Gégène ou le crépuscule des dieux - Anne Hugot-Le Goff - E-Book

Gégène ou le crépuscule des dieux E-Book

Anne Hugot-Le Goff

0,0

Beschreibung

Dans un village dauphinois de moyenne montagne, les destinées de deux familles s’entremêlent : celle de paysans aisés, dont la brillante fille cadette rêve sa vie, à l’ombre de Wagner, au lieu de la vivre ; et celle des anciens seigneurs du village – et toujours employeurs –, dévastés par une tare génétique que trop de consanguinité a rendue très prégnante. Cette longue, longue histoire trouvera-t-elle enfin une issue ?


À PROPOS DE L'AUTRICE 


Anne Hugot-Le Goff se plaît à laisser libre cours à ses perceptions par les mots. Dans Gégène ou le crépuscule des dieux, avec un style singulier, elle nous transporte dans une intrigue à l’image de son univers, qui s'organise harmonieusement autour de l'opéra et de la beauté du monde montagnard.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 293

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Anne Hugot-Le Goff

Gégène ou le crépuscule des dieux

Roman

© Lys Bleu Éditions – Anne Hugot-Le Goff

ISBN : 979-10-377-9507-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

© Le Châtel de Theys (www.chateldetheys.com), photo et relevé : Térence Le Deschault de Monredon

Ce mystérieux cavalier ne semble pas être Parsifal. Alors, la narratrice et moi-même imaginons que la femme, debout, est Brünnhilde, au moment où Siegfried, monté sur Grane, se prépare à partir... et à la trahir.

Avant-propos

À mes lecteurs qui ne seraient pas familiers avec le monde de l’opéra, allez sur le Net chercher le synopsis de ceux qui sont cités ; cela vous permettra de mieux vous orienter dans le fil de l’action.

Écoutez-en quelques extraits, peut-être…

Et peut-être vous apercevrez vous que, déjà, certains passages vous sont familiers. Tout le monde a vu Apocalypse now. Combien la musique de Wagner ajoute de puissance à l’attaque des hélicoptères…

Tout le monde a vu Philadelphia… Comment la sublime aria de Giordano accompagne la détresse du héros et de son entourage…

Oui, que l’opéra accompagne nos vies.

Prologue

Les Nornes

Il fait doux, encore. C’est une de ces journées de demi-saison, molle et indécise, imprévisible sous une couverture grise qui parfois se déchire pour laisser revenir la lumière ; le ciel est partagé, je devine à peine Belledonne entre les nuages alors que le soleil doit disparaître derrière la pyramide gris ardoise de Chamechaude, griffant d’un trait raide et précis un horizon flamboyant. Les couchers de soleil sont toujours si beaux, chez nous, faisant du Vercors et de la Chartreuse des décors théâtraux. La place Grenette est étonnamment peu animée. C’est un de ces jours mous où il ne peut rien arriver d’important. Un jour trop mou pour faire le bien, un jour trop mou pour faire le mal.

Il a envie de partir, ça se voit. Il a envie de la rejoindre. Il a envie de me quitter. Il a envie de partir, de me quitter et de la rejoindre. Il me regarde avec son air d’enfance, son expression de tous les jours d’enfance, mélange de dédain, de maussaderie, d’indifférence.

Il est étonnamment élégant. Sous sa parka de cuir noir, il porte une chemise à petits carreaux gris sur un tee-shirt rouge moniteur.

— Tu t’es acheté une chouette parka, je dis, mais tu crois que tu vas en avoir vraiment besoin en Afrique ?

Il hausse les épaules. Il a vraiment envie de partir, il n’a même pas fini son demi, une belle bière d’abbaye pourtant, fruitée et corsée comme il les aime.

Et je n’ai pas encore dit ce que je dois dire ; je dois parler, et je n’aime pas tellement ça, finalement je suis plutôt taiseuse, comme nous autres dauphinois, tant qu’on n’a pas amené notre teneur en éthanol au niveau voulu. Cracher les mots, parce que c’est plus facile que d’élégamment les aligner, les mots qui fâchent, les mots qui vont fâcher, les mots que je suis seule à pouvoir dire, auxquels il va répondre par le mépris, voire l’agressivité, les jeter, ces vilains mots « comme un paquet de sottises », dirait notre pittoresque grand-mère. Faudrait pouvoir communiquer sans les mots. Juste par la pensée, comme dans les films de SF. Pourtant, parler, ça ne devrait pas être si difficile :

La meilleure façon d’parler, qui doit être la nôtre, c’est de mettre un mot d’vant l’autre, et d’recommencer.

Rran ! Rran ! La meilleure façon d’parler ! Rran ! Rran ! qui doit être la nôtre ! Rran ! Rran ! c’est de mettre un mot d’vant l’autre ! Rran ! Rran ! et d’recommencer.

Parler, mots, syllabes, babe bi bo bu, pape pi po pu, lapipedupapadupapepiepue, un papouàpoupaspapaetunpapoupasàpoupapa. Pu, Pe, Pas, peux pas.

— Tu ne peux pas faire ça, je dis. Tu ne peux pas faire ça.

— Tu ne peux pas faire ça, je dis encore. Pense aux parents !

Il reprend son expression banale d’enfance, avec la voix qui va bien, amère mais colorée d’un poil d’arrogance, je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé... soit dit en langage vulgaire, detoutesfaçonsjesuisladernièrerouedelacharretteetçam’estégal, arrête Martin, je sais exactement ce que tu vas dire, alors te fatigue pas, le numéro du pauvre petit-méprisable-incompris capésien, sniff sniff, laisse tomber mais si mais si, faut qu’il le case, les parents, de toute façon pour ce que je compte pour eux... comment pourrais-je égaler la future médaille Fields, ahahah, avec mon pauvre petit Capes d’anglais... – et d’histoire, j’ajoute (c’est un échange bien rodé, qui a déjà servi à de nombreuses occasions, on est comme un numéro de duettistes ringards pour noces et banquets, je pense que dès notre coexistence dans l’utérus protecteur on a commencé à ratiociner), et d’histoire, il reprend de sa voix traînante (amère/arrogante/traînante), ce qui me vaut de me coltiner un double service dans un collège pourri (holà le trotskyste, tu voudrais pas enseigner chez les bourges par hasard ?) , mais ahahah elle se permet de me donner des conseils de vie, l’étoile des mathématiques, alors qu’à part ses petites équations, ahahah, elle n’a rien foutu de la sienne, tu sais ce que j’en fais de tes conseils, ma pauvre fille, à côté de ça, tu pourrais comprendre que vivre à Dar es Salaam, avec un salaire qui est trois fois celui que j’ai actuellement, ça ne se refuse pas, et j’en ai marre des mômes, les mômes de la Villeneuve ils me sortent par les trous de nez, devenir traducteur, ça me va très bien. Silence concentré, dramatique, le public (moi) retient son souffle, pour bien se préparer à une révélation définitive. Ça va être une vie de rêve.

A priori, si on m’avait demandé où vivre une vie de rêve, je n’aurais pas dit : Dar es Salaam. Mais bon.

Et je n’ai toujours pas réussi à cracher le plus important, alors qu’il fait un geste vers le serveur pour régler l’addition. Les nuages reculent, l’incendie céleste progresse vers l’orient, la voûte s’embrase au-dessus de la ville somnolente ; la place est tout illuminée maintenant, les ombres naissent et s’allongent ; une douce tiédeur ambrée vient caresser mon cou-de-pied ; il fera beau demain.

Mais pas avec elle, Martin, pas avec elle, pas encore, pas tout de suite, attends au moins qu’elle soit majeure…. Martin, tu ne peux pas partir avec une mineure… tu crois que sa famille va laisser faire ? Et tu crois que Georges va laisser faire ? Il va te foutre Interpol au cul, et… Georges ? (petit ricanement de gorge) Ma pauvre fille (bis repetita placent) tu crois peut-être qu’il n’est pas au courant ?

Évidemment, qu’il n’est pas au courant, Georges, et j’en suis même sûre, Georges, l’Homme Triste, l’homme moral, rigide, à part Martin (le Martin d’avant, celui qui n’était pas fou amoureux d’une grande ado maigrichonne, toute en pattes, et même fou tout court d’ailleurs), qui est plus conventionnel que Georges ? Même s’il a maintenant acquis une grande liberté, une surprenante liberté dans le regard qu’il porte sur sa vie, et dans la parole, il demeure le gardien ultime des mœurs de ce qui reste de sa famille ; alors je dis n’importe quoi, je cherche à me saborder, ma parole, y a quand même des choses qu’il ne faut pas dire à un ancien trotskyste s’il arrive quelque chose, vous ne pourrez jamais rentrer. S’il se passe un truc... Je ne sais pas, une révolution, des attentats contre les blancs, tu seras coincé là-bas, vous ne pourrez pas rentrer, et hop, il reprend la baballe avec la vélocité d’un fox-terrier joyeux, et répond à sa pauvre fille (trisrepetita je t’emmerde) qu’en plus, elle est devenue raciste. Eh bien, tu ne t’es pas améliorée en vieillissant. Parce que je pars chez les nègres, je finirai assassiné, c’est ça ?

Puis, cajoleur, afin qu’on termine sur la petite note sucrée qui va bien : et puis tu viendras nous rendre visite... C’est tellement beau ce pays. Quand tu auras vu les guépards et les éléphants, tu n’auras même plus envie de repartir. Et tu pourras grimper, grimper c’est ce que tu préfères, pas vrai ? le Kili, le Mawenzi, le Meru, le mont Kenya...

Il serait bien parti pour faire la liste de tous les volcans portés par la terre africaine, mais il regarde sa montre et saute sur ses grands pieds de Hobbit, faut que je m’en aille, je vais rater mon train ; il m’adresse un large, large sourire bien franc (voilà que le Grand Maussade sourit maintenant… Il est vrai que l’Homme Triste ne cesse de rire ; le monde change, les amis ; c’est-y que Venus aurait remplacé Saturne dans le décan d’Uranus ?) et il me balance un baiser sur le coin de l’œil. Et il sourit encore, avant de se retourner. D’un vrai sourire heureux, placide, banal mais si peu coutumier chez le Grand Maussade. Et il s’en va à larges enjambées, beau mec costaud ; beau mec costaud, bien caréné, point trop gracieux de visage (bien moins joli garçon que Vincent pas exemple), mais les Servoz s’améliorent tous en vieillissant ; solide et rassurant (et pourtant…) ; il me plante là en me laissant le soin de retourner à la ferme expliquer aux parents que leur dernier fils va bientôt être recherché par toutes les polices pour détournement de mineure. De très mineure, même. Bien que ce soit probablement elle qui, la première, a détourné ce grand dadais. Mon jumeau. Mon jumeau qui est peut-être moi, mélangé à la naissance. Mon jumeau avec qui, peut-être, je le pensais, j’avais échangé mon destin. Mon salopard de jumeau qui me pique mon destin. Salopard, tête de lard. Mon jumeau.

Un jour mou, je vous dis. Un jour trop mou pour qu’il se passe quelque chose, par exemple qu’un professeur d’histoire et d’anglais au collège, vaguement trotskyste, ayant derrière lui une vie sans fantaisie et sans réelle passion, un garçon banal et un peu ennuyeux, s’enfuie en Tanzanie avec une gamine qui pourrait presque être sa fille.

Comment comprendre cela ? Il ne faut pas chercher à comprendre. Il faut juste se dire que cela devait être. C’est la Force du Destin. Un jour, tressés par la main de quelque délirante Norne, un fil de notre pelote – les Servoz – et un fil de leur pelote – les Gevrieu – devaient se réunir. Qui donc a mélangé les fils ? La tante Monique, brave innocente, à sa façon, bien involontairement, a joué un petit rôle. Et la Charmante, plus innocente encore, à sa façon aussi, même s’il y a quelque chose d’outrecuidant à imaginer une des terribles immortelles de la nuit avec un mufle. Et mon père enfin, le principal responsable/coupable. Mais tout aussi involontairement.

Le fait est : les fils devaient être mélangés. Et donc, Martin, s’unir à la petite et disparaître.

Avec sur le porte-bagage : Gégène

Et vas-y Gégène, à toi l’oxygène.

S’ils ont deux enfants, l’un des deux sera forcément :

Nigaud, niais, balourd, difforme

Zozo, coucou, illuminé, ahuri

Débile léger, débile profond, débile tout court

Érotomane, Nymphomane, exhibitionniste

C’est Gégène qui l’a dit.

Ou pas. Peut-être pas. Peut-être que Gégène va perdre – en fin de compte.

Enfance

1

L’échange

Pourquoi Aline a-t-elle tant de mal à accepter que la vie de son frère soit ce qu’elle est ? à ne plus y jouer de rôle ? à ne plus la gérer – quoiqu’en fait, malgré sa bonne volonté, elle n’ait jamais géré grand-chose. Pourquoi a-t-elle tant de mal à se séparer de lui, franchement, proprement – tout en continuant à l’aimer bien sûr. Ce sont de faux jumeaux, qui ne devraient pas être plus particulièrement liés entre eux qu’avec les autres membres d’une fratrie unie comme celle des Servoz. Mais voilà : ils ont échangé leurs prénoms, au départ. En échangeant leurs prénoms, l’un n’est-il pas un peu devenu l’autre ? Ne s’est-il pas établi quelque lien souterrain et mystérieux ? N’est-ce pas à ce moment-là que les Nornes ont mélangé leurs fuseaux ? Dans une cosmogonie superstitieuse, c’est ce qu’elle ressent (peut-être), la mathématicienne, la rationnelle, mais bien sûr sans se le formuler. Juste une petite idée calée quelque part, clandestine, un peu louche, qui de temps en temps passe en ronronnant. Elle préfère se dire qu’étant la plus brillante, la plus dynamique, la plus (superficiellement) extravertie du duo, c’est à elle de booster Martin, sans penser qu’elle risque aussi de l’écraser. Mais non, Martin ne se laisse pas écraser ! Il oppose à toute tentative la résistance puissante et molle des gros ballons de caoutchouc qu’on utilise dans les gymnases.

Au départ : la tante Monique. Sœur aînée de leur mère, avec une certaine différence d’âge, la tante Monique était deux fois veuve. La première fois, d’un propriétaire terrien aisé ; la seconde, d’un commerçant prospère. Les infortunés avaient trépassé précocement, l’un d’un cancer, l’autre d’une crise cardiaque, sans pouvoir assurer leur descendance. Bilan érotico-gymnique de Monsieur premier : deux fausses couches. De Monsieur second : même pas un petit retard de règles. En résumé, elle était veuve, sans enfant et, à l’aune villageoise, riche. Quand elle apprit que sa petite sœur, Claudine, allait accoucher de jumeaux, alors que les Servoz élevaient déjà deux petits costauds, de ceux que l’on dit aimablement « pleins de vie », Monique se proposa de devenir la marraine-fée (des deux nouveau-nés, mais oui, les deux à la fois, pourquoi pas ?) ; en commençant par leur ouvrir de généreux livrets d’épargne (à mon âge je n’ai plus de besoins !), mais en laissant entendre (très fort), que le plus grand réconfort de ses futurs vieux jours serait que les dits livrets portassent les prénoms qu’elle-même aurait choisis pour cette descendance que le destin lui avait refusée : Alain et Martine.

C’est moche, dit le petit Vincent. Tu parles du cadeau, ajouta le petit Thierry qui militait pour Robin (des bois) et Bayard (sans peur et sans reproche), des chouettes prénoms quoi ! Leurs parents se dirent qu’ils ajouteraient un second prénom, moins vieillot (moins tarte) qui deviendrait d’usage, et que tout le monde serait ainsi content.

Et voilà le soir fatal, le soir des Nornes, où Claudine doit être emmenée vite fait à la clinique des Belledonne, le soir où les jumeaux, elle d’abord, lui ensuite, poussent leur premier cri (suivi de beaucoup d’autres car ces petits costauds ont toujours faim). Et voilà la nuit. La fin de la nuit. La fin d’une nuit d’hiver glaciale. On est encore loin des premières lueurs de l’aube mais cette nuit est claire car le ciel est dégagé et la lumière de la lune diffracte sur la blancheur scintillante des sommets enneigés.

Francis Servoz, suivi de loin par les Nornes (dans la nuit on ne les voit pas) descend d’un bon pas la petite route qui va de la ferme au centre du village (il n’a pas pris le raccourci, plongé dans une obscurité totale). Il va déclarer la naissance, le 7 février à 18 h 47, d’Alain-Guillaume et de Martine-Isabelle à la clinique des Belledonne. Nul besoin d’attendre la venue de Chantal Bruny, la petite secrétaire de mairie au profil de musaraigne : le maire, c’est lui. Il va ouvrir la porte, sortir le registre, et il se réjouit d’écrire lui-même les prénoms des petits derniers (et bien derniers, ça, c’est sûr).

Francis est fatigué, même s’il est encore bien trop énervé pour en être conscient. Il se sent pétulant au contraire, plein d’énergie et d’avenir. C’est qu’une autre parturiente avait accouché dans la nuit, à la ferme : la Charmante, la plus belle de ses Tarines, une primipare dont il avait déjà géré la venue au monde. Un très grand format – elle fait un bon 140 centimètres au garrot –, dont le dessin des longues cornes en forme de lyre est parfait – un vrai modèle pour le Salon de l’Agriculture. Il aime ses bêtes, et il se fait du souci car il s’attend à une naissance gémellaire. Vincent et Thierry, que le père a envoyés se coucher, avaient baptisé par anticipation les nouveaux arrivants Jeannot et Georgette, ça va sûrement être une fille et un garçon, ppa, comme le p’tit frère et la p’tite sœur. Depuis que les garçons choisissent les prénoms des nouvelles habitantes de la ferme, plus de Charmante, Rougeotte ou Gracieuse : de Vincent, l’intello de la bande, puisqu’on est catholiques, ppa, nos vaches elles le sont aussi !

Charmante est couchée sur le flanc, et manifestement, elle souffre. Elle regarde l’homme de ses grands yeux doux et fardés, et attend de lui le réconfort. Comme sont sages ces peuples qui ont fait de la vache un animal sacré. Et comme nous sommes méprisables de profiter de la confiance qu’elle porte à celui qui la nourrit de fourrage parfumé ; celui qui soulage de leur lait ses pis gonflés et douloureux. Comment pourrait-elle deviner que ce bienfaiteur est aussi le responsable de la disparition du petit qu’elle s’apprêtait à chérir ?

Et tout à coup, voilà une tête et Francis dégage les épaules, aide à s’extraire du corps maternel une jolie velle bien vivace. Il tâte les flancs de Charmante. Il a du mal à croire ce qu’il sent : il n’y a pas là qu’une seule vie à venir. Il y en a deux. Une naissance triple chez les vaches ? c’est extrêmement rare, et de plus, Charmante est primipare, comment cela va-t-il se passer ? Mal, sûrement ! Au bout la mort, peut-être. Pour la première fois de sa vie d’éleveur, il s’affole ; il retéléphone au vétérinaire, qui a déjà été appelé à quarante kilomètres de là ; une deuxième petite génisse se présente, et maintenant Francis en a la certitude : il y aura un troisième larron. Charmante est épuisée, son pelage fauve et soyeux, son pelage dense d’hiver est trempé de sueur, ses grands yeux noirs maquillés de khol restent fixés sur l’homme, avec un mélange de peur et d’espoir. Souffrance/confiance : ils partagent. Charmante croit dans l’homme qui la nourrit, l’emmène au pré ou en alpage, la caresse sur l’épaule ; Francis croit dans la vaillance de la belle.

L’homme et la bête partagent ainsi l’attente, l’anxiété, la douleur ; chose impossible à faire comprendre aux gens des villes, qui s’indignent qu’on prétende aimer des animaux qu’on enverra un jour à l’abattoir. Gens des villes, gens débiles, dit Thierry quand il doit fréquenter des parigots à l’école de ski.

Bruit de voiture, freinage abrupt, avec jet de graviers, et alors Francis ? Où t’en es ? Tu t’en sors ? Ah Philippe, il est temps que tu arrives, la Charmante, je ne sais pas si elle va tenir le coup. Il y en a trois ! Oh putain en voilà une affaire, j’écoute son cœur, il est bon, pas de problème, dit le véto, je vais lui faire une piqûre pour la soutenir, et voilà qu’au moment où Philippe commence à préparer sa seringue, d’un coup, déboule de la vulve gluante, et très vite, une petite créature qui, tout de suite, d’un coup de reins vigoureux, se dresse sur ses pattes, alors que les deux premières nées se serrent l’une contre l’autre dans la paille, c’est un taurillon robuste, qui pèse bien un tiers de plus que ses sœurs, oh putain dit Philippe, regarde le mastard, putain, çui là, si il tient ses promesses, tu pourras le monter à Paris, il aura la médaille. Comment le mastard a-t-il pu trouver sa place dans le corps juvénile de la génisse ?

Il se promet qu’il ne la fera plus vêler. Il ne tiendra pas sa promesse.

Quand tout fut fini, que la belle Tarine put enfin se reposer, entourée des deux génisses et du taurillon (finalement, ce serait Jeannette, Georgette et Gaston), que Francis eut remplacé la litière souillée par de la litière fraîche, le voilà avec le véto, assis à la table de la cuisine autour d’un café bien serré, additionné d’une petite rasade de marc maison, et le père dit : bon ben je ne vais pas me recoucher à l’heure qu’il est. Je suis bien trop énervé pour dormir. Je vais aller jusqu’à la mairie inscrire les p’tits. Ça me fera prendre l’air. Tu veux que je te dépose ? propose Philippe. Non non, je vais marcher, cela me fera du bien. Rentre bien, Phil et va vite te coucher. Il y a Marianne qui doit commencer à se faire du mouron.

Quand Francis est stressé, il va marcher. Habitude qu’il transmettra à ses enfants, surtout à sa fille. Et le voilà donc sur la route (toujours suivi par les Nornes), sous la froide lumière de la lune, à demi réveillé par le café, à demi endormi par la goutte, mais de toute façon épuisé par cette nuit de veille et d’angoisse.

Francis ne fréquente pas les bistrots en temps ordinaire ; il n’en a ni le goût ni le temps ; son travail à la ferme, sa famille, voilà qui suffit à l’équilibre de cet homme prématurément sérieux, mais vu les circonstances, il a donné rendez-vous le lendemain à quelques amis Chez Marius (fils de Claudius), pour arroser l’exceptionnelle venue des deux nouvelles petites vies (plus trois !) la même nuit. Tout cela fait cinq petits Tarins tout neufs car par une bizarrerie que personne ne sait expliquer, les habitants de Servieu, au lieu de s’appeler des Serviens ou des Serviais, voire des Servoisiens, comme cela serait normal s’appellent… des Tarins. Champagne ! Et du bon (et du bon Gaston ! à la santé de Gaston-le-mastard !) Alors, comment tu les as baptisés ? Jeannette, Georgette, et Gaston. Mais non couillon ! je te demande pas le nom des veaux, je te demande le nom de tes p’tiots.

Et là, quelque chose se déclenche, se dérègle dans la tête de Servoz. Est-il fou ? Délire-t-il ? Il mémorise la page du registre, il la voit, cette page, comme si elle était réelle, il la voit, là, devant ses yeux, et sur cette page, il est écrit : Martin-Guillaume et Aline-Isabelle. C’est sûr : c’est ce qu’il a écrit au terme d’une nuit éprouvante.

Il peut aller la modifier, cette foutue page où il a mélangé les deux prénoms, naturellement. Il est le maire… Mais quelque chose l’en empêche. Il n’ose pas aller contre cette main inconnue qui s’est emparée de sa main et lui a fait écrire… autre chose que ce qu’il devait écrire. Il ne sait pas que c’est la main décharnée d’une Norne car il ne connaît pas cette légende – mais non. Il ne modifiera rien. Superstition de vieille femme ignorante, indigne du bon communiste (mais-pas-trop) qu’il est. Rationnel, volontiers raisonneur, athée (à tout le moins agnostique, qui peut sonder les reins et les cœurs ?) : il ne peut pas. Il ne fait rien. Aurait-il pu les démêler, ces fils des effrayantes Nornes ? Peut-être. Peut-être pas. Et voilà comment le garçon est devenu la fille, et la fille le garçon. Voilà comment ils ont échangé leurs prénoms. Voilà comment ils ont échangé leurs destins ? Voilà comment c’est un Servoz qui est parti avec une Gevrieu – et pas le contraire.

Finalement la tante Monique, pas contrariante, trouva ces prénoms tout à fait à son gré et elle gâta Martin et Aline tout comme elle l’eût fait d’Alain et de Martine. À son gré, enfin, presque : la petite fille se trouva rapidement accablée du diminutif de Linette. Mauvaise idée, Monique, mauvaise idée !!

Par la suite, Martin est sérieux, solitaire, méditatif. Il aime lire, étudier, il déteste jouer au foot, il ne regarde pas les culottes des filles quand elles grimpent aux arbres, il n’a pas de copains. Aline est bagarreuse, fonceuse, revendicative. Elle s’oppose à tout le monde, rentre dedans à la moindre occasion, par la parole et si ça ne suffit pas, par le poing, gagne tout en athlétisme. Elle n’a pas d’amies, non plus. Le fait qu’ils soient, comme tous les petits Servoz, toujours premiers en classe (dans le cas de Thierry, parfois seulement deuxième ou troisième), et qu’ils arborent leur supériorité (surtout elle) avec une évidente arrogance, ne contribue pas à les rendre populaires.

2

Le Lautaret (le Paradis)

Le hameau du Lautaret est situé à environ quatre cents mètres à gauche de Servieu, qu’il domine ; une route vicinale étroite, au tracé incertain entre deux prés nous relie au village. On peut aussi accéder au Lautaret par un raidillon rocailleux, bordé de vergnes, de grandes berces et de ronces, colorisé l’été par le rose choquant des épilobes mêlées aux valérianes, puis vient le moment où je ramasse sur les ronces les mûres noires et parfumées. Mais le meilleur, ah, le meilleur, ce sont, à la fin du printemps, les fraises des bois, qu’il faut savoir débusquer sous les feuilles ; elles sont petites, certes, mais quelle explosion de saveur et de parfum ; j’arrache soigneusement les orties le long du sentier pour qu’elles ne viennent pas étouffer mes fraisiers, les fraisiers, c’est pas comme les champignons : il leur faut leur compte de soleil, sinon ils disparaissent. Je suis la jardinière des fraises sauvages… Je ne passe jamais par la route. C’est bon pour les caves.

Pauvres gens des villes qui ne connaissent que les grosses fraises bêtes mûries en serre, que notre épicier vend (bien trop cher) presque en toute saison (mais presque personne ne lui en achète. On n’est pas fous, nous les montagnards)… Je les plains. Moi, je vis au Paradis. Jamais je ne quitterai le Paradis. Aucun Dieu ne me chassera du Paradis. D’ailleurs pourquoi me chasserait-on puisque je suis parfaite ?

Dans cette large cuvette ensoleillée autour de Servieu, de nombreux hameaux comme le nôtre, composés de quelques maisons, entourés de pâtures, s’étagent à flanc de montagne. Les troupeaux s’empiffrent de l’herbe riche, chopent quelques pommes sur des pommiers redevenus sauvages, arpentent leur domaine de long en large ; elles sont vaillantes, nos vaches montagnardes. Elles rentrent sous le couvert de la forêt (où pourtant il n’y a rien à manger, rien que des petits buissons épineux), comme ça, pour le plaisir de se balader. Elles touristent, elles jouissent de la vie. Quand elles se sont assez promenées, elles se couchent pour ruminer, les petits de l’année contre leur mère. Il paraît qu’il y a des endroits où le bétail passe toute l’année dans une étable ! Il y a des dingues, je vous jure, quand on sort du Paradis. Quand je serai plus grande, j’irai mettre une bombe dans ces élevages de la honte, après avoir vérifié qu’ils sont vides, évidemment. Je veux dire, vides d’animaux. Pour les hommes, ils auront ce qu’ils ont bien cherché. Quand j’en parle à Martin, il se tape la tempe de deux doigts, ce qui veut dire qu’il ne m’accompagnera pas.

Autrefois, il y avait surtout de douces et gentilles Charolaises, j’aime leur donner une friandise, petit quartier de pomme ou morceau de pain bien sec. Elles font leur timide, elles hésitent, puis la plus hardie balaie, du mouvement tournant d’une langue blanche et interminable la paume offerte, et alors tout le troupeau s’approche pour avoir sa part de gâteries. Mais, sous l’impulsion de mon père, les paysans de Servieu réhabilitent tous les races locales ; il y a des Abondances, mais je les trouve moches avec leur robe pie, et un peu lourdaudes d’allure (pas aussi moches que les Normandes quand même, eheh, faut pas confondre, ça reste des montagnardes !), et surtout, de superbes Tarines comme les nôtres. Elles ont du caractère, les Tarines. Nous faisons du lait. Mon père n’aimerait pas élever de races à viande. Il aime trop ses animaux. Au Paradis, on ne mange pas d’animaux n’est-ce pas ? En fait, on mange nos poules et nos lapins, bien obligés. Mais avant d’être mangés, ils ont été heureux. Mon père ne veut pas d’animaux en boîte. Il pense que, s’ils ont été créés pour nous servir, ils doivent avoir leur part de bonheur, avant ; je sais que beaucoup de nos voisins le prennent pour un fou. Donc, les lapins ne sont pas en clapier. Ils ont un large enclos bien garni à l’extérieur de barbelés pour ne pas tenter les renards. On voit rarement les renards, mais régulièrement leurs laissées derrière la maison : ils viennent donc zieuter nos jeannots, les salopards !

Les petits torrents qui descendent de la montagne, au fil du temps, ont creusé leurs chemins et dessinent des sinuosités sombres sur le vert acide des prairies. L’eau, fraîche et limpide, cascade de pierre en pierre, avec un bruit de cristal qui apaise et réconforte. Sur l’un des torrents, un peu plus pentu et plus débitueux que les autres, il y a l’usine à Hubert. Hubert a installé une petite turbine sur la chute, un alternateur qui fournit en partie l’électricité au village ; ensuite il faut repasser sur le réseau de l’EDF. Hubert vit peinard et peut se consacrer aux concours de boules : la nature travaille pour lui. N’est-ce pas magnifique ? Au Paradis, il y a tout ce qu’on veut, même l’électricité (enfin une partie de la journée). En descendant vers la vallée, les gorges se creusent, s’approfondissent ; avant de se perdre dans les eaux opaques et grises de l’Isère, les torrents cascadent entre deux pentes abruptes, sombres et presque inquiétantes.

Le village lui-même se serre autour d’une église largement reconstruite à la fin du dix-huitième siècle dans un style bâtard, et plutôt moche ; des ruelles étroites y convergent. Sur la place de l’Église, il y a aussi la mairie, c’est le Code civil face au goupillon, les révolutionnaires vs les vendéens, les libres penseurs contre les calotins. Il y a encore le café de l’Hôtel de Ville qui ne demande qu’à réconcilier les deux parties. Mon père est communiste-mais-pas-trop et nous allons tous au catéchisme. Quand j’imagine le Paradis, je ne peux guère imaginer autre chose que Servieu. L’enfer ça doit être Paris (je n’y suis jamais allée) et le purgatoire, mettons Grenoble.

Et puis il y a le château, qui domine le village, qui tente de s’imposer face à l’église, sur le côté gauche comme le Lautaret. À l’initiale maison forte qui datait du temps de François de Beaumont, l’infâme baron des Adrets, on a rattaché une élégante aile Renaissance, puis, en vrac, une tourelle, puis une autre, et au début du siècle une serre/véranda style pavillon de Baltard. L’ensemble est donc plutôt ridicule, mais personne ne le voit (j’ai eu l’occasion de rentrer une fois dans la cour en accompagnant papa, je ne sais plus pour quelle raison) car les murs d’enceinte sont hauts, et le portail est une lourde structure de bois chargée de ferronneries. Ce portail est toujours fermé par une clé, elle-même surdimensionnée ; pour entrer, il faut sonner ; et pour sonner, il faut s’accrocher à une chaîne, qui actionne une cloche. Comme la chaîne est haute, trop haute pour une main enfantine, les habitants du lieu sont protégés contre la vente des billets de tombola pour le centre aéré et des calendriers au bénéfice des orphelins des sapeurs-pompiers. Derrière ce portail, devant le château, il y a des massifs de roses magnifiques ; le jardinier coupe régulièrement les fleurs fanées, pour qu’elles ne déparent pas. Mais la bâtisse ne ressemble vraiment pas à grand-chose. Passant, tu ne perds rien. Château ou église, à Servieu on n’est pas gâtés en fait d’architecture.

Le village abrite aussi un certain nombre de maisons fortes, à la façon du Dauphiné : lourdes, carrées, sans grâce. Pourtant : un peu à l’écart, il y a le Châtel, qui date du 13e siècle et renferme encore d’impressionnantes fresques1 ; certaines sont géométriques mais d’autres illustrent la vie du chevalier Perceval – elles datent de 1283, imaginez-vous ! Moi, cela me fait rêver… Mes parents nous défendent d’y aller, car c’est plein de trous et de pierres branlantes. Mais bon… Le lieu est sévèrement clôturé, mais les garnements, les petits Servoz y compris, passent sous les barbelés, au prix, parfois, d’un accroc dans le pull-over. Jusqu’à mon père, qui tente de monter une association pour restaurer le Châtel, aucun maire ne s’est intéressé à la sauvegarde du lieu. Un spécialiste des monuments historiques est venu et a jugé qu’il serait important de sauver ce bel édifice ; mais celui-ci n’est pas situé sur des terrains communaux ; il est sur la terre des Gevrieu. Ça n’arrange rien. Les Gevrieu sont nuls. Mais cela changera. Quand j’aurai épousé Georges. Nous consacrerons notre vie à sauver le Châtel et le souvenir de Perceval.

Le Lautaret est composé de trois maisons. En face de la route, il y a les Brun. Brun n’a pas été paysan mais employé de la poste, et a terminé sa carrière avec « une belle situation » (conseiller clientèle ?) Madame Brun est une petite femme aimable et volubile, qui nous donne toujours une boîte de chocolats à Noël. Les Brun mettent un soin jaloux à posséder la plus chic maison du village. Sur le devant, il y a un parterre de fleurs où une biche (en plâtre) côtoie un hérisson (en plâtre), et où un lutin (en plâtre) lutinerait bien, vu son œil lubrique, une petite lapine (en plâtre). Mais la gloire des Brun, elle se révèle au moment des fêtes de fin d’années. Tout le premier étage est alors habillé d’une guirlande lumineuse où un traîneau argenté, traîné par des rennes rosâtres, court après une étoile dorée. On la voit du village, cette guirlande, et même, si on sait où regarder, de la vallée. Derrière la maison des Brun part une large trouée qui semble se diriger vers le château ; mais ce n’est qu’un chemin de débardage qui se perd dans la forêt. À part la route, et le portail rébarbatif, rien ne relie le château au reste du monde. Le château doit rester un monde clos.

À la droite de la route, il y a la maison Genevier. Là, c’est autre chose. Les poubelles stagnent au milieu de la cour. Il y a aussi quelques bouteilles de pastis à demi enterrées qu’on n’a jamais pris la peine de ramasser. Il n’y a pas de fleurs : des orties, et en guise de nain de jardin, les pieds d’une chaise cassée. Genevier était ouvrier agricole, jusqu’au jour où il est passé sous une moissonneuse-batteuse, alors qu’il n’avait pourtant pas plus de trois grammes dans le sang. On l’a sorti, quelques côtes cassées, un poignet en mauvais état, mais surtout avec une psychose (mourir étouffé sous du foin odorant ?) qui devait l’empêcher de reprendre quelque activité que ce fût. Aucun psychologue, aucun psychiatre ne put faire quelque chose pour l’aider, ce qui le désespérait, et Chez Marius (fils de Claudius), arrivé à quatre grammes, il se mettait volontiers à pleurer,