Fantasy Art and Studies 11 -  - E-Book

Fantasy Art and Studies 11 E-Book

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Les chercheurs et les auteurs du 11e numéro de Fantasy Art and Studies s'attèlent à révéler toute l'étendue et la richesse des imaginaires de la surface et des profondeurs océaniques dans la Fantasy. Retrouvez notamment des articles sur Tolkien, C. S. Lewis et Ursula K. Le Guin, ainsi que des nouvelles qui vous feront voyager à travers les océans, et, en prime, le nouveau chapitre de la BD de Guillaume Labrude, qui clôt l'arc de Caliban. Un numéro illustré par GaëlleC., Guillaume Labrude, Antoine Pelloux, Emmanuelle Ramberg et Véronique Thill. --- The authors and researchers of Fantasy Art and Studies issue 11 set out to reveal the full extent and richness of the imaginations of the surface and the ocean depths within Fantasy. Available in this issue: articles dealing with Tolkien, C. S. Lewis, Ursula K. Le Guin, and short stories which will make you travel through the oceans, and, as a bonus, the new chapter of Guillaume Labrude's comics, that closes Caliban's arc. An issue illustrated by GaëlleC., Guillaume Labrude, Antoine Pelloux, Emmanuelle Ramberg and Véronique Thill.

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Seitenzahl: 281

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Directrice de publication et éditrice / Publication director and editor : Viviane Bergue

Comité de lecture / Reading board : Viviane Bergue, Justine Breton, Sandra Delanchy, Caroline Duvezin-Caubet, Monis Enidra, Guillaume Labrude

Illustrateurs / Illustrators : GaëlleC., Guillaume Labrude, Antoine Pelloux, Emmanuelle Ramberg, Véronique Thill

Illustration de couverture / Cover illustration : Véronique Thill

Maquette et conception graphique / Layout and graphic design : Antoine Pelloux

Dépôt légal / Legal deposit : décembre/ December 2021

ISBN : 978-2-901099-21-5ISSN : 2646-5132

Les textes et les illustrations sont la propriété de leurs auteurs et ne peuvent être copiés ou reproduits sans leur consentement.

All texts and illustrations are the properties of their respective authors and cannot be copied or reproduced without their consent.

Revue imprimée en Allemagne et distribuée par Books on Demand, GmbH.

Fantasy Art and Studies est édité par les Têtes Imaginaires, association de loi 1901.

 

©Guillaume Labrude

 

Sommaire / Contents

 

 

Editode/by Viviane Bergue

Fiction.Le Chant du Sceau, de/by Marine Ginot

Fiction.Voués à l’océan, de/ by Emeline Isaia

Article.“Where the Waves Grow Sweet”: From Sea Adventure to Transcendence in The Voyage of the Dawn Treader by C. S. Lewis, de/by Anne-Frédérique Mochel-Caballero

Fiction.La Confiance engloutie, de/by Régis Renevey

Fiction.La Fin d’Homélia, de/by Lucie Heiligenstein

Article.Transmettre le mythe de l’Atlantide : l’île submergée et la démarche mythopoétique chez J. R. R. Tolkien, de/by Clara Colin-Saïdani

Fiction.Le Goût des baisers de Tiléis, de/by Bernard Weiss

Article.L’Odyssée du sorcier de Terremer, de/by Léa Kerjean

Fiction.Le Ferry volant, de/by Emma Chevalier

Fiction.Le Cachalot et l’oiselière, de/by Magali Bossi

BD/Comics.Le Culte de l’huître bleue, de/by Guillaume Labrude

 

Edito

 

Les océans couvrent plus de 70% de notre planète et regorgent encore de zones inexplorées, source de mystère, de fascination et, par extension, d’imaginaires. Des zones d’ombre qui ne cessent d’inspirer conteurs et écrivains. Il y a la surface, le monde des hommes, et ce qui se trouve en-dessous et surgit parfois pour semer le chaos ou simplement entrer en contact avec les hommes. Et les abysses, l’inconnu, desquelles émergent monstres et âmes corrompues. Tels sont les visages des univers maritimes et océaniques dans la Fantasy, qui ne se limite pas seulement aux mondes peuplés de créatures aquatiques mais met en scène les exploits des hommes dans une forme de narration bien particulière, celle de l’aventure, de l’odyssée et de l’exploration des limites. Les chercheurs et les auteurs de ce numéro se sont attelés à révéler toute l’étendue et la richesse des imaginaires de la surface et des profondeurs océaniques au sein de la Fantasy. De Marine Ginot qui nous plonge dans l’étrange Cité abyssale du Dieu Silence à Magali Bossi créant la rencontre fascinante entre un cachalot et une oiselière, en passant par une analyse de L’Odyssée du Passeur d’aurore de C. S. Lewis par Anne-Frédérique Mochel-Caballero, des récits abordant les rivages polynésiens dans les nouvelles d’Emeline Isaia et Régis Renevey, ou encore le risque de la terre engloutie par les flots chez Lucie Heiligenstein et le renouvellement du mythe de l’Atlantide par J. R. R. Tolkien dans l’article de Clara Colin-Saïdani. Léa Kerjean examine quant à elle ce que Le Sorcier de Terremer d’Ursula K. Le Guin doit à L’Odyssée d’Homère. Bernard Weiss nous entraîne sur une île où des moines veillent au grain face aux dangers qui guettent des profondeurs d’une cataracte au bord du monde, et Emma Chevalier nous amène à bord d’un ferry naviguant sur l’océan cosmique. Vous ne serez pas déçu du voyage.

En prime, retrouvez un nouveau chapitre de la BD de Guillaume Labrude, et de superbes illustrations signées GaëlleC., Guillaume Labrude, Antoine Pelloux, Emmanuelle Ramberg et Véronique Thill.

Bonne lecture !

 

The oceans cover more than 70% of our planet and still abound in unexplored areas, a source of mystery, fascination and, by extension, imagination. Shadowy areas that never cease to inspire storytellers and writers. There is the surface, the world of men, and what lies beneath and sometimes emerges to sow chaos or simply to make contact with humankind. And the abyss, the unknown, from which monsters and corrupted souls arise. These are the faces of the maritime and oceanic worlds in Fantasy, which is not limited to worlds populated by aquatic creatures but stages the exploits of men in a very particular form of narration, that of adventure, odyssey and exploration of the limits. The researchers and authors in this issue have set out to reveal the full extent and richness of the imaginations of the surface and the ocean depths within Fantasy. From Marine Ginot, who plunges us into the strange abyssal City of the Silent God, to Magali Bossi, who creates a fascinating encounter between a sperm whale and a bird woman, through Anne-Frédérique Mochel-Caballero who analyses C. S. Lewis’s The Voyage of the Dawn Treader, tales boarding Polynesian shores in Emeline Isaia and Régis Renevey’s short stories, or the risk of the land being swallowed up by the waves in Lucie Heiligenstein’s story, and the renewal of the Atlantis myth in J. R. R. Tolkien in Clara Colin-Saïdani’s paper. Léa Kerjean examines what Ursula K. Le Guin’s A Wizard of Earthsea owes to Homer’s Odyssey. Bernard Weiss takes us to an island where monks keep watch over the dangers that lurk from the depths of a cataract at the edge of the world, and Emma Chevalier gets us on a ferry sailing on the cosmic ocean. You will not be disappointed with the journey.

As a bonus, you’ll find a new chapter of Guillaume Labrude’s comics, and superb illustrations by GaëlleC., Guillaume Labrude, Antoine Pelloux, Emmanuelle Ramberg and Véronique Thill.

Enjoy your reading!

 

Viviane Bergue

©Véronique Thill

FICTION

Le Chant du Sceau

 

Marine Ginot

Depuis l’enfance, Marine Ginot aime développer des atmosphères, créer des personnages et imaginer leurs (més)aventures ! Au fil des années, elle a ainsi développé plusieurs univers de Fantasy en nuances de merveilleux, sensibilité et poésie.

Lectrice omnivorace, elle anime depuis 2017 le blog Imagin’encre, un carnet d’explorations livresques à la rencontre de l’édition indépendante.

 

Since childhood, Marine Ginot has loved developing atmospheres, creating characters and imagining their (mis)adventures! Over the years, she has developed several Fantasy worlds with shades of wonder, sensitivity and poetry.

An omnivorous reader, she has been running the Imagin’encre blog since 2017, a notebook of bookish explorations to meet independent publishing.

 

Vagues, voguer, divaguer

S’émerveiller

Se fondre dans le Silence

Rêver

S’ouvrir à la Cité Silencieuse

 

Les embruns fouettaient les sens d’Yliénore. Longues boucles brunes dans le vent, murmures chaleureux des vagues entre ses orteils nus, parfums exaltants, la peau offerte aux agressions du sel environnant, chaque sensation amplifiée, la jeune fille essayait de suspendre le temps. Juste un instant. Une caresse aérienne, un rayon qui s’échauffe, les griffes rocheuses contre ses jambes et le chant de la mer qui l’apaise. L’emporte. Une respiration volée. Devenir un oiseau éternel et partir par-delà l’horizon…

Dans le jour naissant, l’éveil du petit bourg côtier rompait peu à peu sa quiétude. Ses membres raides protestèrent vigoureusement quand elle se releva. Un dernier regard vers les eaux ensorcelantes, une dernière prière adressée au Dieu-Mère, avant d’être plongée dans l’effervescence de la ville. Elle réajusta soigneusement le foulard qui dissimulait ses oreilles effilées avant de rejoindre la place centrale et la taverne où elle travaillait.

Le tenancier l’accueillit avec un sourire ensommeillé mais chaleureux. En dépit de l’animation qui régnait, la journée s’annonçait relativement calme. La mer était sereine, la température douce, les visiteurs peu nombreux et son jeune frère ne lui avait pas encore sauté dessus en hurlant.

« Yli ! »

Une tornade brune se jeta dans les bras d’Yliénore et deux petites mains collantes s’agrippèrent de leur mieux à ses vêtements pour rester blotties contre elle. La jeune fille avait pensé trop vite. Elle rattrapa son frère et savoura la chaleur de cette étreinte matinale. L’enfant portait l’odeur de leur foyer, cendres, sauge et un soupçon de rose. Puis les premiers clients descendirent de leur chambre, Vix partit à l’école et Yliénore commença véritablement sa journée.

 

Yliénore était penchée au-dessus d’un baquet rempli d’une eau à la propreté douteuse qu’elle devait vider. Elle avait figé le liquide et son reflet la regardait avec un mélange d’angoisse et de répulsion. Ses oreilles s’étaient encore affinées et son visage comme ses cheveux commençaient à s’éclaircir. Combien de temps avant que le foulard ne suffise plus ? Mais plus inquiétante était la mélodie entêtante qui courait dans ses veines, noyant parfois toute autre sensation sous ce déluge rythmé. Un frisson le long de son échine, un gémissement sourd au bord des lèvres, la nausée à fleur de peau. Des claquements de sabots la sortirent de la douloureuse torpeur qui menaçait de l’emporter.

La fin de journée approchait et les nuances orangées donnaient des teintes particulières aux voyageurs lourdement chargés. Visages hâlés et vêtements poussiéreux, sacoches et armes, outils variés. En raison de la proximité de la mer et de ses dangers, les groupes de voyageurs étaient rares par ici. Ils pénétrèrent dans l’auberge et Yliénore se hâta de libérer l’eau et de vider son baquet avant de descendre les accueillir.

Un frémissement incontrôlable la saisit à mi-chemin. Échos de douleurs et de chants familiers. Elle se tétanisa sur une marche, prise de vertiges, submergée par un élan qui la dépassait. Ils étaient une vingtaine, l’expérience et la fougue s’entremêlaient dans leurs regards durs. Un groupe hétéroclite. Leur allure martiale tranchait avec le calme des rarissimes randonneurs qui s’arrêtaient. Les côtes étaient dangereuses, mais ces voyageurs-là semblaient déterminés à affronter tous les monstres qui hantaient les eaux. Un courant glacé parcourut la jeune fille un instant. Un instant pendant lequel le meneur du groupe la jaugea sans concession. Le tenancier brisa le silence qui menaçait de s’installer et accueillit les nouveaux arrivants avec un peu trop d’enthousiasme. Un peu trop de bruit. Annihiler le silence était une habitude répandue. Yliénore savait qu’elle n’aurait dû apprécier ni le silence, ni la mer.

« Bienvenue ! J’espère que votre voyage fut sans danger.

– Nous voulons des couverts et des lits. Nous partirons à l’aube.

– Puis-je demander où vous allez ?

– Nous cherchons la Cité muette. »

Un silence s’abattit, lourd et aiguisé. Terrible. Yliénore vit le tenancier ouvrir la bouche. La refermer. Essayer à nouveau de prononcer une parole. Échouer. Ses traits crispés, la colère et l’amertume dans ses yeux. La Cité muette. Sont-ils fous ?Elle inspira profondément, chassa la peur, prit la parole :

« Installez-vous, nous allons préparer ce que vous avez demandé. »

Dans un coin de la grande salle, elle vit son frère qui n’avait rien perdu de l’échange et l’espoir redoutable tapi dans son regard.

 

L’effroyable cri retentit au cœur du brouhaha ambiant. L’assemblée se figea, les regards convergèrent vers la mer dissimulée par les solides murs de l’auberge. Un battement. Un nouveau cri lointain. L’effroi tout proche. Yliénore se précipita vers Vix pour l’abriter derrière le comptoir avant d’aider le tenancier et les habitués à barricader la taverne.

« Que se passe-t-il ? demanda le meneur d’une voix forte.

– Les furies. »

Yliénore, Vix et les plus jeunes clients se dissimulèrent dans l’ombre du comptoir tandis que les adultes se tinrent prêts au combat. Vix s’était blotti contre sa sœur, il n’écoutait plus que la mélodie rassurante qu’elle murmurait à ses oreilles, ne sentait plus que les cercles qu’elle dessinait avec douceur sur le dos de sa main. Encore et encore. Il s’enfonçait dans cet espace qu’elle n’ouvrait que pour lui. Les habitants connaissaient le cri des furies, savaient ce qu’il annonçait. Dans leurs regards, la peur se disputait avec la rage. Les voyageurs ne tremblaient pas.Est-ce par bravade ou par ignorance ?Yliénore chassa ses pensées, elle devait veiller sur son frère. Les nouveaux arrivants ne semblaient pas inquiets, ils attendaient avec un semblant de curiosité. La jeune fille aurait voulu leur hurler dessus, les secouer, les mettre en garde, mais elle n’osait pas bouger.

La souffrance hurla dans la nuit, déchiquètements, bruits de course, coups de feu et de flèche, odeur vermeille, nuit terrible, hululements sauvages des furies. Ce hululement glacial qui hantait les nuits, les souvenirs, les songes et les mers. Qui s’approchait. La curiosité déserta brutalement les traits des voyageurs lorsqu’une furie força une fenêtre et leur fit face. La peau blafarde de la créature luisait doucement, encore humide, des cheveux grisâtres tombaient de son crâne dégarni en un rideau sale, ses longs bras squelettiques pendaient de chaque côté de son corps décharné, ses yeux clairs brillaient de folie et de rage tandis que ses branchies palpitaient dans son cou. Frémissements, sidération et amorce de peur. Un instant en suspension. Les guerriers se ruèrent sur le monstre, violemment. Le tenancier n’était pas en reste, avec la retenue caractéristique des habitants du village. Yliénore fredonna plus fort en sentant Vix trembler contre elle, tout en regardant. Une fièvre étrange embrasait les gestes des mercenaires tandis que l’aubergiste se battait avec la douceur de ceux qui connaissent la véritable origine des furies. Il porta le coup fatal. Miséricordieux. Les combats s’achevaient également à l’extérieur. Yliénore ne reconnut pas la furie morte. Pas ce soir. Les hululements transperçaient la nuit en s’éloignant. « Vous souhaitez toujours aller dans la Cité muette ? Le domaine maudit du Dieu-Silence ? Leur domaine ? » Pas de réponse.

Vix les regarda monter se coucher. Yliénore l’attendait à la porte de l’auberge. Leur père devait les attendre. Ou espérer que les furies m’ont emportée, cette fois.

« Il faut que tu partes avec eux. Peut-être que…

– Ça ne sert à rien, Vix. Tu le sais bien…

– Tu avais promis ! Tu m’avais promis que tu essaierais ! »

L’enfant passa en trombe, esquiva sa main et disparut dans la nuit.

« Tu commences à entendre l’attraction, toi aussi ? lui demanda le tenancier.

– Non. »

Ils savaient tous les deux qu’il s’agissait d’un mensonge.

 

L’aube trouva Yliénore face à la mer. Les vagues chantaient dans ses veines et les embruns apaisaient ses pensées. L’accueil paternel avait été glacial et désobligeant. Abomination. Comme chaque jour depuis le départ de sa mère. Abomination. Fureur. Comme chaque jour depuis que son corps changeait. Silence. Sceller le Silence. Silence des Scellés. Murmure murmure danse. Ivre vivre chante. Sonne et résonne le Silence. Vibre vibre le silence scellé. Secouer la tête, échapper à ces voix qui la hantent et l’appellent vers ces terribles eaux… Tu avais promis ! Le cri de Vix avant qu’il ne s’évanouisse dans l’obscurité. Elle ne voulait pas le perdre, lui aussi.

 

Son ancienne nourrice accueillit Yliénore avec sa douceur discrète habituelle et lui indiqua la petite chambre du fond. Vix s’agitait sur l’un des lits. Yliénore serra sa main et traça délicatement le cercle d’apaisement tout en fredonnant jusqu’à ce qu’il se calme. Elle l’embrassa sur le front, déposa la lettre préparée à son attention et quitta la pièce. Elle essaierait de tenir sa promesse. « Je veillerai sur lui. Fais attention à toi ». La jeune fille hocha la tête pour remercier celle qui continuait à prendre soin d’eux. Tenta de parler, d’ajouter quelque chose. S’enfuit. Vers la mer.

 

« Emmenez-moi avec vous. »

Ce n’était ni une question, ni une prière. Yliénore avait prié le Dieu-Mère à de nombreuses reprises et ses prières avaient toutes été vaines. Une seule divinité pouvait l’aider. Une divinité des eaux, sons et silences à laquelle on ne savait plus parler.

« C’est dangereux.

– Je le sais. Emmenez-moi. Je sais comment se repérer une fois dans la cité déchue. »

Hochement de tête. Yliénore embarqua sur une coquille de noix à la découverte des eaux maudites.

 

Pour la toute première fois de son existence, Yliénore naviguait en haute mer ! Cette mer dangereuse qui la fascinait tant ! Elle avait été éclaboussée et fouettée par les vagues, ballotée par les vents, enivrée par le chant des courants. Sensations savoureuses et peurs lancinantes. Une mélodie familière valsait dans son cœur et dans son sang. L’envahissait chaque jour davantage. Résonnait avec le mal de mer qui la tenaillait parfois. Les jours en mer avaient encore affiné ses perceptions, ses peurs et ses traits. Ses compagnons de voyage ne semblaient pas remarquer que son corps s’émaciait, que son teint s’éclaircissait, que ses yeux perdaient leur couleur. Les sons et les odeurs la submergeaient de plus en plus fréquemment. Et il y a la douleur, surtout. Une souffrance à fleur de peau, prête à exploser et à la détruire.

La traversée avait été intense. Terrible. Ils avaient essuyé des tempêtes dévastatrices et subi plusieurs violentes attaques de furies et de créatures aquatiques. Les vivres avaient été noyés, comme certains matelots. L’équipage était épuisé, affamé. Les mercenaires étaient nerveux. À chaque instant, l’ombre de la mort étendait un peu plus ses ailes au-dessus d’eux…

« Terre ! »

Le cri tant attendu. Un bien grand mot pour le minuscule îlot qui commence à apparaître. Une vague de douleur, qui se diffusait depuis son cœur, qui pulsait dans sa tête. Yliénore se retint de justesse au bastingage. Pas maintenant. S’il vous plaît. Pas maintenant. J’ai promis. Elle put presque entendre un ricanement amer lui répondre.

Un petit détachement de guerriers embarqua sur une chaloupe tandis que les autres restaient à bord. Yliénore en profita pour s’allonger dans l’un des hamacs.

 

Les éclaireurs revinrent quelques heures plus tard. L’un d’eux décrivit rapidement l’îlot : vide, inhabité, inhospitalier, sans la moindre trace de la Cité muette. La seule construction était une étrange arche en coquillages et granit marin.

« La porte de la Cité…, murmura Yliénore malgré elle.

– Comment le sais-tu ?

– Je connais les légendes. Elles parlent toutes d’une porte marine à la frontière entre terres et mers, entre sons et silence. Nous grandissons dans l’ombre des dangers de la Cité, vous avez vu les furies, nous connaissons les légendes qui s’y rapportent.

– Sais-tu l’ouvrir ?

– Peut-être.

– Dans ce cas, on y va. »

 

Yliénore fut frappée par la beauté de la porte dressée au sommet de la petite île. Les coquillages sertis dans la roche claire scintillaient et reflétaient chaleureusement les éclats de lumière. Massive et aérienne, terrestre et aquatique, au croisement entre les deux mondes, l’arche s’élançait vers le ciel avant de revenir poser ses pieds sur l’île. Elle encadrait le panorama et dévoilait des eaux merveilleuses. Trompeuses. Cet arc grandiose accentuait la beauté et dissimulait les dangers. Je ne suis pas dupe.

« Ouvre-la. »

Un ordre sec coupa ses pensées. La heurta de plein fouet.

Yliénore sortit le petit couteau au manche incrusté de nacre qu’elle avait prit soin d’emporter et s’entailla brutalement la paume. Elle s’ouvrit à la mélodie qui rugissait en elle depuis des semaines, qui pulsait dans ses veines, qui submergeait ses pensées. Elle s’immergea dans ce chant qui l’habitait, sonnait dans l’arche, résonnait dans les coquillages, murmurait le silence. Les paroles jaillissaient de son âme, connues sans les avoir apprises, apaisaient sa douleur et ses doutes. Sa voix se fondit dans le silence.

« Vagues, voguer, divaguer

S’émerveiller

Se fondre dans le Silence

Rêver

S’ouvrir à la Cité Silencieuse »

Un rire lui échappa, la transperça. Yliénore se sentait bien, ivre d’une vie qu’elle croyait perdue. Une énergie folle se répandait dans son corps, puissance douce, libératrice. Ce chant qui l’avait tant effrayée la réconfortait à présent. Peut-être que Vix a raison. Peut-être que la malédiction peut être rompue. Et elle chantait, chantait, portée par le savoir ancestral qui vibrait dans ses veines, submergée d’un espoir neuf.

Un grondement monta soudain. Terrible. Sous leurs chaussures. Le sol se fractura et ils observèrent, médusés, un couloir en pente douce apparaître entre les pieds de l’arche. Yliénore cessa de chanter et le silence l’enveloppa tendrement. Il ne lui avait jamais semblé aussi réconfortant qu’en cet instant. Une larme roula sur sa joue, lentement, avant d’être cueillie par un courant d’air.

« Il faut descendre. La Cité silencieuse est sous les flots ».

Elle s’engagea dans le passage sans attendre de réponse.

 

La descente était enchanteresse. La roche garnie de coquillages avait progressivement laissé place à des parois translucides qui révélaient les splendeurs sous-marines. Comment est-ce possible ?Elle renonça à comprendre. Ses yeux erraient tout autour, se gorgeaient de cet environnement mystérieux et interdit. La surface légèrement irisée du tunnel donnait un éclat particulier au monde aquatique qui s’offrait à elle. Ce n’était pas l’obscurité qu’elle avait redoutée, mais une semi-pénombre chaleureuse, propice aux sons feutrés des eaux et de leurs occupants. Divers poissons et créatures colorés s’approchaient d’elle sans crainte. Des reflets de feu et feuilles dansaient tout autour, s’enroulaient, s’écartaient, s’enlaçaient, dans une symphonie de couleurs et de sons légers. Une intensité nouvelle chatoyait en elle et une mélopée franchit doucement ses lèvres. Les bancs de poissons semblèrent attentifs. Insensiblement, leurs mouvements évoluèrent, se fluidifièrent, entrèrent en résonance avec le rythme de la jeune fille. Elle s’approcha davantage pour les admirer, posa sa main sur la surface dure et froide qui la séparait de ce ballet improvisé à son attention…

Un cri atroce brisa la magie. Les furies. Yliénore les avait presque oubliées. Entre temps, ses compagnons de route l’avaient rattrapée. Ils ne paraissaient pas très rassurés. Elle ne partageait plus leur inquiétude. Le Silence semblait lui souhaiter la bienvenue. Ils se remirent en route à pas lents. Vers la Cité d’une divinité déchue et les monstres qui la peuplaient.

 

Un spectacle majestueux s’offrit à eux en bas du passage.

Sous une coupole opalescente et délicatement scintillante, la Cité s’élevait en douceur et fluidité, merveilleusement conservée à travers les âges, depuis la malédiction qui avait déchu le Dieu-Silence, protecteur du lieu, ainsi que ses fidèles et tous les habitants de sa ville sacrée. Les constructions étaient un mélange de roches et de légèreté, d’ombre et de lumière, de secrets et de récits. Ces paradoxes tissaient une atmosphère particulière, hors du temps connu. La coupole, pas si lointaine, laissait passer des rayons de jour, donnait à voir les créatures marines qui s’ébattaient tout autour, assourdissait les sons.

Yliénore avait appris à craindre le domaine du Dieu-Silence. Comme tout le monde. Remplir les silences. Éviter la proximité de la mer. Mais en cet instant, face à la sublime cité du Dieu déchu, elle ne savait plus ce qu’Il avait de si terrible.

Le hululement caractéristique des furies le lui rappela bien vite. La malédiction touchait tous les univers, les croyances et les fidèles de cette divinité ambivalente. Les Sceaux silencieux accompagnaient les personnes destinées à servir et protéger. Leur chant était devenu un fléau qui rongeait les porteurs de cette marque divine, la Cité silencieuse s’était éteinte et les eaux étaient devenues maléfiques. Yliénore percevait tout cela au plus profond de son être. Dans le rythme lancinant qui vibrait dans ses veines, dans la douleur qui pulsait depuis son cœur, dans les métamorphoses que subissait son corps.

Le meneur des guerriers reprit la tête de leur groupe et ils s’enfoncèrent dans les rues inhospitalières de la Cité du Dieu-Silence.

 

Malgré l’appréhension lancinante, Yliénore s’abîmait dans la contemplation de la ville sous-marine. Bien qu’aucun être conscient ne l’eût habitée depuis des siècles, la citadelle était extrêmement bien conservée. Elle semblait seulement endormie. Prête à s’éveiller. Des petites créatures dont elle ignorait l’existence peuplaient cependant ces dédales fantomatiques ; elle les entendait et distinguait parfois leurs ombres qui s’enfuyaient. Par un étrange procédé, certains poissons parvenaient à pénétrer dans le dôme silencieux avec une bulle d’eau et évoluaient entre les bâtiments. La première fois qu’ils assistèrent à ce phénomène, le soldat le plus proche fut si surpris qu’il coupa le pauvre animal en deux. En dépit des légendes et des mises en garde, la cité était pour l’instant bien moins dangereuse que la navigation.

Dans cet environnement aquatique à la faible clarté, les explorateurs et la jeune fille perdirent vite la notion du temps. Ils n’avaient pratiquement pas parlé depuis qu’ils avaient quitté le tunnel d’accès. Leur meneur espérait éviter un affrontement avec les furies. Pauvres créatures maudites. Que pensent-ils accomplir ici ? Yliénore n’avait toujours pas la moindre information concernant leur mission. Il était d’ailleurs temps de leur fausser compagnie. S’il existait un moyen de tenir sa promesse, ce serait avec le Silence. Sans ces étrangers. Elle s’éclipsa lorsque l’ordre de monter le camp fut donné.

 

La solitude lui fit du bien. Elle apaisa ses pensées tumultueuses, l’agression des armes de ses compagnons, donna libre cours au chant qui résonnait en elle. Le chant du Sceau silencieux. Le maléfice qui avait emporté l’esprit de sa mère et qui la menaçait à présent. Le Don-scellé se transmettait au premier né, il était une fierté et une richesse.Avant la chute du Dieu-Silence, avant le vol de son artéfact sacré par un être égoïste. La mélodie scellée dans son corps murmurait paix et sérénité, la berçait peu à peu. Maman…

 

Aucune variation de lumière ne pouvait confirmer son impression, mais Yliénore sentait que le jour s’était levé. Elle avait froid et ses membres étaient raides d’une mauvaise position de sommeil.Sommeil ?Elle avait dormi dans la Cité silencieuse, loin de la protection des guerriers, malgré la proximité des furies et autres dangers éventuels. Elle avait dormi et elle se sentait reposée pour la première fois depuis longtemps. Son esprit était clair. Personne ne lui avait jamais parlé de cet état. Difficile d’imaginer la folie détruire cette quiétude. Pourtant le Sceau rendait fou, le don avait été maudit, les Scellés étaient devenus les furies. À quoi ressemble mon visage, à présent ? Elle ne trouva aucune flaque à figer pour le savoir. Elle retira son foulard et palpa ses oreilles pointues, elle trouva une certaine grâce à cette nouvelle forme, tout comme à la teinte claire indéfinissable que prenaient ses cheveux. Elle se releva et reprit sa marche à travers les rues muettes en quête du temple du Dieu-Silence.

 

Chaque pas hasardeux l’éloignait du fil du temps. Elle n’avait plus entendu les guerriers ni les furies depuis qu’elle était seule. Seule avec le Sceau qui palpitait en elle. Est-ce un guide ? Un protecteur ?Le Sceau était empreint de tant de malheurs que ses dons n’étaient plus enseignés et elle se retrouvait isolée avec ses questions. Néanmoins, son chant la réconfortait et elle avait décidé de s’y fier. C’était cela ou le hasard total.

D’infimes variations dans la mélodie lui indiquaient la direction à suivre. L’ambiance feutrée de la ville amplifiait la solennité de sa démarche. Elle se trouvait dans un quartier tout en hauteurs et suspensions, aérien et majestueux, colonnades et passerelles.Écrasée et accueillie. Ses mains fourmillaient de mille sensations, s’affinaient, saisissaient le moindre courant d’air, le moindre interstice des murs environnants. Des murs mouvants qui me tendent les bras. La musique s’amplifiait et l’étreignait de plus en plus fort, douce puissance entraînante. Transportante. Elle percevait à présent de nouveaux sons, une infinité de nouveaux sons, une farandole qui s’emballe et s’emporte, m’emporte, se disperse et submerge, me submerge, revient en force, m’emporte m’emporte m’emp…Nuances de gris qui se fait obscurité pour affronter l’afflux. Silence, silence, prends-moi. Noir.

 

Éclat délicat à travers le brouillard. Yliénore se redressa douloureusement. Ses derniers souvenirs étaient flous, elle marchait quand, soudain, les sons s’étaient amplifiés, ils m’ont envahie ! Cela dissipa immédiatement la brume de ses pensées, mais ne lui procura aucun soulagement. La Cité silencieuse débordait de bruits et de vibrations qui agressaient ses oreilles sensibles tandis qu’en elle, le Sceau se déchaînait. Fermer les yeux. Respirer. Inspirer. Respirer. Inspirer.Peu à peu, son souffle s’apaisa et elle retrouva la maîtrise de son esprit. Cité silencieuse pour les autres, symphonie passionnée de vie pour le Dieu-Silence et ses Scellés. Ses sens s’étaient considérablement accrus pendant sa période d’inconscience. Une douleur fulgurante dans sa cheville la rappela à l’ordre. Elle s’était blessée en s’effondrant. Le Sceau claironnait dans ses veines, omniprésent et assourdissant. Un pas de plus. Souffrance. Trouver le temple.

 

Yliénore ne saurait dire combien de temps il lui fallut pour atteindre le temple du Dieu-Silence, combien de fois elle s’effondra, submergée par l’intensité de ses sens accrus, combien de fois elle crut voir une furie s’approcher avant de se détourner de son chemin.

Elle parvint au pied du temple dans l’habituelle semi-pénombre tachetée d’éclats radieux. Ses cheveux étaient devenus blancs depuis quelques temps et elle ignorait la couleur actuelle de ses yeux. Ses membres s’étaient tant affinés qu’elle flottait dans ses vêtements abîmés, sa cheville était dans un état déplorable, mais elle n’avait rien trouvé pour s’en occuper, n’avait pas pu s’en préoccuper. Inexorablement poussée par le Sceau hurlant dans ses veines, elle avait avancé.

Le temple se dressait face à elle. Au sommet d’un immense escalier. Encore quelques pas et tenir la promesse. Quelle promesse ?Tourbillon. Vix, la promesse faite à Vix. Blanc. Vix, petit frère. Ne pas abandonner Vix. Les pensées un peu remises d’aplomb, elle entama l’ascension.

 

Une marche une marche de plus toujours plus de marches marche marche monter toujours un peu plus haut encore monter vers le Silence et sombrer de confiance noyade de sensations et ivresse du Sceau le chant qui scelle et les scellés protecteurs

 

Un cri l’interrompit, un cri venant du sommet de l’effroyable escalier, Yliénore se mit à courir.

Le spectacle au sommet lui coupa le souffle. D’abord par sa beauté. Ensuite par son atrocité. Le temple était splendide, en dentelle de roche sertie de coquillages irisés, arabesques et voiles légers, il s’ouvrait vers une pièce richement décorée et le paysage sous-marin en fond. Les guerriers, beaucoup moins nombreux, beaucoup plus sauvages, le pillaient sans vergogne. Un hululement jaillit de sa gorge. Un autre lui répondit. Un autre encore. Les sensations déferlèrent dans son esprit, la rage s’embrasa et Yliénore se jeta sur eux. D’autres furies affluèrent vers le temple…

 

À l’aube de chaque jour, Vix s’asseyait au bord de l’eau, à l’abri des regards.

Le bateau était revenu au port avec un équipage ravagé. Certains étaient perdus en mer, d’autres avaient été emportés par la maladie. Leurs témoignages étaient confus, mais une chose était certaine. Ceux qui avaient posé les pieds sur l’île, qui avaient pénétré dans la Cité silencieuse, ceux-là n’étaient jamais revenus. Et Yliénore en faisait partie.

Yliénore était partie sans lui. Comme leur mère. Il se sentait abandonné. Il avait lu la dernière lettre de sa sœur à de multiples reprises, jusqu’à la connaître par cœur. Yliénore était l’aînée. Ils avaient toujours su que son Sceau la détruirait. Comme leur mère. Mais elle m’a promis. Elle m’a promis de ne jamais me laisser. Il défiait la mer du regard chaque matin, lui intimait de lui rendre sa sœur.

Les furies avaient attaqué le bourg et, pour la première fois, il leur avait fait face, sans le don d’Yliénore pour l’apaiser. Il n’avait pas reconnu sa sœur parmi les abominations déchaînées. Souvent, il se disait que c’était une bonne chose. Souvent, il rêvait qu’il l’affrontait et mettait fin à sa malédiction.Où es-tu, Yli ? Qu’es-tu devenue ?

 

Un jour, Vix cessa d’attendre. Pas de venir. Il cessa simplement d’espérer. Sans parvenir à mettre fin à son rituel matinal. Je me souviens de toi. Ton visage s’efface, Yli, mais je ne t’oublie pas.

 

Les attaques des furies s’espaçaient de plus en plus. Elles semblaient moins nombreuses, moins furieuses. D’autres métamorphoses eurent lieu. D’autres adieux. Vaut-il mieux être maudit ou rester à terre ? Se perdre ou affronter ceux qu’on a perdus ?

Puis les attaques cessèrent. Il y eut des rumeurs étranges et lointaines, évoquant des créatures ressemblant aux furies, mais sans leur folie chaotique.

 

 

Un jour, une vague plus puissante l’éclaboussa et il recula précipitamment. L’eau était maudite et dangereuse, elle ne devait pas le toucher. Elle ne peut pas me prendre !Un bond supplémentaire en arrière, par sécurité, avant de lever les yeux.

Elle émergeait à moitié des flots. Elle avait changé, mais il la reconnut sans hésitation.

« Yli ! »

Un rire jaillit. Il en oublia sa peur et sauta dans l’eau pour la rejoindre. Yliénore et Vix s’élancèrent. S’enlacèrent. L’enfant était devenu un adolescent musclé au teint hâlé. La jeune fille terrifiée s’était métamorphosée en une jeune femme radieuse. Il se dressait avec un mélange de courage et de fragilité, ses cheveux bruns flottants dans son dos et ses yeux sombres pétillants de joie. Elle vacillait sous son étreinte, avec ses yeux bleus éclatants, sa longue chevelure blanche s’évasant dans l’eau et ses branchies qui palpitaient follement dans son cou.

« Je te l’avais promis, murmura Yliénore avec émotion.

– Comment ? »

Comment as-tu fait ? Comment m’es-tu revenue ? Que t’est-il arrivé ?

« Regarde mieux, Vix. La malédiction est levée. »

L’adolescent baissa le regard. Les jambes d’Yliénore avait disparu. À la place, elle avait une longue queue de poisson. Elle l’agitait doucement pour se maintenir sur place, face à lui, ses écailles resplendissaient dans le jour levant.

« Comment ?

– Tu te souviens du groupe de guerriers que tu as voulu que je suive ? »

Il hocha la tête.

« Ils avaient l’un des Talismans silencieux avec eux. Ils s’en servaient pour se déplacer dans la Cité et piller le Dieu-Silence. C’était abominable, Vix… Ce qu’ils ont fait est… Et ce que j’ai fait… »

Il pressa doucement la main de sa sœur pour l’inciter à poursuivre.

« Les furies, elles… Nous avons mis fin au pillage… Mais pour ce qui est du Talisman, nous n’avons pas compris tout de suite… Tu n’imagines pas à quel point le Sceau peut nous submerger… Puis nous l’avons remis en place. Et nos pensées se sont apaisées… Nous avons pu retrouver une certaine maîtrise de nous-mêmes. Alors… Alors nous nous sommes organisées. Nous avons cherché l’artéfact volé. Traqué. Trouvé… Nous l’avons rendu au Dieu-Silence hier… Et nous avons repris la forme véritable des Scellés. La malédiction était levée. Tu avais raison d’y croire, Vix… »

Il lut les doutes et l’appréhension dans son regard. Sa peur d’être rejetée. Sa peine d’avoir succombé. Elle attendait son jugement. Que pourrais-je te dire, Yli ?

« Merci d’être revenue, » souffla-t-il en lui ouvrant les bras.

Un sourire radieux s’épanouit sur le visage d’Yliénore lorsqu’elle se blottit contre lui.

« La mer est vraiment merveilleuse, tu verras ! »

Je le sais déjà, Yli. Puisqu’elle t’a libérée.

©Véronique Thill

FICTION

Voués à l'océan

 

Emeline Isaia

Longtemps, l’imagination d’Emeline Isaia est restée cantonnée aux frontières de sa pensée. Guide-conférencière croyant profondément à l’importance de la transmission, un jour elle a décidé de partager ses mondes intérieurs par l’intermédiaire d’un clavier. « Voués à l’océan » est sa première nouvelle publiée à ce jour.

 

For a long time, Emeline Isaia’s imagination remained confined to the boundaries of her thoughts. As a tour guide who believes deeply in the importance of transmission, one day she decided to share her inner worlds through a keyboard. “Voués à l’océ