrange intonation qui émergea de savoix.
–Nous aurons une discussion plus profonde sur le sujet tous les deux à un autre moment. Pour l’instant, continue. Je vais devoir y aller. J’ai une réunion au Tribunal du Jugement et je dois te ramener chez ton père avant.
Ezéchiel grogna à la mention de son paternel. Même s’il savait que les démons se fichaient de leurs progénitures, cela ne l’empêchait pas d’en souffrir. Il était difficile d’être ignoré par son propre géniteur.
–Ne grommelle pas entre tes cornes. Et termine de me réciter ce que tu as retenu.
–Ou…oui. La huitième dit que les dionaux, à un certain âge, doivent se débrouiller seuls, parce qu’engendrer des nôtres est l’un des objectifs, mais la fonction dans les Enfers est la plus importante. Euh, ma tante, vous allez m’abandonner bientôt, alors ?
Sa lèvre n’aurait pas dû trembler et il sentit sa voix chanceler sous la tristesse. Abrahel le regarda longuement d’un air indéchiffrable.
–Ton père et moi le devrions logiquement dans quelques années, débuta-t-elle avec lenteur. Les démons doivent laisser leur progéniture prendre leur indépendance. Cette loi est un peu désuète et on devrait en revoir le fondement même lors d’une grande assemblée. Je trouve qu’il serait plus intelligent de vous aider à évoluer pour le mieux pour au moins un siècle célestin. On va dire que le non-respect de cette loi restera entre nous. Un peu comme un secret, si tuveux.
Un faible sourire étira la commissure de ses lèvres rouges et Ezéchiel sentit ses muscles se contracter pour en faire de même. Partager un secret avec sa tante lui faisait inexplicablement plaisir. Et des secrets sur les Royaumes, elle devait en détenir une certaine quantité entre ses ailes. Alors, il se sentait important. En classe, beaucoup avaient peur de tante Abrahel et d’autres le chambraient et appelaient son aînée « sa suzeraineté » Abrahel, car elle était en contact rapproché avec les autorités les plus importantes du Royaume ou plutôt des Royaumes.
–Donne-moi donc les deux dernières. Tu auras mérité de manger une viande saignante cuite au feu de lave avant que je te ramène auprès de ton paternel.
Les adultes n’avaient pas à proprement parler besoin de se sustenter, ils dégustaient des mets propres au Royaume pour le plaisir. Ce n’était pas le cas des petits dionaux comme lui. Ils en avaient besoin pour se développer et grandir dans de bonnes conditions. Son ventre gargouilla alors d’envie et il s’empressa de terminer sa récitation.
–L’avant-dernière dit que si une Guerre céleste éclate un jour, alors on devra se sacrifier si c’est nécessaire pour le bien du Royaume. Peu importe notre rang, on combattra l’ennemi, bien que les guerriers partent toujours en premier, avant les autres. Le Royaume du Maître est ce qui compte.
–Excellent, Ezéchiel, la dernière, je teprie.
–Elle est un peu bizarre celle-là, je trouve, avoua l’enfant en rougissant. Elle dit que si la semblable au Maître venait à revenir dans le Royaume, nous lui devrions à nouveau obéissance. Ça parle de la Maîtresse disparue il y a très, très longtemps ? N’est-ce pas ? Le professeur n’en a pas dit plus sur cetteloi.
–Oui. Et il n’y a pas besoin d’en connaître plus à vos si jeunes âges, Ezéchiel. Vous aurez des cours spécifiques sur le sujet en question, bien plus tard dans votre éducation.
Le ton employé était non équivoque et sans appel, signe que la discussion était close. Cela le frustra intérieurement, mais lui rappela aussi qu’il devait à tout prix apprendre à faire taire ses pensées en ébullition.
–Tu as fait un excellent travail. Et je n’ai pas vraiment besoin de rajouter quoi que ce soit. Tu maîtrises ton sujet, mon garçon.
Tante Abrahel glissa les parchemins vers lui, satisfaite. Elle tira la chaise de la longue table et vint doucement passer une main entre les boucles noires de ses cheveux, là où deux minuscules cornes, qui décidément ne voulaient pas grandir comme celles des autres dionaux, étaient tout juste apparentes. Sa main avait à peine frôlé son cuir chevelu, qu’elle la retira, comme si elle se rappelait du commandement relatif aux sentiments et aux émotions. Mais Ezéchiel ne se priva pas de profiter de ce nouvel instant de tendresse. Ils étaient bien trop rares à ses yeux et il se plut à se dire que ces instants volés étaient en fait un autre petit secret partagé entre euxdeux.
–Bien. Tu vas pouvoir te sustenter avant de partir. Je n’attends que la meilleure note à cette interrogation.
Il hocha vivement la tête. Le dionau devait la rendre fière.
Fin du flash-back
***
Les jeunes immortels avaient cours au sein de salles de classe qui ressemblaient à des grottes souterraines, semblables à celles que l’on pouvait trouver aux quatre coins de la Terre. Elles étaient concaves et se trouvaient profondément enfuies dans les strates de ce plan tellurique. Des filets de lave s’écoulaient des murs. À chaque fois que le magma touchaitle sol, il disparaissait comme avaler par la terre.
Ezéchiel, qui s’attardait sur le phénomène, sortit de ses pensées. Il avait enfin pu changer de classe et allait pouvoir suivre des cours qui lui permettraient de monter en grade, comme le désirait tante Abrahel. Il venait donc de retrouver les jeunes démons qui l’avaient autrefois dépassé grâce à leur réussite. Le jeune démonse faisait cependant petit, car après tous ses échecs, il était malvenu de se réjouir d’un quelconque exploit, surtout en sachant que sa tante l’avait repris mentalement afin qu’il puisse réussir son examen. Elle l’avait tout de même félicité à sa façon alors que son père s’intéressait à peine à sa réussite. Mais, depuis bien longtemps, Ezéchiel n’éprouvait de toute façon plus rien pour celui qui l’avait engendré. Il n’étaitguère bon de s’attacher aux membres de la famille. Pourtant, le nouveau démon aimait sa tante. Même si ce mot ne pouvait normalement être utilisé par leur race, exprimant une émotion d’une trop grande intensité, il le savait au plus profond de sa personne que c’était celui qui décrivait exactement ce qui le liait à son aînée.
Et puis, il y avait ces regrets qu’il avait ressentis lors de son examen face au sort des âmes déchues. Il ne les comprenait pas et devait pourtant les museler. Ezéchiel avait l’impression que la soupape de sécurité exploserait un jour. Lilith avait annoncé les résultats, tapie dans l’ombre. En pensant à cela, un frisson le parcourut. La première des deamoniums lui faisait peur et il éprouvait un inexplicable sentiment à son égard. Elle s’intéressait de trop près à sa personne, comme si elle savait qu’il ressentait parfois les sentiments et les émotions avec intensité. Ezéchiel secoua le visage alors qu’il s’asseyait sur une chaise faite d’ossements humains et déposait son sac qu’il portait par-dessus l’une de ses ailes repliées — un objet qu’il avait un jour trouvé dans un coin perdu des Enfers, là où les affaires des morts pouvaient être stockées comme des déchets lors de leur damnation. Il l’avait jugé bien pratique et avait même songé au fait que les humains pouvaient être ingénieux.
–Alors c’est vrai, le petit Ezy a réussi, et n’est plus un petit dionau ? Tu te retrouves enfin avec nous, dans la cour des plus grands !
Un être immortel un peu plus jeune que lui – il avait sauté quelques classes – vint s’asseoir sur un banc derrière lui. Il s’était exprimé à voix haute et intelligible par tous. Un peu imbu de lui-même, Alastair en avait toujours profité pour le titiller dès qu’il le croisait, peu importaitle lieu où il pouvait être dans les Enfers. Il était vraiment cruel, mais Ezéchiel ne prit même pas la peine de lui répondre et se contenta de regarder les étudiants s’installer ici et là dans la classe. Il ignora également les rires sarcastiques des acolytes d’Alastair qui arrivèrent jusqu’à ses oreilles aiguisées. Cela ne valait pas la peine de lui répondre, le jeune démon était là pour apprendre et rien d’autre. Malgré sa bonne résolution, il ressentit une douleur au dos qui fit briller momentanément des larmes à ses yeux. Il se retourna vivement afin de faire face à son semblable, et découvrit qu’il venait de lui arracher une plume.
Alastair secouait la plume qu’il venait de lui dérober devant ses camarades de classe qui la regardaient avec fascination.
Ezéchiel blêmit, car il constata que sa plume était décolorée et virait vers le blanc.
C’était nouveau.
–On subit des transformations, Ezy ? ricana Alastair. C’est un peu anormal, tu ne trouves pas ? Que tes plumes s’éclaircissent depuis peu de la sorte ? Le blanc n’est-il pas une caractéristique de ces imbéciles d’anges ?
Des rougeurs apparurent sur ses joues. Depuis quand ses plumes devenaient-elles aussi claires ? Il l’ignorait, mais heureusement, celles-ci étaient encore clairsemées entre ses plumes noires. Toute la classe se moquait ouvertement de lui et était pendue aux lèvres du démon aux dents bien plus aiguisées que les siennes. Il affichait un rictus narquois. Ezéchiel eut envie de le lui faire ravaler, mais ce serait se mettre à dos leur enseignante qui n’allait pas tarder à arriver. Il ne voulait pas que la situation se retourne contre lui, ce qui engendrerait une éventuelle punition. Il valait mieux ne pas contrarier cette professeure.
–Tu perds ta langue, Ezy ? Et puis, c’est vrai que tout le monde n’a pas la chance d’avoir sa suzeraineté Abrahel comme tante. Elle a usé de son influence auprès du grand Maître pour te laisser obtenir ton grade ?
Alastair passa par-dessus son bureau et se positionna devant lui. Il approcha si fortement son visage écaillé et noir que son haleine bestiale prit Ezéchiel au nez, mais il ne bougea pas d’un pouce. Il resta de marbre comme tante Abrahel le lui avait encore appris quand il se faisait embêter de la sorte lorsqu’il était un petit dionau.
Ezéchiel finit cependant par s’agiter lorsqu’Alastair passa la plume blanche au-dessus de son nez et que leurs camarades décidèrent de les entourer afin d’assister au spectacle qui allait suivre.
–C’est un peu à se demander si ta démone de mère t’a correctement fabriqué vu tous tes défauts ! Regardez sa peau pâle, elle devrait se foncer vers le rouge ou le noir, mais ça s’éclaircit vers le rosé dernièrement ! Oui, tu es une erreur, c’est pour cela que ta génitrice t’a aband…
Et boum. Il perdit patience. D’un geste rapide, il étendit l’une de ses ailes et empoigna la tête d’Alastair par ses cornes – qui étaient bien plus grandes que les siennes. D’un mouvement agile, il la balança sur le banc et la cogna avec une telle violence que l’autre démon se retrouva étalé à même le sol. Sonné, Alastair mit une longue seconde avant de réagir et de se relever. Il essuya d’un air menaçant le sang noir qui coulait sur son menton, rejetant aux pieds d’Ezéchiel un crachat ensanglanté. La blessure superficielle de sa lèvre fendue se refermait déjà, signe de leur immortalité.
Les autres, surpris par sa réaction, n’osèrent dès lors pipermot.
–Espècede…
–C’est bon, vous m’agacez, allez à votre place, le professeur Asmodée ne devrait plus tarder, siffla une jeune démone. Alastair, je pense que l’on sait tous qu’Ezéchiel mérite ce genre de remarque, mais ce n’est pas la peine de nous casser les cornes et la queue à chaque fois qu’il est possible de le faire !
L’intervenante se planta devant Alastair et lui barra le chemin à l’aide de ses ailes. Ezéchiel dévisagea longuement cette jeune et mystérieuse immortelle qui réussit à obtenir gain de cause alors que tout le monde s’éparpillait et regagnait sa place sans demander son reste.
Elle avait indéniablement de l’influence au sein de la classe.
Il voulut la remercier par politesse, mais il ravala ses paroles en croisant ses pupilles grises. Tout d’abord, il n’avait pas à la remercier, car il était un démon et ce genre de pensée était à bannir. Ensuite, il était bien plus probable qu’elle eut agi pour elle-même et non dans le but de l’aider,lui.
Il ramassa alors rapidement sa plume arrachée et la cacha d’une main un peu tremblante. La porte s’ouvrit avec fracas à ce moment-là et le professeur Asmodée pénétra dans la pièce ce qui obligea tous les jeunes démons à se lever de leur siège.
Asmodée était une démone à l’allure baraquée, très grande et très musclée. Elle lui faisait penser à l’un de ces colosses militaires qu’il avait découverts lors d’un cours d’histoire consacré aux mortels, alors qu’il était encore un petit dionau qui apprenait à lire. Alors qu’elle faisait l’appel d’une voix haute et perchée, elle s’adressa à lui en se redressant de toute sa hauteur lorsqu’arriva son nom. La professeure faisait énergiquement balancer sa queue derrière elle, signe qu’elle allait lui lancer une remarque. Il s’efforça de rester impassible, malgré les chuchotements indistincts et étouffés de ses camarades qui lui parvenaient encore une fois aux oreilles.
–Ne crois pas, petit, qu’après avoir réussi à obtenir ton grade, tu vas pouvoir te reposer sur tes deux ailes ! Je te conseille d’être attentif et de ne pas rater à plusieurs reprises tes prochains examens, car cela ne marchera pas dans ma classe et ce n’est pas les traitements de faveur que tu pourrais éventuellement recevoir de certains de tes contacts qui pourront te sauver ! Pas cette fois, Ezéchiel. Je n’hésiterais pas à demander la dissolution de ton existence même auprès des plus haut placés.
La démone avait une voix qui portait. Rien qu’en chuchotant, cette immortelle imposait le silence et le respect. Tous les jeunes démons savaient que leur immortalité n’était pas acquise durant leur jeunesse. Et ils en avaient encore pour bien, bien longtemps.
Il acquiesça alors à ses propos sans oser la contredire.
Une expression de dégoût se perdit sur les traits émaciés de son aînée et, durant un laps de temps, elle le jaugea de haut en bas, espérant certainement déceler ses prochains échecs. Mais elle détourna ses sabots et commença, d’un ton sans appel, à donner son cours, les mettant tous au garde-à-vous.
–Prenez des notes, bande de petits démons de première sous-catégorie, lâcha-t-elle d’une voix criarde, et ne me regardez pas avec vos regards de jeunots ! Allez !
Le cours allait êtrelong.
***
Le soir tombait dans les Enfers lorsqu’Ezéchiel sortit de la grotte où il avait suivi un cours intensif. Asmodée ne lui avait pas fait de cadeau et avait ruiné en un instant sa stratégie qui consistait à se faire le plus discret possible. Elle l’avait prévenu plus d’une fois, insistant plus que de raison sur le fait qu’il devrait faire de très gros efforts pour se remettre à niveau et rattraper son retard. Comme s’il était un moins que rien qui ne méritait pas sa place sur les bancs de sa classe. Ayant décidé de faire profil bas malgré tout, le dionau s’était bien gardé de lui faire remarquer que deux autres nouveaux avaient rejoint leurs rangs et qu’ils étaient potentiellement dans le même cas que lui. Mais apparemment, il avait attiré l’attention de leur professeure et ce n’était pas pour l’enchanter.
Tausende von E-Books und Hörbücher
Ihre Zahl wächst ständig und Sie haben eine Fixpreisgarantie.
Sie haben über uns geschrieben: